... L'oraison, voilà une grande affaire, mais une affaire bien simple. Il faut donc que vous rendiez votre méthode d'oraison la plus simple possible. Pas de considérations nombreuses, et ne cherchez pas à suivre point pour point la méthode de Saint-Sulpice.
Votre oraison doit consister dans un repos simple, humble, paisible et plein de confiance devant N.S.: voilà tout.
Il ne faut pas viser à faire beaucoup de réflexions, ni à produire beaucoup d'affections. Qu'il n'y ait rien de forcé de votre part; soyez devant Jésus comme un pauvre enfant devant son père; rien de plus. Ne cherchez pas avec effort à lui exprimer les sentiments que vous avez ou que vous voudriez avoir, et à lui exposer vos besoins; mais que votre âme se tienne à ses pieds dans toute sa pauvreté et sa bassesse. Regardez-vous devant N.S. comme une chose à lui appartenant, qui est là en sa présence pour qu'il en fasse et en dispose selon l'étendue de sa divine volonté; et cela sans effort ni beaucoup de paroles intérieures ou extérieures.
Ce doit être là une habitude de l'âme qui se considérant sans cesse devant Jésus comme lui appartenant, se tient, pendant le temps de l'oraison, extérieurement séparée de tout, pour manifester au divin Seigneur ce qu'elle lui est. Cette manifestation doit se faire sans travail et sans recherche: contentez-vous d'un regard de l'âme vers lui, de temps à autre, dans cette intention.
Quand les distractions viennent, tâchez, mon bien cher, de les écarter doucement et sans inquiétude, par un paisible regard vers Celui à qui vous appartenez. Dans le cours de la journée; faites la même chose: de temps en temps un regard, sans effort, mais le désir calme d'être à Jésus et dans le sentiment de votre misère et pauvreté. Ne cherchez rien de plus.
Même abandon quant à la direction que vous recevez du divin Maitre; qu'il vous dirige à sa façon. Ne lui prescrivez rien, n'ayez pas d'idée préconçue de ce que doit être sa direction; contentez-vous d'être devant lui, tout entier à sa disposition et vous livrant à sa conduite comme un aveugle, sans trop chercher à lui parler ni à l'entendre parler. Restez ainsi disposé, en mettant sans cesse toute votre confiance en lui seul.
Tout à vous en la charité du très saint Coeur de Jésus.
- les expressions "faire beaucoup de réflexions", "produire beaucoup d'affections"...
- la prière est-elle une acte ou une habitude ?
- que signifie la direction que vous recevez du divin Maître
Rennes, le 23 janvier 1838
( à un séminariste
L.S.I p.4O4-4O8
Mon très cher frère,
que l'Enfant-Jésus soit le maitre absolu de votre âme, de toutes ses affections, de tous ses mouvements et de toutes ses pensées, et qu'il la fasse vivre de sa divine vie! J'ai vu avec une grande joie que vous vous appliquez plus sérieusement que jamais à la vie intérieure et au recueillement habituel. C'est un grand point que de vivre continuellement en la vue de Dieu, et celui qui est parvenu à ce point sera bientôt maitre de son âme et de tous ses mouvements, pour les abandonner entre les mains du grand Maitre, afin de ne plus vivre que de sa vie et en sa vie.
Quand nous n'avons pas ce recueillement et cet esprit d'oraison continuelle, nous agissons en toutes choses, ou presque en toutes choses, par nous-mêmes et, le plus souvent, pour nous-mêmes. Les actions même bonnes, pieuses et faites pour Dieu, sont très imparfaites et de très petit mérite; nous sommes toujours en action propre, et, par là, fort en opposition avec le mouvement de l'Esprit-Saint. Voilà pourquoi c'est une très grande grâce que le bon Dieu vous a faite, que celle de vous inspirer le désir de cette oraison continuelle, et de vous y appliquer sérieusement. Mais, faites attention à ne pas la faire consister seulement dans un travail et un simple exercice de votre esprit. Pour que cet état d'oraison soit véritable, il est nécessaire que celle-ci se fasse par affection de coeur, ou par élévation d'esprit, ou encore par un repos de l'âme en Dieu, par la récollection de nos facultés auprès de lui, ou par une simple vue de Dieu présent, devant lequel nous faisons toutes nos actions pour lui plaire.
Mais il ne faut pas que nous fassions oraison par la pensée de notre esprit, en tâchant de nous raccrocher, par-ci par-là, à quelques pensées ayant rapport à Dieu; cela ne serait précisément pas mauvais, mais ce serait bien médiocre et de peu de fruit. Il ne faut pas non plus que ce soit un jeu de notre esprit, cherchant à s'occuper et à jouir à sa façon, et à s'amuser des pensées qui lui paraissent belles et frappantes, les tournant et retournant, soit pour les approfondir, soit simplement pour s'en occuper.
Tâchez de donner le moins possible à votre esprit; surtout, simplifiez le plus que vous pourrez son action dans votre oraison et votre recueillement. S'il se taisait tout-à-fait, cela n'en vaudrait que mieux; mais, du moins, s'il se mêle à votre oraison, qu'il n'y soit pas le principal agent, et qu'au contraire il y soit oublié, parce que c'est lui qui gâte tout, et qui est votre plus grand obstacle au recueillement. Toutes les fautes dont vous me parlez viennent de ce défaut, qui est radical chez vous. Votre esprit se mêle de tout, examine tout, tourne et retourne les choses à sa façon, et ne veut rien laisser passer sans y avoir eu sa part. Il veut toujours être occupé, et il ne peut jamais se tenir en repos, pour laisser agir Dieu dans votre âme.
Tout votre soin doit être de l'amortir, d'arrêter et de calmer son action, en un mot, de le tenir lié et en repos devant Dieu, pour laisser opérer en vous l'Esprit divin selon son bon plaisir, sans vouloir prévenir son action, ni ajouter ni mêler de votre propre esprit, ce qui gâterait tout ce que Dieu veut faire et l'empêcherait d'agir.
De cette défectuosité de votre esprit, vient cette ardeur dans le désir de savoir, qui s'augmentera de jour en jour si vous ne l'arrêtez, et qui est un très grand obstacle à votre avancement. Jamais vous ne serez un homme véritablement intérieur, jamais vous n'aurez les lumières de Dieu, si vous persévérez dans ce désir... Faites attention à cela: ne rassasiez jamais votre esprit de connaissances créées; cela le rendrait paresseux pour s'appliquer aux lumières de la grâce, lesquelles cependant sont incomparablement plus grandes.
Comprenez bien cette vérité: l'abondance des biens de la terre nous est extrêmement nuisible et empêche la possession des biens célestes, biens uniquement vrais; tout le reste est nul et néant. Bienheureux les pauvres d'esprit, car le Royaume de Dieu est à eux! Bienheureux ceux dont l'esprit est pauvre, dont l'esprit ne se repaît, ni ne se remplit avec ardeur de connaissances créées, lesquelles sont des richesses terrestres pour lui! Bienheureux l'esprit qui ne met pas son goût, sa joie et son amusement dans ces richesses, qui sont une véritable pauvreté! Il faut que votre esprit soit pauvre, vide et nu devant Dieu, et alors il possédera Dieu avec la surabondance de sa lumière et de ses grâces ...
Issy, le 19 septembre 1835
à un séminariste
(Fr. Libermann explique à un séminariste en vacances que ce temps de détente nécessaire ne doit pas être un temps de dispersion).
Pendant les vacances nous courons un bien grand danger à cet égard, surtout si nous ne sommes pas encore entièrement affermis et expérimentés dans la vie intérieure. La raison en est qu'on se laisse toujours plus ou moins distraire de la grande application de l'âme à Dieu, par les récréations et les délassements qu'on est obligé de donner à son esprit, à moins qu'on ne soit entièrement dégagé de toute créature et de soi - même et qu'on ait fait de très grands progrès dans le renoncement. Tant que nous ne sommes pas venus là, un poids immense nous porte toujours à la mollesse et au relâchement; nous ne pouvons nous préserver de ce grand entraînement que par l'application forte et continuelle de notre âme à Dieu, qui est cette prière perpétuelle dont il est parlé dans la sainte Ecriture.
Par cette application, nous tâchons de chercher Dieu en toutes choses et de ne vivre que pour lui; alors la grâce de Dieu vient à notre secours et nous attire entièrement à lui. Dès que nous prenons part aux jouissances extérieures des sens, notre âme quitte nécessairement cette application à chercher Dieu seul et à s'unir à lui uniquement, et par là retombe aussitôt dans son relâchement et sa mollesse naturelle. Tout cela arrive parce que l'âme n'est pas encore parvenue à ce grand degré d'amour qui la met au-dessus de toutes créatures et l'empêche de voir quoi que ce soit, excepté Dieu seul, lequel, en ce cas, est exclusivement et définitivement l'unique objet de tous ses désirs et affections.
Quand une âme est parvenue à cette rupture entière avec toutes les créatures et à ce renoncement total, plein et complet à tout plaisir et contentement et à tout amour-propre, alors elle est toujours retirée au-dedans d'elle-même auprès de Dieu; elle est comme un sanctuaire de toute pureté et de toute sainteté, où Dieu réside continuellement, et où elle repose et dort sans cesse sur son sein, du sommeil si doux et si délicieux du saint amour. Les choses extérieures ne la dérangent pas le moins du monde; elle converse avec les hommes, elle fait à l'extérieur tout ce que font les autres: elle joue, elle rit, elle cause avec ses frères, elle se promène et prend tous les exercices et récréations des vacances, sans que tout cela la trouble aucunement. Au milieu de toutes ces choses, elle ne laisse pas d'être entièrement unie à Dieu, parce qu'elle ne s'attache à aucune de ces choses et ne les fait aucunement pour son plaisir. Elle est indifférente à tout et fait tout uniquement en Dieu et pour Dieu. Avec cela, elle prend d'excellentes vacances, se distrait parfaitement, parce que cette vie ne lui coûte aucun effort, aucune contention d'esprit.
C'est l'amour de Dieu tout seul dont elle est remplie, qui produit en elle ces heureux effets si dignes de notre admiration, et qui sont pour cette âme une source de grâces, de bénédictions et de bonheur inconcevables. C'est un fleuve de paix et d'amour qui coule en elle et l'Esprit-St y fait de si grandes et si belles choses, que les anges en sont dans la joie et l'admiration.
Toutes ces choses vous paraissent des chimères; au moins, vous direz qu'il faudrait être comme saint François de Sales pour pouvoir agir de la sorte. Vous vous trompez, mon cher; j'ai eu la consolation et la joie de voir un de vos très chers frères qui me représentait parfaitement cet état bienheureux de paix intérieure, d'union continuelle à Dieu et de dégagement total pendant ses vacances..
Tâchons d'en faire autant; mourons à toutes choses et à nous-mêmes, et ne vivons plus que pour Dieu ... Car tant que vous resterez ainsi retiré dans le fond de votre intérieur, vous y trouverez toujours l'Esprit-St,... et il vous remplira de ses grâces, de ses lumières, de ses beautés et de son bonheur. Vous prendrez une sainte habitude d'écouter sa voix, et vous resterez fidèle à ses grâces.
Tenez-vous tranquille au-dedans de vous, faites taire toute passion et tout amour-propre, faites attention à ses grâces et à ses mouvements pour le laisser agir en vous en toute liberté; écartez tout sentiment et tout mouvement d'amour-propre, de désir, de contentement, de jouissance et d'amour naturel, et tout ce qui pourrait devenir un obstacle. Que votre seul désir, mais le désir le plus ardent, soit de vivre uniquement de sa vie et d'être entièrement fidèle à sa voix, et vous êtes sûr qu'il opérera en vous les plus grandes merveilles de sa grâce.
Soyez fort et courageux. Vous pouvez prétendre à de si grandes choses, et vous seriez adssez lâche pour vivre tranquillement dans l'indigence, la petitesse...
Lettre de Fr.Libermann -1839- à un séminariste (inconnu) sur le chemin qui conduit à une véritable oraison et les difficultés qu'on y rencontre...
référence: L.S.II, 351-355)
François Libermann nous livre sa pratique d'accompagnateur spirituel sur les chemins de l'oraison.
A un directeur de séminaire (1839)
(Fr. Libermann répond à un responsable de formation qui s'étonne
d'un conseil donné à un jeune séminariste, de ne pas viser trop vite une oraison
de simple contemplation: cf. LS II,353-355). cf CRSO.
Il m'a semblé qu'il ne serait pas à propos qu'il se mit déjà à faire son oraison sans considérations, par une vue simple et pure, se tenant uni à Dieu dans un esprit de foi dégagé intérieurement des sens. Je crois que cet état ne peut jamais être pour les commençants, parce qu'ils sont habitués à agir en tout par l'imagination. Ils ne sont pas encore assez dégagés des sens et n'agissent même que par voie de sensations. Cela fait qu'ils ont des obstacles insurmontables pour aller à Dieu purement et sans le secours de l'imagination et des sens, à moins que Dieu ne les attire fortement par cette voie. Et même alors, ils le feront d'une manière sensible, c'est-à-dire qu'ils ne feront pas précisément des considérations, mais ce sera dans leur imagination une représentation intellectuelle de Dieu qu'ils sentiront, dont ils jouiront, et à laquelle ils s'uniront. Ceci vaut sans doute mieux que les considérations; mais, à moins que Dieu n'y pousse fortement, ils ne parviendront pas à se dégager complètement.
Je crois que, dans les commencements, Dieu se conforme à notre faiblesse et se communique à nos âmes d'une manière sensible, c'est-à-dire qu'il se communique à notre imagination et aux autres sens intérieurs, et qu'il nous attire à lui par le moyen des considérations.
Quand, par là, il a une fois purifié nos sens et nous a dégagés des sensations et des jouissances; quand il a rempli notre âme de ferveur, de désirs de sanctification et de renoncement à elle-même et à toutes choses, alors il se retire peu-à-peu dans notre intérieur, s'éloigne des sens, et agit plus purement, opérant par la foi qu'il communique aux facultés intimes et toutes spirituelles de nos âmes. Cette foi est toujours accompagnée de la charité; mais le tout est insensible, et s'opère uniquement dans le plus intime et purement spirituel de nos âmes.
Ce moment où Dieu fait la séparation d'avec les sens est le plus critique, à ce qu'il me semble, et le plus décisif pour une âme. Elle se croit perdue, n'ayant plus le sentiment de son union avec Dieu, et elle croit qu'elle est infidèle et que Dieu l'abandonne. Alors elle court grand danger de tomber dans le découragement, les inquiétudes, les scrupules et autres maux sans nombre. Si elle est bien renoncée, elle surmonte toutes les peines et les difficultés, et parvient à la véritable vie intérieure et contemplative; si elle n'est pas renoncée, si elle se recherche elle-même, elle s'en va peu-à-peu et devient quelquefois plus imparfaite et plus mauvaise qu'elle n'avait d'abord été.
En tout cela, il me semble que la chose importante est de laisser agir Dieu dans les âmes, de suivre son action et de s'appliquer à les disposer de manière qu'elles soient fidèles à cette opération divine, en laissant agir Dieu en liberté, et en ne l'entravant point par les détours, les imperfections et l'action propre trop violente. Voilà pourquoi je m'y suis pris ordinairement de cette façon.
Lorsque je voyais une âme dont la portée paraissait élevée, je veux dire une âme qui me semblait appelée à la perfection de la vie intérieure (et il y en a plus qu'on ne pense), je commençais par lui donner une forte idée de la perfection chrétienne, afin qu'elle fût frappée et comme enlevée. J'en agissais ainsi, parce que dans son intérieur Dieu la poussait avec violence. Voyant la hauteur et la beauté de la chose, elle en était ravie et elle entrait dans un désir violent de parvenir à cet état si beau et si admirable.
J'insistais beaucoup sur le renoncement intérieur et universel, et j'appuyais continuellement là-dessus, établissant même la paix sur ce fondement, de manière que ces âmes étaient toujours occupées à se renoncer et à se purifier. Je croyais que cela était particulièrement l'état des commençants, et pendant longtemps, je ne leur parlais jamais d'oraison. Je ne sais si je faisais bien; mais je pensais que, puisqu'ils cherchaient à être intérieurs et renoncés en tout, Dieu perfectionnerait en eux l'esprit d'oraison, et que, visant toujours à la paix et à la douceur intérieure, à la modération et à la gravité d'esprit, ils ne manqueraient pas de connaître et de suivre Dieu et ses inspirations. Lorsqu'ils m'en parlaient, je sondais leurs goûts intérieurs et leur manière de faire oraison; je tâchais de rectifier ce que je croyais défectueux, mais je les laissais faire. Et il me semble que peu-à-peu ils étaient menés à cette oraison pure de la foi et de l'union à Dieu par une simple contemplation. J'admirais comment souvent ils me disaient des choses qui se passaient en eux et qui étaient de pure contemplation, et cela sans que je leur eusse jamais dit un mot pour les mettre en cet état. Alors je leur disais qu'ils pouvaient agir de la sorte et continuer en cet état; tout cela sans appuyer, mais les laissant suivre le mouvement intérieur, sans dire ce que c'était que cette façon de faire oraison. Plus tard, lorsque les choses devenaient intérieurement insensibles, et qu'il n'y avait plus moyen de faire des considérations (car jusque-là ils faisaient encore des considérations, au moins souvent, excepté quand Dieu se déclarait trop fortement et les empêchaient d'en faire), lorsqu'il avaient du dégoût pour les considérations et que je n'y voyais plus de fruit, je les engageais à cette simple vue de Dieu, et les portais à se tenir devant lui par la foi..." LS II,386-390.
(notes d'un novice, révisées) mars - avril 1851 - ND XIII,698-699
De l'union contemplative.
Avant d'arriver à la contemplation, qui est le vrai état d'oraison, on passe habituellement par l'oraison de méditation, qui n'est pas à proprement parler une oraison, mais une préparation à l'oraison, et par l'oraison d'affection, où l'on éprouve des sentiments violents jusqu'à absorber notre âme.
Quant à l'oraison de contemplation, qui est seule véritablement oraison, elle consiste dans un rapport constant et habituel de notre âme avec Dieu. C'est l'exercice de la présence de Dieu et plus ou moins de sentiment de cette présence. Il y a trois degrés dans l'oraison de contemplation: 1E degré: absorption de l'âme, qui est dégagée de tout ce qui l'environne, qui ne s'occupe que de Dieu seul, suavement et sans violence, comme un petit enfant dans le sein de sa mère; 2E degré: on n'est pas absorbé en Dieu, mais on y revient sans cesse, sans aucun travail et comme instinctivement, durant ses occupations, de telle sorte qu'on ne peut s'empêcher de penser fréquemment à Dieu, comme un ami pense fréquemment à celui qu'il aime; 3E degré: on ne revient pas instinctivement à Dieu, il faut un acte pour cela, mais cet acte est facile et agréable.
Ce 3 ème degré est très favorable à la vie apostolique; on s'occupe et on n'est pas distrait. Dans cet état il arrive qu'on n'éprouve point de sentiments explicites devant Dieu; on est là devant lui, presque passif, sans souffrir, il est vrai, mais aussi sans jouir ni agir. Dans cet état, on a peine à faire une heure d'oraison; on aime mieux jeter un regard sur une pensée et agir à l'extérieur. Cette action extérieure contribue alors en quelque sorte à favoriser l'oraison, comme la promenade ou tout autre exercice modéré favorise la digestion.
Quoique l'union contemplative ne soit pas aussi parfaite que l'action pratique, cependant il faut s'y appliquer, parce que sans elle on ne peut réussir facilement dans l'action pratique; et l'action pratique n'est bonne qu'autant que l'union contemplative y est jointe.
(d'une lettre à la communauté de Dakar, 27 déc.1846)
Tenez surtout à l'oraison. Il en coûte un peu de rester un temps considérable en oraison, préoccupés comme vous êtes par tant de pensées toute la journée. Ces pensées viennent pendant la méditation; et lorsque la fin de l'oraison approche, on se dit que l'on emploie une heure chaque matinée inutilement, qu'on pourrait bien employer cette heure à des choses plus utiles qu'à ces distractions. Et on se trompe gravement. Tout le temps qu'on passe à lutter contre ces distractions est un temps très agréable à Dieu, et qui profite à l'âme beaucoup plus qu'on ne pense. Pour les retraites, vous verrez que vous serez portés aussi à les abandonner ... LS IV,359
AU P. LE BERRE QUI TRAVAILLE "SUR LES COTES D'AFRIQUE" (8.2.47)
Pour votre conduite particulière, conservez la paix et le calme dans l'âme, tenez-vous dans l'humilité et la paix devant Dieu, soyez fidèle à vos Règles, sans raideur ni inquiétude, évitez tout embarras d'esprit, oubliez-vous vous-même, pour vous mettre en toutes choses, en plein abandon entre les mains de Dieu. Faites votre oraison avec calme. Que votre présence à Dieu dans la journée soit douce, humble et sans effort. Evitez toujours de la faire consister dans la présence de Dieu à la pensée et par la pensée. Elle doit être dans la disposition continuelle de votre âme d'être entre les mains de Dieu pour faire et subir ses bons plaisirs, dans l'intention de vivre et mourir, d'agir et de souffrir, de vous immoler et sacrifier à sa très grande gloire et à son seul amour.." ND IX,41
ch.V art I
(voir Textes RTF - Récos - Uniprat)
L'effet de la grâce sanctifiante ... consiste dans la communication de Dieu avec l'âme, pour la faire vivre en lui et par lui. Par le fait de la possession de la grâce sanctifiante, l'âme est unie à Dieu.
Cette union est passive de notre part. Dieu nous vivifiant par son Esprit-Saint, nous unit avec lui, sans que, de notre côté, nous fassions autre chose que de nous disposer, et étant disposés, de ne pas résister.
... En outre .. par notre fidélité à suivre les impressions et inclinations de cette grâce, soit dans nos relations avec Dieu, soit dans nos relations avec les créatures, nous nous unissons à Dieu, et c'est une union active; Dieu s'unit avec nous en nous donnant sa grâce sanctifiante, il nous unit à lui par le secours de notre fidélité.
Cette union, qui se développe dans nos actions relatives à Dieu et aux créatures, réside dans l'intention. Cette intention consiste dans l'acte ou l'habitude intérieure par laquelle l'âme, adhérant au principe de la vie divine qui est en elle, tend vers Dieu...; il faut qu'elle soit voulue.
...L'âme adhérant ainsi à la grâce sanctifiante, soit dans ses actes, soit dans ses habitudes, tend vers Dieu par le fait même de cette adhésion, et, sans cette adhésion, elle ne peut avoir la tendance unitive vers Dieu.
Cette union active de l'âme à Dieu dans la pratique de la vie est actuelle, quand l'âme fait un acte d'adhésion au mouvement de la grâce ou quand, faisant même abstraction de la grâce qui agit en elle, elle suit son mouvement et fait acte de tendance vers Dieu. Elle est habituelle, quand cette adhésion aux tendances de la grâce est dans l'habitude.
Cette habitude d'union pratique est suspendue lorsque l'âme obéit à la tendance de la nature, si cette tendance part d'un principe de la nature bonne et aboutit à un objet bon ou indifférent.
Elle est interrompue lorsque l'âme suit la tendance de la nature mauvaise ou qu'elle aboutit à un objet mauvais...
Nous voyons par là l'importance, la nécessité même de diminuer autant qu'il est en nous les intentions naturelles dans nos actes, et plus encore dans nos habitudes, de ramener très fréquemment notre âme à des principes de foi et d'amour, afin de rendre de plus en plus dominante et habituelle en nous l'influence de la grâce qui nous unit à Dieu, enfin veiller sur nos vices et nos défauts. Pour cela l'esprit d'oraison est d'une grande importance, il maintient l'âme dans des vues de foi et dispose le coeur à l'amour.
Ainsi,, soit dans nos actes, soit dans nos habitudes, notre intention devient vraiment unitive, quand elle renferme un mouvement de foi et de charité ou d'espérance et que ce mouvement a l'adhésion de la volonté. La foi et l'espérance ou la charité sont nécessaires, parce que c'est dans ces mouvements que réside l'action de la grâce; l'adhésion de la volonté est requise, parce que c'est dans la volonté que réside l'activité pratique de l'âme, l'action de la volonté détermine l'acte intérieur. L'intention est sainte et va à Dieu par la foi, l'espérance et la charité; elle devient acte de l'âme par la détermination de la volonté ...
......(développements sur la maîtrise de la vie naturelle afin d'être tout livré à la grâce.).........
Dans cette union pratique à Dieu dans les habitudes de la vie, nous trouvons d'heureux effets pour nos âmes et des grâces pour l'exercice de nos saintes fonctions.
1 Une âme ainsi unie à Dieu devient exempte peu-à-peu des erreurs de l'esprit propre, de l'influence des défauts et des impressions naturelles sur ses jugements, et par suite des préventions et de la précipitation. Elle acquiert des lumières solides et pratiques, c'est-à-dire un certain tact dans les choses de Dieu pour sa propre direction, pour la direction des autres âmes, ainsi que pour celle des œuvres de Dieu qu'elle aura à accomplir. Elle juge exactement les personnes, les choses et les circonstances qui les environnent, selon les vues de Dieu: homo spiritualis judicat omnia. Ce n'est pas cette lumière vive qu'on trouve dans une oraison fervente, mais on acquiert un sens pratique des choses divines, dont on apprécie la valeur et les nuances diverses par un sentiment, une vue intime et calme, provenant de la grâce divine, et qui est presque toujours à l'abri des erreurs de l'imagination.
2 Etant entièrement abandonnée à l'action de la grâce, l'âme devient souple et flexible devant la sainte volonté de Dieu, que sa foi et son amour lui font voir en tout ce qui arrive; elle est pleine de force et ne s'abat ni ne se décourage de rien. Indifférente pour les choses de ce monde, rien ne l'émeut avec violence; les événements fâcheux, les contradictions, les souffrances et les humiliations, la mort même ne parviennent pas à jeter en elle la perturbation. Les sens ne laissent pas d'être affectés plus ou moins vivement par les impressions pénibles que produisent ces maux de la nature, mais elle n'éprouve point d'émotion perturbatrice, elle reste calme, soumise et libre de ses facultés et de son action.
3 Elle jouit d'une paix profonde, qui est déjà un effet naturel du calme des passions, mais elle vient surtout de la vie de Dieu, qui donne à l'âme un bien-être surnaturel dont on ne peut se former une idée exacte, quand on ne la possède pas. Ce bien-être existe même au milieu des peines et des tribulations de tous genres; il se rend souvent plus sensible dans ces états, parce que les souffrances, quelles qu'elles soient, contribuent à augmenter l'union à Dieu dans une âme parfaitement renoncée.
ES.S, 35-36
voir art de J. Le Meste, Spiritus 22, p.22-42 (tiré à part)