COMMENTAIRE DE L’EVANGILE DE SAINT JEAN

Par le P. Père LIBERMAN

 

NOTE IMPORTANTE avant de lire ces cahiers.

Dieu seul soit loué et glorifié de toutes choses par son fils bien-aimé et par sa très sainte mère, la divine Marie !

Dans le temps que j'étais à Rome, je vivais très retiré et n'avais rien à faire. Pour ne pas rester ainsi sans rien faire j'ai tâché d'avoir une occupation pieuse qui puisse être utile au salut de mon âme et à son avancement spirituel dont elle a grand besoin. J'ai cru ne pouvoir mieux choisir que la parole divine que je me proposai de méditer et de mettre mes réflexions par écrit.

Comme ce qui me touche le plus dans toute l'écriture c'est la parole de notre Seigneur Jésus-Christ dans son saint Évangile, c'est pourquoi j'ai choisi le saint Évangile et j'ai préféré celui de saint Jean qui m'a toujours fort touché, et où notre divin Maître parle presque toujours et nous instruit des vérités les plus profondes, les plus intérieures et les plus capables de toucher une âme. La manière dont je m'y prends pour lire cette sainte et adorable parole est de tâcher de pénétrer dans le fond le plus profond et en même temps le plus simple de notre divin Sauveur. Je ne prends jamais un sens détourné mais je tâche d'aller droit là où notre Seigneur en a voulu venir directement. Je tâche de me rendre compte de tout, et de pénétrer dans son adorable intérieur, pour y voir plutôt sa divine pensée que le sens unique et strict de ses paroles. J'ai cru que j'en tirerai plus de profit en faisant de cette manière.

Mon dessein était d'écrire cela pour en profiter maintenant et pour le pouvoir relire un jour avec fruits, et de le brûler ensuite, ou de le brûler à la première maladie qui me viendra, afin que ces cahiers ne tombent pas en mains étrangères; parce que je sens en moi un beaucoup trop grand orgueil pour oser montrer ces choses à d'autres, et j'aurais craint [d'] avoir des pensées d'amour-propre au moment terrible de la mort si ces cahiers restaient. Mais ayant parlé de cela par circonstance à mon confesseur, il m'a dit qu'il ne fallait pas penser à le brûler ni maintenant ni dans une maladie, et il ajouta qu'en qualité de directeur il me défendait de m'en défaire à moins que plus tard un autre confesseur me le permette. Il faut donc conserver ces cahiers jusqu'à nouvel ordre.

Voilà pourquoi je préviens ici tous ceux entre les mains desquels ils pourraient tomber de se défier beaucoup des explications et de la doctrine qui y sont renfermées. Celui qui a écrit ces choses n'a fait qu'un peu de théologie élémentaire, telle qu'on l'avait dans les séminaires de France; encore a-t-il étudié faiblement, et il n'a pas ouvert de livre de théologie depuis environ dix ans. Aussi a-t-il oublié totalement ce qu'il a vu dans son cours. De plus il n'a presque jamais lu l'Écriture sainte avec commentaire, et le peu qu'il a lu dans les commentaires il l'a lu si faiblement et il y a tellement longtemps de cela qu'il ne peut plus en avoir le moindre vestige d'idée. Dans le moment où il écrit ces réflexions, il n'a pas de commentaire; de manière qu'il ne fait que méditer les paroles de notre Seigneur dans un petit Novum Testamentum latin, car il ne sait pas le grec. Tout cela doit faire voir que ce n'est pas un homme bien savant dans la science de la théologie; il s'en faut bien qu'il le soit. C'est pourquoi, en lisant ces choses, il faut les examiner bien, avant de se former un jugement fixe et déterminé, de peur de tomber dans des erreurs pernicieuses. Quant à moi qui écris ces choses, je mets ma confiance en Dieu et en sa très-sainte Mère, et j'espère qu'il ne me laissera pas tomber dans une faute qui puisse nuire à mon âme.

Je proteste en la présence de notre Seigneur, de sa sainte Mère, de tous les Anges et de tous les saints, que je renonce, j'abjure et déteste tout ce qui se trouve dans ces cahiers en opposition avec la sainte doctrine de l'Église, et il me semble que je suis fermement résolu de mourir plutôt mille fois que de croire une chose qui est rejetée par cette sainte Mère que notre Seigneur nous à donnée; mais je veux adhérer absolument et sans la moindre restriction à toute la doctrine que professent les successeurs de saint Pierre, et tout ce qu'ils ont professé depuis l'origine de l'Église jusqu'à ce jour. Je renonce même de tout mon coeur à tout ce qui dans ces cahiers est en opposition avec le sentiment des saints Pères et des principaux docteurs de l'Église. J'ai cru cependant devoir continuer à écrire malgré le danger de dire quelque fausseté, à cause du bien que j'espère en tirer pour mon âme, et par la raison que plus tard mon confesseur me permettra peut-être de le brûler, et si cela n'était pas, je ferais examiner par un théologien toutes les choses qui seront écrites dans ces cahiers. J'espère en la bonté et la miséricorde divine qu'il n'en arrivera de mal à personne, mais que son saint nom sera glorifié en cela et en tout et partout, en la terre comme au ciel, par ses anges et ses saints, pendant toute l'éternité Amen.

IN PRINCIPIO ERAT VERBUM

L'évangéliste saint Jean diffère des autres évangélistes, en ce que son Evangile est l'histoire du Fils de Dieu parlant et agissant dans le fils de Marie, les autres évangélistes représentent le fils de Marie parlant et agissant par la vertu du Fils de Dieu, auquel, aussi bien que saint Jean, ils le reconnaissent hypostatiquement uni, et ne formant qu'une seule et même personne qui est la personne du Fils de Dieu.

Les autres évangélistes montrent la glorification de l'humanité sainte dans la divinité, et le bonheur communiqué à la terre par elle; saint Jean fait connaître l'abaissement miséricordieux de la divinité dans l'humanité sainte et la sanctification du monde par elle. Les autres évangélistes font voir l'humanité sainte répandant dans le monde les dons de Dieu vivant en elle; saint Jean montre la divinité descendant substantiellement dans l'humanité sainte et par elle inondant le monde des torrents de ses lumières et de ses miséricordes. Voilà pourquoi saint Jean, dont l'esprit était attaché à la divinité s'unissant à l'humanité et agissant en elle, commence son histoire par le principe éternel du Fils de Dieu dans le sein de son Père, et rapporte généralement les paroles et les actions de son Maître, en faisant sentir ce principe comme leur point de départ: les autres évangélistes commencent leur histoire par la conception ou la naissance de l'humanité sainte en faisant ressortir son union avec le Fils de Dieu; ils relatent les paroles et les actions du Fils de l'homme, y faisant sentir la sagesse et la vertu toute-puissante du Fils de Dieu.

Saint Jean prend l'âme chrétienne qui lit son Evangile, et, dans un élan contemplatif plein de lumière et d'amour, la transporte dans le sein de Dieu, et là, il lui montre le principe de toute sa génération, et l'origine aussi bien que la fin première de toute sa religion, dans le Verbe de Dieu.

Ici on peut faire deux questions: quel est le sens radical qu'il faut attacher au mot Verbum, que l'Evangéliste emploie pour nous donner une idée de la seconde personne de la sainte Trinité ? et pourquoi ce terme est-il employé ici, et nulle part ailleurs dans les saints Evangiles ?

A la première question, on peut dire que le mot Verbum est placé ici pour rendre un compte exact de la nature de la personnification du Fils de Dieu et de sa nécessité essentielle, et du principe de la communication de Dieu à la créature, soit comme créateur, soit comme régénérateur.

La parole est essentielle à tout être intelligent, au moins dans l'acception qu'on lui donne quand il s'agit de Dieu. La parole de l'intelligence est la pensée, la conception; l'être intelligent conçoit un objet, et cette conception est l'expression de cet objet qu'il se rend à lui-même; cet être intelligent voulant communiquer cette conception à un autre être intelligent, la lui communique par une autre expression, qui est la parole extérieure, la parole communicative. Par la première parole, c'est-à-dire par la pensée, l'intelligence conçoit un être; par la parole extérieure, elle l'enfante, le met au monde.

Il y a une grande différence entre l'Etre divin et les intelligences créées. Celles-ci sont stériles par leur nature, l'intelligence divine est et ne peut être que féconde de son essence. L'intelligence créée est stérile, elle n'est qu'une faculté de concevoir et a besoin d'être fécondée par la lumière divine et toujours dans une relation avec un objet quelconque. Si une intelligence créée pouvait être séparée de tout être, et qu'il ne fût pas illuminé par la lumière de Dieu, cette intelligence resterait à l'état de faculté et dans l'inertie. Pour concevoir, il a besoin d'une impression préalable; ayant reçu cette impression, elle l'élabore, et, par le moyen d'autres impressions qu'elle élabore encore avec la même activité qu'elle a reçue du Créateur, chaque impression la met en relation simple avec un objet, et la multitude de ses impressions qu'elle unit et compare par son activité se forment en elle soit sous la forme de système de pensée compliquée soit sous forme d'une seule pensée complète.

Le Créateur répand un rayon de sa lumière sur l'objet, et cet objet se mire en elle; voilà ce qu'est l'impression. Elle possède en elle l'action du Créateur; elle s'active sur cette impression, et, par l'aide d'autres impressions, elle donne à l'idée conçue par la première le développement convenable, pour former une idée complète. Si l'intelligence créée était isolée de tout objet qui n'est pas elle, elle resterait dans le vague, dans la stérilité; comme si l'oeil planait dans l'espace et ne rencontrait aucun objet, il resterait sans rien voir. Si elle était privée de la réflexion de la lumière de Dieu sur les objets, si elle était sans impression, elle resterait sans conception, comme l'oeil est sans vue lorsque la lumière n'y reflète pas les objets qu'il fixe.

Ainsi 1° la parole, que plus haut on appelle intérieure, est essentielle à tout être intelligent.

2° Dans les intelligences créées, cette parole n'est qu'une opération de la faculté intellectuelle provenant de l'activité qui a été donnée à sa nature par le Créateur, et s'exerçant sur une impression d'un objet étranger, faite sur elle par le reflet de la lumière de Dieu, naturelle ou surnaturelle. De là, l'idée conçue n'est pas consubstantielle à l'intelligence; elle n'est pas nécessaire non plus. Elle n'est pas consubstantielle, puisqu'elle n'est pas le produit de la faculté intellectuelle elle-même, mais de l'opération de cette faculté, et d'une opération qui s'est exercée sur un être étranger à cette faculté, c'est à dire, sur l'idée qui a été reflétée en elle, à la lumière divine, dans le rapport qui avait existé entre elle et l'objet duquel l'idée s'est reflétée.

Cette conception intellectuelle est semblable à la conception charnelle. La substance de l'idée conçue est l'idée qui en a été le germe, et qui n'est pas tirée de la substance de l'intelligence qui l'a conçue. L'intelligence l'a reçue, se l'est unie, l'a élaborée, l'a, par là, développée, se l'est de cette manière appropriée jusqu'à un certain point, mais elle n'en fait pas plus sa substance que l'enfant dans le sein de sa mère n'est la nature propre de sa mère.

3° La parole extérieure communicative est une autre parole, par laquelle l'être intelligent exprime et communique l'idée conçue à d'autres intelligences qui ne sont pas elle. Une intelligence d'une nature supérieure peut communiquer une idée conçue à une intelligence inférieure par nature; celle-ci restant passive, elle infuse en elle cette idée conçue; seulement, cette intelligence de nature supérieure étant une intelligence créée n'a pas le pouvoir d'infuser ainsi son idée conçue, indépendamment de l'adhésion de l'intelligence inférieure qui reçoit. Mais les intelligences de nature égale ne peuvent pas s'infuser ainsi leurs idées conçues; mais la communication se fait sous une forme active et non passive. L'idée conçue par une intelligence, qui est communiquée à une autre par la parole extérieure, devient l'objet avec lequel l'intelligence qui reçoit se met en rapport. Cet objet se reflète en elle, devient une idée-germe qu'elle élabore, et, par cette opération, elle la conçoit en elle, soit dans son entier, soit en partie, soit telle qu'elle est, soit en la modifiant ou en la formulant à sa façon d'être.

SANCTI EVANGELII SECUNDUM JOANNEM

Caput Primum

[Chapitre premier de l'Evangile selon saint Jean× ]×

×

× I,1

In principio erat Verbum, ¦ Au commencement était le Verbe,

et Verbum erat apud Deum, ¦ et le Verbe était en Dieu,

et Deus erat Verbum ¦ et le Verbe était Dieu.

Dès l'origine du temps le Verbe était, au commencement de toute existence créée, et par conséquent le Verbe est incréé. Le mot erat, était, signifie l'éternité. Ce mot ne détermine pas d'époque, et annonce une existence prolongée et indéterminée; or, comme il s'agit ici de l'origine du temps, ce mot erat signifie l'éternité. Lorsque le temps commença, le Verbe était déjà, et par conséquent de toute éternité. Le commencement du temps trouva le Verbe déjà existant.

Et le Verbe était en Dieu, c'est-à-dire dans son Père.

1° Ce n'était pas une existence séparée, mais il participait à la divinité de son Père.

2° Cela signifie aussi que la substance du Verbe était la substance du Père même. Erat apud Deum [il était en Dieu]. Sa substance, sa nature et toutes ses perfections infinies étaient toutes renfermées dans la substance infinie de son Père.

Et Deus erat Verbum [et le Verbe était Dieu].

1° Il achève d'expliquer cette grande vérité: le Verbe qui vit ainsi dans le Père n'est pas une substance étrangère que le Père a attirée à lui, mais le Verbe était Dieu, de toute éternité il a en lui toute la nature et la propre substance du Père.

2° Cela veut montrer que non seulement le Verbe est dans le Père, mais que le Père est dans le Verbe selon toute sa nature, toute sa substance et toutes ses perfections. Le Verbe n'est rien autre chose que l'image substantielle et la représentation positive de tout l'être infini et divin de son Père. - Et Deus erat Verbum. Il ne dit [pas]: Et Pater erat Verbum [et le Verbe était le Père], mais: Et Deus, pour montrer qu'il possède en lui toute la nature divine de son Père qui fait tout son être, mais qu'il n'est pas le Père, parce qu'il n'a pas en lui la paternité mais la divinité.

Saint Jean ne dit pas: Et Deus erat in Verbo [et Dieu était dans le Verbe], ce qui indiquerait que le Verbe est quelque chose indépendamment de son Père, et que la divinité de son Père y réside, mais il dit: Et Deus erat Verbum [et le Verbe était Dieu], qui signifie que toute l'existence et l'être infini du Verbe n'est rien autre chose que la représentation substantielle, éternelle et infinie de la divinité de son Père.

Par ces deux phrases: Et Verbum erat apud Deum, et Deus erat Verbum [et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu], saint Jean semble représenter le rapport éternel, substantiel et infini du Père avec le Verbe et du Verbe avec le Père. Et Verbum erat apud Deum [et le Verbe était en Dieu]: voilà le Verbe dans le Père. Et Deus erat Verbum [et le Verbe était Dieu]: voilà le Père dans le Verbe. Or de ce double rapport procède substantiellement, éternellement et infiniment l'Esprit-Saint, et par conséquent par là [saint Jean] semble déjà indiquer la procession de l'Esprit-Saint.

× I,2

Hoc erat in principio ¦ Il était dès l'origine en Dieu.

apud Deum. ¦

Si le mot hoc veut dire le Verbe dont il a été parlé, cela voudrait dire: c'est là le Verbe conçu comme je vous le dis là, qui était déjà de toute éternité en Dieu. - Si cela signifie comme qui dirait: "Voilà ce qui était en l'origine en Dieu", ce verset pourrait encore être comme une confirmation et indication spéciale de ce rapport divin, éternel, substantiel et infini des deux personnes divines, et indiquer plus particulièrement le principe essentiel et substantiel de la procession du Saint Esprit.

× I,3

Omnia per ipsum facta sunt, ¦ Tout a été fait par lui et rien

et sine ipso factum est nihil ¦ n'a été fait sans lui de ce qui

quod factum est. ¦ a été fait.

Dans le symbole de Constantinople, on dit, en parlant du Père: factorem caeli et terrae [créateur du ciel et de la terre]; et en parlant du Fils, on dit ces paroles: per quem omnia facta sunt [par lequel tout a été fait].

La création est attribuée au Père: parce que tout acte de puissance est attribué à cette personne adorable, à cause de la puissance infinie avec laquelle il engendre de toute éternité un Fils aussi infini et aussi grand que lui-même. Cet incompréhensible engendrement éternel est ce qui distingue le Père des deux autres personnes sacrées; c'est ce tout-puissant engendrement qui fait la paternité; c'est pourquoi, la toute-puissance est attribuée à la paternité. Quoique les deux autres adorables personnes soient toutes puissantes comme le Père, cependant l'acte éternel et infini de leur personnalité n'est pas un acte de puissance, mais, dans le Fils, de lumière ou de sagesse, concevant en lui toute la divinité de son Père, et dans le Saint-Esprit, l'amour, comme procédant de ce rapport et de ces embrassements éternels, infinis et substantiels du Père avec le Fils et du Fils avec le Père. De là, il résulte que la toute-puissance n'est pas l'attribut de la personnalité du Verbe, ni de celle de l'Esprit-Saint, mais du Père seulement. Et comme la création du monde est un acte de puissance, c'est pourquoi on dit du Père qu'il est le Créateur, et on ne le dit pas du Verbe ni de l'Esprit-Saint parce que la création du monde est une image de cet engendrement éternel du Fils. Le Fils est une image substantielle et parfaite du Père, la créature est une image finie et imparfaite; mais, quoique ce second engendrement soit fini et imparfait, c'est cependant au Père seul qu'on le doit attribuer.

Quand saint Jean dit du Verbe: Omnia per ipsum facta sunt [tout a été fait par lui], il attribue au Verbe la coopération à la création. L'Esprit-Saint y a coopéré autant que le Verbe et autant que son Père; mais saint Jean parle ici d'une coopération, comme d'un attribut personnel du Verbe. La raison de cette attribution personnelle est que: le Père ayant voulu créer dans la monde son image imparfaite et finie (1), a répandu sur cette créature un rayon de son image substantielle qui est le Verbe, de manière que la créature entière n'est qu'un petit écoulement d'un rayon des perfections infinies du Verbe, qui est l'image parfaite du Père. C'est pourquoi dans la Genèse, à chaque création d'être,l'Ecriture dit: Et vidit Deus quia bonum [et Dieu vit que c'était bon], c'est-à-dire, le Père voyait dans les créatures l'image de son Fils, en qui seul il met toute sa complaisance. C'est ainsi qu'on peut expliquer les paroles de saint Jean et du Symbole qui disent que tout fut créé par le Verbe et que cependant c'est le Père qui est créateur. C'est encore ce qui est dit dans la Genèse: In principio creavit Deus caelum et terram [dans le principe Dieu créa le ciel et la terre: Gen. 1,1]. Le mot hébreu signifie aussi bien per principium [par le principe] que in principio [dans le principe]. D'après ce qui vient d'être dit l'une et l'autre signification sont vraies. Et ce mot principium [principe] signifie le Verbe, principe existant avant la création et principe dont est émané un rayon pour couvrir, pour ainsi dire, le néant de son être. La paraphrase chaldaïque traduit ces mots in principio par ces autres: in sapientia [dans la sagesse], et c'est dans ce sens surtout qu'on peut expliquer clairement ces mots: omnia per ipsum facta sunt [tout a été fait par lui]. La puissance est le premier principe créateur, et voilà pourquoi la création est attribuée à la personnalité du Père; mais dans son application, dans l'exécution de cet acte de puissance, elle s'unit la Sagesse pour coordonner ses opérations et les rendre dignes de la divinité: et vidit quia erant valde bona [et il vit que cela était très bon: Gen. 1,31]. De là tout a été fait par le Verbe. On peut encore expliquer ces paroles d'une autre manière. Le Verbe est l'expression infinie de l'essence et de la vie divine du Père. C'est donc par le Verbe que le Père devait produire la créature dans laquelle sa volonté divine exprime d'une manière finie son être et sa vie; l'être de la créature est une participation à l'être divin, et la vie une communication à la vie divine. Comme toute créature, en elle-même et dans son mode d'être, est et ne peut être qu'une émanation de la divinité; de là l'émanation de toute créature est attribuée au Père en ce qu'elle est en elle-même, et au Verbe en tant qu'elle est l'expression finie de l'être et de la vie du Père (2).

Sine ipso factum est nihil quod factum est [sans lui rien n'a été fait de ce qui a été fait]. Par ces paroles précédentes l' apôtre dit que tout a été fait par lui, omnia, c'est-à-dire toute créature que la puissance du Père a produite, c'est par son Verbe qu'il l'a produite comme il vient d'être expliqué. Il semblerait donc que ces derniers mots disent moins que les précédents; car dire que tout a été fait par le Verbe, c'est exprimer une opération positive et directe; tandis que les mots: rien n'a été fait sans lui, disent une coopération même négative et indirecte. Mais il faut savoir que dans les opérations de la Divinité les paroles ont une signification absolue, tout autrement [que] lorsqu'il s'agit d'actions humaines. Dire que le Père n'a rien fait sans le Verbe, c'est dire qu'il a tout fait par lui; car il ne peut exister en Dieu un état passif ni une coopération indirecte; d'ailleurs la conjonction lie le second membre de phrase au premier et n'est pas conséquent qu'une confirmation et un complément. Par cette confirmation ou plutôt par ce complément le saint Evangéliste montre l'unité absolue de la nature et substance divine du Père et du Fils. La première partie de la phrase exprime l'attribution spéciale du Verbe, et la deuxième l'unité parfaite et nécessaire de l'action par suite de l'unité parfaite et nécessaire d'essence. De tout ce qui a été fait (par le Père), rien n'a été fait sans lui (sans le Verbe). La répétition des mots quod factum est [ce qui a été fait] fait ressortir l'unité d'opération; la toute-puissance du Père ne peut rien opérer sans son Verbe, tout ce qu'il a fait c'est avec le Verbe par l'unité de nature.

Ici on pourrait se demander: si, de tout ce qui a été fait, rien n'a été fait sans le Verbe, comment se rendre compte du mal, du péché ? Le mal existe, donc il est créé; et cependant ce serait un horrible blasphème de supposer que le Père l'ait créé, l'ait voulu. Si le mal n'a pas été créé, comment l'homme peut-il le commettre; comment existe-t-il sur la terre et dans l'éternité ?

Tout ce que Dieu a créé est très-bon, comme l'atteste le texte de la Genèse déjà cité. De toute éternité, il a conçu toute cette créature, si bonne dans son ensemble et dans tous ses détails par sa Sagesse éternelle; et par elle il a exécuté dans le temps ce qu'il a conçu de toute éternité, et cette créature était aussi bonne dans son exécution que dans sa conception, elle était bonne en elle-même, elle était bonne dans sa coordination et dans la combinaison de tous ses rapports. Quand a été faite la créature raisonnable, Dieu la favorisa d'un don qui était bon et excellent, qui complétait la perfection de son être. Ce don c'était la liberté. L'abus de ce don est la seule et unique source du mal introduit dans le monde; (depuis ce premier abus, il n'existe plus rien de bon qui n'ait son abus).

La créature raisonnable, la plus parfaite de toutes, a reçu aussi les dons les plus parfaits, elle a été formée à l'image et à la ressemblance de Dieu, afin qu'elle fût capable de recevoir la plénitude de ses communications dont elle devait vivre et subsister, de cette vie divine que le saint Evangéliste appelle lumière, parce que cette vie est un reflet lumineux de la divinité qui pénètre et transperce l'âme intellectuelle, et lui fait voir, concevoir et comprendre Dieu vivant en elle, d'abord per speculum [dans un miroir: 1 Cor. 13,12] en cette vie, parce que l'âme intelligente de l'homme n'est pas dégagée de la matière et parce qu'elle n'y est que dans un état d'épreuve; et en perfection et réalité dans la gloire, parce que tout dans la nature humaine alors sera spiritualisé et parce que l'âme intelligente y est dans le but et la fin dernière que se proposa le Créateur. Il faut savoir que la vie de Dieu, qui est appelée lumière dans la créature raisonnable, ne réside pas seulement dans l'intelligence (ou la pensée), mais dans la créature intelligente tout entière, opérant dans toutes ses facultés et les vivifiant à la fois. L'âme est semblable à Dieu; comme en Dieu il y a trinité de personnes de même dans l'âme il y a trinité de facultés, mais aussi, comme en Dieu il y a une unité absolue de nature de manière que toutes les opérations sont communes, de même l'âme est une et indivisible dans sa nature, de manière qu'aucune de ses facultés ne peut, sans la participation de toutes, ni recevoir une impression, ni produire une opération. De là, Dieu donnant sa vie à la créature raisonnable, cette vie qui est lumière, elle doit éclairer toutes les facultés ou n'exister dans aucune, ne pouvant vivifier l'une sans que le même degré de vie soit dans toutes. Dieu voulant former une image parfaite de son Etre, et pour cela voulant l'illuminer de sa vie divine, il la mit dans une dépendance continuelle de ses communications. Ainsi l'âme intelligente ne possède pas la vie en elle et ne la puise pas en elle, elle n'a que des facultés, des puissances qu'il voulait remplir et mouvoir. L'âme a la faculté de voir, de sentir, de vouloir; et c'est Dieu qui communique sa lumière à l'intelligence pour qu'elle voie, et cette lumière devient sentiment dans la sensibilité et vouloir dans la volonté; de manière qu'une seule opération divine par laquelle elle communique sa vie à l'âme, une seule étincelle de son immense vie ou lumière divine que Dieu y lance, porte dans cette âme une triple impression, une seule impression qu'il lui donne devient une triple opération de l'âme, ou plutôt cette impression ou cette unique opération de l'âme prend la forme de la triple représentation des personnalités divines existant dans l'âme. C'est ainsi que l'âme, vase vide par elle-même, par la nature de sa création, n'a la vie que de Dieu. Cette vie ou lumière existe de deux manières: la première la vie naturelle de l'âme, la deuxième la vie de la grâce. Premièrement sa vie naturelle qui consiste dans l'exercice de ses facultés intellectuelles par les impressions que celles-ci reçoivent et par leurs opérations. On peut y considérer: 1° le mécanisme du mouvement intellectuel, et c'est le jeu des éléments qui lui sont donnés par le Créateur pour être affectés par l'impression quelconque, et à la suite de cette impression pour être mis en mouvement par l'action de la volonté. Ce jeu du mécanisme intellectuel n'est pas à proprement parler cette vie qui est lumière, mais c'est l'activité puissante que le Créateur lui a donnée, et dont le mouvement a son principe dans le besoin extrême de cette vie que les facultés de l'âme n'ont pas en elles et qu'elles cherchent avec avidité. Cette avidité a sa racine dans l'impulsion qui lui a été donnée par le Créateur vers l'objet qui doit lui communiquer cette vie. - 2° Cette vie consiste dans l'impression qui est faite sur la triple puissance de l'âme par l'objet vivifiant, et dans l'activité de l'âme par laquelle elle exploite, s'approprie et réduit en acte l'objet qui lui est imprimé. Les éléments de cette vie de l'âme, tout son mécanisme intellectuel, la faculté de voir, de sentir et de vouloir, est une communication de la manière d'être de Dieu, et l'activité par laquelle l'âme met en jeu ces éléments pour s'approprier l'objet vivifiant, est un rejaillissement de la puissance divine. Cette double participation à l'être divin est inhérente à l'existence de l'être raisonnable et ne pourrait lui être enlevée sans l'anéantissement de son existence.

L'objet qui doit vivifier l'âme intellectuelle n'est et ne peut être que Dieu seul: par la raison bien simple que l'âme, ne possédant pas la vie dans ses facultés, ne peut la trouver que là d'où elle est. Or toute vie n'existe qu'en Dieu seul, c'est donc en Dieu seul qu'elle doit l'avoir. Dans toute la nature l'âme intelligente trouve cette vie parce qu'elle y trouve Dieu, mais aussi ce n'est que Dieu seul qu'elle y doit trouver pour y puiser cette vie.

× I,4

In ipso vita erat, et vita ¦ En lui était la vie, et la vie

erat lux hominum. ¦ était la lumière des hommes.

Dieu seul a la vie en lui par essence, tout ce qui est hors de Dieu est essentiellement mort. Cette vie réside tout entière dans le Verbe aussi bien que dans le Père; et dans le Saint-Esprit aussi bien que dans le Père et le Fils. Mais l'Evangéliste parle ici de cette vie dans les rapports de sa communication aux créatures et il dit que cette vie, que les créatures ont reçue, était tout entière dans le Verbe. La vie du Père est dans le Fils, et c'est par le Fils qu'elle a été communiquée à la créature. Il y a plusieurs genres de vie. La vie des créatures inanimées, car tout est vivant dans l'univers; la vie des créatures animales, la vie des créatures intelligentes, la vie surnaturelle dans les créatures animées de la grâce, et la vie de Dieu en lui-même communiquée aux créatures dans la gloire. Toutes ces différentes vies résident essentiellement dans le Verbe, et de lui viennent aux créatures. Cette vie était dans le Verbe de toute éternité et avant la création. Il était lui-même essentiellement vie: in ipso vita erat. Et c'est de là que chaque être reçoit, à la création, cette vie qui lui est propre. - La vie des intelligences est appelée lumière par saint Jean, soit la vie naturelle de l'intelligence soit la vie surnaturelle. C'est pourquoi il ajoute que cette vie du Verbe était la lumière des créatures dans le temps de leur innocence: et vita erat lux hominum. Cette lumière consistait dans la clarté de l'esprit et la droiture du coeur, avec toutes les qualités qui y tiennent; quand le péché s'est emparé des hommes, il leur est toujours resté la vie qu'ils recevaient du Verbe; leurs intelligences mêmes recevaient encore la vie naturelle, mais cette vie n'était plus la lumière parce que le péché a tout troublé.

× I,5

Et lux in tenebris lucet, ¦ Et la lumière luit dans les et

tenebrae eam non ¦ ténèbres, et les ténèbres ne

comprehenderunt. ¦ l'ont point comprise.

D'après le texte précédent celle de toutes les différentes vies qui est la plus parfaite s'appelle lumière. De là le saint Evangéliste reprend le même terme Lux, qui signifie lumière par excellence, lumière essentielle, pour dire vie par excellence et essentielle, vie divine, et il indique par là le Verbe.

Cette lumière divine est donc venue briller au milieu des ténèbres, pour les éclairer de nouveau et leur rendre la vie de lumière que les hommes avaient eue. - Les hommes ayant perdu cette vie que le Verbe de Dieu leur avait communiquée dans la création, il était dans l'ordre éternel de la bonté divine que le Verbe seul vienne s'incarner et paraître au milieu des hommes pour leur communiquer de nouveau, dans une nouvelle création, ce qu'il leur avait déjà communiqué auparavant et qu'ils avaient malheureusement perdu. C'est ce qui pourrait faire comprendre un peu pourquoi la seconde personne divine s'est incarnée et non une autre. La lumière a donc lui dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont point comprise. Il est impossible que la lumière et les ténèbres résident ensemble. Dès que la lumière pénètre, les ténèbres n'ont plus d'existence, et si les ténèbres y sont c'est que la lumière n'a pas pénétré. Il en est de même de ces ténèbres de l'âme, qui sont une absence de la lumière ou de la vie divine. Le Verbe a paru au milieu des hommes remplis de ténèbres, et il y a paru comme une éclatante lumière, mais ceux qui étaient ténèbres et qui voulaient conserver les ténèbres ne pouvaient pas recevoir la lumière divine du Verbe qui ne peut que remplacer les ténèbres mais jamais demeurer avec elles. Voilà pourquoi ces hommes qui étaient ténèbres n'ont pas saisi, embrassé, compris cette lumière.

× I,6

Fuit homo missus a Deo, cui ¦ Il y eut un homme envoyé de Dieu,

nomen [erat] Joannes. ¦ dont le nom était Jean.

Le nom [de] Jean signifie miséricorde; ce nom a été donné de Dieu, pour montrer la grandeur incompréhensible de la miséricorde de Dieu envers les hommes. La lumière éternelle paraît au milieu des ténèbres par une bonté inexplicable et à jamais incompréhensible; ces hommes ténébreux rejettent et ne reconnaissent pas cette grande lumière qui se trouve au milieu d'eux parce qu'ils aiment mieux leurs affreuses ténèbres que cette lumière brillante. Cet amour pour leurs ténèbres leur faisait ignorer la lumière. Il semble que le Père aurait dû les écraser par sa justice et dans sa colère. Mais point du tout. Il leur envoie Jean, l'homme de la miséricorde, ayant égard aux malheurs extrêmes de ces hommes de ténèbres, afin qu'étant incapables de s'approcher de la lumière, à cause de leurs ténèbres que cette divine lumière d'admet jamais en sa présence, ils puissent cependant acquérir la certitude que la lumière était au milieu d'eux, par le témoignage de Jean. Jean, n'étant pas la lumière elle-même mais envoyé pour faire connaître la lumière et pour attirer à elle les hommes de ténèbres, pouvait être plus facilement aperçu et reconnu pour ce qu'il était, par ces hommes de ténèbres, que la lumière elle-même.

× I,7

Hic venit in testimonium, ut ¦ Il vint comme témoin, pour

testimonium perhiberet de ¦ rendre témoignage à la lumière,

lumine, ut omnes crederent ¦ afin que tous crussent par lui.

per illum. ¦

Toute la vocation de Jean, toute sa mission ne consistait qu'en ce témoignage qu'il devait rendre à la lumière. C'est pourquoi tant que la lumière restait cachée à Nazareth, Jean restait caché aussi dans le désert; il n'avait rien à faire parmi les hommes. Dès que le temps approche, Jean paraît pour aplanir les voies et pour préparer les peuples et les disposer, afin que, lorsque la lumière viendra pour être manifestée, Jean puisse la montrer à tous et leur dire: Voilà la lumière, voilà l'Agneau de Dieu. Une fois que ce témoignage est rendu Jean redevient inutile dans le monde, il reçoit sa récompense et s'en va.

Ainsi Jean n'était qu'un homme de témoignage. Il était placé entre l'ancien et le nouveau Testament pour montrer celui dont la venue a été prédite par les prophètes afin que ceux de son peuple qui sont dans les ténèbres, puissent voir, comprendre et croire. Et comme, avant Jean, tous ceux du peuple juif devaient croire par les prophètes, de même, le moment de la venue de la lumière étant arrivé, tous ne devaient croire que par Jean; tellement que les apôtres les plus intimes avec Notre Seigneur ont commencé à croire par Jean. C'était une prédestination grande et admirable sur saint Jean-Baptiste que tout le peuple juif ne devait arriver à la lumière que par lui. Il était comme un pont par lequel on passait de l'ancien au nouveau Testament.

× I,8

Non erat ille lux, sed ut ¦ Il n'était pas lui-même la

testimonium perhiberet de ¦ lumière, mais pour rendre

lumine. ¦ témoignage à la lumière.

Cependant quoiqu'il eût reçu une si grande puissance d'amener ainsi lui seul tout le monde à la lumière, il n'était cependant pas la lumière, il n'avait pas la lumière en lui, par lui-même, il était dans la lumière, il la recevait de la grande lumière qu'il montrait mais il n'était pas lumière lui-même; il n'est venu que pour rendre témoignage à la lumière. Ce n'est qu'un serviteur qui ne travaille pas pour soi, mais pour celui qui l'a envoyé.

× I,9

Erat lux vera, quae illuminat ¦ Cette lumière était la vraie

omnem hominem venientem in ¦ lumière, qui éclaire tous les

hunc mundum. ¦ hommes qui viennent en ce monde.

Cette lumière qui a brillé au milieu des ténèbres et à laquelle il a fallu le témoignage de Jean pour qu'on la reconnût, cette lumière était la vraie lumière, la lumière du Père, la divinité même; cette lumière qui éclaire tous les hommes qui viennent en ce monde, et cependant il n'y en a pas eu qui l'aient reçue sans le témoignage de Jean, et encore peu l'on reçue avec ce témoignage.

Il [le Verbe] éclaire tous les hommes qui viennent en ce monde, c'est-à-dire qu'il leur donne la lumière naturelle, dans laquelle ils mêlent des ténèbres par le péché qui obscurcit étonnamment cette lumière, mais il en reste toujours un peu. Ou ces mots quae illuminat [qui illumine] veulent dire qu'il veut éclairer, ou qu'il tend à éclairer tous les hommes, qu'il jette sa lumière en eux, et ils la refusent pour la plupart, aimant mieux le péché qui est ténèbres que la lumière divine; et dans ce sens la lumière voudra dire la grâce, la lumière ou la vie surnaturelle.

× I,10

In mundo erat, et mundus per ¦ Il était dans le monde, et le

ipsum factus est, et mundus ¦ monde a été fait par lui, et le

eum non cognovit. ¦ monde ne l'a pas reconnu.

Cette manifestation de la lumière éternelle ne s'est pas faite per speculum [dans un miroir: cf. 1 Cor. 13,12], comme aux prophètes, ce n'était pas une image, une représentation ou un rayon de la lumière divine, qui a paru pour jeter un si grand éclat, mais c'est la lumière elle-même qui était substantiellement dans le monde. - Ce monde signifie ici la terre en général. La divine lumière a paru sur la terre, au milieu des hommes pour les éclairer.

Et c'est une chose étonnante: ce monde qui a été fait par lui, qui n'est rien et n'a rien qui ne lui est communiqué par la divine lumière, ce monde cependant n'a pas reconnu celui qui l'a fait. -Ici le mot monde signifie les hommes qui aiment le monde et les choses qui sont dans le monde, dont l'esprit s'occupe du monde, c'est-à-dire de la terre et de ce qui est sur la terre et qui y mettent leur satisfaction; tous ceux-là n'ont pas reconnu la grande lumière qui a paru au milieu d'eux. Ceci arrivera toujours à ceux dont l'esprit s'occupe de la terre et des choses de la terre, qui les estiment et dont le coeur les aime; ils seront fermés à la lumière et ne la reconnaissent pas; les grâces divines n'y pénètrent pas ou sont rejetées, et ils restent dans une obscurité et une espèce de stupidité pour tout ce qui vient de la divine lumière. C'est ce que dit saint Paul: homo carnalis nescit ea quae sunt spiritus Dei [l'homme charnel ne sait pas ce qui est de l'Esprit de Dieu: cf. 1 Cor. 2,14]. L'homo carnalis de saint Paul est le même que le monde de saint Jean.

× I,11

In propria venit, et sui eum ¦ Il est venu dans son propre bien,

non receperunt. ¦ et les siens ne l'on pas reçu.

Le verset précédent était pour l'intelligence, le monde aveuglé ne l'a pas reconnu, quoiqu'il aurait dû le reconnaître, n'ayant rien en soi qui ne vienne de lui. Celui-ci est pour la volonté: le monde ne l'a pas reçu. Ingratitude et injustice effroyables: le Verbe de Dieu vient dans son propre bien, tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons est sa propriété, et le monde cependant n'a pas voulu recevoir son grand et souverain Maître; mais pour son malheur.

Heureux le monde si le souverain Seigneur avait contraint son esclave de le recevoir dans son bien ! Il n'a pas jugé à propos de le forcer, et par là le malheureux monde a été privé d'un immense bienfait et il en a été privé par sa malice et sa mauvaise volonté.

O Seigneur Jésus, venez en moi, je suis aussi votre esclave et votre propriété, je ne veux pas être comme le monde, je veux et désire ardemment vous recevoir, et si j'avais le malheur de vous résister, ordonnez, forcez, employez votre puissance et votre autorité de maître. Veni, Domine Jesu [venez, Seigneur Jésus: Apoc. 22,20].

On pourrait expliquer aussi ces mots: in propria venit [il est venu dans son propre bien] du peuple juif, qui était choisi parmi tous les autres peuples pour être le peuple de Dieu, et ce malheureux peuple, rempli de l'esprit du monde, l'a méconnu et n'a pas voulu le recevoir.

× I,12

Quotquot autem receperunt ¦ Tous ceux qui l'ont reçu, il leur

eum, dedit eis potestatem ¦ a donné le pouvoir de devenir

filios Dei fieri, his, qui ¦ enfants de Dieu, à ceux qui

credunt in nomine ejus. ¦ croient en son nom....

Parmi ceux à qui la lumière adorable s'est montré, il y en eut qui l'on reçue. Cette réception dont parle ici l'Evangéliste est ce commencement de foi, qui se trouvait dans plusieurs juifs. L'intelligence s'aperçut de la divine lumière, la volonté même était émue et penchait vers cette divine lumière, on croyait que c'était le Fils de Dieu, mais on ne se livrait pas encore, à cause d'une foule d'embarras qui se trouvaient dans l'esprit et d'une grande faiblesse dans la volonté.

Tous ceux qui le recevaient ainsi, étant fidèles à cette première lumière, recevaient le pouvoir de devenir des enfants de Dieu, et étaient amenés, par de nouvelles et de plus parfaites lumières, à une foi solide et à une volonté d'adhérer à la lumière adorable à laquelle ils croyaient. Etant fidèles à cette seconde lumière, ils devenaient les enfants de Dieu; mais, par la première réception, ils n'étaient pas enfants de Dieu, ils recevaient seulement le pouvoir de le devenir, dedit eis potestatem; par la fidélité à la seconde grâce, ils devenaient enfants de Dieu ayant la foi: his qui credunt. Tous ceux qui croient ont d'abord reçu ce pouvoir de devenir enfants de Dieu, et ils le sont maintenant.

C'est une grande chose que nous annonce ici le saint Evangéliste: que nous devenons enfants de Dieu. Par le premier bienfait de la création nous devons au Verbe divin la qualité de serviteurs de son Père, car la qualité de créature porte toujours avec elle le titre de néant et ne peut prétendre qu'à la servitude; mais étant sortis même de la servitude de Dieu par notre péché, le Verbe, réparateur de son premier ouvrage, est venu sur la terre se mêler parmi nous et s'unir à notre nature, a donné à tous ceux qui s'unissent à lui par la foi véritable la participation à la filiation divine.

× I,13

Qui non ex sanguinibus, neque ¦ ... qui ne sont point nés du

ex voluntate carnis, neque ¦ sang, ni de la volonté de la

ex voluntate viri, sed ex ¦ chair, mais de Dieu.

Deo nati sunt ¦

Dans ce verset le saint Evangéliste nous enseigne que le germe et le principe de cette filiation divine n'est pas en nous, et que ce ne sont pas nos forces qui nous y font arriver, mais une force divine du Verbe qui vient vivre en ceux qui adhèrent à lui par la foi, pour les animer, les vivifier et leur communiquer la qualité de fils de Dieu, qui lui est propre, et c'est à cette vie et communication divine toute seule que [nous] devons d'être enfants de Dieu.

Pour bien comprendre ce qui est dit dans ce verset il faut savoir qu'il y a trois volontés en nous. La première n'est pas proprement une volonté, ce sont les instincts ou appétits animaux. Ces instincts ou appétits se trouvent même dans les bêtes et sont le principe de toutes leurs actions. C'est un premier mouvement de la chair vers un objet. - La seconde, c'est la délectation des sens, qui se portent vers l'objet auquel les instincts tendent. Ceci peut plutôt être appelé volonté. C'est la volonté des sens ou de la chair. Enfin la troisième est la véritable volonté de l'âme ou de la raison, qui avec connaissance de cause se porte vers un objet. - L'Evangéliste appelle la première ex sanguinibus, et il dit que cette vie de Dieu en nous qui fait la filiation divine, cette naissance que nous prenons de Dieu et en Dieu n'a aucun principe dans ces instincts qui n'ont qu'une vie animale. - Elle ne prend pas [non plus] sa source de la volonté des sens ou de la chair, qui ne peuvent avoir qu'une vie de la chair et se satisfaire purement des créatures. - Pas même de la volonté de l'homme, c'est-à-dire de la raison qui de son propre fonds et avec examen de cause se livre à une vie intellectuelle, parce que cette vie est une vie humaine, tandis que la vie qui fait la filiation divine doit être nécessairement surnaturelle et divine.

Mais quel est donc le principe qui nous engendre à la vie divine ? C'est la vie divine que nous obtenons par le Verbe: ex Deo nati sunt. De là il résulte que toutes les fois que notre âme agit par un principe naturel, quoique bon, son action n'est pas l'action d'enfant de Dieu, et plus elle est unie à Notre Seigneur et assujettie et dépendante de son inspiration, plus l'enfance divine est parfaite en elle.

× I,14

Et Verbum caro factum est, ¦ Et le Verbe a été fait chair, et

et habitavit in nobis; et ¦ il a demeuré parmi nous et nous

vidimus gloriam ejus, gloriam ¦ avons vu sa gloire, la gloire

quasi unigeniti a Patre, ¦ comme du fils unique du Père,

plenum gratiae et veritatis. ¦ plein de grâce et de vérité.

Jusqu'à présent on n'a pas vu comment le Verbe ou la lumière éternelle du Père s'est manifestée. Dans ce verset l'Evangéliste va le dire: Et Verbum caro factum est. L'homme, par le péché, avait tout perdu et était devenu étranger à Dieu, opposé même. Le Fils de Dieu, voulant rétablir son premier ouvrage de la manière la plus parfaite, a voulu même nous donner sa qualité de Fils de Dieu. Il faut bien observer que cette enfance divine est adoptive. Mais cette adoption a beaucoup plus de force que ne l'a l'adoption parmi les hommes. Car l'adoption parmi les hommes ne renferme pas la vérité, ce n'est que la représentation de la chose. Elle n'a de réel que les effets qui en résultent par la force que les lois humaines lui donnent, mais qu'elle n'a pas intrinsèquement; tandis que dans notre adoption d'enfants de Dieu il y a une filiation réelle, une participation efficace à la filiation de Notre-Seigneur. Et comment a-t-il fait cela ? C'est en s'incarnant. Notre nature étant devenue étrangère à son Père, le Fils vient s'unir hypostatiquement à cette pauvre nature, prenant en lui une âme et un corps, et cette âme sainte et ce corps parfait, qui formèrent une nature humaine complète, ainsi unis avec le Fils de Dieu, participent de la manière la plus parfaite à la qualité de Fils de Dieu de manière que Jésus-Christ est le Fils de Dieu.

Cette humanité sainte et adorable est établie chef de tous ceux qu'elle attire à elle et qui adhèrent par la foi. Cette adhésion est bien plus parfaite encore dans le ciel, et par cette adhésion sainte, tous ces membres sont unis à l'humanité sainte, et par elle au Verbe divin, et étant ainsi unis avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, ils deviennent enfants de Dieu. C'est ainsi que par son incarnation il fait naître à Dieu tous ceux qui croient en son nom.

Par là on voit que nous ne sommes pas enfants naturels de Dieu, puisque nous ne le sommes que parce que Jésus-Christ, Fils naturel et unique de son Père, nous a attirés à lui par sa grâce, mais aussi on voit qu'il y a là plus de réalité que dans les adoptions ordinaires. C'est ce que dit saint Jean dans une de ses Epîtres: ut filii Dei nominemur et simus [pour que nous soyons appelés enfants de Dieu et que nous le soyons: 1 Jo. 3,1]. Non seulement nous avons le nom d'enfants de Dieu, ce qui reviendrait à l'adoption ordinaire des hommes, mais nous le sommes réellement par la grâce divine.

Mais pourquoi le Verbe divin a-t-il pris la chair ? Pourquoi s'est-il uni à cette chair ?

1° Pour vaincre le péché dans son principal séjour en le vainquant et abattant plus tard par sa croix, et par là il nous a rendus les maîtres de notre chair de péché, car, s'il ne s'était pas incarné, mais s'il s'était seulement uni à l'âme, nous n'aurions pas reçu ces grandes grâces contre la chair.

2° Plus tard, la chair doit participer aussi à la filiation divine, après la résurrection; il a donc fallu s'incarner, par un effet incompréhensible de sa bonté divine pour nous, qui va au-delà de tout ce que l'esprit de l'homme peut concevoir.

Mais pourquoi s'est-il incarné pour purifier seulement notre chair après la résurrection ? Pourquoi par sa divine incarnation n'a-t-il pas purifié dès ce monde la chair de ceux qui croient en lui aussi bien qu'il purifie leurs âmes ? Ceci est un mystère et bien sûrement un effet de son grand amour pour nous. La raison qu'on y voit c'est pour nous laisser le combat, et par là triompher plus souvent dans nos âmes, comme aussi par là fortifier de plus en plus notre foi. Mais cela ne me paraît pas expliquer entièrement la chose.

Il dit: Caro factum est, [il est] devenu chair, pour montrer la perfection extraordinaire de l'union dans laquelle le Verbe était avec la chair, qui est la plus parfaite possible entre le Créateur et la créature.

Pourquoi dit-il factum, puisque le Verbe est consubstantiel au Père, et coéternel avec lui et par conséquent incréé, et le mot factum ne peut lui convenir ? Il appelle cette opération divine qui forma cette admirable union faire, parce que, ayant été exécutée sur la chair très sainte de Notre-Seigneur, elle est créée. Cette parole revient à peu près à celle de saint Paul: exinanivit semetipsum, formam servi accipiens, [il s'est anéanti lui-même, prenant condition d'esclave: Phil. 2,7]. Servi [d'esclave], c'est de l'Humanité qu'il le dit et surtout de la chair, qui est le séjour du péché parmi les hommes, et par conséquent dans la dernière servitude.

Une autre raison pour laquelle saint Jean dit: Et Verbum caro factum est c'est afin de montrer que la Verbe s'est rendu visible même aux yeux du corps.

Et pourquoi après avoir parlé du Fils de Dieu apparu sur la terre sous le nom de lux reprend-il à la fin le mot Verbum ? C'est parce que le saint Evangéliste a commencé à nous faire voir les grandeurs impénétrables du Fils de Dieu dans sa génération éternelle sous le nom [de] Verbum qui est très propre pour expliquer la génération éternelle et qui la dit presque en propres termes. Il a ensuite pris le nom [de] lux pour montrer sa manifestation aux hommes, parce que cette opération s'exprimait mieux par le mot lux.

Mais quand il s'agit ensuite de montrer les inconcevables abaissements du Fils de Dieu qui se fait chair, le Saint-Esprit lui fait employer le mot Verbum, afin que cette parole relève et ramène notre esprit aux ineffables et impénétrables grandeurs du Fils de Dieu dans le sein de son Père, afin de le replonger ensuite dans ses inexprimables anéantissements; mettant ainsi à côté l'une de l'autre les deux extrémités, toutes deux incompréhensibles pour tout être créé, afin de nous faire voir l'immense charité de Dieu pour nous qui sommes si pauvres, si misérables, et si indignes qu'il daigne seulement faire attention à nous.

O amour, amour incompréhensible de mon Dieu, de mon Jésus, que puis-je faire pour vous aimer comme vous m'aimez ! Je suis obligé de rester dans mon néant et mon abjection devant votre adorable amour, car, ô mon bien-aimé amour, vous êtes trop grand pour que j'ose seulement penser à pouvoir faire quelque chose pour vous. Au moins, très adorable amour, faites de moi et en moi tout ce qui est votre bon plaisir. Veni, Domine Jesu, veni et vive in famulo tuo miserrimo [venez, Seigneur Jésus, venez et vivez en votre très pauvre serviteur].

Une raison encore pourquoi il dit Verbum: parce que l'Incarnation et la naissance de Fils de Dieu sont une image parfaite de sa génération éternelle et de la procession du Saint-Esprit qui en est la suite.

Et habitavit in nobis. Celui qui remplit le ciel et la terre, dont la majesté et la gloire remplissent tout l'univers, est venu demeurer parmi les hommes par la moyen de son union avec la chair. Il habita parmi nous adoptant tous les usages d'une vie ordinaire parmi les hommes et s'assujettissant à toutes les faiblesse ordinaires de la chair, excepté cependant au péché et au plus grand nombre de ses suites comme seraient par exemple les maladies, les défauts de l'âme et du corps.

Ce mot habiter signifie demeurer et vivre selon les habitudes ordinaires de la vie. In nobis signifie parmi nous, au milieu de nous, de manière que nous le voyions des yeux mêmes du corps, par le moyen de sa chair adorable.

Ces mots in nobis pourraient aussi prendre leur signification naturelle: en nous. Car le Verbe de Dieu ayant ainsi demeuré dans une chair humaine a demeuré en nous-mêmes; car toute l'humanité ne fait qu'un même corps et celle de Notre-Seigneur est notre chef et le Verbe de Dieu ayant demeuré dans le chef il a demeuré aussi dans les membres. C'est ainsi que l'Evangéliste s'approprie la chair de Notre-Seigneur et la prend comme sienne.

Et vidimus gloriam ejus. La gloire du Verbe était répandue et exprimée sur l'Humanité sainte de manière que dans l'extérieur, les manières et l'action de Notre-Seigneur on voyait un rejaillissement de la gloire du Verbe. Tous ses traits et tout son extérieur manifestaient quelque chose de divin en lui, quasi unigeniti a Patre [comme du fils unique du Père], qui touchait même ceux qui n'avaient pas la loi, mais qui ravissait les disciples fidèles. - On peut aussi dire que cette gloire que les disciples voyaient, était la manifestation de la puissance du Père, par les miracles et les autres actes de puissance que Notre-Seigneur exerçait non pas comme un envoyé de Dieu mais comme le Fils unique. Cela peut signifier aussi la gloire que les trois disciples virent dans la transfiguration, et la voix du ciel: Hic est Filius meus, etc. [celui-ci est mon Fils, etc.: Mt. 17,5; Mc. 9,7; Lc. 9,35].

Plenum gratiae et veritatis [plein de grâce et de vérité]. Le Verbe divin se manifestait ainsi dans l'Humanité sainte, par la grâce et la beauté divine qu'il répandait ainsi sur elle et sur ses paroles et ses actions et par là lui attirait l'amour de ceux qui avaient le coeur pur, comme l'avait notre saint Evangéliste.

La beauté et la grâce dans les hommes, même quand elle est surnaturelle et par un effet de la grâce divine, n'est qu'une image ou un rayon de la beauté divine, et cependant combien fortement elle attire et ravit les coeurs d'un sentiment doux de piété et d'amour de Dieu, comme était la beauté et la grâce de la Très-sainte Vierge, qui était incomparable. Mais ici cette grâce, cette beauté, n'était pas figure, mais la vérité. Le Verbe divin dans sa beauté infinie paraissait en Notre-Seigneur. Quels ont dû être les ravissements de ceux qui le voyaient avec foi !

Un autre sens: Plein de grâce. Tout le trésor de la grâce divine qui devait être répandu sur tous les élus depuis le commencement jusqu'à la fin et pendant toute l'éternité était renfermé dans la personne de Notre-Seigneur. L'Evangéliste dit: plenum [plein], pour montrer que tous ses mystères, toutes ses actions, tous ses mouvements intérieurs et extérieurs, sa vue, et la pensée même qui tombait sur sa personne, tout cela distillait et produit encore maintenant des grâces à ceux qui en profitent.

Et veritatis. Tout ce qui est parfait est vrai et tout ce qui est imparfait est faux ou au moins n'est pas vrai, parce que tout en nous doit être image de Dieu et tout ce qui ne l'est pas n'est pas la vérité. Encore, si même nous exprimons ainsi par les perfections que le Fils de Dieu a mises en nous, l'image du Père, ce n'est qu'une demi vérité, qu'une vérité imparfaite, une représentation, une ombre de la vérité réelle qui est en Dieu. Mais le Verbe de Dieu renferme en lui ses perfections dans toutes leurs vérités; ce n'est pas une figure et une image, mais la vérité substantielle. Voilà pourquoi saint Jean dit: plenum veritatis, étant la pleine, entière et substantielle représentation de toutes les perfections divines du Père.

Mais il dit plus, il dit: habitavit in nobis ... plenum gratiae et veritatis, c'est-à-dire, il demeura parmi nous, il nous les manifestait avec éclat, il nous en donnait l'exemple, et il les veut toujours verser en nous, si nous croyons en lui.

On pourrait encore expliquer ce mot veritatis par rapport à la loi de Moyse, qui régnait jusqu'à la venue du Messie. Cette loi n'était pas une loi de la grâce; c'était une loi terrible pour écraser les pécheurs et ne donnait pas de grâces; ce n'était pas non plus une loi de vérité, mais une loi de figures qui représentait partout l'image du Verbe qui devait s'incarner et donner une loi de grâce. Et le Verbe étant venu sur la terre, il y est venu plein de grâce, comme la loi le prédisait, et de vérité n'ayant plus de figure en lui mais la réalité. Cette dernière explication paraît la plus selon le sens du texte.

× I,15

Joannes testimonium perhibet ¦ Jean rend témoignage de lui, et

de ipso, et clamat dicens: ¦ il crie en disant: c'était celui-

Hic erat, quem dixi: qui post ¦ ci dont je vous avais dit: Celui

me venturus est, ante me ¦ qui viendra après moi a été fait

factus est: quia prior me ¦ avant moi, car il existait avant

erat. ¦ moi.

Jean a reçu sa mission uniquement pour rendre témoignage au Verbe incarné; il a été fidèle à Dieu et a obéi avec zèle. Clamat dicens. Ce témoignage était si continu et si éclatant que le saint Evangéliste croyait l'entendre au moins soixante ans après qu'il a été donné. Il ne dit pas perhibuit, mais perhibit; il semble entendre encore les cris du zélé précurseur: clamat.

On pourrait dire aussi que le témoignage de Jean existait toujours et saint Jean-Baptiste crie à tous les peuples, par la voix des Apôtres qui ont rapporté ces paroles à tous les peuples de la terre, par la prédication de l'Evangile. Dans ce sens, on comprendrait facilement pourquoi il dit: Hic erat [c'était celui-ci] et non est [c'est]. Dans le premier sens, on peut dire qu'il parlait de Notre-Seigneur après que Notre-Seigneur l'eut quitté pour prêcher lui-même. Saint Jean-Baptiste leur rappelait l'ancien témoignage qu'il avait rendu avant la manifestation de son Maître, et il dit: c'était celui dont je vous avais dit: Celui qui viendra après moi a été engendré avant moi, car il existait avant moi quoiqu'il soit venu dans ce monde après moi. Le mot factus dans ce sens, serait impropre et signifierait avoir l'existence, en se rapportant à la nature divine du Verbe.

On pourrait expliquer cela d'une autre façon: Celui qui, dans l'ordre des desseins et des volontés divines, doit venir après moi et remplir les choses que je vous dis de lui, celui-là, dans les mêmes desseins et volontés divines, a été fait avant moi. (Non pas dans ce sens que l'Humanité sainte de Notre-Seigneur ait été créée avant saint Jean, car saint Jean a été conçu environ six mois avant l'Incarnation du Verbe, et cela devait être en sa qualité de précurseur). Mais de toute éternité, le Père a décrété la création de cette Humanité adorable pour l'unir avec son Verbe. C'est là le premier-né de toute créature, parce que tout le reste est accessoire dans les desseins du Père. Moi, Jean, je suis entré aussi de toute éternité dans les desseins du Père, mais d'une manière secondaire et seulement pour le service de ce Fils bien-aimé, pour l'annoncer. De manière que le Père a conçu de toute éternité la création de l'Humanité sainte de son Fils d'une manière primitive, et il a conçu de toute éternité la création de Jean en second lieu, et cela: quia prior me erat, parce qu'il ne pouvait concevoir primitivement que son Fils bien-aimé.

On pourrait dire aussi, et cela serait mieux selon le texte: Celui qui vient après moi, cet homme que vous verrez bientôt paraître, a été fait avant moi, car, quoiqu'en lui-même il ait été fait après moi, cependant, comme il est hypostatiquement uni au Verbe, comme sa volonté humaine reçoit avec amour et suit avec docilité toutes les impulsions du Verbe auquel elle est unie si parfaitement, sa vie n'est plus la sienne, mais celle du Verbe, qui a existé avant moi, puisqu'il a été de toute éternité.

× I,16

Et de plenitudine ejus nos ¦ Et c'est de sa plénitude que nous

omnes accepimus, et gratiam ¦ tous avons reçu, et grâce pour

pro gratia. ¦ grâce.

Et nous tous qui avons vécu sous l'ancienne loi, et qui avons acquis du mérite devant Dieu, c'est de sa plénitude que nous avons reçu. Car, même dans l'ancienne loi, tout le bien et tout le salut venaient de la grâce, que la plénitude de Jésus-Christ y répandait avant même l'Incarnation, mais surtout [sur] ceux qui vivaient depuis l'Incarnation. Ceci est conforme à ce que dit saint Paul, que les anciens ont acquis leurs mérites par la foi et non par les oeuvres de la loi. Il faut que le Verbe Incarné eût une grande plénitude de grâce en lui pour les répandre non seulement sur ceux qui vivent dans sa loi de vérité, mais même sur les figures.

Et étant fidèles à cette première grâce, si nous recevons cette première grâce qui est médiocre, pour cette première grâce reçue, nous aurons une plus grande grâce, qui est celle de la loi nouvelle. Celui qui est infidèle à la grâce qui lui est offerte, la méprise et ne la reçoit pas réellement, il s'y refuse; mais celui qui est fidèle la reçoit avec reconnaissance par là même qu'il y est fidèle. C'est [pourquoi] saint Jean dit: pour cette première grâce que nous avons reçue, il nous sera donné la seconde grâce, qui est la loi de la grâce.

En outre, le mérite de nos actions vient de la grâce, et si nous sommes fidèles, Dieu récompense en nous cette grâce qui renferme les mérites de son Fils et qui nous sont ainsi appliqués par notre fidélité; de là il résulte que toute récompense est la récompense des mérites de Notre-Seigneur que nous recevons par notre fidélité; et par conséquent le redoublement de la grâce qui nous est accordé pour notre fidélité, est la récompense de la grâce, et gratiam pro gratia.

× I,17

Quia lex per Moysen data est, ¦ Parce que la loi nous a été donné par

gratia et veritas per ¦ Moyse, la grâce et la vérité ont été

Jesum Christum facta est. ¦ faites par Jésus-Christ.

Mais pourquoi avons-nous tout reçu de Jésus-Christ ? Parce que la loi, qui par elle-même est vide et qui n'était qu'une figure, nous a été donnée telle qu'elle était par Moyse. Car ce n'est pas Dieu lui-même qui donna la loi; Dieu la donna à Moyse, et Moyse la donna au peuple; or Moyse ne pouvait donner que ce qu'il avait reçu, la loi purement et simplement. Il n'y avait pas en Moyse les grâces pour les y ajouter; Moyse ne donna donc que la loi, c'est-à-dire il ne pouvait que donner des ordres au peuple de la part de Dieu: Vous ferez ceci, vous éviterez cela, et il les exhortait à l'observer, sans pouvoir les aider en cela.

Grande différence à observer entre le terme donné qui est impuissant, et le terme fait qui annonce la puissance. Cette loi a donc été donnée par un homme qui n'avait que des ordres, tandis que la grâce et la vérité ont été faites par Jésus-Christ; et par conséquent la force de l'observer et d'être fidèle à Dieu ne pouvait venir que de lui. Il dit: la grâce et la vérité; la grâce pour le temps même de la loi de figures, afin de pouvoir être fidèle, et la vérité qui est cette seconde grâce est la récompense de la première fidélité.

Il dit: facta est (3), parce que les grâces et les dons de Dieu sont un objet créé, et leur création est ici attribuée au Verbe avec le même terme que plus haut per. C'est par Jésus-Christ, dit-il, que la grâce a été faite, et non pas seulement par le Verbe; parce que toutes les grâces proviennent de l'union du Verbe avec l'Humanité sainte.

Il dit: facta (3) au singulier, parce que la grâce et la vérité est la même chose. Elle est grâce en tant qu'elle orne l'âme et la rend agréable à Dieu; elle est vérité, en tant qu'elle établit l'âme dans les perfections divines et l'en remplit, et par là l'établit dans la vérité. On peut encore dire: elle est grâce, en tant qu'elle est donné gratis et par pure bonté et miséricorde; elle est vérité, parce qu'elle est donnée pour accomplir les promesses divines faites dans l'ancien Testament pour cela, et par conséquent une manifestation de la vérité ou véracité de Dieu.

C'est pour cela aussi que l'ancienne loi est appelée une loi de promesse, et la nouvelle une loi de vérité.

On peut l'appeler vérité, même en tant que donnée à chaque particulier (quoiqu'il n'y ait pas de promesse faite à un particulier de lui donner telle ou telle grâce), parce qu'elle est l'accomplissement de la prédestination éternelle du Père, qui détermine de toute éternité les grâces qui seront données dans le temps à chacun; et Jésus-Christ Notre-Seigneur accomplit, dans le temps déterminé, cette promesse ou cette détermination éternelle de son Père.

× I,18

Deum nemo vidit unquam: ¦ Nul n'a jamais vu Dieu: le fils

unigenitus Filius, qui est ¦ unique de Dieu, qui est dans le

in sinu Patris, ipse ¦ sein de son Père, c'est lui qui

enarravit. ¦ nous l'a fait connaître.

Une autre grande différence entre la lettre et les figures de la loi de Moyse, et la grâce et la vérité de la loi de grâce, c'est dans la connaissance de Dieu, en laquelle est cependant la vie éternelle: ut cognoscant te solum Deum verum [(la vie éternelle), c'est qu'ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu: Jo. 17,3], et qui est source et principe de toute vérité. Moyse ne donnait et ne pouvait donner de Dieu qu'une idée figurée, il pouvait présenter un tableau imparfait, et celui qui le voyait y comprenait ce qu'il pouvait; cela venait de ce que Moyse ne pouvait nous apprendre ce qu'il n'avait vu lui-même que per speculum [dans un miroir: cf. 1 Cor. 13,12] et en figure, tandis que le Fils de Dieu, qui est dans le sein de son Père, possédant en lui l'essence de son Père et le voyant essentiellement, pouvait nous en dire des réalités, et réellement nous a raconté, à voile levé, ce que nous étions capables d'apprendre.

On peut dire encore que Moyse ne pouvait pas donner la grâce et la vérité, puisqu'il ne l'avait [pas]; il ne l'aurait pu avoir, et par conséquent donner, qu'autant qu'il aurait vu Dieu sicuti est [tel qu'il est: Jo. 3,2], cette vue seule mettant en possession de Dieu.

Toutes les connaissances que Moyse et les prophètes avaient de Dieu, c'est parce que le Fils unique de Dieu, qui est de toute éternité dans le sein de son Père, [les] leur a fait savoir.

De là, tout ce qu'il y a de substantiel et de vérité dans la loi et les prophètes, cela vient du Verbe; par conséquent, le Verbe seul est auteur de la grâce et de la vérité. Et comme ces grâces et ces connaissances n'ont été accordées à Moyse et aux prophètes que par la vertu et les mérites du Verbe incarné, de là c'est Jésus-Christ seul qui est la source de toute grâce et de toute vérité communiquée aux saints. Et ces vérités et grâces et connaissances, ce n'est pas comme Moyse qu'il les donne, par la lettre seulement, mais il les grave dans les âmes et les illumine dans leur intérieur.

× I,19

Et hoc est testimonium ¦ Et voici le témoignage de Jean,

Joannis, quando miserunt ¦ lorsque les Juifs lui envoyèrent

Judaei ab Jerosolymis ¦ des prêtres et des lévites pour

sacerdotes et levitas ad ¦ lui demander: Qui es-tu ?

eum, ut interrogarent eum: ¦

Tu quis es ? ¦

Avant que Notre-Seigneur eût parut, Jean prêchait dans le désert et faisait ses fonctions de précurseur, pour préparer les peuples à la pénitence. Les Juifs, voyant un spectacle si nouveau qu'ils n'avaient jamais vu auparavant, même dans leurs anciens prophètes, soupçonnaient que ce pourrait bien être le Messie, et ils envoyèrent des hommes qui connaissaient la loi et qui étaient à même de juger de ces choses. C'étaient des prêtres et des lévites, qui vinrent examiner quel était ce nouveau personnage: Tu quis es ? Il paraît qu'il lui demandèrent s'il était le Messie, par la réponse qu'il leur fit.

× I,20

Et confessus est, et non ¦ Et il confessa, et il ne le nia

negavit; et confessus est: ¦ pas, et il confessa: ce n'est

quia non sum ego Christus. ¦ pas moi qui suis le Christ.

Une chose à remarquer: c'est que le saint Précurseur n'aime pas à parler de lui-même. A toutes les questions qu'on lui fait sur lui, il répond par des monosyllabes ou par des phrases les plus courtes possibles; il avait toujours peur qu'on ne fît attention à lui, tandis qu'il voulait fixer tous les esprits vers celui pour lequel il a été envoyé. Mais, dès que la question était de Notre Seigneur, il ne tarit pas. Et ce qu'il dit va toujours à se faire oublier, à s'effacer pour ne s'occuper que de son principal objet, il montre qu'il n'est qu'une voie qui mène à Notre Seigneur. - Une fois arrivé là, il ne faut plus s'occuper de la voie ou de l'instrument qui y a mené. Grand modèle des prêtres, qui ne doivent [pas] attirer l'attention, l'estime et l'affection des hommes vers eux, mais amener tous les esprits et tous les coeurs directement vers le grand objet de tout amour.

On peut encore remarquer dans ses réponses qu'il s'oubliait entièrement et ne voulait en aucune façon l'estime des hommes, pas de tergiversation, pas de détour. On lui demande: Etes-vous le Messie ? Il confesse qu'il ne l'était pas, mais il ne leur dit pas qui il était, il répond à la question, et ne s'inquiète pas de ce qu'on ira penser après, parce que son esprit était tout plongé en son Maître, et n'[était] occupé que de lui. Il leur dit: Ce n'est pas moi qui suis le Christ, par là il voulait détourner leur esprit de lui-même et leur faire demander: Qui est donc le Christ ? Où est-il ?

× I,21

Et interrogaverunt eum: Quid ¦ Et ils l'interrogèrent: Quoi donc ?

ergo ? Elias es tu ? Et dixit: ¦ Es-tu Elie ? Et il dit: Je ne le

Non sum. Propheta es tu? Et ¦ suis pas. Es-tu prophète ?

respondit : Non ¦ Et il répondit: Non.

Mais les envoyés n'entrèrent pas dans les vues de son humilité et de son amour pour le Verbe incarné. Ils poursuivirent leurs questions et voulurent absolument savoir qui il était, et ils [le] firent d'une façon à montrer leur grande opinion de lui. Ils pensaient qu'au moins ce sera Elie qui serait revenu sur la terre pour annoncer le Messie. L'humilité de saint Jean répondit Non, quoiqu'il eût pu dire Oui dans le sens des prophètes, qui l'annoncèrent sous ce nom comme ayant l'esprit et la vertu d'Elie (cf. Lc., 1,17).

Il ne voulait pas non plus qu'on le regardât comme un prophète, il répondit par un simple non, de manière que ceux à qui il parlait pouvaient et devaient croire qu'il était moins qu'un prophète, quoiqu'il fût plus grand que tous les prophètes, et qu'Elie lui-même (cf. Lc., 7,26).

Il disait la vérité, il n'était pas prophète, parce que les prophètes devaient annoncer le Messie de loin; c'était là le caractère propre de l'Esprit de prophétie tandis que Jean devait l'annoncer de près et le montrer du doigt, caractère de mission unique, qu'il n'a partagé avec personne, et dont il aura lui seul la gloire éternelle dans le ciel.

Jean semble espérer que par ces réponses brèves il les empêcherait enfin de lui faire des questions sur son compte et qu'ils en viendraient enfin à son grand objet, au Messie. Mais non.

× I,22

Dixerunt ergo ei: Quis es, ut ¦ Ils lui dirent donc: Qui es-tu, afin

responsum demus his, qui ¦ que nous donnions une réponse à

miserunt nos? Quid dicis de ¦ ceux qui nous ont envoyés? Que dis-tu

teipso? ¦ de toi-même?

Ces envoyés désiraient avoir quelque chose de positif pour rendre réponse, et plus l'humilité de Jean tendait à éloigner de lui leur attention, plus au contraire ils le pressaient de répondre, et cette question l'obligea enfin de répondre. Il le fit en peu de mots, y manifesta encore sa grande humilité, et dirigea encore leur esprit vers le Messie, afin de leur faire poser une question sur le Messie.

× I,23

Ait: Ego vox clamantis in ¦ Il dit: Je suis la voix de celui

deserto: Dirigite viam ¦ qui crie dans le désert:

Domini, sicut dixit Isaias ¦ Redressez la voie du Seigneur,

propheta. ¦ comme l'a dit le prophète Isaïe.

Enfin saint Jean leur dit que toute sa mission était de crier dans le désert et d'exhorter les peuples à se préparer pour la venue du Seigneur. En tout son ministère, il n'était que la voix de Dieu. Il montre par là que, de son fonds, il n'était rien; il montre encore qu'il n'avait pas de pouvoir sur les âmes, que tout ce qu'il pouvait était de faire entendre ces paroles: Dirigite, etc., c'est-à-dire il peut leur dire qu'il avaient à se préparer, sans leur donner du secours pour cela.

Par ces paroles, plus encore que par les premières réponses qu'il avait faites, saint Jean s'efface devant le divin Messie et attire toutes les attentions vers Lui. Il semble que les envoyés des Juifs devaient enfin lui faire quelque question sur ce grand objet de leur attente. Mais le saint Evangéliste fait une réflexion, dans le verset suivant, qui explique pourquoi ils s'obstinaient à faire des questions sur lui-même.

× I,24

Et qui missi fuerant, erant ¦ Et ceux qui avaient été envoyés

ex Pharisaeis. ¦ étaient du nombre des Pharisiens.

Ceux qui étaient envoyés vers saint Jean étaient du nombre des Pharisiens. Les Pharisiens étaient comme un corps religieux parmi les Juifs. Il faisaient profession d'un grand rigorisme pour l'observation de la loi, et menaient une vie retirée et plus parfaite selon la loi que les autres. Ils faisaient les choses autrement que le commun des Juifs. Cette vie leur attirait l'estime et la vénération des peuples. Cette estime flattait beaucoup leur orgueil, et ils étaient jaloux de la posséder seuls, et tout ce qui était capable de la leur disputer leur faisait ombrage.

C'est ce qui nous explique la raison pourquoi ils posent tant de questions pour faire dire à saint Jean qui il était, et surtout celle du verset suivant. Saint Jean menait une vie plus extraordinaire que la leur, il donnait des marques très efficaces d'une sainteté plus grande que la leur. Les peuples venaient à lui en foule; tous les yeux se tournaient vers lui, et ils craignaient que, peu à peu, on ne l'estimât plus qu'eux. C'était la raison secrète pourquoi ils lui faisaient tant de questions, et pourquoi ils ne s'inquiétaient pas de savoir quelque chose sur le Messie.

× I,25

Et interrogaverunt eum, et ¦ Et ils l'interrogèrent et lui

dixerunt ei: Quid ergo ¦ dirent: Pourquoi donc baptises-

baptizas, si tu non es ¦ tu, si tu n'es ni le Messie, ni

Christus, neque Elias, neque ¦ Elie, ni un prophète ?

Propheta ? ¦

Le baptême de Jean était un ministère extraordinaire, qui touchait beaucoup les peuples et les portait à la pénitence, et qui par là donnait une grande autorité à saint Jean; c'est ce qui offusquait les pauvres Pharisiens, qui voulaient tout attirer à eux. Et comme ce baptême n'était pas du nombre de ceux qui sont marqués dans la loi, ils demandèrent à Jean par quelle autorité il baptisait, n'étant ni le Messie, ni Elie, ni un prophète, et quelle vertu aura donc votre baptême, étant fait sans autorité ?

× I,26

Respondit eis Joannes, ¦ Jean leur répondit, il leur dit:

dicens: Ego baptizo in aqua: ¦ Moi, je baptise dans l'eau; mais

medius autem vestrum stetit, ¦ au milieu de vous il y a quelqu'

quem vos nescitis. ¦ un que vous ne connaissez pas.

× I,27

Ipse est, qui post me ¦ C'est lui qui doit venir après

venturus est, qui ante me ¦ moi, qui a été fait avant moi; et

factus est: cujus ego non sum ¦ moi je ne suis pas digne de

dignus ut solvam ejus ¦ dénouer le cordon de son soulier.

corrigiam calceamenti. ¦

× I,28

Haec in Bethania facta sunt ¦ Ceci se passa à Béthanie, au-delà

trans Jordanem, ubi erat ¦ du Jourdain, où Jean baptisait.

Joannes baptizans. ¦

Saint Jean leur dit: Mon baptême n'est qu'un baptême d'eau. Pourquoi m'interrogez-vous tant sur mon baptême ? Ce baptême n' est rien par soi-même, il n'a aucune force spirituelle, et moi je ne lui communique pas de force non plus par ma propre vertu. Mais vous avez quelqu'un au milieu de vous que vous ne connaissez pas; c'est vers lui qu'il faut fixer votre attention.

On peut croire qu'il ajouta à cela ce qui est dit dans les autres évangélistes, et ce que celui-ci semble supposer plus tard: Ipse vos baptizabit in Spiritu Sancto [lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint: Mt. 3,11; Lc. 3,16]. Car, par toutes ces paroles, saint Jean veut montrer que son baptême n'est rien, et qu'il ne fait que préparer les voies du Messie, qui va incessamment paraître et qui donnera ce que ce baptême figure.

Il leur dit: Vous venez ici dans le désert pour m'interroger sur tout cela, tandis que celui pour lequel je suis venu est au milieu de vous sans que vous le connaissiez. C'est lui qui viendra après moi et qui est le grand personnage pour lequel je suis fait; je ne suis venu que pour être son avant-coureur, mais je ne suis pas digne de dénouer le cordon de ses souliers, tant il est grand et moi je suis peu de chose à côté de lui. Occupez-vous donc de lui et non de moi.

On peut encore expliquer ces mots: ut solvam, etc.: Mon ministère est bien peu de chose, puisqu'il n'est que pour préparer les voies devant lui; mais une fois arrivé, je ne puis plus lui rendre le moindre service; je suis indigne de le servir dans l'apostolat... Le terme dénouer le cordon de son soulier signifie: le soulager dans sa course apostolique, comme le dernier domestique fait à son maître quand il vient de voyage: il lui ouvre son soulier pour qu'il se délasse.

× I,29

Altera die vidit Joannes ¦ Un autre jour Jean vit Jésus qui

Jesum venientem ad se, et ¦ venait vers lui, et il dit: Voilà

ait: Ecce agnus Dei, ecce ¦ l'Agneau de Dieu, voilà celui qui

qui tollit peccatum mundi. ¦ porte le péché du monde.

Jusqu'à présent le saint Evangéliste a rapporté le témoignage de Jean après que Notre-Seigneur l'eût quitté, et avant qu'il ne soit venu. Maintenant il va parler de celui qu'il a rendu en sa présence. Quand Jésus arriva vers saint Jean, dès que ce saint Précurseur le vit de loin, l'Esprit de Dieu étant en lui lui fait reconnaître celui qu'il désirait depuis si longtemps et qu'il avait annoncé avec tant de force et de respect. Et animé d'un amour tendre à la vue de tant de grâces divines, tant de douceur et tant d'innocence répandues sur sa personne sacrée, il dit: Voilà l'Agneau de Dieu qui porte le péché du monde. Il l'appelle Agneau pour manifester l'innocence et la douceur, et pour annoncer que c'est une victime; il l'appelle Agneau de Dieu, c'est-à-dire une victime innocente et agréable devant son Père, qui lui est toute entière dévouée, qui en vient et qui lui appartient entièrement. Il veut montrer encore par là que toute la divinité est en lui, et par conséquent c'est une victime divine.

Qui tollit peccatum mundi. Cet agneau adorable est pur et saint, et il n'est victime que du péché du monde qu'il porte sur lui et qu'il enlève et ôte par son sacrifice. Quoique Jean ne savait peut-être pas que Notre-Seigneur devait être baptisé par lui, ces paroles lui étaient cependant inspirées, pour faire voir aux peuples qui si le divin Messie reçoit le baptême de pénitence, ce n'est pas parce qu'il était pécheur, et qu'il n'en avait aucun besoin pour lui; mais seulement parce qu'ayant tous les péchés du monde sur lui, et que devant les emporter, il était nécessaire que le divin agneau vînt lui-même recevoir ce baptême, pour lui donner force et grâce pour la pénitence, et pour consacrer pour ainsi dire l'élément qui, plus tard, devait servir au baptême qui devait remettre les péchés ipso facto [par le fait même].

Il dit: peccatum mundi [le péché du monde], pour désigner le péché originel, dont tous les autres péchés ne sont que des effets, et qui par conséquent y [sont] renfermés et emportés par le divin Agneau.

× I,30

Hic est, de quo dixi: Post me ¦ C'est lui dont j'ai dit: Après moi

venit vir, qui ante me factus ¦ vient un homme qui a été fait avant

est, quia prior me erat. ¦ moi, car il était avant moi.

× I,31

Et ego nesciebam eum; sed ut ¦ Et moi je ne le connaissais pas,

manifestetur in Israel, ¦ mais c'est pour qu'il lui soit

propterea veni ego in aqua ¦ manifesté en Israël que je suis

baptizans. ¦ venu baptiser dans l'eau.

Il répète toujours la même sentence, pour faire comprendre à tous la grandeur du Messie, et, après avoir parlé de lui comme d'une victime offerte à la gloire du Père et d'une manière à remplir tout le monde d'amour, il ajoute ces paroles pour imprimer le respect et la vénération dûs au Fils de Dieu.

Il ajoute que lui, saint Jean, n'est venu baptiser dans l'eau que pour la manifestation du Fils de Dieu en Israël, parce que c'est par là que le peuple avait commencé à se disposer à la pénitence, disposition requise pour recevoir la grâce de la foi et de la régénération; une fois l'esprit de pénitence répandu dans les peuples, le divin Messie pouvait venir pour avoir entrée dans les âmes. De plus c'est à l'occasion du baptême qu'il se montra. Ainsi Jean dit que toute sa mission consistait à préparer les peuples à la venue du Messie par le baptême, Propterea veni ego [c'est pour cela que je suis venu]. Il dit que lui-même ne l' avait pas connu, et par conséquent il avait été entièrement inconnu jusqu'alors, et que c'était pour sa manifestation qu'il baptisait.

On peut encore dire qu'il veut signifier par là que c'est par l'Esprit de Dieu qu'il le reconnaissait en le voyant arriver, et que le caractère divin d'Agneau de Dieu et de Verbe incarné se manifestait à lui pour la première fois en ce moment. Quel transport d'amour a dû éprouver ce grand personnage à ce moment le plus heureux de sa vie !

Une autre explication plus spirituelle et plus profonde: Et ego nesciebam eum [et moi je ne le connaissais pas]. Cette connaissance, dans le sens si souvent employé dans l'Ecriture, signifie une connaissance intérieure et spirituelle, notre âme appliquée à Notre-Seigneur et en rapport intime avec lui, voyant et considérant dans une sainte contemplation toute sa personne, ses perfections et ses mystères, et recevant dans ce même rapport de l'âme ses divines communications. Notre-Seigneur s'ouvre ainsi devant une âme fidèle, la reçoit dans ses embrassements et lui communique son intérieur.

Dans l'ancien Testament, avant la venue de Notre-Seigneur, cette connaissance et ce rapport étaient très imparfaits et obscurs. Tout ce qui était accordé aux plus grands d'entre les Patriarches et les Prophètes, c'était une vue lointaine et seulement par figure, et, au lieu de ces embrassements que produit dans une âme du nouveau Testament la possession du divin Agneau, les grands Patriarches et Prophètes avaient des espérances, des désirs et des soupirs. C'est ce que dit plus loin le divin Maître: Abraham exsultavit ut videret diem meum, vidit et gavisus est [Abraham a tressailli pour voir mon jour, il a vu et s'est réjoui: Jo. 8,56]. Ces soupirs allaient toujours en croissant, à mesure que le temps s'approchait. Qu'on juge de ceux du grand précurseur, avant qu'il ait eu le bonheur de voir le divin Messie. Car, avant que Notre-Seigneur se fût manifesté, saint Jean était comme les anciens Patriarches, quoique plus rapproché, ayant été sanctifié par lui dans le sein de sa mère (4), était cependant dans le lointain. Sa connaissance obscure et ses rapports intérieurs étaient des rapports de désir et d'espérance, et c'est ce qu'il dit dans un transport d'amour: Je ne l'ai pas connu, car mon baptême n'a pas reçu de sa main les grâces de sanctification, mais la grâce de préparation; je travaillais pour lui, mais seulement pour son apparition, et, avant cette apparition, j'étais ignorant comme les autres, mais maintenant je le vois avec des transports d'amour: Ecce Agnus Dei.

Une fois que Notre-Seigneur apparut, saint Jean reçut de suite ces rapports, ces lumières, ces embrassements du nouveau Testament, et c'est ce qui fait son transport; il sent, il voit, il connaît, il jouit d'un ordre de choses inouï jusqu'alors.

Car saint Jean, en qualité de Précurseur, a eu la grâce des deux Testaments dans une très grande perfection. Au moins a-t-il eu celle du nouveau dans le moment des ses rapports avec Notre-Seigneur; car tous les rapports et toutes les actions extérieures de Notre-Seigneur apportaient avec elles une grâce intérieure qui leur était analogue et qu'ils exprimaient, la vue extérieure, la connaissance intérieure, etc. Il n'y a que ceux qui étaient mal disposés qui ne profitaient pas de ces grâces, et qui en devenaient plus aveugles et plus mauvais (5).

Jusque-là c'est le témoignage de saint Jean avant le baptême de Notre-Seigneur. Dans les versets suivants ce sera son témoignage après le baptême.

× I,32

Et testimonium perhibuit ¦ Et Jean rendit témoignage,

Joannes, dicens: Quia vidi ¦ disant: J'ai vu l'Esprit

Spiritum descendentem quasi ¦ descendre du ciel sous la forme

columbam de caelo, et mansit ¦ d'une colombe, et il est demeuré

super eum. ¦ sur lui.

× I,33

Et ego nesciebam eum: sed qui ¦ Et moi je ne le connaissais pas;

misit me baptizare in aqua, ¦ mais celui qui m'a envoyé

ille mihi dixit: Super quem ¦ baptiser dans l'eau m'a dit:

videris Spiritum descendentem,¦ Celui sur qui tu verras l'Esprit

et manentem super eum, hic ¦ descendre et demeurer sur lui,

est qui baptizat in Spiritu ¦ c'est lui qui baptise dans

Sancto. ¦ l'Esprit-Saint.

× I,34

Et ego vidi: et testimonium ¦ Et j'ai vu, et j'ai rendu

perhibui quia hic est Filius ¦ témoignage que c'est là le

Dei. ¦ Fils de Dieu.

Ces trois versets renferment le témoignage de Jean immédiatement après le baptême.

Après le baptême de Notre-Seigneur, le Saint-Esprit descendit sur lui sous la forme d'une colombe. Ce n'est pas que l'Humanité sainte reçut une plus grande abondance de l'Esprit-Saint qu'elle en avait auparavant, mais c'était pour montrer à saint Jean ce qui existait dans le Fils de l'homme depuis le premier moment de l'incarnation, et c'est ce qui est particulièrement signifié par la permanence du divin Esprit sur lui sous cette forme sensible; c'était encore pour montrer les effets du baptême du Fils de Dieu, dont celui de saint Jean n'était qu'une figure. La forme de la colombe signifie l'amour pur et chaste, l'innocence, la simplicité et la douceur, qui en sont les effets nécessaires.

A mesure que les promesses divines s'accomplissaient et que Notre-Seigneur augmentait ses rapports avec saint Jean, à mesure celui-ci acquit des grâces et des lumières plus claires et éprouvait des choses plus grandes. Le fils de Dieu a dû donner à Jean des communications très grandes, dans les rapports si intimes et si admirables du saint baptême qu'il en reçut, et les manifestations qu'il lui fit de ce qu'il était par le moyen de la vision de la colombe ont dû être d'une perfection et d'une efficace qui surpassaient tout ce que saint Jean avait reçu jusqu'alors. Saint Jean, à mesure que ces rapports et ces grâces augmentaient, entrait toujours dans un plus grand amour et une plus grande admiration sur ce qu'il voyait. C'est pourquoi il répète encore: Et ego nesciebam eum [et moi je ne le connaissais pas]. Plus ses connaissances devenaient grandes, plus il voyait son ancienne ignorance.

Saint Jean eut bien connaissance longtemps d'avance de la venue du Fils de Dieu sur la terre, de son union à la chair, mais il semblerait qu'il ne connaissait pas l'union hypostatique, ou au moins qu'il n'en avait qu'une connaissance obscure, et en général tout ce qu'il savait n'était que par une vue obscure ou plutôt une certaine lueur. Quand Dieu lui fit connaître que son Fils viendra, qu'il baptiserait dans l'Esprit Saint, et qu'il lui promit de le lui faire voir par la marque de la colombe qui descendra sur lui et y restera, le saint vit bien alors que l'humanité sainte aura des rapports intimes avec la divinité et que l'Esprit-Saint reposera sur lui et qu'il aura toute puissance de disposer de ses dons.

Mais c'était bien autre chose quand la chose arriva. Alors Notre-Seigneur s'ouvrit devant lui, mit son âme en rapport avec la sienne, lui fit concevoir, sentir, goûter l'union de l'humanité sainte avec le Verbe, et ses rapports avec l'Esprit-Saint, et il lui en donna participation de grâce, le tout selon la capacité de Jean. Il lui fit concevoir aussi la communication de grâce qu'il faisait aux hommes: Ipse est qui baptizat in Spiritu Sancto [c'est lui qui baptise dans l'Esprit-Saint], le baptême de l'Esprit-Saint est... (6)

× I,34

Et ego vidi. ¦ Saint Jean a vu.

Il faut pénétrer un peu plus avant que dans le strict sens des paroles, dans une circonstance si extraordinaire du Fils de Dieu en rapport avec le plus grand des enfants des hommes, chargé d'en rendre témoignage, et de faire croire à tout le monde la grandeur de la mission du Fils de Dieu. Et ego vidi. Le Fils de Dieu lui a fait voir.

Quand on veut avoir un témoin de cette importance, pour une chose de si grande conséquence et si profonde, il faut lui faire voir tout ce dont il doit rendre témoignage. De là on peut conclure avec vérité que Jean a vu et considéré les grands trésors renfermés dans Notre-Seigneur Jésus-Christ, et qu'il a pénétré dans son divin intérieur pour considérer l'union admirable du Verbe avec le Fils de l'homme, du Fils de Dieu avec le fils de David. C'est pourquoi il dit avec admiration: J'ai vu et j'ai rendu témoignage que c'est là le Fils de Dieu. Il avait connu cela avant par révélation, cela est certain, mais il n'avait pas vu. Maintenant qu'il a vu, son témoignage a toute une autre force, et qu'est-ce qu'il a vu ? Il a vu le Fils de Dieu dans cette chair qui paraît aux yeux, et il rend témoignage que c'est le Fils de Dieu.

Tout cela se passa immédiatement après le baptême de Notre-Seigneur. Saint Jean dit: Testimonium perhibui [j'ai rendu témoignage]. C'est le passé pour le présent, comme cela se trouve si souvent dans l'Ecriture.

Autre explication: ce mot témoignage, dans Saint Jean, n'a pas la signification ordinaire dans son strict usage parmi nous pour les choses humaines, mais cela veut dire une affirmation forte, animée et pleine de foi et d'amour d'une vérité connue. Ce genre de témoignage peut se rendre en son intérieur vis-à-vis de soi-même, ou en la présence de Dieu par des actes de foi et de charité, ou en la présence des autres pour les exhorter à croire la chose qu'on annonce et à y adhérer avec les mêmes sentiments de foi et d'amour. Et alors ici le mot perhibui peut se rapporter au temps où saint Jean eut le bonheur de voir les choses qu'il admirait et alors il rendit gloire à Dieu par des actes de foi pleins d'amour envers le Fils de Dieu. C'est un témoignage comme celui de saint Thomas qui dit: Dominus meus et Deus meus [mon Seigneur et mon Dieu: Jo. 20,28]; ou comme celui de Nathanaël: Tu es filius Dei, tu es rex Israël [tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël: Jo. 1,49].

× I,35

Altera die, iterum stabat ¦ Un autre jour Jean se trouvait

Joannes, et ex discipulis ¦ encore avec deux de ses

ejus duo. ¦ disciples.

× I,36

Et respiciens Jesum ¦ Et regardant Jésus qui marchait,

ambulantem, dixit: Ecce ¦ il dit: Voilà l'Agneau de Dieu.

Agnus Dei. ¦

Jean ayant préparé le peuple à le venue de Notre-Seigneur, et ayant rendu le témoignage pour lequel il a été envoyé, doit diminuer peu à peu et disparaître pour que tout le monde n'ait plus qu'à s'occuper de Notre-Seigneur. C'est pourquoi il était le premier à lui fournir des disciples, dont l'un est saint André, et l'autre paraîtrait bien être saint Jean l'Evangéliste, qui par modestie ne se nomme point. Notre-Seigneur marchant dans les environs, le saint Précurseur le suivit des yeux, et le considéra avec un oeil de complaisance et plein d'amour, et dit devant ses disciples: Voilà l'Agneau de Dieu, afin de leur inspirer l'amour qui le remplissait lui-même et de les engager à suivre le divin Agneau. Et en effet il réussit parfaitement à leur inspirer ce désir (7).

× I,37

Et audierunt eum duo ¦ Et les deux disciples entendirent

discipuli loquentem, et ¦ ses paroles, et ils suivirent

secuti sunt Jesum. ¦ Jésus.

Car aussitôt ils suivirent Jésus. Cela montre la bonne disposition de ces disciples, qui avaient un grand désir de se rapprocher du Fils de Dieu, et une grande simplicité de coeur et docilité d'esprit; ce qui les disposa parfaitement pour la réception de la foi et toutes les opérations de la grâce que Notre-Seigneur faisait en eux. Quand ces trois qualités manquent, il est rare de voir quelqu'un avancer et s'établir dans une foi parfaite et Notre-Seigneur ne peut guère établir sa sainte familiarité en lui, il y trouve sans cesse des obstacles à ses grâces.

× I,38

Conversus autem Jesus, et ¦ Jésus se retournant et les voyant

videns eos sequentes se, ¦ qui le suivaient, leur dit:

dicit eis: Quid quaeritis ? ¦ Que cherchez-vous ? Ils lui

Qui dixerunt ei: Rabbi, (quod ¦ dirent: Rabbi (ce qui veut dire:

dicitur interpretatum ¦ Maître), où habitez-vous ?

Magister), ubi habitas ? (8) ¦

Ici, dans toute cette histoire de la vocation de ces deux disciples, le saint Evangéliste nous montre la marche que Notre-Seigneur suit pour appeler les âmes à lui et pour leur faire suivre la perfection de son divin amour. Tous ceux qui ont le bonheur d'appartenir au divin Maître reconnaîtront dans ces trois versets leur propre histoire, ou l'histoire de la bonté, de la douceur et de l'amour de Jésus pour eux; car on voit en tout cela vraiment la douceur et la simplicité de l'Agneau de Dieu paraître avec éclat.

Le divin Maître veut attirer à lui et avoir ces deux disciples, il leur fait dire un mot pour les toucher par saint Jean; car c'est ordinairement sa conduite de se servir, pour produire le premier mouvement, de quelque moyen extérieur que la Providence de son Père amène. Dans le même temps qu'il fait porter le coup par son serviteur, il touche dans l'intérieur et se montre de loin pour attirer ces bonnes âmes. Les apôtres, touchés et aussi attirés, sont fidèles à cette grâce, ils suivent ce mouvement, quittent aussitôt saint Jean et vont à Jésus. C'est un point important pour une âme d'être fidèle à cette première grâce. Jésus les voyant pleins de désirs et fidèles à suivre l'impulsion qu'il leur a donnée, ne les laisse pas courir longtemps après lui, ce qui arrive ordinairement. Une âme touchée de cette première grâce cherche Notre-Seigneur avec de grands désirs de s'attirer ses regards. Si elle était obligée d'attendre longtemps avant d'obtenir ce divin regard, il arriverait souvent qu'elle se découragerait et retournerait en arrière, mais le divin Maître ne fait pas attendre ceux qui le cherchent avec fidélité et avec de bons désirs, il leur fait comme à ces deux disciples.

Il se tourna vers eux pour leur faire comprendre qu'il savait qu'ils le suivaient. Cette complaisance de Notre-Seigneur avec laquelle il les regarda était déjà une grande grâce et a dû porter une grande consolation dans leurs coeurs. C'est ce qui arrive ordinairement. Notre-Seigneur fait sentir à une âme qui le recherche qu'il la voit, il se tourne vers elle, et c'est une grande consolation pour cette âme. Après leur avoir montré la complaisance qu'il mettait dans leur fidélité à le suivre, et après les avoir attirés par ce regard de bonté et d'amour qui ravissait tous les coeurs, il leur adresse la parole.

Cette parole est ordinairement le dernier coup qui décide une âme à désirer Notre-Seigneur. Cette parole est si pleine de consolation et remplit d'un si grand amour, que l'âme désire aussitôt entrer dans un rapport d'intimité et de familiarité avec son bien-aimé. Il leur dit: Que cherchez-vous ? Par là il excite davantage leur désir, en entrant précisément dans l'objet de leur désir. Ils désiraient ardemment le suivre et jouir de sa sainte présence; il se tourne vers eux et leur demande ce qu'ils cherchent afin de donner lieu à ce désir de se développer davantage, par l'espérance d'obtenir ce qu'ils cherchaient et par l'acte extérieur du désir qu'ils avaient dans l'intérieur.

Toutes les âmes, dans ces commencements, reçoivent ces paroles intérieures, qui excitent de plus en plus le désir par l'espérance d'y parvenir et par les actes réitérés de ce désir.

[Comme] il faut toujours, en même temps que Notre-Seigneur agit et parle avec ces deux disciples, en même temps, il agit aussi par sa grâce dans leur intérieur dans le même sens de ses paroles et de son action (9). Les deux disciples ressentirent le grand effet de ces paroles et, ne cherchant qu'à jouir et à nourrir en eux le sentiment que le Fils de Dieu produisait en eux, veulent rester pendant quelque temps avec lui, afin de jouir un peu plus longtemps.

Ils n'étaient pas encore au point de perfection où, plus tard, ils abandonneront tout pour suivre leur Maître, mais ils allaient par intervalles avec lui, s'attachaient à lui, pour le voir, l' écouter et jouir des grâces dont il les comblait. Ils étaient comme sont toutes les âmes dans les commencements, quand la grâce les a touchées, et que Notre-Seigneur les poursuit et les attire: elles cherchent à jouir de lui, et cela par intervalles, et aiment à y revenir.

Ils ne répondirent pas directement: Seigneur, c'est vous que nous cherchons; mais ils font comme toutes les âmes dans cet état; leurs idées ne sont pas suivies et régulières. La vivacité du sentiment fait supposer et sous-entendre plusieurs idées. Dans la grandeur de leur joie de se voir avec l'Agneau de Dieu, de voir qu'il faisait attention à eux, qu'il leur parlait, et cela avec une si grande bonté, et sentant en même temps leur intérieur enflammé par sa grâce divine, ils crurent posséder déjà ce qu'ils cherchaient, et ne s'occupèrent que [de] se procurer ce bonheur pour quelque temps et pour d'autres fois; car c'est l'effet de l'amour divin de Jésus: quand il entre dans une âme, il la rend insatiable. Voilà pourquoi les deux apôtres, tout préoccupés de ce désir, au lieu de répondre à la question que le Maître leur faisait, lui en faisaient une autre afin de satisfaire l'ardeur de leur désir. Mais Jésus savait mieux qu'eux ce qui se passait dans leurs âmes et les attirait de plus en plus par sa réponse.

× I,39

Dicit eis: Venite, et videte. ¦ Il leur dit: Venez et voyez. Ils

Venerunt, et viderunt ubi ¦ vinrent et ils virent où il

maneret, et apud eum ¦ demeurait, et ils demeurèrent

manserunt die illo. Hora ¦ chez lui ce jour-là. Il était

autem erat quasi decima ¦ environ la dixième heure.

× I,40

Erat autem Andreas, frater ¦ Or André, frère de Simon Pierre,

Simonis Petri, unus ex ¦ était l'un des deux qui

duobus, qui audierunt a ¦ entendirent Jean et qui suivirent

Joanne, et secuti fuerunt ¦ Jésus.

eum. ¦

La bonté de notre divin Maître, qui accorde ainsi à ceux qui sont des hommes de désir tout ce qu'ils lui demandent, et plus largement qu'ils le demandent, parce qu'il connaît mieux les désirs des coeurs que ceux qui veulent les lui exprimer. Il aurait pu dire aux Apôtres qu'il n'avait pas de demeure, ou il aurait pu la leur indiquer de vive voix; mais non, il les invite aimablement de venir avec lui et de voir par eux-mêmes. En même temps qu'il leur dit cela, il les attire dans leur intérieur par un grand attrait à le suivre et à s'attacher à lui.

C'est cette invitation qu'il fait aux âmes désireuses surtout dans le commencement, quand elles n'ont pas l'habitude d'être avec lui. Par le [mot] venez il excite leur désir, et y met une forte attraction vers lui; et par le [mot] videte il excite l'esprit et l'attire pour le connaître et le voir et par là ensuite il s'empare entièrement de la volonté, qui en jouit quand l'âme le connaît, et qui se détermine de demeurer entièrement à lui et en lui, et c'est alors que l'âme s'établit dans la perfection.

Il y a trois mouvements dans une âme qui se donne entièrement à Notre-Seigneur; et tous trois s'opèrent par sa grâce qui agit sur nos différentes puissances. Le premier, c'est cette attraction vers lui, cette recherche et ce désir qui nous y portent. Le second, c'est l'application de l'esprit pour le voir, le connaître et s'en occuper. C'est là ce qui était jusqu'à présent dans les deux disciples. Le troisième vient à la suite de ces deux, et seulement quand on le possède. La volonté en jouit et se détermine à être entièrement, définitivement à lui seul.

× I,41

Invenit hic primum fratrem ¦ Il rencontra d'abord son frère

suum Simonem, et dicit ei: ¦ Simon, et il lui dit: Nous avons

Invenimus Messiam (quod est ¦ découvert le Messie (ce qui

interpretatum Christum). ¦ signifie: le Christ).

× I,42

Et adduxit eum ad Jesum. ¦ Et il l'amena à Jésus. Et Jésus

Intuitus autem eum Jesus, ¦ l'ayant regardé lui dit: Tu es

dixit: Tu es Simon, filius ¦ Simon, fils de Jonas; tu seras

Jona: tu vocaberis Cephas, ¦ appelé Céphas, ce qui signifie

quod interpretatur Petrus. ¦ Pierre.

× I,43

In crastinum voluit exire in ¦ Le lendemain il voulut aller en

Galilaeam, et invenit ¦ Galilée et il trouva Philippe.

Philippum. Et dicit ei Jesus: ¦ Jésus lui dit: Suis-moi.

Sequere me (10) ¦

Saint André, comme cela arrive ordinairement à ceux qui ont été nouvellement attirés à Notre-Seigneur, eut de suite un désir ardent de communiquer son bonheur à ceux qui lui étaient chers. Il alla de suite trouver son frère et lui annonce qu'il a découvert le Messie. Saint Jean-Baptiste le lui a fait connaître, il a ensuite vu lui-même, il a joui de sa présence, et a goûté un grand [bonheur]. Sa foi était déjà sans doute ni hésitation, et il amène de suite son frère pour qu'il eût aussi le bonheur de le voir.

Quand Simon Pierre arrive, Notre-Seigneur le regarde d'une manière spéciale. Ce regard signifie l'élection spéciale de cet apôtre pour être le fondement de l'Eglise.

Notre-Seigneur lui dit: Tu es Simon, filius Jonas [tu es Simon, fils de Jonas]. Il l'appelle par son nom et par celui de son père, pour lui montrer que la grandeur et la puissance souveraine dont il sera revêtu n'est qu'un don de son Père céleste, et que Pierre, de sa nature et du droit de ses ancêtres, n'est rien que faiblesse et bassesse, et que les hommes n'y faisaient pas attention seulement, mais que, par la vertu divine dont Notre Seigneur le revêtira, il sera appelé pierre par la force et la stabilité qu'il recevra. Il dit vocaberis au futur parce qu'il ne reçut ce don important pour l'Eglise qu'après l'ascension de son Maître.

× I,44

Erat autem Philippus a ¦ Or, Philippe était de Bethsaïde,

Bethsaida, civitate Andreae ¦ de la ville d'André et de Pierre.

et Petri. ¦

× I,45

Invenit Philippus Nathanael, ¦ Philippe rencontre Nathanaël et

et dicit ei: Quem scripsit ¦ lui dit: Celui dont Moyse et les

Moyses in lege, et prophetae, ¦ prophètes ont écrit, nous l'avons

invenimus Jesum, filium ¦ trouvé: c'est Jésus, fils de

Joseph, a Nazareth. ¦ Joseph, de Nazareth.

Philippe eut le même zèle qu'André; il va aussitôt trouver son ami Nathanaël, que quelques-uns croient être saint Barthélemy apôtre, et lui annonce le Messie. Sa foi sur le Messie paraît avoir été alors obscure; il l'appelle fils de Joseph, et ne se doutait pas encore que c'était le Fils de Dieu; il ne voyait que l'homme en lui, mais un homme-Messie.

× I,46

Et dixit ei Nathanael: A ¦ Et Nathanaël lui dit: De

Nazareth potest aliquid boni ¦ Nazareth peut-il venir quelque

esse ? Dicit ei Philippus: ¦ chose de bon ? Philippe lui dit:

Veni, et vide. ¦ Viens et vois.

La bonne âme de Nathanaël était pleine de prévention contre les habitants de Nazareth, parce qu'il les connaissait pour être très mauvais, comme ils l'étaient en effet. Quant à Joseph et Marie, il ne les connaissait pas; ils vivaient si cachés qu'ils étaient à peine connus dans le pays. D'ailleurs les habitants de Nazareth étaient si méchants qu'ils n'étaient guère capables de discerner le grand trésor qu'ils possédaient; car l'esprit de la chair ne saurait discerner ce qui est de l'esprit de Dieu. Or, si Marie et Joseph étaient connus pour ce qu'ils étaient, ce n'eût pu être que par les habitants du pays où ils demeuraient, et ceux-ci ne les connaissant pas, ne pouvaient les faire connaître de réputation aux étrangers.

On voit dans ces paroles le coeur du bon Nathanaël, les désirs qu'il avait pour le Messie et l'estime et l'amour qu'il avait pour sa personne. Mais la parole de Philippe est bien remarquable: Viens et vois. Il a fallu que la vue et la présence de Notre-Seigneur fût un spectacle ravissant pour les bonnes âmes.

Philippe a été auprès du divin Agneau pendant très peu de temps et son âme était transportée. Il était si pénétré de la vue et de la présence de son Maître, qu'il est persuadé qu'il n'en faut pas davantage pour faire disparaître les préventions de Nathanaël, et pour lui faire croire, comme il croyait lui-même. Il ne se trompa pas. Nathanaël, quoique plein de préventions, suivit Philippe, dans le grand désir qu'il avait de voir le Messie.

× I,47

Vidit Jesus Nathanael ¦ Jésus vit venir à lui Nathanaël,

venientem ad se, et dicit de ¦ et il dit de lui: Voici vraiment

eo: Ecce verus Israelita in ¦ un Israélite, en qui il n'y a

quo dolus non est. ¦ pas d'artifice.

Quand Nathanaël fut près de Notre-Seigneur, Jésus le voyant venir à lui, dit des choses à la louange de Nathanaël. Notre-Seigneur peut louer quelqu'un en face, par qu'en même temps il donne sa grâce pour qu'on en profite et qu'on n'y perde rien. Et une parole semblable sortie de la bouche de Notre-Seigneur est moins une louange qu'une grâce, qui augmente la vertu qu'il loue dans la personne. On voit par ses paroles quelle complaisance il met dans les âmes simples. Cette vertu, en effet, est une de celles qui attirent le plus de grâce dans une âme.

× I,48

Dicit ei Nathanael: Unde me ¦ Nathanaël lui dit: D'où me

nosti ? Respondit Jesus, et ¦ connaissez-vous ? Jésus répondit

dixit ei: Priusquam te ¦ et lui dit: Avant que Philippe

Philippus vocaret, cum esses ¦ t'appelât, lorsque tu étais sous

sub ficu, vidi te. ¦ le figuier, je t'ai vu.

× I,49

Respondit ei Nathanael, et ¦ Nathanaël lui répondit et dit:

ait: Rabbi, tu es Filius Dei, ¦ Vous êtes le Fils de Dieu, vous

tu es rex Israel. ¦ êtes le roi d'Israël.

Nathanaël, toujours dans ses préventions, ne dit pas Rabbi en commençant à parler; il demanda d'où Notre-Seigneur aurait pu le connaître pour pouvoir affirmer cela. Par là il fait voir qu'il ne croyait pas encore qu'il était le Messie. Car Nathanaël n'allait pas par deux voies; s'il avait voulu savoir si c'était par esprit de prophétie qu'il le disait, il n'aurait pas pris un détour pour le demander.

Mais un petit mot de Notre-Seigneur suffit pour éclairer une bonne âme, sincère et de bonne foi, et dont les préventions venaient de sa bonté et de sa simplicité même. Dans une âme docile, une parole de Notre-Seigneur est assez pour la remplir de foi et d'amour. Notre-Seigneur, en adressant la parole à saint Nathanaël, l'accompagna de sa vertu qui la fit pénétrer jusqu'au fond de son âme. Et Nathanaël n'eut pas même l'idée de chercher un moyen par lequel Notre-Seigneur eût pu connaître que saint Philippe le trouva sous le figuier. Cela était assez pour lui; la vue de Notre-Seigneur, sa divine parole et la grâce puissante dont tout cela était accompagné éclaira son esprit et remplit son coeur.

Ces paroles vidi te [je t'ai vu] signifient d'abord la connaissance que Notre-Seigneur a de toute chose et qu'il montre à Nathanaël; en second lieu cette vue est une vue de miséricorde et de prévenance. C'est ainsi qu'au moment où nous ne pensons pas même à lui, il nous voit d'un oeil de bonté et de miséricorde, et nous prévient de sa grâce divine, pour nous disposer à nous donner à lui, quand le moment déterminé pour cela sera arrivé. Ce moment étant arrivé, il emploie des moyens conformes à ses desseins de miséricorde; il envoie Philippe, il fait venir Nathanaël, il lui parle et l'éclaire.

× I,50

Respondit Jesus, et dixit ei: ¦ Jésus répliqua et lui dit: Parce

Quia dixi tibi: Vidi te sub ¦ que je t'ai dit: Je t'ai vu sous

ficu, credis: majus his ¦ le figuier, tu crois: tu verras

videbis. ¦ de plus grandes choses.

Notre-Seigneur lui promet de plus grandes grâces et de plus grandes lumières; il lui promet que, plus tard, il verra des choses qui lui manifesteront bien davantage sa grandeur, et en même temps des lumières intérieures. Ces premières lumières étaient imparfaites, comme étaient toutes celles des Apôtres pendant que Notre-Seigneur était sur la terre; tout était pour les sens.

Nathanaël ne dit pas: Vous êtes un prophète, mais: le Fils de Dieu. Cela prouve qu'une lumière intérieure et la grâce lui ont fait voir cela à l'occasion de la parole de Notre-Seigneur, qui aurait pu être dite par un prophète.

× I,51

Et dicit ei: Amen, amen dico ¦ Et il lui dit: En vérité , je

vobis, videbitis caelum ¦ vous le dis, vous verrez le ciel

apertum, et angelos Dei ¦ ouvert et les anges monter et

ascendentes, et descendentes ¦ descendre sur le fils de l'homme.

supra Filium hominis. ¦

Vous êtes dans l'admiration de choses terrestres que vous voyez faire par le Fils de l'homme, dit Notre-Seigneur à tous les disciples quoique s'adressant à Nathanaël, vous recevrez de grandes grâces et de grandes lumières, par le moyen de ces miracles. Ici cependant ce n'est qu'une puissance sur les choses de la terre que vous voyez. Mais je vous dis en vérité que plus tard, quand le Fils de l'homme sera dans sa gloire, vous verrez sa puissance dans le ciel même. Vous verrez les Anges monter et descendre sur le Fils de l'homme (11), c'est-à-dire être dans une entière dépendance du Fils de l'homme et ne recevoir des grâces que par lui.

Il fait allusion à l'échelle de Jacob, qui signifiait l'humanité sainte. Les Anges qui montent signifient les prières, les adorations qu'ils rendent à Dieu: c'est par l'humanité sainte qu'ils le rendront, aussi bien que les hommes. Les Anges qui descendent, [cela] veut dire que toutes les grâces qui leur viennent de Dieu et leurs missions ne leur viennent que par le Fils de l'homme; c'est-à-dire tous les rapports de Dieu n'auront lieu que par la médiation du Fils de l'homme. C'est en cela que s'accomplit ce verset du psaume: Paulo minus ab angelis minorasti eum [tu l'as fait de peu moindre que les anges: Ps. 8,6], en lui donnant la nature humaine qui est moindre que la nature angélique. Cependant Gloria et honore coronasti eum, et constituisti eum super omnia opera manuum tuarum [tu l'as couronné de gloire et d'honneur, et tu l'as établi sur toutes les oeuvres de tes mains: Ps. 8,6]; les détails qui suivent sont des images des élus du ciel, des bons sur la terre, des méchants sur la terre, des Anges et de tout l'enfer même.

La raison pour laquelle Notre-Seigneur semble remettre cette connaissance après l'Ascension est

1° parce que les Apôtres n'eurent une véritable connaissance de la médiation divine et du sacerdoce divin de Notre-Seigneur et de toutes les communications des grâces, et de toute la puissance sur toute créature qui en résulte, qu'après l'Ascension, quand, à la Pentecôte, le Saint Esprit les éclaira;

2° c'est que (peut-être) les grâces communiquées aux anges ne viennent que par la vertu du mystère de l'Ascension.

La vie de Notre-Seigneur sur la terre et les mystères qui y ont été opérés semblent être pour sanctifier l'Eglise de la terre; sa vie, au contraire, du ciel, semble être principalement pour la glorification de l'Eglise céleste, comme dit saint Jean dans l'Apocalypse: la clarté de Dieu l'illumine ([la] Jérusalem céleste) et lucerna ejus est Agnus [et sa lumière c'est l'Agneau: Ap. 21,23]. Toute la lumière et la gloire divine de la Très-Sainte Trinité est renfermée dans l'Agneau adorable, et c'est le divin Agneau qui la répand dans toute la cité de Dieu. Ce n'est pas à dire que l'Ascension ne renferme pas de trésors pour l'Eglise de la terre. Tout don parfait nous vient de là, comme on voit plus loin: Expedit vobis ut ego vadam [il vaut mieux pour vous que je parte; Jo. 16,7]... etc.

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Caput IIm

[Chapitre deuxième× ]×

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× II,1

Et die tertia nuptiae factae ¦ Trois jours après il se fit des

sunt in Cana Galileae; et ¦ noces à Cana de Galilée, et la

erat mater Jesu ibi. ¦ mère de Jésus était là.

Chez les Juifs c'était une chose sainte que les noces, on y assistait par dévotion, et on faisait tout ce qu'on pouvait pour réjouir les deux époux. Cependant, il est à croire que Marie n'y assistait pas souvent, surtout en l'absence de Jésus. Elle aimait mieux rester dans les embrassements et la joie de son propre époux, le Saint-Esprit, que de s'occuper des choses extérieures si bruyantes. Mais le divin Esprit l'y conduisit, et elle, toujours parfaitement docile et soumise à sa sainte conduite, y alla sans hésiter, quoique cela ne semblait pas être sa place.

Peut-être ne savait-elle pas la fin que Dieu se proposait en l'y conduisant. Elle croyait peut-être que ce ne fut que pour sanctifier les nouveaux mariés. Tandis que c'était 1° pour honorer Marie du premier miracle de son fils, et pour que le commencement de son ministère ait lieu par l'intercession de Marie. En 2° lieu pour montrer à l'Eglise ce qu'elle a à attendre de Marie, par la figure de ce qu'elle a obtenu dans cette circonstance, c'est-à-dire, la force dans ses combats, la consolation dans ses peines, et la joie par la prospérité qu'elle lui obtient sans cesse, car, le vin est l'image de la force, de la joie et de la consolation. 3° Dieu a voulu montrer dès le commencement de l'Eglise chrétienne, qui était alors renfermée dans le petit nombre de disciples qui étaient avec Jésus, et figurée par les noces de Cana, la toute puissante intercession qu'elle a en Marie, qui fait anticiper sur le temps même destiné par la Très-Sainte Trinité, et opérer des miracles dès ce temps.

× II,2

Vocatus est autem et Jesus, ¦ Et Jésus aussi fut invité aux

et discipuli ejus ad nuptias. ¦ noces ainsi que ses disciples.

Le témoignage de Jean avait bien fait du bruit et a laissé dès lors une forte impression dans plusieurs, il leur faisait voir en Notre-Seigneur un homme extraordinaire. Comme la maison était déjà embaumée et remplie d'une joie céleste par la présence de la mère, cela faisait désirer aussi le fils avec ses disciples.

× II,3

Et deficiente vino, dicit ¦ Et le vin manquant, la mère de

Mater Jesu ad eum: Vinum non ¦ Jésus lui dit: ils n'ont pas de

habent. ¦ vin.

Le coeur de Marie est un vaste trésor, sa bouche est le canal de ce grand trésor, pour nous en faire voir quelque petite chose. Cette bouche pleine de miel, d'or et de pierres précieuses, ne s'ouvre pas bien souvent, c'est pourquoi il faut ouvrir son âme pour recevoir avec avidité chacune de ses paroles, et les bien considérer.

En ce moment Marie prie son fils. Elle prie en mère. Il faut faire bien attention à cela: depuis que Marie a dit: Ecce ancilla Domini [voici la servante du Seigneur], elle ne prie plus comme une servante, mais comme une Mère: il faut voir les yeux de Marie, quand elle regarde modestement son fils bien-aimé pour lui faire cette demande; il faut considérer son coeur et les sentiments qui s'y passent. Elle veut deux choses: elle veut que la gloire de son fils se manifeste en cette circonstance, et elle veut le bien et la consolation des convives, deux désirs ou deux volontés dignes de l'amour parfait du coeur de Marie. La charité parfaite cherche à procurer même des biens temporels, non pour ces biens qui ne sont rien, mais pour la consolation spirituelle des âmes. Elle demande avec l'amour de la mère de Dieu et avec l'autorité aussi qui convient à sa dignité de mère. Elle est omnipotens supplex [toute-puissante suppliante]: Vinum non habent [ils n'ont pas de vin].

La seconde chose qu'il faut observer: la vie de Marie est une vie de silence, tous les prodiges de son incompréhensible amour étaient renfermés au dedans. Lorsqu'il fallait parler, elle le faisait dans le moins de mots possibles; même avec son fils, elle parlait dans le silence seulement. La conversation de Jésus et de Marie n'était entendue par aucune créature terrestre, parce qu'elle était tout intérieure et n'était comprise pas même par les Anges. Elle était continuelle et qui peut concevoir les communications inénarrables de Jésus et de Marie; mais il semble que leurs paroles extérieures auraient été faciles à compter. Ici, elle est obligée de parler pour manifester ce qui est dit dans le verset premier; et elle le fait en trois mots.

En troisième lieu, Marie connaît ce grand précepte de Notre-Seigneur sur la prière: elle ne consiste pas dans la multitude des paroles [cf. Mt. 6,7]. Elle dit peu, mais son âme se répand en son fils avec son amour ordinaire.

4° Marie nous apprend en trois mots une manière admirable de prier: elle ne fait que montrer les besoins, et dans son coeur et dans ses yeux Notre-Seigneur a bien vu son désir. C'est une manière très parfaite de prier, d'ouvrir les plaies de nos coeurs devant notre très doux Maître, reposer ensuite notre âme en lui, et nous abandonner à son très grand amour et à sa très grande miséricorde, et attendre ainsi dans une contemplation d'amour l'effet de sa tendresse pour nous.

× II,4

Et dicit ei Jesus: Quid mihi, ¦ Et Jésus lui dit: Qu'importe à

et tibi est, mulier ? Nondum ¦ moi et à vous, femme ? Mon heure

venit hora mea. ¦ n'est pas encore venue.

Le terme quid mihi et tibi est employé dans l'Ecriture comme plainte, comme mécontentement ou refus. Mais il peut s'employer avec respect. La femme de Sarepta, après la mort de son fils, dit à Elie: Quid mihi et tibi, vir Dei [qu'ai-je à faire avec toi, homme de Dieu ? : 1 Rois, 17,18]; et sans doute elle lui parlait avec respect. D'après cela on peut expliquer ce texte de cette manière: les conviés, quoiqu'ils eussent la foi, ne prenaient cependant pas Jésus pour le Fils de Dieu, mais pour un homme inspiré de Dieu, comme faisait la généralité de ceux qui croyaient en lui pendant qu'il était sur la terre, et ils voyaient dans sa conduite l'homme seulement, et croyaient qu'il agissait par obéissance et par amour pour sa mère; tandis qu'en tout ce qui regardait son ministère, et même pendant tout le temps qu'il l'exerçait, il n'avait plus de rapports d'obéissance à sa mère. Tout ce qui regardait sa vie privée, pendant les premiers trente ans, erat subditus illis [il leur était soumis: Lc. 2,51], mais pour tout ce qui regardait sa vie publique, il ne recevait d'ordre que de son Père directement, et n'agissait en rien que par la détermination éternelle qui a été prise et décrétée par son Père sur toutes ses actions pour le moment et pour la manière dont elles devaient être exécutées.

C'est ce qu'il dit quand, dès son enfance, sa mère le retrouva dans le temple: Ne savez-vous pas qu'il faut que je m'occupe des choses qui regardent mon Père ? [Lc. 2,49]. C'était un ministère public. Il s'en retourna ensuite: et erat subditus illis [et il leur était soumis] parce que c'était sa vie privée. Dans un autre endroit, il manifeste la même chose, lorsque sa mère le demande pendant qu'il prêchait: Quae est mater mea et fratres ? etc... Qui fecit voluntatem Patris mei... hic mater, etc. [Qui est ma mère et mes frères ? etc... Qui fait la volonté de mon Père... celui-là est ma mère, etc.: Mt. 12,48 et 50].

Par là, on voit que, dans le ministère public, il n'avait plus de rapports à conserver avec sa mère, mais avec l'unique volonté de son Père. 2° par là non seulement il faisait ce que son Père a décrété sur lui de toute éternité, mais encore il donnait de grands exemples à tous ses apôtres et à tous les prêtres jusqu'à la fin du monde: dès qu'ils ont commencé leur ministère, ils n'ont plus ni père, ni mère, ni frères, ni soeurs. Dieu, et Dieu seul, est tout pour eux, et ils ne doivent s'occuper que de sa gloire et de l'accomplissement de sa sainte volonté.

Voilà pourquoi Jésus dit à sa mère: Quid mihi et tibi, etc... C'est comme s'il disait: Me dire, en qualité de ma mère ce que je dois commencer à opérer, cela n'entre pas dans vos apanages de Mère, parce que vous n'avez pas lu de toute éternité, comme moi, dans le sein du Père, ses décrets sur mes opérations de grâce; c'est lui qui ordonne, et c'est moi qui dois exécuter ses ordres sans intermédiaire. L'heure à laquelle je dois commencer à opérer, l'heure décrétée de toute éternité n'est pas venue encore, et les ordres de mon Père n'étant pas venus, je ne dois pas vous obéir, c'est comme si vous n'étiez pas ma mère dès qu'il s'agit de cela. - C'est pourquoi il l'appelle mulier [femme], pour montrer que ce n'est pas en qualité de mère et comme par ordre qu'elle allait être exaucée, mais comme une prière. Cette prière est toute puissante et toujours exaucée, parce que c'est une prière de la mère de Dieu: Exaudita est et ipsa (mater Dei) pro sua reverentia [elle a été exaucée, elle aussi, en raison de sa piété: cf.Heb. 5,7] - mais c'est comme grâce et non comme devoir.

Marie qui avait été amenée là et inspirée par l'Esprit-Saint son Époux, n'avait pas non plus agi comme mère et voulu demander la chose comme par devoir, mais elle demanda cela comme grâce. Et Jésus, connaissant parfaitement bien les sentiments du coeur de sa mère, puisque ce coeur adorable ne faisait qu'un avec le sien et que tous ses sentiments venaient de Jésus, Jésus connaissant cela en même temps qu'il disait ces choses, soit pour instruire sa mère (12) au commencement de son ministère, soit seulement pour donner cette leçon aux assistants, en même temps qu'il parlait de toute une autre manière à sa très sainte mère dans l'intérieur de son coeur, il lui fit concevoir tout entiers les desseins de son Père, et lui fit comprendre parfaitement qu'elle était exaucée et que son Père, eu égard à sa sainte prière et pour la grande complaisance qu'il avait pour elle, a devancé l'heure de ses miracles et de sa prédication.

Ainsi ces paroles, en apparence si dures pour Marie, montrent à cette mère du divin amour la grandeur de la dilection du Père pour elle, et la grande fonction qu'elle a à exercer dans la sainte Eglise par ses prières toutes puissantes. Elle ne commande pas au chef de l'Eglise par sa nature, mais lui commande par grâce, par le moyen de ses prières toujours exaucées.

× II,5

Dicit mater ejus ministris: ¦ Sa mère dit aux serviteurs: Tout

Quodcumque dixerit vobis, ¦ ce qu'il vous dira, faites-le.

facite. ¦

Marie, pénétrée des traits d'amour qui sortaient du Coeur de Jésus, sentant la soumission de son fils à sa prière maternelle, concevant parfaitement toute la profondeur des desseins de Dieu sur elle, et connaissant qu'elle était exaucée, dit aux serviteurs (13) de faire tout ce que son fils leur dira.

Par là elle nous montre qu'elle avait été parfaitement instruite par l'Esprit-Saint de tout ce qui devait se faire pour l'accomplissement de sa demande, et pour l'opération de ce miracle mystérieux qui devait être une figure du commencement de l'Eglise, comme on le verra plus loin, ce qui devait être fait par son intercession; car si elle ne l'avait pas su, pourquoi dit-elle cela aux serviteurs ? Jésus n'avait pas besoin qu'on lui aidât en cela; il était plus naturel qu'il multipliât la petite goutte de vin qui resta, comme fit Elisée sur l'huile [2 Rois 4,2 ss.], ou qu'il en produisît dans les pots sans autre secours; mais il y avait un mystère à accomplir, et Marie en était profondément instruite: c'est pourquoi elle recommande qu'on exécute exactement ce que son fils allait dire.

Elle nous apprend encore qu'il faut être fidèle et exact à accomplir tous les ordres de son fils pour obtenir de lui de grandes grâces.

Nous voyons par cette manière d'agir de Marie combien elle était respectée par ceux de la noce, comme on l'écoute, comme on fait ce qu'elle dit, et elle semble y agir presque en Maîtresse. Cette noce représente l'Eglise de Jésus-Christ, où les âmes sont épousées par le divin Esprit. C'est Marie qui prie et obtient la force, la joie et la consolation à ceux qui sont ainsi admis à cette sainte noce; d'un autre côté, elle procure la joie du divin Époux par la fidélité qu'elle inspire à toutes ses volontés. Les enfants de l'Eglise ont un profond respect pour elle et la regardent comme leur Maîtresse et leur Bienfaitrice.

× II,6

Erant autem ibi lapideae ¦ Or il y avait là six vases de

hydriae sex positae secundum ¦ pierre préparés pour la

purificationem Judaeorum, ¦ purification des Juifs, contenant

capientes singulae metretas ¦ chacun deux à trois mesures.

binas vel ternas. ¦

× II,7

Dicit eis Jesus: [Implete] ¦ Jésus leur dit: Remplissez ces

hydrias aqua. Et impleverunt ¦ vases d'eau. Et ils les

eas usque ad summum. ¦ emplirent jusqu'à leur plénitude.

× II,8

Et dicit eis Jesus: Haurite ¦ Et Jésus leur dit: Puisez

nunc et ferte architriclino. ¦ maintenant et portez au maître

Et tulerunt. ¦ du festin. Et ils en portèrent.

× II,9

Ut autem gustavit ¦ Or dès que le maître du festin

architriclinus aquam vinum ¦ eut goûté l'eau changé en vin,

factam, et non sciebat unde ¦ - et il ne savait pas d'où elle

esset, ministri autem ¦ venait, mais les serviteurs le

sciebant qui hauserant aquam, ¦ savaient qui avaient puisé l'eau

vocat sponsum architriclinus. ¦ - le maître du festin appelle

¦ l'époux.

× II,10

et dicit ei: omnis homo ¦ et lui dit: Tout homme sert

primum bonum vinum ponit; et ¦ d'abord le bon vin, et quand on

quum inebriati fuerint, tunc ¦ est gai, alors le moins bon; mais

id quod deterius est: tu ¦ toi tu as gardé le bon vin

autem servasti bonum vinum ¦ jusqu'à maintenant.

usque adhuc. ¦

Ces vases ou ces fosses représentaient l'ancienne loi. Ils étaient au nombre de six. C'est le nombre des jours de la semaine qui représente l'ancienne loi, qui était une loi de travail et qui devait précéder le jour de repos de la nouvelle loi, qui est un jour seulement pour manifester qu'il n'y aura plus de changement jusqu'à la fin du monde, ce qui est représenté par l'unité. L'unité représente aussi la perfection de cette loi nouvelle.

Ces vases contenaient deux à trois mesures: c'était une mesure incomplète et à peu près. Cela signifiait l'imperfection de cette loi, l'incertitude et le peu de plénitude.

Ces vases étaient vides, parce que la loi n'était presque plus observée du temps où Notre-Seigneur arriva dans ce monde. Notre-Seigneur les fit remplir parce qu'il est venu pour l'accomplir et il s'y est soumis de la manière la plus parfaite, conformant la moindre de ses actions à ce qui est écrit: sicut scriptum est [comme il est écrit], dit-on souvent dans l'Evangile, ou: ut scriptura impleretur [pour que s'accomplît l'Ecriture]. Aussi les ministres, au nom de Notre-Seigneur, remplirent-ils jusqu'à leur plénitude ces vases vides.

Cela signifie encore que la loi par elle-même était vide, et elle tira toute sa plénitude de Notre-Seigneur, et qu'on ne pouvait l'observer même que par sa grâce et son soutien. C'est pourquoi il a fallu qu'il ordonnât lui-même qu'on remplît ces vases. Il ne les remplit pas par lui-même mais par ses ministres, parce que l'ancienne loi et toutes les grâces que Notre [Seigneur] y accorda ne furent données que par le moyen et l'intermédiaire des Anges. Il y fit mettre de l'eau pour montrer quelle était la substance de l'ancienne loi, faiblesse et nullité. Tout le bien qui y était ne venait pas d'elle, elle n'avait que de l'eau.

Jésus changea ensuite cette eau en vin, cette eau de la loi ancienne fut changée dans le vin de la loi nouvelle, dans la loi de la grâce qui est substantielle et possède en elle toutes les qualités que représente le vin. - Ce vin était incomparablement meilleur que le premier qu'on avait servi. Les grâces qui étaient communiquées dans la loi ancienne ne venaient pas de la loi, mais de Notre-Seigneur; c'était du vin, mais du vin médiocre en comparaison de celui de la loi de grâce. Cela représente la grande supériorité des grâces communiquées dans la loi nouvelle, sur celles communiquées du temps de la loi ancienne.

× II,11

Hoc fecit initium signorum ¦ Tel fut le premier des miracles,

Jesus in Cana Galilaeae: et ¦ que Jésus fit à Cana de Galilée;

manifestavit gloriam suam; et ¦ et il manifesta sa gloire; et ses

crediderunt in eum discipuli ¦ disciples crurent en lui.

ejus. ¦

Ce signe devait être le premier. Au commencement de son ministère, le miracle sensible qu'il fait devait être un signe et une signification des miracles insensibles qu'il devait faire dans tout le cours de son ministère et pendant tout le temps que le monde existera. Et c'est ainsi qu'il manifeste sa gloire en toute manière. Il manifeste sa puissance par le miracle, et la gloire qu'il aura dans l'Eglise par ce signe.

× II,12

Post hoc descendit Capharnaum ¦ Après cela il descendit à

ipse, et mater ejus, et ¦ Capharnaüm, lui-même, sa mère,

fratres ejus, et discipuli ¦ ses frères et ses disciples; et

ejus; et ibi manserunt non ¦ ils y demeurèrent peu de jours.

multis diebus. ¦

Capharnaüm signifie ville de consolation, parce que c'est dans cette ville que la consolation d'Israël a commencé à paraître avec éclat. Elle était située dans les terres de Zabulon et de Nephtali, sur le bord de la mer de Galilée. Ce pays était dans de grandes ténèbres et dans une grande ignorance et occupé uniquement des choses de ce monde. C'est là que le Père a déterminé de toute éternité que sa grande lumière devait paraître, et il l'a fait annoncer par son prophète de consolation (Isaïe) [Is. 9,1]. Voilà pourquoi Notre-Seigneur y conduit sa mère et ses frères pour y établir sa demeure; afin de jeter dans cet endroit un grand éclat de sa divine lumière. Car quoique Jésus était toujours à parcourir la Judée et la Galilée, cela n'empêchait pas qu'il revînt souvent à Capharnaüm auprès de sa mère. Et quoiqu'il n'y restât jamais beaucoup de temps, il y était cependant plus fréquemment que dans aucun autre endroit de la Judée et de la Galilée.

Une autre raison pour laquelle il a fait sa demeure à Capharnaüm est que, voulant quitter sa mère pour s'occuper de son grand ministère, il a voulu la retirer du pays mauvais de Nazareth, où il avait peu d'élus, afin de lui faire rendre l'honneur et le respect qui étaient dûs à la mère de Dieu; et comme c'était à Capharnaüm qu'il devait jeter un si grand éclat par des miracles et sa prédication, c'était l'endroit où sa mère devait être la plus honorée. Là on peut admirer le soin et le désir qu'il a de faire honorer sa mère.

Ainsi, sa mère et ses frères le suivent à Capharnaüm, parce qu'ils devaient y établir leur demeure, et ses disciples, parce que leur maître devait répandre là de grandes lumières.

Mais il n'y resta pas longtemps, parce que la volonté de son Père l'appela ailleurs pour observer la loi et pour faire son ministère.

× II,13

Et prope erat Pascha ¦ Et la Pâque des Juifs était

Judaeorum, et ascendit Jesus ¦ proche, et Jésus monta à

jerosolymam. ¦ Jérusalem (14).

× II,14

Et invenit in templo ¦ Et il trouva dans le temple des

vendentes boves, et oves, et ¦ vendeurs de boeufs, de brebis et

columbas, et numularios ¦ de colombes, et des changeurs qui

sedentes. ¦ siégeaient.

× II,15

Et cum fecisset quasi ¦ Et ayant fait comme un fouet avec

flagellum de funiculis, omnes ¦ des cordes, il les chassa tous du

ejecit de templo, oves quoque ¦ temple, ainsi que les brebis et

et boves, et numulariorum ¦ les boeufs, et il répandit

effudit aes, et mensas ¦ l'argent des changeurs, et

subvertit. ¦ renversa leurs tables

× II,16

Et his, qui columbas ¦ Et à ceux qui vendaient des

vendebant, dixit: Auferte ¦ colombes il dit: Emportez tout

ista hinc, et nolite facere ¦ cela d'ici et ne faites pas de la

domum Patris mei domum ¦ maison de mon père une maison de

negotiationis. ¦ commerce

× II,17

Recordati sunt vero discipuli ¦ Or ses disciples se rappelèrent

ejus, quia scriptum est: ¦ qu'il est écrit: Le zèle de ta

Zelus domus tuae comedit me. ¦ maison me dévore: Ps. 68,10.

Le zèle des pharisiens n'était pas pur, c'est pourquoi ils s'animaient contre des choses de peu d'importance, et ils laissaient faire des choses qu'ils devaient reprendre. Le temple de Dieu était devenu comme un endroit destiné au commerce, et les pharisiens se taisent. Mais Notre [Seigneur], rempli d'un vrai amour de la gloire de son Père, était dévoré du zèle de sa maison et ne put souffrir cet abus. Il déploya pour cela sa puissance. C'est une chose admirable à voir, que des gens qui n'avaient pas de foi en Notre-Seigneur, qui ne le connaissaient pas même, se laissassent ainsi chasser d'un endroit où depuis de longues années il faisaient ce commerce, sans que jamais l'autorité publique les en eût empêchés. C'étaient cependant des gens grossiers qui par cette action étaient dérangés dans le gain qu'ils espéraient faire, et qui voyaient arriver un Galiléen qui à leurs yeux ne devait avoir aucun pouvoir pour cela, et ils obéissent sans oser résister, à un seul homme qui les chasse ainsi tous.

Ils en étaient étonnés, et lui disaient bien: Par quelle autorité faites-vous cela ? [cf. Mc 11,28]. Mais tout en disant cela ils se retiraient. C'est que la puissance divine qui leur était cachée agissait sur eux et ils étaient obligés d'obéir malgré qu'ils en eussent la volonté opposée. C'est ce qui faisait leur étonnement: ils sentaient une autorité dont ils ne pouvaient se rendre compte.

Mais pourquoi Notre-Seigneur a-t-il attendu si longtemps pour abolir cet abus ? Tous les ans, il allait avec sa mère à Jérusalem depuis toute son enfance, il avait dès le premier moment de sa vie sur la terre la même lumière, le même zèle et la même puissance; que ne les a-t-il employés dès lors ? Pendant le temps de sa vie cachée, il a voulu rester caché et n'a voulu ni dû agir en public pour faire des oeuvres de zèle qu'au moment de sa vie publique; alors, dès le commencement, il s'oppose au désordre. Il nous montre par là qu'il ne faut entreprendre de corriger les désordres que lorsqu'on a autorité pour cela ou que le Saint-Esprit l'inspire; autrement il faut se tenir tranquille et souffrir quelquefois le péché et les autres maux, en se contentant d'en gémir devant Dieu, et le prier qu'il y remédie.

× II,18

Responderunt ergo Judaei et ¦ Les Juifs lui répondirent donc et

dixerunt ei: Quod signum ¦ lui dirent: Quel signe nous

ostendis nobis quia haec ¦ montres-tu que tu peux faire ces

facis ? ¦ choses ?

× II,19

Respondit Jesus et dicit eis: ¦ Jésus répondit et leur dit:

Solvite templum hoc, et in ¦ Détruisez ce temple et je le

tribus diebus excitabo illud. ¦ rebâtirai en trois jours.

× II,20

Dixerunt ei Judaei: ¦ Les juifs lui dirent donc: On a

Quadraginta et sex annis ¦ mis quarante-six ans pour bâtir

aedificatum est templum hoc, ¦ ce temple, et toi tu le relèveras

et tu in tribus excitabis ¦ en trois jours ?

illud ? ¦

× II,21

Ille autem dicebat de templo ¦ Mais lui parlait du temple de son

corporis sui. ¦ corps.

× II,22

Cum ergo resurrexisset a ¦ Lors donc qu'il fut ressuscité

mortuis, recordati sunt ¦ des morts, les disciples se

discipuli ejus quia hoc ¦ rappelèrent qu'il avait dit cela,

dicebat, et crediderunt ¦ et ils crurent à l'Ecriture et à

Scripturae, et sermoni quem ¦ la parole qu'avait dite Jésus.

dixit Jesus. ¦

Cette puissance avec laquelle Notre-Seigneur agissait sur eux pour leur faire faire la volonté de son Père était une grande grâce et un grand miracle. L'effet qu'ils expérimentaient en ce moment devait les toucher et les rendre plus dociles. Mais cela ne leur suffit pas, ils étaient si grossiers et si charnels que les effets spirituels qui n'agissaient que sur leurs âmes n'étaient rien pour eux, ils auront voulu avoir un prodige extérieur pour leurs yeux avant de croire. De plus cette excessive curiosité qu'ils avaient pour voir opérer un miracle était la principale cause pour laquelle ils demandaient des signes, mais non pas le désir de croire et d'être fidèles. Ce désir de voir des miracles venait aussi en partie d'un amour-propre fondé sur la gloire de la nation. Ils étaient glorieux d'avoir eu des prophètes et des hommes à miracles non pour la gloire de Dieu mais pour la gloire des hommes. Ils étaient glorieux aussi de leur Messie futur, il y avait longtemps qu'il n'y avait plus eu de prophètes parmi eux et ils étaient contents d'en voir un qui faisait des miracles.

Toutes ces dispositions étaient mauvaises, et loin de les rendre fidèles et véritablement attachés à Notre-Seigneur, cela ne produisait en eux que des satisfactions et des admirations passagères, et les fit finir enfin de la manière la plus malheureuse.

Aussi Notre-Seigneur loin de favoriser cette mauvaise curiosité faisait tout le contraire; et toutes les fois qu'on était avide de voir un miracle, il les renvoyait au grand miracle, qui est celui qui le fit triompher de leur malice. Jamais il n'en accordait à ceux qui en demandaient pour s'amuser et qui dans l'intérieur étaient infidèles et vides de foi. Mais au contraire jamais il n'en refusait à ceux qui avaient cette foi et qui demandaient avec les bonnes dispositions.

La raison pour laquelle il renvoie toujours les curieux au miracle de sa résurrection, est parce que c'est celui qui devait enfin être comme un aimant destiné à attirer les élus, et comme une pierre d'achoppement pour perdre les incrédules.

× II,23

Cum autem esset Jerosolymis ¦ Or pendant qu'il était à

in Pascha in die festo, multi ¦ Jérusalem pour la Pâque, au jour

crediderunt in nomine ejus, ¦ de la fête, beaucoup crurent en

videntes signa ejus, quae ¦ son nom en voyant les miracles

faciebat. ¦ qu'il faisait.

Cette foi que la multitude avait était une foi faible, une foi presque humaine et imaginaire. Il y avait longtemps qu'ils attendaient leur Messie et voilà que Notre-Seigneur se présente faisant une multitude de miracles et grands miracles; ils en sont frappés d'étonnement et de joie, eux qui étaient si curieux de miracles. Ils s'animent et le proclament avec chaleur comme étant le Messie promis. Mais ce feu n'était guère solide, et peu fondé sur la grâce de Dieu comme cela était dans les bons Israélites, mais sur une gloire imaginaire de la nation, et sur leur délivrance de l'oppression des Romains. Ils n'étaient pas attachés à Notre-Seigneur, mais ils criaient merveille et le regardaient comme le Messie. C'est pourquoi on dit: Et crediderunt in nomine ejus [et ils crurent en son nom]. Leur satisfaction ne se fixait pas sur Notre-Seigneur comme dans le Messie, mais sur le vain contentement imaginaire de voir faire de grands miracles et d'avoir enfin le Messie.

× II,24

Ipse autem Jesus non credebat ¦ Mais Jésus ne se fiait pas à eux,

semetipsum eis, eo quod ipse ¦ parce qu'il les connaissait tous,

nosset omnes. ¦

× II,25

Et quia opus ei non erat ut ¦ et il n'avait pas besoin qu'on

quis testimonium perhiberet ¦ lui rendît témoignage d'un homme,

de homine: ipse enim sciebat ¦ car il savait lui-même ce qu'il

quid esset in homine. ¦ y avait dans un homme.

Mais Jésus connaissait tout ce qui se passait dans chacun, il savait le fond qu'il devait faire des sentiments de chacun d'eux. Il n'avait pas besoin qu'on lui rendît témoignage des dispositions d'un homme, puisqu'il pénétrait jusqu'au plus secret des coeurs et le connaissait mieux que chacun le savait en soi-même. Tout le bien qui était dans chacun venait de lui seul, et par conséquent il savait ce qui était dans chacun; il savait aussi ce que chacun deviendra, s'il persévèrera dans ces sentiments, et les variations auxquelles chacun se laissera aller pour ces dispositions intérieures.

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Caput IIIm

[Chapitre troisième× ]×

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× III,1

Erat autem homo ex ¦ Or il y avait un homme du nombre

pharisaeis, Nicodemus nomine, ¦ des pharisiens, nommé Nicodème,

princeps Judaeorum. ¦ un des chefs des Juifs.

Nicodème était un des chefs de la synagogue et par conséquent versé dans la science de la loi. Il était pharisien et par conséquent observateur strict de la loi dans sa pureté (selon les idées qu'ils en avaient) et grand zélateur. Mais c'était un homme véritablement pieux et sincère, et il était plus humbles que les pharisiens d'alors ne l'étaient communément.

× III,2

Hic venit ad Jesum nocte, et ¦ Cet homme vint à Jésus de nuit et

dixit ei: [Rabbi], scimus ¦ lui dit: Rabbi, nous savons que

quia a Deo veniste magister: ¦ vous êtes venu de Dieu pour

nemo enim potest haec signa ¦ enseigner; car nul ne peut faire

facere quae tu facis, nisi ¦ les prodiges que vous faites, à

fuerit Deus cum eo. ¦ moins que Dieu ne soit avec lui.

Etant dans de bonnes dispositions, et désirant sincèrement voir la gloire du Messie, il se prêtait aux mouvements de la grâce et la foi était entrée dans son âme. Les pharisiens ordinaires auraient voulu que Notre-Seigneur leur fît la cour et les louât beaucoup, et ne pouvaient souffrir qu'on s'élevât au-dessus d'eux et les reprît de leurs défauts détestables. Mais Nicodème avec la sincérité de son âme, reconnut l'Envoyé de Dieu dans la personne de Notre-Seigneur et ne crut pas s'abaisser en venant le voir, quoiqu'il fût prince du peuple et plus élevé que les autres pharisiens.

Cependant, quand on considère les commencements de la conversion de Nicodème et le commencement de celle des autres disciples, on verra une différence très grande. Ceux-ci sont incomparablement au-dessus de Nicodème. On verra dans leur venue vers Notre-Seigneur beaucoup plus de courage et moins d'hésitation; dans leurs esprits beaucoup plus de lumières, quoique Nicodème fut instruit dans la loi et les prophètes et qu'ils ne le fussent pas; et dans leurs paroles, beaucoup moins de réserve. La raison en est que Nicodème était à la tête du peuple, il était pharisien et il était docteur de la loi. Cette triple raison a été cause qu'il craignait de se compromettre en paraissant approuver Notre-Seigneur en public. Son état de pharisien faisait aussi qu'il craignait les autres pharisiens; il était prince du peuple et ne voulait pas avoir l'air d'embrasser cette cause avec ardeur comme faisait le peuple. Ses hésitations et son obscurité venaient aussi de là, soit de la crainte de paraître, soit par la crainte de se tromper.

La crainte de se tromper peut avoir deux fondements: celle qui est fondée sur la crainte d'offenser Dieu en tombant dans une erreur qui lui est désagréable et qui pourrait avoir de mauvaises suites. Celle-ci est bonne. - En second lieu celle qui est fondée sur la crainte de déplaire aux hommes et de perdre quelque chose dans leur estime: cette dernière provient de l'amour-propre et est assez commune parmi les hommes qui ont un certain rang ou qui sont savants; c'était aussi celle de Nicodème.

Ordinairement on se fait illusion, on se trouve toutes sortes de raisons pour justifier la conduite qu'on tient et qui est tout simplement fondée sur l'amour-propre. La grâce a beaucoup de peine à triompher de ces âmes, et malgré les grâces les plus signalées, elles ne font les choses que très imparfaitement, tandis que pour des âmes simples comme celle de Nathanaël par exemple, elle ne pensent pas si loin, elles (15) ne s'inquiètent pas de ce que les hommes pourraient penser de leur conduite; elles vont droit à Dieu, et suivent avec simplicité et fidélité le mouvement que Dieu leur donne. Aussi Nathanaël fut-il comblé des plus grandes grâces dès le premier moment, et reçut-il de grandes lumières.

Quand à la science, il faut savoir qu'il y a deux genres de science de Dieu. La première est celle qui s'acquiert par l'Esprit de Notre-Seigneur dans l'oraison, les prières et les mortifications; ou celle que Dieu donne par inspiration extraordinaire. Cette science est bonne dans tout son entier; elle éclaire l'âme jusque dans son intime, la porte à Dieu, donne la chaleur de l'amour et la force pour être fidèle à Dieu.

- La seconde est celle qui s'acquiert par le travail de l'esprit humain. Supposé que l'objet de cette science soit des choses saintes, l'intention avec laquelle on travaille pour l'acquérir est plus ou moins sainte, souvent cependant bien mélangée de toutes sortes d'intentions mauvaises et presque toujours d'amour-propre; mais, comme le travail par lequel on l'acquiert est purement humain, cela, joint aux mauvaises dispositions qui s'y mêlent, fait que cette science enfle le coeur, attache à soi, rend l'amour-propre plus fort et plus enraciné; et par là rend l'âme plus faible dans le bien, timide à l'embrasser et à le suivre, et lui donne les défauts et imperfections multipliés de la prudence humaine qui cherche toujours à se ménager soi-même sous des prétextes illusoires de la gloire de Dieu; et enfin rend l'âme moins susceptible de recevoir les lumières et les grâces de Dieu, selon le plus ou moins d'amour-propre et de ces autres imperfections dont elle est accompagnée. Perdam sapientiam sapientium, et prudentiam prudentium reprobabo [Is. 29,14: I Co. 1,19]

La science de la loi de Nicodème était dans ce second genre; seulement elle avait un peu de ces défauts, mais cependant les bonnes intentions étaient plus grandes. Voilà pourquoi il s'approcha de Notre-Seigneur, mais avec précaution, et voilà pourquoi il eut quelques connaissances sur son adorable personne, mais de médiocres.

Il appelle Notre-Seigneur Rabbi [Maître], quoiqu'il passât pour fils de Joseph de Nazareth; c'est une preuve de ses bonnes dispositions.

Nicodème dit à Notre-Seigneur qu'il était envoyé de Dieu pour enseigner les autres: magister. Il a dû penser qu'il était le Messie, puisque dans ce temps on n'attendait que le Messie, et que les pharisiens avaient cette idée de saint Jean-Baptiste. Il a dû connaître d'ailleurs la réponse de saint Jean et son témoignage sur Jésus. Cependant il ne dit pas cela à Notre-Seigneur. En cela on reconnaît la réserve d'un homme qui use de prudence pour ne pas s'avancer trop. Il dit quelque chose mais il n'ose pas dire tout. Il dit magister à cause de la beauté admirable de sa doctrine.

On voit encore, par ce qu'il dit, qu'il n'avait pas sur la personne de Notre-Seigneur une connaissance claire comme celle de Nathanaël qui dit: Tu es Filius Dei [vous êtes le Fils de Dieu]. Tout ce qu'il sait est fondé sur des faits: il faut que Dieu soit avec un homme qui fait de si grands miracles. Nathanaël fut touché aussi par un fait miraculeux; ce fait le frappe mais il quitte aussitôt le miracle, il n'en parle pas même et les paroles qu'il dit annoncent au contraire un esprit fixé vers Notre-Seigneur et éclairé sur sa personne de lumières surnaturelles: Tu es Filius Dei, etc... Mais Nicodème raisonne et tire des conclusions qui s'ensuivent rigoureusement des faits; il ne va pas plus loin et son esprit est plus fixé et plus éclairé sur son argument que sur la personne de Notre-Seigneur directement.

× III,3

Respondit Jesus et dixit ei: ¦ Jésus répondit et lui dit: En

Amen, amen dico tibi: nisi ¦ vérité, en vérité je vous le dis:

quis renatus fuerit denuo, ¦ si quelqu'un ne renaît pas, il

non potest videre regnum Dei. ¦ ne peut voir le royaume de Dieu.

Nicodème, quoiqu'encore imparfait dans sa foi et dans sa conduite, avait cependant de bons désirs; il est venu pour s'instruire sur la personne de Notre-Seigneur et sur sa doctrine. Il avait encore des idées humaines et grossières des choses de Dieu, et n'avait pas encore renoncé au monde et à son amour-propre et c'était là le grand obstacle à son avancement dans la foi et dans la connaissance des mystères de Dieu. Science humaine et attache à soi et aux créatures. Tout cela était l'ancien homme qui vivait encore, l'homme naturel. Notre bon Sauveur le reçoit cependant avec bonté, quoiqu'il le voie venir avec tant d'imperfection; il lui donne toutes les instructions dont il est capable et répond avec bonté à toutes ses questions. O Jésus, quel amour vous avez pour de pauvres gens comme nous sommes ! Je suis ignorant et plein d'imperfections et de défauts comme Nicodème l'était alors. Recevez-moi aussi avec cette bonté ravissante, et instruisez-moi aussi, s'il vous plaît !

Le royaume de Dieu dont parle Notre-Seigneur signifie son règne parfait, dans les âmes du ciel, par sa gloire; son règne sur les âmes vivantes dans son Eglise de la terre, par sa grâce. Dans l'un et l'autre royaume Dieu règne d'abord en Notre-Seigneur Jésus-Christ et par lui sur les âmes; et la première connaissance à acquérir du règne de Dieu dans les âmes de la terre même, c'est celle du règne de Dieu dans son Fils afin que, de là, on puisse recevoir l'extension de ce règne dans les âmes qui sont unies à ce chef adorable; le royaume de Dieu réside tout entier dans son Fils, et nous n'y avons part que par adoption et par une grâce que nous recevons de ce Fils bien-aimé. Or le royaume de Dieu dans son Fils et par lui dans l'Eglise ne peut se connaître véritablement que par la foi vivante et animée de l'Esprit-Saint et en aucune façon par des recherches humaines, comme le dit saint Paul: les choses de Dieu ne peuvent se connaître que par l'Esprit de Dieu, qui non seulement nous fait connaître son règne dans son Eglise et ses rapports avec les hommes, mais même les profondeurs de la Divinité [cf. 1 Cor. 2,10-11].

C'est ce que Notre-Seigneur dit à Nicodème: qu'il faut renaître pour voir le Royaume de Dieu. Il est à remarquer que Notre-Seigneur dit: videre [voir]. On ne peut pas même le concevoir et en acquérir cette connaissance véritable et intime, sans qu'on soit rené une autre fois. On a en soi sa première naissance qu'on a reçue d'Adam; naissance naturelle, qui donne des goûts, des penchants, des lumières et une vie naturelle, mais cette nature ne peut pas concevoir le règne de Dieu dans les âmes et dans son Fils, elle le peut d'autant moins qu'elle est corrompue par le péché, il faut renaître, prendre une vie spirituelle et surnaturelle pour connaître et concevoir les choses divines et surnaturelles. Cette seconde naissance est spirituelle et surnaturelle; elle donne une vie, des goûts, des penchants et des lumières surnaturelles.

× III,4

Dicit ad eum Nicodemus: ¦ Nicodème lui dit: Comment un

Quomodo potest homo nasci, ¦ homme peut-il renaître quand il

cum sit senex ? Numquid ¦ est vieux ? Peut-il rentrer dans

potest in ventrem matris suae ¦ le sein de sa mère et renaître ?

iterato introire, et renasci? ¦

Nicodème comprit bien un peu pourquoi Notre-Seigneur lui dit qu'on ne peut connaître le royaume de Dieu tant qu'on était dans la vieille nature corrompue que nous tenons d'Adam par notre naissance. Car il a dû connaître que nous sommes nés dans le péché; mais il était dans l'erreur de tous les autres Juifs qui croyaient que les oeuvres de la loi justifiaient - ce qui était fort commode parce qu'on suivait tous les désirs naturels de son coeur, en pratiquant les oeuvres extérieures voulues par la loi.

Il semble même avoir compris qu'il faudrait abandonner ses désirs ou penchants naturels et que c'était là ce que Notre-Seigneur voulait dire quand il donnait à entendre que l'ancienne naissance empêche de voir le royaume de Dieu, mais, n'ayant aucune idée de l'action intérieure de l'Esprit-Saint dans les âmes, il ne pouvait se former une idée de cette renaissance. Il a peut-être compris que cette renaissance était pour nous donner une autre vie et d'autres penchants; mais il ne pouvait concevoir comment cela se ferait. Je ne puis rentrer dans le sein de ma mère, dit-il, pour y reprendre une autre nature; à ma première naissance j'ai mal réussi, j'ai reçu une nature corrompue, je suis sorti informe du ventre de ma mère, et comment puis-je rentrer pour y prendre une meilleure forme afin de renaître, après, tout autre que je suis maintenant et capable de voir le royaume de Dieu ?

- Cet argument était très juste pour un homme qui n'a aucune idée de la vie spirituelle et de la puissance de Dieu. Il croyait bien que Notre-Seigneur avait raison en ce qu'il disait et qu'il voulait dire quelque chose de très sage: aussi ne fut-il pas scandalisé d'une réponse qui lui paraissait si singulière et qui causait sa grande surprise. Par là on peut voir que la grâce touchait véritablement cette âme et la confirmait dans ses bonnes dispositions. Car, où trouverait-on un docteur savant et respecté par son peuple, un docteur qui en même temps est prince et grand du monde, en trouverait-on qui ne se scandalisât et qui ne méprisât des paroles dont il ne pourrait se former aucune idée et qui lui paraîtraient si singulières ?

× III,5

Respondit Jesus: Amen, amen ¦ Jésus répondit: En vérité, en

dico tibi, nisi quis renatus ¦ vérité je vous le dis, à moins

fuerit ex aqua et Spiritu ¦ que quelqu'un ne soit rené de

Sancto, non potest introire ¦ l'eau et de l'Esprit-Saint, il ne

in regnum Dei. ¦ peut pas entrer dans le royaume

¦ de Dieu.

Notre-Seigneur, avec cette bonté infinie, eu égard à la faiblesse de Nicodème et à son ignorance, lui répond à tout ce qu'il dit et à tout ce qui se passe en lui. Il commence par lui expliquer ce que c'était que la renaissance dont il a parlé. C'est pourquoi il reprend sa même phrase en s'expliquant davantage et en ajoutant une instruction de plus. Il faut que notre âme renaisse de l'eau et de l'Esprit-Saint.

L'eau est la figure, et l'Esprit-Saint est la réalité. Cette renaissance spirituelle se fait de même et produit les mêmes choses que notre naissance corporelle. Dans celle-ci, nous sommes d'abord dans le sein de notre mère comme dans une prison, nous y sommes liés et garrottés ne pouvant faire aucun mouvement vital, quoique nous y ayons l'existence et la vie; nous y sommes nuls pour le monde où nous devons bientôt entrer. Nous sommes de même dans la seconde: avant d'être née, notre âme est dans la prison du péché, elle est liée et garrottée, et ne peut faire par elle-même aucun mouvement vital, quoiqu'elle ait l'existence et la vie naturelle. Elle se porte vers les objets, son intelligence les conçoit et sa volonté les embrasse, toutes ces trois puissances restent dans leur entier. De plus nous sommes nuls dans le règne de Dieu, qui est ce monde nouveau et inconnu pour nous.

Le contraire de tout cela arrive quand nous venons au monde; il en est de même de notre nouvelle naissance spirituelle.

Non potest introire [il ne peut pas entrer]. Ici Notre-Seigneur dit plus que dans le verset 3° ; c'est cependant la même chose. Car il est impossible de voir le royaume de Dieu sans y entrer. Car pour le voir il faut avoir l'Esprit-Saint en soi puisque ce n'est qu'en sa lumière qu'on puisse le voir; or dès qu'on a en soi le divin Esprit on est dans le Royaume de Dieu. Mais sans ce divin Esprit il est impossible d'y entrer. Car cette naissance se fait par l'Esprit-Saint. Nous étions morts avant le baptême, nous n'avions en nos âmes aucune vie, car toute vie est en Dieu, qui a seul la vie en lui, comme il est dit dans le premier chapitre, et avant notre baptême Dieu n'est pas en notre âme d'une manière vivante, c'est-à-dire qu'il n'est pas en notre âme ce que celle-ci est dans notre corps; il n'y est pas le principe de ses tendances, de ses vues et conceptions, ni de son amour, elle agit indépendamment de Dieu, ne le consulte en rien, n'en reçoit pas l'influence dans tous ses mouvements pour les suivre, elle suit ses propres influences. Mais après notre baptême l'Esprit-Saint habite en nous d'une manière vivante et vivifiante, il y est pour devenir en nous le principe de tous les mouvements de nos âmes, il devient comme l'âme de notre âme. Il dépend de nous de nous laisser impressionner et influencer par lui et de suivre plus ou moins ses saintes impressions, selon le plus ou moins de grâces qui est en nous et selon le plus ou moins de bonnes dispositions que nous avons. Plus l'Esprit-Saint devient le principe des mouvements de notre âme, et plus il influe dans ses sentiments et dispositions et en est suivi, plus aussi sa vie est parfaite en nous et plus nous sommes saints.

Que si après le baptême nous sortons de cette divine influence du Saint-Esprit par l'état de péché mortel, alors notre âme redevient morte, parce que son âme qui est l'Esprit-Saint n'y est plus et ne lui communique plus la vie. C'est pourquoi on appelle la damnation mort éternelle parce que les âmes dans ce malheureux état n'ont plus la divine âme qui devait les animer d'une manière si admirable, et cela sera ainsi éternellement. Quel malheur !

Notre divin Maître emploie ici un terme différent pour donner deux instructions qui n'en font qu'une. Sans l'eau et le Saint Esprit on ne peut pas entrer dans le royaume de Dieu sur la terre, c'est-à-dire dans l'Eglise, ni dans le royaume de Dieu au ciel, c'est-à-dire dans la gloire. Ces deux choses n'en font qu'une: le règne de Dieu dans les âmes est un seul et même règne. Celui qui meurt dans son règne sur la terre, c'est-à-dire s'il meurt Dieu ayant régné sur lui sur la terre, il entrera dans son règne du ciel; et s'il meurt hors de son règne sur la terre dans le même sens, il ne sera pas dans son règne dans le ciel. L'âme étant morte n'ayant pas l'Esprit-Saint en elle ne peut plus l'acquérir, et ne pouvant pas l'acquérir elle reste morte toujours et ne saurait avoir le règne de Dieu en elle.

La seule différence qu'il y a entre ces deux règnes de Dieu c'est que celui de la terre est imparfait: quand on y est né, on y peut encore mourir, et étant mort on reste cependant dans l'enceinte de ce royaume. Quoique dans le fond l'âme n'a pas réellement le règne de Dieu en elle, elle conserve toujours la marque et le caractère de ceux qui appartiennent à Dieu dans son royaume de la terre.

Le royaume de Dieu dans le ciel est parfait, et aucune âme ne peut y être admise qui ne se présente avec l'Esprit-Saint en elle et sous le véritable règne de Dieu. Si une âme n'a pas été complètement et parfaitement sous ce règne divin sur la terre, si l'Esprit-Saint n'a pas été le principe de ses affections, de ses désirs et de ses penchants, mais qu'elle en a conservé de l'ancienne nature, en se présentant au royaume céleste, elle ne peut y être reçue, avant que ces choses étrangères ne soient purifiées et qu'il ne reste plus en elle que les penchants divins de l'Esprit de Dieu, qui devient désormais en elle, à face découverte, ce qu'il y a été auparavant d'un manière voilée.

Si Notre-Seigneur dit: Amen, amen dico [en vérité, en vérité je le dis]... ces mots sont mis ordinairement pour une plus grande affirmation. Ici Notre-Seigneur les dit en opposition à la pensée de Nicodème qui autrefois avait cru que la pratique de la loi suffisait, et qui ensuite dans sa réponse manifesta qu'il pensait qu'il y aura quelqu'autre moyen pour guérir la nature corrompue et qu'il n'était pas nécessaire de renaître.

× III,6

Quod natum est ex carne, caro ¦ Ce qui est né de la chair est

est; et quod natum est ex ¦ chair, et ce qui est né de

spiritu, spiritus est. ¦ l'esprit est esprit.

Ce qui est né de la chair ne saurait être que chair. Telle est la semence qu'on jette en terre, tel sera le fruit qu'on cueillera et par conséquent tout ce qui nous est venu de la chair n'est que chair; et si nous rentrions de nouveau dans le sein de notre mère pour renaître, nous renaîtrions de nouveau hommes de chair, et toutes nos affections, désirs, etc., et toute la vie que nous tirerions de la chair sera toujours chair. Mais ce qui est né de l'esprit sera esprit par la même raison, et comme il s'agit ici d'une vie spirituelle et surnaturelle il faut que la naissance qui le produit soit spirituelle et surnaturelle, et par conséquent une naissance qui vienne de l'Esprit-Saint.

Dans cette sentence de Notre-Seigneur, nous voyons les deux vies qui sont en nous et dont parle saint Paul: deux vies opposées et qui produisent en nous cette guerre continuelle [cf. Gal. 5,17; Rom. 7,23]: la vie de la chair qui provient de la nature que nous tenons de notre naissance de la chair; et la vie de l'Esprit que nous tenons de l'Esprit-Saint par la grâce de notre adorable Seigneur Jésus.

× III,7

Non mireris quia dixi tibi: ¦ Ne vous étonnez point que je vous ai

Oportet vos nasci denuo. ¦ dit: il faut que vous renaissiez.

Il ne faut donc plus vous étonner, si je vous ai dit qu'il faut renaître. Puisque tout ce qui est en vous est mauvais et incapable de vous faire voir et jouir du royaume de Dieu, il faut donc que vous ayez en vous un autre principe de vie que celui que vous avez, et par conséquent il vous faut une autre naissance, une naissance spirituelle.

× III,8

Spiritus ubi vult spirat, et ¦ Le vent souffle où il veut; vous

vocem ejus audis, sed nescis ¦ entendez sa voix, mais vous ne savez

unde veniat, aut quo vadat: ¦ ni d'où il vient ni où il va. Il en

sic est omnis qui natus est ¦ est de même de quiconque est né de

ex spiritu. ¦ l'Esprit-Saint.

Mais vous ne comprenez pas comment cette naissance spirituelle a lieu; c'est l'Esprit de mon Père et le mien qui l'opère, et il est de cette naissance, ou de cette opération du divin Esprit, comme du souffle du vent. Il souffle dans un endroit sans que rien dans cet endroit l'attire plutôt que dans un autre, il souffle là par la volonté qui le pousse ubi vult [où il veut]. Vous entendez sa voix lorsqu'il souffle mais vous ne le voyez pas; vous ne voyez pas non plus son principe ni sa fin: unde veniat aut quo vadat. Il en est de même de celui qui est né de l'Esprit-Saint. Ce divin Esprit souffle où il veut. C'est la volonté de mon Père qui détermine son souffle divin.

La renaissance de notre âme est toujours une pure grâce, et jamais personne ne peut la mériter rigoureusement. On peut toucher le coeur de Dieu par la pratique des vertus naturelles, pour obtenir cette grande miséricorde, mais ce sera toujours une pure miséricorde, quelqu'immanquable qu'elle puisse être.

On peut encore dire: l'Esprit divin souffle où il veut: vous n'avez eu vous-même aucun élément de vie pour tirer de vous quelque chose pour opérer cette renaissance; vous avez même tous les éléments qui peuvent s'y opposer et l'empêcher, mais le divin Esprit tire cette vie de lui-même et souffle où il veut pour l'établir, même dans la fange et le bourbier de votre mauvaise nature morte et destituée de tout.

En second [lieu], celui qui reçoit cette nouvelle naissance ne voit pas arriver cet Esprit divin, il le reconnaît par les effets qu'il éprouve en son âme qui est toute changée, il entend la voix de ce divin Esprit, voix douce et céleste, qui embaume l'âme et lui fait sentir qu'elle a en elle une autre vie que celle qu'elle avait eu auparavant.

Heureux celui qui écoute bien cette divine voix et qui la suit. O très saint et très adorable Esprit de mon Jésus, faites-moi entendre votre douce et aimable voix, rafraîchissez-moi par votre souffle délicieux. O divin Esprit, je veux être devant vous comme une plume légère, afin que votre souffle m'emporte où il veut et que je n'y porte jamais la moindre résistance.

Troisièmement: Et nescis unde veniat aut quo vadat [et tu ne sais ni d'où il vient ni où il va]. Par là Notre-Seigneur nous dit que celui qui est né de cette manière ne voit pas celui qui opère en lui cette régénération; il ne sait d'où il est venu, ni où il va, il ne le voit ni dans son principe ni dans sa fin. On a en soi une personne divine vivante et opérante en son âme, on sent son opération qui est cette vie nouvelle, mais on ne sent que cela et non pas la personne même ni dans son principe ni dans la fin vers laquelle elle tend.

× III,9

Respondit Nicodemus et dixit ¦ Nicodème répondit et lui dit:

ei: Quomodo possunt haec ¦ Comment ces choses peuvent-elles

fieri ? ¦ se faire ?

Dans cette réponse de Nicodème paraît une grande faiblesse de foi. Il ne comprenait pas ce que le Maître envoyé de Dieu lui disait; il n'avait aucune connaissance des choses surnaturelles et intérieures, ni aucune expérience. Il devait attribuer toute la faute de cette ignorance à lui-même, croire Notre-Seigneur sur sa parole quoique sans le comprendre - comme fit l'aveugle-né qui adora Notre-Seigneur, dès qu'il lui eut dit que lui-même était le Fils de Dieu - et lui demander comme une grâce cette nouvelle naissance qui surpassait ainsi toutes ses vues, comme dans le chapitre suivant nous verrons faire la Samaritaine: Domine, da mihi hanc aquam, etc. [Seigneur, donne-moi de cette eau, etc.: Jo. 4,15]. Mais il n'était pas assez simple; sa science de la loi lui a donné l'habitude (comme cela arrive encore bien souvent maintenant) de juger de tout par son propre esprit et de n'admettre pas même les choses divines qu'il ne comprenait pas.

Maintenant ceux qui tombent dans ces défauts admettront bien les mystères qu'aucun esprit humain ne peut pénétrer, mais les choses incompréhensibles, comme celles dont il s'agit avec Nicodème, et qu'ils ne comprennent pas par la seule raison qu'ils sont peu intérieurs, ils ne veulent pas les admettre et disent: Quomodo possunt, etc.? [comment ces choses peuvent-elles se faire ?], et souvent s'en moquent même. Cependant Nicodème n'était pas entièrement dépourvu de foi puisqu'il ne rejette pas la chose mais seulement il hésite.

× III,10

Respondit Jesus: Tu es ¦ Jésus répondit: Vous êtes un

Magister in Israel, et haec ¦ maître en Israël, et vous ignorez

ignoras? ¦ cela ?

Notre-Seigneur le reprend de son peu de foi. Nicodème ne croit pas et est étonné de ce que la vérité éternelle lui enseigne parce qu'il ne connaît pas les choses qui lui sont enseignées, et cependant il était uniquement étonnant qu'il ignorât ces choses. Lui qui était un docteur en Israël devait connaître ce que les prophètes disent là-dessus; car les prophètes ont prédit cette nouvelle naissance et cette effusion de l'Esprit-Saint dans les âmes pour le temps de la venue du Messie. C'est ce que Notre-Seigneur lui reproche: Vous ignorez ces choses, vous qui êtes Maître en Israël, et qui deviez instruire les autres de toutes ces vérités afin de les amener tous à la foi, et de leur procurer la régénération dont je vous parle.

Il faut remarquer qu'il ne faut pas croire que le divin Agneau plein de douceur, de paix et d'amour pour les âmes, ait voulu faire de la peine à Nicodème par une sorte d'ironie: Vous êtes un Maître et vous ignorez cela ! Mais il lui reproche son ignorance à cause de la fausse science des docteurs de ce temps qui n'avaient pas le vrai sens des Ecritures à cause de leurs traditions ridicules; et il lui montre qu'il a une fausse science afin de le rendre plus simple et plus renoncé aux idées qui lui venaient de sa science. Vous qui êtes un Maître en Israël et qui par conséquent connaissez la doctrine de la loi et des prophètes, vous ignorez cela; vous devriez le connaître avant que je ne vous l'eusse dit, et vous l'ignorez même encore maintenant que je vous l'ai expliqué (16). Cela doit vous prouver que la science de vos docteurs n'est pas la véritable: soyez donc plus docile et ayez la foi.

× III,11

Amen, amen dico tibi, quia ¦ En vérité, en vérité je vous le dis,

quod scimus loquimur, et ¦ c'est ce que nous savons que nous

quod vidimus testamur, et ¦ disons, et c'est ce que nous avons vu

testimonium nostrum non ¦ dont nous témoignons, et notre

accipitis. ¦ témoignage vous ne le recevez pas.

Après lui avoir reproché son ignorance coupable, Notre-Seigneur lui reproche son défaut de foi: Si vous ne comprenez pas, croyez à ma parole ce que vous ignorez. Après l'avoir ainsi humilié de sa fausse science il l'exhorte à avoir plus de foi, et il lui parle de manière à lui en inspire davantage. Amen, amen dico tibi: ces paroles montrent que Notre-Seigneur insiste fortement, et qu'il lui parle avec un ton important. Cependant toujours avec une bonté admirable.

Vous faites difficulté d'admettre ce que je vous dis, vous voulez d'abord le comprendre. Ce que je vous dis n'est pas un système de philosophie, ni une tradition que je tiens d'un autre, ni un sentiment d'un docteur pour que vous puissiez examiner comme vous faites dans vos discussions entre vous: c'est une vérité certaine que je vous annonce et qui ne doit pas être laissée à la discussion; c'est un témoignage que je rends à des choses que j'ai vu s'accomplir.

Quand le divin Maître parle de la connaissance qu'il a de la chose, il veut parler de cette connaissance essentielle que le Verbe divin a des opérations de l'Esprit-Saint, par la voie de la procession du Saint-Esprit; et la parole par laquelle il nous fait part de ces divines connaissances doit être le principe de notre foi.

Le témoignage qu'il y ajoute est parce que toute régénération, provenant de Notre-Seigneur et étant communiquée par lui aux âmes, de là il résulte une vue très spéciale de Notre-Seigneur dans ces régénérations divines, et il a la bonté de rendre ainsi témoignage des grâces et des miséricordes qu'il communique aux âmes pécheresses par son divin Esprit. Et il se plaint avec une douleur pleine d'amour de ce qu'on ne veut pas recevoir son témoignage.

O mon très doux Jésus, si je pouvais consoler votre coeur affligé de tant de dureté des nôtres, que je serais heureux. Dites-moi, adorable Seigneur, ce que vous avez vu de toute éternité dans le sein de votre Père; rendez-moi témoignage de tous les effets de votre amour dans les âmes; ô très doux et très aimable Seigneur Jésus, que je serais heureux si vous me faisiez cette faveur, je vous croirai de toute mon âme par le secours de votre grâce et je voudrais alors me fondre en amour devant vous sur toutes les divines paroles qui sortiront de votre bouche sacrée.

× III,12

Si terrena dixi vobis, et non ¦ Si je vous ai dit des choses de

creditis: quomodo, si dixero ¦ la terre, et vous ne croyez pas;

vobis caelestia, credetis ? ¦ comment, si je vous dis des

¦ choses célestes, croirez-vous ?

Notre-Seigneur ajoute: Si je ne vous dis que des choses de la terre, c'est-à-dire des choses créées comme sont les grâces de Dieu dans les âmes, des choses inférieures qui sont intelligibles à l'intelligence humaine, puisqu'il ne s'agit ici que des rapports de Dieu avec les âmes sur la terre, si vous ne voulez pas croire ces choses, que serait-ce si je vous dis des choses célestes et beaucoup au-dessus de ce qui se passe sur la terre ! Si je vous disais les grandes vérités qui regardent les trois personnes divines, si je vous parlais de ma génération éternelle, de l'union du Verbe avec l'Humanité, de tous les autres mystères qui s'opèrent dans le Verbe incarné et par le Verbe incarné, et de sa gloire dans le ciel: si je vous parlais de ces choses-là, comment me croirez-vous !

× III,13

Et nemo ascendit in caelum, ¦ Et nul ne monte au ciel sinon

nisi qui descendit de caelo, ¦ celui qui est descendu du ciel,

Filius hominis, qui est in ¦ le Fils de l'homme qui est au

caelo. ¦ ciel

Monter au ciel veut dire ici voir Dieu face à face et en avoir la possession et la jouissance éternelle. Descendre ici ne veut pas dire descendre comme est descendu le misérable Lucifer, c'est-à-dire quitter le ciel de manière qu'on n'y est plus, mais avoir Mission de Dieu pour s'occuper sur la terre parmi les hommes par la divine volonté tout en continuant de posséder la divinité et de la voir intuitivement.

L'humanité sainte de Notre-Seigneur est montée au ciel dès le premier moment de son existence par l'union hypostatique avec le Verbe; elle a toujours possédé et contemplé Dieu en lui-même, sicuti est [tel qu'il est: Jo. 3,2]; et cela d'une manière incompréhensible à toute créature céleste même. L'humanité sainte est descendue du ciel par application de la volonté de son Père pour s'occuper des hommes de la terre, pour leur faire connaître les mystères sacrés de la divinité et pour les y rendre participants (17). Elle est montée par assomption, le Verbe de Dieu l'ayant prise en lui pour la rendre participante de sa divinité. Elle est descendue du ciel par son occupation parmi les hommes, par la volonté de son Père. L'application de toute sa nature humaine auprès des créatures, comparée à cette assomption et application de toute la nature humaine à Dieu et en Dieu s'appelle descendre; et cependant, quoiqu'ainsi descendue pour s'occuper des hommes, elle est toujours dans le ciel, toujours dans la même union, la même vue intuitive et la même application en Dieu son Père (18). Ainsi d'un côté, l'humanité adorable de Notre [Seigneur] est dans le ciel pour le posséder et le connaître d'une manière admirable, et de l'autre elle est occupée auprès de nous, pauvres aveugles et misérables, pour nous recevoir en elle afin de nous faire voir et contempler les choses divines qu'elle voit en son Père et de communiquer ses divines miséricordes. C'est ce que veulent dire les mots: Le fils de l'homme qui est descendu du ciel et qui est encore au ciel. Pour comprendre ce que Notre-Seigneur dit que sa sainte humanité qui est descendue du ciel peut seule remonter au ciel et qu'aucun autre n'y monte - soit ici-bas par la contemplation imparfaite, soit après cette vie par l'union complète et de gloire - qu'en l'humanité sainte et par l'humanité sainte: cette vénérable humanité de notre adorable Seigneur, étant toujours dans le ciel par sa sainte et sacrée union, est descendue sur la terre pour nous faire monter avec elle au ciel; et nous tous ne monterons à son Père que dans l'union avec le Fils de l'homme dans ce monde par la foi dans le Verbe incarné, et l'union parfaite avec le même Fils de l'homme dans le ciel par la communication parfaite qu'il nous donne de la divinité qu'il possède.

Toujours est-il vrai que le Fils de l'homme seul monte à son Père, et toutes les autres créatures montent à cette adorable humanité pour recevoir d'elle et par elle la participation à sa possession de la Divinité qu'elle reçoit immédiatement de la Divinité (19).

Elle est chef de tout le corps des élus, reçoit la Divinité en elle pour toute l'humanité et tous les élus dans le ciel ainsi que tous les hommes sur la terre ne peuvent la recevoir que par sa communication, comme le chef à ses membres (20). C'est ainsi que nous sommes cohéritiers avec Jésus-Christ selon les paroles de saint Paul [Rom. 8,17].

Voilà donc ce que dit Notre-Seigneur à Nicodème: dans les mystères de la divinité que je vous révèle je ne fais que rendre témoignage de ce que je vois et de ce que vous-même ne pouvez voir, parce que personne ne peut voir ces choses, que le Fils de l'homme qui vous les dit; et vous, vous ne pouvez monter au ciel, ni pendant que vous êtes sur la terre pour voir et contempler ces choses en Dieu, ni dans l'autre monde pour les posséder, que par le Fils de l'homme auquel il faut qu'en ce monde vous adhériez par la foi, et par conséquent que vous ayez foi en ses paroles, même lorsque vous ne les voyez pas, car ce n'est qu'en ayant la foi que vous puissiez les voir et non avant.

× III,14

Et sicut Moyses exaltavit ¦ Et comme Moïse a élevé un serpent

serpentem in deserto, ita ¦ dans le désert, il faut de même

exaltari oportet Filium ¦ que le Fils de l'homme soit

hominis; ¦ élevé.

× III,15

ut omnis qui credit in ipsum, ¦ afin que quiconque croit en lui

non pereat, sed habeat vitam ¦ ne périsse pas, mais ait la vie

aeternam. ¦ éternelle.

Notre-Seigneur continue: Si vous n'avez pas encore cette foi, c'est que le moment de cette grâce n'est pas encore arrivé. Il viendra un jour où le Fils de l'homme sera exalté sur une croix pour guérir les plaies que l'ennemi a faites dans vos âmes, comme Moïse a fait pour guérir les morsures faites aux corps. Avant ce temps, vous serez toujours faibles et languissants dans votre foi. Aussi est-il nécessaire pour cela, oportet [il faut], que le Fils de l'homme soit crucifié pour attirer à lui, et par la vertu de cette croix même vous sauver de votre perte et vous donner la vie éternelle, mais ce salut et cette vie éternelle ne sera donné qu'à ceux qui croient en lui.

Ainsi cette croix a deux vertus: attirer à Notre-Seigneur en communiquant la grâce de la foi à tous ceux qui veulent bien la recevoir, et sauver tous ceux qui ont cette foi véritable et vivante en eux.

Il faut observer que Notre-Seigneur dit: Ut omnis qui credit in ipsum [afin que quiconque croit en lui], et non: in ipso [à lui] ou in nomine ipsius [à son nom]; car ces derniers termes annoncent seulement une croyance dans la personne de Notre-Seigneur, ou à la doctrine qu'il a enseignée, ce qui peut exister avec une conduite très mauvaise. Que ceux-là ne se fient pas dans la croix de Notre-Seigneur, elle les condamnera au lieu de les sauver. Il faut une foi in ipsum, ferme qui annonce adhésion et union de l'âme à Notre-Seigneur, ce qui indique éloignement du péché et principe surnaturel dans leurs oeuvres; car si l'âme est véritablement unie à Notre-Seigneur par cette foi véritable et parfaite, alors son action l'est aussi, et Notre-Seigneur en est le principe.

Par là notre divin Maître donne de grandes espérances à Nicodème, pour le temps qui suivra sa passion. Quelle bonté Quelle douceur ! Quelle miséricorde !

O très miséricordieux, très doux et très bon Jésus, j'ai le bonheur de vivre après votre crucifiement, vous m'avez attiré admirablement à vous, vous avez eu cette insigne miséricorde pour une pauvre âme comme la mienne, vous m'avez donné le précieux don de la foi en vous, augmentez-le s'il vous plaît, car il est encore très faible par ma faute, et faites que par cette foi pleine d'amour je ne vive plus que pour vous et en vous, et je me sacrifie pour votre amour comme vous vous êtes sacrifié pour le mien.

Par la croix ce très doux Seigneur nous donnera la vie éternelle: Haec est autem vita aeterna, ut cognoscant te solum Deum verum et quem misisti Jesum Christum [or la vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent toi le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé Jésus-Christ: Jo. 17,3]. Le bon Nicodème a dû être content après que ce grand mystère de la croix se fut accompli; il n'était plus si ignorant alors. O Seigneur Jésus, donnez-moi la vie éternelle, je vous en prie, ut cognoscam solum Deum verum, et quem misit, te Jesum Christum amantissimum et misericordissimum Dominum et Redemptorem meum [pour que je connaisse le seul vrai Dieu, et celui qu'il a envoyé, vous très aimant et très miséricordieux Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Rédempteur]. Quelle science, ô très aimable Jésus !

× III,16

Sic enim Deus dilexit mundum, ¦ Car Dieu a tellement aimé le

ut Filium suum unigenitum ¦ monde qu'il a donné son Fils

daret: ut omnis qui credit in ¦ unique, pour que tout homme qui

eum, non pereat, sed habeat ¦ croit en lui ne périsse pas, mais

vitam aeternam. ¦ ait la vie éternelle.

Ces paroles renferment trois pensées: 1° Notre-Seigneur explique davantage ce qu'il vient [de] dire qu'il faut croire dans le Fils de l'homme: ce n'est pas comme à un homme plus excellent que tous les autres hommes et que toutes les créatures de Dieu ensemble, mais au Fils de Dieu à qui il est tellement uni que tout ce qui se fait à une des deux natures est fait à l'autre. C'est pour cela qu'il se sert du mot daret; car le Père n'aurait pas pu donner aux hommes son Verbe adorable d'une autre façon que de celle-là. Car le terme donner signifie mettre au pouvoir des hommes, leur donner pouvoir sur lui; or, cela est impossible - les hommes ne peuvent pas exercer pouvoir sur le Verbe directement. Si cognovissent, numquam Dominum gloriae crucifixissent [s'ils l'avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire: 1 Cor. 2,8], à plus forte raison dans le cas où nous parlons. Mais le Père ayant uni son Verbe à une humanité qui devait être livrée aux méchants et crucifiée, il nous a réellement donné son Verbe éternel, immense et tout-puissant, et l'a mis au pouvoir des hommes en leur donnant pouvoir sur cette adorable humanité à laquelle il l'a si intimement uni. O prodige d'amour pour de vils pécheurs !

2° Notre-Seigneur veut expliquer pourquoi il sera crucifié et exciter par là des sentiments d'amour dans le coeur de Nicodème, afin d'ouvrir davantage son âme à la foi. Pour explication de ce prodige (que Jésus-Christ soit crucifié pour nous) il rapporte un plus grand prodige, c'est un amour incompréhensible de Dieu pour le monde qui va jusqu'à livrer son Fils unique pour les empêcher de périr et pour leur procurer la vie éternelle; mais seulement à ceux qui croiront en lui. Il y avait bien de quoi inspirer d'autres sentiments à Nicodème, mais comment croira-t-il un prodige semblable, lui qui n'a pas voulu croire des choses plus simples que cela ? Le bienheureux Nicodème a été bien obligé de croire quand le fait est arrivé. L'incompréhensible amour de Dieu a dû remplir son âme. D'ailleurs Notre-Seigneur alors accomplit sa parole et l'attira à lui. Il est même à croire que Notre-Seigneur lui accorda cette grâce par sa divine parole en le touchant en même temps à l'intérieur. Car on ne l'entend plus dire: quomodo possunt haec fieri [comment cela peut-il se faire: cf. v.9]? Il se tait et écoute: il semble que l'Esprit soufflait et qu'il entendit sa voix.

3° Par ces paroles de Notre-Seigneur, Nicodème et nous tous avec lui, pouvons comprendre que ce n'est pas faire une faveur à Notre-Seigneur que de croire en lui. Quelles que soient la grandeur, la puissance et l'élévation de génie d'un homme, s'il croit à Notre-Seigneur il n'ajoute rien à sa gloire et à [sa] grandeur; mais c'est au contraire un grand bonheur, une grande gloire pour un homme de croire en Jésus-Christ; Notre-Seigneur n'a besoin de personne, tandis que tous ont un besoin absolu de lui. C'est au contraire un grand malheur pour qui que ce soit de ne pas croire. C'est là un grand motif encore à Nicodème pour entrer dans les vues de foi que le divin Maître veut lui inspirer. Notre-Seigneur répète deux fois ce mot: Omnis qui credit [tout homme qui croit] pour montrer qu'il n'y aura pas de distinction: observateur de la loi ou pécheur, juifs ou païens, tous seront sauvés s'ils croient.

× III,17

Non enim misit Deus Filium ¦ Car Dieu n'a pas envoyé son Fils

suum in mundum, ut judicet ¦ dans le monde pour juger le

mundum, sed ut salvetur ¦ monde, mais pour que le monde

mundus per ipsum. ¦ soit sauvé par lui.

Il continue pour expliquer davantage les choses: car Dieu n'a pas envoyé son Fils pour juger le monde. Il n'est pas envoyé pour séparer les justes des pécheurs et pour faire triompher ceux-là comme vous, pharisiens, le croyez. Non ce n'est pas ainsi: l'envoi du Fils de Dieu est un envoi d'amour et non de justice, et sa venue est une venue de douceur et non de rigueur. Voilà pourquoi il sera sacrifié pour leur salut et par ce sacrifice leur donnera la vie éternelle. Cependant, quoiqu'il soit venu seulement pour sauver le monde, il le jugera aussi, et c'est ce qu'il explique dans les deux versets suivants, comment il est leur sauveur et leur juge.

× III,18

Qui credit in eum, non ¦ Celui qui croit en lui n'est pas

judicatur; qui autem non ¦ jugé; mais celui qui ne croit pas

credit, jam judicatus est: ¦ est déjà jugé, parce qu'il ne

quia non credit in nomine ¦ croit pas au nom du Fils unique

unigeniti filii Dei. ¦ de Dieu.

Les deux qualités de sauveur et de juge sont réunies en sa personne, et il est juge parce qu'il est sauveur comme cela va être expliqué dans le verset suivant. Ceux qui croient en lui sont par là même exempts de jugement, parce que celui-là même qui doit les juger les a sauvés; il ne les jugera pas puisque lui-même a effacé le chirographum [document accusateur; Col. 2,14] dont parle saint Paul, et qui devait être la matière de leur jugement. Tandis que ceux qui ne croient pas sont déjà jugés, parce qu'ils ne croient pas à ce nom du Fils unique de Dieu. Il faut observer ces mots: jam judicatus est [il est déjà jugé]. Ils sont chargés de péchés qui renferment la matière de leur jugement et d'une ample condamnation. Le Fils unique de Dieu paraît sur la terre pour effacer ces péchés. Il fallait croire pour cela, ils n'ont pas voulu croire et leurs péchés restent et par conséquent par là même leur condamnation est toute prononcée parce qu'ils ne croient pas au nom seul qui les aurait sauvés.

Il faut remarquer ces mots: In nomine unigeniti [au nom du Fils unique], cela veut dire foi en l'Incarnation et Rédemption: et cela suppose en même temps foi dans le mystère de la très sainte Trinité. Cette foi est absolument nécessaire pour la rémission des péchés passés. Le mot nomen [le nom] dans la sainte Ecriture et surtout dans la bouche de Notre-Seigneur signifie la chose même car le nom n'est rien autre que l'expression et la représentation de la chose pour la présenter à l'intelligence humaine, et la foi qu'on a dans le nom signifie croyance de l'existence de la chose exprimée par ce nom.

Ici Notre-Seigneur dit qu'ils sont jugés parce qu'ils ne croient [pas] au nom, parce qu'il ne s'agit pas ici d'oeuvres mais de rémission de péchés passés, par la régénération, pour laquelle il suffit de la foi intérieure. La volonté de quitter le péché est supposée. Une fois ces péchés remis il faut une foi réduite en pratique pour n'être plus jamais jugé: Qui credit in eum non judicatur [celui qui croit en lui n'est pas jugé]. C'est après la régénération du baptême qu'on reçoit la perfection de la foi pour s'unir parfaitement au Fils unique de Dieu.

× III,19

Hoc est autem judicium: quia ¦ Or le jugement consiste en ceci: la

lux venit in mundum, et ¦ lumière est venue dans le monde et

dilexerunt homines magis ¦ les hommes ont mieux aimé les

tenebras quam lucem: erant ¦ ténèbres que la lumière, car leurs

enim eorum mala opera. ¦ oeuvres étaient mauvaises.

Le jugement de ceux qui n'ont pas de foi est dans leurs oeuvres et cependant c'est Notre-Seigneur qui est leur juge. Et dans ce verset est expliqué comment sont ces deux choses et en quoi consiste le jugement que Notre-Seigneur prononce. Le Fils de Dieu est venu pour sauver ceux qui croient en lui, en devenant la lumière de leurs âmes, leur communiquant la clarté de ses perfections divines. C'est une lumière éclatante et infinie qui est venue dans le monde; tous ceux qui s'unissent à lui par la foi y participent, et par là les ténèbres des oeuvres de la chair et du démon disparaissent comme il a été dit plus haut: les ténèbres ne peuvent être là ou est la lumière.

Tous ceux-là ne peuvent être jugés puisque tout ce qui est en eux est lumière, et alors, en paraissant en la présence de la grande lumière ils deviennent une seule et même chose avec elle et jugent eux-mêmes les autres, comme dit saint Paul que les chrétiens doivent juger les anges mêmes (c'est-à-dire les mauvais anges) [cf. 1 Cor. 6,3]. Que s'il se trouve quelque tache, quelque chose qui ne tienne pas de cette grande et divine lumière il faut que cela soit effacé dans le purgatoire, avant d'être admis en sa sainte présence, et ces taches, qui ne sont pas selon la foi en lui et ne viennent pas de cette lumière, sont jugées.

Tandis qu'au contraire, ceux qui restent dans leurs ténèbres de la chair et qui refusent d'aller à cette grande lumière, quand ils paraîtront en sa divine présence, comme il ne se trouvera rien en eux qui soit de cette divine lumière mais tout y est étranger, ils en sont repoussés et condamnés par le fait. Et même dès ce monde ils sont jugés et condamnés par cette divine lumière tant qu'ils resteront dans ces ténèbres, dans ce sens qu'elle les repousse et rejette hors d'elle, les méconnaissant absolument comme lui appartenant, parce que toutes leurs oeuvres, soit intérieures, qui consistent dans les sentiments, dispositions et actes de l'âme, soit extérieures, provenant de ce mauvais intérieur, toutes ces oeuvres sont des ténèbres: erant enim eorum mala opera [car leurs oeuvres étaient mauvaises]. Et en tout cela ce sont eux-mêmes qui fournissent et donnent leur jugement et se condamnent parce qu'ayant pu si facilement recevoir en eux la lumière, ils ont préféré leurs ténèbres à la lumière. Une fois hors de cette vie ils persévèrent dans ces mauvaises dispositions et ne peuvent plus faire autrement. De cette manière ils s'exilent eux-mêmes de la lumière éternelle pour rester dans les ténèbres soit dans ce monde soit dans l'éternité. Mais surtout dans l'éternité où ce sera une chose horrible et effroyable que les ténèbres affreuses qui rempliront ces âmes et dont elles (21) ne peuvent plus sortir malgré l'horreur qu'elles en ont et malgré leur désespoir; et en outre ce qu'il y a de terrible c'est qu'alors ils ne trouveront plus cette sainteté de miséricorde en Notre-Seigneur qui dans ce monde tend à se répandre avec amour dans les âmes et les attirer à elle et en elle; mais ce sera une sainteté de rigueur et de justice, qui écrasera les ténébreux pécheurs et les rebutera avec une rigueur et une violence si épouvantables qu'elle les précipitera avec une rapidité affreuse dans les ténèbres encore plus affreuses et cela pour toute l'éternité.

De ce verset on peut conclure que pour la régénération la foi ne suffit pas, il faut encore la résolution de quitter sa conduite mauvaise; puisque Notre-Seigneur dit que le jugement consiste en ce que les hommes ne se sont pas donnés à la lumière parce qu'ils aimaient mieux les ténèbres que la lumière, donc pour être à la lumière il faut quitter les ténèbres. Le jugement consiste en cela, donc pour échapper à ce jugement il faut quitter ses ténèbres.

× III,20

Omnis enim qui male agit, ¦ Car quiconque fait mal hait la

odit lucem, et non venit ad ¦ lumière, et ne vient pas à la

lucem, ut non arguantur ¦ lumière, pour que ses oeuvres ne

opera ejus. ¦ soient pas démasquées.

Notre-Seigneur, dans ce verset, fait comprendre l'éloignement qu'ont pour lui les mauvais, et cet éloignement est en eux comme une espèce d'instinct. Il use pour cela d'une espèce de comparaison: les bons se montrent et les mauvais se cachent. Les hommes mauvais aiment mieux les ténèbres que la lumière; de plus ils haïssent même la divine lumière, à cause de leurs mauvaises oeuvres, qui sont ces ténèbres qu'ils aiment. Un homme qui fait mal et qui aime le mal qu'il fait et veut y persévérer, se garde bien de s'approcher de Notre-Seigneur et d'entrer dans les vues de foi en lui parce que Notre-Seigneur qui est la lumière jugera et condamnera le mal qu'il aime, le lui reprochera. Voilà pourquoi on se fait illusion, on s'aveugle sur tout ce qui regarde la divine lumière, on s'en éloigne par force, on rejette tout sentiment de foi et on entre dans une haine contre lui par l'attache qu'on a à son mal et qu'on sait être un objet de haine et d'opposition à ce divin Maître. Ces ténèbres du péché deviennent si grandes que l'âme s'en imprègne et devient chair et péché, c'est-à-dire qu'elle n'a plus d'autres vues ni d'autres sentiments ni d'autres dispositions que chair et péché, et alors il s'établit comme une opposition entre Notre-Seigneur et cette âme: notre très bon Maître repousse le péché dont cette malheureuse est comme encroûtée et veut l'attirer à lui en chassant d'elle le péché; elle, au contraire, s'attachant au péché et s'identifiant presque au péché de jour en jour davantage, repousse le divin Agneau et entre en haine contre lui à cause de son opposition à ce qu'elle aime uniquement. Cet état est affreux, et malheureusement d'un grand nombre d'impies de ce siècle. Ils ne se rendent pas compte de tout cela mais la chose est ainsi tout de même.

× III,21

Qui autem facit veritatem, ¦ Mais celui qui fait la vérité

venit ad lucem, ut ¦ vient à la lumière, pour que

manifestentur opera ejus: ¦ ses oeuvres soient manifestées

quia in Deo sunt facta. ¦ comme étant faites en Dieu.

Mais celui qui fait les oeuvres de vérité ne craint pas la lumière; au contraire il y vient toujours, il a en lui une tendance à venir vers cette divine lumière. Il appelle oeuvres de vérité ou plutôt vérité les oeuvres inspirées par la grâce, et ce nom est en opposition avec les oeuvres de la chair qui sont mensonges parce qu'elles ne sont pas de Dieu, mais bien plus elles [sont] en opposition directe avec Dieu qui est la vérité essentielle et hors de qui rien ne peut être vrai.

Il appelle les oeuvres de la grâce simplement vérité et non oeuvres de vérité parce que les oeuvres que nous faisons sous l'inspiration et l'influence de la grâce divine n'en sont que le développement. La grâce est le grain de sénevé qui se développe dans nos âmes, et quoique la terre aide à produire ce légume qui est comme un arbre, ce n'est cependant rien autre chose que du sénevé et c'est le développement de la petite graine.

Ainsi celui qui fait les oeuvres inspirées par la grâce divine a en lui un penchant surnaturel de s'approcher de Notre-Seigneur, de s'unir de plus en plus à lui; notre âme s'ouvre pour ainsi dire devant lui pour que ce qui est en elle se manifeste en sa divine présence. Il y a une certaine complaisance d'amour en nous dans ces moments qui nous y porte. Et cette manifestation que nous désirons en sa lumière et par sa lumière a lieu tantôt devant lui-même, tantôt devant notre propre âme pour voir en sa divine lumière ce que nous faisons, tantôt devant son Père céleste à qui l'âme offre cette oeuvre.

Et quelle manifestation l'âme désire-t-elle de cette divine lumière ? Celle de la grâce divine en nous. Notre-Seigneur manifeste dans notre âme que ses oeuvres sont faites en Dieu c'est-à-dire en la grâce divine et par la grâce divine: Quia in Deo sunt facta [qu'elles sont faites en Dieu].

Quand Notre-Seigneur dit: Qui facit veritatem venit, etc. [celui qui fait la vérité vient à la lumière], par là il indique un état habituel de l'âme marchant sous l'inspiration de la grâce et de l'amour divin et vivant d'une vie sainte. Il dit: Facit, faire la vérité, parce que celui qui vit de la sorte est dans l'habitude des bonnes oeuvres. Et celui-là a aussi ce penchant habituel de venir et de s'approcher de la lumière. Quand Notre-Seigneur dit ensuite: Ut manifestentur opera [pour que ses oeuvres soient manifestées], il indique par là les actes particuliers de bonnes oeuvres, soit actes intérieurs, soit actes extérieurs.

× III,22

Post haec venit Jesus et ¦ Après cela, Jésus et ses

discipuli ejus in terram ¦ disciples vinrent dans la terre

Judaeam; et illic demorabatur ¦ de Judée; et là il demeurait

cum eis, et baptizabat. ¦ avec eux et il baptisait.

Après que Notre-Seigneur eut annoncé cette doctrine sainte et admirable de la régénération il parcourut la Judée pour la réduire en pratique, donnant le baptême du Saint-Esprit à tous ceux qu'il y avait disposés par la pénitence.

× III,23

Erat autem et Joannes ¦ Jean, lui aussi, baptisait à

baptizans in Aennon juxta ¦ Aennon près de Salim; parce qu'il

Salim; quia aquae multae ¦ y avait là de l'eau en abondance,

erant illic, et veniebant, ¦ et les gens venaient et étaient

et baptizabantur. ¦ baptisés.

× III,24

Nondum enim missus fuerat ¦ Car Jean n'avait pas encore été

Joannes in carcerem. ¦ mis en prison.

Dans le temps que Notre-Seigneur commença à donner le baptême dans la Judée, saint Jean se trouvait à Aennon pour conférer le sien. Le moment où Notre-Seigneur allait commencer à baptiser était le temps le plus florissant de saint Jean; c'est pourquoi il choisit Aennon pour baptiser cette foule innombrable qui venait à lui parce qu'il y avait là de l'eau en abondance. Ceci était dans l'ordre de la divine Providence qui, ayant donné saint Jean pour préparer à la venue du Messie et son baptême d'eau pour préparer au baptême de l'Esprit-Saint, a fait en sorte, qu'au moment où ce grand baptême devait être conféré par le Fils de Dieu, saint Jean fût à même d'y préparer un grand nombre de personnes par le sien.

L'évangéliste ajoute que saint Jean n'avait pas encore été mis en prison; il avait encore un dernier témoignage à rendre au divin Messie, et [devait] terminer le ministère de son baptême en envoyant tout le monde vers Celui qui donnait le vrai baptême de l'Esprit-Saint. Cela fait il n'a plus rien à faire sur la terre et Dieu lui donne sa récompense; car très peu de jours après il fut mis en prison et ensuite martyrisé.

× III,25

Facta est autem quaestio ex ¦ Or il s'éleva une discussion entre

discipulis Joannis cum ¦ des disciples de Jean et des Juifs

Judaeis de purificatione. ¦ au sujet de la purification.

× III,26

Venerunt ad Joannem, et ¦ Ils vinrent trouver Jean et lui

dixerunt ei: Rabbi, qui erat ¦ dirent: Maître, celui qui était

tecum trans Jordanem, cui tu ¦ avec vous au-delà du Jourdain et

testimonium perhibuisti, ecce ¦ auquel vous avez rendu

hic baptizat, et omnes ¦ témoignage, voici qu'il baptise,

veniunt ad eum. ¦ et tout le monde va à lui.

Ce mot quaestio [question] signifie conquisitio [discussion]. Les disciples de Jean eurent une discussion sur la purification. Les uns préférèrent le baptême de Notre-Seigneur et les autres soutenaient celui de leur maître.

Ceux-ci allèrent alors voir saint Jean et lui dirent que celui à qui il avait rendu témoignage baptisait et que tout le monde allait à lui. C'était par estime et par attachement à saint Jean qu'ils disaient cela, peinés de voir que celui à qui leur Maître avait rendu un si grand témoignage lui enlevait maintenant tous ses adhérents et faisait tomber sa réputation. Dieu permit qu'ils eussent ce sentiment pour que Jean achevât son ministère et rende un nouveau témoignage à son Fils.

× III,27

Respondit Joannes, et dixit: ¦ Jean répondit et dit: Un homme

Non potest homo accipere ¦ ne peut rien recevoir qu'il n'ait

quidquam, nisi fuerit ei ¦ reçu du ciel.

datum de coelo. ¦

Saint Jean commence par leur montrer que ce sentiment était peu éclairé, et qu'ils avaient tort de se mettre en peine pour cela. C'est une grande leçon qu'il donne là aux ministres de Dieu qui travaillent à sa gloire pour les empêcher de se laisser aller à ce sentiment qui vient de la nature et de l'amour-propre et annonce un zèle qui n'est ni assez pur, ni assez éclairé.

Vous dites que le peuple va à lui, cela vient de ce que son baptême a une force et un don particuliers. Vous le prenez pour un homme ordinaire, il a donc reçu ce don, car il ne peut pas l'avoir de lui-même. Un homme quelconque n'a rien qu'il n'ait reçu et s'il a reçu ce don de sanctification il ne peut l'avoir reçu que de Dieu seul qui le lui a donné, et si Dieu lui donne cette mission accompagnée de ce don pourquoi vous inquiétez-vous que le peuple m'abandonne pour aller à lui ? Ce n'est pas là chercher la gloire de Dieu mais la gloire d'un homme ou plutôt votre propre gloire.

N'importe si c'est par les nôtres ou par d'autres que la gloire de Dieu se fait, il faut l'aimer partout où elle est procurée et ne jamais porter envie. Ceci est surtout une leçon pour les corps religieux qui ont une certaine peine d'en voir un autre prospérer et être préféré au leur.

× III,28

Ipsi vos mihi testimonium ¦ Vous-mêmes vous me rendez témoignage

perhibetis, quod dixerim: ¦ de ce que j'ai dit: Ce n'est pas moi

Non sum ego Christus, sed ¦ qui suis le Christ, mais j'ai été

quia missus sum ante illum. ¦ envoyé devant lui.

Maintenant il leur répond par rapport à la personne de Notre-Seigneur et par rapport au fait particulier qui leur fait peine: Vous savez vous-mêmes et vous me rendez témoignage de ce que j'avais dit de moi et de lui, puisque vous dites vous-mêmes que je lui ai rendu témoignage sur l'autre bord du Jourdain. Vous savez que j'ai dit alors que je n'étais pas le Messie, mais que j'étais envoyé devant lui pour lui préparer les voies, afin que quand il viendra tout le monde et le reconnaisse par ma parole et que tout le monde aille à lui; maintenant qu'il est venu et qu'on suit ma prédication, on va à lui et vous n'en êtes pas contents Une fois le Messie arrivé le Précurseur n'est plus rien. Il est juste que tous abandonnent le héraut pour suivre le roi annoncé par lui.

× III,29

Qui habet sponsam, sponsus ¦ Celui qui a l'épouse est l'époux;

est: Amicus autem sponsi, qui ¦ mais l'ami de l'époux, qui est

stat, et audit eum, gaudio ¦ là, et qui l'écoute, se réjouit

gaudet propter vocem sponsi. ¦ de joie à cause de la voix de

Hoc autem gaudium meum ¦ l'époux. Or cette joie est

impletum est. ¦ accomplie pour moi.

Comme ses disciples étaient étonnés que Notre-Seigneur enlevât ainsi les âmes au ministère de saint Jean et qu'ils semblaient y attacher comme une ingratitude, saint Jean leur montre par une comparaison combien la conduite de Notre-Seigneur est juste et que la chose ne pouvait pas être autrement: celui qui a l'Epouse, c'est celui-là qui est l'Epoux, l'Epouse lui appartient et personne autre ne doit vouloir se l'approprier. L'ami de l'Epoux occupé à orner et préparer l'Epouse pour qu'elle lui plaise n'a aucun droit sur l'Epouse, mais tout ce qu'il fait c'est de jouir de la présence de l'Epoux et de son union avec l'Epouse. Il reste là auprès de l'Epouse pour attendre que l'Epoux vienne; quand il est arrivé l'ami est là pour écouter l'Epoux et il se réjouit d'entendre sa voix, cette voix qui lui annonce la complaisance qu'il met dans l'Epouse qu'il lui a préparée, et de ce qu'il est là pour se l'unir.

L'Epoux c'est Notre-Seigneur, l'Epouse c'est l'Eglise ou les âmes qui la composent; l'ami de l'Epoux, c'est saint Jean-Baptiste. Cet ami, plein d'amour pour ce divin Epoux, reste dans l'admiration en écoutant l'Epoux divin qui vient épouser celle qu'il a eu si grand soin de préparer et orner. Et entendant cela sa joie est accomplie. Il n'a plus rien à désirer dans ce monde. L'Epoux est avec son Epouse, il entend sa voix pleine d'expression d'amour et de complaisance pour celle que ce cher ami a si bien préparée.

Cette joie d'ami que je dois avoir est accomplie et vous êtes mécontents de ce qui fait le plus grand sujet de ma joie.

Par ces paroles et par cette conduite saint Jean fait une grande leçon à tous les amis du divin Epoux qui sont chargés de lui préparer des Epouses. Qu'ils sachent que ces Epouses ne leur appartiennent pas, mais à l'Epoux pour lequel ils les préparent, et par conséquent ils ne doivent absolument pas s'attirer leur affection mais au contraire diriger tout leur amour vers leur divin Epoux et n'en rien prendre pour eux, comme aussi ne pas mettre leur complaisance dans ces Epouses du divin Epoux, mais toute leur joie doit être de voir les complaisances du divin Epoux et de le voir s'unir aux âmes, ses Epouses, et parler à leur coeur. Cette pureté dans la direction des âmes est de la plus haute importance.

× III,30

Illum oportet crescere, me ¦ Il faut que lui croisse, et que

autem minui. ¦ moi je diminue.

Les choses étant ainsi il est facile à comprendre ces paroles que saint Jean ajoute: Il faut que l'Epoux croisse et augmente par le nombre de ceux qui se font ses disciples et que moi, qui ne suis que l'ami, je diminue, puisque tout ce que j'ai n'est pas mon bien mais le sien. Ce sont des Epouses que je lui prépare; à mesure qu'elles sont préparées il faut qu'elles aillent joindre leur Epoux et par conséquent qu'elles me quittent.

× III,31

Qui desursum venit, super ¦ Celui qui vient d'en haut est

omnes est. Qui est de terra, ¦ au-dessus de tous. Celui qui est de

de terra est, et de terra ¦ la terre est de la terre, et parle

loquitur. Qui de caelo ¦ de la terre. Celui qui vient du

venit, super omnes est. ¦ ciel, est au-dessus de tous.

× III,32

Et quod vidit et audivit, hoc ¦ Et ce qu'il a vu et entendu, il

testatur; et testimonium ejus ¦ en rend témoignage, et personne

nemo accipit. ¦ ne reçoit son témoignage.

Il donne maintenant une autre raison pourquoi Notre-Seigneur doit attirer tout le monde à lui et pourquoi sa parole est si puissante. Celui qui vient d'en haut, le Verbe de Dieu qui descend du sein de son Père, est au-dessus de tous, c'est lui qui est le maître de tout. Le fils est plus que les serviteurs. Moi je ne suis qu'un serviteur et par conséquent le Fils venant d'en-haut sur la terre, a le pouvoir de disposer de ce qu'il m'avait confié et attirer les âmes à lui en m'enlevant celles qu'il m'avait envoyées d'abord. Nous autres serviteurs, qui ne sommes que des hommes de terre, qui n'avons aucun pouvoir ni aucune autorité en nous, n'étant que de la terre comme les autres, tout notre pouvoir et toute notre autorité ne vient que d'en-haut; et par conséquent, il faut que nous nous conduisions comme tel: Qui de Terra est de terra est [celui qui est de la terre est de la terre]. Quand le Fils vient, qui n'est pas de la terre mais du ciel, quand il vient du ciel il est notre maître et notre supérieur, il dispose de tout à son gré, et nous devons lui rendre tout ce que nous lui devons, et comme nous lui devons tout, nous devons aussi lui rendre tout: Qui de caelo venit, super omnes est [celui qui vient du ciel est au-dessus de tous] (22).

De plus des hommes de terre ne savent parler que de la terre, et s'ils parlent des choses célestes c'est encore d'une manière terrestre. Les connaissances qu'ils ont des mystères de Dieu sont très faibles, par figures et d'une manière terrestre comme cela ne peut être autrement dans un homme de terre, borné et aveugle par lui-même. Tout ce que je vous ai dit [ce] sont des choses terrestres, des choses qui doivent être faites sur la terre, et je vous ai parlé en homme de terre qui n'a pas vu ni entendu les choses du ciel; mais celui qui vient du ciel rend témoignage de ce qu'il a entendu lui-même dans le sein de son Père.

Il faut remarquer qu'en parlant de lui-même il dit: De terra loquitur [il parle de la terre], et en parlant de Notre-Seigneur il dit: Quod audivit testatur [ce qu'il a entendu, il en rend témoignage] on parle des choses qu'on a apprises d'une manière indirecte, mais on rend témoignage de ce qu'on [a] vu et entendu soi-même.

Et pour achever de convaincre ses disciples de la grandeur de Notre-Seigneur et de sa puissance pour le salut des âmes, et pour les engager à prendre des sentiments de foi et d'amour pour ce divin Maître, il dit tout ce qui suit jusqu'à la fin du chapitre.

Il commence par se plaindre de ce que [Jésus] venant du ciel et rendant témoignage de ce qu'il a entendu lui-même de toute éternité dans le sein du Père, personne ne veut recevoir la doctrine céleste et divine qu'il enseignait et à laquelle il rend un témoignage si sûr et si infaillible. Il semble que saint Jean établit un parallèle qui fait le sujet de sa plainte; il semble dire: Moi qui ne suis que terre et qui ne savais parler qu'en homme de terre, cependant tout le monde me croyait et m'écoutait; vient le Fils de Dieu sortant du sein de son Père et annonçant une doctrine divine avec des paroles célestes et personne ne veut le croire. Ce mot Nemo [personne] montre bien combien était petit le nombre de ceux qui croyaient. Par là il semble montrer à ses disciples l'opposition de ses sentiments avec les leurs. Ils se plaignaient que tout le monde allait à Jésus-Christ, et lui se plaint de ce que personne n'y va, de ce que personne ne veut recevoir son témoignage et croire en lui. On peut entendre ce témoignage que Notre-Seigneur rend de ce qu'il a vu et entendu, par sa parole intérieure dont il veut pénétrer les âmes par sa grâce pour établir en elles la lumière et la connaissance de ces mêmes vérités par la foi qu'il veut leur communiquer. C'est le témoignage le plus parfait et le plus digne du Fils de Dieu qui puisse être rendu aux mystères de la divinité et aux vérités éternelles, témoignage qui ne parle pas seulement aux yeux et aux oreilles extérieures mais au plus intime de l'âme pour lui faire voir et palper la vérité de la manière la plus parfaite dont un homme est capable sur la terre. Et ce qu'il y a de lamentable c'est que personne ne reçoit ce témoignage divin, on se refuse dans son intérieur à la lumière qui veut éclairer, on repousse la grâce et on ne veut pas y acquiescer. Dans ce sens le mot accipit [reçoit] est parfaitement employé, autrement on dira mieux: croire au témoignage.

Saint Jean dit que Notre-Seigneur rend témoignage de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu. Ces deux termes voir et entendre conviennent parfaitement aux hommes qui ne peuvent pas voir ce qu'ils entendent ni entendre ce qu'ils voient. Mais pour le Verbe de Dieu il semble que le mot voir disait déjà tout et pourquoi ajoute-t-il entendre ? Il veut nous faire comprendre les choses divines à notre façon et il parle notre langage. Le terme voir convient parfaitement aux vérités renfermées dans les perfections divines qu'il témoigne avoir vues en son Père de toute éternité. Le mot entendre convient mieux aux vérités qui tiennent aux décrets éternels du Père par rapport à ses créatures, à ses rapports avec elles et à tous les mystères que le Fils de Dieu doit accomplir sur la terre et dans le ciel selon les mêmes décrets de son Père céleste.

C'est là tout le témoignage qu'il rend. Il ne dit que ce qu'il a vu et entendu de toute éternité, et par conséquent que ce qu'il voit et ce qu'il entend dans le moment qu'il en rend témoignage, ce qui rend le témoignage bien plus parfait. C'est un fleuve immense et infini qui coule éternellement du sein du Père dans son Fils; et ce témoignage du Fils incarné est un écoulement miséricordieux et plein d'amour du Fils incarné dans les âmes de ceux qui croient en lui. Quod vidit, etc., hoc testatur [ce qu'il a vu il en rend témoignage], et cependant personne ne veut recevoir ce témoignage.

× III,33

Qui accepit ejus testimonium, ¦ Celui qui a reçu son témoignage

signavit quia Deus verax est. ¦ a signé la véracité de Dieu

× III,34

Quem enim misit Deus, verba ¦ Car celui que Dieu a envoyé dit les

Dei loquitur: non enim ad ¦ paroles de Dieu: car ce n'est pas

mensuram dat Deus spiritum. ¦ avec mesure que Dieu donne l'Esprit.

Celui qui a reçu son témoignage a par là-même signé la véracité de Dieu, il a par là participé au témoignage de Jésus-Christ. Notre-Seigneur a écrit ces vérités émanées de son Père, dans l'esprit et le coeur de celui qui les a reçues, et celui-ci, par son acquiescement et la foi avec laquelle il y adhère, signe cet écrit et affirme que Dieu est véridique dans les choses qu'il fait enseigner, et auxquelles il fait rendre témoignage par son Fils; car la parole à laquelle on souscrit ainsi n'est pas la parole d' un homme mais la parole de Dieu même; parce que celui qu'il a envoyé ne dit que la parole que Dieu lui a donnée. Nous autres nous rendons les choses divines par une parole humaine, mais cet envoyé donne la parole de Dieu même et cela dans son unique pureté. Car ici ne n'est pas comme dans les autres prophètes et envoyés de Dieu, qui ont chacun sa mesure d'Esprit de Dieu qui leur fait connaître les vérités divines et qu'ils sont obligés de rendre ensuite aussi selon leur mesure, employant pour cela leur esprit et leurs manières humaines; là il n'y a pas de mesure: l'Esprit lui est communiqué dans toute sa plénitude et rien ne se fait, rien ne se dit que par son mouvement et selon toute son inspiration; et par conséquent celui qui a reçu cette parole et ce témoignage rend témoignage lui-même et signe que la parole divine est vraie et par là-même que Dieu est véridique.

Une autre explication dans le sens du témoignage de Notre-Seigneur dans l'intérieur des âmes. Quand Notre-Seigneur pénètre ainsi dans une âme pour y présenter et tracer les mystères divins et les divines perfections, alors elle signe que Dieu est vrai, parce qu'en recevant ainsi cette parole intérieure que Notre-Seigneur lui veut inculquer par sa grâce en même temps qu'il lui parle à l'extérieur, elle reçoit la parole même de Dieu; car celui qui est envoyé de Dieu n'est pas comme les prophètes et les autres envoyés de Dieu, il parle la parole de Dieu même, et c'est cette parole qu'il met dans les âmes. Cette parole de Dieu est toujours efficace; elle renferme en elle les vérités qu'elle exprime. Cette divine parole, se faisant ainsi sentir et entendre dans l'intérieur d'une âme, lui présente donc les vérités, mystères et perfections mêmes qu'elle renferme, et l'âme qui y acquiesce signe et témoigne leur vérité, et par là signe la vérité de la parole de Dieu même qu'elle reçoit ainsi en substance.

Saint Jean dit: Qui accepit, signavit [celui qui a reçu a signé] et non qui accipit signat [celui qui reçoit signe]. Ceci peut être par rapport à la plainte qu'il a faite que personne ne reçoit ce témoignage; il ajoute que ceux qui l'ont reçu ont signé. On peut dire aussi que c'est une manière de parler des Hébreux.

Cela peut s'expliquer aussi d'une autre manière: quand Notre-Seigneur parle ainsi à une âme soit par ce témoignage extérieur, soit par la parole intérieure, l'âme fidèle qui écoute, s'ouvre avec plaisir pour laisser entrer cette divine parole; ce premier mouvement de l'âme est véritablement une réception du témoignage ou de la parole de Notre-Seigneur, elle n'y oppose pas d'obstacle, elle la laisse entrer. L'âme est devant Notre-Seigneur comme la soeur de Marthe, elle l'écoute et ses paroles divines entrent: voilà la réception. L'âme qui reçoit ainsi cette parole divine ne reste pas oisive, mais nécessairement elle fait des actes d' acquiescement soit de foi soit de charité. Ces actes sont comme la signature qu'elle appose aux vérités qui ont été manifestées en elle. C'est pourquoi saint Jean dit en termes généraux que celui qui a reçu ce témoignage a signé, de suite après, la véracité de Dieu par ces différents actes.

× III,35

Pater diligit Filium; et ¦ Le Père aime le Fils; et il a

omnia dedit in manu ejus. ¦ tout mis dans sa main.

Il explique cette plénitude que Notre-Seigneur a reçue et cette différence entre lui et les autres envoyés. C'est la prédilection particulière du Père pour son Fils, prédilection qui n'existe pour nul autre, qui fait qu'il met en ses mains tout ce qu'il a et par conséquent la plénitude de son Esprit.

Par le mot main il manifeste le pouvoir: il le lui donne pour qu'il en dispose selon son gré; le mot main est encore dit pour manifester la distribution: il lui donne tout le trésor de ses mystères, de ses vérités et de ses grâces pour les distribuer aux hommes. Mais quelle est la main si puissante du Fils de Dieu par laquelle il distribue tous ces grands trésors à toutes les créatures ? C'est sa vénérable humanité par le moyen de laquelle seule nous recevons tous ces témoignages, toutes ces lumières et toutes ces grâces divines. Le Père aime son Fils et a tout mis dans cette main admirable: c'est elle qui rend ce témoignage, c'est elle qui communique les divines vérités, c'est elle qui donne les grâces, c'est elle qui récompense les âmes fidèles, c'est elle qui frappera et exterminera les infidèles parce que c'est elle qui est établie juge des vivants et des morts.

On peut encore voir dans ces paroles le mystère de la très sainte Trinité: Pater diligit Filium [le Père aime le Fils]. La dilection du Père pour le Fils n'est rien autre chose que l'Esprit-Saint. Il s'agit ici de la mission du Fils de Dieu sur la terre pour communiquer sa parole aux hommes: Quem misit Deus, verba Dei loquitur [celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu]. Les dons et les opérations de grâce, qui touchent les âmes et leur font recevoir ces paroles, sont des opérations attribuées à l'Esprit-Saint, et c'est Notre-Seigneur qui communique cet Esprit-Saint aux âmes, dont il a la plénitude: Non enim ad mensuram [ce n'est pas avec mesure, etc.: cf. v.précédent]. Cette communication se fait par le Verbe uni à l'humanité sainte. C'est pourquoi il parle de la plénitude de l'Esprit-Saint qui a été donné. Et alors il ajoute la raison pourquoi une si grande plénitude d'Esprit-Saint dans cette parole annoncée et communiquée par le Fils de l'homme. Le Verbe reçoit la plénitude de l'Esprit-Saint de son Père; le Père aime le Fils de toute éternité de cet amour substantiel; c'est ce rapport essentiel qui fait procéder le Saint-Esprit du Père et du Fils; et toute cette essence divine a été mise en sa main, c'est-à-dire en son humanité sainte, par l'union hypostatique avec le Verbe, pour être distribuée aux hommes. Tout ce que le Verbe reçoit du Père est attribué et appartient au Fils de l'homme. Et le Fils de l'homme le communique à ses frères selon la mesure de chacun.

× III,36

Qui credit in Filium habet ¦ Celui qui croit dans le Fils a

vitam aeternam: qui autem ¦ la vie éternelle; mais celui qui

incredulus est Filio, non ¦ ne croit pas au Fils ne verra pas

videbit vitam, sed ira Dei ¦ la vie, mais la colère de Dieu

manet super eum. ¦ reste sur lui.

C'est pourquoi celui qui croit dans le Fils, c'est-à-dire qui adhère et est uni à lui par la foi, a la vie éternelle. Il ne dit pas aura, mais a, parce qu'étant ainsi uni avec le Fils, il possède par la foi tout ce qui est dans le Fils, et le Fils lui communique tout ce que son Père lui donne et par conséquent le rend participant à la vie éternelle qu'il a en lui dès ce monde, quoique d'une manière inférieure à la participation glorieuse. Mais celui qui ne croit pas au Fils, celui qui ne veut pas croire qu'il est le Fils de Dieu ni au témoignage qu'il rend de ce qu'il a vu dans le sein de son Père ne verra pas la vie, il ne l'a sûrement pas en lui en ce moment et il ne la verra - c'est-à-dire ne la possèdera - jamais tant qu'il reste dans cet état; parce que la première chose nécessaire pour que les péchés soient remis c'est de croire, et celui dont les péchés ne sont pas remis ne verra pas la vie; mais la colère de Dieu restera sur lui. Elle est maintenant [sur lui] parce qu'il est couvert de péchés, et, ne croyant pas, il ne pourra pas éloigner de lui cette colère divine, n'y ayant pas d'autre moyen pour cela que de croire au Fils de Dieu.

Il faut remarquer qu'il dit d'abord: Qui credit in Filium [celui qui croit dans le Fils], la perfection de la foi pour posséder en soi la communication de la vie de Notre-Seigneur; et ensuite il dit: Qui incredulus est Filio [celui qui ne croit pas au Fils], parce qu'il ne s'agit ici que de la rémission des péchés pour laquelle cette foi pratique n'est pas requise comme il a été dit plus haut.

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CAPUT IVm

[Chapitre quatrième× ]×

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× IV,1

Ut ergo cognovit Jesus quia ¦ Dès que Jésus eut su que les

audierunt pharisaei quod ¦ Pharisiens avaient appris que

Jesus plures discipulos ¦ Jésus faisait et baptisait plus

facit, et baptizat quam ¦ de disciples que Jean

Joannes, ¦

× IV,2

(quanquam Jesus non ¦ (quoique Jésus ne baptisât pas,

baptizaret, sed discipuli ¦ mais ses disciples),

ejus) ¦

× IV,3

reliquit Judaeam, et abiit ¦ il laissa la Judée et retourna en

iterum in Galilaeam. ¦ Galilée.

Jésus savait que les pharisiens étaient déjà pleins de jalousie envers Jean malgré la grande estime qu'ils étaient obligés d'en faire. Il connaissait tout ce qui se passait dans les coeurs et tous les sentiments qui devaient y venir plus tard. Sachant donc que les pharisiens seront jaloux de la gloire et de la grande réputation qu'il s'enquerra, [il] se retira en Galilée dès que ceux-ci eurent appris qu'il avait déjà dès son commencement plus de disciples que Jean-Baptiste en avait à la fin.

Notre-Seigneur voulait le salut de ces malheureux orgueilleux, c'est pourquoi il les ménagea dans ce commencement. Il se retira afin de ne pas donner lieu à leur orgueil de résister à la grâce dès le commencement, afin de les sauver ensuite. Telle est toujours la conduite de Dieu, il nous prévient de grâces auxquelles nous devons correspondre quoiqu'il prévoie que nous y serons infidèles, tant est grande sa bonté et sa compassion pour les pécheurs.

Par cette conduite Notre-Seigneur donne aussi une leçon à ses ministres: il faut savoir céder aux circonstances et quelquefois laisser un bien pour empêcher un mal. Comme aussi, quand les hommes mettent opposition à une oeuvre, céder quelquefois pour un temps et revenir ensuite.

La Galilée était un théâtre moins brillant et loin de Jérusalem, les craintes et les jalousies des pharisiens n'y trouvèrent pas tant de matière.

L'évangéliste ajoute: Quoique Notre-Seigneur ne baptisât pas. Les disciples baptisaient dans l'eau et Notre-Seigneur conférait l'Esprit-Saint. La figure était exécutée par les disciples et la réalité, qui était le baptême du Saint-Esprit, était faite par le Maître; les disciples baptisaient au nom de Notre-Seigneur. De tout cela il résulte que le baptême était celui de Notre-Seigneur, qu'on peut dire avec vérité que Notre-Seigneur baptisait, et il baptisait réellement quoique ce fussent les disciples dont il se servait pour le matériel du sacrement. C'est ainsi que devaient faire plus tard les Apôtres: annoncer l'Evangile, conférer l'Esprit-Saint après le baptême par la Confirmation et faire baptiser par leurs disciples: Non misit me baptizare, dit saint Paul, sed evangelizare [il ne m'a pas envoyé baptiser, mais annoncer l'Evangile: 1 Cor. 1,17]. Notre-Seigneur a voulu montrer par là que le baptême n'est pas un ministère essentiel pour ses Apôtres qui devaient le remplacer un jour sur la terre, mais qu'ils pouvaient faire faire ce ministère par leurs Prêtres et autres Disciples.

× IV,4

Oportebat autem eum transire ¦ Or il lui fallait passer par la

per Samariam. ¦ Samarie.

Il fallait passer par la Samarie, c'était un ordre de son Père qui l'y obligeait. Il y avait là des âmes inscrites dans ses décrets éternels pour recevoir la divine lumière en ce moment. Jésus lisait sans cesse dans les volontés de son Père et réglait toutes ses démarches par elles. Il voyait aussi tout l'ordre et l'enchaînement des événements amenés par la divine Providence pour en venir à l'exécution de ces desseins éternels de son Père sur ces âmes et il dirigea ses pas vers la Galilée par la Samarie.

C'est une chose admirable à voir comment la divine Providence ménage les circonstances pour l'exécution de ses desseins de salut pour les âmes. Cela paraît bien dans cette circonstance; nous n'avons donc pas besoin de nous inquiéter tant pour le salut des âmes; celui qui leur a prédéterminé les grâces qu'il veut leur faire a déterminé aussi le temps et les circonstances et arrangera tout par le concours des événements qu'il amène pour l'exécution de ses desseins; nous n'avons qu'à suivre l'exemple de Notre-Seigneur dans cette circonstance, être fidèles à mettre de notre côté tout ce qui dépend de nous et aider à la divine Providence à mesure qu'elle nous fournit les circonstances.

× IV,5

Venit ergo in civitatem ¦ Il vint donc dans la ville de

Samariae quae dicitur Sichar, ¦ Samarie nommée Sichar, auprès du

juxta praedium quod dedit ¦ pré que Jacob a donné à son fils

Jacob Joseph filio suo. ¦ Joseph: cf. Gn. 33,19; 48,22:

¦ Jos. 24,32.

Ce don que Jacob a fait à Joseph est une figure du don que le Père faisait à son Fils de tous ces pays. Car Joseph était une des grandes figures de Notre-Seigneur. Le vrai Joseph étant donc arrivé au moment où ce don véritable de son Père devait s'accomplir alla en prendre possession et c'est pour cela qu'il s'arrête auprès de ce pré, comme pour montrer par la réalité l'accomplissement de la figure.

× IV,6

Erat autem ibi fons Jacob. ¦ Or il y avait là le puits de

Jesus ergo fatigatus ex ¦ Jacob. Jésus, donc, fatigué de

itinere, sedebat sic supra ¦ la route était assis simplement

fontem. Hora erat quasi ¦ dur le bord du puits. C'était

sexta. ¦ environ la sixième heure.

Dans ce pré, Jacob donna aussi une source d'eaux à Joseph, pour signifier les grâces divines qui inonderont ce pays, et la grande source d'eaux salutaire de la grâce que le Père y donnera pour que tous puissent y puiser. C'était un puits, et non une source coulante qui abreuve le pays toute seule, pour montrer que, quand cette source divine viendra, tous ceux du pays n'en boiront pas, mais seulement ceux qui viendront y puiser.

Ce puits était très profond selon la parole de la Samaritaine (v.11); cela désignait le temps de l'ancien Testament où il était difficile d'atteindre à la source de vie qui devait paraître ensuite dans le pays pour aplanir les difficultés et verser à pleines mains à ceux qui y venaient puiser. Ce puits était profond avant la venue de Notre-Seigneur.

Hora erat quasi sexta: c'était au mois d'Avril ou environ, en la 6º heure du jour et à midi à peu près - puisque c'était quatre mois avant la moisson, comme il est dit plus bas: figure de la lumière et de la chaleur que le soleil de justice commençait à répandre avec profusion; alors la source d'eau vive ne reste pas au fond du puits, elle n'est plus si éloignée, ni de si difficile accès; mais elle devient à la portée de tous ceux qui veulent y puiser.

Sedebat sic supra fontem: Jésus se met sur la fontaine pour manifester que c'est lui qui est la véritable source et que la figure doit désormais disparaître pour faire place à la vérité.

La fatigue que Jésus éprouva peut signifier celle qu'il éprouvait dans les travaux que ses membres, pendant tout le temps de l'ancien Testament, étaient obligés de prendre pour arriver à la source de la vie; et ce repos, celui des âmes qu'il possèderait dans le nouveau, et qui n'ont plus ces pratiques multipliées et pénibles pour arriver à lui, mais elles reposent dans son sein, et se délassent, en buvant les eaux vivantes, des fatigues de la vie naturelle et des penchants de la chair. L'évangéliste appelle ainsi l'ancien Testament et ses pratiques laborieuses [une route] (iter, ex itinere), parce qu'en effet ce n'était qu'un chemin transitoire et inutile par lui-même, par lequel il fallait aller au Messie futur, comme dit saint Paul: les anciens n'on pas plu à Dieu par les pratiques mais par la foi, par conséquent les pratiques n'étaient qu'une voie qui n'avait rien de la réalité [cf. Gal. 2,16 ...].

On peut encore expliquer cette fatigue du chemin par la peine que Notre-Seigneur éprouve de l'éloignement des âmes qui ne veulent pas venir et ne peuvent pas même, tant elles sont enlacées dans leurs mauvaises affections et tant leur volonté est faible; et il faut que Notre-Seigneur aille courir après elles pour les chercher et c'est cette fatigue qu'il veut manifester, et il se repose sur la fontaine; cela veut dire la consolation de son coeur dans la grâce qu'il répandra dans une multitude d'âmes qui seront fidèles à avoir recours à lui, et que son Père lui attirera après qu'il aura couru après elles pour les chercher.

Cependant la fatigue corporelle du chemin fait à pied était réelle. Notre-Seigneur aurait pu ne rien souffrir de la fatigue, car cela dépendait uniquement de lui d'être lassé ou non; mais il voulait dans cette circonstance éprouver cette lassitude afin de s'en servir pour l'accomplissement des desseins de son Père sur la Samaritaine, qu'il savait devoir venir à la fontaine en ce moment par la science qu'il avait de toute la conduite de la divine Providence de son Père. C'est pour cela qu'il se fatigue afin de se reposer sur ce puits pour y recevoir la pauvre femme, et pour prendre occasion de la fontaine pour lui parler des choses célestes pour son salut.

Cette fatigue était d'un prix infini devant son Père, pour mériter à cette femme la grâce de la conversion de tous ses péchés. On voit une bonté admirable dans tout l'enchaînement des choses pour favoriser le salut de cette âme. Il a fallu que Notre-Seigneur arrive à la sixième heure, temps où les Apôtres devaient aller chercher de quoi manger, et encore, par un effet extraordinaire de sa miséricorde, il inspira à ses Apôtres de s'en aller tous, de manière qu'il ne restât personne, afin qu'il puisse prendre facilement occasion d'entrer en discours avec cette femme pécheresse pour lui demander de l'eau, et pour lui dire sans difficultés les choses qu'il avait à lui dire.

× IV,7

Venit mulier de Samaria ¦ Une femme samaritaine vient pour

haurire aquam. Dicit ei ¦ puiser de l'eau. Jésus lui dit:

Jesus: Da mihi bibere. ¦ Donnez-moi à boire.

× IV,8

(Discipuli enim ejus ¦ (Car ses disciples s'en étaient

abierant in civitatem ut ¦ allés à la ville acheter de quoi

cibos emerent.) ¦ manger.)

Une femme samaritaine vient dans ce moment à la fontaine pour puiser de l'eau. La divine Providence l'amena là en ce même moment pour son salut. Quoiqu'elle fût femme et Samaritaine, Notre-Seigneur ne dédaigna pas cependant de lui adresser la parole, d'entrer dans une sainte conversation, et lui enseigne une doctrine divine. C'est une chose remarquable. Notre adorable Maître met plus de complaisance à annoncer les vérités éternelles à cette femme pauvre, dégradées par le péché, décriée parmi tout son peuple, étrangère et méprisée par les Juifs comme samaritaine, qu'à Nicodème, Juif pieux, docteur de la loi et prince du peuple de Dieu. Il découvre plus de vérités à cette pauvre femme qu'au prince du peuple, qui vient cependant avec de bonnes intentions, et il parle à cette femme plus clairement et plus nettement qu'à ce docteur.

O Jésus, mon très adorable Seigneur, je suis moi aussi misérable, méprisable aux yeux des hommes et de toutes vos créatures; je viens aussi puiser de l'eau, mais de l'eau céleste à la fontaine de mon très doux Sauveur. Découvrez-vous à moi aussi et apprenez-moi ce qu'il faut que je fasse pour faire ce qui est agréable à vos yeux et aux yeux de votre Père céleste.

Que la sagesse de la croix est différente de la sagesse du monde Si les pharisiens avaient vu et entendu ce qui s'est passé dans cette circonstance, ils auraient trouvé beaucoup à redire et à mépriser dans la conduite de la Sagesse éternelle. On voit bien que cette divine Sagesse veut condamner solennellement la sagesse humaine qui préfère ce qui est grand à ce qui est petit et qui juge souvent tout à l'opposé du Fils de Dieu.

Jésus, pour entrer en conversation avec cette pauvre femme sur la matière précisément qu'il voulait lui parler, et qui est analogue à la chose qu'il demanda, il lui demanda à boire; il n'avait pas besoin de boire ni de manger, ces besoins ne lui venaient que quand il les appelait. Il n'était pas si pressé de boire pour en demander à cette femme en l'absence de ses Apôtres, il pouvait boire de cette eau vive de l'éternelle source de son Père, mais il veut sauver cette femme et plusieurs avec elle; c'est pourquoi il lui fit cette demande.

Mais quelle était cette soif ? Il y avait un sens caché sous ces paroles que cette pauvre femme ne comprenait pas. Jésus avait soif de cette âme misérable, il avait des désirs ardents de l' attirer à lui, pour l'unir à lui par la foi et l'amour divin, comme un homme qui a soif attire l'eau pour l'étancher. Sa soif était encore d'accomplir la volonté de son Père et il dit à cette femme de lui donner à boire, de se rendre aux sollicitations intérieures que son divin Esprit ira lui faire, afin que le Fils puisse accomplir les volontés adorables de son Père pour son salut.

× IV,9

Dicit ergo ei mulier illa ¦ Cette femme samaritaine lui dit

Samaritana: Quomodo tu, ¦ donc: Comment vous qui êtes Juif

Judaeus quum sis, bibere a me ¦ vous me demandez de l'eau à moi

poscis, quae sum mulier ¦ qui suis une femme samaritaine ?

Samaritana ? non enim ¦ car les Juifs n'ont point de

coutuntur Judaei Samaritanis. ¦ commerce avec les Samaritains.

Cette femme samaritaine, ayant toute la haine et tout l'opposition de sa nation contre les Juifs, ne se pressa pas de lui donner de l'eau à boire; mais elle lui dit avec étonnement: Comment vous qui êtes Juif vous demandez de l'au à une Samaritaine ? Elle accompagnait cela d'un ton de mécontentement. Elle disait cela parce que les Juifs ne voulaient avoir aucun commerce avec les Samaritains, parce qu'ils les regardaient comme des hérétiques, par la raison que ceux-ci n'admettaient pas les traditions et se tenaient strictement à la lettre de la loi et qu'ils avaient un Temple sur la montagne de Garizim et ne venaient pas sacrifier à Jérusalem.

On peut remarquer ici la même chose que dans la conversion de Nathanaël. Cette femme est pleine de préventions et de mécontentement contre Notre-Seigneur par la seule raison qu'il était Juif. Elle lui répond brusquement et sans dire Seigneur en commençant à parler. Notre très doux Seigneur usa envers cette femme de la même et peut-être d'une plus grande bonté qu'envers Nathanaël, il continue de lui parler et surtout il lui parle en son intérieur, la touchant par sa grâce, et finit par l'attirer à lui.

× IV,10

Respondit Jesus, et dixit ei: ¦ Jésus répondit et lui dit: Si vous

Si scires donum Dei, et quis ¦ saviez le don de Dieu et quel est

est qui dicit tibi: Da mihi ¦ celui qui vous dit: Donnez-moi à

bibere, tu forsitan petisses ¦ boire, vous lui auriez peut-être fait

ab eo, et dedisset tibi aquam ¦ vous-même la demande, et il vous

vivam. ¦ aurait donné de l'eau vivante.

Jésus, plein de compassion pour cette femme et de soif de la gagner, répond à sa demande injurieuse, pleine de préventions et d'invectives, et au refus qu'elle fait de lui donner à boire: Si vous saviez le don de Dieu qui est en moi et qui vous est offert par moi, et si vous connaissiez celui qui vous demande à boire; vous ne vous amuseriez pas à ces préventions; vous verriez que ce n'est pas cette soif naturelle de boire de l'eau qui lui fait dire cela, qu'il est lui-même la source d'eau vive et qu'il vous demande seulement à boire pour vous combler du don de Dieu qu'il a reçu pour vous de son Père céleste. Si vous connaissiez cela vous lui demanderiez peut-être vous-même à boire et il vous donnera sûrement de l'eau vivante.

Si le sens de la première demande de Notre-Seigneur était qu'il demanda spirituellement qu'elle lui donnât son âme, par la soif ardente qu'il avait de la remplir de grâce et de la donner à son Père céleste, alors Notre-Seigneur lui parle ici dans ce même sens. Seulement, il lui explique un peu davantage afin de glisser peu à peu cette vérité dans cette âme qui a toujours été bien éloignée de Dieu et très ignorante des choses spirituelles: Si vous saviez le don de Dieu qui vous est offert par les paroles que je vous ai dites. - Car Notre-Seigneur désirait ardemment posséder cette pauvre âme pour la combler de grâces et de bénédictions célestes. - Et si vous saviez quel est celui qui vous fait cette demande, c'est-à-dire le Fils tout-puissant du Père, vous auriez peut-être plutôt demandé à boire vous-même, vous seriez peut-être entrée dans ces désirs ardents d'une âme qui se livre à moi et qui a des soifs et des ardeurs extrêmes, vous m'auriez peut-être demandé les dons et les grâces dont vous auriez connu le prix et ce que vous auriez su être en moi dans leur source; et de mon côté je vous en aurais remplie.

Il faut observer que Notre-Seigneur dit peut-être quand il s' agit de la demande que la femme aurait faite, et il affirme avec certitude quand il s'agit de ce qu'il accordera la demande.

L'amour incompréhensible de Notre-Seigneur pour nous est plus grand que celui que nous avons pour nous-mêmes. Il n'est pas sûr que nous demandons, mais il est sûr que nous obtenons dès que nous demandons.

Mais quelle est la raison pour laquelle Notre-Seigneur dit à la Samaritaine d'un ton d'incertitude qu'elle aurait demandé quoiqu'il sût la chose d'une manière incertaine ? Ce doute ne tombe pas sur Notre-Seigneur, mais sur la nature des choses, c'est-à-dire sur l'état des âmes. Il ne dit pas: Je ne sais pas si, etc. mais il dit peut-être, etc. Ce peut-être tombe sur l'action de la femme. En elle la chose était incertaine, même supposant qu'elle eût su le don de Dieu, et quel était celui qui lui demandait à boire.

Pour expliquer cela il faut savoir qu'il y a deux genres de grâces que Notre-Seigneur donne aux âmes pour les attirer à lui: des grâces de lumière pour l'esprit et des grâces pour échauffer et fortifier la volonté. Les premières sont toujours accompagnées de quelques grâces pour porter la volonté vers la chose vue par l'esprit. De manière qu'il arrive que dans une âme dont l'esprit voit la chose, la volonté se rend. Mais il y a des âmes qui sont arrêtées fortement par les penchants de la volonté et qui tiennent aux plaisirs de la terre, celles-là résistent souvent à cette première grâce de la lumière dans l'esprit. Si Dieu les veut, il faut qu'il fasse un nouvel assaut à la volonté et qu'il y verse un surcroît surabondant de ses grâces. C'était l'état de la Samaritaine. Elle avait des obstacles des deux côtés: de l'esprit par la prévention et le mécontentement, et du coeur par les attaches aux plaisirs et les habitudes mauvaises. Voilà pourquoi Notre-Seigneur lui dit: Si vous saviez le don de Dieu et quel est celui qui vous demande à boire, vous ne vous laisseriez pas aller à la prévention et au mécontentement; et de ce côté-là vous seriez de suite portée à avoir recours à celui qui vous parle. Car ces connaissances auraient par le fait rompu les obstacles de l'esprit. Cependant il dit: peut-être à cause des attaches de la volonté qui restaient encore à combattre et contre lesquelles il faudrait un nouvel effort de la grâce divine. Cet effort eut lieu comme on peut voir par la bonté extrême avec laquelle Notre-Seigneur poursuit son discours avec elle et par les effets que ses divines paroles produisent.

× IV,11

Dicit ei mulier: Domine, ¦ La femme lui dit: Vous n'avez

neque in quo haurias habes, ¦ même pas en quoi puiser l'eau, et

et puteus altus est; unde ¦ le puits est profond; d'où donc

ergo habes aquam vivam ? ¦ avez-vous de l'eau vive ?

× IV,12

Numquid tu major es patre ¦ Etes-vous plus grand que notre

nostro Jacob, qui dedit nobis ¦ père Jacob qui nous a donné ce

puteum, et ipse ex eo bibit, ¦ puits, et il en a bu lui-même,

et filii ejus, et pecora ejus?¦ lui, ses enfants et ses bestiaux?

Notre-Seigneur à mesure qu'il parlait à cette femme pécheresse touchait son coeur par sa grâce intérieure et l'éclairait peu à peu. Elle commença à avoir quelque lueur de la vérité, mais c'était si peu de chose qu'elle ne comprenait rien à ce que Notre-Seigneur lui dit. Seulement elle soupçonna qu'il y a quelque chose de surnaturel là-dessous, et les sentiments de son coeur le lui devaient dire assez. Voilà pourquoi elle lui dit: Seigneur, vous n'avez pas en quoi puiser l'eau, et ce puits est profond, et par conséquent ce n'est pas de ce puits que vous voulez me donner de l'eau vive; et où pouvez-vous donc prendre cette eau vive que vous voulez me donner ? Vous parlez donc d'une eau miraculeuse que vous voulez me donner ? Et cela sans creuser et sans vous donner aucune peine ? Etes-vous donc plus grand que Jacob qui nous a donné ce puits en creusant profondément sous terre ?

On voit une âme attentive à toutes les paroles de Notre-Seigneur qui ne perd aucune [des] circonstances dans lesquelles les divines paroles lui étaient dites. Elle ne les comprend pas bien mais on voit qu'une petite lumière commence à la frapper; elle voit que c'est d'une eau miraculeuse qu'il s'agit, c'est ce qui lui fait dire: Numquid tu major es, etc.?, et son coeur est touché; les préventions (d'une Samaritaine contre un Juif) sont tombées. Elle lui parle avec respect et avec affection de coeur: Domine [Seigneur], etc. Il paraît bien qu'un autre trait l'a éclairée encore: c'est que Notre-Seigneur veut lui donner cette eau sans en boire lui-même, avec un amour désintéressé. Elle commence à voir qu'il ne lui avait demandé à boire que pour lui en donner. Voilà pourquoi elle lui dit, dans son étonnement, que Jacob en leur donnant ce puits commença par en boire lui-même, lui, ses enfants et ses bestiaux.

× IV,13

Respondit Jesus, et dixit ei: ¦ Jésus répondit, et lui dit: Quiconque

Omnis qui bibit ex aqua hac, ¦ boit de cette eau, aura soif à

sitiet iterum; qui autem ¦ nouveau; mais celui qui aura bu de

biberit ex aqua, quam ego dabo¦ l'eau que moi je lui donnerai, n'aura

ei, non sitiet in aeternum; ¦ plus soif pour l'éternité.

Après avoir jeté ces premières lueurs de la vérité dans son esprit, et après avoir rendu cette âme plus docile et plus attentive à sa divine voix, notre divin Maître va plus avant, donne plus d'étendue et plus de clarté à cette divine lumière de sa grâce et en même temps donna le mouvement à la volonté, pour la faire tendre et désirer avec ardeur cette eau salutaire qu'il désire tant lui donner; cependant toujours sans lui donner une lumière claire de la chose jusqu'à ce que cette âme fût entièrement changée, seulement par là il la disposa et prépara à cette grâce parfaite. C'est ainsi que la sagesse divine va par degrés avec les âmes pour les faire parvenir à la consommation de sa sainteté et de son amour. Il donne une première grâce à laquelle nous devons être fidèles; si nous le sommes nous en recevons une plus parfaite, et, à mesure que nous répondons à ces divines grâces, à mesure aussi notre divin bienfaiteur avance jusqu'à ce que nous soyons entrés dans le sanctuaire de son divin amour, et alors il ne garde plus de mesure, il se donne et se communique avec une richesse et une profusion qui surpasse tout sens. C'est ainsi qu'il a agi avec la Samaritaine: à mesure qu'il avance il l'éclaire de plus en plus et la dispose toujours à lui donner des lumières plus amples. C'est pourquoi il lui dit: Celui qui boit de cette eau matérielle qui vous a été donnée par Jacob a tout de même soif ensuite; mais l'eau vive que je donne n'est pas comme celle-là. Ceux qui en boivent n'ont plus soif non seulement dans ce monde mais pendant toute l'éternité.

Pour comprendre pourquoi Notre-Seigneur fait si souvent cette comparaison du manger et du boire quand il parle de la communication de sa grâce, il faut savoir [ceci]: notre âme n'a rien en elle-même pour se satisfaire, elle est comme un vase vide qui ne peut se remplir que de choses étrangères à elle. Dieu nous a créés de cette manière, afin de nous remplir lui-même et de nous communiquer sa propre vie et ses propres perfections dont nous devons jouir un jour de la manière la plus parfaite, comme dit saint Jean dans une de ses épîtres: Similes ei erimus [nous lui seront semblables: I Jo. 3,2]; mais même dès ce monde, nous avons cette vie par la foi. Pour cela, il faut que notre âme tende vers lui de toutes ses puissances. Dès l'origine elle a été créée comme cela et tout le temps de l'innocence l'homme jouissait ainsi de Dieu, il tendait sans cesse vers lui et était dans une dépendance entière de Dieu. Le péché ayant rompu la liaison entre Dieu et l'homme, et fait que l'homme au lieu de remplir son âme de Dieu et de ses divines beautés voulut se suffire à soi-même, ce qui est marqué par ces paroles du tentateur: Vous seriez comme des dieux qui suffirez à vous-mêmes, Dieu se retira et l'homme tomba dans un vide et un besoin affreux; parce que Dieu, par là-même qu'il nous avait créés pour être ainsi dans sa complète dépendance dans toute l'étendue de notre être et de toutes ses puissances, par là-même nous a imprimé ce besoin d'avoir de quoi satisfaire notre âme. Ce besoin et ce vide sont parfaitement représentés par la faim, parce que notre âme n'ayant pas d'objet pour se nourrir et se sustenter est dans un état extrêmement violent et dans une grande défaillance. De ce vide et de ce besoin que nous avons d'avoir un objet pour nous satisfaire naît un désir brûlant et une tendance ardente vers un objet quelconque qui puisse nous satisfaire. Ce désir et cette tendance sont comparés à la soif qui produit les mêmes effets dans le besoin de la boisson. Depuis que le péché réside dans notre chair, notre âme, n'ayant plus cette pente naturelle vers Dieu pour chercher à rassasier sa faim et étancher la soif de ses désirs, cherche à les satisfaire dans les créatures ou en son amour-propre, étant trompée en cela par ses sens et par les impulsions de ses appétits déréglés de la chair.

Mais Notre-Seigneur étant venu, il renoue notre union et nos rapports avec Dieu, devient lui-même le trésor et la source de ce qui peut satisfaire notre faim et notre soif, tandis que les choses naturelles ne peuvent pas les satisfaire, parce que toutes ces choses ne portent un petit soulagement (si toutefois on peut appeler cela soulagement) qu'à nos sens par les plaisirs, et à l'imagination par les richesses et l'orgueil; mais tout cela n'atteint pas l'âme et ne lui communique rien de réel dont sa faim puisse se nourrir et sa soif s'étancher. Aussi dès qu'on a reçu ces objets qu'on pense devoir nous satisfaire on a aussi soif et aussi faim qu'auparavant. C'est ce que Notre-Seigneur dit ici à la Samaritaine: Pour ce qui est de cette eau matérielle dont vous me parlez et que vous avez reçu de Jacob vous avez beau en boire, très peu de temps après vous avez soif comme auparavant; et par ce défaut il figure les biens de la terre. Mais celui qui boit de l'eau que je donne, celui-là n'aura plus jamais soif. Cette eau céleste pénétrera dans son âme, la remplira tout entière en la rafraîchissant, la consolant et la satisfaisant dans tous ses besoins, et cela non seulement dans ce monde, mais encore pendant toute l'éternité, comme il va dire au verset suivant.

Notre-Seigneur dit que ceux qui boivent à la fontaine divine de sa grâce n'auront plus jamais soif, et cependant plus une âme reçoit de lui de grâces et d'amour, plus elle est brûlée du désir de l'aimer davantage, tellement qu'une grande preuve d'un grand degré d'amour dans une âme c'est lorsqu'elle a des désirs plus ardents de la possession de Notre-Seigneur.

Mais il faut savoir qu'il y a une grande différence entre ces deux désirs. Le premier est celui d'une âme vide et dans le besoin, son ardeur est une ardeur de douleur inquiète pour tendre vers l'objet qu'elle n'a pas. Son désir vient de l'absence de bien et de la misère, et son ardeur du défaut de rafraîchissement, du besoin et de l'inanition où elle est. C'est là véritablement la soif avec tous ses effets. Mais le second désir est tout à fait différent. Il ne vient pas du vide ni du besoin, ce n'est pas la misère et l'absence du bien qui la causent, mais au contraire ce sont pour ainsi dire les embrassements du bien admirable qu'on possède. On voit ses beautés ravissantes et l' âme s'épuise en désir vers lui. Elle le possède et elle l' embrasse avec des ardeurs inconcevables et veut en jouir encore davantage: excès de jouissance qui sont réservés pour l'éternité.

Ces désirs, loin d'être douloureux, sont pleins de délices et de délectation non imaginaires mais très réelles et substantielles. Et si quelquefois il sont accompagnés de douleurs, ces douleurs sont si délicieuses qu'on ne les donnerait pas pour toutes les joies du monde. C'est pourquoi cette espèce de soif n'est pas une soif semblable à la soif naturelle dans toutes les circonstances et les accidents dont elle est accompagnée. Toute sa ressemblance avec elle consiste en ce que c'est une tendance ardente vers un objet désiré, mais pleine de bonheur et dans la possession du bien désiré.

× IV,14

Sed aqua quam ego dabo ei, ¦ Mais l'eau que moi je lui donnerai

fiet in eo fons aquae ¦ deviendra en lui une source qui

salientis in vitam aeternam. ¦ rejaillit jusqu'à la vie éternelle.

Notre-Seigneur explique maintenant comment cette eau vive qu'il donne à ceux qui viennent à lui étanche la soif jusque dans l'éternité. Cette eau de la grâce que le divin Sauveur met dans notre âme devient en nous une source qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle. Cette grâce qui est en nous devient source de notre gloire. Ainsi cette divine eau a deux admirables qualités: la première d'être vivante pour nous sur la terre, de nous rafraîchir et de nous remplir ici-bas, et la seconde de devenir en nous une source pour nous abreuver pendant toute l'éternité.

Les grâces divines que Notre-Seigneur nous communique sur la terre deviennent notre propre substance, nous communiquent par la foi la sainteté de Notre-Seigneur, ses vertus, ses dispositions et sa vie, et nous rendent participants à ses mystères, et font de tous ces biens divins dont Notre-Seigneur est le grand trésor, comme une propriété qui appartient à nos âmes et dont elles jouissent dès cette vie. Et quand le jour de la gloire arrivera, ces biens divins que notre âme possédait réellement et véritablement et qui sont comme sa propre substance, et qui étaient cachés sous le voile de la foi, paraîtront alors sous tout un autre aspect; le voile tombera et toute la splendeur de la gloire de Notre-Seigneur paraîtra en nous; de manière que cette grâce, qui a une qualité rafraîchissante pour nous sur terre, devient cette source admirable de la vie de gloire. Cette eau même que Notre-Seigneur nous donne ici-bas rejaillira avec une grande abondance et avec un éclat éblouissant dans toute l'éternité. Elle nous a rendus semblables à Jésus-Christ sur la terre par la grâce, elle fera de nous d'autres Jésus-Christ dans le ciel par l'éclat de sa gloire: Fulgebunt justi sicut sol in regno Patris eorum [les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père: Mt. 13,43], ils auront l'éclat du soleil même qui leur communique cette splendeur, c'est-à-dire de Jésus-Christ même.

× IV,15

Dicit ad eum mulier: Domine, ¦ La femme lui dit: Seigneur,

da mihi hanc aquam, ut non ¦ donnez-moi cette eau, pour que

sitiam, neque veniam huc ¦ je n'ai pas soif, et que je ne

haurire. ¦ vienne pas puiser ici.

Les paroles que notre adorable Maître vient de prononcer et les grâces intérieures dont il les accompagnait eurent l'effet qu'il voulait produire. Il ne voulait pas encore éclairer parfaitement cette pauvre âme, il voulait seulement jeter certaine lumière confuse dans son esprit, parce qu'elle n'était pas encore assez disposée pour recevoir une parfaite lumière et n'en était pas capable; il voulait en outre exciter ses désirs pour cette eau salutaire dont il lui fait seulement entrevoir la beauté et l'excellence. Ces paroles et ces grâces intérieures la touchèrent et elle entra dans un désir plein d'amour d'avoir cette eau qu'elle voyait bien être quelque chose d'extraordinaire, quoique pensant grossièrement qu'elle l'empêchera d'avoir cette soif matérielle. Elle dit donc avec un épanchement de coeur en Notre-Seigneur et en portant son âme avec amour vers lui (ce qui est exprimé par les mots dixit ad eum: il ne dit [pas] dicit ei, mais ad eum, ce qui annonce cet épanchement de son âme vers lui): Seigneur, donnez-moi cette eau. Cet amour était cependant très imparfait comme ses vues et sa lumière spirituelle l'étaient; elle désire par intérêt et pour épargner de la peine. Le désir n'était pas fondé là-dessus, mais plutôt sur la grâce qui la touchait, mais des vues d'intérêt s'y mêlèrent.

Ces paroles: Ut non veniam huc haurire montrent le peu de lumières qui étaient en elle. Cependant, ces paroles seraient parfaitement placées dans la bouche d'une âme désireuse de se donner à Notre-Seigneur et encore enlacée par les plaisirs terrestres. Elle désire ardemment se dégager de ces plaisirs et ne jouir que de la grâce divine, alors elle dit à Notre-Seigneur: Seigneur Jésus, donnez-moi cette eau vive pour rassasier mon âme qui, faute d'avoir ces biens, se livre à ses passions et se nourrit des biens terrestres; mes passions sont vives, elles demandent toujours de quoi les satisfaire. J'ai toujours soif, et n'ayant pas votre eau divine de la grâce, je vais me jeter sur les biens de la terre, j'y cherche des plaisirs. Seigneur, donnez-moi votre eau vive afin que mes passions soient satisfaites et que je n'aie plus besoin d'aller puiser dans les plaisirs de la terre.

Ce sens pourrait même avoir été jusqu'à un certain point celui de la Samaritaine, mais d'une manière bien confuse; et, comme elle était si ignorante dans les choses spirituelles et si incapable de démêler les sentiments intérieurs et surnaturels dont elle n'avait aucune expérience, ni le fond et la nature d'un désir spirituel, elle rendit seulement ce qu'il y avait de plus grossier dans son désir sans pouvoir exprimer le reste qui était trop confus dans son esprit. Pour peu qu'on ait connaissance des âmes dans ces premiers mouvements de la conversion on sait combien elles sont ignorantes sur leurs désirs et comme souvent elles disent des motifs qui ne sont pas les vrais.

Il faut remarquer: elle ne demande pas de cette eau, mais cette eau; sa soif était grande, son désir ardent; elle voulait être remplie, et ne se contentait pas d'en avoir un peu.

× IV,16

Dicit ei Jesus: Vade, voca ¦ Jésus lui dit: Allez, appelez

virum tuum, et veni huc. ¦ votre mari, et venez ici.

La Samaritaine demanda ces eaux célestes et avec grande affection du coeur; mais elle n'était pas encore assez disposée pour les recevoir; elle était actuellement dans une occasion de péché, et Notre-Seigneur veut, dans ses deux réponses suivantes, le lui faire sentir et en même temps la frapper par la connaissance miraculeuse qu'il avait de sa vie. Elle était assez disposée pour que ce miracle pût faire son effet sur elle. C'est pourquoi Notre-Seigneur lui dit: Appelez votre mari, et venez ici: comme s'il lui disait: si vous pouvez m'amener votre mari je vous la donnerai, ou pour lui faire sentir que celui avec qui elle vivait n'était pas son mari.

Notre divin Maître use d'une bonté admirable envers les pécheurs qui sont entraînés par faiblesse dans le péché, il ménage cette pauvre femme et lui rappelle le souvenir de sa faute avec une douceur admirable afin qu'elle s'en repente et qu'elle l'avoue. C'est une grande leçon qu'il nous donne sur la manière de traiter avec les pécheurs.

× IV,17

Respondit mulier, et dixit: ¦ La femme répondit et dit: Je n'ai

Non habeo virum. Dicit ei ¦ point de mari. Jésus ajouta:

Jesus: Bene dixisti, quia non ¦ Vous avez bien dit: Je n'ai point

habeo virum. ¦ de mari;

× IV,18

Quinque enim viros habuisti: ¦ car vous avez eu cinq maris, et celui

et nunc, quem habes, non est ¦ que vous avez maintenant n'est pas

tuus vir: hoc vere dixisti. ¦ votre mari; en cela vous avez dit ¦ vrai.

La femme répondit qu'elle n'avait pas de mari. Elle ne disait pas de mensonge en cela car, quoiqu'elle eût un homme avec elle, ce n'était pas son mari; elle vivait mal. Elle aurait pu venir avec son prétendu mari, puisqu'elle ne savait pas que Notre-Seigneur savait les secrets des coeurs mais elle avait du remords, et probablement, dans le même temps que Notre-Seigneur lui adressa cette question, il lui inspira intérieurement de bons sentiments sur cela et la résolution de changer. Cependant si sa contrition eût été parfaite elle aurait avoué le fait et demandé pardon avec larmes comme Madeleine, mais cette pauvre femme était encore dans un état très imparfait, ses lumières [étaient] très médiocres, mais la présence adorable de Notre-Seigneur, ses paroles de grâce qui portaient toujours, sa bonté ineffable, et les douceurs et suavités intérieures qu'il donnait à cette âme pour l'attirer, produisaient en effet cette sainte attraction qui l'attacha à Notre-Seigneur sans qu'elle sût encore qui il était et sans qu'elle comprît bien ses divines instructions.

Elle eut honte de faire connaître sa vie dissolue à Notre-Seigneur et se contenta [de] dire qu'elle n'avait pas de mari. Oh ! que cette pauvre femme connaissait peu celui qui lui parlait avec tant de bonté et tant d'amour ! Elle se repentait; si elle avait avoué ses péchés en se confondant devant lui elle aurait obtenu des transports d'amour et un pardon complet, mais elle craignait [de] trouver la rigidité des pharisiens.

O adorable Jésus, je sais bien que cela n'est pas vrai, j'ai bien éprouvé de la manière la plus admirable votre bonté, votre amour, votre douceur et votre compassion tendres et incompréhensibles pour les pécheurs les plus mauvais tel que je l'étais. O Jésus, je veux vous ouvrir mon coeur, vous avouer tous les crimes et mes horribles méchancetés, je veux m'en confondre devant vous, prosterné face contre terre; donnez-moi, je vous en prie, votre saint et délicieux amour; je suis assez pécheur pour que vous m'accordiez cette sainte faveur.

Notre-Seigneur, en même temps qu'il lui montre son péché, frappe son esprit par la connaissance miraculeuse qu'il en a, pour fortifier sa foi. Cette âme encore grossière avait besoin d'une chose semblable.

Notre-Seigneur lui reproche d'avoir eu cinq maris. Ou ces maris sont morts l'un après l'autre, et le reproche tombe sur cette incontinente qui a été cause qu'elle s'est mariée cinq fois, et qu'après cela elle en ait un qui n'est pas le sien mais probablement celui d'une autre femme. Ou ces maris étaient encore vivants et elle les a renvoyés l'un après l'autre, comme cela existait chez les peuples corrompus où la femme avait aussi bien que le mari le droit de renvoyer par divorce. Et il serait possible que ce droit existât chez les Samaritains. Dans ce cas le reproche était tout naturel: car même si elle croyait de bonne foi qu'une femme aurait ce droit, il y avait évidemment du mal à en renvoyer cinq et après cela vivre avec un étranger sans mariage, et peut-être avec le mari d'une autre femme comme le terme tuus vir [votre mari] semble l'indiquer assez.

× IV,19

Dicit ei mulier: Domine, ¦ La femme lui dit: Seigneur, je

video, quia prophetus es tu. ¦ vois que vous êtes un prophète.

× IV,20

Patres nostri in monte hoc ¦ Nos pères ont adoré sur cette

adoraverunt, et vos dicitis ¦ montagne, et vous dites, vous,

quia Jerosolymis est locus ¦ que c'est à Jérusalem qu'il

ubi adorare oportet. ¦ faut adorer.

La parole de Notre-Seigneur a produit la foi dans cette âme, mais elle ne semble pas avoir augmenté en elle la contrition de ses péchés. Bien sûrement, plus tard ces sentiments devinrent aussi forts que cela devait être, après cet entretien avec Notre-Seigneur, pour recevoir le baptême de régénération, et on peut croire que Notre-Seigneur le lui fit donner pendant son séjour à Sichar. Et une fois régénérée elle devint tout autre qu'auparavant.

Elle lui dit: Je vois bien que vous êtes un prophète. Cela montre une foi naissante mais une lumière médiocre. Nathanaël dans une même circonstance dit: Tu es Filius Dei, tu es rex Israel [vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le roi d'Israël]. Quelle différence ! Aussi Nathanaël était un bon Israélite et par là déjà assez disposé à recevoir la foi puisque l'ancienne loi était une préparation à la foi; tandis que cette femme était mauvaise même parmi les Samaritains. Elle était grossière et remplie de vices. Voilà pourquoi Notre-Seigneur alla par degrés avec elle, et n'amena que tout doucement sa conversion et d'un manière faible.

Comme elle avait la foi et une véritable confiance dans les paroles de Notre-Seigneur son esprit se porta de suite vers la grande question qui occupait tant les Samaritains et les Juifs et elle voulait profiter de cette belle occasion pour savoir avec assurance ce qu'il y avait à croire et à faire.

Elle dit: Nos pères ont toujours adoré Dieu sur cette montagne (c'est-à-dire le mont Garizim) et vous, Juifs, vous dites que c'est à Jérusalem qu'il faut adorer. On voit dans ces paroles combien elle était pleine de respect devant Notre-Seigneur. Elle semble s'excuser de ce qu'elle adore Dieu sur le Garizim, parce qu'elle sent qu'elle est en opposition avec la tradition des Juifs; elle rejette la faute sur ses ancêtres, elle semble dire: Nos ancêtres ont fait cela, et se montre disposée à croire ce que Notre-Seigneur décidera.

Mais en tout cela il y avait peu d'instruction; elle ne savait pas véritablement ce que c'était qu'adorer Dieu, car les Samaritains avaient encore moins l'esprit de la loi que les Juifs et étaient plus extérieurs dans les devoirs qu'ils rendaient à Dieu, de manière qu'ils attachaient tout le prix de l'adoration à cet endroit-là; partout ailleurs ils ne s'en occupaient pas; et encore, quelle était leur adoration dans ce lieu si vénéré ? Quelques actes extérieurs.

× IV,21

Dicit ei Jesus: Mulier, crede ¦ Jésus lui dit: Femme, croyez-moi,

mihi, quia venit hora, quando ¦ il viendra un temps où vous

neque in monte hoc, neque in ¦ n'adorerez le Père ni sur cette

Jerosolymis adorabitis Patrem.¦ montagne ni à Jérusalem.

La question de cette femme prêtait l'occasion à Notre-Seigneur de l'instruire de trois vérités: la première, sur le lieu où l'on doit adorer Dieu; deuxièmement, à savoir si dans la différence de religion la vérité était chez les Juifs ou chez les Samaritains: car quoique cette femme posât seulement cette question sur la différence du lieu d'adoration, son intention était cependant d'être instruite sur tout le reste. Elle parle de cette seule différence parce qu'elle la croyait la plus importante, ce qui n'était cependant pas vrai. Troisièmement sur l'adoration même dont elle n'avait pas d'idée exacte.

Dans ce verset Notre-Seigneur l'instruit sur le premier point. Il lui fait voir que l'on peut adorer Dieu en tout lieu, et cela est tellement vrai "qu'il viendra un temps où vous n'adorerez ni ici, ni à Jérusalem". Notre-Seigneur prend un ton très solennel pour cela. Il fixe toute l'attention de la Samaritaine et il a besoin de fortifier sa foi sur ce qu'il ira lui dire: "Femme, croyez-moi". Cela vient de ce que cette personne aussi bien que tout son peuple, ainsi que les Juifs, avaient un si grand attachement à ce lieu particulier et déterminé pour adorer Dieu, que c'était une chose si extraordinaire pour eux que d'entendre dire le contraire, qu'ils s'en seraient scandalisés très fortement. Voilà pourquoi Notre-Seigneur lui dit: Femme, croyez-moi; il viendra un temps où vous n'adorerez mon Père, etc., soit parce que tous ces lieux particuliers seront détruits et ruinés, soit parce que la loi sera abolie après la mort de Notre-Seigneur et l'Eglise répandue par toute la terre adorera Dieu en tout lieu, et lui offrira la victime pure et sans tache sur toute la surface de la terre.

× IV,22

Vos adoratis quod nescitis; ¦ Vous adorez, vous, ce que vous ne

nos adoramus quod scimus, ¦ connaissez point; nous nous adorons

quia salus ex Judaeis est. ¦ ce que nous connaissons parce que le

¦ salut vient des Juifs.

Maintenant Notre-Seigneur l'instruit sur la seconde chose qui est la réponse directe à sa question: Les Juifs sont le peuple choisi et vous, vous ne l'êtes pas. Le salut de tous les peuples, et par conséquent le vôtre même vient des Juifs. C'est par conséquent sur eux qu'a toujours veillé la divine Providence pour la conservation du dépôt de la foi. Toutes les vraies traditions se trouvent chez eux, soit sur la connaissance de Dieu, soit sur les devoirs qui lui sont dûs, soit sur la manière de les lui rendre. Ainsi vous adorez ce que vous ne connaissez pas, vous n'avez pas les vraies traditions, vous n'avez pas les prophètes (23), vous n'avez que la loi que vous ne comprenez pas parce que vous n'avez pas les vraies traditions par rapport au Messie, le seul salut de tous les peuples en qui seul on peut rendre les adorations à Dieu et à qui seul aboutissent toutes les pratiques prescrites dans la loi; tandis que nous, le salut devant naître parmi nous, Dieu nous a conservé les vraies traditions et toutes les figures du Messie qui est ce salut; ainsi nous adorons ce que nous connaissons.

Quoique, du temps où Notre-Seigneur parlait, les traditions fussent bien obscurcies par les fausses traditions des scribes, quoique les prophètes ne fussent plus bien compris dans le peuple juif, cependant il y avait encore moins d'ignorance parmi eux que parmi les Samaritains. D'ailleurs Notre-Seigneur parle en général sur la grande discussion des Samaritains avec les Juifs sans détermination, pour le temps présent où il parlait, voulant seulement montrer que les Samaritains étaient dans la fausse voie et qu'il ne fallait pas tenir à leurs préjugés.

De plus, Notre-Seigneur se proposait de diriger l'esprit de cette femme vers le Messie, l'ayant assez disposée par tout cet entretien à se faire connaître comme il fit en effet à la fin de ce discours.

× IV,23

Sed venit hora, et nunc est, ¦ Mais vient une heure, et elle est

quando veri adoratores ¦ déjà venue, où les vrais

adorabunt Patrem in spiritu ¦ adorateurs adoreront le Père en

et veritate, nam et Pater ¦ esprit et en vérité; car ce sont de

tales quaerit qui adorent eum.¦ tels adorateurs que le Père cherche.

Notre-Seigneur lui donne la troisième instruction dans ce verset et dans le suivant. Les Samaritains ne savaient pas même ce qu'ils adoraient; les Juifs savaient ce qu'ils adoraient et faisaient cela mieux; mais toutes ces adorations étaient des adorations imparfaites au moins. Les Juifs mêmes n'adoraient Dieu que par des pratiques et des figures, car tout le bien qui résidait là-dedans c'est que les pratiques avaient une signification qui figurait le Messie et ses différents mystères, et les vrais Israélites, sans précisément en savoir bien l'explication en avaient une idée confuse. De plus ces adorateurs n'étaient presque jamais de vrais adorateurs parce que le plus souvent, dans le moment même où ils apportaient leur hommage à Dieu, ils conservaient dans leur intérieur toutes sortes de mauvaises dispositions. De plus les meilleurs mêmes n'étaient pas de vrais adorateurs, parce qu'ils ne savaient jamais adorer autrement que par pratiques et figures, et ils y joignaient quelques bons sentiments; il n'y avait qu'un très petit nombre d'âmes choisies et extraordinaires qui y mettaient toute leur âme.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit: Ni en ce lieu-ci ni à Jérusalem, on adore Dieu comme il faudrait le faire, mais il viendra un temps où les choses changeront de face; alors de vrais adorateurs, des gens tout dévoués à mon Père, des hommes qui seront tout entiers livrés à l'adoration de mon Père, oublieront et perdront de vue toute chose créée, toute affection humaine et tout désir naturel, et se renonceront sans cesse eux-mêmes afin de s'anéantir devant mon Père pour le faire régner seul en eux. Il n' y aura plus rien en eux qui tende à les satisfaire eux-mêmes, ou à leur intérêt, ou à leur propre gloire, mais leurs âmes avec toutes leurs puissances seront sans cesse prosternées devant lui et tendront en tout vers lui avec un esprit de soumission et de désir unique de sa gloire et de son règne sur elles. Voilà de vrais adorateurs. Ces vrais adorateurs adoreront mon Père en esprit et en vérité. Ils l'adoreront en esprit et non par des pratiques extérieures ni même par quelques sentiments qu'ils y joindront; ils n'iront pas dans un temple de pierre seulement pour l'y chercher, ils le considéreront spirituellement dans leurs âmes, comme un Roi dans son Palais et comme un Dieu dans son Temple et c'est là qu'ils lui rendront leurs hommages du plus intime de leurs puissances et par une prostration et anéantissement devant la souveraine Majesté qu'ils voient vivant et régnant en elles.

Notre-Seigneur n'a cependant pas voulu condamner la [pratique] d'aller adorer de préférence dans un lieu qui lui est consacré pour cela, puisque ces vrais adorateurs dont il parle, les apôtres et les premiers disciples, étaient sans cesse dans le Temple pour prier; mais c'est la manière qu'il condamne, et ces idées purement extérieures [et] de pratiques [toutes] corporelles dans ces choses divines des premiers devoirs de la religion envers son Père céleste.

Ils adoreront en vérité: ces devoirs qu'ils rendent à mon Père n'existent pas seulement dans l'idée et par le sentiment; mais c'est là le fond et la disposition réelle et continuelle de leurs âmes, qui sont dans une continuelle et parfaite soumission et anéantissement de toutes leurs puissances à mon Père.

On peut encore dire en esprit, par inspiration de l'Esprit-Saint. Leurs adorations se font dans l'Esprit-Saint, comme dit saint Paul: "l'Esprit-Saint prie en nous et crie: Mon Père" [Gal. 4,6]. Et en vérité, en unissant leurs adorations avec celle du Fils de Dieu, c'est par là qu'elles sont faites dans la vérité éternelle du Père. C'est en adorant ainsi dans l'Esprit-Saint et en union avec le Fils de Dieu que nos adorations sont véritables, car toute prière et adoration qui n'est [pas] dans l'Esprit-Saint n'est pas véritable. Ainsi les vrais adorateurs sont ceux qui adorent dans l'Esprit-Saint.

Ces deux explications sont la même chose, car les sentiments et dispositions exprimés par l'adoration et marqués dans la première explication ne sauraient exister, dans la pratique, que par la grâce du Saint-Esprit, et par l'union avec le Fils, qui produit ainsi en nous ses propres sentiments et ses propres dispositions. Car de notre seule nature nous serions à jamais incapables de produire ni d'avoir des sentiments et des dispositions si parfaites. Ce n'est que de Notre-Seigneur, le souverain adorateur de son Père, que nous pouvons les tenir par son divin Esprit.

Car mon Père cherche ceux-là, non seulement ceux-là lui plaisent mais il les cherche; tout ce qu'il a fait jusqu'à présent n'est que pour arriver à trouver enfin ces âmes privilégiées; toutes les communications qu'il a eues avec les hommes jusqu'à présent étaient pour trouver enfin ceux qui l'adoreront en esprit et en vérité. Il en a trouvé un bien petit nombre jusqu'à présent, mais l'heure viendra où il en trouvera.

Ce n'est pas eux qu'il cherche; ils n'ont pas grand prix devant lui par eux-mêmes, mais c'est la ressemblance avec son Fils, ou plutôt ce sont les sentiments et les dispositions d'adoration de son Fils qu'il aime en eux, dans lesquels il se complaît et qu'il cherche. Notre-Seigneur nous dit tales en non eos ou ipsos. Tales indique un rapport avec l'objet dont on a parlé et qui est la chose principale, l'objet véritable de la recherche; il cherche ceux qui ont en eux cette adoration de son esprit et de sa vérité non pour eux mais pour cette adoration en esprit et en vérité.

× IV,24

Spiritus est Deus; et eos qui ¦ Dieu est esprit, et ceux qui

adorant eum, in spiritu et ¦ l'adorent doivent l'adorer en

veritate oportet adorare. ¦ esprit et en vérité.

L'adoration est un rapport de notre âme avec son Dieu comme avec son Créateur, rapport par lequel elle lui rend ce qui lui appartient en elle; or Dieu est un esprit et par conséquent les rapports avec lui doivent être non de pratique extérieure ni des effets des sens, mais spirituels; car tout rapport avec Dieu suppose union avec lui (union de la créature avec son créateur et en conformité avec sa qualité de créateur et notre qualité de créature; car c'est là l'adoration). Or pour qu'il y ait union avec un esprit pur il faut que le rapport soit spirituel. Les animaux qui n'ont rien de spirituel ne peuvent pas être en rapport d'union avec Dieu ni lui rendre leurs devoirs. Il n'y que la nature angélique et la nature humaine que Dieu a créées avec un esprit fait à son image et à sa ressemblance, afin qu'elles puissent être en ce rapport d'union avec Lui pour lui rendre leurs devoirs d'adoration qui, par conséquent, doit partir de l'âme et résider uniquement là.

Et s'il est nécessaire que cette adoration soit en esprit, c'est-à-dire que ce soit l'âme qui rende ces devoirs au Père, il faut aussi qu'elle soit en vérité, c'est-à-dire que toutes les puissances de l'âme y prennent part pour être en soumission de religion devant Dieu et dans le dévouement de la créature au Créateur. Dieu est un esprit, il nous [a] créés pour être adoré par nous en esprit et en vérité; il faut que cela se fasse ainsi, voilà pourquoi il cherche de tels adorateurs.

Notre-Seigneur appelle ici adoration tous les rapports des hommes avec Dieu, parce qu'en effet l'adoration se trouve dans toutes les vertus de la religion qui nous mènent à Dieu et nous unissent à lui, et les renferme en elle. Elle renferme la foi qui en est le commencement; elle renferme l'espérance puisque sans cela nous ne pourrions pas même lever les yeux vers Dieu ni nous approcher de lui; elle renferme la charité qui en est comme le suc et la saveur et sans laquelle ce ne serait pas une adoration mais un désespoir. Les démons en enfer ont ce genre d'adoration sans vertu, sans hommage, sans espérance et sans charité. Aussi c'est ce qui fait leur rage. Ils sont obligés de reconnaître la souveraine grandeur de Dieu et leur bassesse devant lui, ils n'ont aucune espérance de jouir de cette grandeur et ils haïssent mortellement cette grandeur adorable: et contremiscunt [Jac. 2,19].

[L'adoration] (24) doit nécessairement renfermer ces trois vertus, qui sont nécessaires dans notre âme pour unir ses trois puissances à celui qu'elle adore.

Elle renferme aussi les trois vertus inférieures qui bannissent de notre âme les trois concupiscences. En adorant [Dieu] elle voit en lui toutes ses richesses et voilà d'où découle le renoncement aux richesses; elle voit et met en lui tout bonheur, et voilà le renoncement aux plaisirs; et l'essence de l'adoration est l'anéantissement de soi-même devant Dieu comme néant et comme pécheur, si on l'est, et par là l'adoration exige la plus parfaite humilité et la destruction de la superbe. L'adoration renferme donc toutes les vertus de la religion et devoirs envers Dieu. C'est par là que l'on comprend comment l'adoration faite en esprit est aussi en vérité, comme il a été dit plus haut.

Et nunc est: cette heure, où l'on adore Dieu en esprit et en vérité ne pouvait arriver que sous la loi nouvelle et après l'apparition du Verbe incarné sur la terre.

× IV,25

Dicit ei mulier: Scio quia ¦ La femme lui dit: Je sais que le

Messias venit (qui dicitur ¦ Messie (c'est-à-dire le Christ)

Christus); cum ergo venerit ¦ viendra, et quand il viendra il

ille, nobis annunciabit omnia.¦ nous expliquera tout.

La Samaritaine ne comprit pas bien tout ce que Notre-Seigneur lui dit, mais, comme dans tout le reste de cet entretien, elle entrevoyait quelque chose d'une manière confuse, et son esprit était cependant bien disposé, entrant bien dans les vues de la foi et recevant tout avec docilité; la seule chose qui empêchait Notre-Seigneur de lui communiquer une lumière parfaite sur toutes ces vérités intérieures qu'il lui annonçait était que son coeur n'était pas encore assez pur et ses affections et sentiments étaient encore trop grossiers et matériels. Elle voyait cependant que cette heure où l'on n'adorera plus ni à Jérusalem ni au Garizim, et où l'on adorera en esprit et en vérité indiquait un temps en rapport avec le Messie. Son esprit semble être confusément frappé de cela. Voilà pourquoi elle dit à Notre-Seigneur: Vous parlez là du Messie, je sais bien qu'il viendra, et quand il viendra il nous expliquera tout cela, il nous dira ce qu'il faut faire, et alors, semble-t-elle dire, nous exécuterons ces choses. Et c'est là-dessus que Notre-Seigneur lui dit dans le verset suivant:

× IV,26

Dicit ei Jesus: Ego sum qui ¦ Jésus lui dit: C'est moi qui vous

loquor tecum. ¦ parle.

C'est moi qui suis le Messie, c'est moi qui vous parle. Vous savez que le Messie vous annoncera toutes ces choses et qu'il vous apprendra ce qu'il faudra faire; eh bien faites ce que je vous dis, entrez dans mes vues, car c'est moi qui suis ce Messie que vous attendez, je viens de vous annoncer les choses auxquelles vous vous attendez: qui loquor tecum. N'attendez pas un autre, mais agissez maintenant selon les grâces que vous avez reçues.

C'est une chose étonnante combien Notre-Seigneur aime et préfère les gens simples et d'un esprit docile. Nicodème était bon, observateur de la loi, et attendant la rédemption d'Israël, et cette femme était mauvaise et étrangère, appartenant même à une secte hérétique, et Notre-Seigneur donne à cette femme une connaissance plus exacte sur sa personne qu'à Nicodème parce que dans Nicodème il ne trouva pas tant de simplicité et de docilité d'esprit.

Le nom de Messie qu'on donnait à Notre-Seigneur et qui signifie Christus, d'un mot grec qui veut dire oint, unctus, à cause de l'onction par excellence du Verbe dans l'Humanité sainte. On représente toujours les communications de l'Esprit-Saint par l'emblème de l'huile mêlée de baume et d'aromates (cela se trouve déjà dans l'Ancien Testament), parce que l'huile s'insinue et pénètre doucement et suavement dans les objets sur lesquels elle est répandue, elle les amollit et adoucit, et le baume et les aromates leur communiquent par cette onction une odeur suave. De même le Saint-Esprit s'insinue avec suavité, s'étend et se répand dans les âmes et leur communique cette douceur, cette suavité et cette bonne odeur de toutes les vertus. Mais où jamais cette divine onction du Saint-Esprit et en même temps du Verbe divin a-t-elle pu avoir lieu avec plus de perfection que dans Notre-Seigneur ? C'est pour cela qu'on l'appelle l'Oint par excellence. D'ailleurs, c'est lui qui est le seul oint de Dieu et toutes les autres onctions ne sont qu'une participation à la sienne. Lui il a la plénitude et les autres oints n'en ont qu'une partie; c'est pour cela qu'on l'appelle l'Oint simplement et sans addition.

× IV,27

Et continuo venerunt ¦ Et aussitôt ses disciples

discipuli ejus; et mirabantur ¦ revinrent; et ils étaient étonnés

quia cum muliere loquebatur. ¦ de ce qu'il s'entretenait avec

Nemo tamen dixit: Quid ¦ une femme. Néanmoins aucun ne

quaeris, aut quid loqueris ¦ dit: Que lui demandez-vous ? ou

cum ea ? ¦ pourquoi parlez-vous avec elle ?

La divine Providence tint les disciples éloignés, afin que leur divin Maître instruise cette pauvre femme. Dès que la dernière instruction est donnée ils reviennent aussitôt: et continuo. Il a fallu attendre que la foi de cette femme fût fixée en Notre-Seigneur comme dans le Messie; ensuite ils peuvent revenir.

Les Apôtres étaient étonnés de voir Notre-Seigneur s'entretenir avec une femme. Quoiqu'il n'eût rien à risquer et que ce fût la même chose de s'entretenir avec une femme ou avec un homme, cependant, pour donner l'exemple à ses disciples dont la fragilité aurait couru du danger en se familiarisant avec une femme, pour leur donner l'exemple, il était de la plus grande réserve et de la plus grande austérité sur ce point. Les Apôtres, habitués à voir la conduite sévère de leur Maître sur ce point, étaient dans l'admiration de ce que dans cette circonstance il soit sorti de son habitude ordinaire. Cependant personne d'eux n'osa lui demander ce qu'il a voulu demander de cette femme ou pour quelle raison il lui a parlé, quoiqu'ils vissent bien qu'il y eut là- dedans une raison extraordinaire.

Ils avaient un si grand respect pour Notre-Seigneur que cela allait dans certaines circonstances jusqu'à la timidité, malgré cette douceur, cette bonté et cette complaisance extraordinaires qu'il avait sans cesse pour eux; parce qu'au milieu de toute cette extrême douceur la Divinité, habitant corporellement en lui, comme le dit saint Paul (Col. 2,9), faisait toujours son effet sur eux, quoiqu'ils n'en eussent pas toujours une idée bien nette. Mais s'ils n'osaient pas demander à Notre-Seigneur lui-même, voyant une chose si extraordinaire ils n'auront pas manqué de s'en informer auprès de la Samaritaine à la première occasion qu'ils en eurent.

× IV,28

Reliquit ergo hydriam suam ¦ La femme donc laissa là sa

mulier, et abiit in civitatem,¦ cruche, s'en alla dans la ville

et dicit illis hominibus: ¦ et dit aux habitants:

× IV,29

Venite, et videte hominem qui ¦ Venez, voyez un homme qui m'a dit

dixit mihi omnia quaecumque ¦ tout ce que j'ai fait: n'est-ce

feci: numquid ipse est ¦ point lui qui est le Christ ?

Christus ? ¦

× IV,30

Exierunt ergo de civitate et ¦ Ils sortirent donc de la ville,

veniebant ad eum. ¦ et ils arrivaient à lui.

On voit là l'efficace admirable de la parole de grâce qui sort de la bouche de Notre-Seigneur. Cette femme, à peine a-t-elle entendu ce discours où elle n'a compris que très peu de chose, de pécheresse elle devient apôtre. Elle a de suite le même zèle de saint André et de saint Philippe. Elle court annoncer l'Evangile aux habitants de son pays. Elle est si pleine et si préoccupée qu'elle laisse à la fontaine le vase qu'elle a apporté pour y puiser de l'eau. Elle n'a plus soif, le divin Rédempteur lui a donné de l'eau vive qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle: elle a bu de cette eau vive qui fait qu'on n'a plus jamais soif. On voit par cette petite action qu'elle aurait été dans la même disposition que les apôtres, elle aurait abandonné tout et aurait suivi Notre-Seigneur s'il l'avait appelée comme eux. Elle est toute préoccupée de lui et ne pense plus à la terre.

Elle va à la ville et dit aux hommes qui habitent dans la ville: Venez, et voyez un homme si extraordinaire qui m'a dit tout ce que j'ai fait. Elle est comme tous ceux qui trouvent ce divin trésor, ils font ce qu'ils peuvent pour donner part aux autres de leur bonheur. C'est un effet de la charité de Dieu qui agit dans ces âmes, c'est d'elle que vient cette activité et ce désir ardent de communiquer ce grand bonheur.

Il n'est pas de ce trésor comme des biens de la terre. Ceux-ci rendent égoïste. Quelqu'un trouverait une mine d'or, il voudra s'enrichir seul et ne rien laisser prendre à d'autres, même en sachant d'avance que d'autres ne lui feraient pas tort. Mais les richesses célestes font un effet contraire.

D'ailleurs on est bien sûr qu'on n'y perd rien; le trésor est inépuisable.

Venez et voyez: on n'a besoin que de voir pour être bienheureux; tout ce que je puis vous dire de merveilleux ne vous convaincra pas tant que de le voir.

Elle cherche à leur inspirer la foi par la chose qui l'a frappée elle-même et par laquelle elle a commencé à avoir de la foi, le miracle; elle ajoute: N'est-ce pas lui qui est le Messie ? Elle n'ose pas dire directement: c'est le Messie, soit parce qu'elle était la plus pauvre femme du pays et décriée par sa conduite et elle craint qu'en l'affirmant, on ne rejetât sa proposition, soit parce qu'elle connaissait les préventions de sa nation contre les Juifs. Elle s'y prend d'une manière ingénieuse afin de se faire croire assez pour qu'on aille voir, et elle était sûre que ceux qui iraient voir croiraient, parce que le foi des simples ne doute de rien, elle ne conçoit pas qu'on puisse faire autrement que de se rendre à tant d'évidence et aux charmes divins et aux grâces surnaturelles des paroles du Sauveur.

Elle s'y prend de manière à les faire au moins douter de la chose et à exciter leur curiosité, et elle réussit. Les habitants sortirent de la ville, et ils arrivaient lorsque les Apôtres avaient interrogé Notre-Seigneur et que le divin Maître leur eut fait les réponses marquées dans les versets suivants: Exierunt... et veniebant... dum discipuli interea rogabant, etc. [Ils sortirent et ils arrivaient pendant que les disciples entre temps le priaient, etc.]

× IV,31

Interea rogabant eum ¦ Entre temps ses disciples le

discipuli, dicentes: Rabbi, ¦ priaient, disant: Maître, mangez.

manduca. ¦

× IV,32

Ille autem dicit eis: Ego ¦ Mais il leur dit: Moi, j'ai à

cibum habeo manducare quem ¦ manger une nourriture que vous ne

vos nescitis. ¦ connaissez point.

× IV,33

Dicebant ergo discipuli ad ¦ Les disciples disaient alors

invicem: Numquid aliquis ¦ entre eux: Quelqu'un lui a-t-il

attulit ei manducare ? ¦ apporté à manger ?

Le Fils de Dieu incarné semblait devoir être exempt du besoin de manger et de boire: mais étant venu sur la terre se faire homme pour sanctifier les hommes il était convenable qu'il assujettît son humanité sainte au besoin de manger, de boire et de dormir afin de sanctifier toutes ces sortes d'actions auxquelles nous sommes assujettis, pour que nous puissions les faire saintement et pour nous donner l'exemple en ces choses. Car chacune de ces actions si communes et si indifférentes était faite par le Fils de Dieu d'un manière très sainte; et de plus, en général, toutes ces actions renfermaient des grâces innombrables pour nous, afin que nous puissions faire toutes ces actions saintement comme le Fils de Dieu les a faites.

Quoiqu'il ait bien voulu se soumettre à ces actions si au-dessous de lui, cependant il ne s'y est soumis que parce qu'il l'a bien voulu, quand il l'a voulu et comme il a voulu. Il veut avoir soif, afin de donner à boire des eaux vives et vivifiantes à la Samaritaine; après cela il n'est plus question de boire. Il envoie ses Apôtres chercher de quoi manger pour lui afin de leur donner la belle leçon que nous allons entendre. Quand ils viennent et veulent lui présenter ce qu'ils ont acheté il n'en veut plus, il a un autre repas à prendre. Il a voulu nous être semblable en tout (excepté dans notre péché) afin que nous ayons un Pontife qui sache compatir à nos misères, les ayant bien voulu éprouver en grande partie lui-même [cf. Hebr. 4,15].

Les disciples lui ayant donc présenté à manger, il leur dit: J'ai une autre nourriture à prendre que vous ne connaissez pas, nourriture bien plus délicieuse et plus agréable pour moi que celle que vous me donnez là. C'est cette nourriture qu'il prenait sans cesse tandis que la nourriture corporelle il ne la prenait que par intervalle; et encore n'était-ce que par ordre de la volonté de son Père. Les Apôtres ne connaissaient pas encore cette nourriture divine que Notre-Seigneur devait prendre parce qu'ils n'étaient encore guère éclairés sur la vie du Fils de Dieu.

Aussi doutèrent-ils qu'il ne parlât d'une nourriture corporelle, et que quelqu'un ne lui eût apporté à manger en leur absence.

× IV,34

Dicit eis Jesus: Meus cibus ¦ Jésus leur dit: Ma nourriture est

est ut faciam voluntatem ejus ¦ de faire la volonté de celui qui

qui misit me, ut perficiam ¦ m'a envoyé, et d'accomplir son

opus ejus. ¦ oeuvre.

Notre-Seigneur leur explique quel est ce repas qu'il a pris, et il dit que c'est là son unique et véritable repas, que le repas du corps est accessoire pour lui, mais on grand et véritable repas, sa véritable nourriture qui lui est propre, c'est qu'il fasse la volonté de son Père. Meus cibus est ne veut pas dire: j'ai eu cette fois cette nourriture, mais cela indique continuité et habitude de cette nourriture.

On peut dire que Notre-Seigneur veut montrer par là qu'il n'attache pas si grande importance aux repas, et que la chose qui est pour lui plus que la nourriture, qui lui est plus agréable que la nourriture l'est au goût du palais, lui est plus nécessaire que la nourriture corporelle l'est ordinairement au corps, c'est de faire la volonté de son Père qui l'a envoyé, parce qu'il faut qu'il accomplisse son ouvrage pour lequel il a été envoyé.

Il dit cela en ce moment à cause des Samaritains qui allaient venir et qu'il fallait convertir et à qui il fallait donner la foi. Il donne par là un grand exemples à ses ministres qui doivent continuer son oeuvre, sur l'ardeur de leur zèle. Quand il s'agit de sauver des âmes, toute la nature doit être négligée, et leurs âmes doivent prendre cette bonne et admirable nourriture de faire la volonté de celui qui les envoie et d'achever son oeuvre dans les âmes.

Une autre explication. Le pain céleste que Notre-Seigneur recevait était la volonté de son Père. Cette volonté était un pain substantiel, elle lui était communiquée sur toutes les oeuvres qu'il devait faire, à chacune de ses actions. Notre adorable Seigneur, par la divine et parfaite correspondance avec laquelle il agissait pour l'accomplissement de cette adorable volonté dans toute son étendue et dans toute sa perfection, en faisait sa nourriture. Il compare ici cette volonté comme à l'objet dont nous faisons notre nourriture. Et comme nous par l'action de nos organes nous réduisons cette nourriture en substance vitale pour être distribuée à toutes les parties de notre corps, de même Notre-Seigneur par son action qui était une parfaite correspondance et une céleste et divine fidélité en faisait sa nourriture; il en formait une substance vitale c'est-à-dire le trésor de ses grâces et de ses mérites, pour les distribuer à tout son corps qui sont les âmes. Voilà pourquoi il dit: Meus cibus est; mon existence principale est une existence spirituelle, et il faut que je me nourrisse avec mon corps spirituel et mystique. C'est pourquoi ma nourriture est de [faire] la volonté de celui qui m'a envoyé; il ne dit pas: pour faire la volonté de mon Père, mais de celui qui m'a envoyé, pour montrer que toute sa mission réside en cela; son Père ne l'a envoyé que pour former ce trésor de grâces et de mérites infinis.

Et il doit former ce trésor et cette substance vitale par sa nourriture, ut perficiam opus ejus; pour perfectionner, achever, compléter l'oeuvre de son Père qui l'a envoyé pour cela; et cette oeuvre est de communiquer cette substance vitale qu'il a formée en lui en faisant la volonté de son Père à toutes les âmes, et de former par là le corps des élus, c'est-à-dire l'Eglise parfaite, qui doit durer toute l'éternité. C'est là véritablement son corps mystique à qui il communique avec une profusion admirable cette vie divine de sa gloire.

C'est là la fin dernière que son Père se propose: Omnia propter electos, tout pour les élus [cf. 2 Tim. 2,10]; même les grâces et les autres biens qui sont accordés aux âmes qui sont dans l'Eglise de la terre, et même aux méchants qui sont hors de l'Eglise, tout cela est pour en faire des élus; s'ils ne le sont pas, c'est de leur faute; le Fils de Dieu a toujours perfectionné l'oeuvre de celui qui l'a envoyé, ayant communiqué à chacun d'eux les grâces que son Père leur avait prédestinées; seulement ils n'on pas voulu en profiter.

Ainsi, il dit aux Apôtres: Vous voulez me faire prendre une nourriture corporelle, qui est fort peu importante et qui n'est pas ma véritable nourriture, et cela dans un moment où je dois prendre ma nourriture accoutumée et aussi nécessaire pour moi, qu'il l'est aux autres hommes de prendre cette nourriture du corps quand il en est temps. C'était le moment de la prendre parce que son Père voulait que ce fût le moment de lui amener à la vie les Samaritains.

Notre-Seigneur dit voluntatem et non voluntates au pluriel, parce que la volonté divine résidait en lui dans son essence et par conséquent n'était qu'une.

× IV,35

Nonne vos dicitis, quod adhuc ¦ Ne dites-vous pas vous-mêmes qu'

quatuor menses sunt, et ¦ il faut encore quatre mois, et la

messis venit ? Ecce dico ¦ moisson viendra ? Mais moi, je

vobis: Levate oculos vestros, ¦ vous dis maintenant: Levez les

et videte regiones, quia ¦ yeux et voyez les champs; car ils

albae sunt jam ad messem. ¦ sont déjà blanchis pour la moisson.

× IV,36

Et qui metit, mercedem ¦ Et celui qui moissonne reçoit une

accipit, et congregat fructum ¦ récompense, et cueille du fruit

in vitam aeternam: ut et qui ¦ pour la vie éternelle, afin que

seminat, simul gaudeat, et ¦ celui qui sème se réjouisse aussi

qui metit. ¦ bien que celui qui moissonne.

× IV,37

In hoc enim est verbum verum; ¦ Car c'est en cela qu'est la

qui alius est qui seminat, ¦ parole de vérité: autre est celui

et alius est qui metit. ¦ qui sème, et autre celui qui ¦ moissonne.

× IV,38

Ego misi vos metere quod vos ¦ Pour moi, je vous ai envoyés

non laborastis; alii ¦ moissonner où vous n'avez point

laboraverunt, et vos in ¦ travaillé; d'autres ont travaillé, et

labores eorum introistis. ¦ vous, vous êtes entrés dans leurs

¦ travaux.

Notre-Seigneur, à l'occasion des Samaritains qui vont venir pour recevoir la foi, exhorte les Apôtres à entrer dans le zèle apostolique pour le salut des âmes, et dans les sentiments qu'il vient d'exprimer par les paroles du verset précédent. Il paraît qu'il leur avait déjà dit à quoi il les destinait. Et dans cet endroit il leur inspire l'esprit de leur mission.

Il compare le ministère de l'apostolat à une moisson, les Apôtres à des moissonneurs, l'Eglise qu'il allait fonder à l'endroit où l'on réunit le blé, et les âmes aux blés; Moïse, les Prophètes, saint Jean-Baptiste, et tous ceux qui ont travaillé dans le champ du Seigneur avant sa venue sur la terre sont comparés aux laboureurs qui travaillent pour préparer le terrain et font les autres travaux pour faire croître les blés et les faire produire. Celui qui sème c'est Notre-Seigneur lui-même, qui sème la grâce dans les âmes; car il n'y a que lui seul qui puisse jeter cette admirable semence. Tous ceux de l'Ancien Testament ne pouvaient que travailler et rien donner. Saint Jean-Baptiste avoue lui-même qu'il ne le pouvait pas et que tout ce qu'il avait était venu de la surabondance de l'agneau de Dieu.

Voilà donc ce que Notre-Seigneur dit: Ne dites-vous pas qu'il y a encore beaucoup de temps avant la moisson ? Les herbes sont vertes, il faut encore quatre mois avant qu'elles ne soient prêtes à être coupées. Vous croyez sans doute que le temps de former l'Eglise et d'y faire entrer les âmes n'est pas près. Levez donc les yeux et voyez combien les âmes sont déjà disposées, combien la semence de la grâce a déjà crû. Comme les blés qui sont tout blanchis et secs ne peuvent plus retirer aucun accroissement de la terre où ils sont plantés et ne demandent qu'à être coupés et transportés dans la grange, de même les peuples reçoivent avec avidité la foi; l'ancienne loi ne leur est plus d'aucun profit, il faut les en retirer et les mettre dans l'Eglise. Là, ils seront purifiés, on en retirera la paille et tout le mélange, afin que celui qui les a semés puisse en jouir.

C'est pour les exhorter à avoir du zèle et à se préparer de plus en plus à la grande oeuvre qui les attend et que bientôt ils commenceront à exécuter. Pour les animer davantage il ajoute: Celui qui moissonne a sa récompense. Il ne moissonne pas son propre champ, mais le père de famille lui donnera sa récompense; et en moissonnant et ramassant les fruits dans le grand magasin de celui qui a semé, ce moissonneur ramasse en même temps pour lui des fruits pour la vie éternelle. C'est comme dans la moisson qui dure seulement quelque temps; on y ramasse des vivres pour l'année; c'est le temps du travail et le reste de l'année le temps du repos; de même [dans] la moisson du saint Evangile, le travail ne dure que pendant cette vie, et les moissonneurs en jouissent dans le repos pendant toute l'éternité; quoique le fruit n'appartienne pas au moissonneur, il en partage cependant la jouissance avec le père de famille pendant toute l'éternité.

Ici Notre-Seigneur montre la grandeur de la grâce apostolique, [et] que les grâces et travaux apostoliques produisent un véritable fruit de sanctification pour ceux qui y sont employés. Ils participent avec celui qui a semé à tous les fruits que le semence a produits, afin que celui qui sème, c'est-à-dire Notre-Seigneur Jésus-Christ, se réjouisse avec ses moissonneurs. Ils ont partagé ses travaux, ils ont participé à l'oeuvre de la rédemption, ils partageront aussi avec lui la gloire de cette rédemption pendant toute l'éternité. Quelle grandeur que celle des Apôtres ! C'est ce que Notre-Seigneur dit ailleurs en d'autres termes: Ils seront assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël [Lc. 22,30].

Notre-Seigneur ajoute: Car c'est en cela qu'est la parole de vérité. Dans le sujet de la comparaison il arrive ordinairement que celui qui moissonne est le même que celui qui sème, et les fruits lui appartiennent. Mais dans la moisson mystérieuse, celui qui moissonne est un autre que celui qui sème. La moisson n'appartient pas au moissonneur.

On peut dire aussi que par là Notre-Seigneur exprime une autre vérité. C'étaient les Apôtres qu'il a envoyés moissonner; mais il est bien certain que c'est l'Esprit-Saint qui moissonnait par eux. C'étaient les Apôtres qui étaient les moissonneurs ou plutôt les bras de celui qui moissonnait, car ce n'est que par la vertu de l'Esprit-Saint qu'ils moissonnaient ainsi et ramassaient dans les magasins de l'Eglise de Dieu. Leur récompense doit cependant être celle des moissonneurs. Voilà donc ce que notre divin Maître veut dire ici: In hoc est verbum verum. En cette parabole que je vous dis il est une parole de vérité; tout le reste n'est qu'une apparence, une écorce qui renferme cette grande vérité. Et cette parole de vérité qui est le fond du mystère, c'est qu'un autre est celui qui sème, c'est-à-dire le Fils de Dieu, le Verbe incarné. C'est Lui qui mérite et qui communique la semence de la grâce à chaque âme; et un autre est celui qui récolte, c'est l'Esprit-Saint. Car l'Eglise ne s'est formée qu'après la fin de tous les mystères de Notre-Seigneur et après la descente de l'Esprit-Saint qui devait consommer l'oeuvre de la sanctification des âmes. C'est lui qui est la lumière et la force des Apôtre; c'est lui qui est la puissance de leurs paroles, c'est lui qui touche les âmes, qui les attire, c'est lui qui est la vie communiquée par les Sacrements, qui font entrer et sanctifient dans l'Eglise.

Notre-Seigneur s'attribue l'envoi des moissonneurs parce que c'est lui qui envoie l'Esprit-Saint et qui l'a mérité. C'est Notre-Seigneur qui l'a mérité, qui l'a envoyé; mais c'est le divin Esprit qui consomme et qui est le véritable moissonneur. C'est pourquoi Notre-Seigneur ne parle en tout cet endroit qu'au singulier comme d'un seul moissonneur.

Notre-Seigneur dit: Qui seminat au présent et qui metit au présent. Or, comment cela se peut-il ? Si en ce moment où il parle est le temps de la moisson, celui de la semaille est passé; et si c'est celui de la semaille, il n'est pas encore temps de moissonner. Mais Notre-Seigneur parle en général de tous les temps de l'Eglise. Pendant tous les temps qu'elle durera, Notre-Seigneur sèmera et fera moissonneur; il y eut le temps de la semaille et de la moisson toujours ensemble.

Après leur avoir montré l'excellence de leur ministère apostolique, par la récompense qu'ils auront et par leur rapport en cela avec lui et avec son Esprit-Saint, il la leur montre dans le verset suivant, dans les rapports entre eux et les ouvriers qui ont travaillé dans ce champs avant eux. Ce sont d'autres qui ont travaillé, qui ont tout préparé, qui ont fait tous les travaux pénibles et n'ont pas vu les fruits; ce sont tous ceux que le père de famille a envoyés pour cela sous la loi. Mais vous, je vous envoie, pour récolter seulement; tous ces travaux sont terminés par d'autres que vous; et maintenant vous êtes entrés par votre vocation nouvelle dans ces travaux, pour recueillir les fruits qu'ils ont préparés.

Mais pourquoi Notre-Seigneur dit-il: Ego misi vos... introistis, comme si la chose avait déjà été faite ? Cela peut venir de ce que leur vocation fut déjà déclarée, et c'est comme s'ils étaient entrés en fonction, étant déjà à suivre Notre-Seigneur après avoir quitté tout. Peut-être aussi ces paroles ont-elles été dites dans une autre circonstance que celle où l'évangéliste les place ici, et ce n'est que par occasion qu'elles sont rapportées ici, parce qu'elles conviennent bien après ces autres paroles: Meus cibus, etc., mais dans le fond elles auraient été dites au retour des Apôtres de la prédication à laquelle Notre-Seigneur les avait envoyés; seulement comme l'évangéliste ne devait pas rapporter ce fait, il rapporte ici ces paroles qui n'ont pas été rapportées par les autres évangélistes.

Par là-même le saint évangéliste nous donnerait une instruction que tous les autres Evangiles donnent tacitement de la même manière. Il nous apprendrait qu'il nous est fort peu important de savoir le temps, le lieu et la circonstance où les paroles ont été dites ou que les faits ont eu lieu; que toute notre attention doit être à nous bien pénétrée de ces divines paroles et de la méditation des faits et mystères opérés, le tout pour la sanctification de nos âmes et pour la connaissance de notre divin Maître et de ses saints mystères; et que nous ne devons pas nous laisser aller à cette curiosité qui veut chercher et savoir ces choses accessoires et dans le fond indifférentes pour la connaissance de Notre-Seigneur et pour la sanctification de nos âmes. Ce n'est que lorsque cela peut nous procurer une véritable édification et un bien spirituel qu'on peut s'en occuper pieusement et dans la grâce de Notre-Seigneur.

× IV,39

Ex civitate autem illa multi ¦ Or beaucoup de Samaritains de

crediderunt in eum ¦ cette ville crurent en lui, sur

Samaritanorum, propter verbum ¦ la parole de la femme qui avait

mulieris testimonium ¦ rendu témoignage: Il m'a dit

perhibentis: Quia dixit mihi ¦ tout ce que j'ai fait.

omnia quaecumque feci. ¦

Ceux qui ne sont mauvais que par ignorance et qui n'ont pas la malice dans l'esprit sont très faciles à convertir. Ils ont une grande facilité pour l'acquisition de la foi, tandis que ceux qui sont dans la corruption pleine de malice et dont l'esprit est orgueilleux ont un grand obstacle à l'entrée de la foi dans leurs âmes. C'est de là qu'il vient que les Samaritains plus mauvais et plus éloignés de Dieu que les Juifs, croient à la parole d'une pauvre femme pécheresse, et cela dans un simple compte qu'elle leur rend d'un seul miracle qu'elle a vu opérer, tandis que Notre-Seigneur parcourt sans cesse la Judée et la Galilée, y prodigue ses miracles et sa divine parole, et personne ne veut croire. Mais pourquoi les Juifs ont-ils eu ce grand malheur, d'où vient tant de malice et tant d'aveuglement ? C'est qu'ils avaient abusé de tant de bienfaits de Dieu qu'il les a laissé aller dans un aveuglement complet.

× IV,40

Cum venissent ergo ad illum ¦ Lors donc que les Samaritains

Samaritani, rogaverunt eum ¦ furent venus à lui, ils le

ut ibi maneret. Et mansit ¦ prièrent de demeurer en ce lieu;

ibi duos dies. ¦ et il y demeura deux jours.

× IV,41

Et multo plures crediderunt ¦ Et beaucoup plus crurent en lui à

in eum propter sermonem ejus, ¦ cause de ses discours.

× IV,42

et mulieri dicebant: Quia jam ¦ De sorte qu'ils disaient à la femme:

non propter tuam loquelam ¦ Maintenant ce n'est plus à cause de

credimus; ipsi enim audivimus,¦ ce que vous nous avez dit que nous

et scimus quia hic est vere ¦ croyons, nous l'avons entendu

Salvator mundi. ¦ nous-mêmes, et nous savons que c'est

¦ vraiment lui qui est le Sauveur du ¦ ¦ monde.

Il est dit dans un autre endroit et c'est Notre-Seigneur lui-même qui le dit: Ecce sto ad ostium et pulso [voici que je me tiens à la porte et je frappe: Apoc. 3,20]. La bonté divine de Jésus n'attend pas que les pécheurs aient enfin l'idée de venir frapper à la sienne, il est le premier à venir frapper à la porte et celui qui ouvre est bienheureux: car le divin Maître entre, mange avec lui le pain des douleurs et des misères de ce monde, et il le fait aussi manger avec lui-même le pain de son amour, de bonheur et de force. C'est ce qui arriva aux pauvres Samaritains. Ils ont toujours été dans les misères et les ténèbres. Les Juifs qui auraient pu leur donner quelque petite part à la toute petite lueur qu'ils avaient les méprisaient. Le Sauveur vient frapper à leur porte et il se sert de cette pauvre femme pour leur faire entendre sa voix. Eux, fidèles à cette première grâce, avides de jouir d'un bonheur auquel ils n'avaient pas cru pouvoir prétendre et désireux de voir et d'entendre celui qui frappe, lui ouvrent leurs portes avec joie et empressement, ils viennent aussitôt à lui et lui demandent comme une grâce d'entrer chez eux: et le divin Maître reste deux jours dans cet endroit. Que de grâces, de bénédictions et de consolations il y répandait pendant ce temps !

La parole de Notre-Seigneur est si puissante que jamais un coeur bien disposé et un esprit simple et humble n'y résistent, et les effets qu'elle produit sont toujours admirables; ceux mêmes qui sont mauvais et qui y résistent à toute force en ressentent toujours un certain effet. Que les ministres de notre grand Maître ne s'y trompent point: si leur parole était pure et sainte, si leur parole n'était pas la leur mais celle de leur Maître, s'ils n'y mêlaient point un tas de choses humaines et même une foule de défauts comme la vanité, etc., s'ils recevaient cette divine parole de la bouche de leur Maître et s'ils la rendaient telle qu'il la leur donne sans la revêtir d'habits mondains qui la défigurent, ils pourraient être assurés que cette parole divine de leur Maître produirait les mêmes prodiges dans leur bouche qu'elle a produits dans la sienne.

Ce ne sont pas les miracles qui font croire les Samaritains, mais c'est la parole de Notre-Seigneur qui se fait entendre: propter sermonem ejus; et cette foi qu'ils acquièrent par la divine parole de Jésus est bien plus parfaite, plus pénétrante et plus solide que celle qu'ils ont eue au récit du miracle, elle est aussi bien plus éclairée. C'est pour cela [qu'] ils dirent à cette femme: Maintenant ce n'est plus à cause de ce que vous nous avez dit que nous croyons, ce n'est plus la même foi que nous avons maintenant; celle qui nous anime est bien autrement lumineuse, plus certaine que la première. Nous avons entendu nous-mêmes sa céleste doctrine, et par l'ouïe la foi a pénétré dans nos âmes; elle nous a remplis de joie et de consolation et elle a éclairé tellement nos esprits que nous savons maintenant de science certaine que c'est véritablement le Sauveur du monde.

Quelle admirable lumière ces bons Samaritains ont déjà sur la personne de Notre-Seigneur ! Les Juifs attendent un Messie conquérant qui les délivre du joug des Romains et les fera triompher et régner sur tous les peuples. Toute la loi et les prophètes, toutes leurs traditions, si claires en elles-mêmes, n'ont pas pu les éclairer sur ce point. Le Sauveur prêche depuis plus de deux mois chez eux, saint Jean-Baptiste l'avait précédé, et rien ne peut les éclairer sur la personne de leur Messie. Les Samaritains au bout de deux jours disent avec une joie et une admiration très grandes: Nous l'avons entendu et nous savons bien sûrement que c'est le vrai Sauveur du monde. Et comment sauvera-t-il le monde et de quoi pourra-t-il le sauver, sinon du péché et de tous les maux infinis causés par le péché ? O divin Jésus que vous êtes bon pour ceux qui se donnent à vous avec simplicité de coeur et avec un esprit docile !

× IV,43

Post duos autem dies exiit ¦ Ainsi après les deux jours il

inde, et abiit in Galilaeam. ¦ partit de là et s'en alla en Galilée.

× IV,44

Ipse enim Jesus testimonium ¦ Car Jésus lui-même a rendu ce

perhibuit, quia propheta in ¦ témoignage, qu'un prophète n'a

sua patria honorem non habet. ¦ pas d'honneur dans sa patrie.

Il quitta Sichar, où la volonté de son Père a été accomplie, pour se rendre en Galilée, et à Nazareth en particulier, où les habitants ne le reçurent pas si bien que les habitants de Sichar, comme cela est rapporté dans les autres Evangiles. Saint Jean le sous-entend et le suppose ici (car il ne rapporte ordinairement que ce qui ne se trouve pas dans les trois autres Evangiles, en supposant la connaissance). C'est pourquoi saint Jean dit dans le verset suivant que Jésus avait prédit cette mauvaise réception. Ce n'était pas une raison pour Notre-Seigneur de rester dans Sichar. Il alla tout de même en Galilée et à Nazareth quoiqu'il sût qu'il serait un scandale pour plusieurs selon la prédiction de Siméon: car il l'a prédit à ses disciples avant d'y arriver. Il leur dit qu'un prophète n'a pas d'honneur dans sa patrie.

Mais pourquoi cela est-il ainsi ? C'est-à-dire pourquoi un prophète est-il sans honneur dans sa patrie, et pourquoi les habitants de Nazareth reçurent-ils mal le Sauveur ? C'est la malice des hommes qui en est la cause:

1° On s'est formé [sur lui] un certain jugement naturel que l'habitude de le voir devant soi a formé. On a été dans l'habitude de le considérer naturellement et on continue toujours de même. Si on voit des choses extraordinaires et surnaturelles, on se permet d'en juger selon ses idées, et la malice humaine fait que le jugement est toujours défavorable. On l'a vu petit et comme les autres hommes; et pourquoi se veut-il distinguer de la foule ? On l'attribue à la vanité et à cent mille raisons mauvaises mais fausses; tandis qu'un étranger qui n'a pas l'habitude de voir le personnage, de le considérer familièrement et de le juger naturellement, celui-là ne le voit que sous le rapport sous lequel il se présente, et est moins porté à le juger malicieusement.

2° C'est l'esprit du monde; surtout dans le cas présent. Les habitants de Nazareth avaient l'habitude de voir Jésus, depuis sa jeunesse, travailler dans l'atelier de Joseph. Cette famille sainte vivait retirée; Jésus n'avait pas de rapport avec les habitants, Marie non plus. Il n'y avait que Joseph qui était en rapport avec les gens du pays, comme cela semble être marqué dans les autres Evangélistes où ces méchants disent: N'est-ce pas [là] le fils de Joseph ou: nonne fabri filius ? et sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie ? [Mt. 13,55]. Ils semblaient ne savoir de Marie que le nom; ils ne parlent pas non plus d'une manière à [montrer] avoir eu des rapports avec lui. Mais toujours ont-ils connu la famille comme une famille pauvre et ouvrière et par conséquent peu estimée par les gens du monde. Or, lorsqu'on a connu quelqu'un d'une manière défavorable selon ces maximes détestables du monde, ceux qui suivent ces maximes ne peuvent jamais s'imaginer que cet homme qui était si fort au-dessous d'eux soit quelque chose de grand, et ils ne peuvent souffrir qu'il veuille s'élever au-dessus d'eux; ils ne s'y soumettent jamais. C'est ainsi que ce malheureux esprit du monde frustre ceux qui s'y soumettent des plus grands trésors de grâce qu'ils ont entre les mains.

× IV,45

Cum ergo venisset in Galileam ¦ Quand il fut venu en Galilée,

exceperunt eum Galilaei, cum ¦ les Galiléens l'accueillirent,

omnia vidissent quae fecerat ¦ parce qu'ils avaient vu tout ce

Jerosolymis in die Festo: et ¦ qu'il avait fait à Jérusalem

ipsi enim venerunt ad diem ¦ pendant la fête; car ils étaient

festum. ¦ venus, eux aussi, à la fête.

Cependant dans le reste de la Galilée il fut bien reçu parce que les Galiléens, étant venus à Jérusalem pour le jour de la fête de Pâques, ont [avaient] vu tout ce qu'il y avait fait de prodiges. Ayant vu tous ces prodiges ils étaient obligés de croire qu'il y avait quelque chose d'extraordinaire, mais leur foi n'était pas une foi solide et bonne; ils ne se rendaient que parce qu'ils ne pouvaient pas autrement, après avoir vu des choses si extraordinaires, mais ils ne se rendaient qu'à demi.

× IV,46

Venit ergo iterum in Cana ¦ In vint donc de nouveau à Cana en

Galilaeae, ubi fecit aquam ¦ Galilée, où il avait changé l'eau

vinum, et erat quidam ¦ en vin. Or il y avait un prince

regulus, cujus filius ¦ dont le fils était malade à

infirmabatur Capharnaum. ¦ Capharnaüm.

× IV,47

Hic cum audisset quia Jesus ¦ Lorsque ce prince eut appris que

adveniret a Judaea in ¦ Jésus venait de Judée en Galilée,

Galilaeam, abiit ad eum, et ¦ il alla vers lui, et le pria de

rogabat eum ut descenderet, ¦ venir guérir son fils qui se

et sanaret filium ejus: ¦ mourait.

incipiebat enim mori. ¦

Notre-Seigneur retourna à Cana, où son nom était particulièrement célèbre à cause du miracle du changement de l'eau en vin. Il y avait à Capharnaüm un prince (25) dont le fils était dangereusement malade dans cette ville et la mort était proche.

Cet homme ayant entendu parler des miracles de Notre-Seigneur, alla à Cana le prier de venir guérir son fils. Cet homme n'avait pas la foi en Notre-Seigneur. Il avait un fils malade, il voyait qu'il n'y avait pas de remède et qu'il allait le perdre, il avait appris une foule de guérisons et d'autres miracles faits par Notre-Seigneur et il alla obtenir cette guérison qu'il désirait sans réfléchir davantage sur la mission de celui qui devait guérir son fils. Il était préoccupé du mal de son fils et cherchait à le guérir; c'était toute sa pensée, sans s'occuper du tout d'aucune idée surnaturelle dont il n'était aucunement touché.

Il vint donc recourir à Notre-Seigneur comme on viendrait à un médecin, dans l'espérance que s'il descendait avec lui, il guérirait son fils.

Peut-être usa-t-il de ce moyen comme d'un moyen désespéré qui ne coûte rien et auquel cependant il ne croyait pas beaucoup. Cependant cela ne paraît pas être vrai. Il semble que cet homme comptait sur la guérison; seulement il ne se mettait pas en peine de savoir comment et par quel principe Notre-Seigneur agissait.

× IV,48

Dixit ergo Jesus ad eum: Nisi ¦ Jésus lui dit donc: Si vous ne

signa et prodigia videritis, ¦ voyez des miracles et des

non creditis. ¦ prodiges, vous ne croyez pas.

Si cet homme n'avait pas la foi, c'est qu'il n'avait pas vu lui-même de miracle. Il était comme la généralité des Juifs de ce temps qui n'étaient susceptibles d'être touchés que par les miracles. Il avait entendu raconter les merveilles que Jésus a faites et cela ne l'a pas touché, comme cela était généralement parmi eux. A l'entendre raconter on était étonné, on admirait, mais on n'avait pas de sentiment surnaturel. Mais en le voyant, on était frappé par les faits miraculeux et touché par la présence de Notre-Seigneur, par la manière dont il agissait pour les faire et par les paroles qu'il y ajoutait.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit à ce prince: Si vous ne voyez pas de miracles, vous ne croyez pas. C'est un reproche qu'il lui fait avec beaucoup de douceur afin de le faire rentrer en lui-même et de lui faire obtenir la guérison de son fils par un acte de foi. Mais ce seigneur était trop occupé du mal de son fils et de son désir de le voir guérir, ce qui le rendit incapable de penser à autre chose et d'élever son coeur plus haut. Cela arrive ordinairement quand une âme est fortement occupée d'une passion naturelle, quelque légitime et honnête qu'en soit l'objet, cela la rend incapable d'écouter Dieu, d'être fidèle à sa divine grâce et d'élever son coeur vers lui.

× IV,49

Dicit ad eum regulus: Domine, ¦ Le prince lui dit: Seigneur,

descende priusquam moriatur ¦ venez avant que mon fils meure.

filius meus. ¦

Ce pauvre Regulus ne fit donc aucune attention à ce que Notre-Seigneur lui dit et n'en profita pas. Il voyait que Notre-Seigneur, au lieu de se mettre en mouvement pour s'en aller avec lui, lui donnait des instructions: il entra dans de grandes inquiétudes et dit à Notre-Seigneur: Seigneur, vous vous occupez maintenant d'une chose si peu importante tandis que mon fils risque de mourir, pendant que vous me parlez ici; descendez donc bien vite, je vous en prie, de peur que nous le trouvions déjà mort. C'est le sens de ses paroles. Il ne pensait pas que Notre-Seigneur pourrait le ressusciter. Ce qui le mettait dans une grande inquiétude, c'était la grande paix qu'il voyait en Notre-Seigneur; il aurait voulu que Notre-Seigneur se mît aussi en agitation comme lui.

× IV,50

Dicit ei Jesus: Vade, filius ¦ Jésus lui répondit: Allez, votre

tuus vivit. Credidit homo ¦ fils est guéri. Cet homme crut à

sermoni, quem dixit ei Jesus, ¦ la parole que lui dit Jésus, et

et ibat. ¦ s'en alla.

× IV,51

Jam autem eo descendente, ¦ Or, comme il s'en retournait, ses

servi occurerrunt ei, et ¦ serviteurs vinrent à sa rencontre

nuntiaverunt dicentes, quia ¦ et lui annoncèrent que son fils

filius ejus viveret. ¦ était guéri.

× IV,52

Interrogabat ergo horam ab ¦ Et il leur demandait à quelle

eis in qua melius habuerit. ¦ heure il s'était trouvé mieux. Et

Et dixerunt ei: Quia heri ¦ ils lui dirent: Hier, à la

hora septima reliquit eum ¦ septième heure, la fièvre l'a

febris. ¦ quitté.

× IV,53

Cognovit ergo pater quia illa ¦ Le père reconnut alors que

hora erat in qua dixit ei ¦ c'était l'heure à laquelle Jésus

Jesus, filius tuus vivit, et ¦ lui avait dit: Votre fis est

credidit ipse, et domus ejus ¦ guéri, et il crut, lui et toute

tota. ¦ sa maison

× IV,54

Hoc iterum secundum signum ¦ Ce fut le second miracle que fit

fecit Jesus, cum venisset ¦ encore Jésus, quand il fut revenu

a Judaea in Galilaeam. ¦ de Judée en Galilée.

Notre-Seigneur eut compassion de lui et lui dit: Allez, votre fils est guéri. Ces paroles furent si efficaces que cet homme, il y a un instant si inquiet, devient tranquille; cet homme qui n'avait pas de foi commence à croire. Il voit bien qu'il n'est pas nécessaire que Jésus descende avec lui, il le croit tout-puissant, il obéit et s'en va, bien persuadé que son fils est guéri. Il fait bien attention à l'heure où cette parole de salut lui a été dite afin de publier la gloire du Sauveur, et afin de raffermir sa propre foi. Dès que les serviteurs lui annoncent la guérison il en demande l'heure. Ce n'est plus cet homme si occupé de son fils, qui ne faisait pas attention à celui qu'il priait de le guérir; il semble plus occupé de Notre-Seigneur que de son fils: on vient lui annoncer cette guérison tant désirée, et de suite il demande l'heure, afin de fixer son esprit et de l'affermir dans la foi, de reconnaître et de faire reconnaître le grand bienfait qui lui a été accordé et celui qui le lui a accordé.

Cet homme, non seulement fut fidèle lui-même à la grâce qu'il reçut, mais devint l'apôtre de toute sa famille de manière que cette grâce miraculeuse de la guérison de son fils s'étendit à toute sa maison. Ils furent tous guéris par le Sauveur d'une maladie bien plus compliquée, bien plus grave et bien plus dangereuse que celle de son fils.

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Caput Vm

[Chapitre cinquième× ]×

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× V,1

Post haec erat dies festus ¦ Après cela se trouvait la fête

Judaeorum, et ascendit Jesus ¦ Juifs, et Jésus monta à

Jerosolymis. ¦ Jérusalem.

× V,2

Erat autem Jerosolymis ¦ Or il y a à Jérusalem une piscine

probatica piscina, quae ¦ probatique appelée en hébreu

cognominatur hebraïce ¦ Bethsaïda, et ayant cinq

Bethsaïda, quinque porticus ¦ portiques.

habens. ¦

× V,3

In his jacebat multitudo ¦ sous lesquels gisait une grande

magna languentium, caecorum, ¦ multitude de malades, d'aveugles,

claudorum, aridorum, ¦ de boiteux, de paralytiques,

expectantium aquae motum. ¦ attendant le mouvement des eaux.

× V,4

Angelus autem Domini ¦ Car un ange du Seigneur

descendebat secumdum tempus ¦ descendait en un certain temps

in piscinam; et movebatur ¦ dans la piscine, et l'eau

aqua. Et qui prior ¦ s'agitait. Et celui qui le

descendisset in piscinam post ¦ premier descendait dans la

motionem aquae, sanus fiebat ¦ piscine, après le mouvement de

a quaecumque detinebatur ¦ l'eau, était guéri, de quelque

infirmitate. ¦ maladie qu'il fût affligé.

× V,5

Erat autem quidam homo ibi, ¦ Or il y avait là un homme qui

triginta et octo annos habens ¦ était malade depuis trente-huit

in infirmitate sua. ¦ ans.

× V,6

Hunc cum vidisset Jesus ¦ Lorsque Jésus le vit couché et

jacentem, et cognovisset quia ¦ qu'il sut qu'il était malade

multum tempus haberet, dicit ¦ depuis longtemps, il lui dit:

ei: Vis sanus fieri ? ¦ Voulez-vous être guéri ?

× V,7

Respondit ei languidus: ¦ Le malade lui répondit: Seigneur,

Domine, hominem non habeo ut, ¦ je n'ai personne qui, lorsque

cum turbata fuerit aqua, ¦ l'eau est agitée, me jette dans

mittat me in piscinam; cum ¦ la piscine; car tandis que je

venio enim ego, alius ante me ¦ viens, un autre descend avant

descendit. ¦ moi.

Tout dans l'ancienne loi était figure et représentait ce que Dieu faisait et devait faire pour le salut des âmes; à plus forte raison une chose aussi extraordinaire que celle dont il s'agit dans ce chapitre et qui semble être sans objet et sans raison, à plus forte raison qu'elle doit avoir un objet caché et être une figure d'une chose grande qui se faisait et devait se faire plus parfaitement dans la suite. Il y a donc un secret caché sous l'écorce de cette piscine miraculeuse qui se trouvait à Jérusalem.

Jérusalem représente l'Eglise de Dieu en général, soit sous l'ancien Testament, soit sous le nouveau. La piscine est un endroit où l'on prend et où l'on réunit les poissons pour les conserver afin qu'ils ne s'en aillent et ne se perdent [pas]. Voilà pourquoi l'évangéliste ajoute qu'elle s'appelle en hébreu Bethsaïda, c'est-à-dire, maison de capture. Les poissons hors de la piscine sont les âmes qui se perdent et qui n'appartiennent pas au père de famille; ceux qui sont dedans sont les âmes qui se sauvent et qui sont conservées par le père de famille. Par conséquent la piscine représente le moyen de salut qui retient les âmes et les conserve à Dieu.

Les cinq portiques représentent les cinq révélations différentes qui composaient l'ancienne loi et qu'on était obligé d'observer pour se sauver: 1° celle d'Adam que les Juifs appellent de Noé; 2° celle d'Abraham; 3° celle de Moïse; 4° les explications de la loi révélée aux Prophètes; 5° la tradition orale qui est une véritable révélation non écrite. Par ces cinq portiques ou moyens d'entrer dans la voie du salut, (car le salut n'y était pas, mais dans la grâce représentée par l'eau de la piscine; voilà pourquoi elles sont figurées seulement par les portiques ou entrées), par ces cinq portiques il y en avait très peu qui se sauvaient donc parce qu'il y en avait très peu qui les observaient; voilà pourquoi une multitude nombreuse de malades y étaient couchés, position qui exprime l'incapacité de leur observance et de parvenir jusqu'à l'eau salutaire. Languentium dit la faiblesse; caecorum, l'aveuglement ou ignorance; claudorum ceux qui en partie observent et en partie suivent leurs passions, et qui finissent par rester sans avancer; aridorum, ceux qui deviennent entièrement nuls et n'ont plus aucun mouvement de vie.

L'ange venait pour préparer l'eau qui guérissait: c'est que Notre-Seigneur se communiquait aux anciens par un ange. L'ange ne guérissait pas, mais il disposait l'eau de la grâce: c'est ce que signifie la commotion qu'il donnait à cette eau. Il fallait que les malades descendissent, ce qui montre l'obtention de cette eau de la grâce qui guérissait par les oeuvres de la loi; ad tempus [indique] la rareté de cette guérison; et un seul [de guéri en indique] le petit nombre; le premier, pour montrer la diligence soigneuse dans les oeuvres.

Notre-Seigneur vient et guérit par sa parole. La guérison de la loi de grâce réside dans la grâce intérieure et vient directement de Notre-Seigneur; il nous suffit de l'acquiescement de la volonté: Vis sanus fieri ? [Veux-tu être guéri ?]

× V,8

Dixit ei Jesus: Surge, tolle ¦ Jésus lui dit: Levez-vous, prenez

grabatum tuum, et ambula. ¦ votre grabat et marchez.

× V,9

Et statim sanus factus est ¦ Et aussitôt cet homme fut guéri,

homo ille; et sustulit ¦ et il prit son grabat, et il

grabatum suum, et ambulabat. ¦ marchait. Or c'était un jour de

Erat autem sabbatum in die ¦ sabbat.

illo. ¦

Notre-Seigneur choisit ce malade parmi tant d'autres qui étaient là, quoique, à ce qu'il paraît, cet homme avait cette longue maladie par punition pour ses péchés et que peut-être son âme était aussi malade que son corps. Les paroles de Notre-Seigneur ont une signification mystérieuse qu'il dit à ce pécheur malade, parce que ce malade représente l'antiquité de la plaie de nos [âmes], la grande difficulté de guérir sous la loi ancienne, et par là il montre l'efficace de la loi nouvelle, la promptitude et la perfection de la guérison. C'est pourquoi il est dit: Jesus cum cognovisset, quia jam multum tempus haberet [lorsque Jésus sut qu'il était malade depuis longtemps...]. C'était une raison de le choisir parmi tant d'autres.

La maladie était les plaisirs des sens qui renferment un si grand nombre de péchés, le grabat (lit pauvre et chétif) signifie la mauvaise habitude où la paresse et la nonchalance retiennent l'âme comme un malade dans son lit. C'est un bien misérable lit, on y est bien mal; mais l'amour du plaisir, qui est l'âme de la paresse, y retient un misérable pécheur surtout quand la maladie de l'âme date de loin, l'âme ne peut se dégourdir et se débarrasser. Mais quand Notre-Seigneur par une grâce extraordinaire fait une guérison subite (et statim sanus factus est), alors il ordonne qu'on se lève, il fait tout d'un coup sortir de cette paresse spirituelle et de cette lâcheté et inspire une grande ferveur d'esprit qui la remplace. Il ordonne qu'on enlève ce mauvais grabat, qu'on se débarrasse de cette mauvaise habitude, ou plutôt son ordre dans cette circonstance est un ordre miraculeux. Il fait lui-même dans le pécheur ce qu'il ordonne; l'habitude disparaît, et le pécheur n'a plus de tentation; et s'il lui en reste quelque peu de chose (ce qui est rare dans les conversions subites), c'est comme s'il n'en restait rien tant on a de la facilité à le surmonter. Enfin il ordonne de marcher; il ne suffit pas qu'on soit guéri, qu'on se lève, c'est-à-dire qu'on n'éprouve plus ces nonchalances et ces lâchetés, et qu'on soit débarrassé de son malheureux grabat, c'est-à-dire de la mauvaise habitude. Il faut aller en avant et avancer, travailler à entrer dans les voies de l'amour divin et le servir avec force.

Une chose remarquable est que cet homme fait à la lettre tout ce que Notre-Seigneur lui a ordonné. Il semblait qu'il n'aurait pas dû faire attention à ces paroles: Prenez votre grabat et marchez, et ne pas les prendre comme un ordre formel, surtout en un jour de sabbat. Mais il a fallu que cet homme exécutât à l'extérieur ce qui arrive dans l'intérieur en ces circonstances. Les âmes détenues ainsi pendant des temps considérables dans les péchés et les mauvaises habitudes, lorsqu'il plaît à Notre-Seigneur de les délivrer subitement ainsi par une grâce miraculeuse, elles sont dans une si grande allégresse intérieure qu'elles obéissent à la lettre à toute cette divine parole et marchent selon les inspirations de la grâce.

× V,10

Dicebant ergo Judaei illi qui ¦ Les Juifs donc disaient à celui

sanatus fuerat: Sabbatum est, ¦ qui avait été guéri: C'est un

non licet tibi tollere ¦ jour de sabbat, il ne t'est pas

grabatum tuum. ¦ permis d'emporter ton grabat.

× V,11

Respondit eis: Qui me sanum ¦ Il leur répondit: Celui qui m'a

fecit, ille mihi dixit: Tolle ¦ guéri m'a dit lui-même: Prends

grabatum tuum, et ambula. ¦ ton grabat et marche.

Les Juifs, toujours rigoureux observateurs de la lettre de leur loi et peu observateurs de son esprit, se scandalisent de voir cet homme porter son lit. La loi, bien observée telle qu'elle était, permettait à cet homme d'emporter son lit après avoir été guéri miraculeusement, mais leurs traditions fausses et humaines dont ils avaient surchargé la loi, s'opposaient à toute espèce de choses qui puisse tant soit peu s'approcher de la ressemblance d'un fardeau que la loi défend. Mais cet homme qui a été guéri, quoique sans instruction, comprenait que cela ne devait pas être défendu, puisque celui qui l'avait guéri miraculeusement lui avait dit de la faire. Il leur apporte cet argument comme bien évident.

× V,12

Interrogaverunt ergo eum: ¦ Alors ils lui demandèrent; Qui

Quis est ille homo qui dixit ¦ est cet homme qui t'a dit:

tibi: Tolle grabatum tuum, ¦ Prends ton grabat et marche ?

et ambula ? ¦

Mais les Juifs pleins de malice, et se doutant probablement que celui qui l'avait guéri miraculeusement était Jésus de Nazareth qui avait déjà tant fait de miracles à Jérusalem, lui demandèrent malicieusement quel était celui qui lui avait dit d'emporter son lit.

On peut voir là leur grande malice; ils ne demandent pas à cet homme: Qui vous a guéri ? et ne lui disent pas que cela n'était pas permis; et cependant c'était là le grand crime qu'ils reprochaient à Notre-Seigneur, de l'avoir guéri le jour du sabbat; mais ils demandent qui lui a dit cela, parce que le miracle prouvait assez contre leur doctrine.

De plus il paraît même qu'ils ne font pas semblant devant cet homme d'être mécontents de celui qui l'a guéri et qui lui a dit cela, afin d'apprendre d'une manière certaine et positive ce qu'ils désiraient tant et ce dont ils se doutaient bien, c'est-à-dire que ce fut Notre-Seigneur qui avait fait cela, afin d'avoir une occasion de l'accuser.

Et qu'est-il arrivé ? C'est que Notre-Seigneur, pour punir leur malice de la manière la plus terrible, fit en sorte qu'ils réussirent. C'est par là qu'ils s'endurcirent toujours davantage dans leur malice. Cet homme ne savait pas qui c'était, et Notre-Seigneur qui sait tout ce qui se passe aurait bien facilement pu éviter cet homme nouvellement guéri, mais au contraire il se montre, afin que les Juifs réussissent dans leur recherche malicieuse.

× V,13

Is autem qui sanus fuerat ¦ Mais celui qui avait été guéri

effectus, nesciabat quis ¦ ne savait qui il était; car

esset. Jesus enim declinavit ¦ Jésus s'était retiré de la foule

a turba constituta in loco. ¦ assemblée en ce lieu.

La raison pour laquelle cet homme ne l'a pas connu c'est qu'aussitôt le miracle fait, Jésus se retira de la foule qui devait naturellement se trouver là et qui a dû augmenter considérablement après ce miracle. Notre-Seigneur faisait un certain nombre de miracles en public afin de frapper les peuples et de leur inspirer de la foi; et cela était d'autant plus nécessaire que les pharisiens faisaient tout ce qui était en eux pour le discréditer et le décrier dans les esprits comme n'observant pas les lois et comme étant un faux Messie. Le grand nombre et l'éclat de ses miracles étaient d'un grand poids et contrebalançaient fortement toutes ces calomnies.

Très souvent il faisait des miracles en secret, ou il recommandait de ne pas en parler, comme cela est marqué dans les autres évangélistes, ou il se retirait aussitôt de la foule, comme dans cette circonstance où nous sommes. Et pourquoi cela ? Le Saint des Saints n'aurait pas eu à craindre, comme nous autres misérables, d'être surpris par la vanité et les autres défauts. Mais il voulait nous donner deux instructions par là. La première précisément à cause de notre faiblesse et de notre amour propre, afin que ses ministres, le voyant lui-même sur la réserve, prennent garde à eux et ne soient pas surpris par le démon. Quand on a reçu un don ou une grâce, il faut les cacher dans toutes les circonstances où il n'est pas nécessaire qu'ils paraissent. Les ministres de Dieu, dont la fonction est de travailler au salut des âmes, sont obligés très souvent d'user en public de ces dons qu'ils ont reçus, comme le don de toucher les coeurs, celui d'éclairer les esprits, ou de conduire les âmes, etc. Ils sont obligés de les employer, c'est pour cela qu'ils les ont, mais qu'ils prennent garde de les employer mal à propos. Il ne faut les employer d'une manière manifeste et apparente que lorsque cela est nécessaire, sinon les employer de manière qu'on ne s'en aperçoit point, et cela arrivera le plus souvent. Lorsqu'on s'en aperçoit, prendre bien garde à soi et se retirer de la foule, c'est-à-dire se retirer dans son intérieur, ne pas en recevoir les louanges, ni y mettre sa complaisance. Toutes ces choses doivent s'observer même lorsqu'il semble qu'on n'a rien à risquer et qu'on n'éprouve pas d'amour propre.

Secondement, comme le peuple juif était avide de miracles, leurs esprits s'y arrêtaient facilement, et si Notre-Seigneur avait sans cesse fait ainsi ses miracles en public, ses disciples et le reste du peuple n'auraient plus été tant attentifs à sa doctrine qu'à ses miracles. Or Notre-Seigneur ne voulait pas cela, mais au contraire il voulait qu'on s'attachât beaucoup davantage à sa doctrine qui est directement pour la sanctification des âmes, qu'à ces choses extraordinaires qui donnent une bonne impression à l'âme, qui la fortifient dans la foi, mais qui ne font pas avancer, qui ne corrigent pas les défauts, qui ne détachent pas de ce monde et de ses concupiscences, qui n'éteignent pas la vie naturelle et qui ne font pas avancer dans la vie du parfait amour. C'est donc une bonne instruction pour nous: il ne faut pas être indifférent aux choses et aux grâces extraordinaires, au contraire, il faut les aimer et les respecter en nous et dans les autres et nous en servir pour fortifier notre foi et notre amour, mais notre grand et continuel soin doit être d'établir la vie de Notre-Seigneur en nous, de l'écouter dans notre intérieur, de lui être fidèle, et d'avancer dans la vie de son parfait amour.

× V,14

Postea invenit eum Jesus in ¦ Jésus ensuite le trouva dans le

templo et dixit illi: Ecce ¦ temple, et lui dit: Voilà que

sanus factus es; jam noli ¦ vous êtes guéri, ne péchez plus,

peccare, ne deterius tibi ¦ de peur qu'il ne vous arrive

aliquid contingat. ¦ quelque chose de pire.

Jésus le trouva ensuite dans le temple où il était allé pour rendre des actions de grâces à Dieu du bienfait qu'il en avait reçu. Jésus y alla le trouver, pour lui faire cette recommandation suivante: Ne péchez plus après avoir reçu ce bienfait qui vous délivra de ce mal, qui vous est venu par vos péchés. Cette parole, Notre-Seigneur la dit à tous ceux qu'il guérit ainsi de ces grandes maladies chroniques de l'âme: Ne péchez plus, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire.

La chose la plus importante pour une âme qui a croupi dans le péché et qui a eu le bonheur d'en être ainsi retirée, est la crainte du péché. Notre-Seigneur l'inspire toujours à ces âmes. S'il arrive qu'après cela on retombe de nouveau c'est une chose très mauvaise; l'abus de cette grande grâce reçue produit un effet terrible et est suivi d'une punition exemplaire. Cela revient à ce que Notre-Seigneur dit dans un autre Evangile: Lorsqu'un démon a été chassé d'un homme, s'il peut y rentrer, il prend avec lui sept autres plus mauvais que lui, et, trouvant cette âme ornée par la grâce qu'elle vient de recevoir et les bonnes oeuvres qu'elle avait faites, ils y établissent leur demeure, et souvent pour jamais [cf. Mt. 12,43-45; Lc. 11,24-26]. Les péchés qui ont été faiblesse auparavant deviennent malice et sont souvent accompagnés d'endurcissement.

× V,15

Abiit elle homo, et nuntiavit ¦ Cet homme s'en alla, et annonça

Judaeis, quia Jesus esset, ¦ aux Juifs que c'était Jésus qui

qui fecit eum sanum. ¦ l'avait guéri.

Cet homme, à qui les Juifs n'avaient pas manifesté de mécontentement contre celui qui l'avait guéri, crut qu'ils avaient de bonnes intentions dans leur demande et alla bien vite leur faire connaître celui qui avait fait ce miracle en sa faveur, croyant qu'il en résulterait du bien pour la gloire de Notre-Seigneur.

× V,16

Propterea persequebantur ¦ C'est pourquoi les Juifs

Judaei Jesum, quia haec ¦ persécutaient Jésus, parce qu'il

faciebat in sabbato. ¦ faisait ces choses un jour de sabbat.

Mais il n'en était pas ainsi. Les Juifs, aveuglés sur leurs fausses traditions qui leur défendaient de prendre des remèdes et de guérir un malade le jour du sabbat, se mirent dans toute l'amertume ordinaire de leur zèle pour l'observation de ces ridicules traditions. C'est une chose remarquable combien la malice des hommes et leur orgueil les aveuglent.

D'abord, cet homme porte son lit, ce qui était regardé parmi eux comme un travail défendu expressément dans la loi, et qui est réellement défendu dans les prophètes si c'est un fardeau selon la fausse idée des Juifs; et cependant ils se contentent de lui dire que cela n'était pas permis, et ils ne semblent pas reprocher à Notre-Seigneur de lui avoir dit de faire cela.

Mais Notre-Seigneur enfreint une de leurs sottes traditions qu'ils avouent n'être pas dans la loi mais de l'institution des docteurs, et voilà qu'ils se mettent en fureur contre lui et le persécutent à outrance. Cependant il semble que leurs docteurs qui ont établi cette loi devaient excepter ce cas; car ils n'auront pas voulu dire qu'il n'est pas permis de guérir miraculeusement. C'est égal; Notre-Seigneur a l'air de ne pas faire assez de cas de ces traditions, il en montre bien évidemment le faux par le miracle qu'il opère dans l'infraction même, ils le poursuivent donc tout de même et avec plus de haine que s'il n'avait pas fait de miracle, précisément parce que ces miracles prouvent contre eux, parce qu'ils se voient convaincus dans l'erreur et frustrés de cette autorité surnaturelle d'imposer des lois aux peuples comme venant de Dieu. Ils sont pleins d'envie contre ces miracles et de jalousie contre celui qui les fait et prennent la résolution de le persécuter à toute outrance, et toujours par l'illusion et sous le voile du zèle pour la loi de Dieu.

O Seigneur Jésus que ces replis de notre amour-propre sont terribles et dangereux. Qu'il faut être sur ses gardes pour juger de quelqu'un dont la conduite dans la vie parfaite est différente de la nôtre, surtout quand cette conduite est plus élevée dans les voies de Dieu, surtout quand ces jugements sont accompagnés d'amertume, de peines, d'inquiétudes et d'autres mouvements semblables ou que nous nous mettons dans un sentiment de zèle trop actif. O Seigneur Jésus, préservez-moi de cet amour-propre, je vous en prie, et établissez-moi dans votre douce humilité.

× V,17

Jesus autem respondit eis: ¦ Mais Jésus leur répondit: Mon

Pater meus usque modo ¦ Père opère jusqu'à ce moment, et

operatur, et ego operor. ¦ moi j'opère aussi.

Notre-Seigneur leur répond: Vous me reprochez de travailler le jour du sabbat; et pourquoi donc faut-il se reposer en ce jour sinon parce que mon Père s'est reposé en ce jour ? Par conséquent, le repos de mon Père doit être le modèle et la règle du nôtre, et c'est précisément ce que je fais. Cette guérison que j'ai faite ce n'est que par la vertu de mon Père que je l'ai faite, toute oeuvre de puissance lui appartenant; c'est donc d'après mon Père et avec lui que j'ai fait cette oeuvre et par conséquent ce n'est pas une oeuvre contraire au repos que mon Père ordonne et qu'il a pris lui-même.

On peut expliquer encore: Tout ce que mon Père opère par sa prédestination, j'opère moi aussi par l'exécution de ses volontés prédestinantes. Ainsi mon Père de toute éternité avait décrété et déterminé la guérison corporelle et spirituelle de cet homme pour ce jour du sabbat et pour le moment où cela a été fait, et cette opération par laquelle le Père a ordonné cette oeuvre a duré jusqu'au moment même où elle a été faite; et ce moment arrivé, cette opération ou volonté agissante du Père urgeant l'exécution, alors moi, par suite de cette opération de mon Père, j'ai réduit en pratique et exécution cette volonté ou opération prédestinante de mon Père; et cette volonté agissante de mon Père a existé jusqu'à ce que mon opération d'exécution fût accomplie, et par conséquent je n'ai travaillé que usque modo Pater operatur [jusqu'à ce moment où mon Père opère].

Il est de cela comme de la création: Le Père ordonnait (26) et le Fils exécutait, omnia per ipsum facta sunt; et le Fils n'exécutait que selon les ordres du Père pour le temps, l'étendue et les circonstances de l'exécution; or si le septième jour de la création le Fils se repose parce que le Père se repose, dans cette création nouvelle et dans l'ordre de la grâce il doit [en] être de même; le Fils doit opérer tant que le Père opère et ne se reposer que lorsque l'opération prédestinante du Père se repose, ce qui n'arrivera qu'à la fin de la création nouvelle du monde des élus, et ce repos sera pendant toute l'éternité.

Mais il faut observer que cette différence d'opération (opération du Père et opération du Fils) ne veut pas marquer cependant deux opérations distinctes dans leur essence. Dieu est un, sa volonté est une et son opération est une. La même volonté qui dans le Père est selon sa personnalité paternelle une volonté ordonnante, déterminante, prédestinante, cette même volonté existe dans son essence dans le Fils et selon la personnalité du Fils, devient une volonté exécutive ou exécutante, comme Notre-Seigneur va expliquer au verset 19.

× V,18

Propterea ergo magis ¦ C'est pourquoi les Juifs

quaerebant eum Judaei ¦ cherchaient encore plus à le

interficere, quia non solum ¦ faire mourir; parce que non

solvebat sabbatum, sed et ¦ seulement il violait le sabbat,

patrem suum dicebat Deum, ¦ mais qu'il disait que Dieu était

aequalem se faciens Deo. ¦ son père, se faisant ainsi égal

Respondit itaque Jesus, et ¦ à Dieu. Jésus donc répondant,

dixit eis: ¦ leur dit:

Les Juifs étaient déjà jaloux auparavant et cherchant à le faire mourir à cause des miracles qu'il faisait et de ce qu'il méprisait leurs fausses traditions, lorsqu'il entendirent ces paroles de sa bouche, ils entrèrent dans une plus grande fureur; et ce qui devait les faire rentrer en eux-mêmes et leur devenir un sujet de salut, est devenu pour eux un sujet de leur perte. Jésus se donne pour Fils de Dieu et se fait égal à Dieu. S'ils n'avaient pas été aveugles par leurs jalousies et leurs fureurs ils seraient rentrés en eux-mêmes et auraient examiné la chose de plus près; les vraies traditions sur la divinité du Messie n'ont pas pu être entièrement perdues parmi leurs docteurs, et les prophètes sont formels là-dessus, mais ils avaient des oreilles et n'entendaient plus, des yeux et ne voyaient plus, et leur coeur était endurci parce qu'ils ont été infidèles, ont rejeté avec orgueil les premières grâces, et sont pleins de leurs passions et de leur propre estime. Grande différence entre eux et Pilate même, qui était un lâche païen rempli d'orgueil bien sûrement, et du désir de sa grandeur. Cependant Pilate eut peur dès qu'il entend, par la bouche des Juifs, que celui qu'ils lui livrent comme coupable s'était dit Fils de Dieu. Il rentra dans le prétoire pour examiner cela; seulement sa lâcheté et le désir de la grandeur qu'il craignait de perdre, [l'emportèrent] sur les cris de sa conscience. Tandis que ceux-ci sont plus aveugles que Pilate, et, au lieu de craindre et d'examiner, ils entrent dans une plus grande fureur.

Mais d'où vient cet inconcevable aveuglement ? C'est qu'ils étaient pleins d'eux-mêmes, et leur amour-propre eut été terriblement humilié et accablé par celui qui se donnait pour le Fils de Dieu. C'est ce qui forma ce fond de malice qui bouchait leur esprit et empêchait la divine lumière d'y entrer. C'est ce qui encore leur faisait craindre de reconnaître que c'était le Fils de Dieu, et qui les faisait chercher tous les moyens de s'entretenir dans cette illusion et ces ténèbres.

Ce qui montre qu'ils avaient un commencement de lumière, c'est qu'ils comprirent ces paroles dans leur sens véritable; car si Notre-Seigneur s'appelle Fils de Dieu, cela aurait pu se prendre dans un sens figuré ou adoptif, comme on voit dans un autre endroit qu'on l'a compris de cette manière, et toute la phrase s'expliquait très naturellement de cette manière. Cette connaissance prouve que Notre-Seigneur voulait les éclairer: au lieu de recevoir ce commencement de lumière pour en profiter, ils s'en scandalisent par leur malice et pour leur perte.

Mais ce qu'ils avaient bien sûrement mal compris, c'était de croire que Notre-Seigneur annonçait deux dieux, deux principes: son Père qui opère de son côté, et Notre-Seigneur se donnant pour un autre dieu dont la nature serait une nature différente de celle du Père et qui a aussi son opération libre de son côté. Aequalem se faciens, comme deux principes qui se contrebalancent mais dont la puissance et les autres attributs et surtout l'indépendance sont [égaux], chacun en ayant autant de son côté; car il leur était impossible de concevoir les choses autrement avec les ténèbres dont ils étaient pleins, et ayant perdu toutes les traces du mystère de la très-sainte Trinité qui cependant était bien connue dans leurs Ecritures et leurs traditions.

Itaque, c'est pourquoi, parce que les Juifs ont compris que Notre-Seigneur parlait de se faire égal à son Père, Notre-Seigneur s'explique là-dessus pour nous faire éviter cette erreur. Car, quoique les Juifs n'étaient pas capables de le comprendre, il avait toujours pour nous la bonté, l'amour et la miséricorde si grande, que de prévoir toutes les difficultés que nous pourrions trouver et de nous expliquer clairement ces saints mystères. Cependant cela a été dit aux Juifs; ils auraient compris s'ils avaient voulu, la grâce leur aurait été donnée pour cela.

× V,19

Amen, amen dico vobis: non ¦ En vérité, en vérité, je vous le

potest Filius a se facere ¦ dis: Le Fils ne peut rien faire

quidquam, nisi quod viderit ¦ de lui-même, si ce n'est ce qu'il

Patrem facientem; quaecumque ¦ voit que le Père fait; car tout

enim ille fecerit, haec et ¦ ce que le Père fait, le Fils le

Filius similiter facit. ¦ fait pareillement.

Notre-Seigneur fait dans ce verset une triple réponse aux Juifs, à trois faussetés qu'ils soutenaient et qui les irritaient contre lui. Il leur dit: Vous croyez que j'agis contre la loi de mon Père en faisant ce miracle, or je vous dis en vérité que le Fils ne peut rien faire sans qu'il l'ait vu faire au Père et par conséquent en cette oeuvre comme dans toutes les autres il dépend tout à fait de son Père, qui par conséquent la veut. Vous vous scandalisez de ce que je dis que j'opère tout le temps que mon Père opère et vous vous irritez de ce que c'est par là que je m'égale à mon Père. Je vous dis cependant en vérité que tout ce que le Père a fait le Fils le fait aussi, de manière que non seulement je suis égal à mon Père dans l'opération mais même en puissance, non seulement dans une ou plusieurs opérations, mais en toutes, car tout ce que le Père a fait, le Fils le fait pareillement. En troisième lieu Notre-Seigneur s'explique sur l'erreur des deux principes. Il faut savoir qu'il parle du Verbe incarné agissant et opérant dans le temps, en conformité aux décrets éternels du Père. Il dit: Je vous dis en vérité, que le Fils de lui[-même] séparément et indépendamment du Père, ne peut rien faire, parce qu'il a une seule et même nature divine avec le Père. Voilà l'unité de nature. Il ne peut faire que ce qu'il a vu le Père faisant par sa volonté éternelle. Voilà l'unité d'une seule et même volonté. Le Verbe de Dieu incarné ne peut opérer dans le temps aucune oeuvre qu'il n'ait vu de toute éternité le Père opérer, c'est-à-dire le Fils de Dieu a reçu, ou plutôt reçoit, de toute éternité cette volonté substantielle du Père et il la reçoit d'une manière substantielle et essentielle, pour opérer dans le temps, par le Fils de l'homme qui lui est uni de manière à n'être qu'une seule et même personne. De sorte que, lorsque le Verbe de Dieu opère dans le temps par le Fils de l'homme et conjointement avec lui, il ne fait que mettre en exécution cette volonté éternelle du Père qu'il a reçue de lui éternellement. Notre-Seigneur appelle cela voir (quod viderit) parce que la génération du Fils n'est rien autre chose que la vue substantielle et essentielle que Dieu a de son essence divine.

Il ajoute pour expliquer encore davantage: Car, tout ce que le Père a fait le Fils le fait semblablement, et c'est l'unité de l'opération. Ce que le Père a fait de toute éternité par sa volonté déterminante le Fils incarné le fait dans le temps d'une manière tout à fait semblable. Il faut bien remarquer les termes: sans en excepter une seule toutes les choses absolument que le Père a faites (de toute éternité); ces mêmes choses (haec) le Fils les fait (dans le temps) pareillement, c'est-à-dire parité parfaite: parité de principe, parité de puissance, parité complète d'objet et de mode; et en général tellement pareille que la même volonté du Père exécute dans le Fils.

× V,20

Pater enim diligit Filium, et ¦ Car le Père aime le Fils, et lui

omnia demonstrat ei quae ipse ¦ montre tout ce qu'il fait; et il lui

facit; et majora his ¦ montrera des oeuvres encore plus

demonstrabit ei opera, ut vos ¦ grandes que celles-ci, de sorte que

miremini. ¦ en serez vous-mêmes dans

¦ l'admiration.

Il faut savoir que l'opération de l'union hypostatique de l'Humanité sainte avec le Verbe est une opération d'amour et par conséquent attribuée à l'Esprit-Saint: Et concepit de Spiritu Sancto [Et elle a conçu du Saint-Esprit]. De là, tous les effets qui découlaient de cette admirable union sur l'Humanité sainte doivent être attribués à l'Esprit-Saint et sont aussi des effets d'amour. Voilà donc ce que Notre-Seigneur dit pour expliquer toujours davantage ce qu'il vient de dire, continuant toujours de parler du Verbe incarné: Vous autres, semble-t-il dire dans le verset précédent, vous ne voyez que le Fils de l'homme et vous êtes mécontents de ce que je me fais égal à Dieu, cependant je vous dis en vérité que c'est le Fils de Dieu qui agit, et ses opérations sont les mêmes que les opérations du Père quoique ce soit un homme qui semble les faire et agit en effet. Car le Père aime le Fils, il aime son Fils de toute éternité et il l'aime du même amour dans son Incarnation. Cet amour s'étend aussi sur l'humanité qui y participe, et, par un effet de cet amour auquel elle participe, elle reçoit l même vue de la volonté divine et éternelle de son Père qui déterminait de toute éternité chaque chose qu'elle doit opérer dans le temps conjointement avec le Verbe auquel elle est unie si admirablement; et tout ce que le Verbe opère dans le temps par un effet de cette volonté, la vénérable humanité l'opère avec lui. Voilà pourquoi c'est par un effet de cet amour éternel du Père pour son Fils que ces actions que vous voyez opérées par l'humanité sont véritablement les mêmes actions opérées par le Père. Celle que vous avez vues vous étonnent déjà parce que la tout-puissance du Père y paraît, mais vous en verrez de bien plus grandes qui vous étonneront encore bien davantage. Car les temps ne sont pas venus encore; quand ils viendront tels qu'ils sont déterminés dans l'opération éternelle de la volonté de mon Père, le Père les montrera aussi à son Fils pour être exécutées par cette même humanité que vous voyez maintenant agir.

Quoique Notre-Seigneur eût connaissance parfaite dès le premier moment de toutes les volontés de son Père, puisque le Verbe les possédait de toute éternité, cependant il dit ici demonstrabit au futur, parce qu'il veut dire par ce terme demonstrare cette volonté divine communiquée pour être réduite en exécution. - Dans toutes ces opérations dont je parle vous verrez bien autrement que par le passé l'ample communication de la Divinité du Père dans le Fils, accordée à l'humanité sainte que vous méprisez; et alors vous seriez bien dans l'admiration.

× V,21

Sicut enim Pater suscitat ¦ Car, comme le Père réveille les

mortuos, et vivificat; ita et ¦ morts et les rend à la vie, de même

Filius quos vult, vivificat. ¦ le Fils vivifie ceux qu'il veut.

× V,22

Neque enim Pater judicat ¦ Et le Père ne juge personne, mais

quemquam, sed omne judicium ¦ il a remis tout jugement au Fils;

dedit Filio; ¦

Car comme vous reconnaissez vous-mêmes en mon Père la puissance de ressusciter les morts et de les vivifier, de même le Fils vivifie tous ceux qu'il veut. Il vivifie en ce monde par sa grâce; il vivifie dans l'autre par la gloire. De manière que tout ce qui a vie c'est du Fils qu'il le tient. Comme aussi le Père ne juge personne, mais tout jugement est entre les mains de son Fils, et tous ceux qui seront condamnés, c'est le Fils qui les condamnera.

Par là, Notre-Seigneur montre aux Juifs incrédules sa puissance sur toutes les créatures et sa grandeur. Il partage avec son Père la puissance de ressusciter et de donner la vie. Et quoique cette souveraine volonté du Père est le principe des opérations du Fils, le Fils cependant use de sa propre puissance et fait tel avec sa propre volonté (quod vult) parce que cette puissance et cette volonté du Père lui appartiennent et lui sont propres aussi bien qu'au Père. De même après la mort le Père a donné toute justice au fils, de manière que le Fils seul juge et condamne ceux qui seront condamnés. Par là le Fils est l'arbitre de la vie et de la mort de toutes les créatures.

Et cette volonté de ressusciter et de vivifier, et cette puissance d'opération pour la vie ou pour le jugement (l'une et l'autre divines), quoique résidant par essence dans le Verbe, l'humanité sainte en jouissait et y participait si parfaitement qu'elles étaient véritablement siennes. Elle participait à la volonté divine du Verbe par l'union de sa volonté avec la divine; elle participait à la puissance d'opération parce que son opération humaine procédait de la volonté du Verbe à laquelle la volonté humaine était jointe. De plus toutes les opérations de la Divinité, soit pour la vie soit pour le jugement, se font par l'humanité sainte. De tout cela il résulte que toutes les créatures sont dans une entière dépendance du Verbe incarné, et par conséquent de l'humanité sainte comme du Verbe.

Mais il est à observer que dans le verset 21, lorsque Notre- Seigneur parle du pouvoir de donner la vie, il parle comme le partageant avec son Père; et dans le verset 22, quand il parle du jugement, il dit que cela lui appartient à lui seul. Cela tient à toute le suite de cette explication. La volonté déterminante du Père, par laquelle il prédestine de toute éternité les oeuvres de son Fils dans le temps, fait qu'il partage cette même opération avec le Fils; c'est pourquoi le Père vivifie aussi bien que le Fils. Mais comme cette volonté éternelle et déterminante ne prédestine personne au jugement et à la condamnation, de là tout jugement a été donné au Fils, qui juge tout seul sans partager cette puissance avec le Père, quoique dans le fond le Père juge aussi bien que le Fils, puisque toutes les opérations des personnes divines sont nécessairement et essentiellement communes; mais il ne s'agit ici que d'attribution particulière de la prédestination qui appartient au Père et n'intervient pas dans le jugement.

× V,23

Ut omnes honorificent Filium, ¦ Afin que tous honorent le Fils

sicut honorificant Patrem; ¦ comme ils honorent le Père; qui

qui non honorificat Filium, ¦ n'honore point le Fils n'honore

non honorificat Patrem qui ¦ point le Père qui l'a envoyé.

misit illum. ¦

C'est par cet amour du Père pour son Fils incarné dont il est parlé plus haut, qu'il lui a communiqué cette puissance même en son humanité; afin que toutes les créatures honorent son Fils incarné, et même dans son humanité, comme elles l'honorent lui-même. Il a mis toutes créatures sous sa puissance, même sous celle de l'humanité sainte, et il les en a rendues tellement dépendantes qu'elles ne sont en rapport qu'avec lui seul pour la vie et pour le jugement. De cette manière le ciel, la terre et l'enfer sont tremblants devant lui et en adoration; le ciel et la terre [l'adorent] pour la vie qu'il leur donne; et l'enfer l'adore en frémissant et en tremblant pour la condamnation et le jugement.

Il dit: Sicut honorificant Patrem. Ils adorent le Père comme leur créateur et leur Dieu, il fait qu'ils adorent la même divinité dans le Fils et qu'ils l'adorent comme leur vivificateur et leur souverain Maître qui a leur sort entre ses mains.

La raison pourquoi le Père veut que tous honorent le Fils dans son humanité sainte comme ils l'honorent lui-même c'est que l'honneur rendu au Fils dans l'humanité sainte est un honneur rendu au Père lui-même; bien plus, personne ne peut rendre hommage au Père que par le Fils incarné et tous ceux qui n'honorent pas le Fils dans son humanité sainte n'honorent pas le Père non plus: car, l'image du Père est dans son Fils éternel et elle y est d'une manière substantielle, et par conséquent il faut adorer le Père dans son Fils. Mais, le Père ayant envoyé ce Fils bien-aimé, qui renferme en lui sa propre nature divine, pour l'unir à l'humanité sainte et vénérable qu'il lui a donnée, de manière que toutes les perfections divines et la nature du Père résident dans cette sainte humanité, il faut qu'on adore le Père dans cette humanité, sinon on n'adore pas le Père qui a envoyé pour cela son Fils sur la terre, afin que tous l'adorent en lui et par lui.

Ces termes qui misit illum montrent assez qu'il s'agit de l'honneur divin qu'on doit rendre au Fils revêtu de son humanité sainte. Cet envoi veut dire l'Incarnation. Cela signifie encore: celui qui n'honore pas l'envoyé n'honore pas celui qui l'a envoyé. De là celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père.

× V,24

Amen, amen dico vobis, quia ¦ En vérité, en vérité, je vous dis

qui verbum meum audit, et ¦ que celui qui écoute ma parole et

credit ei qui misit me, habet ¦ croit à celui qui m'a envoyé, a

vitam aeternam, et in ¦ la vie éternelle, et ne vient pas

judicium non venit, sed ¦ en jugement; mais il a passé de

transiit a morte in vitam. ¦ la mort à la vie.

Après avoir parlé de sa grandeur et de sa puissance et de la vie qu'il communique, il nous montre comment il faut nous conduire pour obtenir cette vie et fuir ce jugement. Et après avoir expliqué la communication de la vie, il explique le jugement. Celui qui écoutera le Fils de Dieu avec attention et avec docilité .... Car il ne suffit pas seulement que nous écoutions. On peut écouter par curiosité et même par malice comme les Pharisiens. Mais ici Notre-Seigneur veut dire écouter intérieurement, ce qui exige attention intérieure de l'âme pour recevoir en elles les vérités, et avoir la docilité et la simplicité de l'esprit pour les recevoir; c'est-à-dire être disposé à recevoir avec actions de grâces les divines paroles et en faire le profit de son âme. Et après cela il faut y donner entièrement son âme lorsqu'on les a reçues, y soumettre toutes ses puissances et se laisser diriger et guider par elles, comme par la parole de Dieu même, et par là on croit au Père de Notre-Seigneur qui l'a envoyé, en prenant ainsi cette parole, en s'y soumettant et s'abandonnant à elle comme venant de lui. Et cette parole divine est tellement substantielle et vitale, qu'elle pénètre dans notre âme, la remplit et devient sa vie, la remplissant de lumières, de grâces et d'amour et établissant en elle la vie du Fils de Dieu même. C'est pour cela que Notre-Seigneur dit que cette âme a la vie éternelle; il ne dit pas qu'elle l'aura, mais qu'elle l'a, car elle possède en elle la vie de tous les élus du ciel et y participe quoique pas encore à découvert. Il dit encore qu'elle ne vient pas en jugement, comme il a dit plus haut (Chap. III) que tous ceux qui ont en eux la lumière ne peuvent pas être repris par la lumière. Il n'y a que ceux qui ne reçoivent pas en eux cette lumière qui le sont, parce que leurs ténèbres sont condamnées et repoussées par la divine lumière. Le Fils de Dieu exerce déjà sur la terre un certain jugement, par lequel il repousse, condamne et rejette le péché qui est dans les âmes; et celles qui ne s'en éloignent pas, cette condamnation du péché qui est en elles, tombe sur elles-mêmes. Mais ceux qui abandonnent cette vie de péché, cette vie de la chair et de ses concupiscences si opposées aux divines paroles du Fils de Dieu, pour recevoir en eux Notre-Seigneur avec cette divine foi, de la manière qu'il vient d'exposer, ceux-là au lieu d'être sujets à ce changement, passent de la mort (car la vie de la chair est une mort) à la vie de l'âme, parce qu'ils ont la vie de Jésus en eux.

En cela on peut voir la bonté de notre adorable Maître. On avait mené une vie horrible à ses yeux et qui devait être condamnée, on la quitte pour se donner à lui; il semble qu'il devrait commencer par entrer en jugement pour demander compte du passé, point du tout; si la foi est parfaite, renfermant en elle la parfaite charité et la parfaite fidélité à sa grâce, il ne reste plus rien de l'ancien jugement, il a tout pris sur lui et nous fait passer immédiatement de la mort à la vie. Ce n'est que lorsque cette foi n'est pas parfaite qu'il reste quelque chose de l'ancien [jugement]: car tant que tout n'est pas lumière en nous, le lumière reprend (27); mais si nous sommes fidèles ce jugement sera un jugement d'amour qui brûle les ténèbres de la chair qui sont restées et conserve notre âme dans la vie.

On peut aussi expliquer cela du Baptême; car Notre-Seigneur parle à des gens qui auraient eu besoin de recevoir ce sacrement. Et alors il ne reste plus rien du jugement quoique la foi n'est pas parfaite. Mais l'incompréhensible miséricorde de Notre-Seigneur mérite toujours nos adorations, notre amour et nos plus humbles et plus tendres actions de grâces.

× V,25

Amen, amen dico vobis, quia ¦ En vérité, en vérité, je vous dis que

venit hora, et nunc est, ¦ l'heure vient, et elle est déjà

quando mortui audient vocem ¦ venue, où les morts, entendront la

Filii Dei; et qui audierint, ¦ voix du Fils de Dieu, et ceux qui

vivent. ¦ l'auront entendue, vivront.

Et pour leur imprimer davantage cette vérité dans l'esprit, il leur annonce une chose non comme une vérité spirituelle dont la pratique est éloignée mais comme un fait qui doit arriver bientôt, que les morts entendront la voix du Fils de Dieu, faisant toujours entendre par là que, quoique ce soit la sainte humanité qui parle et qui agit, c'est cependant la voix du Fils de Dieu qu'ils entendront. Il dit mortui en général, pour montrer le grand nombre qui l'entendront; non seulement les Juifs fidèles à la loi qui ne sont pas morts ou pas censés l'être, mais les Juifs mauvais et les gentils que vous reconnaissez pour morts. Venit hora et nunc est; parce que, dès le temps que le Fils de Dieu a vécu sur la terre, il y eut déjà un commencement de gentils qui entendirent la voix du Fils de Dieu.

Par le mot audient il faut toujours entendre la réception intérieure de la parole du Fils de Dieu et l'acquiescement intérieur par la foi, dont il a parlé plus haut. Ces morts que vous regardez comme perdus, par là-même qu'ils recevront cette voix du Fils de Dieu revêtu de la chair, par là-même ils vivront parce que le Fils de Dieu incarné leur donnera la vie; cette voix deviendra une vie en eux.

Cette voix du Fils de Dieu est la parole du Fils de l'homme, soit extérieure, qu'il prononce par les vérités qui sortent de sa bouche adorable, soit intérieure, qu'il insinue dans l'âme par sa grâce divine. Mais l'une et l'autre procédant du Verbe comme de leur source, est par là-même la voix du Verbe. Et le Verbe est la voix du Père lui-même; et par conséquent c'est la voix du Père qui se fait entendre, et celui qui croit croit au Père.

× V,26

Sicut enim Pater habet vitam ¦ Car comme le Père a la vie en

in semetipso, sic dedit et ¦ lui-même, ainsi il a donné au

Filio habere vitam in ¦ Fils d'avoir la vie en lui-même.

semetipso. ¦

Ainsi donc il n'est pas étonnant que ceux qui reçoivent cette parole aient la vie; le Fils de Dieu, leur donnant ainsi sa parole, les vivifie. Car, dit Notre-Seigneur, comme le Père a la vie en lui-même par essence, de même il a donné à son Fils selon la chair d'avoir la vie en lui par le Verbe auquel il est uni, et qui possède en lui la vie substantielle et essentielle de son Père. Ce mot dedit ne se rapporte pas au Verbe selon la Divinité, car le mot don indique quelque chose de gratuit, une bienveillance, une élection, ce qui ne convient pas au Verbe qui partage par essence tout l'être de son Père. Mais il s'agit ici de son Fils selon l'homme, qui est son Fils par assomption et non par essence, et c'est de lui que Notre-Seigneur dit que son Père lui a donné d'avoir la vie en lui comme le Père l'a en lui-même; car ayant le Verbe il a toute la nature du Père. Et il lui a donné d'avoir en soi par l'élection et la prédestination éternelle, par laquelle il l'a choisi préférablement à toutes les autres humanités, pour être uni et pour participer hypostatiquement à son Fils unique, et à tout ce qu'il possède en Lui. Ainsi lui ayant donné le Verbe il lui a donné sa vie. Et ayant ainsi la vie divine en soi il la communique à volonté à tous ceux qui la reçoivent et se soumettent à son influence.

× V,27

Et potestatem dedit ei ¦ Et il lui a donné le pouvoir de

judicium facere, quia Filius ¦ faire justice, parce qu'il est

hominis est. ¦ Fils de l'homme.

Ainsi le Père donne à son Verbe incarné d'avoir la vie en soi par essence comme le Père lui-même, et cela quant à l'humanité sainte: voilà pour ceux à qui il donne la vie parce qu'ils l'écoutent. De plus pour ceux qui ne l'écoutent pas aussi bien que pour ceux qui l'écoutent, il lui a donné pouvoir de faire justice. Ici il dit plus que juger. Il juge seulement les mauvais qui ne reçoivent pas en eux sa divine lumière et ce jugement consiste à réprouver le péché qui est en eux: ce jugement s'exerce dans le monde même jusqu'à un certain point. Mais notre Sauveur a reçu le pouvoir même de faire justice, c'est-à-dire de donner les récompenses aux bons et d'appliquer les punitions aux méchants.

Cette justice distributive des récompenses et des peines est principalement pour l'éternité, et produit, bien plus grandement et plus efficacement que sa justice ordinaire, la gloire de Notre-Seigneur devant toutes les créatures, et fait un effet incomparablement plus puissant sur elles pour l'adorer; dans l'enfer elle produit un effet de terreur et de tremblement devant Lui, à cause de l'effet de la punition dans laquelle il sent tout le poids de sa puissance; et dans le ciel, un effet d'admiration, d'actions de grâces, de gloire et d'amour, à cause de sa magnificence et de sa splendeur. Il récompense chacun selon son mérite et toujours en lui appliquant le sien propre. Toute cette justice sera faite par le Verbe incarné où le Fils de l'homme paraîtra dans tout l'éclat de cette puissance dont le Père l'a revêtu, et sera glorifié ainsi aux yeux de toute créature, de l'enfer aussi bien que du ciel, de ses ennemis aussi bien que de ses enfants et frères bien-aimés.

La raison pour laquelle le Père lui a donné encore le pouvoir de faire justice est remarquable: c'est parce qu'il est Fils de l'homme. Saint Paul aux Philippiens ch. 2 [v.6-10] nous explique cela. Il dit en parlant du fils de Dieu: Quoiqu'il fût sous la forme du Père vivant de toute éternité dans le sein de son Père et jouissant de la même grandeur, de la même puissance et de la même gloire, il s'est anéanti pour rétablir cette gloire de son Père parmi les hommes; et pour sauver les hommes il s'anéantit jusqu'à prendre la forme des serviteurs, se faisant homme comme nous étions tous (excepté le péché), et il a obéi jusqu'à la mort de la croix. C'est pourquoi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tous les noms, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre et dans l'enfer. Ainsi, parce qu'il est Fils de l'homme, Dieu lui a donné d'avoir vie en lui et de la communiquer, afin que tout genou fléchisse devant lui en terre; il lui a donné pouvoir de juger et de récompenser et de punir, afin que le ciel et l'enfer même soient à ses pieds en l'adorant et en lui rendant les devoirs. Et il était juste qu'il fût exalté parmi les élus puisqu'il s'est anéanti pour les sauver; il est juste qu'il les récompense puisque c'est lui qui est leur mérite, étant Fils de l'homme pour leur mériter. Il est juste qu'il ait puissance de punir ceux qui n'ont pas voulu le recevoir, lui qui s'est anéanti pour eux et pour leur communiquer la vie qu'ils ont refusée, et qui, au lieu de recevoir ses bienfaits et de l'aimer, l'ont haï et méprisé. Ainsi il a eu tous ces pouvoirs, précisément parce qu'il est Fils de l'homme, parce qu'il s'est anéanti.

On peut encore donner une autre explication: selon la nature des choses la justice et son exécution devraient appartenir au Père. C'est lui qui est créateur de toutes choses et par conséquent toutes choses lui appartiennent; de plus les offenses et les péchés sont des lésions de sa majesté et de sa gloire, et des résistances à sa volonté et à sa puissance, tous attributs du Père. Mais le Fils de Dieu s'étant fait homme pour nous racheter nous lui appartenons (car il nous a achetés assez cher et nous a payés beaucoup plus que nous ne valons) pour le prix de son sang. Aussi Notre-Seigneur dit ailleurs que son Père lui a donné toute chose [Jo. 13,3]. Ainsi nous appartenons au Fils, et nous lui appartenons parce qu'il est Fils de l'homme, puisque c'est en cette qualité qu'il nous a rachetés. Or appartenant au Fils il est juste que nous soyons jugés par le Fils. C'est pourquoi Notre-Seigneur dit que le Père a donné au Fils pouvoir de faire justice, et cela parce qu'il est Fils de l'homme.

× V,28

Et nolite mirari quia venit ¦ Ne vous étonnez pas, parce que

hora in quo omnes, qui in ¦ l'heure vient où tous ceux qui sont

monumentis sunt, audient ¦ dans les tombeaux entendront la voix

vocem Filii Dei. ¦ du Fils de Dieu.

× V,29

Et procedent qui bona ¦ Et en sortiront, ceux qui auront fait

fecerunt in resurrectionem ¦ le bien, pour ressusciter à la vie;

vitae et qui mala egerunt, ¦ mais ceux qui auront fait le mal,

in resurrectionem judicii. ¦ pour ressusciter à leur condamnation.

Notre-Seigneur ajoute pour expliquer davantage ce jugement, dont il sera donné le pouvoir au Fils, et il dit: Ne vous étonnez pas de ce que je dis, que le Fils fera cette justice, car il viendra une heure, cette heure sera la dernière de ce monde. - A cette heure tous ceux qui seront dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu pour la résurrection. Tous entendront cette voix et tous ressusciteront. Ils ne l'entendront pas comme les morts spirituels de la terre dont il est parlé plus haut: ceux-ci l'entendent, s'ils le veulent; et s'ils ne le veulent pas, ils ne l'entendent pas. Mais ceux-là l'entendront tous; mais ils l'entendront diversement. Pour ceux qui l'ont voulu entendre et qui l'ont entendue sur la terre, cette voix sera une voix d'amour et de miséricorde qui les fera tressaillir de joie et d'allégresse, et qui les appellera à une vie et à un bonheur éternels. Pour ceux qui n'ont pas voulu l'entendre sur la terre et qui l'ont méprisée et sont restés par là-même dans leur iniquité, elle sera une voix de justice, de rigueur, de condamnation et de terreur effroyable. Ils voudront bien ne pas l'entendre et rester dans l'anéantissement mais ils seront obligés, malgré eux, de l'entendre. Cette voix terrible retentira jusqu'au fond de leurs entrailles et jettera l'épouvante et le désespoir dans toute l'étendue et dans le plus intime de leur être. Elle sera pour eux une sentence de condamnation, une expression de malédiction et une exécution rigoureuse de la divine justice.

De manière que cette voix si différente pour les uns et pour les autres, produira aussi un effet bien différent: elle produira dans les uns une résurrection de vie et de gloire, et dans les autres une résurrection de mort, de damnation et de corruption incorruptible et impérissable. Omnes quidem resurgemus, dit saint Paul, sed non omnes immutabimur [nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés : cf. 1 Cor. 15,51 (Vulgate)].

× V,30

Non possum ego a meipso ¦ Je ne puis rien faire de moi-même.

facere quidquam; sicut audio, ¦ Selon que j'entends, je juge; et mon

judico; et judicium meum ¦ jugement est juste, parce que je ne

justum est, quia non quaero ¦ cherche point ma volonté, mais la

voluntatem meam, sed ¦ volonté de celui qui m'a envoyé.

voluntatem ejus qui misit me. ¦

C'est toujours le Verbe incarné qui parle et qui parle comme Fils de l'homme. Après avoir montré cette puissance qui sera communiquée au Fils de l'homme de juger toutes les créatures et d'appliquer en souverain les récompenses et les punitions, il montre les qualités et les perfections de ce jugement. Quoique ce soit le Fils de l'homme qui jugera, ce jugement sera cependant un jugement divin. C'est pourquoi il dit: Moi, Fils de l'homme établi juge de l'univers, je ne puis rien de moi-même quoique toute puissance de juger m'ait été donnée; car cette puissance de juger ne m'a été donnée qu'en qualité de mon union avec le Verbe. Et en effet ce jugement a été donné au Fils, parce qu'il s'est fait homme; c'est la raison pour laquelle le Père a tant exalté la sainte Humanité; par conséquent la puissance de juger (ainsi que la puissance de donner la vie) ne lui est donnée qu'en Union avec le Verbe, et par conséquent elle ne peut rien par elle-même; mais en tout ce jugement, le Fils de l'homme ne juge que d'après ce qu'il entend du Fils de Dieu, c'est-à-dire d'après les communications divines qui lui sont données par le Verbe. L'humanité sainte juge d'après la lumière et la puissance du Verbe qu'elle possède substantiellement. De là son jugement est un jugement divin, et non un jugement humain. - D'après cela son jugement est nécessairement juste parce qu'il sera en toute conformité et accord parfait avec la justice essentielle du Père. Car il ne juge que d'après ce qu'il entend, c'est-à-dire ce qu'il reçoit, du Verbe; or le Verbe ne lui donne pour ce jugement que ce qu'il possède par essence c'est-à-dire la justice essentielle de son Père, et par conséquent les seules règles que Notre-Seigneur emploie dans ce terrible jugement sont celles de la justice de son Père.

On peut voir par là la bonté admirable de notre très doux Sauveur. Il vient de nous apprendre la condamnation et les punitions qu'il fera à son jour de jugement et il semble s'excuser de cette rigueur auprès de ses enfants bien-aimés en leur montrant que ce jugement n'est pas le sien, mais celui de Dieu même (28).

Pour justifier la sainteté et la justice divine de son jugement devant les hommes contre la difficulté qu'ils pourraient avoir là-dessus il ajoute une autre raison. Il vient de dire dans ce discours que tous ceux qui l'écoutent et qui croient à sa parole (qui est celle de son Père, comme il a été expliqué), ne seront pas jugés ni condamnés, et que le jugement ne sera que pour ceux qui ne l'écoutent pas et que ceux-ci seront condamnés; car, quand Notre-Seigneur dit juger, il veut dire condamner. D'autre part tout jugement lui est donné à lui seul. Alors on pourrait dire : Le Fils de l'homme juge et condamne ceux qui ne lui ont pas obéi et qui ne l'ont pas écouté; or, ce jugement est partial et pas juste. C'est ce soupçon blasphématoire que Notre-Seigneur prévient en disant: Je juge comme j'entends d'en haut, appliquant les règles de la justice divine de mon Père à tous ceux qui sont dans le péché et qui ne sont pas venus à moi pour m'écouter et croire en moi; et mon jugement est cependant juste. Car comme je ne suis pas mon intelligence humaine pour le discernement du bien et du mal, mais que j'écoute seulement la justice de mon Père que je possède dans ma personne divine, de même, en condamnant seulement ceux qui ne viennent pas à moi et qui ne croient pas en moi, je ne suis pas ma volonté humaine, mais la volonté de celui qui m'a envoyé. Or, si dans mon jugement je suis uniquement la volonté de celui qui m'a envoyé prononcer ce jugement, donc de ce côté là mon jugement est juste, puisque celui qui m'a envoyé faire ce jugement est le Père lui-même.

Et il est certain que le Père veut que rien ne soit sauvé que ce qui vient à son Fils incarné, qu'il n'y ait aucun nom donné aux hommes pour être sauvés que le saint nom de Jésus, qui est le nom adorable qui exprime le salut renfermé dans le Verbe incarné.

× V,31

Si ego testimonium perhibeo ¦ Si je rends témoignage de moi-même,

de meipso, testimonium meum ¦ mon témoignage n'est pas vrai.

non est verum. ¦

Notre-Seigneur continue de leur parler de ses grandeurs et leur veut inculquer la foi; il veut leur montrer que ce qu'il dit est vrai et qu'ils devaient le croire. Il dit donc: Vous entendez le Fils de l'homme vous dire toutes ces grandes choses de lui-même; car vous ne voyez pas plus loin, et n'entendant que le Fils de l'homme vous n'admettez pas ce qu'il dit de lui-même. Si en effet c'était le Fils de l'homme qui parlait ainsi de lui, son témoignage n'est pas un vrai témoignage, et vous n'êtes pas obligés de le croire: Testimonium meum non est verum, non pas que la chose témoignée fût fausse, mais le témoignage ne serait pas légitime et authentique pour qu'on soit obligé de le croire.

× V,32

Alius est qui testimonium ¦ C'est un autre qui rend témoignage de

perhibet de me; et scio quia ¦ moi, et je sais que le témoignage

verum est testimonium quod ¦ qu'il rend de moi est véritable.

perhibet de me. ¦

C'est un autre qui rend témoignage de moi. Ce n'est pas seulement ma parole humaine que vous entendez qui rend témoignage; c'est le Fils de Dieu lui-même qui dit ces paroles et qui rend ce témoignage, et je sais que son témoignage est un témoignage véritable, et tous sont obligés de le croire parce que c'est la vérité éternelle du Père. Moi je connais la vérité de son témoignage parce que je le vois et le possède personnellement en moi. Ce témoignage m'est substantiel et intime.

× V,33

Vos misistis ad Joannem; et ¦ Vous, vous avez envoyé vers Jean, et

testimonium perhibuit ¦ il a rendu témoignage à la vérité.

veritati. ¦

Pour bien comprendre tous les versets qui suivent, il faut savoir que trois sortes de témoignages sont rendus à Notre-Seigneur. Le premier est celui de saint Jean-Baptiste qui est venu préparer les peuples pour l'arrivée du Fils de Dieu sur la terre, et qui rendait témoignage à la vérité vivant et résidant en Notre-Seigneur. C'est lui qui, par ce témoignage, devait amener tout le monde à Notre-Seigneur, en les disposant à la foi qu'ils ne devaient recevoir que de Notre-Seigneur lui-même: Ut omnes crederent per illum (Joannem) [afin que tous crussent par lui (Jean) : cf. Jo. 1,7]; non que Jean donnerait la foi, mais il y amenait les âmes. Ce témoignage était suffisant par lui-même pour les âmes très bien disposées et simples qui venaient au Messie et recevaient de Lui toutes ses paroles divines et ses grâces avec une grande docilité et une grande foi.

Le deuxième témoignage était celui que le Fils de Dieu se rendait lui-même. Le Fils de Dieu, une fois arrivé, il a fallu que saint Jean disparût, parce qu'on n'avait plus besoin de lui pour préparer à la venue du Fils de Dieu, et il n'était plus convenable que Jean rendît son témoignage. La lumière éternelle du Père, paraissant sur la terre, devait se rendre témoignage à elle-même et ne pouvait plus recevoir le témoignage d'un homme, mais devait jeter un si grand éclat, que tous la vissent et que ceux qui étaient bien disposés n'eussent aucune difficulté de venir à elle. Aussi Notre-Seigneur se rend-il témoignage à lui-même. Ce témoignage, il le rendait en deux façons. Pour les âmes qui venaient à lui, et étaient prêtes à le recevoir et disposées avec docilité à l'écouter, il se rendait témoignage dans le fond de ces âmes, par la grande lumière qu'il y jetait, par ses divines paroles et ses grâces intérieures; et par ces paroles et ces grâces, il leur faisait connaître la vérité elle-même. C'est le plus parfait témoignage qui puisse être rendu à la vérité, de la faire voir en elle-même. Un autre témoignage qu'il se rendait devant les âmes moins bien disposées, c'était l'éclat des ses innombrables et grands miracles, qui les frappaient et les disposaient à l'écouter et à croire, témoignage bien plus grand que celui de saint Jean.

Le troisième témoignage [était] pour les âmes les moins bien disposées, pour les docteurs d'Israël, qui, destitués de cette simplicité et docilité d'esprit qui est nécessaire pour la foi, et pleins d'eux-mêmes, ne voulaient pas croire comme la foule par la parole de saint Jean et par les miracles mêmes du Fils de Dieu. Pour ceux-là il y avait le témoignage que le Père a rendu dans la loi et les Prophètes.

Voilà donc ce que Notre-Seigneur leur dit d'abord dans les deux versets précédents: Vous ne voulez pas croire au Fils de l'homme, parce qu'il se rend témoignage à lui-même; ce n'est pas le Fils de l'homme dont je veux que vous croyiez le témoignage, mais il y a un autre qui le rend et je sais que ce témoignage est vrai, etc. (comme il a été dit). Ensuite, il ajoute: Il y a encore un autre témoignage qui m'a été rendu avant que je n'eusse paru; ce n'est pas moi qui ai envoyé à Jean pour qu'il me rende témoignage, mais vous-mêmes vous avez envoyé vers lui et vous savez qu'il a rendu témoignage à la vérité qui est substantiellement en moi. Croyez au moins à la parole de Jean qui vous assure que je suis le Fils de Dieu, et par là vous viendrez à moi, vous m'écouterez, vous croirez, et ensuite vous verrez par vous-même la vérité.

× V,34

Ego autem non ab homine ¦ Pour moi, ce n'est pas d'un homme que

testimonium accipio; sed haec ¦ je reçois témoignage; mais je dis

dico ut vos salvi sitis. ¦ ceci afin que vous soyez sauvés.

Une fois venu en terre, ce n'est pas moi qui ai envoyé les hommes à Jean pour demander son témoignage. Ce n'est pas Jean qui autorise mon ministère. Ce n'est pas à la lumière d'un homme à faire briller la mienne et à la faire connaître; mais je vous dis cela par compassion pour vous qui êtes si éloignés de la lumière, je vous rappelle ce qui dans le temps a été donné pour vous éclairer et amener à moi, afin que ce témoignage de Jean vous conduise à croire que je suis le Messie, Fils de Dieu, et afin que vous veniez à moi par ce témoignage; et alors je vous éclairerai moi-même d'une bien autre façon et avec un bien autre éclat que Jean. Et ce n'est qu'alors que vous pouvez être sauvés de la perte infaillible et du jugement terrible auquel vous serez sujets.

× V,35

Ille era lucerna ardens, et ¦ Il était une lampe ardente et

lucens; vos autem voluistis ad ¦ luisante, et un moment vous avez

horam exsultare in luce ejus. ¦ voulu vous réjouir à sa lumière.

Jean était un luminaire, une lampe ardente, par la charité qu'il inspirait et des désirs qu'il mettait dans tous les coeurs pour le Messie, Fils de Dieu; et [une lampe] luisante, parce qu'il apprenait comment il fallait se préparer pour la venue du Messie et parce qu'il l'a fait connaître quand il est arrivé.

Il était une lampe, mais non la lumière même: Non erat ille lux, il devait seulement rendre témoignage au Fils de Dieu avant qu'il commençât à paraître dans son éclat. Vous qui êtes des hommes pleins de ténèbres, dans vos ténèbres vous vous êtes réjouis dans la lumière de cette lampe pendant le temps qu'elle devait vous éclairer lorsqu'il faisait nuit; mais maintenant que le soleil de justice est en son plein, la lumière doit disparaître. Le soleil n'a pas besoin qu'on prenne une lanterne pour le chercher. Ainsi Notre-Seigneur leur dit: Saint Jean dont je vous cite le témoignage était un grand luminaire pour vous dans son temps, il était fait pour vous éclairer dans le temps de la nuit, afin de vous mettre en voie pour arriver au Fils de Dieu qui devait le suivre bientôt. Vous étiez contents de jouir de sa lumière pendant le temps qu'il devait éclairer, pendant la nuit où je n'étais pas encore; mais son heure n'est plus maintenant (Voluistis ad horam exsultare in luce ejus); il faut maintenant profiter des lumières qu'il vous a données et ne pas vous contenter du passé, mais venir à moi. C'est pour cela que cette lumière vous a été donnée alors; car pour moi qui ai la plénitude de la Divinité en moi, je n'ai pas besoin de ce témoignage; écoutez-moi donc, et le nouveau témoignage que je vais donner de ma Mission et de ma divinité. Car si vous avez écouté le témoignage de Jean, à plus forte raison devriez-vous maintenant écouter le mien; et je sais ne plus avoir besoin et n'ai réellement plus besoin de celui de Jean.

× V,36

Ego autem habeo testimonium ¦ Mais moi, j'ai un témoignage plus

majus Joanne, opera enim quae ¦ grand que Jean; car les oeuvres que

dedit mihi Pater, ut perficiam ¦ mon Père m'a données à exécuter, ces

ea; ipse opera, quae ego ¦ oeuvres que je fais moi-même, rendent

facio, testimonium perhibent ¦ témoignage de moi que mon Père m'a

de me, quia Pater misit me. ¦ envoyé.

J'ai en mes oeuvres mêmes un témoignage bien plus grand que Jean. Il ne dit pas seulement un témoignage plus grand que celui de Jean, mais plus grand que Jean même, un témoignage qui mérite plus de vénération, plus de croyance que Jean, et dont la voix est plus puissante que celle de Jean. Ce témoignage, ce sont les oeuvres que mon Père m'a données pour que je les exécute; ce n'est pas lui qui les fait comme celles qu'ont faites vos prophètes; ils le priaient de faire et il faisait; mais il me les donne à moi pour que je les fasse moi-même par sa puissance qui réside substantiellement en moi. Ces oeuvres étant des oeuvres divines sont bien plus grandes et plus vénérables que Jean, et plus dignes d'être crues. Or ces oeuvres mêmes rendent témoignage que je suis envoyé par le Père; car si je n'étais pas envoyé et que je vinsse seulement par une puissance humaine, je ne pourrais pas les exécuter : et cependant vous me les voyez faire, ipsa opera quae ego facio. Les oeuvres sont les témoins, et leur voix par laquelle ils rendent témoignage est l'exécution.

× V,37

Et qui misit me Pater, ipse ¦ Et mon Père qui m'a envoyé a rendu

testimonium perhibuit de me; ¦ lui-même témoignage de moi; vous

neque vocem ejus unquam ¦ n'avez jamais entendu sa voix ni vu

audistis, neque speciem ejus ¦ sa figure.

vidistis. ¦

× V,38

Et verbum ejus non habetis in ¦ Et vous n'avez pas sa parole

vobis manens : quia quem misit ¦ demeurant en vous, parce que vous ne

ille, huic vos non creditis. ¦ croyez pas à celui qu'il a envoyé.

De plus j'ai le témoignage de mon Père même qui m'a rendu un témoignage continuel dans la loi, par toutes les promesses qu'il a faites de m'envoyer. Il est vrai que vous n'avez jamais entendu sa voix ni vu sa face, car il vous a toujours parlé par le ministère de ses anges; mais au moins deviez-vous recevoir sa parole de quelque manière qu'il vous l'ait fait parvenir, c'était toujours un témoignage qu'il vous a rendu de moi. Mais pas même cette parole n'est restée en vous; car, si cette parole était restée en vous, vous auriez dû croire en celui qui en était le sujet; elle vous promettait que le Père vous enverrait son Fils pour vous sauver, et maintenant vous ne voulez pas croire à celui qu'il vous a réellement envoyé selon ces promesses; par là vous prouvez bien que ses paroles ne sont pas restées en vos âmes. Et si même ces paroles sont restées en vous jusqu'au moment de ma venue, elle n'y sont plus maintenant, parce que mon Père vous envoie celui qu'il vous a promis et vous ne croyez pas en lui; par là même, vous annulez les promesses dans vos âmes. Les promesses restent toujours et l'accomplissement en sera parfait, mais dans votre âme les promesses sont nulles, et comme si elles n'avaient jamais été, parce que leur accomplissement est nul en vous.

Dans cette manière d'expliquer, les versets suivants ne font que la suite des mêmes paroles et doivent être pris dans le même sens et en seront comme le complément. Mais les versets 41 et 42 seraient difficiles à expliquer dans ce sens. On pourrait dire qu'outre le témoignage de son Père exprimé dans les Ecritures, Notre-Seigneur appelle à son témoignage Moïse lui-même et les autres prophètes, en disant que Moïse les accusera; et il les appelle, non pour recevoir quelque nouvel éclat de leur témoignage, mais à cause de la méchanceté des Juifs qui ne veulent pas même croire à son Père.

On peut expliquer encore ce discours de Notre-Seigneur du témoignage que son Père rendit après son baptême: Hic est Filius meus dilectus, in quem mihi bene complacui [celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur: cf. Mt. 3,17; 2 Pi. 1,17]. Et il dit aux Juifs qu'ils n'ont pas écouté cette voix de son Père, ne lui ont pas été dociles et n'ont pas suivi ce témoignage. Mon Père a rendu témoignage, neque vocem ejus audistis, vous ne l'avez pas écouté non plus; neque speciem ejus vidistis, et vous n'avez pas vu en son Fils unique auquel il a rendu ce témoignage, vous n'y avez pas vu l'image de son Père, car si vous aviez cru vous auriez vu en son Fils l'image de son Père. Et vous n'avez pas cette parole divine en vous, elle n'y a pas demeuré car vous n'avez pas cru à celui qu'il a envoyé. Si vous aviez la parole de mon Père en vous, vous auriez cru nécessairement à celui qu'il a envoyé.

Dans ce sens ce dernier passage est difficile à expliquer clairement. Et voici une autre difficulté: Notre-Seigneur leur dit: Vous n'avez jamais entendu sa voix. Ce mot numquam dit plus qu'une seule fois. Peut-être par là Notre-Seigneur veut-il leur montrer la dureté de leur coeur, qui a fait qu'ils étaient comme leurs ancêtres qui ont toujours été infidèles et indociles à la voix de son Père.

Dans ce sens les versets suivants renferment un autre témoignage. Notre-Seigneur leur dit: Puisque vous n'avez pas la parole du Père en vous, écoutez au moins les hommes que vous vénérez et qui ont rendu le même témoignage; moi-même je n'en ai pas besoin mais votre malice en a besoin. (29)

On peut expliquer cela encore d'une autre manière. Ce témoignage du Père est celui qu'il rendit dans l'ancien Testament, en y annonçant sans cesse la venue de son Fils depuis le commencement du monde, et surtout dans la loi et les prophètes. Et pour en comprendre le sens, il faut savoir [qu']il y avait deux manières de méditer et de connaître la loi. La première, celle des prophètes et des vrais docteurs, comme étaient Esdras et autres. Ils purifiaient leur coeur de tout amour-propre et de toute recherche humaine afin de le conformer entièrement aux choses qui sont renfermées dans cette loi qu'ils méditaient; en la méditant ils n'y voyaient que leur Dieu qu'ils louaient et bénissaient sans cesse des choses saintes et salutaires pour leurs âmes qu'il leur avait commandées, et surtout des promesses pleines de miséricorde et d'amour qu'il leur y avait faites. Ils entraient dans des désirs immenses et d'ardents soupirs envers l'objet de cette loi, et demandaient sans cesse à leur Dieu de les instruire lui-même et de leur ouvrir l'intelligence, de purifier leur coeur et de leur faire connaître ce que renferme la parole sainte qu'il leur dit. On n'a qu'à lire le Psaume 118 pour voir que c'est de cette manière que les saints de l'ancien Testament étudiaient la loi. De cette manière c'est le Père lui-même qui se manifestait à eux dans cette loi et dans les différentes figures qu'elle renferme, c'est lui-même qui plus ou moins les instruisait par [les] illustrations intérieures qu'il leur communiquait dans un degré plus ou moins parfait, comme dit David: Super omnes docentes me prudentem me fecisti [plus que tous mes maîtres, tu m'as rendu sage : cf. Ps. 118, 98-99].

Les explications traditionnelles de ces illustrations plus ou moins grandes accordées aux plus grands personnages se conservaient parmi les vrais docteurs, qui, aidés par ces traditions, avaient beaucoup de facilité à étudier saintement la loi de la même manière et en comprendre le sens caché; et de plus, les lumières spéciales qu'ils recevaient eux-mêmes faisaient d'eux des docteurs véritables de la loi, qui entendaient la voix de Dieu sur l'explication de la loi et des choses cachées qu'elle renfermait, et qui y voyaient Dieu seul partout caché sous ces saintes figures.

Ainsi, tous ces saints Docteurs, qui entendaient la voix de Dieu, soit dans l'explication traditionnelle de leur loi, soit dans les illustrations particulières, recevaient sur le Messie, Fils de Dieu, qui leur y était annoncé partout d'une manière si cachée, ainsi que sur toute sa vie, ses mystères, ses grandeurs et les bassesses auxquelles il se soumettrait, sur tout cela ils recevaient le témoignage non des hommes qui ont écrit ces choses, mais de Dieu le Père lui-même, qui leur en faisait sentir intimement et comprendre le sens parfait que les hommes ne leur faisaient pas connaître. Cette explication intérieure était absolument nécessaire pour avoir une parfaite intelligence de la loi et de ce qu'elle renfermait.

La deuxième manière d'étudier la loi était celle des docteurs des derniers temps et des pharisiens. Manière purement humaine: au lieu d'avoir recours à Dieu pour être instruits, ils s'abandonnaient aux recherches et aux subtilités de leurs esprits propres et se transmettaient les uns aux autres leurs explications, leurs subtilités et leurs recherches. Ce qui forma peu à peu leurs traditions humaines, traditions fausses qui les faisaient tomber dans toutes ces erreurs ridicules; ce n'était plus non plus Dieu qu'ils voyaient dans leur loi, ce n'était plus ces louanges, ces actions de grâces, ces désirs qu'ils portaient vers lui, mais ils voyaient seulement la grandeur de leur législateur et de leurs prophètes; quoiqu'ils sussent que cette grandeur venait de Dieu, ils fixaient cependant leurs esprits sur les hommes qui étaient ainsi élevés et s'en glorifiaient. Ils ne cherchaient pas avec ces grands et saints désirs les mystères de Dieu, dans ces choses transmises dans les écrits de Moïse et des prophètes, mais ils scrutaient ces Écritures, ils pesaient et examinaient chaque mot, chaque lettre, afin d'en extraire quelque subtilité, de manière que ce n'était pas Dieu qu'ils voyaient dans les Écritures mais ils n'y voyaient que ces Écritures mêmes, Écritures mortes qui devenaient pour eux un témoignage humain, parce qu'ils n'y voyaient et n'y entendaient plus véritablement Dieu, mais tout y était homme et humain. Malgré tout cela et quoique ces Écritures devinssent toutes humaines pour eux, ils y trouvaient tout de même une foule de témoignages évidemment rendus à Notre-Seigneur. Il y en a d'autres que leurs traditions humaines leur ont conservés comme des débris des anciennes traditions divines devenues humaines pour eux.

Et voilà donc que notre divin Maître leur dit: Race infidèle et perverse qui ne voulez pas croire au témoignage de Jean, qui ne voulez pas croire au témoignage du Fils de Dieu et de ses oeuvres, à qui croirez-vous donc? Croirez-vous au Père lui-même qui m'a envoyé et qui avant de m'envoyer a déjà rendu témoignage de moi? Ne devriez-vous pas croire à celui-là même qui m'a envoyé? Et qui misit me Pater, ipse, etc. Mais si le témoignage même de mon Père a été nul, il n'est pas étonnant que vous ne receviez pas le mien. Il a rendu témoignage et vous n'avez jamais entendu sa voix dans toutes les Écritures où il vous parle sans cesse pour rendre témoignage de moi; et vous n'y avez pas aperçu son image, vous étiez sourds et aveugles et vous n'y voyiez que par votre esprit humain, vous n'y vouliez voir que des hommes et n'y écoutiez que vos traditions humaines ou votre propre esprit.

Et sa parole, vous ne l'avez pas en vous. Cette voix divine de mon Père qui vous faisait ces magnifiques promesses, vous n'avez jamais voulu l'entendre parler et promettre dans votre âme les choses qu'elle vous annonce, mais, tandis que cette promesse s'accomplit et que cette parole devait aussi se faire sentir en vous, opérant le salut dans votre âme, vous en êtes vides et ne voulez pas la recevoir en vous. Et pourquoi ne l'avez-vous pas demeurant en vous, cette parole divine de mon Père? Parce que vous ne croyez pas à celui qu'il a envoyé pour l'accomplissement de ce qu'il vous a promis.

Pour comprendre bien cela, il faut savoir que la promesse de Dieu n'est pas comme celle de hommes. Celle des hommes est vide et ne produit rien par elle-même; elle ne s'accomplit que par un acte différent et entièrement séparé du premier, voilà pourquoi cette promesse n'est pas efficace ni vraie en elle[-même], et porte son objet en elle-même. Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur dit: Autrefois, avant la venue de l'objet de cette promesse, vous n'avez pas voulu entendre la voix qui promettait; maintenant que je suis venu, que le Père a envoyé celui qu'il promettait pour faire résider dans vos âmes ses grâces, ses lumières, et son salut qui est l'effet de ces promesses divines et qui par là-même est cette même parole qui a été dite par le Père sous forme de promesse, et qui maintenant dans la plénitude des temps est devenue réalité, cette parole n'est pas demeurée en vous et n'y demeure pas. Et cela parce que vous n'avez pas cru à celui que le Père a envoyé, c'est-à-dire l'objet de cette promesse, qui devait seul opérer ces merveilles en vos âmes et hors de qui vous ne trouverez plus rien de ce qui vous a été promis. (Ce qui est manifesté par ces mots: Quia quem misit ille, huic, etc.).

× V,39

Scrutamini Scripturas, quia ¦ Scrutez les Ecritures, puisque vous

vos putatis in ipsis vitam ¦ pensez avoir en elles la vie

aeternam habere; et illae ¦ éternelle, car ce sont elles qui

sunt quae testimonium ¦ rendent témoignage de moi.

perhibent de me. ¦

× V,40

Et non vultis venire ad me, ¦ Mais vous ne voulez pas venir à moi

ut vitam habeatis. ¦ pour avoir la vie.

Mais vous ne voulez pas entendre le témoignage de mon Père qui vous dit des choses si admirables de son Fils qu'il vous envoie en ce moment. Vous ne voyez rien que vos vues et vos subtilités humaines et vos traditions fausses transmises par les hommes. Scrutez donc les Ecritures; n'écoutez pas mon Père, n'ayez pas recours à lui, mais scrutez la lettre seulement des Ecritures et entendez parler les hommes qui les ont écrites et vous y trouverez encore votre condamnation de ce que vous ne voulez absolument pas venir à moi. Vous croyez que vous trouverez votre salut dans ces Ecritures, vous n'occupez votre pensée que des pratiques de cette écriture et de cette loi, et vous croyez qu'elles peuvent vous sauver. Eh bien, scrutez et examinez cette écriture et vous y verrez qu'elles ne renferment pas la vie mais qu'elles vous renvoient à moi seul pour y trouver la vie. Ce témoignage que les Écritures me rendent est si clair et si éclatant que tous peuvent l'y voir; et cependant vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie. Si même vous veniez de cette manière je vous rendrais tout ce que mon Père vous a promis, et les effets salutaires de ses promesses s'accompliraient en vous sans que vous les ayez voulu écouter de sa bouche; venez seulement; et cependant vous ne venez pas pour avoir cette vie que moi seul je puis donner, et cela, parce que vous ne voulez pas; c'est la seule raison, votre malice vous en empêche.

× V,41

Claritatem ab hominibus non ¦ Je ne reçois pas de gloire des

accipio. ¦ hommes.

× V,42

Sed cognovi vos, quia ¦ Mais je savais que vous n'avez pas la

dilectionem Dei non habetis ¦ dilection de Dieu en vous.

in vobis. ¦

Je vous ai cité ainsi des preuves humaines, les sentiments de Moïse et des prophètes sur ma personne. Ce n'est pas pour me glorifier de l'opinion qu'ils avaient de moi; quelque grand que soit un homme, son témoignage en ma faveur et sa soumission à mon nom n'ajoutent rien à ma gloire. J'ai ma gloire en moi-même, dont l'éclat au contraire doit rejaillir sur ceux qui viennent à moi et les glorifier. Si donc, je vous parle de ces sentiments des anciens, hommes comme vous, comme d'un témoignage en ma faveur, c'est par compassion pour vous, malgré votre malice. Je savais que vous n'aviez pas la dilection de Dieu en vous et que les témoignages divins ne seront pas capables de se faire entendre dans votre âme. C'est pourquoi je vous cite des hommes comme vous et que vous regardez comme plus grands que vous et dans les paroles desquels vous cherchez votre salut, peut-être vos âmes se rendront-elles enfin pour venir à moi, et alors je les vivifierai et les éclairerai davantage.

On peut encore expliquer cela d'une autre façon: Si je vous cite ainsi les preuves de ma mission afin de vous faire croire, ce n'est pas parce qu'il me viendrait une gloire de votre foi. Je ne reçois pas de gloire des hommes; au contraire, je leur communique la grande gloire que je possède en moi. Mais je savais d'avance que vous n'avez pas la dilection de Dieu en vous et que cela ne ferait rien sur vos esprits et sur vos coeurs; je vous les ai cités pour vous confondre et pour vous convaincre de votre malice.

× V,43

Ego veni in nomine Patris ¦ Moi je suis venu au nom de mon Père,

mei, et non accipitis me: si ¦ et vous ne me recevez point; si un

alius venerit in nomine suo, ¦ autre vient en son propre nom, vous

illum accipietis. ¦ le recevrez.

Notre-Seigneur leur dit ici un effet de ce défaut de dilection de Dieu et de leurs vues et considérations humaines dans les choses de la loi divine. Il leur dit: Moi je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas, parce que vos coeurs sont fermés à tout ce qui regarde mon Père et à tout ce qui en vient, étant vides d'amour pour lui. Si un autre vient en son [propre] nom, qui n'aurait pas les titres que j'ai, qui sera un homme comme un autre, et qui ne sera nullement envoyé par mon Père, vous le recevrez, parce qu'il sera conforme à vos vues basses et humaines. Et en effet cela arriva plusieurs fois, particulièrement pour Barchochébas.

× V,44

Quomodo vos potestis credere, ¦ Comment pouvez-vous croire, vous qui

qui gloriam ab invicem ¦ recevez la gloire l'un de l'autre, et

accipitis; et gloriam quae a ¦ ne cherchez point la gloire qui vient

solo Deo est, non quaeritis? ¦ de Dieu seul?

La conversion de tout homme qui n'est pas encore à Notre-Seigneur se fait toujours de cette manière. L'âme commence à chercher et à désirer gloriam quae ex solo Deo est. Elle est amenée là d'une façon ou d'une autre, cela varie, mais il faut toujours commencer par là. Le premier acte de l'âme vers Dieu doit être un acte de désir qui est une certaine espérance de trouver cette gloire en Dieu. Cette espérance et cette recherche sont obscures, vagues et pleines de ténèbres, et plus ou moins mélangées de mauvaises intentions. Ces ténèbres viennent de ce qu'elle n'a pas encore la foi. Nous sommes créés pour jouir de cette divine gloire, notre âme en a un besoin très grand, Dieu commence par faire sentir ce besoin par sa grâce et alors l'âme la cherche comme un aveugle qui cherche son chemin, parce qu'elle n'a pas encore la foi qui éclaire; elle n'est pas encore en Notre-Seigneur qui est la voie.

L'âme étant donc dans cette recherche de la gloire qui est de Dieu seul, Dieu la lui montre par quelque moyen que ce soit, si ce désir et cette recherche sont sincères et vrais. Il l'amène à Notre-Seigneur et lui donne la foi. Ayant la foi elle possède en partie (car en ce monde nous ne possédons que ex parte) et cela augmente et fortifie cette espérance, qui, d'aveugle et nulle qu'elle était, devient une vertu qui unit l'âme à Dieu, l'y fait tendre avec plus d'ardeur, ayant par la foi déjà une certaine possession de son objet, le voyant plus beau, plus parfait et plus magnifique, et en ayant une garantie pour le posséder en perfection plus tard. Tout cela est opéré par la grâce et la vertu de Notre-Seigneur qui le communique à l'âme croyant en lui. En outre il y opère la charité. L'âme possédant ainsi son Dieu par la foi savoure et jouit de ce divin trésor par la volonté et l'embrasse avec des ardeurs inexprimables. Une âme qui cherche ainsi la gloire qui vient de Dieu seul, saisit l'occasion qui lui est présentée pour y parvenir et alors la foi s'établit avec facilité, et la charité à sa suite. Du temps que Notre-Seigneur vivait sur la terre, les Juifs ainsi de bonne volonté n'avaient qu'à le voir pour que cela arrivât, et ils cherchaient à le voir. Mais une âme qui, au lieu de chercher et de désirer cette gloire surnaturelle que Dieu répand dès ce monde sur une âme qu'il remplit de sa foi, par laquelle il la rend brillante et éclatante dès ici-bas et dont il lui donnera la plénitude dans l'éternité; si au lieu de cette gloire on est bien aise de recevoir la gloire des créatures, ce penchant est très mauvais et celui qui l'a jusqu'à ce point qu'il ne s'occupe pas de la gloire qui vient de Dieu seul, qui ne fait rien pour Dieu que quand il lui en vient de la gloire des hommes, qui reçoit cette gloire fausse avec complaisance et qui en fait le principe de ses actions, même de ses bonnes actions, à celui-là il est impossible de venir à la foi, tant qu'il reste dans cet état. Le premier pas lui manque, c'est de chercher la gloire qui vient de Dieu. Ce qui lui rend plus difficile de sortir de cet état mauvais, c'est que, même lorsque les circonstances lui sont offertes pour obtenir la vraie gloire qui est de Dieu seul et la foi, si cette circonstance est favorable à sa vaine gloire qui lui vient des hommes, il fera cette action uniquement pour cela; si au contraire elle [y] est opposée, il y résistera et en deviendra plus mauvais.

Un homme comme celui-là ne pas recevoir la foi, qui tend toujours de toute sa force à anéantir cette gloire humaine pour établir cette gloire surnaturelle, et cet homme tend de toute sa force au parti contraire; de manière qu'au lieu de rapport et rapprochement, il y a pleine opposition et choc complet.

C'est ce qui arriva aux Juifs auxquels parlait Notre-Seigneur. Que l'on considère la différence entre les Juifs qui ne cherchaient pas la gloire qui vient de Dieu seul et dans laquelle il n'y a pas de mélange de gloire humaine, et ceux qui cherchaient sincèrement cette gloire de Dieu seul.

Le bon Nathanaël était dans un grand aveuglement par rapport à tout ce qui regardait Dieu. Il cherchait cependant cette gloire; c'était un bon Israélite dans lequel il n'y avait pas de fraude ni [de] malice. Son âme désirait, mais d'un désir aveugle, car il n'avait pas la foi. La bonté divine lui envoie Philippe; son désir augmente, mais il était toujours tout à fait aveugle et sans foi. Comme son désir était vrai et sincère, il se lève et va avec Philippe pour voir, quoiqu'il ne crût pas qu'à Nazareth il pût y avoir quelque chose de bon. Cela montre son désir sincère. Il arrive et Notre-Seigneur lui fait un miracle par le moyen duquel il lui donne la foi, et de suite il en fait sa profession, qui montre qu'avec la foi la charité y fut aussi: Tu es Filius Dei, voilà la foi; tu es rex Israel: voilà l'espérance forte et la charité.

Les pharisiens, au contraire, pleins de cette tendance et de ce penchant vers la gloire humaine, venaient à Notre-Seigneur, mais non pour chercher la gloire de Dieu seul; ils n'en voulaient pas même dans les choses qu'ils faisaient pour Dieu; ils les faisaient pour être estimés et glorifiés des hommes, ils ne venaient au contraire que pour résister à la foi que Dieu leur proposait et à la vraie gloire qui vient de lui; et cela seulement parce qu'ils cherchaient leur propre gloire les uns des autres - et la foi tendait à l'anéantir - , et parce qu'ils ne faisaient jamais aucune démarche pour chercher la gloire qui vient de Dieu et la foi ne donnait que celle-ci.

× V,45

Nolite putare quia ¦ Ne pensez pas que ce soit moi qui

accusaturus sim vos apud ¦ doive vous accuser devant le Père:

Patrem; est qui accusat vos ¦ celui qui vous accuse, c'est Moïse,

Moyses, in quo vos speratis. ¦ en qui vous espérez.

Ne croyez pas que, parce que je vous reprends ici de votre défaut de foi qui est si coupable en vous, je vous en accuserai aussi auprès de mon Père. Je vous le reproche ici pour vous sauver car le Fils de l'homme n'est pas venu pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. Je vous jugerai sur votre malice et sur vos oeuvres de ténèbres qui sont en vous, parce que ni ces oeuvres ni vous n'êtes dans sa lumière. Mais pour ce péché que vous ajoutez aux autres de ne pas vouloir venir à moi ni croire à mes paroles quoique la loi vous le dise clairement, cette loi que vous connaissez, que vous expliquez aux autres, ce sera cette loi même qui rendra témoignage contre vous. Vous qui espérez trouver votre salut auprès de Moïse parce que vous prétendez que c'est dans sa loi et dans les oeuvres qu'elle prescrit que se trouve la vie, c'est lui-même qui vous accusera devant mon Père en vous montrant ce qu'il vous avait dit si clairement de moi et que vous ne vouliez pas croire à ses paroles que vous connaissez bien. Par là Notre-Seigneur leur montre que leur défaut de foi est fautif contre l'ancienne loi, et par conséquent cette loi même est leur condamnation.

× V,46

Si enim crederetis Moysi, ¦ Car si vous croyiez à Moïse, vous

crederetis forsitan et mihi; ¦ croiriez peut-être à moi aussi, parce

de me enim ille scripsit. ¦ que c'est de moi qu'il a écrit.

× V,47

Si autem illius litteris non ¦ Mais si vous ne croyez point à ses

creditis, quomodo verbis meis ¦ écrits, comment croirez-vous à mes

credetis? ¦ paroles?

Les Juifs croyaient bien à la loi de Moïse, et même ils pensaient y trouver la vie. Ils observaient très rigoureusement tous les préceptes qu'elle contenait et y ajoutaient encore une foule d'autres pour les faire observer par le peuple. Tout cela était des pratiques pénibles mais que la vaine gloire rendait praticables. Cette vaine gloire était tout le mobile de leurs actions. Mais quand il se trouvait dans la loi de Moïse des choses contraires à leur vaine gloire, ce n'était plus la même fidélité. Ainsi tout ce qui regardait le Messie et qu'ils voyaient accompli en Notre-Seigneur leur était contraire, les abaissait et les obligeait à se soumettre à Notre-Seigneur et à sa doctrine et à renoncer entièrement à leur vaine gloire; cela les égalait et les mettait même au-dessous de quelques pauvres Galiléens qu'ils méprisaient. Eux qui étaient les premiers et les oracles parmi les Juifs ne pouvaient pas se mettre si bas. De là ils cherchaient à se faire toutes sortes d'illusions sur tout ce que Moïse dit du Messie, afin de n'en pas voir l'accomplissement dans Notre-Seigneur. C'est ainsi que, malgré la connaissance qu'ils eurent de ce que Moïse dit de Notre-Seigneur, ils n'y crurent pas par illusion. Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur dit: Si vous aviez cru à Moïse, peut-être cette foi aurait-elle surmonté votre malice, votre orgueil et votre mauvaise volonté, et vous seriez venus à moi et vous auriez cru. Notre-Seigneur dit: peut-être; non pas qu'il ne savait pas si cela aurait eu lieu, mais il leur dit: Ce n'est pas moi qui vous accuserai mais ce sera Moïse: car la faute que vous commettez par votre défaut de foi à mes paroles est plutôt un délit contre la parole de Moïse que contre moi. Car si vous aviez cru à Moïse vous auriez pu croire à moi aussi, quoique votre malice et votre orgueil soient bien grands. Je sais bien ceux qui auraient cru et ceux qui n'auraient pas cru, mais je ne serai pas votre accusateur sur une chose dans laquelle vous pourriez avoir une excuse, quoique dans le fond vous soyez toujours coupables envers moi aussi; mais Moïse sera chargé de vous accuser et vous n'aurez aucune excuse à alléguer sur le défaut de foi à ses paroles.

Il ajoute dans le dernier verset: Si vous n'avez pas cru aux lettres de Moïse, auxquelles vous tenez tant et où vous voulez trouver votre vie, si vous n'avez pas cru à ces lettres qui disent formellement ce que vous deviez y voir - ce n'est pas par secret et mystère ou figure bien cachés -; vous les avez bien comprises et si vous n'y croyez pas, comment pourriez-vous croire à mes paroles pour lesquelles vous avez de l'éloignement par votre orgueil et votre malice? Vous êtes beaucoup plus coupables envers Moïse qu'envers moi parce que vous le reconnaissez formellement comme votre législateur; c'est pourquoi Moïse vous accusera.

×

×

 

Caput VIm

[Chapitre sixième× ]×

×

× VI,1

Post haec abiit Jesus trans ¦ Après cela Jésus traversa la mer de

mare Galilaeae, quod est ¦ Galilée, c'est-à-dire de Tibériade.

Tiberiadis: ¦

Longtemps après ce qui s'était passé en Judée selon qu'il est rapporté dans le chapitre précédent, Jésus étant en Galilée, toujours faisant des miracles, il prit aux environs de Pâque le chemin de la Judée et traversa la mer de la Galilée. C'était le lac de Tibériade.

× VI,2

Et sequebatur eum multitudo ¦ Et une grande multitude le suivait,

magna, quia videbant signa ¦ parce qu'elle voyait les miracles

quae faciebat super his qui ¦ qu'il faisait sur les malades.

infirmabantur. ¦

Une grande foule de peuple suivait ses traces et se rendait auprès de lui, à cause du grand nombre de miracles qu'il faisait sans cesse sur les malades. Cette foule le suivait ainsi, partie par curiosité judaïque de voir faire des miracles, partie peut-être par bonne intention, touchée de ses miracles et voulant profiter même de ses paroles; tous avec une haute estime de sa personne, à cause de ce grand nombre de miracles qu'il opérait sans cesse.

× VI,3

Subiit ergo in montem Jesus; ¦ Jésus monta donc sur une montagne, et

et ibi sedebat cum discipulis ¦ là il était assis avec ses disciples.

suis. ¦

Cette foule ne le suivait pas toujours, seulement par circonstance; mais il avait, outre cette grande foule de peuple, un certain nombre de disciples plus ou moins assidus, qui le suivaient de plus près et qui avait la foi plus ou moins forte. Jésus sachant donc que le foule le suivait ainsi, alla sur une montagne avec ses disciples, afin d'avoir de la place pour prêcher à tout ce peuple. En même temps, ses vues se portaient plus loin, il prévoyait qu'il ferait un miracle éclatant pour tout ce peuple. La multitude qui le suivait de près, ne le perdait pas de vue, s'approchait et venait à Lui.

× VI,4

Erat autem proximum Pascha, ¦ Cependant approchait la Pâque, jour dies festus Judaeorum. ¦ de fête des Juifs.

L'évangéliste explique pourquoi cette grande foule était ainsi à la suite de Notre-Seigneur et le suivait à la montagne, dans un endroit désert, et ensuite de l'autre côté du lac. C'est que la fête de Pâque approchait, et tout ce monde venait à Jérusalem; et, sachant que Jésus y allait et était aux environs, ils le suivirent avec empressement comme à l'ordinaire. Il y avait toujours beaucoup de monde avec lui des endroits où il se trouvait et des environs; mais on ne le suivait pas précisément de la Galilée en Judée, excepté ses disciples.

× VI,5

Cum sublevasset ergo oculos ¦ Jésus donc ayant levé les yeux et vu

Jesus, et vidisset quia ¦ qu'une très-grande multitude était

multitudo maxima venit ad ¦ venue à lui, dit à Philippe: Où

eum, dixit ad Philippum: Unde ¦ achèterons-nous des pains, pour que

ememus panes, ut manducent hi? ¦ ceux-ci mangent?

× VI,6

Hoc autem dicebat tentans ¦ Or il disait cela pour l'éprouver;

eum, ipse enim sciebat quid ¦ car pour lui il savait ce qu'il

esset facturus. ¦ devait faire.

Quand cette immense foule approcha, et que du haut de cette montagne on put distinguer toute la troupe, alors Notre-Seigneur leva les yeux pour fixer ceux des Apôtres et leur faire voir tout le grand nombre de ces personnes. Car Notre-Seigneur profitait de ces occasions pour augmenter et fortifier leur foi. C'est pourquoi aussi il adressa la parole à Philippe, et lui demanda si l'on pourrait acheter du pain pour donner à manger à tout ce peuple, comme s'il avait eu intention de faire acheter du pain pour cela. Il savait bien qu'il irait faire ce miracle, puisque cela était écrit dans les divines volontés de son Père, et il savait qu'il devait plus tard, à cette occasion, faire le beau discours dont le récit de ce miracle est suivi. Mais il voulait fixer l'attention de ses Apôtres, et surtout par un dessein de miséricorde pour Philippe en particulier. Il voulait leur faire faire attention au grand nombre de gens et à la quantité de pains qu'il faudrait pour les nourrir, afin de faire ressortir à leurs yeux le miracle de cette multiplication et d'augmenter par là leur foi - à eux qui devaient faire tant de miracles dans la suite - et leur apprendre en même temps que cette foi n'est pas encore assez solide en eux. C'est ce que l'évangéliste appelle tenter. Notre-Seigneur tenta, c'est-à-dire qu'il sonda la profondeur de la foi de saint Philippe; il en connaissait toute l'étendue, mais il voulait la manifester à Philippe et la fortifier à cette occasion. - C'est du divin Seigneur que les maîtres de la vie spirituelle ont appris à tenter de la sorte ceux qu'ils sont chargés d'instruire et d'avancer dans la sainteté, non pour leur faire du mal, mais pour leur prêter l'occasion d'apprendre à se connaître et en outre à avancer dans les vertus.

× VI,7

Respondit Philippus: ¦ Philippe lui répondit: Deux cents

Ducentorum denariorum panes ¦ deniers de pain ne leur suffiraient

non sufficiunt eis ut ¦ pas pour que chacun puisse avoir un

unusquisque modicum quid ¦ petit morceau.

accipiat. ¦

× VI,8

Dicit ei unus ex discipulis ¦ Un des disciples, André, frère de

ejus, Andreas, frater ¦ Simon Pierre, lui dit:

Simonis Petri:

× VI,9

Est puer unus hic, qui habet ¦ Il y a ici un enfant qui a cinq pains

quinque panes hordeaceos, et ¦ d'orge et deux poissons; mais qu'est

duos pisces: sed haec quid ¦ -ce que cela entre tant de personnes?

sunt inter tantos? ¦

Philippe, croyant que Notre-Seigneur voulait réellement acheter du pain, lui dit avec étonnement que deux cents deniers suffiraient à peine pour que chacun puisse avoir un petit morceau, et sa foi était trop faible pour qu'il pût avoir l'idée que la puissance de Notre-Seigneur pourrait y suppléer et faire qu'un petit morceau les rassasiât. André, frère de Pierre, semblait plutôt avoir un peu de doute sur ce point. Il dit à Notre-Seigneur: Voilà un enfant qui a cinq pains d'orge et deux poissons, mais qu'est-ce que cela entre tant de personnes? Que veulent dire ces paroles d'André? Philippe dit: Du pain pour deux cents deniers ne suffit pas, et André se met à parler de cinq pains d'orge qu'un enfant portait, ce qui montre que ces pains n'étaient pas bien grands, autrement un enfant n'aurait pas pu en porter cinq par un long espace de chemin. Mais saint André n'osait pas s'avancer trop et dire à Notre-Seigneur d'employer sa puissance pour les rendre suffisants; alors il propose la chose, et ajoute, comme pour voir la réponse que Notre-Seigneur y fera: Mais qu'est-ce que cela entre tant de monde?

× VI,10

Dixit ergo Jesus: Facite ¦ Jésus dit donc: Faites asseoir ces

homines discumbere. Erat ¦ hommes. Or il y avait beaucoup

autem faenum multum in loco. ¦ d'herbe en ce lieu. Ces hommes

Discubuerunt ergo viri, ¦ s'assirent donc au nombre d'environ

numero quasi quinque millia. ¦ cinq mille.

× VI,11

Accepit ergo Jesus panes, et ¦ Alors Jésus prit les pains, et quand

cum gratias egisset, ¦ il eut rendu grâces, il les distribua

distribuit discumbentibus; ¦ à ceux qui étaient assis; et de même

similiter et ex piscibus ¦ des poissons, autant qu'ils en

quantum volebant. ¦ voulaient.

Saint André fut exaucé. Notre-Seigneur leur dit: Faites asseoir ces hommes. Après que ces cinq mille hommes furent assis sur l'herbe, Notre-Seigneur reçut les pains et fit son action de grâces au Père du don reçu de sa main, et nous apprend par là ce que nous devons faire de tous les biens temporels que nous recevons de notre Père céleste. Nous devons mépriser tous les biens de la terre et en général tout ce qui ne tend pas à la gloire de Dieu et tout ce qui ne rend pas plus agréable devant lui; mais cela n'empêche pas que les biens qu'il nous donne sur la terre, même de ces biens de la terre, il faut les recevoir avec actions de grâces de sa main, pour en user ensuite selon se desseins et selon ses divines volontés dans la plus grande perfection de son amour.

Dans quelqu'état de perfection que nous soyons parvenus nous sommes toujours obligés d'user plus ou moins de ces biens terrestres pour le soutien de notre corps, et alors il faut recevoir ce qu'il fournit à nos besoins comme des enfants qui le reçoivent de la main de leur Père céleste, et en user selon notre état plus ou moins parfait avec amour et actions de grâces envers Lui.

Notre-Seigneur a encore rendu grâces à son Père pour tous ceux qui étaient là présents, qui devaient manger de ce pain et qui tous n'étaient guère en état de le faire et n'y pensaient pas même. C'est ainsi que notre adorable Maître rendait et rend encore maintenant sans cesse gloire à son Père pour toutes les créatures.

× VI,12

Ut autem impleti sunt, dixit ¦ Lorsqu'ils furent rassasiés, il dit à

discipulis suis: Colligite ¦ ses disciples: Ramassez les morceaux

quae superaverunt fragmenta, ¦ qui sont restés, pour qu'ils ne se

ne pereant. ¦ perdent pas.

Notre-Seigneur veut nous inspirer un souverain respect pour les dons de Dieu. Il ne faut rien en laisser périr, et ne pas les traiter avec mépris. La moindre parcelle d'un don de Dieu est précieuse et doit nous remplir d'actions de grâces et de reconnaissance.

× VI,13

Collegerunt ergo, et ¦ Ils les amassèrent donc, et ils

impleverunt duodecim cophinos ¦ remplirent douze paniers de morceaux

fragmentorum, ex quinque ¦ des cinq pains d'orge qui restèrent à

panibus hordeaceis quae ¦ ceux qui avaient mangé.

superfuerunt his qui ¦

manducaverunt. ¦

Ils ont ramassé plus de corbeilles de miettes qu'il n'y avait eu de pains avant la multiplication. Par là on peut voir la profusion de la miséricorde de Notre-Seigneur qui donne toujours au-delà du besoin.

Cette multiplication des pains était faite pour toucher les âmes et les préparer aux grandes choses que Notre-Seigneur devait leur dire à cette occasion. En outre elle en était une figure très-frappante. C'était la double figure des grâces dont Notre-Seigneur rassasie les âmes, et du pain eucharistique (30): deux objets sur lesquels Notre-Seigneur parla à la suite de ce miracle et dont il s'agit dans tout ce chapitre.

Pour les grâces ce pain représente Notre-Seigneur crucifié; voilà pourquoi c'est du pain d'orge pour représenter Notre-Seigneur comme dans Isaïe, sans apparence, vil et méprisable aux yeux des hommes, et cependant désiré et recherché par ses élus qui ont faim de le posséder. Ces pains sont au nombre de cinq pour représenter les cinq insignes de la passion, c'est-à-dire les cinq plaies, qui étaient les cinq sources d'où sortirent toutes les grâces qui rassasient le ciel et la terre. Cet acte de sacrifice de la sainte Passion n'était qu'une action héroïque faite une fois seulement, et quoiqu'elle soit grande et au-dessus de l'admiration de toutes les créatures, cependant cette action considérée en elle-même, paraissait peu de chose pour racheter et nourrir si largement tous les fidèles qui devaient appartenir à Notre-Seigneur. Mais les mérites de ce divin Seigneur la multiplièrent tellement, que cela suffit pour rassasier et remplir tous ceux qui viennent à Notre-Seigneur. Bien plus la multiplication est si grande qu'après que tous les élus sont remplis il en reste encore assez pour toutes les âmes infidèles dans l'Église et même de tout le monde entier, ce qui est figuré par les douze paniers de restes qu'on ramassa. Douze paniers pour les douze tribus d'Israël qui représentent l'Église. Et même cela représente l'univers parce que les douze tribus représentent tout Israël qui est une figure de tout le genre humain. Car Israël fidèle représente l'Église, et Israël infidèle le monde entier, qui est aussi une réunion d'enfants de Dieu perdus, infidèles et réprouvés.

Notre-Seigneur dit: Colligite fragmenta ne pereant. Cela représente un grand mystère. Les mérites et les grâces renfermés dans la Passion, et que Notre-Seigneur destinait à ces âmes infidèles qui n'en veulent pas, ne doivent pas se perdre; ils rentrent dans le trésor de l'Église qui est représenté aussi par les douze paniers. (Car une seule chose peut avoir deux significations, selon les différents points de vue qu'elle a.) Ce sont les Apôtres qui les ramassent. Les pasteurs de l'Église ont entre les mains ces trésors, ils peuvent les distribuer chacun selon le plus ou moins de pouvoir qu'il a. De plus ce sont les Apôtres ou disciples principaux qui les ramassent pour montrer que ces grâces perdues et superflues, pour ainsi dire, dans l'Église, sont ramassées par les âmes les plus fidèles. Une âme infidèle et mauvaise refuse les grâces de Dieu et les foule aux pieds, Dieu les fait ramasser par quelque grand saint qui augmente en sainteté. On peut observer dans l'histoire de l'Église: toutes les fois qu'une grande hérésie ou désordre s'y est élevé, on y a vu paraître plusieurs saints plus éminents que de coutume.

Cette multiplication signifie aussi le pain eucharistique où Notre-Seigneur est le pain des âmes. Le pain d'orge représente la vileté des espèces qui restent. Le nombre de cinq, la Passion dont il renferme les mystères et les grâces. Notre-Seigneur multiplie ce divin pain et quoique n'ayant qu'un seul corps il le donne à toute cette foule immense, qui en est rassasiée. Il ordonne de ramasser les restes pour que pas une seule parcelle ne périsse, pour montrer le souverain respect qu'on doit avoir pour chaque parcelle. Ils en remplirent douze paniers, pour montrer que ce pain adorable restera toujours dans le trésor de l'Église, pour qu'après l'avoir mangé on y vienne toujours adorer la divine nourriture des âmes.

× VI,14

Illi ergo homines cum ¦ Or ces hommes ayant vu le miracle que

vidissent quod Jesus fecerat ¦ Jésus avait fait, disaient: Celui-ci

signum, dicebant: Quia hic ¦ est vraiment le prophète qui doit

est vere propheta, qui ¦ venir dans le monde.

venturus est in mundum. ¦

× VI,15

Jesus ergo cum cognovisset ¦ Jésus ayant connu qu'ils devaient

quia venturi essent ut ¦ venir pour l'enlever et le faire roi,

raperent eum, fugit iterum in ¦ s'enfuit de nouveau sur la montagne

montem ipse solus. ¦ tout seul.

Ces hommes étaient tous très grossiers et n'avaient aucune idée des choses spirituelles. Ils savaient que le Messie devait venir et qu'il devait régner sur Israël; mais ils n'avaient pas la moindre idée de son règne spirituel sur les âmes et dans son Église. Ils n'avaient que des idées purement matérielles.

Ils voient Notre-Seigneur faire un grand miracle pour leur donner à manger; ils ne peuvent se dissimuler que ce doit être là ce grand prophète qu'ils attendaient, ce prophète Messie qui devait être leur Roi, et ils étaient bien contents d'avoir un roi si bon et si puissant qui puisse leur donner à manger à si peu de frais. Ils formèrent donc le dessein de le faire roi d'Israël. Ils étaient cinq mille: une foule d'autres se seraient joints à eux, parce que tous auraient été bien contents d'avoir un tel roi pour se délivrer du joug des Romains. Mais comme ils n'avaient jamais vu en Notre-Seigneur la moindre marque d'ambition et qu'il ne leur parlait jamais que du royaume de son Père, ils craignirent qu'il n'acceptât pas; c'est pourquoi ils se concertèrent ensemble pour l'enlever de force et le faire roi par force et malgré lui. Mais comme Notre-Seigneur ne voulut qu'un règne spirituel sur les âmes, ce que ces pauvres gens ne lui auraient pas accordé, car ils n'étaient guère dociles à la grâce et n'avaient qu'une lueur de foi bien faible, Notre-Seigneur ne voulait pas d'ailleurs qu'il leur arrivât du mal à son occasion par les troubles que leur effort aurait excités, c'est pourquoi il les prévint et se retira sur la montagne seul, les mettant hors d'état d'entreprendre quelque chose de semblable.

En outre, il voulait donner un grand exemple à ses disciples fidèles et leur apprendre qu'ils devaient toujours fuir les grandeurs et les avantages de la terre, communiquer les biens de la grâce qu'ils auraient en leur pouvoir et fuir les honneurs que les peuples leur voudront faire, à cause de la grande puissance de Dieu qui éclatera en eux.

× VI,16

Ut autem sero factum est, ¦ Dès que le soir fut venu, ses

descenderunt discipuli ejus ¦ disciples descendirent à la mer.

ad mare. ¦

× VI,17

Et cum ascendissent navim, ¦ Et quand ils furent montés dans la

venerunt trans mare in ¦ barque, ils partirent de l'autre côté

Capharnaum, et tenebrae jam ¦ de la mer, vers Capharnaüm. Or les

factae erant, et non venerat ¦ ténèbres s'étaient déjà faites, et

ad eos Jesus. ¦ Jésus n'était pas venu à eux.

× VI,18

Mare autem, vento magno ¦ Cependant au souffle d'un grand vent,

flante, exsurgebat. ¦ la mer s'enflait.

× VI,19

Cum remigassent ergo quasi ¦ Après donc qu'ils eurent ramé environ

stadia viginti quinque aut ¦ vingt-cinq ou trente stades, ils

triginta, vident Jesum ¦ virent Jésus marchant sur la mer et

ambulantem supra mare, et ¦ s'approchant de la barque, et ils

proximum navi fieri, et ¦ eurent peur.

timuerunt. ¦

× VI,20

Ille autem dicit eis: Ego ¦ Mais il leur dit: C'est moi, ne

sum, nolite timere. ¦ craignez point.

× VI,21

Voluerunt ergo accipere eum ¦ C'est pourquoi ils voulurent

in navim; et statim navis ¦ le prendre dans la barque; et

fuit ad terram in quam ibant; ¦ aussitôt la barque se trouva à la

¦ terre vers laquelle elle allait.

Les disciples attendirent leur Maître jusqu'au soir; mais le soir étant arrivé et la nuit s'approchant, comme ils étaient dans un pays désert, ils s'approchèrent de la mer et partirent pour Capharnaüm, à l'entrée de la nuit. Ils étaient habitués à passer souvent la nuit seuls parce que Notre-Seigneur passait souvent les nuits à prier sur une montagne; et comme il s'était retiré seul sur cette montagne et qu'il n'arrivait pas, les Apôtres, faibles alors encore, ne pouvaient pas passer la nuit avec lui, ils cherchèrent donc une retraite pour le rejoindre le lendemain matin. Ils se retirèrent à Capharnaüm, demeure ordinaire de Notre-Seigneur, pensant qu'il ne manquerait pas de se retirer là s'il ne voulait pas passer la nuit sur la montagne, et qu'ils l'y retrouveraient le lendemain.

Notre-Seigneur d'ailleurs leur ordonna de se retirer afin d'opérer en leur faveur ce grand miracle pour augmenter leur foi, et pour leur donner une image corporelle de ce qui devait leur arriver dans la suite spirituellement et à tout l'Église et à toutes les âmes en particulier. Jésus les fait embarquer sur une mer orageuse, pendant la nuit la plus obscure de l'âme, ou des persécutions s'il s'agit de l'Église, sans aucune espérance de secours et sans pouvoir arriver à bord; mais quand Jésus les voit bien embarrassés et bien en peine, il vient à leur secours, au milieu de la mer dont il foule au pieds les eaux qui veulent submerger ses enfants, et au milieu des vents et des tempêtes, et à peine arrivé auprès d'eux il n'y a plus de tempête et ils sont de suite comme sur une terre ferme où ils marchent avec assurance et avec paix.

× VI,22

Altera die, turba quae stabat ¦ Le jour suivant, le peuple, qui se

trans mare, vidit quia ¦ tenait de l'autre côté de la mer

navicula alia non erat ibi ¦ observa qu'il n'y avait là qu'une

nisi una, et quia non ¦ seule barque, que Jésus n'était point

introisset cum discipulis ¦ avec ses disciples dans cette barque,

suis Jesus in navim, sed soli ¦ mais que ses disciples seuls étaient

discipuli Jesu abiissent. ¦ partis.

× VI,23

Aliae vero supervenerunt ¦ Cependant d'autres barques vinrent de

naves a Tiberiade, juxta ¦ Tibériade, près du lieu où ils

locum ubi manducaverunt panem, ¦ avaient mangé le pain, le Seigneur

gratias agente Domino. ¦ ayant rendu grâce.

× VI,24

Cum ergo vidisset turba quia ¦ Quand le peuple eut vu que Jésus

Jesus non esset ibi, neque ¦ n'était point là, ni ses disciples,

discipuli ejus, ascenderunt ¦ il monta lui aussi dans les barques

in naviculas, et venerunt ¦ et vint à Capharnaüm, cherchant

Capharnaum, quaerentes Jesum. ¦ Jésus.

Le peuple après avoir mangé de ce pain miraculeux et avoir écouté ce que Notre-Seigneur leur disait pour les congédier, au lieu de se retirer resta là dans l'espérance que Notre-Seigneur descendra de la montagne, soit pour le faire roi soit pour le suivre dans le chemin qu'il prendra, afin d'avoir de quoi manger abondamment tous les jours. Ils observèrent donc tout ce qui se passa et attendirent jusqu'au soir; ils virent que les Apôtres se retiraient seuls et que leur Maître n'était pas avec eux, ils virent en outre qu'il n'y avait pas d'autres bateaux que celui qui portait les disciples. Ils allèrent donc se disperser dans les villes et villages des environs pour y passer la nuit. Il y en eu probablement un certain nombre qui alla à Tibériade, ville située sur le lac qui en porte le nom; ils répandirent le bruit de ce miracle et racontèrent que Jésus s'était retiré sur la montagne et qu'il n'en était pas descendu. Le lendemain, toute cette foule se dirigea de nouveau vers l'endroit où ils avaient fait la veille le repas miraculeux, espérant retrouver Jésus et faire de nouveau un bon repas par la vertu d'un miracle. A Tibériade, ce bruit s'étant répandu, et y ayant été dit que les disciples s'étaient dirigés vers Capharnaüm, une foule de bateaux vinrent auprès de la montagne dans la pensée qu'on pourrait avoir besoin de passer à Capharnaüm, comme aussi pour transporter à cet endroit les gens de Tibériade qui sans doute s'y seront rendus en grande foule. Tout ce monde, voyant que Jésus n'était pas là ni ses disciples, ils jugèrent qu'ils étaient à Capharnaüm et par là même ils conclurent que Jésus y était aussi, autrement ses disciples n'auraient pas manqué de revenir de grand matin: ils se mirent donc dans ces bateaux venus de Tibériade et passèrent à Capharnaüm pour y chercher Jésus. Ceux qui cherchent véritablement Jésus le trouvent toujours, quoique ce soit avec des dispositions imparfaites.

× VI,25

Et cum invenissent eum trans ¦ Et l'ayant trouvé de l'autre côté du

mare, dixerunt ei: Rabbi, ¦ lac, ils lui dirent: Maître, quand

quando huc venisti? ¦ êtes-vous venu ici?

Ayant donc trouvé Jésus de l'autre côté du lac... L'Évangéliste ne dit pas que ce soit à Capharnaüm qu'ils le trouvèrent. Seulement ils se dirigèrent de ce côté. Quand ils le trouvèrent donc ils lui dirent: Maître quand êtes-vous venu ici? Nous vous avons attendu hier jusqu'à nuit fermée, et aujourd'hui nous nous sommes rendus de grand matin au bord du lac, et nous ne vous avons pas trouvé. Par ces paroles ils voulurent lui montrer qu'ils l'avaient cherché et attendu de l'autre bord, l'ayant encore cru de l'autre côté.

× VI,26

Respondit eis Jesus, et ¦ Jésus leur répondit, et dit: En

dixit: Amen, amen dico vobis, ¦ vérité, en vérité, je vous le dis,

quaeritis me, non quia ¦ vous me cherchez, non parce que vous

vidistis signa, sed quia ¦ avez vu des miracles, mais parce que

manducastis ex panibus, et ¦ vous avez mangé des pains et avez été

saturati estis. ¦ rassasiés.

Ces gens avaient la foi et croyaient que Notre-Seigneur était le Messie, au moins croyaient-ils qu'il était un prophète; mais c'étaient des gens grossiers dont les sentiments ne sortaient pas des choses les plus grossières de la terre; leur foi était faible, grossière et aveugle comme cela ne pouvait manquer d'être en des gens tout abandonnés à cette vie terrestre et dont l'esprit ne s'élevait jamais à des choses surnaturelles. Ils avaient vu faire des miracles, ils y reconnaissent la main de Dieu, mais cela ne leur donne aucun bon sentiment, ils ne louent ni ne bénissent Dieu et ne se mettent pas en peine pour en devenir meilleurs, mais ils veulent en profiter pour satisfaire leurs désirs terrestres et en font un usage grossier. Ils ont bien mangé et espèrent que Notre-Seigneur leur fera de nouveaux miracles pour les satisfaire sur la terre.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur donne cette instruction: Vous avez l'air de venir à moi avec des sentiments de foi et vous me parlez comme des gens qui me recherchent par attachement à moi, mais en vérité, en vérité je vous dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu un miracle et par un sentiment de foi pure, mais parce que vous avez mangé et vous avez été rassasiés. C'est parce que je vous ai donné les biens de la terre que vous venez; vous avez mangé du pain grossier et vous vous en contentez, mais le pain surnaturel ne vous touche guère, et en cela vous faites très mal.

× VI,27

Operamini non cibum, qui ¦ Travaillez, non pas en vue de la

perit, sed qui permanet in ¦ nourriture qui périt, mais de celle

vitam aeternam, quem Filius ¦ qui demeure pour la vie éternelle, et

hominis dabit vobis; hunc ¦ que le Fils de l'homme vous donnera;

enim Pater signavit Deus. ¦ car Dieu le Père l'a scellé de son ¦ sceau.

Ne vous arrêtez pas à un repas qui périt dont il ne restera bientôt plus aucun vestige, n'y appliquez pas votre âme, et n'en faites pas votre occupation; mais élevez-vous plus haut et appliquez-vous afin de faire un repas qui reste pendant toute l'éternité. Ce repas humain dont votre esprit est tout occupé et auquel seul votre âme s'applique ne soutient qu'une vie périssable et passagère tandis qu'il faudrait vous occuper sérieusement de ce repas spirituel que durera dans la vie éternelle. Et ce repas spirituel auquel vous devez travailler, c'est le Fils de l'homme qui vous le donnera aussi bien que ce repas temporel et périssable qu'il vous a donné et qui n'en est que la figure. Car c'est celui-là que mon Père qui est Dieu a en vue en m'envoyant sur la terre, et en me faisant faire les oeuvres que je fais. Si j'ai opéré un repas matériel, quoique ce soit par l'ordre de mon Père que je l'ai fait, mon Père n'a eu en cela aucune autre intention que celle du repas spirituel; c'est celui-là seul qu'il approuve, l'autre n'est fait que pour celui-là. Ceux qui s'arrêtent à l'extérieur ne suivent pas son intention, et il désapprouve dans leur sens cette opération matérielle. C'est ce que veut dire le mot signavit, il appose le sceau de son autorité. Et la raison est mise avec Pater signavit DEUS: il est Dieu et par conséquent Esprit, ses opérations sont spirituelles et la vie qu'il donne et qu'il fait donner par son Fils l'est aussi.

Il faut remarquer ces deux termes: OPERAMINI (cibum qui non perit) et (quem Filius hominis) DABIT VOBIS. Cela nous indique les deux points capitaux de la vie de la grâce et de la nourriture spirituelle que nous avons: [c'est] l'opération de notre côté pour être fidèles à Notre-Seigneur; de l'autre côté c'est Notre-Seigneur seul qui nous vivifie par sa grâce divine. Il ne faut pas que nous nous tenions sans rien faire en disant que Notre-Seigneur doit nous nourrir dans les oeuvres de sa grâce et doit donner la vie et la sainteté à nos âmes et que cela dépend uniquement de lui. Il faut coopérer de notre côté pour obtenir ces grâces et pour les faire prospérer. D'un autre côté il ne faut pas nous dire que c'est par notre travail, par notre opération, que nous parvenons à cette nourriture et à cette vie de sainteté; c'est Notre-Seigneur qui seul peut nous la donner. Voilà pourquoi le divin Maître nous dit: Opérez de votre côté ce repas spirituel que le Fils de l'homme vous donnera, disposez-vous-y, tendez-y et soyez fidèles, et alors vous obtiendrez miséricorde, non par le mérite de votre opération et de votre travail, mais par le Fils de l'homme, parce que c'est par les travaux et les souffrances que le Fils de Dieu nous a mérité cette vie; et ses mérites qui sont appliqués à nos opérations, quoiqu'infinis seulement par le Fils de Dieu, n'ont cependant été acquis et ne nous sont appliqués ainsi que par le moyen de l'humanité sainte.

× VI,28

Dixerunt ergo ad eum: Quid ¦ Ils lui dirent donc: Que faut-il que

faciemus ut operemur opera ¦ nous fassions pour opérer des oeuvres

Dei? ¦ de Dieu?

Les Juifs comprirent que Notre-Seigneur leur parlait des oeuvres surnaturelles qu'ils devaient faire pour plaire à son Père et pour avoir la vie éternelle. C'est pourquoi ils demandèrent: Que faut-il que nous fassions pour opérer des oeuvres de Dieu? Que faut-il que nous fassions, c'est-à-dire de quelle manière faut-il nous y prendre, quel moyen faut-il employer pour faire des oeuvres surnaturelles? Quelles sont les oeuvres qu'il faudrait faire, pour que nous fassions des oeuvres surnaturelles?

× VI,29

Respondit Jesus, et dixit eis: ¦ Jésus répondit et leur dit: L'oeuvre

Hoc est opus Dei, ut credatis ¦ de Dieu, c'est que vous croyiez en

in eum quem misit ille. ¦ celui qu'il a envoyé.

Les Juifs, ayant toujours des idées de pratiques et d'oeuvres extérieures, pensaient que quand Notre-Seigneur leur parlait d'opérer pour la vie éternelle, il voulait dire de faire certaines oeuvres qu'ils ne faisaient pas; et ils lui demandaient donc: Quelles sont ces oeuvres? Comment faire pour opérer les oeuvres de Dieu? C'est pourquoi Notre-Seigneur leur répond: Ce qui fait que les oeuvres sont des oeuvres de Dieu, ce n'est pas un genre d'oeuvres plutôt que d'autres. Les oeuvres de Dieu résident dans la foi qu'on a en celui qu'il a envoyé. C'est dans la foi que consiste proprement l'oeuvre de Dieu. On ferait tous les commandements de Dieu sans foi, ce sont des oeuvres mortes. Tout le mérite des oeuvres est dans l'intérieur. Dieu a envoyé son Fils afin que toutes nos oeuvres soient faites en Lui par la foi, dans cette adhésion de toutes les puissances de nos âmes aux grâces qu'il nous donne et sous l'influence de son Esprit. Toute oeuvre qui est faite dans cette adhésion à Notre-Seigneur, par l'inspiration de son divin Esprit et sous l'influence de sa grâce, est oeuvre de Dieu, parce que cela vient de Dieu, parce qu'il nous a envoyé son Fils pour qu'il nous communique tout ce que nous tenons de Dieu. Mais ce qui, dans nos oeuvres, vient de nous, de notre nature, de nos désirs et de nos affections propres, ce n'est pas oeuvre de Dieu, parce que cela ne vient pas du Fils qu'il nous a envoyé, et par conséquent cela n'est pas de Dieu; même lorsque nous agissons par un bon principe naturel, et que nous faisons des actions bonnes selon la raison naturelle, ce ne sont pas des oeuvres de Dieu, parce qu'elles n'ont pas Dieu pour principe véritable et ne sont pas faites en lui, n'étant pas par inspiration de son Fils et sous son influence.

Il faut savoir que par là Notre-Seigneur ne veut pas dire que toutes les oeuvres consistent dans la foi et qu'il ne faut pas faire d'oeuvres, que les oeuvres sont inutiles; cela n'est pas vrai puisqu'il appelle cela opus Dei et que plus haut il dit: operamini; cela montre qu'il n'exclut pas les oeuvres. Il veut seulement montrer que le mérite consiste dans la foi et non dans les oeuvres; ce qui plaît à Dieu dans les oeuvres est ce qui vient de lui, et par la foi par laquelle on y adhère, et non par l'action extérieure par laquelle on opère. Comme l'homme est composé d'un corps et d'une âme, il y a nécessairement dans ses oeuvres pour le corps et pour l'âme, et par conséquent spirituel et matériel ou sensible: la foi intérieure est l'âme de l'oeuvre et en fait la vie, l'oeuvre extérieure en est le corps; l'oeuvre extérieure sans la foi intérieure est un corps sans âme. Mais on ne doit pas dire pour cela que les oeuvres intérieures sont plus parfaites; seulement il est impossible qu'un homme vive uniquement de cette vie intérieure sans oeuvres extérieures. Celui qui prétendrait vivre de cette manière serait un superbe dont les actions intérieures seraient non seulement mortes, parce que Dieu n'en serait pas le principe et l'âme, mais mortelles même pour son âme, parce que la superbe en serait le principe et elles seraient en opposition avec Notre-Seigneur.

Ainsi toute la perfection, la sainteté et la vie de nos oeuvres résident dans cette foi intérieure et dans cette vie de la grâce, et tout le mérite de nos oeuvres extérieures doit venir de là; mais il faut nécessairement que l'extérieur réponde à l'intérieur et soit en parfaite harmonie et rapport avec les dispositions et actes de l'intérieur. Nous devons nos appliquer d'une manière spéciale à établir la perfection dans notre intérieur et à animer toutes nos oeuvres par cette perfection et cette vie surnaturelle de notre intérieur; mais nous ne devons pas laisser pour cela de faire des actes extérieurs, selon qu'ils se présentent pour la gloire de Dieu et selon que Dieu le demande de nous, toujours en mettant notre principal dans l'intérieur.

× VI,30

Dixerunt ergo ei: Quod ergo ¦ Ils lui dirent donc: Quel miracle

tu facis signum, ut videamus ¦ donc faites-vous pour que nous

et credamus tibi? Quid ¦ voyions et que nous croyions en vous?

operatis? ¦

× VI,31

Patres nostri manducaverunt ¦ Nos pères ont mangé la manne dans le

manna in deserto, sicut ¦ désert, comme il est écrit: Il leur a

scriptum est: Panem de caelo ¦ donné du pain du ciel à manger.

dedit eis manducare. ¦

Malgré tous les miracles qu'ils voyaient, leur foi était toujours chancelante, et même ce n'était pas une foi véritable, parce qu'elle était vide de sentiment surnaturel. C'était une espèce d'admiration mêlée de satisfaction de leur amour-propre, de curiosité et d'intérêt. Ils voyaient des oeuvres de puissance grandes et extraordinaires, et ils ne pouvaient s'empêcher de voir qu'il y avait là quelque chose de surhumain; de plus la divine parole et l'action de Notre-Seigneur portaient une si grande grâce par elles-mêmes qu'elles les touchaient et les attiraient, mais la grâce ne pouvait que les effleurer et ne pénétrait pas dans la plupart d'entre eux. Ils étaient si charnels, si répandus dans les choses de la terre et si occupés uniquement de leurs satisfactions, intérêts et vaine gloire, qu'ils repoussaient tous les traits de lumière qui venaient à eux et qui les frappaient. C'est ce qui nous explique pourquoi ils étaient toujours comme enchaînés à la suite de Notre-Seigneur, tout en lui résistant sans cesse, en même temps qu'ils l'admiraient, qu'ils disaient que c'était un prophète et même le Messie.

Dans cette circonstance on voit particulièrement paraître la curiosité insatiable qu'ils avaient tous de voir opérer des miracles: Quel signe faites-vous donc pour que nous vous croyions? Ils en avaient vu d'innombrables à Jérusalem, à Capharnaüm et partout où il passait; ils venaient surtout de voir ce grand miracle qui leur fait confesser que c'était le prophète qui devait être envoyé de Dieu, et ils demandent: Quel signe nous faites-vous pour que nous vous croyions? C'est que la mauvaise disposition de leurs âmes empêchait la grâce d'y pénétrer et la foi de s'y établir, et de là tous les miracles ne produisaient qu'un bon sentiment très passager et ne faisaient ensuite qu'augmenter leur curiosité et leur donnaient le désir d'en avoir d'autres. Mais il y a plus ici, il entre encore une autre vue d'intérêt dans leur demande; c'est ce que Notre-Seigneur venait de leur reprocher, et ils y tombent aussitôt après, ce qui montre combien ils profitaient peu de ses divines instructions, et que ses paroles, si admirables, si pleines de grâces et si efficaces, n'entraient que dans ces âmes charnelles et terrestres. Ils ont mangé par un miracle, ils le méprisent maintenant. Cela ne leur est pas assez, ils voudraient avoir de la manne: Moïse nous a donné le pain du ciel; vous qui venez et qui voulez que nous croyions en vous, faites-nous descendre le pain du ciel comme Moïse.

× VI,32

Dixit ergo eis Jesus: Amen, ¦ Jésus leur dit donc: En vérité, en

amen dico vobis, non Moyses ¦ vérité, je vous le dis, ce n'est pas

dedit vobis panem de caelo, ¦ Moïse que vous a donné le pain du

sed Pater meus dat vobis ¦ ciel, mais c'est mon Père qui vous

panem de caelo verum. ¦ donne le vrai pain du ciel.

Jésus leur répond: Je vous dis en vérité, ce n'est pas Moïse qui vous donna le pain du ciel; le pain que Moïse vous a donné n'était pas le vrai pain du ciel; ce n'était qu'une figure de celui qui devait vous être donné par mon Père. Notre-Seigneur donne cette tournure à sa phrase, pour indiquer que donner le pain du ciel véritable n'était pas au pouvoir de Moïse ni de sa loi, qui était une loi de figure et d'image, et tout ce qui fut donné de pouvoir à Moïse et tout ce qui fut donné aux Israélites par Moïse n'était pas la vérité; mais mon Père vous donne maintenant (dat) dans la plénitude des temps, le pain véritablement descendu du ciel. C'est ce pain que Moïse indiquait par le pain figuré qu'il donna et qui n'était pas le vrai pain du ciel; et par conséquent, vous avez ici plus que le pain que Moïse donna à vos ancêtres.

× VI,33

Panis enim Dei est, qui de ¦ Car le pain de Dieu est celui qui

caelo descendit, et dat vitam ¦ descend du ciel, et donne la vie au

mundo. ¦ monde.

Les Juifs viennent de citer le texte panis angelorum etc. [cf. Ps 77,25] pour montrer quel pain Moïse avait donné à leurs ancêtres, et Notre-Seigneur, en leur disant que celui de Moïse n'était que la figure du vrai pain du ciel que son Père donnait actuellement, il ajoute que ce pain était vraiment le pain du ciel donné par son Père, parce que non seulement c'était le pain de anges, mais le pain de Dieu même, qui descend du ciel, c'est-à-dire du sein de son Père, et donne la vie au monde en venant faire sa demeure dans les âmes les nourrissant et les vivifiant par sa divine grâce et les faisant vivre de lui-même, comme l'homme vit du pain, c'est-à-dire de la nourriture, car presque toujours on exprime dans la sainte Écriture nourriture par pain. Ce pain est le pain de Dieu même: non pas dans ce sens qu'il communique sa vie au Père pour le nourrir et le sustenter comme le pain fait en nos corps, mais dans ce sens que le Père possède de toute éternité son Fils unique en lui-même, qui est le Verbe de Dieu, qui est sa vie, (car la vie du Père est dans le Fils, et la vie du Fils est dans le Père); et en cette vie qui est en lui est son unique jouissance et son unique amour. Et ce Verbe adorable, cette vie du Père, ce pain Dieu et pain de Dieu nous est donné pour devenir le pain de nos âmes et nous donner la vie. O bonté, ô miséricorde, ô amour incompréhensible de Dieu pour sa pauvre créature! Pour cette créature rebelle, pour cette créature morte par sa méchanceté et sa malice, le Père nous donne le pain de vie!

× VI,34

Dixerunt ergo ad eum: Domine, ¦ Ils lui dirent donc: Seigneur,

semper da nobis panem hunc. ¦ donnez-nous toujours ce pain.

Le Juifs, toujours aveugles et toujours terrestres, crurent qu'il s'agissait d'un pain temporel et que Notre-Seigneur leur parlait d'un pain que son Père ira leur donner, mais un pain beaucoup au-dessus de la manne. Ils savaient que le Messie devait être plus grand et plus puissant que Moïse; alors ils pensaient que le pain qu'il leur donnerait sera beaucoup plus merveilleux que celui de Moïse. D'ailleurs Notre-Seigneur le dit expressément. C'est pourquoi ils demandèrent avec ardeur ce pain, touchés d'ailleurs par la parole de Notre-Seigneur.

× VI,35

Dixit autem eis Jesus: Ego ¦ Et Jésus leur dit: C'est moi qui suis

sum panis vitae, qui venit ad ¦ le pain de vie, qui vient à moi

me, non esuriet; et qui credit¦ n'aura pas faim, et qui croit en moi

in me, non sitiet unquam. ¦ n'aura jamais soif.

Jésus alors s'expliqua avec eux plus clairement: C'est moi qui suis ce pain de vie dont je vous ai parlé, qui suis descendu du ciel et qui donne la vie au monde. Notre-Seigneur s'appelle pain de la vie, en comparaison du pain matériel. Car il y a une grande différence entre le pain matériel et Notre-Seigneur. Le pain matériel ne donne pas la vie, il empêche seulement de mourir, et encore n'empêche-t-il pas entièrement de mourir. Car malgré la substance qu'il fournit pour remplacer celle qui se perd, l'homme dépérit tout de même tous les jours et n'augmente pas en vie en mangeant de ce pain, tandis que le pain divin qui est descendu du ciel est un véritable pain de vie, il donne une vie véritable aux morts mêmes et augmente celle des vivants. De plus le pain de la terre ne donne que la vie au corps, vie qui n'est pas une vie véritable, mais seulement une image de la véritable vie qui est en Dieu et que le pain de Dieu nous donne. C'est pourquoi Notre-Seigneur, pour distinguer le pain céleste, l'appelle pain de vie. Une autre raison encore, c'est que ce pain renferme la vie en lui-même et la communique. - Qui venit ad me non esuriet, et qui credit in me non sitiet unquam. C'est là encore une excellence du pain divin au-dessus du pain ordinaire. Celui-ci périt en nourrissant, et quand on en a mangé, peu de temps après on a faim comme auparavant; tandis que le pain de Dieu ne périt pas en nous, au contraire, plus il reste en nous, plus il nous remplit et nous rassasie; plus notre âme digère et convertit en vie les substances nourrissantes que ce pain divin lui fournit, plus ce pain adorable se dilate en elle et lui fournit de nouvelles substances plus grandes, plus fortes et plus rassasiantes. Ce n'est qu'en le rejetant que l'âme perd la vie, mais en le gardant en elle, elle est toujours de plus en plus rassasiée et vivifiée.

Ainsi on ne mange qu'une fois ce pain divin, mais il s'agit ici de la manducation spirituelle de l'âme. Elle mange ce pain d'abord en venant à Notre-Seigneur, et rentrant en grâce elle reçoit son divin Esprit; ensuite elle n'a qu'à digérer la substance de vie que ce pain de vie, qui restera toujours en elle, lui donnera, et elle n'aura plus faim tant qu'elle ne rejettera pas ce pain adorable. C'est ce que dit Notre-Seigneur: je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi, voilà la manducation spirituelle, n'aura plus faim, parce que je resterai toujours en lui pour le rassasier.

Il ajoute que celui qui croit en lui n'aura jamais soif: par la foi en lui tous nos désirs sont remplis. Ce besoin de l'âme et ces désirs ardents, et cette tendance violente vers l'objet qui peut la satisfaire (et qui sont figurés par cette soif) sont rassasiés par cette foi qui lui fait trouver son bonheur et sa joie en Notre-Seigneur. (Voir plus haut Chap.IV,v.13.)

× VI,36

Sed dixi vobis, quia et ¦ Mais je vous l'ai dit, vous m'avez

vidistis me, et non creditis. ¦ vu, et vous ne croyez point.

Notre-Seigneur, sachant tout ce qui se passe dans les coeurs, voyait tous les sentiments qui se passaient dans les Juifs, lorsqu'il dit qu'il était ce pain de vie dont il venait de parler. C'est pourquoi il leur dit: Tous les biens dont je viens de parler sont en moi et seront communiqués à ceux qui viennent à moi et croient en moi. Mais je vous ai déjà dit d'autres fois que vous me voyez bien des yeux de vos corps; vous voyez même quelque chose des yeux de l'esprit par les miracles que j'opère; vous me voyez comme envoyé de Dieu, et vous ne croyez pas. Ce n'est pas assez de venir à moi par la présence du corps et de me suivre de la sorte, ni de me manifester un certain désir d'entendre ma parole et de voir mes oeuvres; c'est la foi intérieure qu'il faut et vous ne l'avez pas. Aussi, vous n'aurez pas les biens que je donne à ceux qui sont à moi, parce que vous ne venez pas à moi. Et si vous ne venez pas à moi, ce n'est pas de ma faute, mais de la vôtre.

× VI,37

Omne quod dat mihi Pater, ad ¦ Tout ce que me donne mon Père viendra

me veniet, et eum qui venit ¦ à moi, et celui qui vient à moi, je

ad me, non ejiciam foras. ¦ ne le jetterai pas dehors.

Maintenant vous êtes incrédules et éloignés des biens que je donne; il y en a cependant plusieurs parmi vous qui viendront plus tard, comme aussi parmi tout le reste du peuple: tout ce que mon Père me donne viendra à moi. C'est là la grande loi de la prédestination éternelle des élus. Mon Père a décidé qu'un certain nombre viendront à moi pour rester toujours en moi; il me les a donnés, et tous ceux-là viendront tôt ou tard selon la détermination éternelle du Père. Et tous ceux qui viendront, je ne les jetterai pas dehors mais je les recevrai en moi et ils y resteront pendant toute l'éternité.

On pourra dire aussi: Omne quod dat mihi Pater, ad me veniet: Tous ceux que mon Père a déterminé devoir entrer dans son Église et être au nombre de ceux qui ont la foi viendront à moi; et s'il y en a qui quitteront ce ne sera pas moi qui les aurais rejetés, mais ce sera par leur faute qu'ils en seront sortis.

× VI,38

Quia descendi de caelo, non ¦ Parce que je suis descendu du ciel,

ut faciam voluntatem meam, sed ¦ non pour faire ma volonté, mais la

voluntatem ejus qui misit me. ¦ volonté de celui qui m'a envoyé.

Notre-Seigneur explique pourquoi il reçoit ceux que son Père lui donne de cette donation parfaite de la prédestination éternelle. Il ne peut venir dans le royaume éternel que ceux que le Père a donnés au Fils; et le Fils ne rejette pas du corps des élus ceux qui lui sont donnés. car dans cette manière d'expliquer le verset précédent par la donation du Père, Notre-Seigneur veut signifier la prédestination des âmes qui doivent être à lui dans l'éternité. Pour accomplir cette prédestination, le Père a décrété de toute éternité l'Incarnation de son Fils et l'a exécutée dans le temps; car dans l'Incarnation du Fils de Dieu est entrée cette double vue: 1° pour offrir ce Fils à tout le monde, véritablement et efficacement de la part de Dieu, comme cela est marquée v.32: Pater dat vobis panem de caelo etc., et il parle à ceux qui ne croyaient pas; 2° dans le dessein plus spécial et plus particulier de donner son Fils à ses élus, qu'il attire à son Fils par une attraction efficace et permanente; et ceux-ci viennent à lui et restent en lui. Ce qui est indiqué par ces paroles: Quod dat. Ce don est à perpétuité et une propriété entière, et par conséquent élection parfaite et non attraction momentanée seulement, comme celle du v.44. Or le Fils ayant été envoyé par son Père, c'est-à-dire s'étant incarné uniquement pour accomplir ce double dessein et plus particulièrement le second, de là il résulte qu'il ne rejette pas ceux que son Père lui a donnés; car n'étant envoyé que pour cela, toute sa vie et ses oeuvres sur la terre doivent être selon la volonté de Celui qui l'a envoyé, et s'il fait autre chose il fait sa propre volonté indépendante et séparée de la volonté de celui qui l'envoie.

Notre-Seigneur appelle toujours son Incarnation et sa venue en terre Mission ou Envoi de son Père. Il ne faudrait pas conclure de là, comme un insensé, que le Verbe s'est séparé du Père, qu'il a quitté le sein du Père pour venir dans le sein de Marie et s'unir à l'humanité qui a été formée par le Saint-Esprit. Le Fils peut aussi peu quitter son Père qu'il se peut quitter lui-même, car il est aussi consubstantiel au Père qu'il l'est à lui-même quant à la nature et à l'essence.

Il ne faudrait pas croire non plus, par une folie semblable, que le Fils est inférieur au Père parce que celui qui envoie est toujours plus que celui qui est envoyé; ni que cette soumission à la volonté de son Père soit une soumission d'inférieur à la volonté de son supérieur.

Par là même que le Père et le Fils sont consubstantiels en nature et essence, par là même aussi ils sont égaux en puissance et en toutes les autres perfections, et par conséquent il n'y a pas de supériorité dans la volonté du Père ni d'infériorité dans l'obéissance du Fils, mais le Verbe fait et exécute sa propre volonté en exécutant la volonté de son Père qui est sienne par cette consubstantialité et unité de nature.

L'Incarnation et par suite toutes les autres oeuvres opérées par le Verbe incarné sont appelées Mission, Envoi, parce que cette oeuvre est hors du sein éternel et essentiel du Père, et dans une créature, et parce que cette oeuvre est opérée par le Fils personnellement et substantiellement présent; et c'est cette présence personnelle et substantielle du Fils opérant hors du sein de son Père que s'appelle Mission ou Envoi; et c'est le Père qui envoie parce que c'est le Père qui de toute éternité engendrant son Fils dans son sein, l'a engendré dans le temps dans le sein de Marie pour l'unir à l'Humanité sainte qui fut formée dans le moment même dans ce sein virginal et glorieux.

Quoique ce soit la Mission du Fils et que ce soit le Fils absolument, et non le Père ni le Saint-Esprit, qui se soit incarné, cela n'empêche pas cependant que les trois personnes divines ont une égale puissance et une égale part dans cette oeuvre et qu'elles y ont contribué également, quoique selon les différentes personnalités, les opérations soient différentes. Ainsi, l'Incarnation fut opérée par l'Esprit-Saint: Et incarnatus est de Spiritu Sancto. Cette oeuvre étant une oeuvre essentiellement d'amour, c'est une oeuvre de l'Esprit-Saint. Le Fils est descendu du ciel, il s'est anéanti; on voit là une puissance propre au Fils; il descend, il s'anéantit. Ce n'est pas le Père qui le descend, qui l'anéantit; mais le Fils de lui-même. Le Père l'envoie, parce que c'est lui qui l'engendre. Mais on voit partout une même puissance et égalité en tout dans cette oeuvre comme partout ailleurs.

× VI,39

Haec est autem voluntas ejus ¦ Or c'est la volonté de mon Père qui

qui misit me, Patris, ut omne ¦ m'a envoyé, que de tout ce qu'il m'a

quod dedit mihi non perdam ex ¦ donné, rien ne se perde, mais que je

eo, sed ressuscitem illud in ¦ le ressuscite au dernier jour.

novissimo die. ¦

Notre-Seigneur achève d'expliquer dans ce discours le grand mystère de la prédestination des élus. Il faut observer qu'il ne parle que de la prédestination à la vie, et point du tout de la prédestination à la mort, parce que la volonté de son Père est que tous se sauvent, il ne veut pas qu'aucune de ses créatures se perde. Seulement, par une prédilection spéciale et extraordinaire, un certain nombre sont choisis particulièrement et donnés à son Fils, et tous ceux que le Père donne au Fils, le Fils ne les rejette pas, parce qu'il est venu faire la volonté de celui qui l'a envoyé, et celui qui l'a envoyé, a la volonté que le Fils ne perde aucun de ceux qui lui ont été donnés par lui; il en prend un soin spécial et de prédilection, en conformité avec cette volonté spéciale et de prédilection; et il leur applique et donne ses mérites et ses grâces avec un soin si grand, avec une abondance si extraordinaire et si proportionnée aux circonstances, aux dangers et tentations où ils se trouvent, qu'il les conserve dans son union par la foi dont il parle, et les fait quelquefois parvenir à un degré de sainteté éminente, les fortifiant ainsi dans leur faiblesse, et contrebalançant si puissamment par sa grâce la malice et tous les vices, que l'âme devient fidèle et persévérante, et même qu'elle se surmonte entièrement et devient parfaite par la surabondance de la grâce qui est en elle. Cette surabondance de grâces est mesurée sur la surabondance de la prédilection éternelle du Père pour l'élévation de cette âme. Et c'est cette surabondance de la grâce qui fait la perfection et la sainteté d'une âme par la fidélité qu'elle y apporte.

Il faut observer: Notre-Seigneur ne dit pas que seulement ceux que son Père lui donne viennent à lui; mais il dit que ceux-là viendront sûrement; mais il y en a encore d'autres que son Père ne lui a pas donnés de cette donation parfaite et qui viendront aussi à lui. Il ajoute: Et tous ceux qui viennent à moi, je n'en rejetterai pas. Il ne dit point: Tous ceux que mon Père me donne je ne les rejetterai pas; mais ceux qui viennent à moi. Ainsi, on peut encore expliquer tous ces textes de cette manière: (v.36) Vous voyez bien qui je suis, et vous ne croyez pas. (v.37) Je sais cependant que ceux que mon Père me donne, viendront à moi. Ensuite il ajoute en parlant de tous: Tous ceux qui viennent à moi, je les reçois et ne les rejetterai point, même quand ce n'est pas mon Père qui me les aura donnés. Ainsi c'est de votre faute si vous ne venez pas et si vous ne persévérez pas après être venus parce que je ne rejette personne. (Il faut remarquez le terme non ejiciam foras.) Je dis que je ne rejetterai personne de ceux qui viennent à moi, parce que je ne suis pas venu pour faire ma volonté, et si je rejetais quelqu'un ce ne pourrait être que par ma volonté séparée de celle de mon Père, ce qui ne se peut, car je suis venu pour faire la volonté de celui qui m'a envoyé; or, sa volonté est que je vienne pour donner la vie à tout le monde. Comme il a dit plus haut: Sed Pater dat vobis panem de caelo verum, panis enim Dei est qui descendit et dat vitam mundo; il dit mundo sans exception. Voilà donc la volonté du Père pour toutes ses créatures en général, applicable à chacune considérée en particulier. Maintenant Notre-Seigneur manifeste une autre volonté de son Père qu'il doit exécuter et qui est pour les élus seulement. (v.39) Voilà quelle est la volonté de celui qui m'a envoyé, qui est le Père de tout ce qui existe et par conséquent maître de ses volontés sur sa créature, la volonté de celui qui m'a envoyé sur ceux qu'il m'a donnés par une prédilection spéciale: il veut que je n'en perde aucun, mais que je les ressuscite à la fin des temps; voilà quelque chose de plus que dans le verset précédent. Il ne dit pas que la volonté de son Père était qu'il n'en rejette pas, mais qu'il n'en perde pas (31). Une comparaison humaine pourrait faire concevoir la différence. Quand on confie à quelqu'un des objets très communs et auxquels on n'est pas attaché, qu'on veut conserver si cela se peut par un soin très ordinaire et très commun, on lui dit: Ne les jetez pas, mais il n'est pas nécessaire d'y mettre un soin excessif. Mais quand on lui remet des perles précieuses, on lui commande de prendre bien garde de n'en perdre aucune, de prendre toutes les précautions nécessaires pour cela. Ainsi les élus ne se perdront pas: ils sont trop bien gardés pour pouvoir se perdre; et ceux qui ne le sont pas se perdront pour ne pas être gardés avec un soin excessif et à cause de leur malice; par conséquent, c'est par leur unique faute et ils ne sont pas jetés.

Notre-Seigneur dit omne au singulier, parce qu'il parle ici de l'assemblée des élus qui lui ont été donnés et qui ne sont qu'un seul et même corps. Cette donation dont Notre-Seigneur parle ici (ceux que mon Père m'a donnés) ne signifie pas cette donation générale de toutes choses dont parle Jean-Baptiste à la fin du chapitre 3° : Pater omnia dedit in manu (Filii).

Il s'agit de la donation des élus que le Père a donnés au Fils pour être son corps mystique et pour que son Fils en soit la tête.

× VI,40

Haec est autem voluntas ¦ C'est la volonté de mon Père qui m'a

Patris mei qui misit me: ut ¦ envoyé, que quiconque voit le Fils et

omnis qui videt Filium, et ¦ croit en lui ait la vie éternelle, et

credit in eum, habeat vitam ¦ moi je le ressusciterai au dernier

aeternam; et ego ressuscitabo ¦ jour.

eum in novissimo die. ¦

Il a rapporté dans le verset précédent et a expliqué la volonté de son Père qui lui est intimée pour les élus. Dans celui-ci il rapporte et explique la volonté de son Père en général: car il ne parle pas du tout dans ce chapitre de ceux qui sont condamnés ou de ceux qui ne veulent pas venir à lui. Il dit donc de cette volonté générale de son Père pour tous ceux qui viennent à lui: Voilà quelle est la volonté de mon Père qui m'a envoyé. Il veut que tous ceux qui voient le Fils de Dieu et croient en lui, il veut qu'ils aient la vie éternelle. Maintenant tous ceux qui le voient peuvent croire en lui, et cependant tous ceux qui le voient n'y croient pas et c'est par leur faute. Aussi, tous ceux-ci, la volonté du Père n'est pas qu'ils aient la vie éternelle, car la vie est uniquement en son Fils. Et que leur arrivera-t-il à ceux-là? Ils seront condamnés et cela par leur faute: ils ont vu et n'ont pas cru. C'était précisément l'état des Juifs auxquels Notre-Seigneur parlait, ils voyaient, puisqu'ils avaient dit: c'est vraiment le prophète qui doit venir c'est-à-dire le Messie. Et cependant ils ne croyaient pas, comme on voit dans toutes leurs paroles, et surtout dans celles qu'ils vont dire au verset suivant. Et c'est ce que Notre-Seigneur leur dit dans le verset 36. Il faut observer que quand Notre-Seigneur dit: Qui videt, il ne parle pas seulement de la vue du corps mais de la vue de l'esprit. Car c'est ainsi que les choses se passent. Dieu commence par donner à l'esprit une vue de ce qui doit faire l'objet de sa foi; cette vue est spirituelle, plus ou moins sensible selon que la grâce affecte plus ou moins les sens. Cette vue n'est pas entièrement claire et pénétrante, comme elle est dans une âme qui a déjà la foi. Cette vue n'est pas la foi: la foi est dans l'acquiescement de l'esprit à l'objet qu'il voit, et pour obtenir cet acquiescement Dieu donne une nouvelle grâce pour exciter et entraîner. Ainsi, quoique la foi soit la vertu spéciale de l'intelligence, il faut cependant un acte de la volonté pour l'avoir, et c'est par cet acte que l'intelligence adhère à Notre-Seigneur; c'est pour cela qu'il faut la grâce excitante pour la volonté, et l'âme qui est fidèle à cette grâce et qui suit a la foi. Il faut à plus forte raison cette grâce excitante pour la foi dont parle Notre-Seigneur, qui est l'acquiescement, non seulement de l'esprit, mais de toutes les puissances.

Voilà ce que dit Notre-Seigneur: Celui qui voit le Fils et qui en outre croit, qui est fidèle à s'unir à lui par l'acquiescement de toutes les puissances de son âme, Dieu le Père veut qu'il ait la vie éternelle renfermée dans son Fils, et communiquée par lui à tous ceux qui sont ainsi unis à lui, parce que telle est la volonté du Père. Notre-Seigneur est le chef, et ceux qui sont ainsi unis à lui deviennent ses membres. C'est pourquoi il ajoute: Et ego ressuscitabo; quand le temps déterminé dans les décrets éternels de mon Père arrivera je les ressusciterai, parce que, le chef étant ressuscité, le corps le doit être aussi, et cette résurrection du corps doit venir du chef qui a le principe vital en lui pour tout son corps, et comme tous ceux-là sont devenus mon corps par leur foi, c'est à moi comme leur chef à les ressusciter.

Il faut toujours bien faire attention aux termes qui credit in Filium: ce qui veut dire adhésion de toutes les puissances de l'âme et non pas seulement foi dans ses paroles et sa doctrine. Cette adhésion de toutes les puissances de l'âme joint l'espérance et la charité à la foi. C'est là ce qui fait la véritable union de l'âme à Notre-Seigneur et par Lui à son Père.

Par cette dernière volonté de son Père sur ceux qui seront sauvés, Notre-Seigneur veut nous manifester que la volonté de son Père est qu'on ne puisse être sauvé que par la foi en son Fils, et que par cette foi on ait véritablement la vie éternelle. Mais qu'on ne se laisse pas tromper par cette fausse idée que des âmes lâches pourraient tirer de ces paroles du divin Maître, savoir: qu'une fois qu'on a vu le Fils de Dieu et qu'on a la foi on peut ensuite faire ce que l'on veut, et on est tout de même dans la vie éternelle quoiqu'on se laisse aller à tous ses penchants et mauvais désirs de la terre. On ne doit pas se laisser aller non plus à cette autre idée illusoire à peu près semblable: que puisque nous n'avons besoin que de la foi pour avoir la vie, nous n'avons pas besoin de tant veiller sur nous-mêmes, ni de tant résister aux tentations, qu'il suffit que nous nous tenions en notre intérieur dans cette vue de la foi en Notre-Seigneur, ne nous mettant pas beaucoup en peine du mal qui se trouve dans nos sens ou dans la chair, n'étant pas nécessaire de tant veiller là-dessus, mais sur la foi seulement qui est dans le fond de notre âme.

Comme aussi cette autre illusion plus grossière encore: qu'il suffirait d'avoir eu une fois la foi pour avoir la vie éternelle, et qu'après cela on n'a plus besoin de s'en occuper. Si ces pensées venaient dans l'esprit de quelqu'un, il peut compter que c'est une tentation illusoire du démon et une erreur grossière.

Notre-Seigneur dit que, selon la volonté de son Père, la foi en lui doit procurer la vie éternelle, parce que toute vie étant en lui, alors celui qui lui est uni par la foi reçoit cette communication par la voie de cette union; donc par là même il dit qu'il faut que cette foi persévère. Il est de cela comme d'un canal qui est joint à une grande et abondante source d'eau vive, il en sera plein; retirez-le il n'aura plus rien. Toute vie est en Notre-Seigneur, tous ceux qui lui sont unis l'auront; qu'ils se retirent il n'aura plus de communication, donc plus de vie.

De plus Notre-Seigneur parle de cette adhésion non à ses paroles mais à lui-même, et non seulement à lui, mais de cette adhésion qui nous fait entrer en lui, qui nous y incorpore, étant in Filium, et cela ne se fait que par toutes les puissances de l'âme; et c'est par là qu'il nous communique sa vie comme le chef à ses membres; or il est impossible de supposer cette foi avec la vie du monde, c'est-à-dire les désirs et les jouissances terrestres et les penchants naturels auxquels on s'abandonnerait, parce que ce serait supposer l'union de deux choses les plus opposées et les plus incompatibles. D'ailleurs la vie qu'on reçoit de Notre-Seigneur et la mort que donne l'esprit de la chair et du monde ne peuvent pas exister ensemble. Qu'on prenne donc garde, si on veut conserver cette vie divine du Fils de Dieu par la foi pure, de bannir de notre âme le monde et de résister aux concupiscences.

En outre, si notre âme est dans cette foi, elle a en soi la vie de Notre-Seigneur, par conséquent elle a en elle tous les penchants et toutes les oppositions et répugnances de Notre-Seigneur même, autrement elle ne pourrait pas avoir sa vie. De là elle doit avoir nécessairement une horreur extrême du péché et de tout ce qui approche du péché, car c'est la seule chose que Notre-Seigneur hait; et si elle a véritablement cette horreur du péché, elle doit avoir nécessairement la plus grande répugnance à son approche, elle doit donc le repousser sans cesse et veiller continuellement, dès qu'elle sent sa présence, pour s'en garantir, et, lorsqu'elle ne le sent pas, pour qu'il n'approche pas. Or le mal et le péché ne sont jamais plus proches et plus présents que lorsqu'ils sont dans nos sens. Ceux donc qui ne craignent pas de voir le péché et le mal dans leurs sens, ou qui le craignent peu, n'ont pas ou n'ont que peu le vie de Notre-Seigneur en eux, et par là pas ou peu de foi parfaite.

Il est vrai que le plus puissant moyen de vaincre une tentation quelconque et de résister aux penchants de la chair, au monde et au démon, est de se fortifier dans cette foi et dans cette union parfaite qui y est renfermée et de ranimer et augmenter en nous avec ferveur la vie de Notre-Seigneur que cette foi nous procure. Mais avec cela il faut résister et veiller. Ce moyen à employer est un moyen de résistance, par conséquent il ne faut pas de négligence.

× VI,41

Murmurabant ergo Judaei de ¦ Cependant les Juifs murmuraient

illo, quia dixisset: Ego sum ¦ contre lui, parce qu'il avait dit:

panis vivus qui de caelo ¦ Moi je suis le pain vivant descendu

descendi ¦ du ciel.

× VI,42

Et dicebant: Nonne hic est ¦ Et ils disaient: N'est-pas là Jésus,

Jesus filius Joseph, cujus ¦ le fils de Joseph, dont nous

nos novimus patrem et matrem? ¦ connaissons le père et la mère?

Quomodo ergo dicit hic: ¦ Comment donc dit-il: je suis descendu

Quia de caelo descendi. ¦ du ciel.

Les Juifs murmuraient entre eux pendant tout le temps que Notre-Seigneur parlait et encore après probablement. Ce murmure avait pour sujet les paroles qu'il venait de dire: Ego sum panis vivus qui de caelo descendi. Ils jugeaient de tout selon les sens et voilà pourquoi ils murmuraient: Ne connaissons-nous pas son père et sa mère, et comment dit-il qu'il est descendu du ciel? Ils savaient cependant qu'il venait de faire un miracle pour prouver sa mission et c'est à l'occasion de ce miracle qu'il leur dit cela; il semble qu'ils auraient au moins dû demander avec docilité une explication de cela, afin d'éclairer leur foi, s'ils en avaient eu; mais au lieu de cela ils murmurent, ils se mécontentent.

Ces murmures étaient ordinairement un partage de sentiment; les uns disaient que cela n'était pas vrai, qu'ils connaissaient son père et sa mère; les autres disaient: mais cependant il a fait de grands miracles, et s'il était un imposteur il ne pourrait pas faire de miracles; mais tous étaient dans l'incertitude. Ils n'étaient pas d'accord ensemble et personne ne l'était cependant avec Notre-Seigneur.

× VI,43

Respondit ergo Jesus, et ¦ Mais Jésus répondit et leur dit: Ne

dixit eis: Nolite murmurare ¦ murmurez point les uns contre les

in invicem. ¦ autres.

Notre-Seigneur les voyant ainsi en trouble et en désordre, se disputant et murmurant les uns et les autres, et les uns contre les autres, il leur dit: Ne murmurez pas les uns contre les autres, vous qui entendez les autres blasphémer contre moi, ne vous en fâchez pas, vous n'êtes pas beaucoup mieux instruits qu'eux. Les disputes dans les choses du salut ne sont pas du goût de notre divin Maître, elles ne produisent jamais de bons effets, on se fâche les uns contre les autres ou au moins on se mécontente, on se trouble de ce que les uns ne veulent pas croire et de ce que les autres blasphèment. Tout cela ne produit rien et prouve l'ignorance. Ce ne sont pas ces vivacités, ces troubles et ces résistances qui peuvent changer la disposition d'une âme. La grâce seule peu donner la foi. Ne murmurez donc pas les uns contre les autres.

× VI,44

Nemo potest venire ad me, ¦ Nul ne peut venir à moi à moins que

nisi Pater qui misit me, ¦ mon Père qui m'a envoyé ne l'attire:

traxerit eum; et ego ¦ et moi je le ressusciterai au dernier

ressuscitabo eum in novissimo ¦ jour.

die. ¦

Si ceux-là parlent contre moi que cela n'étonne personne, car personne ne peut venir à moi à moins que mon Père ne l'attire. Pour comprendre ces divines paroles il faut savoir que la miséricordieuse prédestination éternelle du Père n'est pas seulement un décret général de l'élection d'une créature, mais en outre des grâces spéciales qui doivent lui être accordées, en temps, lieu et circonstances. En outre cette miséricorde du Père ne s'étend pas seulement sur les Elus, mais même sur ceux qui ne le seront pas. Et cette miséricorde a plusieurs degrés. Elle consiste à leur donner des grâces spéciales et momentanées qu'ils perdent par leur faute et dont ils abusent plus ou moins; ces grâces sont plus ou moins grandes selon le degré de cette adorable miséricorde du Père. Ainsi aux uns ce sont de spéciales grâces extérieures d'avoir en toutes les occasions de venir à Notre-Seigneur, comme en avaient presque tous les Juifs, et dont ils ont terriblement abusé; aux autres des grâces spéciales intérieures, quelquefois jointes aux extérieures comme [pour] le très grand nombre de ces Juifs, quelquefois seulement intérieures. Ces grâces intérieures sont des lumières données à l'esprit, accompagnées ordinairement d'une certaine touche pour la volonté, comme celles accordées aux Juifs à qui parle Notre-Seigneur en ce moment qu'ils le voyaient. Ces grâces intérieures plus parfaites sont, outre ces lumières, une attraction pour toucher et entraîner afin de se rendre à cette lumière. Cette attraction est accordée même à ceux qui ne le suivent pas. Et il paraît clairement que ces Juifs éprouvaient cette grâce d'attraction ou grâce de la volonté; on voit bien qu'il y avait quelque chose en eux qui les portait vers Notre-Seigneur. Ces grâces intérieures sont d'un degré de force plus ou moins grand, selon le degré de la miséricorde du Père pour les âmes. Un autre degré de la miséricorde divine du Père est dans la persévérance. Les âmes qui sont fidèles à ces grâces reçues en ont toujours la continuité et l'augmentation même. Mais parmi la presque totalité des âmes qui sont plus ou moins fidèles à ces grâces, la miséricorde divine dans ses différents degrés consiste à accorder plus ou moins la continuité et même l'augmentation de ces grâces, selon la fidélité et selon la grandeur de cette miséricorde divine. Souvent elles sont refusées à ceux qui en abusent plus ou moins, même par faiblesse et par la corruption ordinaire. Souvent au contraire elles sont augmentées très puissamment, plus ou moins selon le plus ou moins de degrés dans la miséricorde divine pour une âme infidèle. Mais il semble cependant que l'abus de la grâce qui vient de la malice et qui semble être ce péché contre le Saint-Esprit, il semble qu'il est toujours puni par une abstraction de grâce et par là n'est jamais pardonné ni dans ce monde ni dans l'autre. Mais cette abstraction est encore plus ou moins forte selon le degré de la miséricorde divine pour cette âme qui abuse. De manière qu'il arrivera parfois, par suite de cette abstraction, l'endurcissement et la perte éternelle; parfois l'âme sera sauvée, mais, selon cette parole de Notre-Seigneur, ce péché ne lui sera pas pardonné dans ce monde mais puni par une diminution de grâce quelconque, dont suit toujours une diminution de perfection; ni dans l'autre où il sera puni par une diminution de gloire qui devait correspondre à cette grâce et à cette perfection que cette âme n'a pas acquises dans ce monde à cause de cet abus malicieux.

Outre tout cela il est à savoir que nous sommes tombés dans un si grand excès de corruption et de mal par notre péché que, par elle-même, notre âme est incapable de tendre vers Dieu, notre esprit incapable de rien concevoir des choses divines et de ce qui pourrait nous sauver, et notre volonté incapable de l'aimer. Il faut que Dieu commence par nous relever de l'excessif néant et incapacité où nous sommes pour ce qui le touche, et pour avoir la vie. Il faut qu'il nous donne la lumière pour que notre esprit puisse discerner, et qu'ensuite il nous attire pour que nous suivions cette lumière; sans cela, impossible d'arriver jusqu'à lui. Notre-Seigneur nous a été donné par le Père pour unique voie qui conduise à lui et unique source de vie pour nos âmes, mais nous sommes si misérables et si abominables que nous ne pouvons pas non plus arriver jusqu'à Notre-Seigneur, par le même effet de notre péché et de notre malice qui obscurcit complètement notre esprit pour l'empêcher de le voir et le connaître, et nous en détourne et entraîne sans cesse notre volonté ailleurs vers les créatures et le péché. Il faut que Dieu, après nous avoir donné cette grâce de nous faire voir son Fils, y ajoute encore celle de nous attirer et de nous entraîner vers lui. De plus, même quand nous sommes en Notre-Seigneur, il faut qu'il continue sans cesse ses grâces pour nous y faire persévérer, parce que notre péché nous en détourne sans cesse, et notre âme est toujours portée à se laisser entraîner par le péché qui réside dans sa chair. Le degré de grâce qu'il faut pour nous donner cette impulsion et pour donner la force à notre volonté afin qu'elle résiste à ses penchants naturels et à la malice qui est en elle, varie selon la grandeur de cette malice, la force de ces mauvais penchants et l'habitude du mal qui est dans l'âme. Les grâces accordées à Judas auraient peut-être suffi pour [en] sanctifier dix autres, dont la malice et mauvais penchants naturels auraient été ordinaires et sur lesquels le démon aurait eu moins de pouvoir. Par là on peut voir combien notre salut dépend de la miséricorde divine, et notre perte de notre propre malice.

Pour revenir aux paroles de Notre-Seigneur, il dit donc aux Juifs: Ne vous troublez pas entre vous, et que cette incrédulité ne vous étonne pas. L'homme le plus convaincu de ma mission ne pourra venir à moi de lui seul (nemo). Il faut que mon Père lui donne cette grâce de la volonté par laquelle il l'attire. C'est mon Père qui m'a envoyé pour sauver tout le monde (Pater qui misit me), il m'a envoyé pour communiquer la vie, il a aussi par là même nécessairement destiné des grâces en relation aux différents desseins qu'il a eus (en m'envoyant) sur chacune de ses créatures. Tous ceux qui devaient venir à moi, il leur a destiné une grâce d'attraction; autrement ils n'auraient pas pu venir. Ainsi, cette attraction du Père est en rapport avec la mission de son Fils et les desseins de miséricorde qu'il a eus sur chaque âme par cette mission divine. Selon le plus ou moins de grandeur de la miséricorde divine sur une âme, cette attraction sera plus ou moins forte pour contrebalancer le plus ou le moins de malice et les autres effets du péché, pour attirer le consentement de cette âme. Cela s'arrange toujours de manière que tous les malheurs viennent de la malice de l'homme, et tout le bien de la grâce et miséricorde divine par le consentement de la volonté. Et voilà ce que Notre-Seigneur veut dire: Il ne suffit pas de me voir par cette grâce de Dieu, il faut en outre une attraction pour la volonté, qui leur soit donnée et qui contrebalance assez leur malice et leur péché qui est en eux, pour qu'ils la reçoivent et qu'ils y consentent; car (il me semble au moins) Notre-Seigneur n'a pas voulu dire que le Père ait refusé absolument aux Juifs cette grâce d'attraction. Mais il veut parler d'une attraction telle qu'elle soit reçue des âmes et suivie par la volonté, comme il l'explique dans le verset suivant. Et s'il dit absolument et sans ajouter d'autre terme [: nisi traxerit eum], c'est pour faire entendre que tout le bien de ceux qui viennent à lui vient de cette attraction. Ne vous étonnez pas qu'ils ne viennent pas à moi; personne ne peut venir sans cette grâce d'attraction qui fait tout pour attirer la volonté et lui donner la force de venir à moi.

Il ajoute: Et c'est moi qui les ressusciterai dans le même sens que dans le verset précédent, parce qu'ils appartiennent à mon corps par là même qu'ils sont dans cette attraction de mon Père et en moi, pourvu qu'ils y soient en quittant la voie pour entrer dans l'éternité (ce qui est toujours une condition essentielle).

× VI,45

Est scriptum in prophetis: ¦ Il est écrit dans les prophètes: Ils

Et erunt omnes docibiles Dei. ¦ seront tous enseignés de Dieu.

Omnis qui audivit a Patre, et ¦ Quiconque a entendu la voix du Père

didicit, venit ad me. ¦ et a appris, vient à moi.

Il est dit dans le prophète que, du temps où la consolation d'Israël paraîtrait au milieu du peuple de Dieu, tous les enfants d'Israël seront instruits de Dieu, ou au moins pourront être instruits de Dieu s'ils veulent (docibiles). Tous entendront la voix de Dieu qui leur parle et veut les toucher plus ou moins, et Notre-Seigneur ajoute: Ceux qui ont entendu cette voix de mon Père qui leur a parlé ainsi et les a voulu toucher, et qui, après avoir ainsi entendu, ont appris réellement, ont reçu les instructions qui ont donné l'impulsion véritable à leurs âmes. Entendre, reprèsente le Père communiquant cette grâce, car cela veut dire que l'oreille est frappée par la parole que le Père nous fait adresser: on entend sans acte de la volonté et par le seul acte de celui qui nous parle; ses paroles viennent frapper nos oreilles. Par conséquent, lorsque j'entends, cela veut dire qu'on m'a parlé. Ainsi donc, quand Notre-Seigneur dit: Qui audivit a Patre, il ne veut pas tant dire "son oreille a été frappée" que "le Père lui a parlé et fait entendre sa voix".

Apprendre est la recevoir par la volonté et la goûter. [Venit ad me]: ceux-là viennent à moi. Par ce mot didicit Notre-Seigneur fait assez comprendre le consentement de la volonté à cette attraction de son Père.

Il appelle cela entendre et apprendre parce que la grâce de la vue précède toujours, et la grâce d'attraction de la volonté vient après pour entraîner la volonté après la chose que l'intelligence voit.

× VI,46

Non quia Patrem vidit ¦ Non que personne ait vu le Père, si

quisquam, nisi is qui est a ¦ ce n'est celui qui est de Dieu; car

Deo, hic vidit Patrem. ¦ celui-là a vu le Père.

Notre-Seigneur ajoute: Si je dis que le Père attire, cela ne veut pas dire que quelqu'un soit en rapport avec le Père pour recevoir directement quelque grâce. Personne ne voit le Père, c'est-à-dire personne n'est en rapport direct avec le Père excepté le fils qui est sorti du Père. Et par conséquent ces grâces que le Père donne, cette attraction, c'est par le fils même qu'ils la reçoivent. Le Père attire tous ceux qui doivent aller au Fils par le Fils même. C'est le Père qui par sa volonté éternelle donne cette grâce d'attraction, et c'est le Fils incarné qui exécute et attire par cette même volonté. Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit ailleurs: Cum exaltatus fuero, omnia traham ad me ipsum [quand j'aurai été exalté, j'attirerai tout à moi. Jn. 12,32]. C'est donc le Fils qui attire et non le Père. C'est le Père qui attire par son Fils, c'est le Père qui ordonne, et le Fils par les mérites de sa Passion nous communique cette grâce.

× VI,47

Amen, amen dico vobis: Qui ¦ En vérité, en vérité, je vous le dis:

credit in me, habet vitam ¦ Qui croit en moi, a la vie éternelle.

aeternam. ¦

Dans les versets précédents Notre-Seigneur a répondu à ceux qui murmuraient contre les murmurateurs; dans celui-ci il parle aux murmurateurs mêmes et leur dit: Vous murmurez parce que je dis que je suis le pain descendu du ciel pour donner la vie; cependant, en vérité, en vérité, je vous dis que celui qui croit en moi a la vie éternelle. Faites-y attention, celui qui me rejette rejette la vie éternelle. Et, après leur avoir montré par là qu'il est le pain de la vie par la foi de ceux qui croient en lui, il passe de cette manducation de la pure foi à une manducation plus réelle et plus en rapport encore avec la manducation ordinaire; et il reprend les mêmes termes qu'il a dits (v.35) quand il commence à donner le développement de cette manducation de la foi, et achever de répondre à ce que les Juifs lui objectaient de la manne, avant le développement d'une nouvelle grâce et des effets qu'elle produit en nos âmes, c'est-à-dire de la manducation eucharistique.

× VI,48

Ego sum panis vitae. ¦ C'est moi qui suis le pain de la vie.

Ego sum panis vitae: Celui qui croit en moi, dit Notre-Seigneur, à la vie éternelle. C'est moi qui suis le pain de la vie. Toute la vie du monde est en moi et elle est en moi comme dans une nourriture. Celui qui ne prend pas de nourriture ne peut pas vivre; de même celui qui ne s'approche pas de moi n'a pas de vie; il faut qu'on se nourrisse de moi pour recevoir la vie qui est en moi.

× VI,49

Patres vestri manducaverunt ¦ Vos pères ont mangé la manne dans le

manna in deserto, et mortui ¦ désert et sont morts.

sunt. ¦

× VI,50

Hic est panis de caelo ¦ Voici le pain qui est descendu du

descendens: ut si quis ex ¦ ciel, afin que si quelqu'un en mange,

ipso manducaverit, non ¦ il ne meure point.

moriatur. ¦

Ici il s'agit encore de la manducation de la foi, parce que Notre-Seigneur dit dans ce verset 50, ex ipso. Or, dans l'Eucharistie, ce n'est pas ex ipso, mais ipsum totum; tandis que par la foi ce n'est pas une participation entière: les uns y participent plus, les autres moins, selon la divine volonté du Père. Et par conséquent le terme ex ipso est parfaitement employé; ce qui n'est pas exact dans la sainte Eucharistie où, comme dans la manne, personne ne reçoit et ne mange plus que l'autre.

Une autre raison encore, c'est que dans cette manducation de la foi, l'objet de la manducation n'est pas Notre-Seigneur lui-même; il demeure en nous par la foi, comme le chef dans ses membres, et nous communique sa vie et son esprit dans cette union par les grâces qui sortent de son intérieur et entrent dans nos âmes pour les nourrir. C'est là la nourriture qui nous vient de Notre-Seigneur par la foi, et à cette nourriture convient parfaitement le terme ex ipso. Tandis que dans la sainte Eucharistie l'objet de la manducation est Notre-Seigneur lui-même, auteur de toute grâce et consommateur de toute notre vie et de notre sainteté.

Dans le verset 32 Notre-Seigneur a dit aux Juifs que la manne n'était pas le véritable pain du ciel, mais que c'était lui qui l'était, et dans tout le reste du discours il leur développe comment il était le pain de vie descendu du ciel. Dans ces deux versets il se met en parallèle avec la manne, pour montrer et faire toucher au doigt que la manne n'était pas le vrai pain du ciel, mais que c'était lui.

Voilà pourquoi il reprend au verset 48: ego sum panis vitae; c'est moi qui suis ce pain de vie et non la manne; et au verset 49 il l'explique: Vos pères ont mangé la manne dans le désert et cependant ils sont morts, par conséquent la manne est une nourriture comme les autres et non le pain de vie, c'est-à-dire le pain du ciel, le pain qui donne la vie éternelle; tandis que ce pain que le Père vous donne maintenant est un pain qui est descendu du ciel. Dans le ciel, c'est de ce pain que tout vit, parce qu'il a la vie en lui; et il est descendu du ciel afin que si quelqu'un en mange il ne meure plus, il est descendu pour que ceux qui en mangent ne meurent plus; que s'il y en a parmi ceux qui en ont mangé qui meurent, c'est qu'ils ne l'ont pas conservé dans leurs âmes, ils l'ont rejeté. S'ils le conservent ils ne meurent plus.

× VI,51

Ego sum panis vivus qui de ¦ Je suis le pain vivant, qui suis

caelo descendi. ¦ descendu du ciel.

× VI,52

Si quis manducaverit ex hoc ¦ Si quelqu'un mange de ce pain, il

pane, vivet in aeternum; et ¦ vivra éternellement; et le pain que

panis quem ego dabo, caro mea ¦ je donnerai c'est ma chair pour la

est pro mundi vita. ¦ vie de ce monde.

Non seulement je suis le pain qui donne la vie, ce qui est exprimé par le terme panis vitae; mais je suis un pain vivant. Je ne suis pas comme votre pain matériel qui nourrit votre corps et qui est un pain mort. Moi je suis un pain vivant, je possède en moi l'essence de la vie que je communique et je vis moi-même de la vie que je communique. Cette vie que j'ai en moi, je l'ai dans le ciel au sein de mon Père de toute éternité. Je l'ai en moi dans le ciel et la donne à tous les anges, et je suis descendu du ciel pour la communiquer à la terre comme au ciel. Ici Notre-Seigneur commence à introduire de la manducation de la foi à la manducation eucharistique: Je suis le pain vivant qui possède la vie en moi d'une manière vivante, mon essence est la vie; c'est pourquoi, celui qui mange de ce pain par la foi, il a la vie éternelle; mais j'ai à donner ce pain d'une manière plus substantielle et plus nourrissante que par la foi, et ce pain c'est ma chair même. Ceux qui mangent par la foi participent au pain de la vie et non au pain vivant: car dans la manducation de la foi Notre-Seigneur ne réside pas personnellement en nous pour y être notre nourriture, mais il y réside par son Esprit-Saint qui nous unit à lui et nous communique la vie; c'est tout de même le pain du ciel et de la vie, parce qu'en cette nourriture nous avons la même vie du ciel et la substance qui vient de la même source. Seulement pour les élus du ciel ce pain est un pain vivant, parce qu'ils le possèdent en eux, vivant et communiquant la vie. Et c'est ainsi que nous l'avons dans la sainte Eucharistie. C'est l'auteur de la vie, la vie essentielle qui vient personnellement en nous pour devenir en nous un pain vivant. On conçoit une différence immense entre l'union à Notre-Seigneur par la foi de toutes les puissances de notre âme, par laquelle nous recevons de lui la vie; et l'union eucharistique où, outre l'union de la foi, il y a encore une union personnelle et substantielle du Verbe incarné dans notre âme, qui y vit et y étend sa vie substantiellement. Voilà la différence entre panis vitae et panis vivus. Dans le ciel ils ont le pain vivant en eux dans la perfection, et sur la terre nous l'avons aussi dans la sainte Eucharistie de la même façon, de la manière la plus rapprochante dont nous sommes capables dans notre chair de péché.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit: Panis, quem ego dabo. Le Père nous a donné à tous le pain de vie: cela voulait dire qu'il l'a donné à la terre pour qu'il donnât la vie au monde. Mais ici Notre-Seigneur donne le pain à chacun de ceux qui le reçoivent dans la sainte Eucharistie pour être la vie du monde, non pour donner mais pour être la vie du monde, pro mundi vita; et ce pain qu'il donne est sa chair que chacun doit manger; et en possédant sa chair adorable il possède tout Jésus-Christ, l'auteur et la source de la vie, la vie même.

Mais pourquoi Notre-Seigneur dit-il qu'il donne sa chair pour la vie du monde? Et pourquoi donne-t-il sa chair pour pain eucharistique?

On peut en concevoir trois raisons. La première est que notre divin Maître a voulu faire de cet adorable sacrement un sacrifice de pacification, par lequel il a voulu unir parfaitement la créature au Créateur en même temps qu'il a voulu obtenir les différentes fins d'un véritable sacrifice. C'est la même victime qui est offerte au Père pour la vie du monde, et qui est mangée par les créatures pour les unir au Père et leur communiquer sa vie. Comme sacrifice, il fallait que ce fût la chair pour former un véritable sacrifice; et comme le sacrifice pacifique doit faire participer les hommes à la table de Dieu pour les unir parfaitement avec Lui et leur communiquer sa paix et sa vie, il a fallu que les hommes mangeassent la victime qui est le pain de Dieu même, de manière que cette victime est en même temps en Dieu pour les hommes, pour leur obtenir grâce et miséricorde, et pour Lui rendre les devoirs dûs par les hommes, devoirs qui sont tous renfermés dans le sacrifice, car le sacrifice renferme tous les devoirs de religion de la créature envers son Créateur. Et pour concevoir mieux la perfection admirable des devoirs que Notre-Seigneur rend pour nous à son Père dans le sacrifice eucharistique, et la raison pour laquelle il fallait que ce sacrifice se fît sur sa chair, il faut savoir que le sacrifice eucharistique est un avec celui de la croix, qui est sacrifice parfait et s'est opéré sur la chair et avait toutes les intentions et toutes les fins du sacrifice le plus parfait.

Ainsi, d'un côté, par ce sacrifice de la Sainte Eucharistie, Notre-Seigneur nous transporte dans le sein de son Père et nous lui rendons tout ce que nous Lui devons par son Fils bien-aimé, et de cette façon la divine victime est pour nous en Dieu aux fins marquées tout à l'heure, et, en même temps, cette même victime, qui est ainsi pour nous en Dieu est aussi pour Dieu en nous, pour nous rendre participants à la vie de Dieu et pour nous communiquer les biens qu'elle a obtenus de Dieu; et c'est pour cela que la consommation de cet adorable sacrifice se fait par la manducation. Par là on peut facilement comprendre que ce doit être la chair de Notre-Seigneur en laquelle doit résider directement le sacrement de la sainte Eucharistie, parce qu'il y est victime pour être sacrifiée, ce qui s'accomplit directement en sa chair; de plus l'Eucharistie étant le sacrifice du Calvaire, il a fallu que ce fût la chair, parce qu'au Calvaire ce fut la chair aussi: et il faut que cette chair soit donnée à manger, parce que la consommation du sacrifice doit nécessairement avoir lieu de cette façon. De cette manière Notre-Seigneur dit: Le pain que je donne, je le donne pour la vie du monde, dans le sacrifice que j'offrirai sans cesse pour lui obtenir la vie et pour la lui communiquer, pour la devenir en ceux qui me reçoivent; et ce pain que j'offrirai pour la vie du monde, c'est ma chair.

Le sacrifice de la sainte Eucharistie est si parfait qu'il a fallu tous les sacrifices de l'ancienne loi pour la figurer. Le sacrifice offert pour le péché a été parfaitement accompli par Notre-Seigneur dans le sacrifice eucharistique, puisque par ce seul sacrifice sont remis tous les péchés de tout le monde entier. Le sacrifice de l'holocauste représente les devoirs de la créature envers le Créateur par son anéantissement, et a été accompli sur la croix et dans la sainte Eucharistie. Et les sacrifices pacifiques, dont une partie seulement était offerte à l'autel et l'autre mangée par le prêtre, et une autre par celui qui l'offre; ici, dans la sainte Eucharistie, cela est infiniment plus parfait. Toute la victime est offerte et consommée en Dieu, la même est tout entière mangée par le prêtre, et la même tout entière mangée par le peuple, ce qui fait une union pacifique bien plus parfaite. Dans l'ancienne loi, cela ne pouvait pas s'accomplir de la sorte, alors on l'a figuré par les parties de chaque victime qui représentaient le tout.

La deuxième raison. Notre très aimable et très aimant Seigneur Jésus, dans un excès d'amour incompréhensible pour nous pécheurs et criminels, et par un désir extrême de s'unir à nous de la manière la plus parfaite et de communiquer l'admirable et incompréhensible sainteté qu'il a en lui-même, a établi cet adorable sacrement, qui est le sacrement de son amour par excellence. Il a voulu, par un effet de cet amour immense dont aucune créature ne peut concevoir les profondeurs, même dans l'éternité, il a voulu nous rendre participants de la manière la plus parfaite à toutes les opérations divines et ineffables du Verbe dans son Humanité sainte, pour notre salut et notre sanctification. C'est pourquoi il a voulu nous donner cette aimable et adorable humanité pour nourriture substantielle, afin de l'incorporer merveilleusement en nous pour qu'elle ne fasse plus qu'une seule et même chose avec nous, afin que toutes les opérations de sainteté que le Verbe y a opérées pour nous, soient par là opérées en nous-mêmes, selon notre capacité et nos dispositions. Toutes ces divines opérations de sainteté ont été faites dans les différents mystères que le Fils de Dieu a opérés sur la terre. Or tous ces mystères ont été opérés en la chair de Notre-Seigneur: c'est pourquoi Notre-Seigneur nous donne sa chair dans la sainte Eucharistie, et à cette chair est unie l'âme et la divinité du Verbe, afin que par là nous recevions, par cette union parfaite, comme dans notre propre chair et âme, toutes les célestes opérations du Verbe dans tous les mystères, pour notre plus grande sanctification. Et la miséricorde et l'amour incompréhensible de Notre-Seigneur paraît d'autant plus dans cet adorable sacrement, qu'il nous y donne à la fois tous les fruits de tous les mystères qu'il a opérés pour nous sanctifier, et il nous les donne de la manière la plus parfaite. Car dans la sainte Eucharistie Notre-Seigneur est parfait, c'est-à-dire après avoir passé par tous ses mystères, et assis à la droite de son Père.

Ainsi nous avons en nous toutes les grâces renfermées dans l'Incarnation, dans la Naissance, dans la vie cachée, dans la vie conversante, dans la Croix, dans la Résurrection, dans l'Ascension et dans la glorification éternelle de notre adorable Chef. Et comme tous ces mystères se sont opérés dans sa chair sacrée, il nous donne cette chair pour que leurs fruits coulent comme de source dans nos âmes, ainsi que les fruits de tous ses autres mystères et autres actions qui tous sont des trésors abondants d'adoration et de devoirs rendus à son Père, et de grâces, de bénédictions, de sainteté et de vie pour nous.

Il a établi la manducation comme action sacramentelle qui doit produire et signifier les admirables effets de ce sacrement adorable, parce que la nourriture représente l'union, l'identité et la transformation parfaite qui s'opère dans ce sacrement entre nous et le Fils de Dieu par sa chair.

C'est pourquoi Notre-Seigneur dit: "le pain que je donne est pour la vie du monde" parce que non seulement il le délivre du péché, mais lui donne la vie renfermée dans les divins mystères; pour cela je donne ma chair dans laquelle tous les mystères ont été opérés sans exception.

La troisième raison est que Notre-Seigneur nous a donné ce grand Sacrement, non seulement pour opérer en nos âmes toutes les grâces de ses mystères et établir en elles la perfection de sa vie, mais encore pour être dans notre chair un germe de résurrection; il nous en donne un gage certain en nous associant à sa propre chair ressuscité; c'est pour cela que ce sacrement est celui de sa chair particulièrement.

De plus, il y opère un autre bien, même déjà dans ce monde: il diminue la concupiscence de notre chair, y affaiblit tous les effets du péché, et rend notre âme forte, contre notre chair mauvaise et pervertie. Une vertu sort de sa chair sainte et pure, identifiée avec la nôtre qui est corrompue et mauvaise, pour y amortir tous les effets du péché qui y réside; voilà pourquoi Notre-Seigneur nous donne à manger sa chair, afin qu'elle donne la vie au monde: double vie, vie dans l'âme, et vie dans le corps; et cette dernière encore double: vie, germe de la résurrection future, et vie qui s'oppose à la mort qui fait sa demeure dans notre chair et qui est détruite par la communication de cette vie divine.

× VI,53

Litigabant ergo Judaei ad ¦ Les Juifs donc se disputaient les uns

invicem dicentes: Quomodo ¦ contre les autres disant: Comment

potest hic nobis carnem suam ¦ peut celui-ci nous donner sa chair à

dare ad manducandum? ¦ manger?

Quand une âme commence à être infidèle à la grâce, et cela par malice, son mal va toujours croissant. Au commencement ils murmurent et n'osent s'emporter; maintenant ils disputent, cela devient plus sérieux. D'ailleurs on voit déjà là-dedans une malice plus développée. Notre-Seigneur leur dit une foule de choses qu'ils ne comprenaient point; ils auraient pu et dû naturellement ranger ses paroles au nombre de celles qui étaient obscures pour eux, et ne pas se récrier dès la première fois que Notre-Seigneur leur parle de cette nouvelle nourriture. Dans la suite de ce discours, les paroles de Notre-Seigneur deviennent si claires qu'elles ne laissent plus aucun lieu au doute et à l'obscurité; mais ses premières paroles pouvaient et devaient paraître obscures à des gens qui sont habitués à souvent ne pas comprendre les divines instructions et qui d'ailleurs ne peuvent se former aucune idée de cette nouvelle nourriture. Mais ils étaient mécontents, ils étaient bien aises de trouver à redire dans les saints discours du Fils de Dieu, et ils ont saisi ces paroles, qui exprimaient dans un sens bien clair une chose qui leur paraissait obscure et insoutenable; ils s'écrièrent, en se disputant les uns contre les autres: comment celui-ci peut nous donner sa chair à manger? Ils ne comprennent pas parce qu'ils ne connaissent pas le tout-puissant amour de Notre-Seigneur pour les siens. C'est précisément ce que Notre-Seigneur développe dans la suite de ce discours. Ils s'imaginent que c'est une manducation profane et ordinaire et ne connaissent pas le doigt de Dieu et ses opérations dans les divins sacrements, et surtout dans celui de son incompréhensible amour.

× VI,54

Dixit ergo eis Jesus: Amen, ¦ Et Jésus leur dit: En vérité, en

amen dico vobis, nisi ¦ vérité, je vous le dis: Si vous ne

manducaveritis carnem Filii ¦ mangez pas la chair du Fils de

hominis, et biberitis ejus ¦ l'homme, et ne buvez son sang, vous

sanguinem, non habebitis ¦ n'aurez point la vie en vous.

vitam in vobis. ¦

× VI,55

Qui manducat meam carnem et ¦ Qui mange ma chair et boit mon sang a

bibit meum sanguinem, habet ¦ la vie éternelle; et moi, je le

vitam aeternam; et ego ¦ ressusciterai au dernier jour.

ressuscitabo eum in novissimo ¦

die. ¦

× VI,56

Caro mea vere est cibus, et ¦ Ma chair est vraiment une nourriture

sanguis meus vere est potus. ¦ et mon sang est vraiment une boisson.

S'ils avaient eu de la foi et qu'ils eussent demandé une explication avec de bons sentiments, Notre-Seigneur leur aurait sûrement expliqué comment la chose devait se faire; mais, avec les mauvaises dispositions qu'ils avaient, Notre-Seigneur se contenta de leur expliquer les effets admirables qui résultaient de cette nourriture, et de leur donner de plus en plus la certitude de la chose, afin qu'il ne puisse rester aucun doute sur le sens de cette manducation et de cette chair qu'on doit manger; mais il ne leur explique pas comment cela se ferait, si c'est sacrementellement ou naturellement. Il exige d'abord de la foi, et, quand une fois on croit, alors il éclaire l'âme sur l'objet de sa foi.

Il avait assez manifesté la divinité de sa mission pour que ces Juifs mauvais dussent croire à ses divines paroles; bienheureux s'ils étaient rendus aux sollicitations de la grâce divine, ils eussent bientôt vu plus clair.

Notre-Seigneur leur dit: Vous criez, murmurez, disputez et vous ne voulez pas croire, vous résistez à cette parole divine. Je vous dis cependant la vérité, que si par un effet de cette mauvaise volonté et de ce défaut de foi vous méprisez cette nourriture, et tant que vous vous scandalisez ainsi et que vous vous abstenez de manger la chair et de boire le sang du fils de l'homme, vous n'aurez pas la vie en vous. La preuve que c'est le sens des paroles de Notre-Seigneur, c'est que plus haut il dit de la foi que celui qui l'a a la vie, et par conséquent il n'est pas nécessaire de nécessité absolue qu'on mange la sainte Eucharistie. D'ailleurs en disant ces paroles il s'adresse directement aux Juifs, ce qui montre qu'il parle de leur obstination à ne pas croire et à ne pas vouloir s'approcher de ce sacrement adorable (nisi manducaveritis, et non pas nisi quis manducaverit), tandis que dans le verset suivant il dit: qui manducat etc, sans l'adresser aux Juifs à qui il parle, mais le disant en général de tous les hommes. Mais si quelqu'un moins incrédule et moins malicieux que vous s et mange cette chair et ce sang du Fils de l'homme avec foi (et les dispositions convenables sans doute), celui-là a la vie éternelle, il l'a déjà par la foi si elle a été assez parfaite avant la manducation, et dans ce cas cette manducation augmente et perfectionne en lui cette vie éternelle. D'ailleurs on peut dire qu'elle la donne réellement toute entière parce qu'elle nous donne l'auteur et la source de cette vie, et la vie même qui devient notre propre vie; de manière que toute la vie que nous acquérons par la foi et par les différents sacrements, est toute renfermée dans la sainte Eucharistie par excellence.

Et ego ressuscitabo etc. Par là Notre-Seigneur montre que dans cette chair sainte que nous mangeons nous trouverons le germe de la résurrection de la nôtre; c'est le Verbe, le Fils de Dieu, qui nous ressuscitera en nous communiquant la grâce de la résurrection de sa propre chair.

On peut dire aussi que la vie éternelle ici veut dire seulement la vie du ciel; et Notre-Seigneur nous dit que dans la sainte Eucharistie il nous donne une force toute particulière pour la persévérance et par là la sainte Eucharistie opère plus directement la vie éternelle; et Notre-Seigneur ajoute: Et ego ressuscitabo, outre cette vie des bienheureux dont vous jouirez de suite en entrant dans la sainte éternité, plus tard je vous rendrai encore vos corps par la même grâce renfermée dans ma chair que vous mangez, pour leur donner part à cette même vie éternelle.

Après que Notre-Seigneur eût affirmé aux Juifs incrédules et rebelles à son divin mystère que, s'ils ne mangeaient et ne buvaient cette nourriture et cette boisson mystérieuse par cette incrédulité et cette opposition, ils n'auront pas la vie, et qu'au contraire ceux qui mangent sa chair avec foi auront la vie, il ajoute pour les convaincre que cela est ainsi: que ce n'est pas une parabole qu'il leur dit, que sa chair est véritablement une nourriture et son sang véritablement une boisson; [qu']il les donnait réellement aux hommes et par conséquent il faut les prendre comme telles, que ce n'est pas un pain c'est-à-dire une nourriture spirituelle que l'âme doit prendre sans participation du corps, comme celle dont il a parlé plus haut en parlant de ceux qui viennent à lui par la foi; mais que c'est un pain c'est-à-dire une véritable nourriture et que son corps est véritablement mangé et son sang véritablement bu.

× VI,57

Qui manducat meam carnem, et ¦ Qui mange ma chair et boit mon sang

bibit meum sanguinem, in me ¦ demeure en moi et moi en lui.

manet, et ego in eo. ¦

Notre-Seigneur vient de parler de la vie qu'il donne aux âmes qui mangent en réalité son corps et qui boivent en réalité son sang. Dans ce verset et le suivant il montre la perfection de cette vie. La perfection d'une âme consiste à avoir en elle la vie de Notre-Seigneur, et plus cette vie est parfaite dans une âme, plus cette âme est élevée en sainteté. Cette vie a plusieurs degrés; la perfection de cette vie est la transformation de notre âme en Notre-Seigneur, qui est l'union la plus parfaite où nous puissions être avec Notre-Seigneur et que nous puissions posséder dans ce monde tout en conservant l'usage et la liberté de nos puissances; car il ne s'agit pas ici de ces grâces extraordinaires qu'il plaît à Notre-Seigneur d'accorder à des âmes privilégiées, mais d'un état permanent qu'il veut opérer en toutes celles qui s'approchent de lui et qui mangent sa chair et boivent son sang avec les dispositions préalables et requises pour que Notre-Seigneur puisse agir dans ce sacrement selon toute l'étendue des vues qu'il a eues dans son institution. C'est de cette transformation que Notre-Seigneur parle ici, si l'on prend ce verset dans toute la profondeur de son sens.

Elle consiste en deux choses. La première est que notre âme soit comme environnée et comme enfermée spirituellement de Notre-Seigneur et en Notre-Seigneur; de telle manière que notre esprit ne voie plus et que notre coeur n'aime plus que Notre-Seigneur, que toute créature soit tellement oubliée, que la pensée n'en vienne plus et que l'on ne s'en occupe plus, que tous les goûts, toutes les vues, tous les désirs et toutes les affections soient uniquement en Notre-Seigneur. L'âme a tellement toutes ses puissances en Notre-Seigneur, que dans tous les actes soit intérieurs soit extérieurs qu'elle fait, elle reste toujours absorbée en lui, n'a d'autre tendance, d'autre attention ou vue, ni d'autre satisfaction, affection, ni désir qu'en Notre-Seigneur et par Notre-Seigneur dans lequel elle a tout son repos et toute son existence.

C'est le premier effet direct et immédiat que notre divin Maître produit dans l'union eucharistique: qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet. Par ce sacrement il attire l'âme en lui-même et l'y retient. Car il faut remarquer in me manet... Pour que cette transformation soit réelle et parfaite il ne suffit pas que l'âme soit en Notre-Seigneur c'est-à-dire qu'elle ait d'une manière active et vivante toute la vie, tout le mouvement, et toute l'existence et l'être en Notre-Seigneur, mais encore que Notre-Seigneur soit en elle. Mettez du plomb dans un vase d'or, le plomb restera toujours plomb, seulement il se trouvera dans un vase précieux. C'est ce que notre âme eût été à peu près, s'il n'y avait eu que notre être en Jésus-Christ; nos actions eussent été précieuses, non par elles, mais parce qu'elles auraient été dans ce vase précieux. Mettez de l'or pur dans un vase de plomb, le vase restera toujours plomb et n'aura pas grand prix en lui-même, c'est à peu près ce que eût été la vie de Jésus en nous. Mais fondez le plomb et mêlez-le si parfaitement dans l'or que chaque particule de plomb soit entremêlée avec l'or, voilà ce qui rendra ce plomb tout autre qu'il n'était à part, il participe autant qu'il est capable à la beauté et au prix de l'or. De vase d'ignominie et d'ordure qu'il aurait été auparavant il est devenu un vase de gloire qui sert d'ornement à la table du Roi: c'est là l'image de l'union de Notre-Seigneur avec nos âmes dans son sacrement adorable: il est en nous et nous en lui; et par cette fusion admirable nous sommes identifiés avec lui de la manière la plus parfaite qu'il est possible sur la terre à des créatures pécheresses. Cette existence de Notre-Seigneur en nous est une existence vivante et vivifiante puisqu'il y est pain de vie et pain vivant. Il remplit toutes les puissances de nos âmes mieux sans comparaison que l'eau de la mer ne remplit une éponge qui y est plongée. Il y est principe et âme de notre vie et de toutes nos oeuvres. Il fond et répand en nous tout ce qu'il est, et toutes ses perfections, tous ses penchants purs et saints, tout son amour pour son Père et toute sa haine contre tout ce qui y est opposé, et établit en nous sa vie, dans tous les états et mystères par lesquels il a passé et qu'il accomplit maintenant dans le sein éternel de son Père. Il répand toutes les vertus et toutes les grâces sur nos oeuvres, étant au fond de nos âmes comme une source féconde, intarissable, qui prend son origine dans le sein infini de son Père. Il devient ainsi le principe, la source, le modérateur et le directeur de tous les mouvements de nos âmes dans toutes les oeuvres, et l'âme et la vie de ces oeuvres mêmes; de manière que tout en nous n'est plus nous, mais Jésus-Christ qui demeure en nous.

Bienheureuse l'âme fidèle qui, bien disposée pour une si grande action, se livre à corps perdu entre les mains de son adorable Maître et est docile à toutes les impressions et à tous les mouvements qu'il veut lui donner en venant substantiellement en elle, dans cet adorable sacrement de son amour et de sa perfection!

Il faut remarquer que Notre-Seigneur dit manet, ce qui annonce non un moment passager mais un état de vie. Car il veut opérer ces grandes merveilles de sainteté en nous non pour un moment, comme cela arrive à certaines âmes absorbées en Notre-Seigneur immédiatement après la sainte communion et qui ensuite retournent à leur état de vie ordinaire en se laissant aller de nouveau à une vie en partie naturelle et imparfaite. Le divin Sauveur veut que nous persévérions dans cette union, non pas que notre esprit soit toujours dans cette sensible absorption - cela n'est pas l'essence de cette transfusion de notre âme en notre divin amour qui vient habiter en nous -, mais que ce soit en réalité. Cela est excessivement rare dans l'Eglise. On ne retire presque jamais tout le fuit de cette communion, mais chacun en retire selon ses dispositions. Ici Notre-Seigneur parle de toute l'étendue de sa miséricorde dans cet adorable sacrement de son amour.

× VI,58

Sicut misit me vivens Pater, ¦ Comme mon Père qui est vivant m'a

et ego vivo propter Patrem; ¦ Père; et celui qui me mange vivra

et qui manducat me et ipse ¦ aussi pour moi.

vivet propter me. ¦

Notre adorable Maître explique davantage cette union eucharistique et les admirables effets qui y sont renfermés; il développe de plus en plus les grandeurs, les richesses et la gloire qui nous y sont communiquées. Comme mon Père m'a envoyé, c'est-à-dire m'a uni à mon humanité, lui vivant continuellement en moi en mon humanité aussi bien qu'en ma divinité par suite de cette union de mon Incarnation, et comme je vis uniquement pour mon Père, que tout en moi, en mon humanité aussi bien qu'en ma divinité, tout aboutit [à] se rapporter à mon Père, quoique ce ne soit pas le Père qui s'est incarné mais le fils, et cependant tout en mon humanité, qui l'a reçu en elle, vit uniquement pour le Père et tend en tout vers Lui, parce que dans le Fils elle a reçu toute la vie du Père qui, vivant en son Fils, l'a engendrée en elle.

De même celui qui me mange vit pour moi; toute sa vie et toute son action aboutiront à moi, par suite de cette union parfaite que j'établis en lui par cette manducation et par ma vie qu'il y reçoit. Car, quoiqu'il ne mange que ma chair et qu'il ne reçoit directement et immédiatement que ma chair pour nourriture, cependant l'union parfaite entre moi et ma chair fait que ma vie est parfaitement et entièrement contenue dans ma chair, et par là il reçoit ma vie et par conséquent il vivra pour moi de la même façon que mon humanité vit pour mon Père. Elle vit pour mon Père, parce qu'elle a la vie de mon Père par la vie du Verbe qui lui appartient et qui tend sans cesse vers son Père: de même celui qui mange la chair du Fils de Dieu vit pour le Fils de Dieu, parce qu'il a en lui la vie du Fils de Dieu qui est dans l'humanité sainte à laquelle il est si intimement uni, et par cette même vie de l'humanité sainte qu'il possède et qui en tout tend vers le Verbe.

Les vérités qui sont renfermées dans ces divines paroles sont bien grandes et bien glorieuses pour les enfants de Dieu qui ont le bonheur de manger la chair et de boire le Sang adorable du Fils de Dieu.

1° Notre-Seigneur nous dit par là, qu'il est en nous d'une manière vivante et vivifiante et que nous y avons la vie du Verbe en nous, puisqu'il pose pour terme de comparaison les mots: Vivens Pater; comme son Père vivant a donné cette mission, et par là c'est une mission vivante et vivifiante, de même la mission de l'humanité sainte qui vient en nous, par le pouvoir du Verbe, est aussi vivante et vivifiante.

2° Il compare premièrement la vie qu'il a en nous à la vie de son Père en lui, sicut misit me vivens Pater; deuxièmement son union sacramentelle à nos âmes, à l'union du Verbe avec l'humanité sainte, puisqu'il met un rapport de comparaison entre la mission du Verbe avec notre manducation, sicut misit me vivens Pater et qui manducat me. De là, quelle perfection dans l'union de notre adorable Seigneur avec nos pauvres âmes! Il nous fait assez comprendre qu'il nous rend participants d'une manière extrêmement excellente à son grand mystère de l'Incarnation. Il y a ici quelque chose de plus excellent encore, c'est que Notre-Seigneur vient en nous après avoir accompli en sa personne tous les mystères de sanctification, et par là nous rend participants à tous les mystères de sanctification, et par là nous rend participants à tous ces mystères, à toutes les grâces et à toute la sainteté qu'ils contiennent, dans le même degré de perfection de l'union et de la participation qu'il nous donne à son Incarnation, c'est-à-dire à l'union de son humanité sainte avec sa divinité. Troisièmement, notre vie par rapport à lui est semblable à la sienne par rapport à son Père; sicut... ego vivo propter Patrem, et ipse vivet propter me. Qui peut comprendre toute la perfection, toute la beauté admirable de la vie de Jésus pour son Père? Eh bien, toute cette vie si riche, si magnifique et si glorieuse, il veut l'établir en nous pour Lui, et par Lui pour son Père, car c'est là que tout aboutit. Quelle miséricorde incompréhensible! quel amour! quelle douceur! quelle complaisance Jésus met-il dans une créature pécheresse! Qu'on s'éprouve et qu'on se prépare bien à tant de grâces et à tant de sainteté que Jésus veut établir en nous.

3° Jésus nous montre que cette vie que nous devons mener pour Lui seul, n'est pas du nôtre, mais précisément de ce qu'il est lui-même notre vie. Le principe et la fin doivent toujours être le même et les effets doivent lui ressembler. La vie naturelle et terrestre, c'est-à-dire les penchants propres, étant principe de la vie de l'homme, ce principe ne peut conduire qu'à soi-même, à la satisfaction de ces mêmes penchants, et les effets de ce principe seront des actions naturelles ou de la chair. A combien plus forte raison, ou plutôt au-dessus de toute comparaison, que si Dieu est le principe de notre vie, si la vie de Dieu est la vie de notre vie et l'âme de tout mouvement en nous, à combien plus forte raison que toute notre vie ne doive tendre qu'à lui-même et que tous les effets de ce principe divin soient des effets divins, d'amour, de sainteté et renfermant toutes les perfections.

× VI,59

Hic est panis qui de caelo ¦ Voici le pain qui est descendu du

descendit. Non sicut ¦ ciel. Ce n'est pas comme vos pères,

manducaverunt patres vestri ¦ qui ont mangé la manne et sont morts.

manna et mortui sunt; qui ¦ Celui qui mange ce pain vivra

manducat hunc panem, vivet in ¦ éternellement.

aeternum. ¦

× VI,60

Haec dicit in synagoga docens, ¦ Il dit ces choses, enseignant dans la

in Capharnaum. ¦ synagogue, à Capharnaüm.

Notre-Seigneur, après avoir montré la seconde réalité qui est signifiée par la manne, qui annonçait par figure le pain eucharistique, résume (comme il a fait plus haut, versets 48, 49, 50) pour montrer aux Juifs qu'ils reçoivent ici plus que leurs ancêtres avaient reçu dans la manne.

Vivet in aeternum. Ceux qui ont mangé la manne auraient bien voulu conserver la vie de leur corps et si la manne avait véritablement une substance de vie en elle comme doit avoir le pain du ciel, les Juifs du désert auront bien su conserver cette substance de vie pour vivre et rentrer dans la terre de promesse; mais la manne n'était qu'une figure et n'avait pas en réalité la vie, elle n'était pas un vrai pain du ciel, et par conséquent ne pouvait pas communiquer la vie qu'elle n'avait pas. Mais ici vous avez un pain véritablement descendu du ciel, qui a la vie, et celui qui le mange n'a qu'à conserver cette vie qu'il mange dans ce pain, et il l'aura pendant toute l'éternité. Cela dépend de sa volonté. S'il y en a qui meurent tout de même après l'avoir mangé, c'est parce qu'ils ont rejeté cette vie qui est dans ce pain, mais ce n'est pas le défaut de vie dans ce pain adorable.

Il faut remarquer que Notre-Seigneur dit: Qui manducat hunc panem, et non, ex hoc pane; parce qu'on ne peut en manger sans le manger tout entier: le corps du Seigneur est tout dans chaque particule.

× VI,61

Multi ergo audientes ex ¦ Mais beaucoup de ses disciples

discipulis ejus, dixerunt: ¦ l'ayant entendu, dirent: Ces paroles

Durus est hic sermo, et quis ¦ sont dures et qui peut les écouter?

potest eum audire? ¦

Tous ceux qui suivaient Notre-Seigneur et qui étaient ses disciples n'étaient pas tous également bien disposés. Il y en avait beaucoup qui ne le suivaient pas par un effet véritable de la grâce; mais partie par intérêt, espérant que bientôt il ira paraître dans sa grandeur selon les fausses idées qu'ils avaient du Messie, et alors il leur en viendra une grande gloire et un grand bien d'être ses disciples. De plus ils lui voyaient faire tant de miracles et se faisaient gloire d'appartenir à ce grand Prophète, ou Messie, et d'être comptés au nombre de ses disciples.

En outre ils étaient touchés par la parole de grâce qui sortait de sa bouche, et que personne ne pouvait écouter sans éprouver une touche de la grâce. La grâce agissait bien un peu sur eux mais la nature était plus forte et étouffait la grâce, de manière que, tant qu'ils éprouvaient ces satisfactions dans ses paroles ils le suivaient, mais, n'ayant par la véritable foi en eux ou l'ayant très faible, et n'étant pas animés par cette grâce forte qui les aurait attachés invariablement à Notre-Seigneur, ils murmuraient lorsque sa parole divine ne produisait pas en eux cette suavité, par un effet de leur peu de foi et de la dureté de leur coeur, parce que ses divines paroles étaient incompréhensibles pour eux. C'est ce qui leur arriva en cette circonstance. Ils croyaient comme les Juifs que Notre-Seigneur voulait parler de sa chair vivante qu'il donnerait à manger. Ou plutôt ils ne comprenaient pas de quelle manière il la donnerait à manger, mais leurs âmes vides de foi et de grâces et pleines d'elles-mêmes se révoltaient aussitôt à une chose si étrange, et ne demandaient pas d'explication, mais entraient dans un murmure et mécontentement; tandis que les âmes bonnes, pleines de foi, attachées à leur Maître et dociles à ses instructions, étaient portées par la grâce à croire ce qu'elles ne comprenaient pas, étant bien sûres que tout ce que leur Maître disait sera exécuté, sans savoir comment cela se pouvait, mais sachant qu'il était assez puissant pour exécuter ce qu'il promettait; et ses paroles si incompréhensibles portaient cependant la douceur et la suavité dans leurs âmes, au lieu de porter la raideur et l'endurcissement qu'elles causèrent dans les âmes des autres qui les écoutaient avec de mauvaises dispositions et qui résistaient. Durus est hic sermo, disent-ils. Mon Dieu! ce n'était pas votre parole qui était dure, mais au contraire elle est pleine de suavité et d'amour et porte la joie et la consolation dans les âmes qui vous aiment, mais ce sont ces gens-là qui étaient durs; ils avaient un esprit de fer et un coeur de marbre, et résistaient à votre aimable parole, et c'est ce qui les endurcit davantage, parce que votre divine grâce se faisait moins sentir, à cause de cette infidélité et de cette dureté de leur esprit et de leur coeur; ils l'attribuaient à votre divine parole; ces aveugles auraient dû être plus dociles et ils l'auraient trouvée bien autrement douce que toutes les douceurs de la terre. O Jésus, faites que mon esprit et mon coeur ne soient jamais si durs et si infidèles mais qu'ils soient toujours disposés à vous écouter et à recevoir avec joie et avec amour toutes vos divines paroles afin qu'elles soient la vie de mon âme.

Et quis potest eum audire? Ces malheureux, il faut qu'ils comprennent, autrement ils ne croient pas. Cela prouve bien combien la grâce de Dieu était faible en eux, et combien l'esprit propre dominait. Qu'en résultait-il? Le plus grand malheur: ils finissent par abandonner la seule source d'eau vive.

× VI,62

Sciens autem Jesus apud ¦ Or Jésus sachant en lui-même que ses

semetipsum, quia murmurarent ¦ disciples en murmuraient, leur dit:

de hoc discipuli ejus, dixit ¦ Cela vous scandalise

eis: Hoc vos scandilizat? ¦

× VI,63

Si ergo videritis Filium ¦ Et si vous voyiez le Fils de l'homme

hominis ascendentem ubi erat ¦ montant où il était auparavant?

prius? ¦

Ces disciples avaient peu de foi et par là-même peu de connaissance de Notre-Seigneur, et de plus jugeaient de tout ce qu'il disait selon leurs sens et les impressions que cela faisait à leurs sens; c'est pourquoi ils ne concevaient pas comment Notre-Seigneur pouvait donner sa chair à manger, cela révoltait leurs sens, ni comment cette chair, qu'il dit être le pain qu'il donnerait à manger, puisse être descendu du ciel; et outre l'opposition des sens à cette idée qu'il donnerait sa chair à manger, ils ne comprenaient pas que Notre-Seigneur pût être assez puissant pour donner sa chair à manger selon les paroles des Juifs: Quomodo potest hic dare carnem etc. Comment peut-il? Par quelle puissance?

Notre-Seigneur, connaissant tout ce qui se passait en eux, leur dit: Les choses que je vous dis vous scandalisent, vous vous éloignez de moi parce que vous ne voulez pas croire que cette chair vous sera donné comme un pain descendu du ciel? Mais si vous voyiez le Fils de l'homme monter à la droite de son Père pour rentrer dans son sein éternel dont le Verbe est descendu pour s'unir à cette chair et pour vous la donner, qu'en diriez-vous alors? Penseriez-vous encore que cette chair n'est pas le pain descendu du ciel? Il est cependant certain qu'elle ne pourrait pas monter sans être descendue par le Verbe de Dieu qui est éternellement dans le sein de son Père et à l'union duquel elle participe parfaitement. Vos sens seront-ils encore révoltés de ce que je dis que je vous donnerai ma chair à manger? Ne verriez-vous pas alors que cette manducation n'est pas une manducation charnelle et pour les sens grossiers comme la chair des bêtes que vous mangez, mais une manducation spirituelle et glorieuse? Vous verriez alors que la nature de mon corps sera toute changée, et il aura d'autres propriétés qu'un corps mortel, puisque tout sera glorieux et divin en lui, et par là même, sans comprendre précisément comment je vous le donne, vous concevriez assez qu'il ne faut pas juger de cette manducation par les sens grossiers comme des autres nourritures. Vous ne douteriez plus non plus de ma puissance quand vous me verriez revêtu de celle de mon Père.

× VI,64

Spiritus est qui vivificat; ¦ C'est l'esprit qui vivifie; la chair

caro non prodest quidquam; ¦ ne sert de rien; or les paroles que

verba quae ego locutus sum ¦ je vous ai dites sont esprit et vie.

vobis, spiritus et vita sunt. ¦

Vous qui êtes des hommes de chair, qui jugez de tout par vos sens et ne croyez possible que ce qui est conforme à vos sens, sachez que ce n'est pas ainsi qu'il faut juger. C'est l'Esprit-Saint qui vivifie l'âme. Il faut juger des choses divines d'après les grâces et les lumières de ce divin Esprit. Comme toute vie vient de l'Esprit, ce n'est que ce même Esprit divin qui peut les connaître, et par conséquent ce n'est qu'en ce divin Esprit et en ses lumières qu'il faut les examiner; les gens ne peuvent pas connaître et examiner ces choses, parce qu'ils ne connaissent et ne possèdent pas la vie; et comme ce n'est que l'Esprit divin qui peut donner la vie, ce n'est qu'en lui et par lui qu'on peut l'acquérir, mais le travail des sens ne peut servir de rien pour cela: Spiritus est qui vivificat. C'est l'Esprit qui vivifie, c'est en lui qu'il faut examiner et chercher tout ce qui est esprit et vie. Caro non prodest quidquam, la chair n'est bonne et utile à rien en cela; c'est-à-dire, vos sens humains et charnels ne peuvent vous servir à rien dans la considération de ces choses, ce n'est pas d'après eux que vous pourrez les comprendre et les posséder: les paroles que je vous ai dites, les choses que je viens de vous annoncer et qui vous scandalisent tant, Spiritus et vita sunt, sont précisément dans ce nombre de choses divines qu'il ne faut examiner et concevoir qu'en l'Esprit-Saint, par la grâce divine et non par les sens; et alors, parce que ce sont des grâces de l'Esprit-Saint, elles sont esprit même et faites pour pénétrer dans le fond de l'âme d'une manière surnaturelle et divine, et si on les reçoit dans l'Esprit-Saint, alors elles donnent la vie, elles entrent dans l'âme et la vivifient, parce qu'elles sont vie. Mais si on les examine par les sens purement charnels, elles ne peuvent pas entrer dans l'âme, parce que la chair est incapable de cela, non prodest quidquam, et alors, au lieu de la vie, il en résulte le scandale.

Et cela est assez expliqué par ce que dit saint Paul: que l'Esprit combat contre la chair, et la chair contre l'Esprit [cf. Gal. 5,17]. L'âme ne voulant prendre les choses que par les sens et la chair résiste nécessairement, et l'Esprit lui-même au lieu d'entrer la heurte et la repousse. Bienheureux donc ceux qui prennent ces paroles dans l'Esprit de grâces et dans la vraie foi, ils recevront la vie en eux; et malheur à ceux qui restent toujours dans les vues de leurs sens et de leur chair et qui ne veulent croire que ce qu'ils sentent, ceux-là n'auront pas ces paroles en eux et par conséquent n'auront pas la vie.

× VI,65

Sed sunt quidam ex vobis qui ¦ Mais il en est parmi vous quelques-

non credunt. Sciebat enim ab ¦ uns qui ne croient point. Car Jésus

initio Jesus qui essent non ¦ savait, dès le commencement, qui

credentes, et quis traditurus ¦ étaient ceux qui ne croyaient pas, et

esset eum. ¦ celui qui devait le trahir.

Mais ces paroles de vie ne prennent [pas] sur vous tous, car, quoiqu'il en soit ainsi, il y [en] a quelques-uns parmi vous qui ne croient pas, et c'est ce qui fait que ces paroles ne sont pas pour eux des paroles de vie. L'évangéliste ajoute que Jésus savait quels étaient ceux qui ne croyaient pas, avant qu'ils ne se déclarassent et ne s'en allassent, et même celui qui devait le livrer plus tard. Cependant ce divin Seigneur a eu la bonté de traiter ces disciples infidèles avec la même douceur que les autres, et le traître avec la même familiarité que ses Apôtres.

× VI,66

Et dicebat: propterea dixi ¦ Et il disait: C'est pourquoi je vous

vobis [quia] nemo potest ¦ ai dit que nul ne peut venir à moi,

venire ad me, nisi fuerit ei ¦ s'il ne lui est donné par mon Père.

datum a Patre meo. ¦

Notre-Seigneur continue de parler à ces disciples infidèles. Je sais qu'il y en a qui ne croient pas. Voilà pourquoi je vous ai dit que personne ne peut venir à moi sans qu'il lui soit donné de mon Père de venir. Ce n'est pas par des vues humaines, ni même par la satisfaction et l'attraction du plaisir qu'on éprouve, par les douceurs et suavités que donnent aux âmes mes paroles et les vérités que j'annonce, qu'on vient à moi. Car, ceux-là ne viennent pas à Notre-Seigneur, ce n'est qu'à eux-mêmes qu'ils vont, parce qu'en s'approchant du divin Sauveur c'est eux-mêmes qu'ils cherchent. D'ailleurs ces âmes ne restent pas. Tôt ou tard elles quittent et rentrent dans les voies ordinaires de la perdition. C'est maintenant encore la même chose et on saurait bien souvent discerner les âmes qui ne persévéreront pas, parce que très souvent on voit clairement la mauvaise disposition avec laquelle elles viennent.

Ici est renfermée une grande instruction pour les directeurs de âmes, qui regardent souvent beaucoup trop les caractères des personnes et leur naturel, et ne font pas assez attention à la grâce divine. Une âme qui vient, ils ne font pas attention au degré de grâce qu'on voit en elle, mais si elle est de nature à persévérer (32). Ce n'est pas la nature qui donne la persévérance, mais la grâce. Notre divin Maître, prévoyant que ces gens-là ne persévéreront pas, ne leur dit pas: Ceux qui ont le caractère trop léger ne persévéreront pas, mais il leur dit: Nemo venit ad me, nisi Pater traxerit eum. Il fait dépendre tout de la grâce, et veut fixer toute la force de notre attention là-dedans. Les caractères fermes semblent quelquefois persévérer, ils persévèrent réellement parce qu'ils tiennent à une chose résolue une bonne fois, mais ce n'est pas à Notre-Seigneur qu'ils vont, mais à eux-mêmes, à moins que le grâce divine ne les y tienne enchaînés par les douces chaînes d'amour et de suavité. Il est bien vrai que plus la malice du péché qui gâte tout est en nous, plus nous avons besoin d'une plus grande grâce, et ceux dont le caractère a plus d'opposition à un bien ont besoin aussi d'une plus grande grâce; mais il ne faut pas trop s'arrêter à cela. Il faut que le directeur observe cela, autrement il ne peut pas guider ces âmes; mais il faut que sa grande et principale attention soit fixée sur l'action de la grâce dans les âmes. Il faut qu'il fasse travailler ses enfants spirituels à combattre fortement les vices et défauts, mais [il doit] fixer davantage leur attention et leur soin du côté de la grâce divine, pour l'augmenter, la fortifier, la faire désirer ardemment et la faire estimer par-dessus toutes chose, plutôt que de les fixer presque uniquement vers ce combat contre leurs vices, comme sur un combat qu'ils auront corps à corps. Ce combat est entre l'Esprit-Saint et leur chair; le travail de l'âme en cela doit être plus ou moins fort, selon le plus ou le moins de combat que l'on voit entre l'Esprit-Saint et la chair, c'est-à-dire selon le plus ou moins que l'on voit que la grâce agit contre. Si l'Esprit-Saint travaille pour elle, elle n'a pas besoin de travailler tant, et la besogne sera mieux faite. Dans tous les cas, lui faire toujours voir toute la force dans la grâce et non en elle, à l'exemple du grand Maître des âmes.

× VI,67

Ex hoc multi discipulorum ¦ Dès lors, beaucoup de ses disciples

ejus abierunt retro; et jam ¦ s'en retournèrent en arrière, et ils

non cum illo ambulabant. ¦ n'allaient plus avec lui.

Un grand nombre de ses disciples, qui étaient ceux dont parlait Notre-Seigneur, se voyant découverts, et dégoûtés entièrement, cessèrent dès ce moment de suivre Notre-Seigneur, et s'en retournèrent en arrière, c'est-à-dire se retirèrent de la voie de perfection que Notre-Seigneur enseignait, et retournèrent dans leur première vie de la chair et du sang. Cela signifie encore qu'étant avec Notre-Seigneur, quoique sans une foi pure et véritable, ils étaient rapprochés de Dieu; et lorsqu'ils se retirèrent de Notre-Seigneur, ils retournèrent en arrière en s'éloignant de Dieu, car s'éloigner de Dieu c'est se retirer en arrière, parce que nous devons toujours aboutir vers Lui.

× VI,68

Dixit ergo Jesus ad duodecim: ¦ Jésus donc dit aux douze: Et vous,

Numquid et vos vultis abire? ¦ voulez-vous aussi vous en aller?

Notre-Seigneur connaissait bien ceux qu'il avait choisis; et il ne leur dit cela que pour les éprouver, afin de leur donner lieu de produire un acte de foi plus fervent et d'augmenter, par là, leur foi et leur amour.

× VI,69

Respondit ergo ei Simon ¦ Mais Simon-Pierre lui répondit:

Petrus: Domine, ad quem ¦ Seigneur, à qui irions-nous? Vous

ibimus? Verba vitae aeternae ¦ avez des paroles de vie éternelle.

habes. ¦

Toute l'Eglise était donc renfermée dans ces douze, les autres s'en étant allés. Notre-Seigneur demande compté à cette petite église de ses sentiment envers lui, et c'est le chef qui répond pour toute l'église. Dans ces circonstances où les Apôtres doivent faire une profession de foi, c'est toujours Pierre qui répond, c'est Pierre qui doit répondre de la foi de l'Eglise qui lui est confiée; aussi a-t-il le dépôt assuré de la foi en partage. Les paroles de Pierre sont remarquables et montrent la ferveur de sa foi et son attachement ardent et irrévocable à son Maître: ad quem ibimus? S'il eût fallu quitter Notre-Seigneur, il ne savait plus où aller; ceux qui venaient de quitter savaient bien où aller: ils s'en retournèrent dans le monde. Mais Pierre avait quitté avec tant de générosité et de ferveur ce misérable monde qu'il l'avait entièrement oublié et ne savait plus où aller, s'il eût fallu quitter ; son esprit l'avait entièrement perdu de vue, et son coeur avait toutes ses affections en son Maître et dans les divines paroles qu'il leur disait sans cesse. Pierre n'a quitté qu'un filet mais avec des dispositions si parfaites, qu'avec ce filet il a quitté le monde entier, et ne voulait plus en entendre parler.

A qui irons-nous? Vous avez les paroles de la vie éternelle. Notre unique désir est en vous, notre souverain Maître, nous ne voulons penser qu'à vous, et notre unique joie et notre unique bonheur est dans les paroles divines, si pleines de grâces, qui sortent de votre bouche adorable, et qui nous pénètrent d'amour et de suavité. Ces paroles sont des paroles de vie et de la vie éternelle, elles nous la donnent cette vie pour laquelle vous êtes venu, et nous ne voulons d'autre vie que celle-là. Et pourquoi donc, mon bien cher Maître, nous demandez-vous, si nous voulons vous quitter aussi? Oh non, nous ne voulons pas vous quitter, mais nous voulons nous attacher de plus en plus à vous, car, personne autre que vous [n']a cette parole de vie qui nous réjouit tant et qui nous vivifie: ad quem ibimus? Toute âme fidèle doit tenir ce discours à son bien-aimé. C'est le premier chef de l'Eglise qui l'a dit en son nom, aussi bien qu'au nom de ceux qui étaient alors avec lui.

× VI,70

Et nos credidimus, et ¦ Pour nous nous avons cru, et nous

cognovimus, quia tu es ¦ avons connu que vous êtes le Christ,

Christus Filius Dei. ¦ le Fils de Dieu.

Et nous, nous ne sommes pas comme ces infidèles qui ne croyaient pas; nous croyons et sommes bien sûrs que vous êtes le Christ, Fils de Dieu. Saint-Pierre ne comprenait pas, non plus que les autres, le sens des paroles de Notre-Seigneur qui les scandalisaient tant; il trouvait cependant que c'étaient des paroles de vie, et il en dit la raison ici. Parce qu'il avait une foi vive et éclairée sur la divinité de Notre-Seigneur et sur sa Mission, et, étant animé de cette foi vivante, il était de plus en plus docile à cette grâce divine, qui le portait à se soumettre et à s'attacher en tout et au-dessus de tout à Notre-Seigneur. Jamais la moindre disposition de résistance en son esprit, mais au contraire une grande disposition de souplesse et de docilité à son Maître et à toutes ses paroles; et de plus, jamais de murmures, ni d'aigreur ou mécontentement dans son coeur, mais au contraire un amour tendre, affectueux et toujours croissant pour son Maître. Par un effet de la même grâce divine, saint Pierre, ainsi toujours souple et docile à la grâce qui le conduisait, était toujours disposé à écouter son Maître, et à recevoir les grâces et les lumières renfermées dans ses paroles divines; voilà pourquoi, sans qu'il les comprit, elles lui faisaient toujours le même effet.

× VI,71

Respondit Jesus: Nonne ego ¦ Jésus leur répondit: N'est-ce pas moi

vos duodecim elegi? et ex ¦ qui vous ai choisi tous les douze?

vobis unus diabolus est. ¦ Cependant l'un de vous est un diable.

× VI,72

Dicebat autem Judam Simonis ¦ Il parlait de Judas Iscariote, fils

Iscariotem; hic enim erat ¦ de Simon: car c'était lui qui devait

traditurus eum, cum esset ¦ le trahir, quoiqu'il fût l'un des

unus ex duodecim ¦ douze.

Saint Pierre répond hardiment pour tous, parce qu'il se fiait dans le choix de son Maître, par un effet de la même foi. Jésus [en] avait choisi douze pour juger les douze tribus d'Israël; saint Pierre se tenait par là assuré que tous étaient dans les mêmes sentiments que lui, parce que son Maître connaissait bien ceux qu'il choisissait. C'est pourquoi Notre-Seigneur lui répond: n'[en] ai-je pas choisi douze et cependant il y a même encore parmi ces douze un diable. Il dit diable, terme qui annonce une malice excessive. il disait cela de Judas d'Iscariote, mais les Apôtres, ne sachant pas lequel d'[entre] eux serait ce diable, ont dû se tenir dans la défiance d'eux-mêmes. Notre-Seigneur pourra leur avoir dit cela pour que cette belle confession n'enflât pas leur coeur et ne leur donnât pas trop de confiance en leurs forces.

Par ces paroles, on peut voir que Judas était mauvais même pendant presque tout le temps qu'il a été à la suite de Notre-Seigneur, et que ce n'est pas par une tentation subite qu'il tomba, puisque, dès ce moment, Notre-Seigneur lui donne le nom de diable qui indique dès lors une malice extraordinaire.

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Caput VIIm

[Chapitre septième× ]×

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× VII,1

Post haec autem ambulabat ¦ Après cela Jésus parcourait la

Jesus in Galilaeam: non enim ¦ Galilée: car il ne voulait pas

volebat in Judaeam ambulare, ¦ parcourir la Judée, parce que les

quia quaerebant eum Judaei ¦ Juifs cherchaient à le faire mourir.

interficere. ¦

× VII,2

Erat autem in proximo dies ¦ Or approchait la fête des Juifs, la

festus Judaeorum, Scenopegia. ¦ fête des tabernacles.

La fête des tabernacles approchait, et Jésus, au lieu de se diriger vers Jérusalem pour y passer les jours précédents pour se préparer à la fête, alla au contraire dans la Galilée.

La fête était très proche et il était temps de se rendre à Jérusalem pour y arriver à temps; et par conséquent la foule était à Jérusalem et naturellement Jésus devait y aller pour prêcher. Mais la volonté du Père n'était pas qu'il y allât encore, parce que les Juifs cherchaient à le mettre à mort, parce qu'il avait enfreint la loi du sabbat, et parce qu'il se donnait pour Fils de Dieu égal à don Père. Les aveugles regardaient cela comme un mensonge et voulaient le traiter comme un faux prophète. L'évangéliste dit que Jésus ne voulait pas monter: mais d'après ce que Notre-Seigneur a dit plus haut, il ne faisait jamais sa volonté, mais celle de son Père; on peut conclure qu'il ne voulait pas parce que ce n'était pas la volonté de son Père. Il n'avait pas à craindre la persécution des Juifs, sachant que son temps de mourir pour les péchés des hommes n'était pas venu, et que par conséquent les Juifs ne pouvaient rien sur lui, comme il le dit lui-même dans un autre endroit; mais il entrait dans les volontés secrètes de son Père, qui étaient qu'il ne s'exposât pas encore à leurs poursuites, et qu'il attendît le jour même de la fête; et alors il savait bien se tirer de leurs mains et les empêcher de le saisir ou de lui faire le moindre mal.

× VII,3

Dixerunt autem ad eum fratres ¦ Ses frères donc lui dirent: Pars

ejus: Transi hinc, et vade in ¦ d'ici et va en Judée, afin que les

Judaeam, ut et discipuli tui ¦ disciples voient, eux aussi, les

videant opera tua quae facis. ¦ oeuvres que tu fais.

× VII,4

Nemo quippe in oculto quid ¦ Car personne n'agit en secret,

facit, et quaerit ipse in ¦ lorsqu'il cherche lui-même à paraître

palam esse; si haec facis, ¦ en public; puisque tu fais de telles

manifesta teipsum mundo. ¦ choses, manifeste-roi au monde.

× VII,5

Neque enim fratres ejus ¦ Car ses frères mêmes ne croyaient pas

credebant in eum. ¦ en lui.

Les parents de Notre-Seigneur ne connaissaient pas les mystères qui s'étaient opérés dans son Incarnation et sa naissance; ils le croyaient aussi, comme les autres Juifs, fils de Joseph, et n'avaient pas plus de foi que le grand nombre. Ils savaient qu'il s'était fait une haute réputation et s'est acquis un grand nombre de disciples, par la puissance extraordinaire de ses oeuvres et de sa doctrine. Ils ne pouvaient ignorer la multitude innombrable de ses miracles qui retentissaient par toute la Judée et la Galilée, et ne pouvaient manquer de reconnaître la vérité de ces faits si extraordinaires et de la grande autorité qu'il avait acquise sur tous les peuples; mais de cela à la foi il y a encore beaucoup de chemin à faire, et ils n'en avaient pas plus que le très grand nombre et même moins, parce que étant parents, les vues temporelles étaient de plus grands obstacles pour eux.

Ils croyaient que Notre-Seigneur faisait toutes ces choses pour s'acquérir un nom et pour attirer le monde à lui; voilà pourquoi ils lui dirent: Tous ceux qui cherchent à avoir une renommée paraissent en public et ne font pas leurs oeuvres en cachette. Voilà tout le peuple à Jérusalem; manifestez-vous au monde si vous faites ces grandes choses, afin que vos disciples vous voient agir de la sorte et vous suivent. Ils raisonnaient bien selon l'esprit qui les animait, l'esprit du monde; et ils prêtaient les mêmes sentiments à Notre-Seigneur, et ne voyaient pas que toute sa conduite était divine et en la plus grande opposition avec toutes les maximes du monde par lesquelles ils voulaient le faire agir.

× VII,6

Dixit ergo eis Jesus: Tempus ¦ Mais Jésus leur dit: Mon temps n'est

meum nondum advenit; tempus ¦ pas encore venu, mais votre temps est

autem vestrum semper est ¦ toujours prêt.

paratum. ¦

Il est probable que les parents de Notre-Seigneur étaient sur le point de partir pour se rendre à Jérusalem (cela paraît par la suite de tout ce passage) et ils engagèrent Notre-Seigneur de partir avec eux. Ces mots: transi hinc disent: venez ici avec nous. Ils désiraient cela probablement par une suite de leur vanité, afin que tout le monde voie que ce grand prophète était des leurs. Voilà pourquoi Notre-Seigneur répond: Je ne veux pas aller avec vous, parce que mon temps d'y aller n'est pas encore venu. Le vôtre est toujours prêt parce que vous faites en tout votre propre volonté, vous ne suivez que vos goûts et vos satisfactions. De plus personne ne vous empêche d'aller à Jérusalem; mais il n'en est pas ainsi de moi. C'est mon Père qui décide de toutes mes démarches et de toutes les circonstances dans lesquelles elles doivent s'exécuter, et cette divine volonté n'a pas déclaré que je dois y aller avec vous.

× VII,7

Non potest mundus odisse vos; ¦ Le monde ne peut pas vous haïr: pour

me autem odit, quia ¦ moi il me hait, parce que je rends de

testimonium perhibeo de illo, ¦ lui ce témoignage que ses oeuvres

quod opera ejus mala sunt. ¦ sont mauvaises.

Notre-Seigneur continue: Vous n'avez rien à risquer de monter à Jérusalem; le monde ne peut pas vous haïr parce que vous lui appartenez, vous professez toutes ses maximes et vous vous soumettez à toutes ses lois de perversion, et le monde ne peut pas se haïr lui-même. Mais il n'en est pas ainsi de moi; le monde me hait, parce que je rends témoignage contre lui et contre ses oeuvres. Je le condamne par tout ce qui est en moi et par toute ma conduite, je m'oppose de toute ma puissance à tout ce qui est en lui et à toutes ses oeuvres, parce qu'elles sont mauvaises; de là résulte que le monde m'a en haine, il s'établit un choc entre le monde et moi, parce qu'il ne trouve pas en moi ce qui lui appartient mais ce qui le juge, le condamne et le détruit.

× VII,8

Vos ascendite ad diem festum ¦ Montez, vous, à cette fête; pour moi

hunc, ego autem non ascendo ¦ je n'y vais point, parce que mon

ad diem festum istum, quia ¦ temps n'est pas encore accompli.

meum tempus nondum impletum ¦

est. ¦

× VII,9

Et cum haec dixisset, ipse ¦ Ce qu'ayant dit, il demeura en

mansit in Galilaea. ¦ Galilée.

C'est pourquoi, vous, montez maintenant à ce jour de fête, vous n'avez rien à risquer, personne ne cherche à vous faire du mal; mais moi je ne monterai pas encore à ce jour de fête qui approche parce que mon temps n'est pas encore rempli. Quand mon Père me dira de monter, je monterai; maintenant qu'il ne me l'a pas dit pour ce moment, je ne monterai pas avec vous. Et en disant cela, il les laissa partir seuls et resta dans la Galilée.

× VII,10

Cum ascenderunt fratres ejus, ¦ Lorsque ses frères furent partis, il

tunc et ipse ascendit ad diem ¦ alla aussi lui-même à la fête, non

festum non manifeste, sed ¦ publiquement, mais comme en cachette.

quasi in occulto. ¦

Quand ses parents furent partis, Jésus y monta aussi, lorsque son temps fut venu. Son Père voulait qu'il ne parût, ce jour de fête, que tout à coup quand tout le peuple serait réuni, et qu'avant ce temps personne ne sût qu'il était à Jérusalem; voilà pourquoi il ne s'en alla que lorsque tout le monde était déjà parti, afin de ne rencontrer personne en route, pour être ignoré de tout le monde.

Quoique Notre-Seigneur eût dit à ses parents qu'il ne monterait pas pour cette fête, il ne voulait pas dire qu'il ne monterait pas du tout; mais il s'agissait de partir avec eux, et il ne parlait que de cela quand il leur dit qu'il n'irait pas. Et ses parents ont dû même l'avoir compris ainsi, puisqu'il leur avait dit qu'il n'y allait pas, parce que son temps n'était pas encore accompli; seulement comme il ne leur dit pas qu'il viendrait plus tard, ils ont dû être dans l'incertitude s'il viendrait ou non; mais il ne faut pas croire qu'il ait voulu les induire en erreur en leur disant des paroles équivoques, car il n'y avait pas en lui Est et Non.

× VII,11

Judaei ergo quaerebant eum in ¦ Les Juifs donc le cherchaient pendant

die festo, et dicebant: ¦ la fête et disaient: Où est-il?

Ubi est ille? ¦

Les Juifs s'attendaient à le voir arriver à la fête, selon sa coutume, et, ne le voyant pas, ils le cherchèrent partout, et se disaient mutuellement: Où est-il ce grand prophète, cet homme si merveilleux? Mais il paraît plutôt que ceux qui le cherchaient étaient les chefs du peuple, et pour le faire mourir. Et ils disaient: où est ce séducteur ou ce faux prophète?

× VII,12

Et murmur multum erat in ¦ Et il y avait une grande rumeur dans

turba de eo. Quidam enim ¦ le peuple à son sujet. Les uns

dicebant: Quia bonus est. ¦ disaient en effet: Il est bon; mais

Alii autem dicebant: Non, sed ¦ d'autres disaient: Non, car il séduit

seducit turbas. ¦ la foule.

Le peuple, voyant qu'on le cherchait ainsi pour lui faire du mal, murmurait les uns avec les autres. Car quelques-uns, voyant que les princes le persécutaient, murmuraient et disaient qu'il était bon et un véritable prophète; d'autres au contraire, séduits par le sentiment des Juifs, disaient qu'il n'était pas bon mais qu'il séduisait la foule. Les pharisiens savaient si bien cacher leur jalousie et leur haine, que plusieurs parmi le peuple croyaient réellement que ce fut par un zèle pur de la loi qu'ils faisaient ces persécutions contre Notre-Seigneur; et ces pauvres gens prenaient leur parti, croyant que celui qui était venu s'immoler pour les péchés des hommes, et pour les délivrer de la séduction des démons et de la chair, était lui-même un séducteur.

× VII,13

Nemo tamen palam loquebatur ¦ Cependant personne ne parlait de lui

de illo, propter metum ¦ ouvertement par crainte des Juifs.

judaeorum. ¦

On n'osait cependant pas trop manifester les sentiments en sa faveur, par la crainte qu'on avait des Juifs, parce que dès lors ils étaient disposés à persécuter ceux qui étaient pour Notre-Seigneur aussi bien que Notre-Seigneur lui-même.

× VII,14

Jam autem die festo mediante, ¦ Or, vers le milieu du jour de la

ascendit Jesus in templum, ¦ fête, Jésus monta au temple, et il

et docebat. ¦ enseignait.

Après que Jésus nous a donné l'exemple pour les précautions ordinaires qu'il faut prendre dans les choses divines, quoiqu'on soit sûr du secours de Dieu, il monte au temple vers le milieu du jour de fête, sans rien craindre, car il savait que son heure n'était pas encore venue. Il ne voulait pas monter dès le commencement du jour, il savait que les Juifs l'attendraient en ce moment pour se saisir de lui, et il n'était pas de la volonté de son Père qu'il manifestât sa puissance dans cette circonstance; c'est pourquoi il laissa passer le premier moment de la vigilance des pharisiens, et il se présenta ensuite pour annoncer sa doctrine. Il parla donc du royaume de Dieu au milieu du temple, et cela toujours avec sa puissance et ses grâces ordinaires.

× VII,15

Et mirabantur Judaei, ¦ Et les Juifs s'étonnaient, disant:

dicentes: Quomodo hic ¦ Comment celui-ci sait-il les

litteras scit, cum non ¦ Ecritures, puisqu'il ne les a point

didicerit? ¦ apprises?

Les Juifs qui le persécutaient, l'entendant parler d'une manière si admirable, étaient étonnés de cela, et se disaient: comment cet homme peut-il si bien parler, n'ayant jamais été instruit? Ces hommes s'occupaient sans cesse de la science de la loi, et estimaient la science au-dessus de tout, s'imaginant qu'ils étaient les seuls maîtres, après tous les travaux et les peines qu'ils se donnaient dans l'étude de leur science; et voyant Notre-Seigneur parler si facilement, et ayant des paroles pleines de grâces qui touchaient tout le monde, ils étaient étonnés de cela, sachant qu'il n'avait pas étudié comme eux; car il paraît qu'ils avaient pris des informations sur lui et sur sa première jeunesse. Ils ne pouvaient s'expliquer cette merveille, et n'ayant pas de foi, ils ne pensaient pas que cette doctrine venait d'en haut, mais ils croyaient qu'il l'avait inventée de son propre fonds comme les philosophes.

× VII,16

Respondit eis Jesus, et dixit: ¦ Jésus leur répondit et dit: Ma

Mea doctrina non est mea, ¦ doctrine n'est pas de moi, mais de

sed ejus qui misit me. ¦ celui qui m'a envoyé.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur dit: ma doctrine que vous entendez et que vous admirez tant, n'est pas la mienne, ce n'est pas une invention comme vous le croyez. Ce n'est pas des hommes que l'ai apprise et ce n'est pas de moi que je l'ai inventée. Mais elle est de celui qui m'a envoyé. En effet la lumière et la science qui étaient en Notre-Seigneur étaient la lumière éternelle du Père qui étaient substantiellement en lui, et toute la doctrine qu'il enseignait par sa bouche humaine n'était rien autre chose que l'expression extérieure de l'enseignement ou communication que l'humanité recevait de la science éternelle qui était cachée; et tous les traits de lumière qu'elle portait dans les âmes n'étaient que des écoulements de cette adorable lumière qui se répandait sur les âmes par la parole divine.

Cette doctrine divine appartenait à l'humanité de Notre-Seigneur par la faveur de l'union hypostatique du Verbe avec elle; mais elle appartenait originairement et essentiellement au Père, n'étant qu'un rejaillissement de la lumière du Verbe qu'il a donné à l'humanité sainte. Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit: mea doctrina, cette doctrine qui m'appartient, n'est cependant pas mienne originairement, mais [elle est] à celui qui m'a envoyé. C'est le Père qui a envoyé sur la terre sa lumière, sa sagesse et science substantielle et essentielle; c'est à moi qu'il l'a donnée, mais pour vous en communiquer une participation. Par conséquent, je ne dois pas me l'attribuer à moi comme étant sortie de moi, mais du sein de celui qui m'a envoyé.

On peut aussi expliquer ces mots: mea doctrina [de cette manière]: la doctrine que je vous enseigne. Le terme mea serait impropre, et quoique terme faux en sa signification stricte, Notre-Seigneur l'aurait employé comme usité dans ce sens parmi les hommes, comme on dit la loi de Moïse, et cependant ce n'est pas Moïse qui l'a inventée.

On peut expliquer aussi autrement les termes: sed ejus qui misit me. Parce que Notre-Seigneur, dans toute sa doctrine, n'enseigne rien que les volontés de son Père qu'il manifeste aux hommes, alors le fond et la substance de cette doctrine étant la volonté de son Père et non la sienne, cette doctrine est donc celle du Père et non la sienne. - Mais cette explication revient à peu près à la première. Pourquoi le Père a-t-il envoyé sa lumière substantielle sur la terre et la fait-il communiquer aux hommes? C'est pour leur intimer ses volontés et leur donner des grâces pour les accomplir.

× VII,17

Si quis voluerit voluntatem ¦ Si quelqu'un veut faire sa volonté,

ejus facere, cognoscet de ¦ il connaîtra, touchant ma doctrine,

doctrina utrum ex Deo sit, an ¦ si elle est de lui ou si je parle de

ego a meipso loquar. ¦ moi-même.

Si quelqu'un veut faire la volonté de celui qui m'a envoyé, c'est-à-dire de mon Père céleste, la doctrine que j'enseigne lui apprendra par elle-même si elle est de Dieu ou si je parle de moi seul.

C'est là une grande merveille de la divine doctrine de Notre-Seigneur: elle n'a pas besoin de preuve ni de témoignage. On n'a besoin que de l'annoncer, pour la faire recevoir de ceux qui veulent sincèrement faire la volonté de son Père. Ceux-là ne manquent jamais de reconnaître la voix de Dieu qui parle et ses volontés leur sont parfaitement exprimées dans cette sainte doctrine. Mais il faut être sérieusement disposé à faire la volonté de Dieu, et désirer de la connaître, autrement on restera aveugle comme auparavant. Il faut remarquer [que] Notre-Seigneur ne dit pas ceux qui veulent connaître, mais ceux qui veulent faire. La curiosité de l'esprit, quelque pieuse qu'elle soit, ne nous instruit pas de la parole de Dieu, mais les désirs du coeur nous obtiennent cette grâce insigne de reconnaître la doctrine du Père dans la parole de Notre-Seigneur.

Les raisons pour lesquelles cette sainte doctrine fait connaître sa divinité sont:

1° Par elle-même elle est si pure et si sainte qu'on y reconnaît sa source. Et en cela elle diffère infiniment des doctrines humaines. Celles-ci, quelque belles qu'elles soient, se ressentent toujours de leurs auteurs, dont les défauts et les imperfections y paraissent toujours, et surtout l'amour-propre et la recherche d'eux-mêmes; tandis que la doctrine de Notre-Seigneur ne ressent que la recherche de la gloire de son Père en tout, soit dans les préceptes qu'elle donne, soit dans la fin qu'elle propose, soit dans la manière dont elle est conçue et expliquée. C'est toujours la gloire de Dieu que l'on y trouve et sa volonté qu'elle nous transmet, et aucun autre sentiment humain: une doctrine semblable ne peut venir que de Dieu, et si elle avait pour principe un esprit humain elle ne serait pas si parfaitement divine dans toute son étendue et dans tout son contenu.

2° La doctrine de Notre-Seigneur fait encore bien mieux connaître qu'elle émane directement de Dieu, par ce qu'elle produit dans les âmes où elle entre. La doctrine d'un homme est une doctrine qui n'a pas d'efficace en elle, c'est une doctrine morte, ce sont des paroles qui expriment à l'intelligence les pensées d'un homme, par conséquent une chose qui lui est étrangère et qui, par soi, n'est pas vitale et lumineuse. C'est la communication d'une intelligence aveugle, faible et bornée, avec une autre intelligence aveugle, faible et bornée, et par conséquent [une] communication impuissante. Tandis que la doctrine qui vient de Dieu directement est une émanation de la pensée, c'est-à-dire du Verbe éternel du Père, c'est l'expression de cette adorable pensée qui est de toute l'éternité renfermée dans le sein du Père, qui est communiquée à notre intelligence par la grâce divine. Le Verbe éternel du Père devient, par là, la pensée de notre esprit et la nourriture de notre coeur par l'adhésion que notre volonté met pour goûter et savourer cette divine pensée que l'intelligence reçoit, pensée lumineuse, vivante et vivifiante. Cette pensée divine, émanant ainsi du sein de Dieu, est lumière et vie par elle-même et en elle-même; et nous, recevant communication et participation à cette adorable pensée par la grâce divine et selon la petite étendue de notre être et de notre pauvre capacité, nous recevons en nous la lumière et la vie; et, adhérant à cette lumière et à cette sainte vie, elle nous éclaire d'une manière admirable et nous vivifie. Cette lumière [et cette vie] est puissante et efficace par elle-même; elle est puissante, parce que c'est la lumière et la vie du Père et la toute-puissance du Père; elle est efficace (dans les âmes seulement qui sont de bonne volonté, selon la parole de Notre-Seigneur: Si quis voluerit... facere), parce que notre intelligence a été faite par elle et ne peut recevoir de lumière d'ailleurs; et notre volonté [a été] faite pour en jouir, et ne peut être pleinement ni véritablement satisfaite qu'en elle, parce que non seulement elle est lumière unique pour tout homme qui vient en ce monde, mais elle est encore toute vie, et hors de là notre volonté n'en trouve pas. Voilà pourquoi elle ne nous est pas un objet étranger, comme est une pensée d'une autre intelligence créée; nous sommes uniquement faits pour elle, et irrequietum est cor nostrum donec requiescat in eam [cf. saint Augustin, Confessions, I,1]. Dès que notre âme la reçoit, elle sent qu'elle a ce qu'elle devait avoir dès l'origine; d'ailleurs, cherchant à faire la volonté de Dieu, cette doctrine de Dieu nous communique cette divine volonté, et comme elle est vivifiante aussi bien que lumineuse, elle nous donne la force et la jouissance même, et la très grande jouissance dans l'accomplissement de cette adorable volonté. De plus cette doctrine divine n'est pas une doctrine procédant d'une intelligence bornée, elle nous satisfait pleinement; elle porte dans notre intelligence toute la mesure de lumière que nous pouvons porter, de manière qu'il ne lui reste plus rien à ajouter ni à retrancher, ni à modifier ni à changer, comme cela est toujours nécessaire dans les doctrines humaines, auxquelles chacun met sa modification pour les adapter à son esprit. Voilà pourquoi la doctrine divine est stable, parce qu'elle est en tous la même, et leur suffit sans restriction ni modification.

Mais toujours la condition nécessaire pour recevoir cette divine lumière et vie est qu'on soit de bonne volonté; et par conséquent, on ne peut pas reconnaître que la doctrine de Notre-Seigneur est émanée de son Père sans cette bonne volonté, parce qu'alors on n'éprouverait pas ces heureux effets, parce que la doctrine véritable ne se communiquerait pas à notre intelligence. Ce qui est divin en lui-même deviendrait humain pour nous, parce que nous ne prendrions pas Notre-Seigneur pour Maître, mais notre propre intelligence, et, au lieu de l'écouter pour qu'il nous instruise dans cette doctrine divine, nous la jugerions, et cela selon notre intelligence bornée et misérable, selon nos goûts, nos penchants, et selon les apparences de nos sens trompés par nos passions.

× VII,18

Qui a semetipso loquitur, ¦ Celui qui parle de lui-même cherche

gloriam propriam quaerit; qui ¦ sa propre gloire; mais qui cherche la

autem quaerit gloriam ejus ¦ gloire de celui qui l'a envoyé,

qui misit eum, hic verax est, ¦ celui-là est véridique et il n'y a

et injustitia il illo non est. ¦ point d'injustice en lui.

Outre la première preuve de sa mission, qui est sa doctrine, preuve qui n'est que pour les hommes de bonne volonté, Notre-Seigneur en donne ici une autre qui prouve pour tout le monde. Celui qui parle de lui-même cherche toujours sa propre gloire et rapporte tout l'honneur de sa doctrine à lui-même; de là celui qui cherche en toute sa doctrine la gloire de celui qui l'a envoyé est véridique dans la doctrine qu'il prêche au nom de celui qui l'a envoyé; elle doit venir nécessairement de celui qui l'a envoyé; et il n'y a aucune injustice en lui, pourvu que toutes ses paroles et toutes ses actions se fassent au nom et à la gloire de celui qui l'a envoyé. Il est vrai dans sa doctrine est juste dans sa conduite, puisque sa doctrine vient de celui qui l'a envoyé et sa conduite est conforme à sa doctrine. De cela les Juifs devaient conclure nécessairement que Notre-Seigneur était envoyé de son Père et qu'il n'annonçait que sa doctrine, puisque, dans toutes ses paroles et dans toute sa conduite, c'est toujours l'unique gloire de son Père qu'il cherchait. Notre-Seigneur leur avait déjà dit: Non quaero gloriam meam sed ejus qui misit me [cf. Jo. 8,50]. Et toutes ses paroles et toute sa conduite le manifestaient tellement que les Pharisiens étaient obligés de l'avouer, lorsqu'il s'agit par exemple du tribut de César. Ils disent: Maître, vous qui ne respectez pas les hommes (quand il s'agit de la gloire de Dieu) et qui ne considérez que Dieu seul etc. [cf. Lc. 20,21 et par.].

Par là Notre-Seigneur répond à deux choses: la première, il leur montre que sa doctrine n'est pas son invention mais celle de son Père; et en deuxième lieu il montre que sa conduite est juste et irrépréhensible parce que tout ce qu'il faisait, il ne le faisait que pour la gloire et par la volonté de son Père qui l'a envoyé.

× VII,19

Nonne Moises dedit vobis ¦ Moïse ne vous a-t-il pas donné la

legem, et nemo ex vobis facit ¦ loi? Cependant nul de vous n'observe

legem? ¦ la loi.

× VII,20

Quid me quaeritis interficere? ¦ Pourquoi cherchez-vous à me faire

Respondit turba, et dixit: ¦ mourir? Le peuple répondit et dit: Tu

Daemonium habes, quis te ¦ es possédé du démon: qui cherche à te

quaerit interficere? ¦ faire mourir?

Notre-Seigneur vient de montrer qu'il avait la loi se son Père à accomplir et que, dans toutes ses oeuvres et ses paroles, il devait agir par cette volonté et pour la gloire de son Père, étant envoyé par lui. Par là il est justifié entièrement sur le prétendu reproche qu'il avait agi contre la loi de Moïse; car, il n'avait pas agi contre, puisqu'il n'y était pas soumis, étant envoyé par son Père pour établir une nouvelle loi ou doctrine qu'il tenait de son Père. (Et si même il y était soumis, il ne le serait pas dans les choses où son Père lui disait d'agir autrement.) Et par conséquent la persécution des Juifs était injuste. Ici, il leur donne encore une autre raison, et leur reproche leur conduite. Car la loi de Moïse leur a été donnée à eux, pour qu'ils l'observassent; ils n'avaient aucune raison de s'en exempter comme Notre-Seigneur en avait, et cependant ils n'observaient pas cette loi; or, cela étant ainsi, en vertu de quoi veulent-ils faire mourir Notre-Seigneur? En vertu d'une loi qu'ils reprochent à Notre-Seigneur de ne pas observer, et à laquelle il n'est pas obligé? Mais eux-mêmes ne l'observent pas quoiqu'ils y soient obligés. Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur dit: N'est-ce pas à vous que Moïse a donné la loi? Et personne de vous ne l'observe; et si vous ne l'observez pas vous-mêmes pourquoi voulez-vous donc me faire mourir pour son inobservation?

On pourrait encore expliquer cela d'une autre manière: Notre-Seigneur vient de leur montrer qu'il est envoyé pour établir sa doctrine nouvelle. Ensuite il leur dit: Moïse ne vous a-t-il pas donné une loi dans laquelle il vous a parlé de moi et vous recommande de m'écouter et de m'obéir? (Ipsum audite.). Et personne de vous ne fait cette loi; car si vous l'observez, pourquoi au lieu de m'écouter voulez-vous me faire mourir?

Notre-Seigneur disait cela en général sans spécifier personne. Ceux qui avaient formé le dessein de le faire mourir comprenaient bien ce qu'il voulait dire; mais la foule qui croyait sans doute que c'était à eux que cela s'adressait - d'ailleurs un grand nombre ne savait sûrement pas que les princes du peuple avaient formé ce mauvais dessein -; se croyant donc accusés par Notre-Seigneur d'un si mauvais dessein dont ils étaient éloignés pour le moment, et ayant peu ou point encore de foi, ils se fâchèrent de cela et lui parlèrent d'une manière indigne.

Mais Notre-Seigneur ne leur répondit pas à cette insulte, et continua de parler à ceux à qui il parlait auparavant, et comme si son discours s'adressait à la foule.

× VII,21

Respondit Jesus, et dixit ¦ Jésus répliqua et leur dit: J'ai fait

eis: Unum opus feci, et omnes ¦ une seule oeuvre, et vous êtes tous

miramini. ¦ étonnés.

× VII,22

Propterea Moises dedit vobis ¦ Cependant Moïse vous a donné la

circumcisium; (non quia ex ¦ circoncision (bien qu'elle ne soit

Moise est, sed ex patribus) ¦ pas de Moïse, mais des patriarches);

et in sabbato circumciditis ¦ et vous circoncisez le jour du

hominem ¦ sabbat.

× VII,23

Si circumcisionem accipit homo ¦ Or, si un homme reçoit la

in sabbato, ut non solvatur ¦ circoncision le jour du sabbat, afin

lex Moisi; mihi indignamini, ¦ que la loi de Moïse ne soit point

quia totum hominem sanum ¦ violée, comment vous indignez-vous

feci in sabbato. ¦ contre moi, parce que j'ai rendu un

¦ homme sain tout entier un jour de

¦ sabbat?

Ici Notre-Seigneur leur montra leur tort même d'après leurs usages et traditions. Pour comprendre ce raisonnement il faut savoir: 1° Que la loi de Moïse [cf. Lev., 12,3] ordonnait de circoncire les enfants au huitième jour. Cette loi date d'Abraham, [cf. Gen. 17,10], mais elle a reçu une nouvelle force par Moïse. 2° Les traditions des Juifs, qui regardaient comme un manquement à la loi de faire des remèdes le jour du sabbat, regardaient aussi comme un péché, et même plus grand peut-être, mais au moins aussi grave, de répandre du sang, de faire une plaie. C'était un des travaux défendus et punis de mort. 3° Cependant la tradition veut que quand le huitième jour d'un enfant tombe le jour du sabbat, on fasse la circoncision ce jour, non parce que cette loi est plus ancienne que celle de Moïse, mais parce que la loi de Moïse ordonne que la circoncision d'un enfant se fasse le huitième jour; tellement que, hors le cas du huitième jour, la circoncision ne pouvait jamais se faire le sabbat. 4° Il faut savoir que, d'après ces traditions, une raison de santé était suffisante pour permettre la circoncision du huitième jour à un autre temps; et cela était autorisé par la conduite de Moïse, qui n'a pas fait circoncire les Israélites tout le temps qu'ils étaient à voyager dans les déserts.

D'après cela on comprend ce raisonnement de Notre-Seigneur auquel les Pharisiens ne pouvaient répondre. J'ai fait une oeuvre le jour du sabbat, et vous voilà tous dans l'étonnement parce que j'ai enfreint la loi du sabbat. Cependant, je vais vous montrer que vous en faites autant avec une raison inférieure à la mienne (propterea). Vous circoncisez un enfant le huitième jour, et par là enfreignez plus gravement les lois et vos traditions que je n'ai fait, et vous ne le faites que pour ne pas manquer à une loi se Moïse, qui ordonne en général la circoncision d'un enfant le huitième jour, quoiqu'elle ne spécifie pas le sabbat. Après cela vous vous irritez contre moi, parce que j'enfreins une loi moins grave de vos traditions pour une raison plus importante, puisqu'il s'agissait de guérir un homme tout entier. Cependant la santé d'un homme doit passer avant une loi particulière. La circoncision est inférieure à la santé entière d'un homme d'après ces mêmes traditions. D'ailleurs la loi de la charité va avant tout autre loi.

× VII,24

Nolite judicare secundum ¦ Ne jugez point sur l'apparence, mais

faciem, sed justum judicium ¦ rendez un juste jugement.

judicate. ¦

Par tout ce que Notre-Seigneur leur vient de dire il leur prouve qu'en justice ils ne devaient pas chercher à le faire mourir, et que, s'ils le voulaient faire mourir, c'est en cela même qu'ils enfreignaient la loi qui leur défend de juger selon les préventions particulières, mais selon la justice; et il était évident qu'en ce jugement ils ne jugeaient pas selon la justice, mais par haine contre Notre-Seigneur.

× VII,25

Dicebant ergo quidam ex ¦ Quelques-uns de Jérusalem disaient

Jerosolymis: Nonne hic est ¦ donc: N'est-ce pas là celui qu'ils

quem quaerunt interficere? ¦ cherchent à faire mourir?

× VII,26

Et ecce palam loquitur, et ¦ Et voilà qu'il parle publiquement, et

nihil ei dicunt. Numquid ¦ ils ne lui disent rien. Les chefs du

vere cognoverunt principes ¦ peuple auraient-ils réellement

quia hic est Christus? ¦ reconnu que c'est lui qui est le ¦ Christ?

Là-dessus arrivèrent quelques-uns qui demeuraient à Jérusalem même et qui savaient mieux que la foule des étrangers ce que méditaient leurs chefs; ils avaient entendu dire que les princes du peuple avaient conjuré la mort de Notre-Seigneur, et qu'ils se disposaient à s'en saisir s'il venait au temple pour la fête; et maintenant ils le voyaient prêcher en public, ils en furent étonnés et pensèrent que les princes avaient découvert depuis qu'il était le Messie. C'est ce qu'ils se demandaient les uns aux autres.

× VII,27

Sed hunc scimus unde sit: ¦ Cependant pour celui-ci, nous savons

Christus autem cum venerit, ¦ d'où il est: mais quand le Christ

nemo scit unde sit. ¦ viendra, personne ne saura d'où il

¦ est.

Les Juifs avaient une idée confuse des grandeurs du Messie, quoique tout était clairement exprimé dans les prophètes; mais leurs traditions et les fausses notions qui se sont introduites sur lui leur embrouillaient les choses que leurs ancêtres savaient plus clairement qu'eux, quoique plus éloignés de la venue du Messie. Ils savaient que la première origine du Messie devait être avant les siècles, ils savaient aussi qu'il était fils de David, qu'il devait naître à Bethléem. Quoiqu'ils sussent qu'il devait naître à Bethléem et de la famille de David, ils disaient cependant qu'on ne connaîtrait pas son issue, unde sit. C'est cette prophétie: generationem ejus quis enarrabit [Is. 53,8], qui leur disait que la génération du Messie serait extraordinaire et que personne ne pourrait la concevoir et en parler dignement. Mais comme ils avaient de fausses idées sur le Messie, tout s'embrouilla dans leur esprit et ils ne comprirent plus que très obscurément ce que les prophètes ont annoncé sur ce grand personnage. Voilà pourquoi ils regardèrent comme une objection insoluble celle qu'ils font: qu'on connaissait l'origine; et ils ne savaient pas qu'il devait avoir deux origines, l'une quis ennarrabit, origine éternelle; et l'autre son origine selon la chair de la maison de David.

× VII,28

Clamabat ergo Jesus in templo, ¦ Ainsi Jésus parlait à haute voix dans

dicens: Et me scitis, et unde ¦ le temple, enseignant et disant: Vous

sim scitis, et a me ipso non ¦ me connaissez et vous connaissez mon

veni, sed est verus, qui ¦ extraction; et je ne suis point venu

misit me, quem vos nescitis. ¦ de moi-même: mais c'est le Vrai qui

¦ m'a envoyé, et que vous ne connaissez

¦ point.

Comme cette erreur était assez commune dans les esprits des Juifs, et [que] déjà plusieurs fois on a dit de lui: Nonne hic est filius Joseph? C'est pourquoi Notre-Seigneur élève la voix et se fait entendre de tout le peuple, afin de les instruire de ce qui était embrouillé dans leur esprit. Plusieurs chrétiens, dans la suite, sont tombés dans la même erreur qui consistait dans la confusion des deux natures, qui devaient se trouver réunies dans le Messie, dont l'une devait avoir une génération impénétrable aux hommes et aux anges mêmes parce que son origine est dans l'éternité du Père; et l'autre devait être comme descendant de David selon l'infirmité de la chair. Notre-Seigneur s'anime d'un grand zèle contre les erreurs de l'esprit humain qui confond ce qu'il ne comprend pas, et il élève sa voix avec puissance, qui retentira jusqu'à la fin des siècles aux oreilles des enfants de l'Eglise, pour les entretenir dans cette doctrine de vérité, qui sera à jamais la consolation de leurs âmes, et qui relève si haut notre pauvre nature humaine déchue et par elle-même dans un si triste et si méprisable état.

Notre-Seigneur attache beaucoup d'importance à ce point de doctrine, parce que c'était une erreur capitale des Juifs de ne plus connaître l'extraction divine du Messie, et tout notre salut est cependant dans l'article important de cette doctrine qui est le fondement de toute notre foi. - La confusion des Juifs sur les deux natures faisait qu'ils ne reconnaissaient pas la génération divine du Messie, et cependant une génération extraordinaire, de manière qu'ils étaient en double erreur sur la personne de Notre-Seigneur, disant qu'ils connaissaient son origine et ne sachant pas son origine divine.

C'est pourquoi Notre-Seigneur leur répond pour éclaircir la confusion de leur esprit et pour les tirer de l'une et l'autre erreur. - Vous me connaissez et vous connaissez mon extraction, cela est vrai selon l'homme, parce que vous connaissez en moi le Fils de l'homme, la nature humaine qui est avec vous depuis mon enfance: mais ce n'est pas là tout ce qu'il faut considérer en moi, il y a encore une autre nature dont vous ne connaissez pas l'extraction et que vous ne connaissez pas même en moi: et a meipso non veni. Ce Moi que vous connaissez, c'est-à-dire le Fils de l'homme n'est pas venu de lui-même, c'est le Vrai qui l'a envoyé Verus, pour distinguer cet envoi, cette Mission, de la Mission des Prophètes. Là il n'a fait qu'une communication partielle et par image et figure, et leur Mission n'était pas selon l'essentielle vérité; mais en Notre-Seigneur la Mission a été dans l'essentielle et substantielle vérité par la Mission du Verbe dans la nature humaine, et par la nature humaine dans ses oeuvres. C'est la seule Mission de vérité essentielle qui a existé et qui existera jamais; et vous ne connaissez pas celui qui m'a ainsi envoyé. Ainsi donc voilà ma génération impénétrable à toute créature.

× VII,29

Ego scio eum, quia ab ipso ¦ Moi je le connais, parce que je suis

sum, et ipse me misit. ¦ de lui, et que c'est lui qui m'a

¦ envoyé.

Notre-Seigneur ajoute pour s'expliquer dans le verset 29° , pour que personne ne puisse se méprendre sur le sens de ses paroles: Moi, je le connais dans son essence parce que j'ai en moi la substance de son Etre. Ab ipso sum ne signifie pas séparation mais réception de l'Etre divin en lui par la génération. Il n'a pas besoin de dire qu'il a toute la nature de son Père; cela se conçoit tout seul comme Dieu est indivisible; et par conséquent Notre-Seigneur doit le connaître puisqu'il est de toute éternité dans son sein et qu'il possède toute l'essence de son être. Notre-Seigneur se sert du terme ab ipso par rapport de comparaison entre son existence éternelle et essentielle dans le sein de son Père, et son existence temporelle et substantielle dans l'humanité sainte, qui, étant créature, est hors du sein essentiel du Père. C'est pour cela qu'il ajoute: et ipse me misit, comme pour dire: Si je vous parais ici comme borné dans mon humanité, je ne suis pas moins que de toute éternité dans le sein de mon Père: c'est lui qui m'a envoyé demeurer ainsi dans ma chair au milieu de vous, en m'engendrant dans le sein de Marie.

× VII,30

Quaerebant ergo eum ¦ Ils cherchaient donc à le prendre,

apprehendere, et nemo misit ¦ mais personne ne mit la main sur lui,

in illum manus, quia nondum ¦ parce que son heure n'était pas

venerat hora ejus. ¦ encore venue.

Les Juifs comprirent bien que Notre-Seigneur se disait Fils de Dieu et voulurent se saisir de sa personne; mais sa personne était la personne du Fils de Dieu et saisir le Fils de Dieu quand il ne veut pas n'est guère possible. Aussi personne ne mit la main sur lui. La volonté ne leur manquait pas, ils étaient assez vides de foi et assez pleins de malice pour faire cela, et ils firent ce qu'ils purent pour le saisir; mais quand il fallait en venir au fait, une vertu toute-puissante sortit de lui et les arrêta tout court; personne ne mit la main sur lui.

Mais pourquoi l'année suivante le saisirent-ils si facilement, pourquoi le Verbe divin ne fit-il pas la résistance comme en ce jour? C'est qu'alors l'heure déterminée de toute éternité dans les décrets du Père était venue, et il donna, il permit aux puissances des ténèbres d'avoir pouvoir sur lui; mais avant ce temps il ne purent le toucher parce que ce n'était pas la volonté de son Père.

× VII,31

De turba autem multi ¦ Mais beaucoup d'entre le peuple

crediderunt in eum, et ¦ crurent en lui, et ils disaient: Le

dicebant: Christus cum ¦ Christ quand il viendra, fera-t-il

venerit, numquid plura signa ¦ plus de miracles que celui-ci n'en

faciet quae hic facit? ¦ fait?

Chose merveilleuse, la foule du pauvre peuple qui n'avait presqu'aucune connaissance de la Loi et des Prophètes croyait; et les hommes qui connaissaient cette science sainte, voulaient faire mourir celui qui est venu pour donner la vie, l'auteur de la vie et la vie même. Voilà où en seront toujours les savants, même dans la science sainte, lorsqu'ils sont prévenus par quelque passion, lorsqu'ils ne cherchent pas de toutes leurs forces à dompter leur amour-propre, cet amour-propre qui se trouvera bien souvent choqué par des choses qui doivent faire leur salut ou leur sanctification, et auxquelles ils résistent alors, leur opposant les connaissances qu'ils ont et qu'ils appliquent mal, ou qui sont quelquefois fausses. Mais, bien plus malheureux encore les savants, les docteurs de la loi de Dieu, qui sont encore pleins d'eux-mêmes et s'imaginent être quelque chose, ou qui ont un esprit de critique de tout ce qu'ils ne comprennent pas de prime abord ou de ce qu'ils ne connaissent pas, même quelquefois des choses saintes; ils ont les plus grands obstacles, qu'ils posent eux mêmes à cette foi vive et vivifiante, que la grâce de Notre-Seigneur communique aux âmes simples, qui les conduit à une grande perfection, tandis que les savants restent toujours se traînant dans la boue de la terre qu'ils estiment toujours, assujettis à leurs penchants et inclinations. Ils restent imparfaits dans leur conduite pesante quand il s'agit d'élever leur esprit et leur coeur à Dieu, incapables presque de lui faire un sacrifice, esclaves des hommes et de leur estime ou de leur blâme; en un mot imparfaits et grossiers dans les voies de Dieu et de son saint amour, ne sachant les choses divines que par les noms qu'elles portent et qu'ils ont appris dans les auteurs sans en avoir jamais expérimenté les effets, et en possédant encore moins leur substance.

Dans la foule, plusieurs crurent en lui et en grand nombre: multi. Leurs coeurs étaient touchés par la grâce de sa parole, et alors ils se rappelaient la grandeur et le nombre de ses miracles, et c'est ce qui convainquait leurs esprits et animait leur foi. Ils disaient: On dit que ce n'est pas le Christ, mais quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que celui-ci [n-en] fait? Et pourquoi ne pas croire que c'est le Christ? C'est comme s'ils eussent dit: Le Christ qui devait venir ne pouvait faire plus de miracles que celui-ci, ni manifester plus de puissance; c'est donc lui, il est donc le Christ.

× VII,32

Audierunt Pharisaei turbam ¦ Les pharisiens entendirent le peuple

murmurantem haec de illo; et ¦ murmurant ainsi à son sujet; et les

miserunt Principes et ¦ princes des prêtres et les pharisiens

Pharisaei ministros, ut ¦ envoyèrent des satellites pour le

apprehenderunt eum. ¦ prendre.

Les Pharisiens et les chefs du peuple, voyant que la foule croyait, qu'elle parlait hautement de Notre-Seigneur comme du Messie, et qu'elle admirait ses grands miracles, en furent remplis de jalousie et de fureur, non seulement parce que Notre-Seigneur attirait l'estime et la vénération du peuple qu'ils auront voulu attirer eux seuls, mais encore parce que cette haute vénération et admiration dont le peuple était pénétré pour lui à cause de ses miracles et de sa doctrine, les discréditait complètement et les condamnait dans leur doctrine et leur conduite, que Notre-Seigneur reprenait sans cesse comme mauvaise, mensongère et hypocrite. Ainsi ils envoyèrent des satellites pour le saisir, espérant par là faire tomber dans l'esprit du peuple l'idée qu'ils en avaient que c'était le Messie, et pour le faire mourir après la fête.

Il paraît par la suite de cet événement, qu'ils ne leur déterminèrent pas de le prendre sur-le-champ, mais de profiter d'un moment favorable pour s'en saisir, sachant bien qu'il n'était pas facile de l'enlever du milieu d'un peuple qui l'admirait et le regardait comme leur Messie.

× VII,33

Dixit ergo eis Jesus: Adhuc ¦ Jésus donc leur dit: Je suis encore

modicum tempus vobiscum sum; ¦ un peu de temps avec vous; et je m'en

et vado ad eum qui me misit. ¦ vais à celui qui m'a envoyé.

Jésus, sachant tout ce qui se passait, voyait du temple où il prêchait les pharisiens et les princes réunis, il voyait les gardes arriver et disposés à le saisir au premier moment qu'ils pourraient; il savait en même temps que ce moment ne viendrait pas cette fête là, mais quelques mois après; il adressa donc la parole aux gens apostés par les pharisiens, et toujours comme en continuant de parler au peuple, parce qu'il ne parlait pas seulement aux pharisiens, mais encore à tous leurs adhérents qui ne croyaient pas et qui pensaient qu'il méritait la mort. Notre-Seigneur leur dit: Vous vous pressez bien pour me faire mourir, ce ne sera cependant pas maintenant, attendez encore un peu de temps. Je ne serai plus avec vous que peu de temps et alors je retournerai à mon Père qui m'a envoyé. Notre-Seigneur annonce par là sa glorieuse résurrection et son admirable ascension. Il semble leur dire que les efforts prématurés qu'ils font pour lui faire quitter ce monde sont inutiles, qu'il ne s'en ira que quand il voudra. Je resterai encore peu de temps avec vous; je vais à celui qui m'a envoyé quand ce temps que je veux encore rester sera passé.

× VII,34

Quaeritis me, et non ¦ Vous me chercherez, et ne me

invenietis: et ubi ego sum, ¦ trouverez pas; et où je suis vous ne

vos non potestis venire. ¦ pouvez venir.

Le Messie a paru parmi les Juifs; ils n'en ont pas voulu, ils l'ont persécuté, ils n'ont pas pu attendre le moment déterminé dans la volonté du Père pour le livrer à leur pouvoir, ils se pressaient de le faire mourir avant le temps, s'ils avaient pu, tant ils avaient de haine contre lui, et ils étaient empressés de s'en débarrasser. Depuis sa mort ils le cherchent, voilà plus de 18 siècles, et ne peuvent pas le trouver; ils l'ont cherché (eux-mêmes, qui l'avaient fait mourir) dans les grands maux qui les désolaient. Ils ont rejeté le Messie véritable, le Tout-Puissant, et ils ont trouvé un Barcochébas dans une des plus grandes afflictions qui les accablaient. Il était bien juste qu'ils trouvassent à la place du Sauveur un Barcochébas pour achever leur ruine, eux qui lui avaient préféré un Barabbas. C'est ce que le divin Messie leur dit: Vous ne voulez pas de moi, vous voulez me faire mourir, vous réussirez un peu plus tard, mais pas maintenant; vous me perdrez, mais moi j'irai dans la gloire de celui qui m'a envoyé, mon humanité entrera dans le sein éternel du Père où je suis de toute éternité. Et vous qui refusez maintenant votre Sauveur, le seul salut qui vous a été envoyé par mon Père, vous le perdrez pour vous, et après cela vous le chercherez. C'est moi que vous chercherez sans le savoir, mais vous ne me trouverez pas, car je ne reparaîtrai plus au milieu de vous dans mon infirmité, comme je le fais maintenant pour ramasser toutes les brebis égarées, pour guérir les malades et pour ressusciter les morts; je serai dans le sein de mon Père, où vous ne pourriez jamais venir.

La raison pourquoi ils ne peuvent pas venir au sein de son Père et parce qu'on ne peut venir à son Père que par lui, par cette humanité sainte unie au Verbe; c'est le seul nom donné aux hommes pour être sauvés, et les Juifs le rejetant, le faisant mourir et ne voulant absolument pas le reconnaître, mais cherchant leur salut ailleurs, ne pourraient pas le trouver, parce qu'ils le chercheront partout ailleurs où il n'est pas, et là où il est ils ne peuvent venir qu'après avoir cru en lui; voilà pourquoi la divine Sagesse leur dit: Et ubi ego sum vos non potestis venire. - Il dit: Ubi ego sum au présent, pour faire comprendre que s'il dit qu'il va à celui qui l'a envoyé, cela ne veut pas dire qu'il n'y était pas au moment qu'il parlait, mais que cela voulait dire qu'il retournait au sein du Père avec son humanité, là où il est de toute éternité dans sa divinité.

× VII,35

Dixerunt ergo Judaei ad ¦ Les Juifs dirent entre eux: Où doit

semetipsos: Quo hic iturus ¦ donc aller celui-ci que nous ne le

est, quia non inveniemus eum? ¦ trouverons point? Doit-il aller chez

Numquid in dispersionem ¦ les nations dispersées, et enseigner

gentium iturus est, et ¦ les gentils?

docturus gentes? ¦

× VII,36

Quis est hic sermo quem dixit: ¦ Quelle est cette parole qu'il a dite:

Quaeretis me, et non ¦ Vous me chercherez et ne me trouverez

invenietis: et ubi sum ego, ¦ point: et où je suis vous ne pouvez

vos non potestis venire? ¦ venir?

Les Juifs ne comprirent pas ce que Notre-Seigneur voulait leur dire, qu'ils le chercheraient, qu'ils ne le trouveraient point, et qu'ils ne pourraient pas venir où il était. Ils pensaient peut-être que c'était une menace qu'il leur faisait, de ce qu'ils recevaient si mal sa doctrine et de ce qu'ils cherchaient à lui nuire. Peut-être pensaient-ils qu'il allait leur échapper et que c'était pour cela qu'il leur disait cela. Et comme les Prophètes avaient prédit bien fréquemment la conversion des gentils par le Messie, et surtout Isaïe qui est tout plein de cette prédiction, alors ils craignirent qu'il n'allât les quitter pour aller agir selon les Prophéties, ce qui aurait été un grand sujet de jalousie pour eux; car, quoiqu'ils cherchassent à le faire mourir, parce qu'ils craignirent qu'il ne se fit un trop grand nom parmi le peuple et qu'il ne les effaçât, cependant c'eût été encore un plus grand sujet de haine et de jalousie pour eux s'il était allé convertir les Gentils. On en voit l'exemple dans la personne de saint Paul, qui a souffert de la part des Juifs infidèles des maux inouïs pour cela. On voit de l'inquiétude dans leurs paroles; ils se répètent les uns aux autres, de mot à mot, ce qu'il vient de dire; ils s'interrogent mutuellement et voudraient savoir la signification de ces paroles.

× VII,37

On novissimo autem die magno ¦ Le dernier jour de la fête, qui est

festivitatis stabat Jesus, et ¦ plus solennel, Jésus se tenait debout

clamabat: Si quis sitit, ¦ et s'écriait: Si quelqu'un a soif,

veniat ad me, et bibat. ¦ qu'il vienne à moi, et qu'il boive.

In novisso etc. Soit que ce fût le même jour que les Pharisiens envoyèrent des gens pour le saisir, soit que ces gens n'eussent pas pu le saisir en ce jour et qu'ils eussent attendu un autre jour; toujours était-ce le dernier et le plus grand jour de cette fête, que Notre-Seigneur dit les paroles suivantes, jour où le peuple affluait au temple en plus grand nombre. Jésus, plein de grâces et de biens célestes qui surabondaient et débordaient, a un désir ardent de les répandre dans les âmes; son amour pour elles est si grand qu'il voudrait les remplir et les inonder dans les grâces et les dons divins, et si brûlant qu'il ne le contient plus; il crie avec force pour appeler tout le monde à lui. Il appelle ceux qui ont soif et lui-même est dévoré par la soif; la différence est que ceux qu'il appelle ont soif pour boire de ses fontaines de grâces, par la défaillance de leurs forces et la privation entière où ils sont de cette eau salutaire qui puisse rassasier leurs âmes vides qui périssent d'inanition; tandis que Jésus a soif de donner à boire par la surabondance de son amour pour nos âmes misérables; il est tout brûlant du désir de remplir toutes les âmes et de les rassasier, et cette soif est si immense, qu'on ne peut pas même comparer les ardeurs de toutes les âmes altérées ensemble avec celle de Jésus envers chacune d'entre elles. Est-il étonnant qu'il criait pendant le grand jour: Que celui qui a soif vienne et boive? Eh! mon Seigneur Jésus, j'entends votre cri; vous m'appelez, Seigneur, me voilà. J'ai soif, mon adorable Jésus, oh! grande soif, qui va jusqu'à la défaillance; car je suis tout vide et tout brûlé dans mon intérieur; prenez-moi en vous, et donnez-moi à boire de votre fontaine du salut; plongez-moi, submergez, noyez-moi dans vos eaux célestes. Oh oui! Seigneur, je vous en prie, noyez-ma concupiscence, noyez-y mon orgueil, noyez-y tous mes vices et tous mes défauts, afin que tout ce qui est en moi venant de moi, soit mort, que toute la vieille créature ne vive plus, et qu'il n'y ait plus en moi que vous seul. Faites-moi cette grâce, ô mon très doux, très aimable, très amoureux et très aimé Jésus, afin que je ne vive plus que de votre vie et en votre vie, de laquelle vous vivez dans le sein de votre Père, et dans tout le corps de vos élus. Ainsi soit-il!

Il s'agit ici de recevoir de Notre-Seigneur, non des grâces ordinaires, mais une très grande abondance de faveurs et de dons, comme il va être dit dans le verset suivant.

Cette soif dont parle Notre-Seigneur signifie ces désirs ardents d'être à Notre-Seigneur, de se rassasier de ses grâces et de ses biens divins par la sanctification de son âme. Cette soif est une première condition requise, sans laquelle ces dons et ces grâces extraordinaires de sanctification ne seront pas accordés. Le premier pas d'une âme qui veut parvenir à une haute sainteté, doit donc être des désirs ardents de posséder Notre-Seigneur et ses dons et ses grâces de sanctification (dons de sanctification, mais non des dons extraordinaires qui nous relèvent au-dessus du vulgaire; cela n'est pas cette sainte soif, mais l'impur orgueil qui n'est jamais exaucé, mais puni). Les grandeurs de ces faveurs sanctifiantes sont ordinairement mesurées sur la grandeur et la force de cette soif. On voit des âmes qui sont parvenues à la plus haute sainteté qui surpasse nos faibles vues, on les voit dans le commencement surtout, dans une soif extrême qui se manifeste par des actions de ferveur extraordinaire. Les hommes attribuent cette grande ferveur et les grandes choses qu'ils faisaient dans ces commencements surtout, à un caractère grand et noble, à un tempérament ardent qui porte toujours très loin tout ce qu'il fait, à une âme généreuse, mais qu'on sache bien que les hommes sont et seront toujours des imbéciles quand ils veulent raisonner sur les choses divines. Il ne faut pas juger de ces âmes extraordinairement favorisées de Dieu comme des âmes communes qui ont un degré de grâces ordinaire et commun. En ceux-ci, leur caractère et leur naturel et leur tempérament se manifestent dans chaque pas qu'ils font; mais ces illustres favoris du Grand-Maître sont inondés de ses grâces divines, ils y nagent. Le caractère et le naturel n'est pas entièrement effacé, il paraît toujours dans l'action, car la divine grâce, quelque forte qu'elle soit, n'enlève et ne change pas complètement le naturel ou caractère d'un homme.

Elle en laisse toujours plus ou moins, selon que ce caractère ou naturel est conforme aux desseins de Dieu dans les inspirations de cette grâce divine; mais le plus ou moins d'étendue, de vivacité et de force, ou de constance dans les actions, doit être attribué au plus ou moins de grâce analogue à ces différents modes des actions des saints, et selon les différences des desseins de Dieu sur eux. La grâce donne à ces grands saints des impulsions fortes et puissantes, et leur volonté y acquiesce fortement parce qu'elle est vivement attirée et grandement fortifiée, elle se laisse entraîner avec délices et suit le torrent qui l'entraîne; de là résultent les différents effets puissants et violents dans les actes. Seulement, dans les commencements, les saints étant encore imparfaits et sans lumière suffisante, par l'excessif désir qui est excité dans leur volonté par la suavité et la violence de la grâce, s'emportent plus loin que ne va l'impulsion de la divine volonté; et ce sont là les excès de presque tous les grands saints dans les commencements de leur entrée dans la voie de l'amour divin; ce qui vient uniquement de cette impression violente de la grâce divine dans leurs âmes qui excite en eux des désirs très violents. Ces excès sont toujours une bonne marque, parce cela annonce un désir violent, qui attirera les promesses de notre adorable Maître dans ses versets. Dans ces commencements, le caractère paraît encore beaucoup dans ces grands saints, parce qu'il y a encore beaucoup d'action propre dans ce qu'ils font, mais aussi leur action est encore beaucoup plus imparfaite qu'elle ne sera dans la suite. Plus la grâce est forte et a de part dans une action, plus il y a de mérite par le consentement de la volonté; et plus la nature y a part, moins il y a de mérite et de perfection; parce que toute la richesse et le mérite de nos actions provient du mérite de Notre-Seigneur qui y est, et que l'âme attire en soi par l'adhésion de toutes ses puissances à cet adorable Maître et à ses divines inspirations, et surtout par l'adhésion de la volonté qui couronne et achève cette adhésion et qui est absolument nécessaire. De là, plus la grâce a part et est pleine dans une action, plus il y a de mérite et de perfection, parce qu'alors plus aussi il y a d'application des mérites de Notre-Seigneur. Par conséquent, plus on donne à la nature dans les grandes actions des saints, plus on en diminue la sainteté, et en croyant le relever on les abaisse.

Cette soif peut encore s'expliquer de ceux qui se lassent à chercher à se rassasier dans les créatures, dont l'âme est vide, dans la peine, le malheur et l'affliction de ne pas trouver le repos et le bonheur dont ils sentent un si grand besoin; et Notre-Seigneur les invite à venir à lui, d'abandonner ces citernes percées qui n'ont pas d'eau, et le peu qui y est encore n'est que de l'eau pourrie et corrompue; il les engage de venir à Lui et il les rassasiera surabondamment d'une eau pure et délicieuse. Ces pauvres âmes se traînent dans la misère; quel bonheur pour elles quand elles viennent à cette grande et immense fontaine, qui les remplit et les regorge d'une eau divine; elles ne se possèdent pas de joie et de bonheur.

Ces deux explications ne s'excluent pas l'une l'autre. Veniat ad me et bibat. Voilà l'invitation que Notre-Seigneur fait aux âmes qui ont soif de la justice; elles n'ont qu'à venir à Lui et boire selon toute la grandeur et la vivacité de leur soif. Cela explique ces paroles qu'il a dites dans son sermon sur la montagne: Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam, quoniam ipsi saturabuntur [Mt. 5,6]. Ils seront rassasiés selon la grandeur de leur faim et de leur soif; si cette faim et cette soif sont grandes ils mangeront et boiront beaucoup; si elles sont faibles, ils mangeront et boiront peu.

Cette invitation qu'il fait en général à toutes les âmes, il la fait dans la circonstance d'une manière spéciale à chacune en particulier. Lorsqu'il leur a donné cette soif de la justice et les attire à lui, il les encourage, il leur donne cette forte confiance, il les prend, il les embrasse, les caresse, les fait boire à ses divines et admirables mamelles, c'est-à-dire aux mystères de son humanité sainte, et les rassasie avec plénitude.

Veniat ad me et bibat. Par là Notre-Seigneur montre la ferveur de la dévotion. Lorsqu'on a cette soif et qu'on désire ardemment boire cette eau du salut, il faut se porter sans cesse vers Notre-Seigneur, et plus la soif est grande, plus on se porte avec ferveur vers lui en toutes choses.

Par là on peut voir, que pour posséder la perfection et pour obtenir les grandes grâces de sanctification, il ne suffit pas de pratiquer les vertus, de se corriger de ses défauts et de faire du bien au prochain; ce n'est là que la moitié de la vie parfaite; l'autre moitié plus importante et qui en est l'âme, c'est la ferveur de la dévotion et l'exercice intérieur de notre âme qui se porte vers Jésus avec une grande ferveur d'amour et de grands désirs de lui plaire et d'attirer ses grâces en soi. Les vertus sans la dévotion, c'est un corps sans âme; mais ordinairement elles n'en sont pas entièrement dépourvues, et alors c'est le plus ou moins de dévotion qui en fait le plus ou moins de perfection et les rend plus ou moins agréables à Dieu. - La dévotion sans vertus n'est qu'un fantôme, parce que ceux qui boivent véritablement à la divine fontaine se perfectionnent nécessairement, vainquent nécessairement leurs défauts et acquièrent les mêmes désirs, les mêmes dispositions et la même vie que Notre-Seigneur a menée; c'est l'effet direct que produit dans les âmes la communication de ces eaux célestes. De plus, la soif de l'âme ne peut pas être véritable, et son amour envers Notre-Seigneur ne peut pas coexister avec la négligence entière de ses défauts et la pratique des vertus; la dévotion ne serait qu'amour-propre. Mais en cela aussi ordinairement il y a du plus ou du moins. La dévotion avec laquelle on va à Notre-Seigneur pour étancher sa soif est ordinairement accompagnée de vertus véritables; seulement, il y a dans certaines âmes plus ou moins de défauts qu'elles ne veulent pas extirper, ou plus ou moins de négligence pour l'acquisition des vertus, et alors la dévotion est plus ou moins imparfaite. - Mais toujours est-il vrai qu'il faut cultiver la dévotion avec un soin très particulier, car ce n'est qu'à ce prix que l'on puisse boire avec une grande abondance à la fontaine du salut l'eau céleste de notre sanctification.

× VII,38

Qui credit in me, sicut dicit ¦ Celui qui croit en moi, comme dit

Scriptura, flumina de ventre ¦ l'Ecriture, des fleuves d'eau vive

ejus fluent aquae vivae. ¦ couleront de son sein.

Maintenant Notre-Seigneur explique ce qu'il appelle boire: c'est appliquer avec foi toutes les puissances de notre âme à Notre-Seigneur pour attirer en nous les eaux divines qu'il renferme. Comme un homme dévoré par la soif qui rencontre une fontaine d'eau vive bien belle et bien claire y applique sa bouche et attire cette eau salutaire pour se rassasier et se rafraîchir: de même l'homme qui brûle de soif pour la grâce divine doit appliquer toutes les ouvertures de son âme à Notre-Seigneur, fontaine du salut, et attirer à elles les grâces divines qui en sortent avec surabondance, et aucune de ces ouvertures ne doit être appliquée à aucun autre objet qu'à cette adorable fontaine. Voilà ce que veut dire croire en Notre-Seigneur. Plus cette application de nos puissances à Notre-Seigneur sera parfaite, plus les grâces nous seront communiquées avec abondance. Notre-Seigneur nous communiquera les dons les plus abondants de son Esprit-Saint, qui nous rempliront tellement de son amour, de sa sainteté, de sa puissance, et de toutes les autres grâces dont il est plein pour nous les communiquer; ces dons nous en rempliront tellement, que nous déborderons, et ne pourrons pas les contenir, et par le moyen de ces dons il sortira de nous comme des fleuves de grâces, qui les répandront sur tout ce qui nous environne et produiront des effets merveilleux de sanctification pour une multitude d'âmes, qui seront rafraîchies, rassasiées, inondées et entraînées par les fleuves de grâces qui sortiront de nous. Non seulement nous aurons la vie en nous, mais il sortira de nous des fleuves de cette eau sacrée, qui portera la vie dans une foule innombrable d'âmes.

De là on peut conclure, pour ceux qui par état doivent sauver les âmes, et en général pour tous ceux qui désirent procurer le salut et la sanctification des âmes: le grand moyen qu'ils ont c'est d'aller à Notre-Seigneur avec cette ferveur de dévotion pour boire à la divine fontaine de son Coeur, et de s'y appliquer avec cette foi entière et parfaite, afin que ces eaux salutaires les remplissent d'abord pleinement eux-mêmes, et que de leur abondance et par les dons de sanctification qui leur seront certainement accordées, selon cette promesse de Notre-Seigneur qui est la souveraine Vérité [ils en sanctifient d'autres]. Quoique les grands dons dont parle ici le divin Maître, soient des dons gratis et ne soient pas essentiels au salut, cela n'empêche pas qu'ils n'emportent ordinairement une grande sainteté dans celui qui les possède, et qu'ils ne soient accordés à tous ceux qui se donnent à Notre-Seigneur avec cette plénitude de la foi, puisqu'il le promet ici, mais surtout à ceux qu'il veut charger de communiquer ses grâces. On ne doit pas croire qu'ils seront accordés tous ensemble, mais tantôt un d'eux, tantôt un autre, tantôt plusieurs ensemble à la même personne.

Il faut remarquer ce terme: flumina fluent de ventre ejus. Ces grâces seront établies avec une très grande abondance dans leurs âmes, et c'est de leur intérieur qu'elles s'écouleront comme des fleuves pour porter la vie dans toutes les âmes.

× VII,39

Hoc autem dixit de Spiritu ¦ Il disait cela de l'Esprit que

quem accepturi erant credentes ¦ devaient recevoir ceux qui croyaient

in eum: nondum enim erat ¦ en lui; car l'Esprit n'avait pas

Spiritus datus, qui Jesus ¦ encore été donné, parce que Jésus

nondum erat glorificatus. ¦ n'était pas encore glorifié.

Par ces fleuves d'eau vive qui devaient sortir de ceux qui croyaient en Notre-Seigneur, il voulait parler de l'Esprit-Saint qu'il devait donner à tous ceux qui croyaient ainsi en Lui. Ce n'est pas à dire que les Apôtres et les autres disciples fidèles n'eussent l'Esprit-Saint avant la passion de Notre-Seigneur. Ils étaient en état de grâce, et toute âme en état de grâce a l'Esprit-Saint. Mais Notre-Seigneur parle ici de cette mission extraordinaire et parfaite de l'Esprit qui était déjà dans une âme par le baptême; par la foi parfaite d'une âme Notre-Seigneur développe, étend et rend parfaits ses dons et ses faveurs, et cela par suite de cette mission particulière. Ces dons eurent un très grand développement dans les premiers temps de l'Eglise, où ils étaient très communs et produisaient ces conversions innombrables. Ils coulaient de presque tous les chrétiens comme des fleuves, et maintenant encore tous les saints ont eu ces grâces, c'est-à-dire toutes les âmes qui se donnent parfaitement à Notre-Seigneur avec la générosité et la perfection de la foi que ce divin Maître désire, qui quittent tout pour ne s'attacher qu'à Notre-Seigneur, fontaine unique d'eau vive; en toutes ces âmes on verra des dons et des grâces très développés tels que Notre-Seigneur les promet ici, et tels que les premiers chrétiens les avaient, quoique les plus brillants, comme l'esprit de prophétie, le don des langues et des miracles, soient plus rares. Ces derniers dons sont moins sanctifiants que les autres et moins parfaits que les autres qui tendent beaucoup plus directement au salut des âmes. Ainsi notre divin Maître est toujours le même envers toutes les âmes qui viennent à lui avec perfection; mais ces âmes, malheureusement, sont rares dans nos siècles où l'on raisonne beaucoup et l'on fait peu. On raffine beaucoup sur les choses spirituelles, on explique tout; mais au fond il est rare qu'on agisse avec la ferveur et avec la simplicité de nos ancêtres et de nos pères dans la foi; on travaille beaucoup sur les vertus de ceux qui sont faits pour aller à la perfection, mais on refroidit souvent leur foi. Les âmes qui entreprennent de servir Dieu craignent plus de commettre une imprudence que de manquer de fidélité au divin amour, et les directeurs prêchent sans cesse la modération: tandis qu'il faudrait laisser courir, voler les âmes dans l'élan de la foi; craindre infiniment plus d'amortir et d'arrêter cet élan que la foi donne, que de lui voir commettre une imprudence. Mais le directeur a peur de compromettre son honneur de bon et sage directeur, il craint le reproche s'il arrivait du mal; et le dirigé trop plein encore de son amour-propre ne voudrait pas être imparfait, il veut avoir la prudence. La prudence! il est bien dangereux de chercher à avoir cette vertu. Celui qui la cherche, le plus souvent trouvera la fausse pour la vraie prudence; la prudence de son amour-propre au lieu de la prudence de Dieu. La prudence n'est pas la vertu des commençants, il ne faut jamais leur en parler même. Quand ils auront fait un grand progrès, alors Notre-Seigneur la leur donnera.

On dira: Mais tous les saints se sont reproché vers la fin de leur vie les imprudences du commencement de leur conversion. Oui sans doute, tous les saints, sans excepter peut-être un seul, avaient à se reprocher les excès de ferveur de leur commencement. Mais c'est une preuve en faveur de ce que j'avance; tous ou presque tous ont eu à se reprocher d'avoir faits des imprudences; il est donc le propre des saints de faire des imprudences dans les commencements. Ne sont-ils pas devenus des saints tout de même? Il est fort probable et même certain que s'ils avaient pris tant de mesures pour empêcher ces imprudences, ils ne seraient pas parvenus à ce grand degré de sainteté.

Il est presque impossible de ne pas faire des imprudences et des excès dans ces grandes ferveurs des commencements; et celui qui veut les éviter, ou n'a pas en vérité ces ferveurs, ou est infidèle; et dans tous les cas, il aura bien de la peine à devenir saint et à recevoir ces grands dons et ces grandes faveurs que Notre-Seigneur promet; parce que dans ces commencements on n'a pas le discernement nécessaire pour cela. Si on examine et raisonne, on amortit cette ferveur d'esprit qui fait tout; tandis que les saints ont senti cette forte impulsion et, sans examen, s'y sont donnés tout entiers, et c'est ce qui en a fait des saints, et ils ne sont pas moins agréables à Dieu pour cela, quoiqu'il y ait beaucoup d'imperfections qui y sont mêlées. Ainsi saint Ignace ne faisait pas un long examen quand à Manrèze il tuait son corps. Il a trop fait, parce que l'élan ne demandait pas tout cela; il se laissa entraîner, parce que l'élan de la grâce était extrêmement violent; mais si sa faute eût été si grande, pourquoi tant de grâces, tant de faveurs de la part de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge? - Les directeurs doivent donc être sur leur garde en ce point. Lorsqu'ils voient qu'un pénitent fait un excès, qui ne doit pas être fait, ils doivent l'empêcher, mais ils ne doivent pas tant raisonner là-dessus avec le pénitent, et ne pas lui inspirer cet esprit de prudence, mais simplement lui défendre cet acte, et quelquefois sous tout autre prétexte si cela se peut, et faire en sorte de ne pas arrêter cet heureux élan de la grâce, ni ce renoncement parfait par lequel le pénitent ne veut vivre qu'en Notre-Seigneur, ce qui forme cette foi sainte dont il nous parle ici.

L'évangéliste dit que l'Esprit-Saint n'a pas encore été donné parce que Jésus n'avait pas été encore glorifié. On peut donner trois raisons pour cela. 1° Le Fils devait avoir part aussi bien que le Père à la mission de l'Esprit-Saint, qui procède du Père et du Fils; et comme l'humanité sainte devait particulièrement nous mériter cette mission et nous la donner, il était de convenance qu'elle fût assise à la droite du Père, pour participer à la vie du Verbe dans le sein de son Père, afin que cet envoi puisse lui être attribué par la voie de son union avec le Verbe. Quoique l'humanité sainte jouissait déjà sur la terre de la gloire de son Père, puisque le Verbe n'est jamais sorti de son sein éternel et par conséquent l'humanité sainte y était aussi, mais le mystère de sa glorification n'était pas encore accompli et par conséquent nous ne pouvions pas jouir de ce mystère d'une manière directe.

La seconde [raison] c'est que Notre-Seigneur sur la terre était dans son état de faiblesse et d'abjection pour nous, et par conséquent ce n'était pas le moment de donner les grâces de puissance et de gloire telles que celles accordées par ces grands dons du Saint-Esprit.

La troisième [raison]. L'Esprit-Saint devait être envoyé pour accomplir et perfectionner en nous toutes ces grâces des mystères que Notre-Seigneur a opérés pour notre sanctification, c'est pourquoi il a fallu que tous ces divins mystères fussent achevés, pour que ces divines opérations ne fussent pas bornées, mais qu'il puisse opérer selon l'étendue des dispositions qu'il trouvera et de l'application des mérites de Notre-Seigneur.

Cette abondance de l'Esprit-Saint dont parle Notre-Seigneur en cet endroit fait les vertus extraordinaires et héroïques; c'est là ce qui fait les saints. Ceux qui ont la grâce ordinaire et qui pratiquent les vertus, mais à un degré ordinaire et faible, n'ont pas participé à ces dons, à cause de la débilité de leur foi. Les Apôtres, pendant tout le temps que Notre-Seigneur a vécu sur la terre, manquaient de ces dons abondants; aussi quelle n'était pas leur faiblesse? Dès qu'ils les eurent reçues, ils sont devenus de tout autres hommes.

× VII,40

Ex illa ergo turba cum ¦ Parmi donc cette multitude qui avait

audissent hos sermones ejus, ¦ entendu ces paroles, les uns

dicebant: Hic est vere ¦ disaient: Celui-ci est vraiment un

propheta. ¦ prophète.

× VII,41

Alii dicebant: Hic est ¦ D'autres disaient: Celui-ci est le

Christus. Quidam enim ¦ Christ. Mais quelques-uns disaient:

dicebant: Numquid a Galilaea ¦ Est-ce de la Galilée que vient le

venit Christus? ¦ Christ?

× VII,42

Nonne Scriptura dicit: Quia ex ¦ L'Ecriture ne dit-elle pas que c'est

semine David, et de Bethleem ¦ de la race de David et du bourg de

castello, ubi erat David, ¦ Bethléem, où était David, que vient

venit Christus? ¦ le Christ?

× VII,43

Dissensio itaque facta est in ¦ Il s'éleva donc une discussion dans

turba propter eum. ¦ le peuple à cause de lui.

Par ces effets on voit quelle était la puissance de ce cri de Jésus au milieu de ce peuple. C'était le cri de son amour qui le rendait insatiable d'âmes pour les sanctifier; son désir de verser ses biens immenses de sanctification était si grand qu'il s'en exprimait là au milieu de ces âmes infidèles, dans le désir d'en attirer quelques-unes à lui, de les ouvrir pour verser ses grâces et ses faveurs. C'était un moment très particulier de grâces et un mouvement d'amour extraordinaire qui fait crier Jésus dans le temple pour donner à boire à ceux qui avaient soif; aussi sa voix, plus élevée que de coutume, avait aussi plus de force pour pénétrer dans les âmes qui l'entendaient. Quoiqu'il ne fit pas de miracle dans ce moment, ses paroles firent tant d'effet, que de toute cette foule si nombreuse qui l'écouta il y eut un petit nombre seulement qui résista à la grâce qui les toucha; tous les autres furent pénétrés d'un sentiment de foi, les uns plus, les autres moins, selon le degré de lumière qu'ils eurent en ce moment. Les uns dirent que c'était un prophète qui parlait, les autres que c'était le Messie même. Mais malheureusement cela ne dura pas; ce bon mouvement était bientôt étouffé par les mauvais penchants de leurs coeurs et le peu de dispositions qu'ils avaient. Ils avaient pour le plus grand nombre toutes les mauvaises qualités du terrain dont parle Notre-Seigneur dans la parabole du semeur, et par conséquent la grâce prenait difficilement et ne pouvait y prospérer, ni y être de longue durée.

Quelques-uns, remarque l'évangéliste, résistèrent à cette grâce (quidam). Ils étaient en petit nombre. C'était en partie l'orgueil de la science, en partie l'esprit de contention, et en partie la jalousie et le mépris pour les Galiléens; ils avaient de la jalousie de voir donner le Messie par la Galilée; et une foule d'autres passions qui s'entremêlèrent en cela pour augmenter leur haine contre Notre-Seigneur et leur opposition à ce qu'il soit le Messie.

Il devait naître de David, cela est vrai, et à Bethlehem, cela était vrai aussi. Mais s'ils avaient examiné toutes les prophéties, ils auraient vu une multitude de ces prophéties, opposées les unes aux autres en apparence; il s'agissait d'éclaircir toutes ces difficultés. Les miracles nombreux qu'il opérait et la doctrine divine qu'il annonçait devaient faire faire attention à ces gens et les y faire regarder un peu de plus près, avant de juger de la sorte, en se fondant sur une ou deux prophéties qui sont opposées en apparence. Mais quand une âme se laisse prévenir par une passion quelconque, son jugement s'obscurcit et son esprit trouve toujours des raisons plausibles qui favorisent son amour propre et sa malice. Que tout le monde y prenne garde, cela arrive beaucoup plus souvent qu'on ne pense, et en matière très grave quelquefois. Ces pauvres Juifs étaient sollicités par la grâce, la prévention de la passion les y rend opiniâtrement résistants et leur fournit des raisons pour rejeter le salut qui leur est offert.

× VII,44

Quidam autem ex ipsis volebant ¦ Quelques-uns d'eux voulaient le

apprehendere eum: sed nemo ¦ prendre, mais aucun d'eux ne mit la

misit super eum manus. ¦ main sur lui.

Ceux qui étaient si mal disposés et qui ne voulaient pas croire, étaient probablement des élèves des pharisiens ou des scribes ou docteurs, puisqu'ils citaient les prophètes. Sachant quelles étaient les dispositions de leurs maîtres et des princes à son égard, ils formèrent le dessein de le prendre. Ils ne craignaient pas d'être repris pour un acte de violence exercé envers lui, ils savaient au contraire qu'ils en seraient loués, et leur peu de foie et leur méchanceté les excitaient d'ailleurs à cela. Peut-être même étaient-ce quelques-uns des chefs du peuple qui eurent de mauvais desseins, en ce moment où ils voyaient presque tout le monde favorable. Ils allaient donc profiter de cette dissension qui s'était élevée à son sujet dans la foule, pour l'enlever; mais ils n'en vinrent pas à l'exécution parce que sa vertu toute puissante les arrêta.

× VII,45

Venerunt ergo ministri ad ¦ Ainsi les ministres revinrent vers

pontifices et pharisaeos. Et ¦ les pontifes et les pharisiens, qui

dixerunt eis illi: Quare non ¦ leur demandèrent: Pourquoi ne

adduxistis illum? ¦ l'avez-vous pas amené?

× VII,46

Responderunt ministri: ¦ Les ministres répondirent: Jamais

Numquam sic locutus est homo, ¦ homme n'a parlé comme cet homme.

sicut hic homo. ¦

Les Pontifes et les principaux Pharisiens étaient réunis pour attendre le retour des ministres qu'ils avaient envoyés se saisir de lui, et attendaient leur retour sans doute avec impatience, jouissant déjà de le voir amener enchaîné. Leurs gens revinrent donc, et ils leur demandèrent aussitôt: Pourquoi ne l'amenez-vous pas? Ceux-ci, encore tout pleins de suavité des paroles de grâces et d'amour qu'ils avaient entendues de sa bouche, s'écrièrent avec admiration: Jamais homme n'a parlé comme celui-ci. Ils ne dirent pas: Jamais homme n'a fait de miracles comme lui; mais ils donnèrent pour preuve de leur foi la divinité de sa parole.

C'était en effet un grand miracle et une preuve évidente de la présence du Verbe de Dieu qui donna tant d'efficace à sa parole, et encore sur des gens qui bien certainement n'étaient pas capables de comprendre à fond ce qu'il disait. Quelle merveille; des gens s'en vont exprès pour se saisir de Lui et l'amener enchaîné; ils l'entendent parler et leurs dispositions féroces se changent en celles d'agneaux, par leur douceur et leur docilité. Au lieu de l'amener à leurs maîtres, ils viennent seuls et le défendent devant eux.

× VII,47

Responderunt ergo eis ¦ Mais les Pharisiens leur

Pharisaei: Numquid et vos, ¦ répliquèrent: Avez-vous été séduits,

seducti estis? ¦ vous aussi?

× VII,48

Numquid ex principibus aliquis ¦ Est-il quelqu'un d'entre les chefs du

credidit in eum, aut ex ¦ peuple ou d'entre les Pharisiens, qui

Pharisaeis? ¦ ait cru en lui?

× VII,49

Sed turba haec, quae non novit ¦ Mais cette foule, qui ne connaît pas

legem, maledicti sunt. ¦ la loi, ce sont des maudits.

Les Pharisiens prennent de suite la parole, ils ne laissent pas parler le grand prêtre ou les premiers chefs du peuple: leur zèle faux, amer et hypocrite ne peut se contenir, et il se manifeste dans le grand orgueil pharisaïque qui en était la source. Ils leur dirent en colère: Vous êtes donc aussi séduits? Les malheureux auraient bien mieux fait de se laisser séduire eux-mêmes, mais ils aimaient mieux séduire les autres que de se laisser prendre par le Fils de Dieu qui était venu pour leur salut.

Ils appellent séducteur celui qui s'oppose à leur passion et à leur orgueil: c'est tout son crime. Cette passion et cet orgueil paraissent bien dans leur jugement, puisqu'ils le condamnent sans l'avoir écouté, sans avoir examiné ni sa doctrine, ni sa conduite. Le dernier des criminels était alors examiné avec le plus grand soin. On employait toutes sortes de moyens pour examiner les témoignages, et toutes sortes de subtilités (cela est facile à voir par ce que dit le Talmud sur cette matière) pour absoudre de la peine de mort ceux-mêmes qu'on connaissait coupables, pourvu que cela fut un homme pour lequel on n'eût pas d'opposition; et ici on veut le condamner [à] la peine de mort sans l'écouter, on dit que c'est un faux prophète. Mais il fait des miracles extraordinaires! c'est égal; mais sa doctrine est d'une sainteté divine, et sa parole pleine de la grâce de Dieu! n'importe. C'était une raison de plus pour que l'orgueil pharisaïque s'irrite contre lui, et qu'il le condamnât sans examen. Ils auraient d'ailleurs craint d'examiner, de peur de le trouver juste, et d'être obligés d'avouer leur erreur. Oh! que la malice des hommes est grande, et les illusions de l'amour-propre et des autres passions, nombreuses et tortueusement cachées! Nous n'avons plus de Pharisiens maintenant, mais combien de gens y a-t-il qui ne tombent pas plus ou moins dans ces sortes d'illusions? On a une grande habitude de condamner trop facilement le prochain, quel qu'il soit, supérieur, inférieur ou égal. Il semble qu'on jouit du mal qui se trouve dans le prochain, et même qu'on désire quelquefois l'y trouver. Saint Paul a cependant dit que la charité ne se réjouit pas du mal que fait le prochain [cf. 1 Co. 13,6]. On aime à le raconter et à s'en entretenir. On prend un ton de zèle comme les Pharisiens, on se lamente, on a l'air de s'affliger, on croit réellement qu'on s'en afflige, et si on n'était pas dans l'illusion, on verrait qu'on est dans un certain contentement de malice. Cela donne une plus grande facilité de juger et de condamner l'innocent comme coupable.

Oh! que de jugements Notre-Seigneur est obligé de prononcer sur ces serviteurs faibles et imparfaits au moment de leur mort! Il nous en a prévenus: Nolite judicare ut non judicemini [ne jugez pas, afin de n'être pas jugés; Mt. 7,1], et cependant on s'établit juge de son prochain! " O pharisien aveugle, ôtez la poutre qui est dans votre propre oeil ", dira Notre-Seigneur à beaucoup de ces chrétiens qui veulent s'établir juges des vivants et des morts [cf. Mt. 7,5].

Pour preuve de cette séduction ils disent: Y a-t-il un des princes ou des Pharisiens qui croient en lui? Ils ne s'oublient pas eux-mêmes, mais ils ne disent pas quelle est la raison qui les empêchait de croire; car alors cette preuve ne prouvait plus rien. D'ailleurs, l'ayant condamné sans examen, leur sentiment n'était pas une autorité.

Ils ajoutent (ce qui achève de montrer leur orgueil par le mépris qu'ils font du peuple): Il n'y a que cette foule qui ne connaît pas la loi qui croie en lui, et cette foule est maudite. Il n'y a que les Pharisiens qui sont des hommes bénis, parce qu'ils avaient la science de la foi et parce qu'ils l'observaient en hypocrites orgueilleux. La Sagesse éternelle n'en jugeait pas ainsi, et leur montra bien, en toute circonstance, que cette foule simple valait mieux qu'eux.

Ils disent que cette foule ne connaissait pas la loi, mais cette foule voyait des miracles innombrables qui étaient de grandes preuves, et elle ne résiste pas tant à la grâce que l'aveugle pharisien rejette. Le pharisien connaît la loi; mais c'est comme s'il ne la connaissait point, puisqu'il n'examine pas si celui qu'il juge et condamne, est véritablement le Messie prédit par la loi ou non. Pour voir plus clair que les autres par la connaissance de la loi et des prophètes, il eût fallu appliquer ce qui se trouve dans la loi du personnage qui se disait être celui qui est prédit par la loi et les prophètes. Et cela méritait d'autant plus d'examen que la multitude de ses miracles était évidente. Ce sont donc les Pharisiens qui sont bien plus maudits que le peuple.

× VII,50

Dixit Nicodemus ad eos, ille ¦ Nicodème leur dit (c'était celui qui

qui venit ad eum nocte, qui ¦ était venu de nuit à Jésus, et qui

unus erat ipsis: ¦ était l'un d'entre eux):

× VII,51

Numquid lex nostra judicat, ¦ Est-ce que notre loi condamne un

nisi prius audierit ab ipso, ¦ homme sans qu'auparavant on l'ait

et cognoverit quid faciat? ¦ entendu, et sans qu'on sache ce qu'il ¦ a fait?

Notre-Seigneur prépara cette confusion aux Pharisiens qui parlaient ici orgueilleusement. Ils disent qu'il n'y a personne, ni parmi les princes, ni parmi les Pharisiens qui croient en lui; et voilà Nicodème, et prince du peuple et pharisien, [qui] prend la défense de Notre-Seigneur et montre qu'au moins il ne lui est pas opposé. - Le Pharisiens ne jugeaient que d'après le sentiment de leur malice, mais Nicodème savait bien mieux qu'eux ce que c'était que d'entendre la divine parole sortie de la bouche du Sauveur, il l'avait expérimenté étant allé l'interroger pendant la nuit; il n'était pas étonné de voir ces gens tout pénétrés d'admiration pour lui, après l'avoir entendu parler, et ne pouvait souffrir de le voir condamner ainsi faussement, tandis que lui-même savait qu'il était véritablement l'envoyé de Dieu, Nicodème a le courage de défendre la cause du divin Maître, mais il n'a pas encore celui de dire ce qu'il en sait, encore moins de se donner pour son disciple. Après la mort de Notre-Seigneur son courage augmente, et il ose l'embaumer de ses propres mains, sans craindre les Pharisiens.

× VII,52

Responderunt et dixerunt ei: ¦ Ils répondirent et lui dirent:

Numquid et tu Galilaeus es? ¦ " Etes-vous donc aussi Galiléen?

Scrutare Scripturas, et vide ¦ Cherchez dans les Ecritures et vous

quia a Galilaea propheta non ¦ verrez qu'il ne viendra jamais de

surgit. ¦ prophète de la Galilée. "

× VII,53

Et reversi sunt unusquisque ¦ Et ils s'en retournèrent chacun en sa

in domum suam. ¦ maison.

Les Pharisiens, furieux de voir un des premiers chefs et des leurs prendre la défense de Notre-Seigneur, lui dirent en colère: Etes-vous donc aussi Galiléen? Comme les Galiléens étaient très méprisés, leur prévention se servit de tout pour prouver la condamnation de Notre-Seigneur, et par là même ils cherchèrent à faire honte à Nicodème de ce qu'il défendait un Galiléen, en lui demandant comme par mépris s'il n'était pas Galiléen lui-même, non par la naissance car ils savaient qu'il ne l'était pas, mais par les sentiments en se faisant disciple d'un Galiléen. Cherchez donc dans les Ecritures, et vous verrez qu'il ne viendra jamais de prophète de la Galilée. Si Nicodème leur avait demandé les preuves, ils auraient été obligés d'avoir recours à bien des subtilités.

S'ils avaient dit le Messie, ils auraient pu soutenir ce qu'ils avaient avancé par les passages qui le disent devoir naître dans Bethlehem, quoique cela ne prouvât rien. Mais comme Nicodème ne soutient pas qu'il était le Messie, que seulement il disait qu'il fallait examiner sa cause avant de juger, et par là donnait à entendre au moins que cet homme pourrait être un prophète, ils dirent pour cela qu'il ne devait pas venir de prophète de la Galilée; afin qu'il n'eût aucune réplique à faire et qu'il fût obligé d'avouer que c'était un imposteur. Quelle misérable raison pour condamner le Fils de Dieu! et cela sans examen. Aussi Nicodème ne fut guère convaincu par ce raisonnement, et il paraît qu'il tint ferme, et le Conseil, ne pouvant passer outre, fut obligé de se séparer.

×

×

 

Caput VIIIm

[Chapitre huitième× ]×

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× VIII,1

Jesus autem perrexit in ¦ Mais Jésus n'en alla à la

montem Oliveti. ¦ montagne des Oliviers.

On a vu dans le chapitre précédent, v.43, qu'à l'occasion des paroles de Notre-Seigneur, il s'était élevé une dissension parmi le peuple. C'est pourquoi Jésus quitta le Temple et se retira à la montagne des Oliviers pour s'occuper auprès de son Père. Quand il y a dissension, Jésus se retire toujours. Il ne parle jamais au milieu du trouble et de la dissension, dans ces circonstances il s'occupe pour nous auprès de son Père.

Il arrive de même dans chacun d'entre nous, lorsque à son occasion, nos sens se mettent en trouble et en agitation, Jésus se retire au fond de notre âme, et ne nous parle plus jusqu'à ce que la paix soit rétablie, comme il fit dans cette circonstance; car il faut remarquer que la conduite de Notre-Seigneur dans la distribution de la parole intérieure qu'il donne à chacun en particulier, se fait de la même manière que celle de la distribution extérieure de cette divine parole qu'il faisait aux Juifs. Et, s'il ne parlait et ne faisait même entendre sa voix à la foule, quand elle était en trouble, de même il se retire et se tait dans l'intérieur de chaque particulier. Voilà pourquoi un point capital, dans la vie spirituelle, c'est de conserver la paix de l'âme pour écouter Notre-Seigneur. Eviter les scrupules et les peines d'esprit, ou au moins avoir une paix pleine de confiance au milieu de ces peines, quand on les a sans pouvoir s'en défaire. Eviter l'activité, la précipitation, l'empressement, et les autres mouvements qui agitent ou qui troublent. Il n'est guère possible de faire du progrès dans la vie parfaite et intérieure avec ces agitations et mouvements déréglés des passions, parce que le progrès de la vie intérieure tient à la manifestation de Notre-Seigneur dans notre âme et à sa divine conversation, et dans ces troubles, c'est-à-dire dans cette vie intérieurement active et agitée Notre-Seigneur se cache et ne nous parle pas.

× VIII,2

Et diluculo iterum venit in ¦ Et dès le point du jour il revint

templum, et omnis populus ¦ dans le Temple, et tout le peuple

venit ad eum, et sedens ¦ vint à lui; et, s'étant assis, il

docebat eos. ¦ s'étant assis, il les enseignait.

Au retour de Jésus tout le peuple se réunit autour de lui, par l'effet que sa dernière prédication avait produit. Ils étaient encore tous dans l'admiration, et venaient avec empressement entendre ses instructions saintes et salutaires.

Ceci est une image de ce qui se fait dans nos âmes. Quand nous avons été ainsi sujets à ce trouble et à cette dissension de nos sens et de nos facultés passionnées, et que Jésus s'est retiré, quand la paix est rétablie, Jésus revient à nous et nous parle encore au coeur. Alors l'âme ayant vivement senti la peine et la sécheresse qui était en elle, pendant cette absence et ce silence de Jésus, réunit toutes ses puissances autour de lui pour l'écouter avec attention, et elle éprouve de grandes délices en l'écoutant, plus grandes quelquefois que s'il n'avait pas été absent. Et Jésus, assis en repos dans notre âme, en laquelle il met un grand calme, y est comme dans le Temple de son Père, et l'instruit dans sa sainte doctrine qu'il y grave profondément. Car, quand Notre-Seigneur revient après ces agitations passées, il produit très souvent un plus grand bien dans ces âmes qui, à leur tour, sont beaucoup plus dociles à ses instructions intérieures et plus fidèles.

× VIII,3

Adducunt autem Scribae et ¦ Cependant les Scribes et les

Pharisaei mulierem in ¦ Pharisiens lui amenèrent une femme

adulterio deprehensam, et ¦ surprise en adultère, et la

statuerunt eam in medio. ¦ placèrent au milieu.

× VIII,4

Et dixerunt ei: Magister, haec ¦ Puis ils dirent à Jésus: Maître,

mulier modo deprehensa est in ¦ cette femme vient d'être surprise en

adulterio. ¦ adultère.

× VIII,5

In lege autem Moyses mandavit ¦ Or Moïse, dans la loi, nous a ordonné

nobis hujusmodi lapidare. Tu ¦ de lapider de telles femmes. Toi donc

ergo quid dicis? ¦ que dis-tu?

Les Pharisiens et les Scribes, voulant prendre Notre-Seigneur et n'ayant pas réussi, et voyant que tout le peuple était dans l'admiration, n'osèrent plus entreprendre de s'en saisir en public, de peur de ne pas réussir et d'exciter du tumulte. Ils voulurent alors montrer en public que c'était un faux prophète qui détruisait la loi. D'ailleurs, on venait de leur reprocher qu'ils condamnaient un homme sans examen, et ils craignirent peut-être que Nicodème n'était pas le seul parmi les princes qui fût pour lui. Voilà pourquoi ils inventèrent ce stratagème, espérant qu'ils le feraient parler contre la loi, et prouveraient par là que c'était un faux prophète. Leur malice était bien grande en cela. Ils voulurent le surprendre dans ses paroles, afin de le perdre dans l'esprit du public, et afin de pouvoir se justifier aux yeux de tout le monde, après qu'ils l'auraient condamné, comme ne l'ayant fait qu'après un mûr examen de se cause.

Ils espérèrent lui faire parler contre la loi, parce qu'ils connaissaient sa tendre compassion pour les malheureux, son grand amour pour les âmes pécheresses et son désir ardent de les sauver. Voilà pourquoi ils lui amenèrent cette femme adultère, que la loi condamnait expressément à la mort. Ils lui dirent donc: Voilà une femme qui vient d'être surprise en adultère. Ils lui citèrent la loi, et lui demandèrent ce qu'il en disait. Ils prennent un air docile et soumis, comme s'ils étaient disposés à l'écouter et à abandonner leur loi pour suivre sa parole.

× VIII,6

Hoc autem dicebant tentantes ¦ Or ils disaient cela, le tentant,

eum, ut possent accusare eum. ¦ afin de pouvoir l'accuser. Mais

Jesus autem inclinans se ¦ Jésus se baissant, écrivait du doigt

deorsum, digito scribebat in ¦ sur la terre.

terra. ¦

× VIII,7

Cum ergo perseverarent ¦ Et comme ils continuaient à

interrogare eum, erexit se, ¦ l'interroger, il se releva et leur

et dixit eis: Qui sine peccato ¦ dit: Que celui de vous qui est sans

est vestrum, primus in illam ¦ péché, jette le premier une pierre

lapidem mittat. ¦ contre elle.

× VIII,8

Et iterum se inclinans, ¦ Et se baissant de nouveau, il

scribebat in terra. ¦ écrivait sur la terre.

Pour comprendre cet endroit, il faut savoir que ces Pharisiens et ces Scribes étaient des gens extrêmement corrompus dans leurs moeurs (ce qui est ordinairement dans les gens orgueilleux; ces deux vices vont toujours de pair). Les livres des Juifs mêmes font foi de la grande corruption de ce temps parmi eux. Ces crimes des Pharisiens et des Scribes étaient secrets, le peuple les croyait des hommes saints et tout adonnés à l'observation de leur loi. Comme c'étaient les chefs du peuple et qu'ils tenaient la place de Moyse, Notre-Seigneur les ménageait de ce côté et ne découvrait pas leur excessive perversité. Seulement, de temps à autre, il le leur fait sentir en s'indignant contre eux, de façon cependant que le peuple ne pût pas comprendre le détail de leur conduite. Il les appelait par exemple sépulcres blanchis [cf. Mt. 23,27], et autres termes semblables. - (En cela il nous donne une grande leçon, combien il faut être réservé à mal parler de ceux qui doivent instruire les peuples dans les voies de Dieu, même quand ils sont très mauvais).

Dans cette circonstance donc, ces Pharisiens, tous aussi corrompus que la femme qu'ils veulent condamner au supplice, viennent tenter Notre-Seigneur par un objet dont ils ne devaient pas oser parler même, afin de le faire passer pour favoriser l'adultère et pour le mettre en opposition avec la loi. Notre très doux Maître, pour les ménager et leur épargner la confusion devant cette multitude, leur parle un langage symbolique qu'ils devaient bien comprendre. Il se baisse à terre pour leur montrer qu'ils devaient avoir honte de venir le tenter par un objet sur lequel ils devraient se confondre devant Dieu. Il écrit avec le doigt sur le pavé du Temple, (car il se trouvait dans le Temple, et en écrivant en terre, c'est sur le pavé [qu'il écrivit]; ceci d'ailleurs est peu important pour l'explication); avec son doigt, pour leur montrer ce qu'ils étaient. Ils ressemblaient à un homme qui écrit sur la terre ou sur la pierre avec son doigt: les caractères qu'il forme sont de véritables caractères, mais il n'en reste aucun vestige aux yeux des hommes, de manière que personne ne peut s'apercevoir de ce qui est écrit; de même les péchés honteux qu'eux tous avaient commis tant de fois ressemblent à ces caractères écrits sur le pavé avec le doigt: une fois commis, personne ne peut s'en apercevoir; il n'y avait que Dieu seul qui les avait vu commettre, qui les savait. Par là il leur donnait à comprendre qu'il connaissait leur conduite.

L'évangéliste ne nous dit pas ce que Notre-Seigneur a écrit; mais on peut juger que probablement il écrivait leurs péchés; de manière que le peuple qui n'en connaissait rien ne pouvait pas le comprendre, tandis que ceux qui les avaient commis, en suivant le mouvement du doigt, auraient pu facilement saisir les caractères qu'il formait. Par là il signifiait encore que s'ils voulaient s'en repentir sincèrement et s'humilier en s'abaissant devant Dieu, ces péchés leur seront pardonnés et effacés aussi facilement que ceux qu'il écrivait en terre. - Mais les Pharisiens, tout préoccupés du dessein que leur malice avait formé, ne firent pas attention à la bonté de notre divin Maître, ni à ce qu'il faisait, et ne comprirent pas du tout la signification de ce symbole. Peut-être même triomphèrent-ils en croyant qu'ils l'avaient embarrassé par leur demande insidieuse. Ils persévérèrent donc à l'interroger.

Notre-Seigneur, voyant qu'ils ne comprenaient pas, quoique ce fût leur malice qui en fut la cause, eut encore la douceur et la bonté incompréhensible de leur expliquer la parabole qu'il leur faisait par son action, de manière toujours que le peuple ne put s'apercevoir qu'il voulait parler de leur corruption. Il se relève et leur dit en peu de mots ce qui suffisait à leur faire comprendre sa parabole: [Que] celui qui n'a pas péché lui jette la première pierre. Il ne leur dit pas: Que celui de vous qui n'a pas péché par fornication ou adultère; mais péché en général; par là il les mettait à couvert devant le peuple; et pour eux c'était pour leur faire sentir ce que cela signifiait, surtout par le ton, le geste et les circonstances dont ces paroles étaient environnées. Il est probable aussi qu'en même temps il leur fit sentir intérieurement le sens de sa pensée et une grande confusion, afin que par là ils soient portés à la pénitence; et puis il se baissa de nouveau et écrivit de nouveau en terre, probablement en continuant d'écrire leurs péchés. Il fit cela pour leur faire mieux comprendre pourquoi il avait fait cela, maintenant qu'ils en étaient prévenus.

× VIII,9

Abientes autem unus post unum ¦ Mais, entendant cela, ils sortaient

exibant, incipientes a ¦ l'un après l'autre, à commencer par

senioribus; et remansit solus ¦ les vieillards. Et Jésus demeura

Jesus, et mulier in medio ¦ seul avec la femme, qui était au

stans. ¦ milieu.

Les Pharisiens comprirent bien le sens de ces courtes paroles. Il paraît que tous, sans en excepter un seul, étaient d'une profonde corruption et avaient commis le péché de la chair. Cela se voit par les paroles de Notre-Seigneur, qui semblent indiquer par là que cette femme ne sera pas lapidée, parce qu'il ne se trouva personne qui lui jetât la pierre; et parce que l'on voit que tous s'en vont, sans qu'il en restât un seul. Ils n'eurent plus envie de pousser plus loin leur malice, non parce qu'ils étaient contrits de leurs fautes, mais parce qu'ils eurent peur que Notre-Seigneur n'allât révéler leur faute: et tous, couverts de confusion de voir que leur conduite était connue de celui qu'ils allaient poursuivre par leur malice, ils se retirèrent tous.

Chacun était confus pour lui-même et ne prit pas le temps d'examiner son compagnon ni de faire attention, mais ils s'en allèrent chacun de son côté: unus post unum, croyant sans doute chacun que c'était de lui qui Notre-Seigneur avait intention de parler. L'évangéliste remarque que les plus âgés commencèrent par s'en aller, parce que ceux-ci avaient plus de confusion encore que les jeunes. Leur départ était tellement prompt, que quand Notre-Seigneur se releva, il n'y eut plus personne d'entre eux, et qu'il resta seul avec cette femme au milieu de toute la foule.

× VIII,10

Erigens autem se Jesus, dixit ¦ Alors Jésus, se relevant, lui dit:

ei: Mulier, ubi sunt qui te ¦ Femme, où sont ceux qui vous

accusabant? nemo te ¦ accusaient? Personne ne vous a

condemnavit? ¦ condamnée?

C'est une chose bien extraordinaire! Ces malheureux Scribes et Pharisiens ont un zèle violent de faire condamner cette femme pour le péché dans lequel elle a été surprise, tandis qu'eux-mêmes sont pour le plus grand nombre plus coupables qu'elle, et tous au moins ont commis autant de mal, et ils veulent se faire passer eux-mêmes comme justes.

Mais si on examine de près la conduite des hommes, cela ne paraîtra pas si extraordinaire. Car il y a encore maintenant une foule de gens qui condamnent et poursuivent des hommes coupables de péchés, et ils sont eux-mêmes quelquefois plus coupables, soit de la même faute, soit de fautes d'un autre genre et en plus grand nombre. Il est même très ordinaire que les hommes mauvais, qui sont pleins de défauts et couverts de péchés, il est très ordinaire et très commun que ceux-là soient rigides à l'excès pour les autres. Ils sont beaucoup plus exacts que tout autre à poursuivre avec rigueur le mal dans les autres; ou du moins, s'ils ne le poursuivent pas, par une autre faute qui est la négligence de procurer la gloire de Dieu et le bien du prochain ou la crainte qu'il leur en arrive du mal, au moins sont-ils sévères en parlant de ces personnes, les condamnant avec aigreur et les poursuivant à coups de langue et en leur absence.

Les bons et véritables chrétiens sont toujours plus disposés à avoir indulgence et à épargner; et les mauvais manifestent leur méchanceté; ou quelquefois ceux qui sont dans de grandes imperfections et mènent une vie naturelle et pleine d'amour propre tiennent la même conduite que les mauvais, surtout s'ils ont une certaine apparence de régularité dans leur conduite.

Et qu'arrive-t-il en ces circonstances? Bien souvent, ce qui est arrivé dans celle de l'Evangile dont il s'agit, les coupables se repentent et se convertissent, ils obtiennent le pardon de leur faute et tiennent une meilleure conduite; au contraire, ces mauvaises langues continuent toujours de rappeler les faits qui se sont passés Et le jour du jugement arrivera, et ceux qui avaient été coupables seront sauvés par la miséricorde divine, et ceux qui ont bien aimé paraître justes seront condamnés par la justice divine qui s'appesantira sur eux.

Quel malheur pour une âme de vouloir aller selon la rigueur de justice quand il s'agit d'autrui, et non quand il s'agit d'elle-même. Notre divin Maître n'a pas fait ainsi: il a pris sur lui tous nos péchés et a fait procéder en rigueur de justice contre lui-même, mais rigueur de la justice terrible de son Père céleste; et, quand il s'agissait de vrai coupable, il n'avait plus que la miséricorde. Toutes les âmes qui appartiennent à Jésus marchent sur ses traces en cela avec un très-grand soin.

× VIII,11

Quae dixit: Nemo, Domine. ¦ Elle répondit: Personne, Seigneur.

Dixit autem Jesus: Nec ego te ¦ Et Jésus lui dit: Moi non plus, je ne

comdemnabo; vade, et jam ¦ vous condamnerai pas; allez et ne

amplius noli peccare. ¦ péchez plus.

Après que Notre-Seigneur eut fait sentir à cette femme pécheresse la grande grâce qu'il lui avait faite par la confusion dont il avait couvert ses accusateurs, il dit à cette femme contrite et humiliée qu'il ne la condamnera pas non plus. Il ne lui dit pas précisément que son péché était déjà pardonné, mais il lui donne espérance, il lui offre sa miséricorde à condition qu'elle change de vie. Vade: allez, ne craignez rien et ne péchez plus.

× VIII,12

Iterum ergo locutus est eis ¦ Jésus leur parla de nouveau, disant:

Jesus dicens: Ego sum lux ¦ C'est moi qui suis la lumière du

mundi: qui sequitur me, non ¦ monde: qui me suit ne marche pas dans

ambulat in tenebris, sed ¦ les ténèbres, mais il aura la lumière

habebit lumen vitae. ¦ de la vie.

Après que Notre-Seigneur eût terminé cette oeuvre de la femme adultère, il reprend son discours et recommence à instruire le peuple pour l'éclairer sur son adorable personne. Il serait possible qu'il leur dit les paroles qui suivent à l'occasion de l'aveuglement des Pharisiens, qui étaient dans de si grandes ténèbres parce qu'ils ne voulaient pas croire en Notre-Seigneur: Ego sum lux mundi. Notre-Seigneur parle ici de cette lumière spirituelle et surnaturelle de l'âme Il se compare à cette lumière matérielle qui nous éclaire sur la terre matériellement. Il est la lumière du monde. La lumière matérielle produit deux effets pour que nous puissions voir: elle jette ses rayons sur les objets que nous devons voir, et en même temps ce même rayon entre dans notre oeil. S'il n'y avait de lumière que sur les objets, et que les rayons qui tombent dessus ne vinssent pas se réunir dans notre oeil, nous ne pourrions pas les voir, parce que nous serions aveugles; si les rayons viennent à l'oeil seulement, alors la lumière qui nous serait donnée serait vague et ne servirait qu'à nous donner la satisfaction de ne pas être aveugles. Mais le rayon qui éclaire notre oeil et les objets qui nous environnent dans tout leur détail, c'est là une lumière parfaite dans l'ordre matériel. Or la lumière que Notre-Seigneur nous donne dans l'ordre spirituel est de cette nature à un degré très parfait. La divine lumière commence à jeter un grand éclat dans l'oeil spirituel de notre âme, et cette clarté céleste nous réjouit admirablement. Ce serait déjà une grâce bien grande et une miséricorde qui est indiciblement au-dessus de ce que nous méritons. Mais cette divine lumière fait plus: elle nous éclaire sur toutes choses et joint admirablement dans nous toutes les perfections de cette lumière. Elle nous fait connaître Dieu, nous-mêmes et les autres créatures.

1° Dieu en ce qu'il est en lui-même, autant que la faiblesse de notre vue spirituelle le peut supporter, ce qu'il est dans ses perfections, dans sa grandeur, sa puissance, son immensité, son éternité. Ce qu'il est par rapport à nous, sa bonté, sa miséricorde, sa justice, et dans ses mystères, surtout dans ceux de son Verbe incarné sur la terre; ce qu'il est dans la communication de ses grâces, etc.

2° Ce que nous sommes en nous-mêmes: notre pauvreté, notre misère et faiblesse, notre péché, notre inutilité à toutes choses, notre néant; ce que nous sommes par rapport à Dieu, les devoirs que nous devons lui rendre, et comment nous les devons rendre, et par quel moyen, toutes les autres choses que nous avons à en attendre, et ce vers quoi nous devons tendre.

3° Elle éclaire les objets de la terre; elle nous montre la valeur du monde que nous avons quitté, ce que c'est que les richesses terrestres, les plaisirs et les vanités de ce monde; elle nous fait voir quelles sont les volontés de Dieu à chaque circonstance qui se présente; quelles sont les oeuvres bonnes ou mauvaises; elle nous fait discerner ce qui est utile de ce qui est nuisible à notre âme. Et ainsi, dans toutes les circonstances de notre vie et dans toutes nos oeuvres, dans tous nos rapports avec les objets qui sont hors de nous, et dans tout ce qui est en nous, cette divine lumière nous éclaire sur tout et nous en fait juger selon la réalité de la chose en elle-même, et dans ses rapports avec Dieu et avec nous-mêmes. C'est ce que saint Paul dit: Homo spiritualis judicat omnia [L'homme spirituel juge de tout; cf. 1 Co. 2,15]. Les hommes de terre et de boue qui n'ont pas cette divine lumière, comme aussi ceux qui, même bons, mais qui ne jugent pas de tout par cette lumière divine, qui ne suivent pas Notre-Seigneur comme il va être dit plus bas, tous ceux-là trouvent bien souvent que ceux qui jugent par la lumière divine n'ont pas bien jugé; ils les méprisent dans leur esprit comme des gens de peu de lumière; mais au grand jour où la grande et divine lumière paraîtra aux yeux de tous, pour diviser et séparer ce qui est lumière de ce qui ne l'est pas, tous ceux-là verront leurs erreurs, et les bons qui se sont laissés entraîner verront leurs erreurs, et les bons qui se sont laissés entraîner adoreront les desseins de Dieu qui leur a caché ces choses par leurs fautes et leurs imperfections, et se réjouiront de ce qu'il s'était choisi ses serviteurs, simples et éloignés des vues du monde, pour leur révéler sa grande lumière plus qu'à eux. Confiteor tibi, Pater, quoniam abscondisti haec a sapientibus et prudentibus et revelasti ea parvulis. [Je te loue, Père, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits: Mt. 11,25]. Cependant, ceux qui sont bons, mais qui sentent bien qu'ils sont loin de suivre Notre-Seigneur dans la perfection de son divin amour, doivent être plus réservés dans ce monde qu'ils ne le sont ordinairement pour juger et condamner ceux qu'ils reconnaissent comme serviteurs de Dieu plus parfaits qu'eux. Car, quoiqu'il entre dans les desseins de Dieu que ses plus fidèles amis oient persécutés par les bons mêmes, cela n'empêche pas que ceux qui les condamnent et les persécutent ainsi, par un reste d'esprit du monde ou de prudence humaine, n'agissent d'une manière désagréable à Dieu et en seront punis. - Quant aux méchants ou mondains, à la lumière de ce grand jour ils verront leur erreur en frémissant et en grinçant les dents; mais il n'y aura plus de retour.

C'est à cause ce cette grande lumière que Notre-Seigneur répand non seulement sur les âmes, mais encore sur tous les autres objets, qu'il s'appelle : Lux mundi; il est la lumière de tout le monde spirituel qu'il éclaire tout entier.

Qui sequitur me non ambulat in tenebris. Celui qui ne reçoit pas la lumière de Notre-Seigneur marche dans les ténèbres. Notre âme est pour la lumière spirituelle comme notre oeil pour la lumière matérielle. Comme notre oeil par lui-même n'a aucune lumière et est absolument incapable de rien voir si la lumière n'y pénètre, de même notre âme en elle-même et par elle-même est ténébreuse. Il y a en elle, comme dans notre oeil corporel, une disposition pour recevoir la lumière qui ne réside pas en elle. C'est pourquoi il faut qu'elle reçoive sa lumière du grand soleil spirituel, dans lequel le Père a mis un immense foyer de lumière, son Verbe adorable. Si l'âme ne reçoit pas les rayons de cette adorable lumière, elle reste donc dans ses propres ténèbres, c'est-à-dire dans une absence complète de toute clarté sur tous les objets spirituels qui doivent faire sa nourriture et sa véritable vie, ni sur ses opérations véritablement vitales.

Notre-Seigneur ne dit pas qu'il ne sera pas dans les ténèbres, mais qu'il ne marchera pas dans les ténèbres; par là il indique:

1° L'opération de l'âme agissant et se dirigeant dans la conduite de sa vie, et dans ses rapports avec Dieu ou avec les autres objets qui sont hors de Dieu. Comme le marcher du corps est cette action de se diriger par rapport aux objets matériels, soit pour s'en approcher, soit pour s'en éloigner, soit pour modifier les rapports du corps avec les objets; de même Notre-Seigneur appelle, par analogie, marcher, l'opération de l'âme par laquelle elle se dirige pour s'approcher ou s'éloigner d'un objet, ou pour modifier son existence ou son action vis-à-vis des différents objets. L'âme, par elle-même, est aveugle et ne peut se diriger dans sa marche ou conduite; elle va comme un aveugle, sans savoir comment ni pourquoi; aussi lui arrive-t-il tout ce qui arrive à un aveugle. Si elle veut éviter les chutes, il faut qu'elle marche avec de très grandes précautions, et encore s'éloigne-t-elle souvent de l'objet vers lequel elle voudrait arriver; si elle marche trop hardiment, elle tombera bien souvent; elle ne va qu'à tâtons, fait bien des faux pas, et est soumise à tous les autres inconvénients de l'aveugle. Mais, éclairée de la divine lumière, elle marche avec assurance et avec force; elle se dirige toujours avec clarté dans ses oeuvres. Elle voit la fin où elle doit tendre, et elle marche droit vers cette fin; elle voit et discerne le chemin le plus direct pour elle dans la position où elle est, et le suit en marchant spirituellement le long du chemin; elle voit les obstacles, et les dangers et pièges qui se trouvent dans son chemin, et elle marche avec clarté et sûreté pour les éviter; elle voit tous les détours qu'il faut prendre, toutes les routes qui seraient capables de l'égarer et de l'éloigner de son objet, et se dirige en tout cela selon la lumière divine qui l'illumine, pour marcher avec sûreté au milieu de tout cela, et pour arriver où elle tend. Sa marche est toujours pleine d'allégresse, parce qu'elle n'est pas dans les ténèbres.

2° Par ce mot marcher, Notre-Seigneur indique en second lieu une habitude; il ne s'agit pas d'un pas qu'elle fait ou de plusieurs, mais de toute sa marche, de toute la conduite et direction de l'âme agissante, et en rapport avec Dieu, avec les autres choses ou en elle-même. En tout cela elle ne marchera pas dans les ténèbres. C'est une habitude, une manière d'être de l'âme dans toute sa conduite en général et dans chaque action particulière.

Sed habebit lumen vitae. Cette âme aura la lumière de la vie en elle. Cette lumière est celle de Notre-Seigneur qu'elle suit; c'est cette divine lumière qui demeurera en elle et qui jettera un grand éclat sur tout ce qu'elle fait. Et vita erat lux hominum... et lux in tenebris lucet [Cf. Jo. 1,4-5]. Il dit: lumen vitae, la clarté de Notre-Seigneur qui est la vie de toutes choses. Ses actions seront éclairées, et son intérieur aussi, par la même clarté qui est sortie de la lumière pour éclairer la sainte humanité; l'âme participera ainsi à la lumière de Notre-Seigneur en le suivant. - On peut dire aussi [pour expliquer ce mot] lumen vitae, que Notre-Seigneur donne à l'âme sa divine lumière qui devient en elle une source de vie, qui lui donne la vie. Et par opposition à la lumière matérielle, qui ne donne rien, et à la lumière naturelle de l'esprit humain que les méchants et les païens ont [eux-]mêmes, et qui ne donne en aucune façon la vie à l'âme, tandis que le lumière de Notre-Seigneur non seulement remplit et vivifie notre esprit, mais donne même la force et l'amour à la volonté, et anime, éclaire et vivifie l'âme dans toute son action.

Enfin pour dire en deux mots, quelle est la magnifique promesse de Notre-Seigneur en ce lieu: les âmes qui suivent Notre-Seigneur auront cette sagesse, cette discrétion et cette prudence divine, qui les éclairent habituellement en leur conduite, pour juger des choses comme Dieu en juge et pour opérer ou faire opérer comme Dieu le veut. - Ces vertus sont bien grandes; elles exigent une grande perfection dans une âme et produisent de grands effets de sainteté pour ceux qui les possèdent, et de grands effets pour la gloire de Dieu dans ceux qui sont en rapport avec eux. Ce sont les vertus des parfaits. Aussi notre divine et adorable Sagesse dit que cette faveur sera faite à ceux qui le suivent: Qui sequitur me. Il ne dit pas: à ceux qui croient en lui; parce que cela ne suffit pas pour obtenir ces grandes vertus célestes. Celui qui croit en Notre-Seigneur par la foi, qui adhère à lui par l'espérance, et qui se porte vers lui par la charité a la vie; Notre-Seigneur lui communique sa vie. Dès le premier moment que l'âme est dans cet état, elle a la vie; mais pour avoir cette lumière divine, il faut le suivre. Il faut que notre âme soit dans l'habitude de cette union sainte avec lui, dans toutes ses oeuvres et dans toutes les circonstances en général. Il faut que, du fond de notre âme, nous soyons dans l'habitude de tendre et de nous diriger, en notre vie en général, et en chacune de nos oeuvres (autant que notre faiblesse nous le permettra), vers Notre-Seigneur. Il faut que notre intelligence soit dans l'habitude (toujours autant que notre faiblesse le permettra), de voir les choses, d'examiner et de juger en la lumière et par la lumière de Notre-Seigneur, par cette direction de l'âme vers lui dans l'action, et par cette souplesse et docilité pour recevoir les divins rayons et les suivre; il faut un renoncement parfait à son propre esprit, et un grand soin que son action n'anticipe pas sur l'union à Notre-Seigneur et sur l'action de la grâce de lumière qu'il doit recevoir. Il faut que notre volonté soit dans l'habitude (le plus parfaitement qu'elle le peut) de n'aimer que Notre-Seigneur, de n'avoir de goût ni de jouissance et satisfaction qu'en lui seul.

Ainsi suivre Notre-Seigneur, c'est un oubli et une retraite entière de notre âme de tout objet créé, pour n'agir plus par aucune de ses puissances que pour Notre-Seigneur, par Notre-Seigneur et en Notre-Seigneur. Il faut bien remarquer qu'il s'agit seulement d'une habitude d'agir, qui sera plus ou moins interrompue par des actes contraires, par un effet de notre extrême misère et faiblesse.

Par là notre âme sort peu à peu de ses ténèbres, et prend l'habitude de voir et de juger les choses par la lumière de Notre-Seigneur. Elle apprend peu à peu à discerner les traits de la lumière divine de la fausse lumière qui vient de son propre esprit; d'ailleurs, l'esprit se purifiant de plus en plus, la lumière de Notre-Seigneur s'étend aussi en lui de plus en plus et influe beaucoup sur lui. De plus, à mesure qu'il va, il prend l'habitude de ne pas anticiper et ne pas agir par son activité propre, et alors la lumière de la grâce augmente aussi à proportion. On peut comparer notre âme à la lune. Tant que la lune suit le soleil, elle est toute illuminée; mais, dès qu'elle met un autre astre entre lui et elle, ses lumières diminuent, et elle finit par devenir toute obscure. De même il faut que notre âme soit toujours à la suite de Notre-Seigneur, son divin et brillant soleil; mais dès qu'elle se préoccupe d'un autre objet, dès qu'elle met la terre entre son soleil et elle, de suite elle se ternit, soit en partie, soit tout entière, selon que l'objet qui est entre elle et sa divine lumière prend plus ou moins de surface dans ses puissances. Ainsi ne faisons pas comme la lune, suivons, autant qu'il nous sera donné de le faire, pas à pas notre adorable soleil, et soyons toujours en face de lui, afin que ses divins rayons tombent sur nous en plein et éclairent toute notre marche.

Qu'on ne s'imagine cependant pas que ces âmes bien-heureuses qui ont pris l'habitude de ce renoncement parfait et de cette sainte union à leur Dieu, jouissent tellement de cette lumière qu'elles ne se trompent jamais, et que jamais il ne se présente aucun nuage qui empêche ces rayons de les éclairer; ces nuages arrivent toujours, de temps à autre, plus ou moins selon le plus ou moins de perfection de renoncement et de l'union de l'âme à Notre-Seigneur; car il faut remarquer que les nuages qui cachent à la terre la lumière claire du soleil, sortent de son propre sein. Cela arrive de même à ces âmes favorisées: les nuages sortent de leur propre sein, des imperfections qui restent encore en elles. Par là quelquefois elles ne voient pas bien, quelquefois elles tombent dans une erreur ou illusion passagère, mais si elles continuent d'être fidèles à suivre Notre-Seigneur cette erreur se dissipera comme un nuage qui passera. Il faut remarquer que le nuage en cachant à la terre la claire lumière du soleil, ne peut pas la priver entièrement de l'influence de la lumière de cet astre. Il arrive de même des imperfections et des petites fautes qui échappent à ces âmes et qui les empêchent de recevoir les clairs rayons du soleil de vie; elles ne les empêchent pas de recevoir toujours une certaine lumière. Mais toujours est-il vrai que ces personnes n'ont pas une lumière sans aucun nuage en partage (au moins généralement); c'est pour cela que Notre-Seigneur dit: non ambulat in tenebris, sed habebit lumen vitae. Ils ne marcheront jamais dans les ténèbres, mais ils auront en eux la lumière de vie. Cette lumière de vie sera à leur disposition pour avoir sa clarté, c'est-à-dire quand il n'y aura aucun nuage qui les empêchera de recevoir toute cette clarté. Ainsi une âme qui suit Notre-Seigneur de la manière dite plus haut ne marchera jamais dans les ténèbres, parce qu'elle aura toujours un fonds de lumière en elle. Et cette lumière jettera un grand éclat sur ses oeuvres lorsqu'elle n'y mettra pas d'obstacles par ses imperfections, et quand, continuant de suivre Notre-Seigneur, elle ne lui tourne pas le dos comme la terre fait au soleil pendant la nuit. Il faut qu'elle soit tournée vers Notre-Seigneur et ouverte devant lui, désirant de recevoir et d'attirer sa lumière dans ses actions qu'elle fait, et non pas d'agir par elle-même et sans retour vers lui. Tous les saints que nous connaissons ont agi de la sorte et ont aussi été très éclairés dans toutes ou presque toutes leurs actions; si quelquefois ils se sont trompés, quelque imperfection les empêchait de recevoir les rayons parfaits de la lumière.

Il faut observer que Notre-Seigneur dit: qui sequitur au présent, non ambulat au présent, sed habebit lumen vitae au futur. La raison en est: parce qu'il faut commencer par suivre la divine lumière, mais on n'est pas tout de suite éclairé ainsi par cette lumière éclatante; seulement on commence par ne pas marcher dans les ténèbres. Par là même qu'on suit parfaitement Notre-Seigneur on a une action sainte, et on commence de suite à sortir des ténèbres de l'esprit naturel; seulement ce n'est qu'après une longue habitude d'être à la suite de Notre-Seigneur qu'on est favorisé de posséder sa divine lumière en soi; voilà pourquoi il dit: habebit lumen vitae.

On peut donner une autre explication à ce passage qui même semble être le sens prochain dans l'intention de Notre-Seigneur. Il parlait aux Juifs qui ne voulaient pas admettre sa mission, encore moins sa divinité; et ceux qui l'admettaient, c'était imparfaitement. Il leur dit que celui qui le suivait comme faisaient ses apôtres et ses disciples pour écouter, croire et être fidèle à sa doctrine, ne marchait pas dans les ténèbres; il ne s'égarera pas, il ne sera pas abandonné à sa nature de péché, pour rester dans l'ignorance des choses divines; mais il aura la lumière de la vie en soi; c'est Notre-Seigneur qui lui communiquera sa lumière. Il dit: il aura, parce que pendant le temps qu'il vivait sur la terre ses disciples n'eurent pas cette lumière éclatante. Ils ne marchaient pas dans les ténèbres, parce que Notre-Seigneur les éclairait autant qu'il en était capable et autant que les mystères du temps le permettaient: nondum enim erat Spiritus datus [cf. Jn. 7,39]. Mais une fois l'Esprit-Saint ayant été donné, après que les mystères de Notre-Seigneur fussent tous accomplit, alors ils avaient la lumière comme en propriété et en usaient en toute circonstance. Quoique ce dernier sens semble éloigné du premier c'est cependant le même. C'est le sens prochain pour le temps du vivant du divin Sauveur sur la terre; car alors tous ceux qui le suivaient quittaient nécessairement tout et étaient sans cesse à sa suite, puisqu'alors le suivre pouvait se faire sensiblement et se faisait réellement de cette manière; mais depuis son Ascension on ne peut plus le suivre sensiblement, et alors on le suit seulement spirituellement et de la manière dite plus haut. Et les mots: habebit lumen vitae ont aussi la même signification, puisque pour notre temps c'est la même chose que pour le temps des apôtres; dès qu'une âme qui suit Notre-Seigneur aura les dispositions requises, cette divine promesse s'accomplit en elle, aussi bien que dans les apôtres. Généralement il en est de même des paroles que Notre-Seigneur dit pour le temps où il était sur la terre; quand on pénètre dans le fond de leur sens on verra toujours qu'elles ont leur accomplissement au temps futur de la même façon qu'alors.

Une observation est nécessaire pour les âmes qui tendent de toutes leurs forces à la plus grande perfection, et qui tâchent de faire tout ce qui est en elles pour suivre Notre-Seigneur selon toute l'étendue de son saint amour. Elles doivent prendre garde de ne pas abuser de la grâce de Dieu en elles. Et, sous prétexte d'assurance et de confiance en la lumière de Notre-Seigneur, elles ne doivent pas se laisser aller à la présomption, à la confiance en leur jugement et leur action, comme étant animées de la lumière de Notre-Seigneur, à (ne pas) penser qu'elles savent mieux les choses que les autres qu'elles savent ne tendre pas à cette grande perfection, et ne jamais se comparer; [elles ne doivent pas se laisser aller] à la complaisance dans le don de Dieu en elles, lorsqu'elles sentent que leur esprit est plus élevé qu'auparavant, et enfin à la hardiesse naturelle de se prononcer et d'agir. Ce sont là précisément les moyens que le démon emploie pour faire monter ces nuages qui deviennent parfois très-épais et menacent la perte entière de ces âmes infidèles. Elles doivent toujours se tenir dans une grande bassesse intérieure devant Dieu et devant les hommes, s'humilier et craindre beaucoup lorsqu'elles sentent des mouvements d'estime d'elles-mêmes et de complaisance, comme aussi lorsqu'elles s'aperçoivent qu'il s'élève en leur esprit des jugements défavorables des autres, surtout en leur manière de voir les choses divines. La crainte doit être encore plus grande, et l'humiliation à plus forte raison, lorsque ces jugements se présentent par voie de comparaison avec soi-même; comme aussi lorsque toutes ces choses viennent très souvent, car alors il y a un danger présent et positif.

La grandissime règle de toutes les âmes qui veulent vivre à Jésus, notre très humble Sauveur, c'est de s'estimer peu soi-même et estimer beaucoup les autres. De plus il faut qu'elles prennent une habitude très forte de ne jamais considérer les grâces de Notre-Seigneur en elles; leur esprit doit se porter tout en général vers notre divin Maître pour l'aimer sans cesse, et en particulier à chaque action, pour lui plaire, lui être agréable et pour la faire dans son saint amour. Leur esprit ne doit pas courir et chercher cette lumière, mais tendre simplement vers Notre-Seigneur avec amour. Qui sequitur me, dit-il; nous n'avons qu'à le suivre, c'est toute notre affaire; le reste le regarde Lui seul.

× VIII,13

Dixerunt ergo ei Pharisaei: ¦ Alors les Pharisiens lui dirent:

Tu de teipso testimonium ¦ C'est toi qui rends témoignage de

perhibes: Testimonium tuum ¦ toi-même; ton témoignage n'est pas

non est verum. ¦ vrai.

Les Pharisiens, entendant dire par Notre-Seigneur qu'il était lumière du monde, et tout le reste du passage, veulent résister à Notre-Seigneur par pure malice, afin que, ne pouvant pas le confondre et le surprendre, ils le chagrinent au moins, et encore afin d'empêcher le peuple de le croire. Ils lui disent donc que personne ne peut se rendre témoignage à soi-même, et que tout témoignage rendu à soi-même n'était pas vrai par rapport à ceux qui écoutent, parce qu'on n'a pas plus de certitude de la chose qu'auparavant.

Ceux, parmi les Juifs, qui pensaient que Notre-Seigneur pouvait dire de lui-même ces choses, quoiqu'elles ne fussent pas vraies, prouvaient par là qu'ils n'avaient absolument pas de foi. Mais ceux qui lui disaient leur pensée impie en public devant une grande multitude, manifestaient une grande malice, une grande haine et un désir de le déprimer dans l'esprit du peuple.

× VIII,14

Respondit Jesus, et dixit eis: ¦ Jésus répondit, et leur dit: Bien que

Et si ego testimonium ¦ je rende témoignage de moi-même, mon

perhibeo de meipso, verum est ¦ témoignage est vrai, parce que je

testimonium meum; quia scio ¦ sais d'où je suis venu et où je vais,

unde veni, et quo vado; vos ¦ mais vous, vous ne savez ni d'où je

autem nescitis unde venio, ¦ suis venu, ni où je vais.

aut quo vado. ¦

On voit par cet endroit combien sont malheureux ceux qui abusent des grâces de Dieu par malice, et que ce péché contre le Saint Esprit est terrible et puni rigoureusement dès ce monde. Plus haut, chapitre 5, Notre-Seigneur dans le commencement de sa mission s'explique au long pour prouver et montrer que son témoignage était véritable; il a la bonté incompréhensible de composer presque une thèse pour prouver cela: il leur cite le témoignage du Verbe, le témoignage du Père, le témoignage de saint Jean, le témoignage de ses miracles, et enfin le témoignage de Moyse. Ici il ne parle que d'une manière énigmatique et ne dit que des choses que les malheureux ne pouvaient comprendre: juste et terrible punition de leur exécrable malice.

Le témoignage que les Pharisiens disaient n'être pas vrai était ces paroles: Ego sum lux mundi. Or, ces paroles sont les paroles du Verbe, Fils de Dieu, qui est la lumière du monde et qui éclaire tous ceux qui suivent l'Humanité sainte; par conséquent, lorsque Notre-Seigneur leur répond ici que son témoignage est vrai, c'est encore le Verbe, Fils de Dieu, qui parle et qui dit: Si je rends témoignage de moi-même, ce témoignage est un témoignage qui est vrai pour tous ceux qui m'entendent et qu'ils sont obligés de croire, si même ils n'avaient que mon seul témoignage, parce que je sais d'où je suis venu, c'est-à-dire du sein de mon Père, et où je vais, c'est-à-dire dans le sein de mon Père. Par là, Notre-Seigneur veut parler de sa divinité à laquelle son Humanité participe, et par conséquent son témoignage est le plus authentique et le plus croyable qu'on puisse avoir. - Par sa réponse, Notre-Seigneur veut non seulement dire que par sa qualité de Fils de Dieu son témoignage est irréfragable par sa véracité, mais encore par la connaissance certaine qu'il a de la chose témoignée, c'est-à-dire qu'il était la lumière du monde, et que ceux qui le suivent ne marchent pas dans les ténèbres. Voilà pourquoi il emploie ces doubles termes: unde veni et quo vado, dont le premier aurait suffi pour dire que tout le monde doit se soumettre à son témoignage. Il dit qu'il sait d'où il est venu quand il est entré dans ce monde, c'est-à-dire du sein du Père, qu'il est le Fils et par conséquent la lumière éternelle du Père, et étant venu dans ce monde, il était donc la lumière du monde; il sait où il va, c'est-à-dire directement vers son Père céleste, pour y rentrer dans la gloire dont il a joui de toute éternité; par conséquent tous ceux qui le suivent ne marchent pas dans les ténèbres, c'est-à-dire par un chemin obscur, incertain; leurs démarches ne se feront pas à tâtons, parce que, suivant la lumière, elle les conduit directement par le chemin entièrement sûr (chemin qu'il prend lui-même) pour arriver vers le but et la fin de toute leur existence.

Notre-Seigneur dit: scio unde veni, au passé, parce qu'il parle de son incarnation par laquelle il est venu sur la terre pour être la lumière du monde; et quo vado, au présent et non au futur, parce que toute la vie de Notre-Seigneur sur la terre était un chemin par lequel il se rapprochait du sein de son Père; et à mesure qu'il avançait dans l'accomplissement des mystères qu'il avait à accomplir, et dans l'exécution des oeuvres que son Père lui donnait, à mesure il avançait dans ce chemin. Tous les hommes doivent considérer de même leur vie comme un chemin qui les conduit dans la cité sainte de la Jérusalem céleste, et dans ce chemin ils doivent suivre leur adorable lumière, et n'estimer pas avoir fait des pas en avant par les années qui avancent, mais par l'accomplissement des volontés de Dieu, par leur fidélité aux grâces qui leur sont données et la participation aux différents mystères de Notre-Seigneur; en avançant ainsi de mystère en mystère, de grâce en grâce, d'une volonté de Dieu à une autre, ils feront autant de pas dans le chemin qu'a suivi le divin modèle pour les conduire avec clarté et assurance dans le sein de leur Père céleste. Comme lui aussi, ils doivent en tout, partout et toujours, se diriger vers leur Père céleste: Vado.

Vos autem nescitis etc... Notre-Seigneur leur montre donc que son témoignage est un vrai témoignage, et que s'ils ne veulent pas admettre et blasphèment contre lui, cela venait de ce qu'ils ne connaissaient pas d'où il venait et où il allait. C'est un reproche qu'il leur fait, parce que c'était par leur faute; s'ils avaient voulu ils l'auraient bien connu.

× VIII,15

Vos secundum carnem judicatis; ¦ Vous, vous jugez selon la chair; moi

ego non judico quemquam. ¦ je ne juge personne.

Vos secundum carnem judicatis... Toutes les fois que les hommes s'établissent juges de choses intellectuelles, surtout lorsqu'il s'agit de choses divines, leur jugement est peu certain; parce que tous sont sujets à la prévention et à certaines passions qui les font pencher dans leur jugement d'un côté ou d'un autre, ce qui fait qu'ils ne jugent pas selon la vérité, et leur jugement n'est pas un jugement vrai, parce qu'on n'appelle un jugement vrai qu'en tant qu'il est selon la rigueur de la justice, et a la justice pour principe. Mais quand les passions sont fortes et influent fortement dans un jugement, alors non seulement la balance de la justice est renversée, mais le juge devient aveugle sur l'objet de son jugement, selon la parole que Moyse a déjà dite dans le Deutéronome: Munera excaecant oculos sapientium et mutant verba justorum [les cadeaux aveuglent les yeux des sages et changent les paroles des justes: Dt. 16,19]. Excaecant et mutant voilà les deux effets d'une passion forte; et, si elle n'est pas extrêmement forte, on est toujours penché vers le second mal: mutant. C'est ce que Notre-Seigneur dit là aux Pharisiens: ils jugeaient de Notre-Seigneur et de sa parole, disant que son témoignage n'était pas vrai, usant pour cela d'un terme de droit que Moyse emploie, et Notre-Seigneur leur répond qu'ils ne connaissaient pas l'objet dont ils jugent, parce qu'ils jugent selon la chair, c'est-à-dire selon les passions et les préventions, que c'était la cause pour laquelle ils ne jugeaient pas selon la justice, et qu'ils ignoraient la justice, et par conséquent leur jugement sur son témoignage n'est pas un jugement juste. - Mais comme les Pharisiens qui ne voyaient en lui qu'un homme ordinaire qui se donnait pour envoyé de Dieu pouvaient lui dire: Mais vous nous jugez bien aussi, disant que nous ignorons votre principe et votre fin, et vous nous jugez aussi par prévention, parce que nous sommes opposés à votre parole: c'est à cela que Notre-Seigneur répond d'avance en leur disant: ego non judico quemquam; l'homme privé et ordinaire tel que vous le voyez en moi ne juge personne; ses jugements ne procèdent pas de l'homme seulement, et par conséquent ce n'est pas selon la chair que je puisse juger.

VIII,16

Et si judico ego, judicium ¦ Et si je juge, mon jugement est vrai,

meum verum est, quia solus non ¦ parce que je ne suis pas seul, mais

sum: sed ego, et qui misit ¦ moi et mon Père qui m'a envoyé.

me, Pater. ¦

Et si vous voyez que je prononce un jugement sur vous, ce jugement est vrai et n'est pas injuste comme le vôtre, parce que je ne suis pas [le] seul qui juge; ce n'est pas de mon fond humain que je le prononce; c'est mon Père qui en est le principe, c'est lui qui m'a donné de juger toutes les créatures; et, en jugeant j'use de sa justice même, et par conséquent mon jugement est vrai, c'est-à-dire selon la rigueur de justice. Car un jugement est vrai quand on juge par l'application du vrai principe de la justice.

Notre-Seigneur qui parle ici au nom de son Humanité sainte, ne dit pas qu'il ne juge pas seul et que le Verbe est avec lui pour juger, parce qu'ici la difficulté n'était pas sur la connaissance de l'objet dont il juge (alors il aurait dit [que] le Verbe est en son Humanité pour montrer qu'il a la lumière), mais il s'agit de la conformité à la justice et non aux préventions et intérêts de l'homme, et alors il invoque l'attribut de la justice essentielle qui est dans le Père, et dit qu'il n'est pas seul mais qu'il possède par le Verbe cet attribut du Père.

Pour ce qui est de la connaissance de ce dont il juge et [de] ce à quoi il rend témoignage, il en a déjà parlé, disant: qu'il savait d'où il venait et où il allait. D'ailleurs, par là même qu'il était la lumière du monde, il a dit assez qu'il parlait et jugeait avec connaissance des objets.

× VIII,17

Et in lege vestra scriptum ¦ Or dans votre loi il est écrit que le

est, quia duorum hominum ¦ témoignage de deux hommes est vrai.

testimonium verum est. ¦

× VIII,18

Ego sum qui testimonium ¦ C'est moi qui rends témoignage de

perhibeo de meipso, et ¦ moi-même; mais mon Père qui m'a

testimonium perhibet de me, ¦ envoyé, rend aussi témoignage de moi.

qui misit me, Pater. ¦

Après avoir parlé de son jugement juste, il leur parle de son témoignage, pour leur dire que son témoignage non seulement est vrai et suffisant par lui-même, mais encore qu'il est légal, selon Moyse. Moyse ne demande que deux témoins pour constater la vérité d'une chose, et dans le cas dont il s'agit, les Pharisiens avaient le témoignage de deux témoins, tous les deux infiniment respectables et croyables: c'est Notre-Seigneur qui rend témoignage à lui-même, et son Père, qui lui rend témoignage.

Si, dans la loi de Moyse, il est dit que le propre témoignage n'est pas recevable, cela n'est fondé que sur ce que le témoignage pour soi est un témoignage intéressé, c'est juger secundum carnem, et par conséquent incapable d'être garant de la vérité. Or Notre-Seigneur vient de montrer que son témoignage n'est pas secundum carnem, que ce n'est pas l'homme qui a reconnu l'objet de son témoignage par lui seul, et qu'il ne le rend pas non plus par lui seul, mais selon la justice, et, par conséquent, c'est un vrai témoin; ne resterait que la seule difficulté qu'un témoin n'est pas légal, c'est pourquoi il cite encore le témoignage de son Père qui l'a envoyé. Ainsi Notre-Seigneur a bien montré que son témoignage est bon et vrai en soi, et que si ce témoignage n'est pas admis par les Pharisiens, s'il ne leur constate pas la vérité, cela vient de leur faute, parce qu'ils jugeaient de tout selon la chair, et que par là, ils se rendaient incapables de sortir de leur ignorance, et de connaître quels sont les témoins qui leur parlaient. Il achèvera de leur dire cela tout à l'heure. - Il se contente de leur parler de la sorte, sans leur montrer de nouveau les preuves extérieures de la vérité de son témoignage, ni quel est le témoignage de son Père; il les laisse dans leur grande ignorance, parce qu'ils étaient remplis de malice et abusaient de toutes ses grâces et de tous ses bienfaits, ne les employant que contre lui.

× VIII,19

Dicebant ergo ei: Ubi est ¦ Ils lui disaient donc: Où est ton

Pater tuus? Respondit Jesus: ¦ Père? Jésus répondit: Vous ne me

neque me scitis, neque Patrem ¦ connaissez ni moi, ni mon Père: si

meum; si me sciretis, forsitan ¦ vous me connaissiez, vous connaîtriez

et Patrem meum sciretis. ¦ peut-être aussi mon Père.

Les Pharisiens, entendant dire à Notre-Seigneur que son Père lui rendait témoignage, ne comprenaient pas de qui il voulait parler; c'est pourquoi ils demandèrent où était son Père. Peut-être aussi soupçonnaient-ils que Notre-Seigneur parlait de Dieu, et (qu)'ils voulaient entendre cela de sa bouche, afin d'avoir de quoi le condamner. Mais ils montraient qu'ils n'avaient pas d'idée là-dessus. Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur dit: Vous ne me connaissez pas moi, et vous ne connaissez pas mon Père. Notre-Seigneur parle ici d'une notion simple de l'incarnation de la divinité, et du mystère de la sainte Trinité. Neque me scitis. Vous ne connaissez pas que la divinité réside en moi, vous n'y voyez que l'homme. Neque Patrem meum (scitis): vous ne savez pas non plus que le Verbe a été engendré par le Père. Mais il ne veut pas parler ici de cette connaissance intime que le Saint-Esprit imprime dans une âme avancée et perfectionnée dans la foi, et de cette vue pénétrante et vivifiante qu'il lui donne du Verbe engendré par le Père, et incarné dans l'Humanité sainte. C'est de cette connaissance que Notre-Seigneur dit, la veille de sa Passion, avec bien plus de force et de certitude qu'ici: Philippe, qui videt me, videt et Patrem. [Philippe, qui me voit, voit aussi le Père; Jo. 14,9]. - Tandis qu'ici il continue: si me sciretis, forsitan et Patrem meum sciretis. Il met cela en problème, parce qu'ici, il parle de cette notion rigoureusement nécessaire pour le premier degré de foi. Cette connaissance de l'Incarnation de la Divinité, dans un juif, n'exigeait pas celle de la Sainte Trinité, de l'existence du Père et de la génération du Fils; parce que les prophètes qui annoncent l'Incarnation, et la tradition, qui a conservé le souvenir de la promesse qui en avait été faite tant de fois, ne s'expriment pas assez clairement, pour qu'on puisse en conclure cette autre notion de l'existence du Père et de la génération éternelle du Fils. Et le juif, voyant accomplies toutes les prophéties du Messie en la personne de Notre-Seigneur, et croyant que c'était véritablement le Messie, devait être instruit de ce grand mystère par le Messie même. Les traditions mêmes disaient que le Messie les instruirait de tout, comme a dit la Samaritaine: Quand le Messie viendra, il nous dira tout. De là, outre cette première grâce de foi en Notre-Seigneur comme Dieu-Homme et Messie, il fallait encore une seconde, celle d'être fidèle à ses instructions, devenir un enfant pour l'écouter et croire tout; or, l'orgueil et la malice des Pharisiens étaient un obstacle si terrible à cette foi aveugle qu'il eût fallu vaincre dans les commencements, qu'il était encore fort incertain s'ils eussent persévéré dans la foi et cru à la parole de Notre-Seigneur, même s'ils avaient su et cru qu'il était le Messie Dieu-Homme annoncé par les Prophètes. Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit peut-être.

× VIII,20

Haec verba locutus est Jesus ¦ Jésus dit ces paroles, enseignant in

gazophylacio, docens in ¦ dans le Temple, au lieu où est le

Templo: et nemo apprehendit ¦ trésor: et personne ne se saisit de

eum, quia necdum venerat hora ¦ lui, parce que son heure n'était pas

ejus. ¦ encore venue.

Quoique Jésus prêchât sa doctrine en public dans le Temple, et quoiqu'il dit ces choses aux Pharisiens, qui auraient dû comprendre qu'il parlait de Dieu en l'appelant son Père, quoiqu'il dit ces choses dans le Temple et à un endroit où ils auraient pu facilement le saisir, cependant personne ne le toucha, parce que son heure n'était pas arrivée. L'évangéliste, en répétant souvent cela, veut que l'on fasse attention que si, plus tard, Jésus a été pris par les Juifs, enchaîné et traité si indignement, ce n'a pas été par faiblesse qu'il s'est laissé faire cela, mais au contraire plutôt par sa force, puisqu'ici personne ne pouvait le toucher sans qu'il manifestât aucun moyen de sa puissance, mais par la seule raison que ce n'était pas son heure. Et, pour le saisir, il fallait une permission; cette permission, il la donna lorsque la volonté de son Père fut que cela arrivât, c'est-à-dire à l'heure déterminée pour cela de toute éternité.

× VIII,21

Dixit ergo iterum eis Jesus: ¦ Jésus leur dit encore: Je m'en vais

Ego vado, et quaeretis me, et ¦ et vous me chercherez, et vous in

peccato vestro moriemini. ¦ mourrez dans votre péché. Mais où je

Quo ego vado, vos non potestis ¦ vais vous ne pouvez venir.

venire. ¦

Jésus, toujours plein de compassion pour ces malheureux dont il voyait l'endurcissement et dont la malice empêchait la conversion, leur dit qu'il s'en allait et qu'ils le chercheraient ensuite sans pouvoir le trouver. C'est un avertissement qu'il leur donne et qu'il leur répète souvent, afin de leur faire faire attention à leur conduite, et profiter du peu de temps qu'il avait encore à rester avec eux. Il leur dit ici plus qu'il n'a dit plus haut. Cette recherche des Pharisiens, quaeretis me, n'était pas de sa personne. Il leur prédit qu'ils chercheront le Messie, ce qui était le chercher lui-même qui était le Messie; mais que, tout en le cherchant, ils mourront dans leur péché, parce qu'ils ne le trouveront pas, parce qu'ils ne peuvent se sauver sans lui; quo ego vado, vos non potestis venire; parce que ce n'était que par lui qu'on y va; en le rejetant, les Pharisiens rejetaient l'unique espérance de sortir de leur péché et se sauver. Dans ce sens, les mots in peccato vestro moriemini, veulent dire: vous mourrez dans vos péchés qui ne vous seront pas remis, parce que moi seul aurais pu vous les remettre. Il dit peccato au singulier, parce que toute leur vie était une vie de péché, parce que l'orgueil était le principe de toutes leurs actions; ou Notre-Seigneur parle du péché originel, qui est la source de tous les péchés; et, depuis que Notre-Seigneur est dans le monde, ce péché ne peut être remis que par la foi en lui et le baptême. Mais ceux qui croyaient en lui et étaient baptisés, le péché originel avec tous les autres péchés étaient remis par le même acte. Cependant, les mots: votre péché, semblent dits d'un péché particulier aux Pharisiens.

Un autre sens: Vous me chercherez quand je ne serai plus avec vous; mais vous mourrez dans votre péché, c'est-à-dire dans celui d'avoir rejeté le Fils de Dieu, de l'avoir persécuté, méprisé et crucifié. Moi, je serai dans le sein de mon Père; mais vous, pécheurs, qui m'avez rejeté, vous n'y irez pas, parce que personne ne peut y aller que par moi.

× VIII,22

Dicebant ergo Judaei: Numquid ¦ Les Juifs disaient donc: Se tuera-interficiet semetipsum, quia ¦ t-il lui-même, puisqu'il dit: Où je

dixit: Quo ego vado, vos non ¦ vais vous ne pouvez venir?

potestis venire? ¦

Les Juifs, toujours pleins d'incrédulité, (et ceux-mêmes qui avaient la foi, l'avaient en partie, bien faible et bien obscurcie) ne comprenant pas ces paroles que Notre-Seigneur venait de leur dire, précisément à cause de leur peu de foi, ils faisaient de singulières conjectures sur ses paroles.

Ils s'imaginaient que peut-être par là, Notre-Seigneur voudrait dire qu'il se donnerait la mort. Ayant aperçu que les Pharisiens en voulaient à sa vie, ils pensaient que, pour échapper au supplice, il se donnerait la mort et que c'était là ce qu'il voulait dire: Vous me chercherez pour me faire mourir et vous ne me trouverez pas; ou qu'il disait cela au peuple: Vous me chercherez et ne me trouverez pas, parce que je serai mort. Cela montre les idées grossières qu'ils avaient des choses divines; combien peu ils connaissaient notre adorable Maître, et combien peu ils comprenaient ces paroles par lesquelles il leur manifestait sa grandeur: voilà pourquoi il leur dit: Vos de deorsum estis.

× VIII,23

Dicebat ergo eis: Vos de ¦ Il leur disait donc: Vous, vous êtes

deorsum estis, ego de supernis ¦ d'en bas, moi je suis d'en haut.

sum. Vos de hoc mundo estis, ¦ Vous êtes de ce monde, moi je ne suis

ego non sum de hoc mundo. ¦ pas de ce monde.

Notre-Seigneur leur parlait un langage céleste, et eux expliquaient ses paroles bassement, selon leurs idées basses et petites. Ils avaient l'âme à moitié abrutie par le péché et la chair, et ne pouvaient concevoir les choses célestes. Notre-Seigneur leur parle d'aller dans le sein de son Père, et ils lui prêtaient des sentiments indignes de lui. Cela leur arrive très souvent, parce que Notre-Seigneur était sans cesse dans son Père, et son esprit humain continuellement élevé et abîmé dans les grandeurs de son Père, tandis que les Juifs avaient l'esprit petit, bas et rétrécit, et incapable de concevoir les choses célestes; leur esprit penchait sans cesse vers les choses inférieures. Quand le péché est dans une âme, il s'y trouve comme un poids qui courbe toujours l'esprit vers les choses basses, et le rend incapable de s'élever.

Vos de hoc mundo estis. Notre adorable Sauveur, au chapitre 17, dit à son Père que ses Apôtres ne sont pas de ce monde (Jn 17,14), et il dit ici le contraire aux Pharisiens. Un homme qui est intimement attaché et uni à Notre-Seigneur par la foi parfaite, n'est pas de ce monde, parce que son âme et toutes ses puissances, toutes ses affections, toute son action et toute son existence sont dans le ciel. Elle y tend sans cesse par l'espérance, elle y est en réalité par la foi, et elle en jouit par la charité. Un homme semblable est dans le monde par son corps: in mundo sunt, non rogo ut tollas eos de mundo [Jn. 17,11-15]; mais il n'est pas de ce monde par son âme. - Mais ceux dont l'âme ne se plaît que dans les choses de la terre et ne s'occupe que d'elles; ceux qui, au lieu de s'unir à Dieu par les vertus saintes, s'identifient avec les créatures par les trois concupiscences; au lieu de tendre sans cesse vers Dieu par l'espérance comme seul objet de leur gloire présente et future, ne tendent que par la concupiscence de la superbe vers les choses basses et misérables, qui selon leurs idées basses peuvent les relever et satisfaire leur bas amour propre et leur sotte vanité; ceux qui, au lieu de se donner entièrement à leur Créateur pour en être possédés, et pour le posséder, Lui et les richesses de sa grâce, et ensuite les richesses de sa gloire, par la foi dans ce monde, et par la possession parfaite dans l'autre, n'occupent leur esprit et ne cherchent que la possession de bien terrestre de quelque genre que ce soit; et ceux qui, au lieu de mettre tout leur amour, toutes leurs jouissances, toutes leurs complaisances et toutes leurs satisfactions en Dieu seul par la charité parfaite, n'appliquent leur volonté qu'à l'amour des plaisirs, et ne cherchent qu'à jouir sur la terre de plaisirs et de satisfactions créées, tous ceux-là sont de ce monde, parce que leurs âmes sont identifiées avec la terre et les objets de la terre; elles sont possédées, dominées et entièrement occupées par ces objets terrestres.

C'était là précisément l'état des Juifs. Ils étaient tous dans les choses terrestres, ce qui faisait que leur esprit ne voyait et ne jugeait que selon la terre, tandis que Notre-Seigneur n'était pas de ce monde, mais tout dans le ciel; il ne parlait que de choses célestes, et c'est ce qui rendait le plus souvent ses paroles inintelligibles aux Juifs. C'est là ce que notre divin Maître leur dit ici, à l'occasion de leur grossière méprise, leur en montrant le principe, qui est en même temps l'explication de ses autres paroles, qu'il leur explique dans le verset suivant.

× VIII,24

Dixi ergo vobis quia moriemini ¦ Je vous ai donc dit que vous mourrez

in peccatis vestris; si enim ¦ dans vos péchés: car si vous ne non

credideritis quia ego sum, ¦ croyez pas que je suis, vous mourrez

moriemini in peccato vestro. ¦ dans votre péché.

Les Juifs faisaient toujours plus attention à ce qui excitait leur curiosité qu'à la chose qui devait les frapper et toucher davantage; et dans tous les siècles un grand nombre leur ressemblent et en font autant. Ils scrutent quelle peut être la signification de: quo ego vado vos non potestis venire. Mais les paroles qui devaient leur faire une bien autre impression: moriemini in peccatis vestris, ne les occupent pas le moins du monde.

Mais Notre-Seigneur les leur remet devant les yeux, afin de les toucher par là; mais toucher une âme qui n'a pas de foi et qui ne veut pas en avoir, est une chose bien rare. - Après leur avoir dit qu'ils étaient des hommes d'en bas, des hommes du monde, c'est-à-dire des hommes de péché, il leur dit que c'est par cette raison qu'il leur avait annoncé qu'ils mourraient dans leur péchés; parce qu'ils ne pouvaient sortir du péché qu'en croyant la divinité de Notre-Seigneur; et comme ils le rejetaient et qu'après sa mort ils ne le trouveraient pas, il résultait de là qu'ils mourront dans leurs péchés.

Il faut remarquer [qu']ici encore Notre-Seigneur dit: Si enim non credideritis quia ego sum; et non, Si non credideritis in me, parce qu'il s'agit ici de la rémission des péchés par le baptême, où il suffit d'un moindre degré de foi. Par le mot peccatis, au pluriel, que Notre-Seigneur dit d'abord dans ce verset, il entend tous les péchés de leur vie; ils resteront couverts de ces péchés et y mourront, faute de moyen pour les remettre. Et quand, à la fin, il dit in peccato au singulier, il veut dire, soit toute la vie de péché, soit le péché originel en lui-même et en toutes ses suites, c'est-à-dire en tous les autres péchés dont il est le principe, soit ce dernier péché de rejeter le Fils de Dieu et de ne pas croire en Lui. En ce dernier sens, ce mot in signifie par ou par suite; vous mourrez en ce péché; ce sera celui-là qui consommera votre perte et qui achèvera de vous faire descendre au tombeau, chargés de tous les autres. Dans ce sens, on comprend parfaitement pourquoi, au commencement de ce verset, Notre-Seigneur dit: in peccatis, et à la fin, in peccato.

Ego sum. Dans le verset suivant, Notre-Seigneur explique toute la hauteur de cette expression.

× VIII,25

Dicebant ergo ei: Tu quis es? ¦ Ils lui dirent donc: Qui es-tu? Jésus

Dixit eis Jesus: principium, ¦ leur dit: Le principe, moi-même qui

qui et loquor vobis. ¦ vous parle.

Là on peut voir l'ignorance et la méchanceté des Juifs de ce temps. Quand il s'agissait de les délivrer de l'Egypte, ils étaient grossiers, ignorants et méchants, comme cela se voit dans toute leur histoire, cependant lorsque Dieu voulait se manifester par son serviteur il lui dit: Dites-leur: Celui qui sera (33) m'a envoyé: Ego sum misit me [cf. Ex. 3,14] et ils vous croiront. Ici, il s'agit de les délivrer d'un esclavage incomparablement plus dur et plus malheureux que celui de l'Egypte, celui des démons qui était médiocrement figuré par celui d'Egypte; au lieu d'un serviteur il envoie celui-là même qui avait été promis aux Juifs de l'Egypte, son Fils bien-aimé; le Fils éternel du Père venant lui-même leur répète ces mêmes paroles: Ego sum, et personne ne veut [le] croire. Moyse, comme serviteur, avait ordre de leur faire un petit nombre de miracles, faibles, de peu de conséquence, qui devaient figurer l'objet de la grande délivrance; cette grande délivrance arrive, le Fils paraît, il les inonde de miracles et dit Ego sum, et personne ne croit. Aussi leur dit-il qu'ils mourront dans leur péché. - Les Juifs ne comprirent pas même le sens de ces paroles Ego sum, tant ils étaient éloignés de la foi et de la vérité; c'est pourquoi ils lui demandent: qui êtes-vous? C'est la même question que celle du Pharaon: Quis est Dominus? qui est le Seigneur [Ex. 5,2], pour que je lui obéisse? De même les Juifs: qui êtes-vous pour que nous croyions? Il leur répond: (Ego sum) Principium, le Principe. Il venait de dire ces paroles: Ego sum. Les Juifs veulent savoir ce qu'il est: il leur donne l'explication de ces deux mots en disant qu'il est le Principe, n'ayant ni commencement ni fin, existant par lui-même et en lui-même, et n'ayant reçu l'être d'aucune main étrangère.

Voilà comme il est principe en lui-même et par lui-même; il est encore principe de toute existence créée; principe de l'ordre de la nature; toute créature vient de lui, omnia per ipsum facta sunt [Jn. 1,3]; et ailleurs, In principio creavit Deus caelum et terram [Gen. 1,1].

De plus, dans l'ordre de la grâce, aucune régénération ne se fait que par lui: nemo venit ad Patrem nisi per me [Jn. 14,6]. Ainsi ce seul mot est une explication très étendue de tout le verset précédent, car, outre qu'il explique les termes Ego sum, cela explique encore pourquoi les Juifs mourront dans leur péché en ne croyant pas cela. Ainsi Notre-Seigneur est principe dans le sein de son Père, par l'être essentiel du Père qu'il possède en Lui et qui est son propre être; il est principe par rapport aux hommes, comme source unique de toute leur existence et de leur vie, qu'ils reçoivent uniquement de Lui et par Lui. C'est pour montrer cette dernière vérité qu'il ajoute: Qui et loquor vobis. Ce même principe, qui possède en son Père l'être et la vie par essence, nous communique cet être et cette vie qu'il a en lui-même. Cela est exprimé par le mot parler. Dans notre langage humain, nous appelons parole la communication des intelligences, par analogie de la communication qui se fait de l'intelligence humaine à une autre par cette parole humaine; ainsi saint Paul dit: Si je possédais le langage des Anges [I Co. 13,1]. Les Anges n'ont pas de bouche, pas de langue, pas d'idiome pour s'exprimer; mais ils ont une façon de se communiquer les merveilles divines, et c'est un langage. Le Fils éternel du Père est appelé le Verbe ou la parole du Père; et c'est la parole la plus parfaite qu'on puisse concevoir, parce que là il y a communication parfaite de tout l'être divin, de manière qu'il n'y a rien dans le Père qui ne soit dans le Fils, et rien dans le Fils que ce qui est dans le Père, excepté la qualité de Père et de Fils; le Père communique et le Fils reçoit, mais l'un est aussi parfait que l'autre, et ils jouissent d'une seule et même perfection, parce que cette communication est essentielle et appartenant à la nature de la Divinité.

De même, quand le Verbe de Dieu veut communiquer aux hommes la vie qu'il possède essentiellement dans le sein de son Père, c'est par la parole. Il se sert pour cela de sa bouche humaine; de manière que les paroles qui sortent de cette bouche adorable, sont des émanations et des communications du Verbe: Verba quae ego loquor vobis, spiritus et vita sunt [Jn. 6,64]. - Mais le Fils de Dieu avait beau leur parler, ils résistaient à toutes ses divines communications, et les rejetaient, précisément par cette raison que la Sagesse éternelle vient de leur dire: ils étaient des hommes de ce monde et ne recevaient que les communications que le maître de ce monde, c'est-à-dire le démon, leur donnait. Car, quoique toute la terre et ce qu'elle renferme appartienne à Dieu, cependant, par l'autorité que les hommes donnent sur eux à ce méprisable ennemi de Dieu par le péché, ils le rendent comme maître de toutes les créatures de Dieu, pour empoisonner tout l'usage qu'ils en font, et leur en donner un sujet de chute et de perte. Car il faut remarquer que toute la terre appartient à Dieu: Domini est terra et plenitudo ejus [Ps. 23,1], mais il en a donné l'usage aux hommes ainsi que de tout ce qui est sur cette terre; or, l'homme ayant péché et par là [étant] tombé sous la puissance du démon, l'a rendu maître de son âme, [de] son corps et de toute sa possession. Depuis ce temps, cet ennemi a pouvoir de tenter par cet objet, et surtout l'homme de cette terre qui lui reste toujours assujetti, et auquel il donne les influences et les communications de ce monde. Tel était l'état des Pharisiens, qui, étant entièrement adonnés à ce monde, en recevaient les communications, et rejetaient celles du Fils de Dieu, qui est opposé aux influences de ce monde.

× VIII,26

Multa habeo de vobis loqui et ¦ J'ai beaucoup de choses à dire de

judicare: sed qui me misit, ¦ vous et à juger en vous; mais celui

verax est; et ego quae audivi ¦ qui m'a envoyé est vrai, et moi, ce

ab eo, haec loquor in mundo. ¦ que j'ai entendu de lui, je le dis au

¦ monde.

Notre-Seigneur vient de dire aux Juifs, d'une manière énigmatique et en général, le principe de leurs maux, et il condamne en général leur vie et leurs actions. Quelle grâce c'eût été pour eux, s'il était rentré dans le détail de leur conduite, et leur avait fait comprendre, par toutes les particularités de leur vie, toutes les tentations et les dangers où ils étaient, ainsi que tant d'autres choses qui leur auraient fait voir qu'ils étaient dans une voie de perdition; et s'il avait jugé en public tous les détails de leurs fautes, avec tous les mauvais principes si condamnables, et toutes les illusions auxquelles leur orgueil les entraînait et par lesquelles il les livrait au démon et les menait à une perte entière. Au lieu de leur faire cette grâce, il se contente de leur dire les choses en général in peccato vestro moriemini etc. Cela venait de ce que Notre-Seigneur ne donnait ses grâces et ne prononçait même une parole, ni ne faisait une action, qui ne fût déterminée par cette volonté éternelle et déterminante de son Père, qui destinait à chacun, et en chaque circonstance, ce que son Fils devait faire dans le temps; et c'est ce que Notre-Seigneur exécutait ponctuellement. Voilà le sens de ce qu'il dit: il vient de leur dire qu'il était le Principe qui leur parlait; c'est-à-dire, qui leur communiquait la lumière qu'il possède en lui et la vie; la lumière, pour se connaître soi-même et les volontés de son Père céleste, et la vie, pour l'exécuter. Il ajoute qu'il aura encore beaucoup de choses à dire d'eux, sur ce qu'ils étaient et sur la volonté de Dieu qu'ils devaient accomplir. Il ajoute et judicare: [il a] non seulement à dire, mais à juger du mal qui était en eux et de l'opposition à cette divine volonté de son Père. Notre-Seigneur parle ici de jugement prononcé et communiqué aux coupables; car, pour l'intérieur, Notre-Seigneur jugeait chacune de leurs mauvaises oeuvres, seulement il ne leur communiquait pas ces jugements (34). Mais quelque soit son désir pour le salut des âmes, il ne leur dira pas davantage et ne leur manifestera pas son jugement sur leurs actions, parce que celui qui l'a envoyé est vrai, verax.

La véracité de Dieu est applicable à ses volontés éternelles, aussi bien qu'à ses promesses et à ses jugements. Le Père a déterminé de toute éternité, dans sa volonté souveraine, qu'il enverrait son Fils unique sur la terre, et il l'a envoyé. Il a déterminé tout ce qu'Il y devait faire pour le salut du monde en général et pour celui de chacun en particulier; toutes ses paroles sont comptées dans cette volonté éternelle. Il a déterminé toutes les paroles de grâce qu'Il devait dire aux Pharisiens vu la circonstance de leur malice, et sa véracité exige que, les circonstances prévues existant, cette même volonté doit durer et exister aussi dans le temps et être intimée au Fils de Dieu; de manière que le Père ne peut pas changer dans le temps, les circonstances existant[es], son vouloir éternel, ni pour accorder plus, ni pour accorder moins, parce qu'il manquerait à sa véracité, qui exige une rigueur de mesure exacte et voulue de toute éternité. L'homme peut avoir aujourd'hui une volonté et demain une autre, et ne pas manquer à le véracité, parce qu'il est inconstant, et l'acte qui a voulu hier n'est plus, et celui d'aujourd'hui est un autre qui n'est pas le même; tandis que Dieu étant immuable, ses volontés sont toujours les mêmes, et par conséquent ce serait manquer à sa véracité, si une disposition dans la divine volonté pouvait changer en augmentant ou diminuant, soit lorsque cette volonté éternelle est absolue, soit lorsqu'elle est conditionnelle, si la condition est remplie. C'est donc ce que Notre-Seigneur dit: son Père, de toute éternité, avait ses desseins déterminés sur tout ce qu'il devait dire dans le temps. Il avait déterminé qu'il ne découvrirait pas aux Pharisiens tous les maux qui étaient en eux et tous les jugements qui étaient prononcés contre eux. Par conséquent, le Père ayant envoyé son Fils dans le temps, doit persévérer dans ses volontés, parce qu'il est verax: qui misit me verax est, celui qui m'a envoyé est véridique. Il eut ces volontés dans l'éternité avant que cette mission fût faite dans le temps, et sa véracité lui fait continuer cette même volonté, maintenant que cette mission est faite et cette volonté est réduite en pratique. Il est verax dans sa mission.

Pour compléter la raison pour laquelle il ne dit pas tout ce qu'il a à dire, il ajoute à cela: Et ego, etc. Mon Père est vrai et persévère toujours dans la même volonté, et moi qui suis envoyé par lui pour l'accomplissement de cette volonté éternelle, je ne dis dans ce monde, je ne communique de grâces et je ne dis de paroles, que celles que j'ai entendues de toute éternité dans son sein, par la communication que j'ai reçue de cette volonté, avec les autres perfections de l'essence divine, qui est en moi comme en lui-même. - Notre-Seigneur dit quae audivi au passé, quoiqu'il les entendît toujours également, pour manifester cette audition éternelle, par laquelle est exprimée la communication reçue de cette volonté divine dans son essence: que j'ai entendue de toute éternité avant mon incarnation. Si Notre-Seigneur dit: ab eo, cela ne signifie pas séparation, comme si cette volonté n'était plus dans le Père, mais dans le Fils; le Fils reçoit cette communication de la volonté de la même façon qu'il reçoit toute la divinité qui reste la même essentiellement et substantiellement dans le Père, et la même est essentiellement et substantiellement dans le Fils; c'est ce qui constitue l'unité divine du Père et du Fils.

Notre divin Maître dit: Quae audivi ab eo haec loquor in mundo; loquor, il ne dit pas judico, parce qu'ici il ne s'agit que de l'expression de ce jugement par les paroles: mais pour le jugement intérieur il existe toujours; à chaque mauvaise oeuvre qui sort de l'homme, est opposé une condamnation ou jugement qui sort du Verbe de Dieu uni au Fils de l'homme. Lorsque ensuite la grâce triomphe et que l'âme revient à Notre-Seigneur alors ce jugement ou [cette] condamnation est effacée. C'est ce chirographum decreti dont parle saint Paul [Col. 2,14], et que Notre-Seigneur efface et déchire par les mérites de sa croix. Ici, ce quae audivi n'a pas tout à fait le même sens qu'au chapitre 5, v. 30, sicut audio judico, parce qu'il ne s'agit ici que de prononcer le jugement pour le bien de ces âmes, et plus haut il s'agit du jugement intérieur porté par Notre-Seigneur qui est juste parce qu'il juge comme il l'entend.

In mundo. Ces explications sur l'état des âmes et ce jugement ne sont pas prononcés à tous également, ici dans ce monde, pour leur salut; mais il sera prononcé et expliqué pour tous dans l'autre monde. Là, il leur sera montré en un clin d'oeil tout ce qui était en eux de bien et de mal pendant toute leur vie, dans le plus grand détail, et un jugement sera prononcé contre tout le mal, mais ce jugement ne sera plus, comme c'eût été sur la terre, un jugement de miséricorde; ce sera un jugement terrible qui écrasera les pécheurs et les accablera. On peut dire encore: pendant le temps que Notre-Seigneur était dans ce monde il ne disait pas ces choses parce que la volonté de son Père était telle, mais une fois sorti de ce monde, sa grâce sera plus puissante, et alors il instruira le monde plus qu'il n'avait fait pendant qu'il y était.

× VIII,27

Et non cognoverunt quia Patrem ¦ Et ils ne comprirent pas qu'il disait

ejus dicebat Deum. ¦ que Dieu était son Père.

× VIII,28

Dixit ergo eis Jesus: Cum ¦ Jésus leur dit donc: Quand vous aurez

exaltaveritis Filium hominis, ¦ exalté le Fils de l'homme, alors vous

tunc cognoscetis quia ego sum, ¦ connaîtrez que c'est moi, et que je

et a meipso facio nihil; sed ¦ ne fais rien de moi-même, mais que je

sicut docuit me Pater, haec ¦ parle comme mon Père m'a enseigné.

loquor. ¦

Les Juifs ne comprirent pas que Notre-Seigneur se disait Fils de Dieu, ils ne surent pas plus la signification du mot Principium que des mots Ego sum. C'est pourquoi ils continuaient de l'écouter en paix et Notre-Seigneur leur adressa ces paroles des deux versets 28 et 29, pour les toucher au moins et leur inspirer quelques bons sentiments, en les laissant toujours dans la plus grande ignorance où il les voyait et dans l'incapacité de comprendre ses paroles divines et de le connaître. Il les console de cette ignorance et leur donne espérance de le mieux connaître plus tard. C'est une chose admirable que la bonté incompréhensible de notre très doux Sauveur. Il voit ces gens trop mal disposés pour leur pouvoir dire ouvertement qui il était, il les ménage et leur parle en termes couverts, il se les attire au moins pour un temps, afin de leur donner quelques grâces, et leur dit que, plus tard, quand le temps sera venu, ils le connaîtront.

Cum exaltaveritis. La sagesse éternelle a choisi ce qui est insensé selon le monde pour confondre la sagesse humaine, selon saint Paul [1 Cor. 1,27]. C'est de là que devait venir aux enfants de Dieu la vraie sagesse et les connaissances de la vérité; c'est par les faiblesses de son Humanité qu'il a abattu toute la puissance opposée à son règne dans les âmes, et c'est par ses ignominies qu'il a établi sa gloire, mais de la manière la plus brillante. C'est par sa Croix qu'il devait éclairer les hommes, écraser la puissance de l'enfer et attirer tout le monde à Lui. Tous les mystères que le Fils de Dieu opérait sur la terre étaient pleins des grâces qui devaient se communiquer aux hommes, non seulement pour leur salut, mais même pour leur avancement dans la plus grande perfection de la sainteté; tels sont, par exemple, les mystères de son Incarnation, de sa vie intérieure en Marie, de sa vie cachée, qui sont des mystères pleins des plus grandes grâces pour la vie contemplative et parfaite; celui de sa conversation avec les hommes et de sa prédication, qui renferment les grâces suréminentes de l'esprit apostolique, et ainsi des autres. Mais les effets que ces mystères devaient produire dans les âmes étaient suspendus pendant tout le temps que notre Sauveur a vécu sur la terre, et les grâces n'étaient communiquées que faiblement, parce qu'il a fallu d'abord que le mystère de la croix fût accompli, duquel devait venir notre délivrance de la mort, qui devait nous arracher et nous faire sortir des mains du démon et de la sujétion aux passions de la vie animale et terrestre. Ensuite venait le mystère de la résurrection qui nous méritait la grâce de la vie divine de Notre-Seigneur dans nos âmes. Mortuus est propter peccata nostra et resurrexit propter justificationem nostram, [dit] saint Paul [Rom. 4,24]. Ces mystères, une fois accomplis et appliqués aux âmes, tous les autres produisent aussi leurs grâces. Il est des âmes comme du jardin d'Eden dont il est parlé dans la Genèse. Dieu y avait planté toutes sortes de plantes délicieuses, mais avant que la pluie ne tombât, ces plantes ne croissaient pas et n'étaient pas produites, quoique les germes en existassent [cf. Gen. 2,5]; de même Notre-Seigneur, par tous les mystères de sa vie sur la terre, prépare des plantes admirables pour les faire germer dans les âmes, mais avant que cette première pluie de sa passion ne tombe sur une âme, cette âme reste stérile et aucune de ces grâces n'est produite; mais cette pluie une fois tombée, le reste va tout seul; si l'âme est fidèle, elle ira toujours de perfection en perfection et aura sa part à tous les mystères qui ont été opérés pour elle par le Fils de Dieu.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit aux Juifs: quand vous aurez exalté, c'est-à-dire quand vous aurez élevé en croix le Fils de l'homme, alors vous connaîtrez que c'est moi. Par là Notre-Seigneur veut dire qu'ils reconnaîtront en lui la personne divine du Verbe: Principium qui et loquor vobis. Il dit cela en deux sens: premièrement, pour ceux qui seront attirés par sa Passion et qui en recevront la grâce, ils le connaîtront par les lumières surnaturelles de la Foi; car il y en avait un grand nombre parmi les Juifs qui revinrent à lui après sa Passion. Dans le second sens, c'est que, par sa Croix, notre divin Sauveur attirant tout le monde à lui, omnia traham ad meipsum, la toute-puissance du Verbe y paraît pleinement, puisque, par une action de faiblesse et d'ignominie, qui devait rebuter ceux qui lui avaient été attachés, il attire même ceux qui lui avaient été opposés.

Par le même mystère de la croix (dans le même double sens), ceux qui seront attirés à lui ainsi que ceux-mêmes qui resteront infidèles verront qu'il n'a rien fait par lui-même et indépendamment de son Père. Car, pour ceux en qui la croix aura opéré le salut, ils auront part aux grâces des mystères que Notre-Seigneur a opérés pendant toute sa vie et de la parole divine qu'il a annoncée, et ils verront par la lumière surnaturelle de l'Esprit-Saint, et sentiront par l'impression de la grâce quelque chose de divin dans tout ce qu'a dit et fait leur adorable Sauveur; ils sentiront l'action du Père dans tout ce qu'a dit et fait le Fils.

Pour les autres, le mystère de la croix par lui-même, fait voir l'obéissance rigoureuse du Fils de Dieu, qui va jusqu'à la mort de la croix, et la dépendance entière de toutes ses volontés, parce qu'ils le verront boire ce calice d'amertume jusqu'à la lie et n'omettre la moindre petite circonstance marquée par la volonté de son Père et annoncée par les Prophètes. Tous les Juifs étaient obligés de voir cela et de le reconnaître; si, après cela, le grand nombre n'a pas cru, ils se sont fait illusion, à force de malice, d'orgueil et de résistance à la grâce divine.

C'est donc par l'exaltation de la croix que Notre-Seigneur fait connaître à tous qui il est, c'est-à-dire le Fils de Dieu, quel est le principe de ses actions et de ses paroles, c'est-à-dire son Père céleste.

Mais pour comprendre bien ce verset, il faut savoir que c'est le Verbe incarné qui parle, c'est Jésus Fils de Dieu et Fils de Marie tout ensemble. Une partie de ce texte est applicable au Fils de Dieu, le reste au Fils de l'homme; et tout ce qui est dit du Fils de Dieu appartient au Fils de l'homme et tout ce qui est dit du Fils de l'homme appartient au Fils de Dieu réellement et véritablement, par concomitance, ou par coexistence des deux natures dans le même Jésus-Christ en qui toutes ces choses existent. Les Juifs avaient des idées entièrement brouillées sur le divin Sauveur; ils n'avaient pas assez de foi pour recevoir ses grâces parfaitement et pour être dociles à sa parole; ils voulaient comprendre avant de croire; voilà pourquoi ils ne pouvaient souffrir de lui entendre dire qu'il était Fils de Dieu, parce qu'ils ne voyaient qu'un homme comme un autre, quoiqu'incomparablement plus parfait, c'était toujours un homme à leurs yeux. Renoncer à leur sens pour se soumettre à la foi, était une chose dont les rendaient incapables leur grossièreté, leurs vices et leurs péchés. Croire que cet homme était Dieu, cela n'était pas possible, et ils ne pouvaient concevoir la divinité et la sainte Humanité ne formant qu'un même Jésus-Christ. C'est pourquoi ils étaient incapables de saisir ce que Notre-Seigneur leur disait de lui-même. Car ces choses étaient relatives tantôt en relation avec sa divinité, tantôt avec son humanité; mais, après le crucifiement, quand ce grand mystère de la foi leur a été découvert, alors ils comprirent toutes ces différentes choses et apprirent à les rapporter tantôt à l'une, tantôt à l'autre nature, comme appartenant toujours au même Jésus-Christ. C'est dans ce sens que le divin Maître leur parle ici: Vous ne me connaissez pas et ne me comprenez pas. Quand je vous parle de mon Père, vous ne savez qui il est; quand je vous dis que je suis le principe, vous ne comprenez pas ce que je veux dire, quand je vous parle de ma mission, vous ne savez pas quelle elle est. Vous ne connaissez et ne voulez connaître en moi que le Fils de l'homme. Mais quand vous aurez exalté le Fils de l'homme (c'est-à-dire quand vous l'aurez crucifié), alors vous connaîtrez qui je suis, (c'est-à-dire, comme il vient d'expliquer au verset 25, le principe de toutes choses), vous apprendrez à connaître en moi la personne du Fils de Dieu qui vous parle, quoique ce soit une bouche humaine qui vous annonce ces paroles. (Voilà une phrase appliquée à la divinité du Verbe: Vous connaîtrez qui je suis; mais phrase dite par Jésus-Christ homme, en même temps que Dieu). Et que je ne fais rien par moi-même (voilà pour le Fils de l'homme, ainsi que tout le reste). Ainsi, quand le Fils de l'homme ne vous exprime et ne vous explique pas davantage les choses que vous ne comprenez pas, ni même celles qui vous regardent, cela ne vient pas de Lui; car je ne fais rien par moi-même, par ma volonté et par mon jugement humain; mais tout ce que je dis, toutes les paroles que le Fils de l'homme prononce devant vous, il ne le fait que d'après l'instruction du Père; tout part de là et rien d'ailleurs. Et cette instruction du Père n'est rien autre chose que la Sagesse essentielle du Père, en laquelle résident substantiellement toutes ses volontés.

Voilà pourquoi il dit: Sicut docuit mihi Pater, haec loquor. Docuit (au passé) par la génération éternelle du Verbe, et par son Incarnation où le Fils de l'homme a reçu cette instruction substantielle et éternelle du Père. Sicut. Le Verbe s'exprime par l'Humanité sainte dans la manière, le temps et les circonstances déterminés par la volonté éternelle du Père. Sicut indique la ressemblance rigoureuse de la parole du Verbe incarné aux volontés éternelles qui la déterminent. Et pour qu'on n'y voie pas seulement la ressemblance comme ferait un homme qui accomplirait parfaitement ce que commande un autre homme, il ajoute haec loquor. Ce n'est pas seulement la ressemblance, mais c'est la substance même de ces volontés du Père, qui est en moi et en mes paroles: haec loquor; [je dis] cela même que mon Père m'enseigne.

Ici nous pouvons faire une observation importante, notre adorable Maître nous montre ici combien il faut peser saintement toutes les divines paroles qu'il nous adresse, combien nous devons les vénérer et respecter avec toute l'adoration et l'amour de nos âmes. Chaque discours a son but et sa fin, chaque phrase est pesée, mesurée et réglée pour opérer les effets variés de lumière dans les intelligences et d'amour dans les volontés; chaque mot est à sa place, rien d'inutile et de superflu, pas de terme vague et approximatif. Tout part de la sagesse éternelle du Père. On voit ici qu'il ne dit rien qui ne soit décrété; pas un mot de sa volonté propre, de son esprit humain. Il reçoit tout ce qu'il donne et donne tout ce qu'il reçoit pour être donné. Quand les hommes parlent, quelque sages qu'ils soient, ils ne peuvent jamais mesurer tellement ce qu'ils disent, que chaque pensée vienne à propos et soit précisément ce qu'elle devait être, ni rendre leur pensée en termes propres qui rendent la pensée telle qu'elle doit être rendue, ni rendre leur pensée dans les termes stricts et nécessaires pour cela, sans superfluité. Il y a toujours des contours et des arrangements de phrases qui ne doivent pas tirer à conséquence; quelque concis que soit un auteur, cela sera toujours ainsi plus ou moins. Tout cela vient de la faiblesse de l'intelligence humaine. Il leur manque le fond de lumière qui leur pourrait faire voir ces choses, ils sont incapables de cette multiplicité d'attention qu'il faudrait pour tout cela. Mais le Verbe de Dieu, voyant de toute éternité dans le sein de son Père chaque action et chaque parole qu'il devait faire et prononcer dans le temps déterminé, arrangea ses discours, ses phrases et ses mots avec une sagesse si admirable, que tout ne fut que le résultat de la volonté de son Père, et en toute parfaite conformité avec cette adorable volonté qui les faisait prononcer et les avait décrétés de toute éternité.

Qu'on ne regarde pas cela comme une petitesse, car chaque mot a un sens, exprime une pensée et est fait pour produire un effet sur les sens et par là sur les âmes (fides ex auditu) [Rom. 10,17]. Or, il est certain que la volonté du Père réglait de toute éternité toutes les pensées de salut et toutes les impressions que son Fils devait produire sur chacune des âmes à laquelle il parlait. De là combien ne devrions-nous pas approfondir toutes ces divines paroles, qui sont sorties de la bouche du Verbe de Dieu! Combien ne devrions-nous pas les méditer dans l'Esprit-Saint! Nous ne devons pas nous contenter d'y voir un sens superficiel, comme on fait pour les paroles des hommes, mais entrer jusqu'au plus intime du sens de chaque parole, et nous en rendre compte, en la présence de Dieu et par la lumière de l'Esprit-Saint, pour en extraire les grâces divines dont ces paroles sacrées sont pleines.

Lorsqu'on ne pénètre pas et qu'on ne peut comprendre, alors qu'on s'humilie, qu'on se dise qu'on ne comprend pas parfaitement ce passage, et qu'on se contente d'en comprendre au moins quelque chose, étant indigne du bonheur de les lire seulement.

× VIII,29

Et qui me misit, mecum est et ¦ Et celui qui m'a envoyé est avec moi,

non reliquit me solum: quia ¦ et il ne m'a pas laissé seul, parce

ego quae placita sunt ei ¦ que pour moi je fais toujours ce qui

facio semper. ¦ lui plaît.

Le divin Maître vient de nous dire qui il était, c'est-à-dire le Principe, le Verbe de Dieu, que toute son action et toutes ses paroles sont selon le Verbe qui possède en lui les volontés du Père. Maintenant il va plus loin, et dit que son Père même est avec lui dans son opération, montrant l'identité parfaite de l'opération du Père avec les siennes. De manière que dans les actions et les paroles de l'Humanité sainte, agissant et parlant au nom de son Père qui l'a envoyé pour faire ou dire les choses qu'il avait déterminées, c'est le Père lui-même qui agit et parle avec lui, et cela en deux façons: premièrement [de façon] éloignée: parce que partout où est le Fils, là est le Père; en second lieu, cette volonté du Père résidant substantiellement dans le Fils, et le Fils par l'Humanité sainte produisant et exécutant cette volonté sainte dans ses actions et ses paroles, c'est cette adorable volonté elle-même qui se produit en même temps que l'Homme-Dieu agit ou parle. - Notre-Seigneur dit: et qui misit me. Et pour montrer qu'il ajoute quelque chose à la première pensée. Misit me, parce qu'il s'agit d'une chose qui tient à sa mission: c'est la volonté du Père envoyant son Fils qui agit et parle avec lui. - Celui qui l'a envoyé est avec lui; non seulement le Verbe est avec lui, mais, à la présence du Verbe qui s'est incarné, est jointe celle de son Père qui n'est jamais séparée de son Fils; et cela relève encore la mission de Notre-Seigneur, puisque celui qui l'a envoyé est avec lui. Et il est avec lui dans l'exercice de sa mission. En outre il est avec lui par l'exécution de sa volonté, qui agit substantiellement dans les oeuvres que le Fils fait par elle. Et non seulement il est avec lui, ce qui indique le fond de la vérité: la présence substantielle du Père dans les oeuvres du Fils; mais encore il est présent à toutes ses oeuvres, il ne le laisse pas seul. Voilà ce que fait le Père de son côté; et pourquoi? Parce que l'Humanité sainte était d'une si grande fidélité à exécuter ces adorables volontés, qu'elle les fait toujours. Quae placita sunt ei, facio: cela annonce l'accomplissement de toutes les volontés; quae au pluriel pour montrer l'application de cette volonté divine qui est une en elle, à toute la diversité d'objets qu'elle ordonne; semper indique que Notre-Seigneur ne fait rien autre chose que cette divine volonté. Or, si l'Humanité sainte n'agit en rien que par la volonté de son Père et agit selon toute l'étendue de la volonté de son Père, et que d'ailleurs la volonté de son Père réside en elle corporellement, de là, résulte cette identité parfaite de l'opération du Fils par l'exécution de cette adorable volonté, et par conséquent Notre-Seigneur a dit avec une vérité admirable que son Père est avec lui et ne l'abandonne jamais.

Notre-Seigneur nous donne par là un grand secret pour notre conduite. Il est pour nous ce que son Père est pour lui; nous recevons tout de lui, et nous devons être par rapport à lui ce qu'il est par rapport à son Père. Toutes les actions que nous faisons, dans lesquelles Notre-Seigneur n'est pas avec nous, ne sont pas des actions saintes, tandis qu'au contraire, s'il est avec nous, tout ce que nous faisons est saint et parfait, agrandit et relève nos âmes, et réussit pour la très grande gloire de son Père et pour le salut d'une foule d'âmes. Comment faut-il donc faire pour qu'il soit avec nous en toutes nos oeuvres? Il faut faire comme il a fait avec son Père. Faisons en toute chose ce qui lui est agréable, et ne faisons rien que ce qui lui est agréable; et pour cela ayons toujours les yeux de notre âme tournés et fixés vers lui, afin de connaître en tout ses bons plaisirs, et de recevoir à tout instant ses ordres, et alors nous serons bien sûrs qu'il sera avec nous et ne nous abandonnera jamais seuls.

× VIII,30

Haec illo loquente, multi ¦ Comme il disait ces choses, beaucoup

crediderunt in eum. ¦ crurent en lui.

Pendant que Jésus disait ces choses, plusieurs crurent en lui. Ce n'était pas cette foi par laquelle on croit les paroles et la doctrine de Notre-Seigneur, mais ils crurent en lui. Ils furent touchés par la grâce qui sortait de sa bouche; ils crurent à ces paroles par lesquelles il leur donne l'espérance que plus tard ils apprendront à le connaître et à le comprendre, et s'attachèrent à sa personne par une foi mêlée de charité; ils l'aimèrent et étaient disposés à se donner à lui. Mais c'était de peu de durée; ces coeurs mal disposés et pleins d'amour propre ne laissaient guère le temps à la grâce d'enraciner en eux cette divine foi. Une autre difficulté était l'ignorance: ils croyaient en Notre-Seigneur, parce qu'ils ne le connaissaient pas; s'il leur avait dit dès lors clairement qu'il était le Fils de Dieu, ils n'auraient pas manqué de blasphémer. Enfin, une troisième difficulté était que ce mouvement de leur foi n'était fondé que sur le plaisir et la satisfaction qu'ils éprouvaient dans la grâce de la parole de Notre-Seigneur; mais dès que, par un effet de leur amour propre, cette touche sensible de la grâce passait, ils redevenaient ce qu'ils avaient été auparavant, et tout ce sentiment de foi disparaissait à l'instant.

Et maintenant, dans le temps où nous vivons, pareil malheur arrive à beaucoup d'âmes, qui commencent à se donner à Notre-Seigneur et qui éprouvent de grands sentiments envers lui; [ces sentiments] tombent et s'évanouissent en peu de temps comme ceux des Juifs dont il est question ici, parce que la foi ne peut pas prendre racine chez eux. Ils s'aiment plus eux-mêmes que Notre-Seigneur, ils ont un esprit opiniâtre et plein d'amour propre. Et s'ils semblent aimer Notre-Seigneur et s'attacher à lui, c'est en grande partie pour l'amour d'eux-mêmes.

× VIII,31

Dicebat ergo Jesus ad eos que ¦ Jésus disait donc à ceux des Juifs

crediderunt ei, Judaeos: Si ¦ qui croyaient en lui: Pour vous, si

vos manseritis in sermone meo,¦ vous demeurez dans ma parole, vous

vere discipuli mei eritis; ¦ serez vraiment mes disciples.

Notre-Seigneur, voyant leur foi et en même temps leur ignorance et les mauvaises dispositions qui bientôt devaient renverser cette foi et cet attachement qu'ils lui manifestaient, leur donne un avertissement plein d'amour, qui devait les affermir davantage et leur procurer de plus grandes grâces, et dont ils abusèrent par un effet de leur grande malice. Il s'adressa à eux qui croient en lui: c'est pour eux qu'il va dire les paroles qui vont suivre, mais non pas pour tous ceux qui croient en lui; ce n'est que pour les Juifs qui viennent de manifester ces sentiments de foi; car, pour ses anciens disciples, ils étaient affermis dans leur foi, autant qu'ils devaient l'être en ce temps.

Notre divin Sauveur savait bien qu'ils abuseraient de la grâce qu'il leur fera en leur adressant ces paroles, et que ces paroles mêmes serviraient à leur faire perdre ce qu'ils venaient d'acquérir; il les leur dit tout de même, par une disposition de la divine volonté de son Père, qui lui mit ces paroles dans la bouche pour être des paroles de grâces, et c'est leur malice qui en a fait des paroles de jugement et de condamnation.

Ces Juifs avaient cru à la promesse que Notre-Seigneur leur avait faite de les éclairer plus tard, (ad eos qui crediderunt ei) et cela leur a donné ce bon sentiment envers lui; et c'est par rapport à cette docilité et soumission de leur esprit à sa parole que Notre-Seigneur dit que s'ils persévèrent dans cette disposition, et restent ainsi dans sa parole, ils seront véritablement ses disciples. Notre-Seigneur appelle rester dans sa parole quand l'esprit est docile et s'en pénètre, quand la volonté la goûte et en fait sa joie et sa satisfaction, et qu'y persévérant ainsi, on se l'applique pratiquement. Il leur dit donc que s'ils restent ainsi persévérants dans cette docilité parfaite à sa parole, ils sont véritablement ses disciples.

Notre-Seigneur dit: Si vos permanseritis, etc.: si de votre côté, vous êtes fidèles, vous serez au nombre de mes disciples; maintenant vous ne l'êtes pas encore; c'est pourquoi je ne vous donne aucune lumière, mais si vous correspondez à ma grâce et que vous restez dociles, alors vous serez véritablement mes disciples, je vous admettrai dans mes secrets les plus intimes, et vous donnerai les connaissances que je viens de vous promettre.

Par là Notre-Seigneur montre que si les mérites de sa Passion ne sont pas appliqués à tous, cela ne tient pas à lui, mais au défaut de correspondance ou de persévérance aux premières grâces reçues. Il dit plus haut, cognoscetis: tous connaîtront, tel est le désir de Notre-Seigneur, et sa volonté véritable; il meurt pour tous, mais il faut être fidèle: Si vos permanseritis. Bonté adorable de notre Sauveur, qui est toujours désireux de nous donner ses grâces, qui nous les offre et attend à notre porte! Si nous ne les recevons pas, c'est parce que nous nous refusons à ses miséricordes. Ce qui montre qu'il s'agit de la croix encore et de la connaissance qu'il a promise, c'est qu'il dit: Discipuli eritis [vous serez mes disciples]; il ne s'agit pas du temps présent; et dans le verset suivant, cognoscetis [vous connaîtrez], Notre-Seigneur ajoute vere, pour dire qu'ils entreront dans cette intimité parfaite avec lui et qu'il les instruira parfaitement et sans réserve; tandis que s'ils restaient toujours dans leurs mauvaises dispositions ils ne seraient pas vere discipuli ejus, parce qu'il ne les instruirait qu'à demi ou plutôt en toute petite partie, puisqu'il ne pouvait pas leur dire qui il était; or, pour être un vrai disciple il faut connaître, admettre et suivre toute la doctrine de son maître.

Il nous montre par là qu'il ne se contente pas d'un sentiment de foi et d'amour; il lui faut des âmes dociles et persévérantes dans sa doctrine et dans la parole intérieure dont il leur parle, pour qu'il se communique à elles avec cette intimité qui fait les grands saints, pour qu'il les admette dans sa sainte familiarité. Autrement il use de réserve avec elles et ne se communique qu'en partie et selon leurs dispositions.

× VIII,32

Et cognoscetis veritatem, et ¦ Et vous connaîtrez la vérité, et la

veritas liberabit vos. ¦ vérité vous rendra libres.

Il ne suffit pas d'avoir la foi pour acquérir la connaissance de Notre-Seigneur et de ses mystères et la connaissance de soi-même; il faut la persévérance dans cette foi; car ce n'est pas par un mouvement sensible et passager que l'âme acquiert la lumière de Notre-Seigneur, parce que la foi n'est pas encore enracinée dans l'âme. Ainsi si on persévère dans la parole de Notre-Seigneur on acquiert la lumière divine, par laquelle on connaît la vérité éternelle vivant et résidant dans l'humanité sainte de Notre-Seigneur. Cette connaissance n'est pas cette connaissance superficielle et philosophique ou naturelle, par laquelle on sait qu'une chose est; mais il s'agit de cette connaissance véritable de la foi, par laquelle on croit que le Verbe de Dieu lui-même est en Notre-Seigneur, par une certitude fondée sur la révélation de Dieu; ce qui est la véritable foi, mais qui est très faible et obscurcie quand elle est dans ses commencements, et qui en persévérant devient forte et plus étendue, et donne cette vue et cette connaissance intime de la divinité de Notre-Seigneur et de tous ses mystères, par l'union intime qu'elle établit entre la lumière du Verbe et notre intelligence. Par cette foi, la divine lumière vient demeurer en nous, et plus nous avançons dans la persévérance de la foi, plus elle s'étend et se dilate dans notre âme, se rend peu à peu maîtresse de toutes nos passions et de toutes nos mauvaises inclinations, qui auront toujours leur séjour dans la chair: elle fortifie tellement nos âmes et s'en empare de telle sorte qu'elle les rend libres des attaques mauvaises de ses ennemis jurés qui la dominaient auparavant.

Par ces paroles Notre-Seigneur console et encourage les Juifs qui croyaient en lui. Ces gens là avaient une foi morte. Ils étaient encore entièrement soumis à leur chair et à ses concupiscences; de plus Notre-Seigneur les exhorte à persévérer dans leur bon mouvement. Par cette persévérance, ils acquerront la foi vivante qui pénétrera dans leurs âmes, les éclairera sur la vérité éternelle qu'ils n'étaient pas capables de connaître alors, à cause des vices qui les dominaient encore, et qui les éloignaient de cette connaissance.

S'ils avaient persévéré, la divine bonté de Notre-Seigneur aurait continué de les disposer à recevoir sa connaissance, et ensuite il les aurait délivrés de ces concupiscences qui les dominaient. Cette persévérance de la foi devait encore procurer aux Juifs une seconde délivrance, celle de la servitude de la loi. La loi n'étant qu'une figure de cette vérité éternelle qui devait paraître. La divine vérité une fois connue délivre de la figure, et par conséquent de la servitude de cette figure. Le crucifiement de Notre-Seigneur était comme la promulgation de cette divine vérité apparue. Elle est comme affichée et suspendue à la croix [Cf. Col. 2,14] pour être vue et connue de tous. Et réellement, c'est de là qu'est venue la connaissance de la vérité. (Cum exaltaveritis, etc. tunc cognoscetis quia ego sum.) Voilà pourquoi, par la mort de Notre-Seigneur, la loi de servitude a été abolie.

Par cette douce exhortation à la persévérance, Notre-Seigneur nous donne une instruction que bien des prêtres ne suivent pas. Quand nous voyons des gens ignorants et grossiers qui ont beaucoup de foi, mais une foi peu éclairée et qui ne les empêche pas de croupir dans les vices et les superstitions, au lieu de nous récrier contre la superstition et de parler sans cesse contre cette fausse foi, il faut au contraire les exhorter avec douceur à la persévérance dans ces bons sentiments envers Notre-Seigneur et sa sainte religion, et ne pas éteindre la petite étincelle qui brûle encore [cf. Mt. 12,20]. Seulement se servir de cette foi même pour leur apprendre peu à peu avoir une foi véritable, les éclairer peu à peu, et faire en sorte que la vérité divine d'une foi éclairée les délivre de leurs vices et défauts.

× VIII,33

Responderunt ei: Semen Abrahae ¦ Ils lui répondirent: Nous sommes de

sumus, et nemini servivimus ¦ la race d'Abraham, et nous n'avons

unquam: quomodo tu dicis: ¦ jamais été esclaves de personne;

Liberi eritis? ¦ comment dis-tu, toi: Vous serez

¦ libres.

Les Juifs, au lieu d'être touchés de la douceur et de la bonté de Notre-Seigneur à leur égard, qui leur promet cette grande récompense pour leur persévérance, s'offensèrent de ses paroles et lui répondirent avec aigreur; et cela provient de leur orgueil, qui se trouva compromis et choqué par les paroles de Notre-Seigneur les plus consolantes: Et veritas liberabit vos.

Ils comprenaient que Notre-Seigneur les regardait comme un peuple d'esclaves et de serviteurs, sans comprendre de quelle servitude il voulait parler; ils sentaient seulement qu'il s'agissait de la constitution surnaturelle du peuple de Dieu, parce qu'ils savaient bien qu'il ne se mêlait pas des oppressions temporelles qu'ils souffraient. Ils voyaient donc qu'il s'agissait d'une servitude spirituelle qu'ils ne comprenaient pas et dont Notre-Seigneur dit qu'ils seront délivrés par la vérité qu'il leur manifestera.

Cette pensée les irrita beaucoup, parce qu'ils étaient au contraire extrêmement fiers de leur privilège surnaturel; ils regardaient tous les autres peuples de la terre comme leurs esclaves, et eux comme le seul peuple libre, tellement que c'était un axiome chez eux: Les enfants d'Israël sont des rois. Se voyant donc enlever ce privilège et appeler tacitement serviteurs, cela offusqua leur orgueil et les porta à de grandes extrêmités contre Notre-Seigneur. Voilà pourquoi ils disent: Nous sommes les descendants d'Abraham. C'était leur grand titre de liberté; mais ils ne savaient pas que cela n'était un titre de liberté pour leur nation, qu'autant qu'ils avaient Abraham pour père par la foi, et que cette liberté qui appartient aux enfants d'Abraham, n'est accordée qu'à la foi, et parce qu'Abraham était le père de la foi.

Ils n'avaient jamais servi, disent-ils. Ils savaient cependant qu'ils avaient été esclaves à Babylone, et qu'ils l'étaient alors des Romains; mais ils ne parlaient pas de servitude corporelle, mais de celle qui est de la constitution surnaturelle de la nation.

× VIII,34

Respondit eis Jesus: Amen, ¦ Jésus leur répartit: En vérité, en

amen dico vobis quia omnis qui ¦ vérité, je vous le dis, quiconque

facit peccatum, servus est ¦ commet le péché est esclave du péché.

peccati. ¦

× VIII,35

Servus autem non manet in domo ¦ Or l'esclave ne demeure point

in aeternum: filius autem ¦ toujours dans la maison; mais le fils

manet in aeternum. ¦ y demeure toujours.

× VIII,36

Si ergo filius liberaverit ¦ Si donc le fils vous met en liberté,

vos, vere liberi eritis. ¦ vous serez vraiment libres.

Notre-Seigneur leur montre en ces versets qu'ils sont doublement serviteurs, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent se tirer de la servitude: étant délivrés d'une servitude ce n'est que par une autre servitude. Ils sont donc d'abord serviteurs du péché. Et qui aurait pu les délivrer de cette servitude, sinon la loi et ses observances et ses figures, animées toutefois de l'âme de toute délivrance, c'est-à-dire de la foi dans le Messie? Or cette loi, étant servante elle-même, ne peut les faire sortir de cette servitude du péché que pour les faire entrer sous la sienne. Mais la délivrance que ce serviteur peut faire de la servitude du péché pour faire entrer dans la maison de Dieu, ce n'est qu'autant qu'il y est lui-même; or la loi, étant une loi de servitude, n'y sera pas toujours, mais cessera bientôt; parce qu'un serviteur ne reste pas toujours dans la maison du père de famille; il n'y est qu'autant que le père de famille le conserve pour son service et celui de sa famille; il finit par le renvoyer, ce qui en effet est arrivé à la loi, et par conséquent la servitude de la loi ne peut délivrer de celle du péché, et il est arrivé un temps où ceux qui étaient restés sous la servitude de la loi, étaient en même temps de la servitude du péché, parce que le serviteur légal n'était plus de la maison: le père de famille n'en voulait plus. Mais le fils reste toujours dans la maison et jamais n'est renvoyé; et par conséquent, en tout temps, ceux qui sont délivrés par lui sont véritablement libres, et ne deviennent pas serviteurs, mais enfants du père de famille.

Car celui qui nous délivre de la servitude spirituelle du péché ne le fait qu'en nous donnant sa propre qualité, par une participation spirituelle; la loi donnait qualité de serviteurs, et le Fils la qualité d'enfants, qui restent toujours dans la maison comme celui qui les a délivrés. Voilà pourquoi, si le Fils nous délivre, nous sommes véritablement libres; c'est-à-dire libres dans tous les sens par la qualité d'enfants; mais si ce n'est pas le Fils, on ne serait pas libres en tous les sens. Moyse ne peut délivrer les enfants d'Abraham que pour les rendre serviteurs de sa loi.

Dans le premier de ces trois versets, Notre-Seigneur insiste beaucoup sur la servitude du péché: Amen, amen dico vobis; parce que tous ces Juifs s'imaginaient que les pratiques de la loi leur suffisaient, et qu'ils pouvaient ensuite commettre tous les péchés que leurs passions et leurs concupiscences leur suggéraient; et Notre-Seigneur veut leur faire sentir qu'ils étaient esclaves du péché et qu'ils avaient grand besoin de délivrance, parce que leur qualité d'enfants d'Abraham et leur loi ne les délivraient pas tant qu'ils continuaient à le commettre. Qui facit peccatum, ne signifie pas seulement qu'on parle de l'acte eu péché commis actuellement, mais sa continuité par la disposition qu'on conserve de le commettre de nouveau une autre fois.

Dans le deuxième de ces trois versets, Notre-Seigneur fait voir le parallèle entre la délivrance du Fils et celle de la loi. Quand même la loi délivre, elle n'est qu'une servante, et la servante ne doit pas toujours rester dans la maison. Par là il annonce que cette servante sera bientôt chassée et ne pourra plus délivrer; ensuite il montre la supériorité du Fils, qui reste toujours.

Dans le troisième enfin, il tire la conclusion de tout de qu'il vient de dire, et montre que la seule délivrance du Fils rend véritablement libre, parce que celle de la servante rend encore serviteur de la servante même.

× VIII,37

Scio quia filii Abrahae estis; ¦ Je sais que vous êtes fils d'Abraham,

sed quaeritis me interficere, ¦ mais vous cherchez à me faire mourir

quia sermo meus non capit in ¦ parce que ma parole ne prend pas en

vobis. ¦ vous.

× VIII,38

Ego quod vidi apud Patrem ¦ Pour moi, ce que j'ai vu en mon Père,

meum, loquor; et vos quae ¦ je le dis; et vous ce que vous avez

vidistis apud patrem vestrum, ¦ vu en votre père, vous le faites.

facitis. ¦

Après que Notre-Seigneur s'est expliqué sur l'esclavage ou servitude dont il parlait et sur l'avantage d'en être délivré par le Fils plutôt que par le serviteur, il leur parle dans les versets suivants de leur qualité d'enfants d'Abraham, et leur montre qu'être enfant d'Abraham selon la chair ne peut pas délivrer de l'esclavage du démon. On peut appartenir à Abraham par l'extraction charnelle et appartenir en même temps au démon par l'esprit. Il leur montre en même temps que c'est la grande raison pour laquelle ils ne peuvent le comprendre et pour laquelle ils l'ont en haine.

Il paraît que ces malheureux se sont emportés jusqu'au point qu'ils avaient la pensée de faire mourir Notre-Seigneur parce qu'il leur disait cela, et, à mesure qu'il s'expliquait, leur rage augmentait. Voilà pourquoi Notre-Seigneur leur dit qu'il savait bien qu'ils étaient enfants d'Abraham. Il le disait dans leurs sens, parce qu'eux-mêmes ne l'entendaient que selon l'extraction charnelle: mais c'est peu de chose que d'être enfant d'Abraham selon la chair, si on n'en a pas l'esprit, qui est le principal et l'important, et on n'est véritablement enfant d'Abraham devant Dieu, que lorsqu'on l'est selon l'esprit, parce que ce n'est qu'alors que cette filiation met une qualité réelle dans l'âme et rend héritier de la promesse. C'est ce que Notre-Seigneur leur dit: Je sais que vous êtes enfants d'Abraham selon la chair comme vous dites; mais ma parole ne prend pas en vous, c'est pourquoi vous cherchez à me faire mourir par un effet de votre excessive malice. Et d'où vient-il que ma parole ne prend pas en vous? Cela vient de ce qu'Abraham n'est pas votre père selon l'esprit; en cela vous avez un autre père dont vous faites les oeuvres; c'est de là qu'il vient aussi que vous voulez me faire mourir; c'est de votre père que vous apprenez cela.

Dans cet endroit, Notre-Seigneur dit que les Juifs voulaient le faire mourir, parce que ses paroles ne prenaient pas en eux, et les divines paroles de Jésus ne prenaient pas en eux parce qu'il disait ce qu'il entendait de son Père; ses paroles étaient des paroles divines, et les Juifs étaient, selon l'esprit, les enfants du démon, et ne faisaient que ce qu'ils voyaient chez leur père; c'est-à-dire [que] leur esprit étant toujours sous l'influence du démon par le péché auquel ils étaient assujettis, ils ne concevaient que le mal et le péché, et c'est là la grande cause pour laquelle ils ne comprenaient pas la parole de Notre-Seigneur et pour laquelle cette divine parole ne prenait pas en eux. Ainsi, il y avait deux causes pour lesquelles les divines paroles de Notre-Seigneur ne prenaient pas dans ces âmes perdues par leur malice; la première, c'est qu'il étaient enfants du démon selon l'esprit, et la seconde c'est que le divin Maître ne disait que ce qu'il avait entendu de son Père. Ces deux causes réunies et n'en formant qu'une, sont la véritable raison de l'endurcissement de ces malheureux.

Cette divine parole ne prenant pas en eux, ils étaient par là même encore davantage sous l'influence du démon, qui ne leur faisait voir et concevoir que malice et méchanceté; et, en vrais enfants du démon, ils faisaient ce qu'ils voyaient; ils agissaient selon la malice que l'esprit de ténèbres mettait dans le leur, et c'est pour cela qu'ils voulaient faire mourir Notre-Seigneur.

Par là ils ont montré la vérist dans la nature du péché et par conséquent du démon de tendre à l'opposition à Dieu. De là, tous ceux qui appartiennent à cet ennemi de Dieu tendent à la même opposition. De là il résulte une opposition et un choc entre tout ce qui vient de Dieu et tout ce qui tient du démon. Mais celui qui est livré entièrement au Démon, et qui est tellement identifié avec lui par les dispositions du péché, qu'il a en lui comme la nature même du démon, parce que le péché est devenu comme incrusté dans son âme, il est devenu comme une seconde nature; celui-là est appelé enfant du démon. Car, comme un enfant a en soi la nature et la substance de son père, de même celui-là a en soi la nature et la substance du démon, c'est-à-dire le péché qui est le principe et le mobile de toute sa vie et de ses actions. Ceux qui sont dans ce degré de malice doivent avoir en eux l'opposition à Dieu et à ce qui vient de Dieu, telle qu'elle est dans le démon à un degré supérieur. Et c'est ce qui arriva aux Juifs dont parle Notre-Seigneur; s'ils ne connaissaient pas le divin Maître et s'ils ne comprenaient rien à ses paroles, c'est parce que leur malice repoussait toutes les semences de cette divine parole, et si pendant un moment elle entrait un peu, de suite elle était repoussée par la malice qui se soulevait contre elle, et cela par cet instinct mauvais du péché qui ne peut recevoir ce qui vient de Dieu mais le repousse nécessairement. Outre cette répulsion de l'esprit pour la connaissance de la vérité divine, il y avait encore la plus terrible répulsion de la volonté, par laquelle nous pouvons voir la grandeur et la violence de la répulsion de l'intelligence, parce que la force de l'action de la volonté correspond toujours à la force de l'action de l'intelligence. Or, cette répulsion va jusqu'au plus haut degré, c'est-à-dire jusqu'à la destruction de l'être divin. Et par là ils montrent jusqu'à quel point ils étaient livrés au démon, à ses affections et dispositions, puisqu'ils portaient cette opposition à Dieu jusqu'à la destruction, c'est-à-dire au plus haut degré où elle peut parvenir. - Il est vrai qu'ils ne connaissaient pas Notre-Seigneur, mais cette opposition n'était pas raisonnée non plus: c'était l'entraînement d'un instinct diabolique du péché dont ils étaient dominés et possédés qui sentait Dieu dans ces divines paroles, et y répugnait et s'y opposait avec violence. Le démon lui-même ne le connaissait pas, et cependant résistait de toutes ses forces depuis l'origine.

Si les Juifs avaient connu que c'était le Fils de Dieu, s'ils l'avaient vu aussi clairement qu'il leur eût été impossible de se faire illusion, ils n'auraient pas osé tenter de le faire mourir, ni même résister à la force ouverte, non pas parce qu'ils n'auraient pas eu la même malice et les mêmes résistances dans leur intérieur, mais parce qu'ils n'auraient pas osé le faire; ils auraient été tremblants. Car, le péché ne peut jamais faire face à la toute-puissante sainteté de Dieu, il en est écrasé, tout en conservant cette opposition naturelle; de plus, la faiblesse naturelle de la créature est accablée par la force toute puissante de Dieu, qu'elle voit, et qu'elle voit surtout armée pour l'écraser.

La preuve en est que les démons mêmes n'auraient pas osé lui résister directement, et par conséquent les Juifs non plus. Si cognovissent, nunquam Dominum gloriae crucifixissent [s'ils l'avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire : 1 Cor. 2,8].

× VIII,39

Responderunt, et dixerunt ei: ¦ Ils répliquèrent et lui dirent: Notre

Pater noster Abraham est. ¦ père est Abraham. Jésus leur dit: Si

Dixit eis Jesus: Si filii ¦ vous êtes fils d'Abraham, faites les

Abrahae estis, opera Abrahae ¦ oeuvres d'Abraham.

facite. ¦

× VIII,40

Nunc autem quaeritis me ¦ Mais loin de là, vous cherchez à me

interficere, hominem, qui ¦ faire mourir, moi homme qui vous ai

veritatem vobis locutus sum, ¦ dit la vérité que j'ai entendu de

quam audivi a Deo: hoc ¦ Dieu; c'est ce que Abraham n'a pas

Abraham non fecit. ¦ fait.

Les Juifs entendant dire encore une fois à Notre-Seigneur, en mauvaise part, qu'ils faisaient les oeuvres de leur père, ce qui leur disait que leur père était un homicide, c'est pourquoi ils répondent qu'ils ont pour père Abraham, et par conséquent ils ne sont pas enfants d'un malfaiteur. Ils étaient toujours sans comprendre qu'il s'agissait d'une paternité spirituelle; Notre-Seigneur la leur explique, en leur disant que s'ils étaient véritablement enfants d'Abraham ils devaient faire les oeuvres d'Abraham: ils devaient être animés de son esprit, avoir en soi ses dispositions, pour faire comme Abraham aurait fait à leur place, et comme il a fait quand il vivait. Mais eux, au lieu d'agir ainsi, font tout le contraire et cherchent à faire mourir Notre-Seigneur, parce qu'il leur dit la vérité qu'il a entendue de son Père, c'est-à-dire que son Père l'a chargé de leur annoncer.

Il dit hominem, parce qu'ils croyaient ne faire mourir qu'un homme; mais toujours voulaient-ils le faire mourir, à cause de la parole de Dieu qu'il leur annonçait, et c'est cette parole seule qui les irritait et qui leur donnait cette pensée de le faire mourir.

× VIII,41

Vos facitis opera patris ¦ Vous faites les oeuvres de votre

vestri. Dixerunt itaque ei: ¦ père. Ils lui répliquèrent donc: Nous

Nos ex fornicatione non sumus ¦ ne sommes pas nés de la fornication:

nati: unum patrem habemus ¦ nous n'avons qu'un père, Dieu.

Deum. ¦

Notre-Seigneur ajoute que, puisqu'ils veulent le faire mourir, ils ne font donc pas les oeuvres d'Abraham; par conséquent, selon l'esprit, ils ont un autre père, parce qu'Abraham ne fait pas cela. Il ajoute donc que cette malice dans leurs oeuvres leur a été communiquée par leur père, qui n'est pas leur père selon la génération corporelle, mais selon la corruption spirituelle. Comme Notre-Seigneur ne s'expliquait pas sur la personne de leur père, et qu'il insistait toujours à leur nommer un autre père, tout en reconnaissant la paternité d'Abraham, ils finirent enfin par se douter qu'il voulait parler d'une autre paternité, qui est celle selon l'esprit, et ils lui dirent qu'ils n'étaient pas des enfants de fornication, mais des enfants légitimes, et par conséquent appartenaient au peuple de Dieu, et de là ils étaient enfants de Dieu et n'avaient pour père que Dieu seul, qui est le père de tous les enfants d'Abraham.

Leur idée était toujours que, pour être enfant de Dieu, il suffisait d'être enfant d'Abraham selon la chair, et ils regardaient tous les gentils comme n'appartenant pas aux enfants de Dieu. Ils sont encore actuellement dans la même opinion, regardant tous les chrétiens, aussi bien que les payens, comme étrangers à Dieu, par la grande raison qu'ils ne sont pas enfants d'Abraham. Peut-être aussi par là veulent-ils exclure les enfants adultérins que la loi exclut de l'assemblée du peuple de Dieu. C'est pourquoi ils disent: Nous [ne] sommes pas nés de la fornication, nous appartenons au peuple de Dieu et n'avons tous qu'un père, qui est Dieu.

Leurs idées étaient grossières; ils ne pouvaient concevoir que la véritable filiation divine était pour l'âme et non pour le corps, et qu'en cela le corps ne peut influer en rien.

× VIII,42

Dixit ergo eis Jesus: Si Deus ¦ Mais Jésus leur répartit: Si Dieu

pater vester esset, ¦ était votre père, certes vous

diligeretis utique me: ego ¦ m'aimeriez; car c'est de Dieu que je

enim ex Deo processi, et veni: ¦ suis sorti et que je suis venu; ainsi

neque enim a meipso veni, sed ¦ je ne suis pas venu de moi-même, mais

ille me misit. ¦ c'est lui qui m'a envoyé.

Notre-Seigneur leur montre l'erreur de cette idée dont ils se flattaient. Il leur avait déjà assez montré cela, en leur disant que leurs mauvaises affections et leurs mauvaises actions sont celles de leur père. Ici il leur donne encore une autre preuve: Si Deus pater vester esset, etc. Dans l'ordre de la nature, tout enfant aime son père et tout ce qui appartient à son père et tout ce qui en vient; à plus forte raison, dans l'ordre spirituel de la grâce, un enfant de Dieu doit aimer ce qui appartient [à Dieu] et ce qui vient de Dieu son Père, dont il est comme exilé sur cette terre.

Pour expliquer plus radicalement la chose, il faut savoir que, dans l'ordre spirituel, tout est plus parfait que dans l'ordre matériel. Ainsi, la paternité ou la filiation existant dans l'un et dans l'autre ordre, elle est incomparablement plus parfaite dans l'ordre spirituel et surnaturel que dans l'ordre matériel; et plus on est parfaitement enfant de Dieu, plus aussi il y a de perfection dans la nature de cette paternité ou filiation. La filiation humaine et charnelle n'est qu'une figure de la filiation des enfants de Dieu. Comme nos pères sont le principe de l'existence et de la vie dans notre corps, de même Dieu est le principe de l'existence et de la vie de nos âmes, si nous sommes véritablement enfants de Dieu.

Mais, il y a une perfection incomparablement plus grande dans la naissance que nous donne Dieu, que dans celle que nos pères humains nous donnent. Mon père selon la chair m'a engendré hors de lui-même; plus mon corps se formait, plus j'en devins séparé et indépendant, et, une fois devenu homme parfait, je ne semblais plus être fils de mon père, tant je paraissais un homme à part, et tout l'être que j'ai reçu de mon père n'était plus en lui, mais concentré en moi-même. Le principe d'existence qu'il m'a donné, a reçu tant d'accroissement et tant de développement, par des principes étrangers, que mon être ne semblait plus être celui qu'il m'avait donné. Je ne tenais plus à lui que par des lois établies par le Créateur, dont il est pour moi le représentant et la figure.

Tandis que la génération et naissance que Dieu donne à nos âmes est tout autre. Dieu nous engendre en lui-même, et non en nous mettant hors de lui. Plus notre enfance spirituelle et surnaturelle est parfaite, plus nous sommes unis à Dieu, plus nous rentrons dans son sein. Sa génération n'est plus d'un moment, mais, comme sont toutes les oeuvres de Dieu, c'est un acte continuel, et, dès qu'il cesse de nous engendrer, nous cessons d'être ses enfants. Il nourrit et développe lui-même ce germe de la vie divine qu'il a mis dans nos âmes; c'est lui qui nous augmente et nous agrandit, de manière qu'à mesure que nos âmes se perfectionnent, nous devenons plus parfaitement enfants de Dieu, nous sommes dans une plus parfaite dépendance de notre Père céleste, et notre vie est toujours de moins en moins la nôtre et de plus en plus la sienne, la vie de nos âmes est plus concentrée en notre Père qu'en elles-mêmes. Plus nous allons, plus la vie de notre Père paraît la nôtre, et plus les oeuvres de nos âmes, non seulement paraissent être les siennes, mais le sont réellement.

Voilà une génération bien parfaite, incomparablement plus parfaite que notre génération charnelle, mais elle n'est pas encore parfaite comme celle de l'Humanité sainte de Notre-Seigneur, dont elle n'est qu'une figure et une légère participation, quoiqu'elle soit aussi parfaite que le souffre notre misère et notre faiblesse. L'Humanité sainte est parfaitement engendrée dans le sein du Père; car ici, plus le Fils rentre dans le sein du Père, plus il est parfaitement engendré. L'Humanité, participant à tout ce qui est dans le Verbe, participe parfaitement et par nature à sa génération et à toutes les divines perfections que renferme cette admirable génération.

Cependant, quoiqu'elle soit parfaite, elle n'est qu'une figure de la génération éternelle du Verbe. C'est une génération ou filiation divine naturelle; mais, par assomption et communication elle est gratifiquement naturelle; tandis que la génération éternelle du Verbe est une génération essentielle et aussi essentielle que la paternité du Père. Notre filiation est une participation à la filiation de l'Humanité sainte, et par elle à celle du Verbe même; et c'est par Notre-Seigneur que nous l'acquérons, ou plutôt que nous sommes acquis à notre Père céleste. C'est pour cela qu'il dit: Si vos filius liberaverit, vere liberi eritis [cf. v.36] par la participation à sa propre filiation. - Par ce qui vient d'être dit sur la nature de notre filiation divine, on peut comprendre cette pensée de Notre-Seigneur, que nous devons faire les oeuvres de notre Père, dont nous sommes véritablement enfants selon l'âme. Outre la perfection de l'enfance divine au-dessus de l'enfance naturelle dans ce qui fait son essence, elle existe encore par rapport aux lois que Dieu a établies pour les rapports de l'enfant avec son père.

C'est une loi générale de la création: que tout objet doit tendre vers son principe. Cela se voit même dans les choses insensibles: qu'on jette une pierre en l'air, elle retombera sur la terre dont elle a été formée; quand l'homme fut condamné à la mort, à cause de son péché, Dieu dit que son corps, qui avait été formé de la terre, rentrera dans la terre. Par un effet de la même loi le fils sentira toujours en lui un penchant naturel qui le porte vers son père par l'amour, la docilité et le respect, et vers tout ce qui lui appartient et vient de lui. Mais cette loi existe bien plus parfaitement dans la filiation des enfants de Dieu; car, outre les raisons tirées de ses grandeurs, perfections et amabilités, et de la grandeur de la grâce d'enfants de Dieu qu'il nous fait, qui sont toutes des raisons qui doivent augmenter l'amour du fils pour un père, mais en outre les enfants de Dieu ont toujours la vie de leur Père en eux, et par conséquent ses sentiments et affections. Et de plus, cette paternité divine tendant toujours à nous attirer en lui-même, elle doit nécessairement établir cet amour envers Lui et son Fils qui vient de Lui, puisque cet amour n'est rien autre chose que la tendance de notre volonté vers l'objet qui attire sa complaisance, et ici cet objet doit être notre Père, puisque nous ne sommes ses enfants qu'autant que nous avons sa vie dans notre volonté. De là il résulte, que si nous sommes enfants de Dieu, nous devons aimer Notre-Seigneur puisqu'il vient de Dieu, qu'il participe à la divinité du Père, et puisqu'il est en cette qualité le principe de notre vie et notre véritable père: Si Deus pater vester esset, diligeretis utique me: quia ex Deo processi. De plus, Notre-Seigneur est venu de Dieu pour nous, pour l'amour de nous, pour notre bien, et précisément pour nous attirer en cette filiation, processi et veni. Et non seulement cela; il est venu pour que nous ayons cette filiation par lui seul et de nulle autre part, ni de nulle autre manière, tellement que, par là même que nous sommes enfants de Dieu, c'est en Lui que nous le sommes, et toute la tendance de notre volonté vers notre Père, doit être attirée par Notre-Seigneur et passer par Lui; et cela, il ne l'a pas fait par lui-même, il n'est pas venu de lui-même pour que nous allions par lui à notre Père, mais c'est ce Père divin qui nous l'a envoyé et qui attire notre amour par son Fils et seulement par son Fils: neque enim a meipso veni, sed ille me misit. Neque indique une surabondance de raison. Il suffirait déjà de dire qu'il est sorti de son Père et est venu pour attirer tous [les hommes] et leur communiquer sa filiation divine; mais bien plus il n'est pas venu de lui-même, c'est le Père qui l'a envoyé pour cela. C'est le Père qui nous attire par son Fils qu'il nous a envoyé pour cela, il nous attire à son Fils, afin que par son Fils il nous tire dans son propre sein pour être ses enfants. Par conséquent il est bien évident, que ceux qui ne l'aiment pas et qui lui sont opposés, ne sont pas enfants de Dieu.

Quand Notre-Seigneur dit processi, il ne parle pas de la génération éternelle du Verbe, car le Verbe ne procède pas de son Père, il est engendré par le Père. Mais ici Notre-Seigneur veut parler de son Incarnation et de sa naissance temporelle: processi, voilà l'incarnation; et veni, voilà la naissance. Or cette oeuvre est attribuée au Verbe, aussi bien qu'au Père et au Saint-Esprit, puisque saint Paul dit: Exinanivit semetipsum: [il s'est anéanti lui-même; Phil. 2,7]. C'est l'oeuvre par excellence de la très-sainte Trinité: Faciamus hominem ad imaginem nostram [faisons l'homme à notre image. Gen. 1,26]. C'est l'homme par excellence.

× VIII,43

Quare loquelam meam non ¦ Pourquoi ne connaissez-vous point mon

cognoscitis? quia non potestis ¦ langage? Parce que vous ne pouvez

audire sermonem meum. ¦ écouter ma parole].

Notre-Seigneur sortant du sein de son Père et venant en ce monde parle le langage de son Père, et surtout venant en son nom et envoyé par Lui pour annoncer sa parole et sa doctrine; et les Juifs entendent toutes ses paroles et ne les comprennent pas. C'est de là que Notre-Seigneur leur tire une conclusion pour leur montrer qu'ils ne sont pas enfants de Dieu. Car d'où venait-il qu'ils ne comprenaient pas sa parole? La seule raison était parce qu'ils ne pouvaient l'entendre. Il en est de l'oreille de l'âme comme de l'oreille du corps. Il faut, pour l'ouïe de l'oreille du corps, que cet organe soit bien disposé, qu'on s'applique à écouter, et qu'il n'y ait pas d'autres bruits qui empêchent le son d'arriver distinctement: autrement on pourrait entendre des sons confus, mais on ne peut pas entendre les choses qui se disent. Pour l'ouïe spirituelle il en est de même, et c'est là précisément ce qui faisait le malheur des Juifs par rapport à la parole de Dieu. Leurs esprits étaient malades, obscurcis et incapables d'entendre cette sainte parole, et c'était le péché qui était cette maladie. En second lieu, ils ne s'appliquaient pas à écouter. Ils faisaient des efforts pour entendre extérieurement cette divine parole, mais ils n'appliquaient pas leurs âmes pour saisir et concevoir ces divines paroles, et cela par l'opposition et la répugnance qu'ils avaient pour cette parole; par cette opposition et répugnance ils la repoussaient et l'empêchaient d'entrer dans leurs âmes. Et cette opposition et répugnance venaient de leurs mauvaises inclinations et de leur orgueil. En troisième lieu, ils ne pouvaient pas l'entendre à cause du grand bruit de toutes leurs passions, qui leur faisaient entendre tout autre chose que ces divins préceptes et cette sainte doctrine du Fils de Dieu. Notre-Seigneur dit: Non potestis audire. Il eût fallu d'abord vaincre ces choses mauvaises qui leur étaient un si grand empêchement. Or, toutes ces choses ne pouvaient exister dans les enfants de Dieu; par là même qu'on est enfant de Dieu on est débarrassé du péché, de ces répugnances, oppositions et mauvaises inclinations, et de l'orgueil sur lequel elles sont fondées; et on n'est pas livré à ces passions qui s'opposent à Dieu. Donc les Juifs n'étaient pas enfants de Dieu. Notre-Seigneur va achever d'expliquer cela dans le verset 47.

× VIII,44

Vos ex patre diabolo estis: et ¦ Vous avez le diable pour père, et

desideria patris vestri vultis ¦ vous voulez accomplir les désirs de

facere; ille homicida erat ab ¦ votre père. Il a été homicide dès

initio, et in veritate non ¦ l'origine, et il n'est pas demeuré

stetit, quia non est veritas ¦ dans la vérité, parce qu'il n'y a pas

in eo. Cum loquitur mendacium, ¦ de vérité en lui; lorsqu'il parle

ex proprias loquitur, quia ¦ mensonge, il parle de son propre

mendax est et pater ejus. ¦ fonds, parce qu'il est menteur, et

¦ son père aussi.

Après que Notre-Seigneur leur a montré que Dieu n'est pas leur Père, et qu'ils n'agissaient pas non plus selon Abraham, et que par conséquent ils ne pouvaient pas regarder Abraham comme leur père par l'esprit; il leur montre dans ce verset quel est ce père dont il a parlé. C'est le démon qui leur communique son esprit et ses penchants; par conséquent c'est lui qui est leur père: et en voulant faire mourir Notre-Seigneur, ils voulaient faire les désirs de ce père impie et méchant. Quoique les Juifs ne connussent pas clairement Notre-Seigneur comme Fils de Dieu, et qu'ils ne voulussent le faire mourir que comme un homme qui leur déplaisait, cela n'empêche pas qu'ils fissent en cela les désirs du diable, et qu'ils agissent sous son immédiate inspiration, en s'abandonnant à toute la fureur de sa malice qu'il soufflait dans leurs âmes, qui lui étaient vendues. De plus ils voulaient faire mourir Notre-Seigneur, précisément par haine de la vérité qui sortait de sa bouche, et entraient par là dans toute l'horrible opposition que le maître du mensonge a contre la vérité, et se mettaient sous l'inspiration de cet ennemi de la vérité.

Pour leur dire que, par cette action qu'ils méditaient, ils faisaient le double désir de cet ennemi, il leur montre la nature de cet ennemi méprisable de Dieu. Il était dès l'origine homicide et mensonge. Notre-Seigneur dit: homicide, parce que les Juifs ne croyaient commettre qu'un homicide, et qu'il les voyait incapables d'entendre qu'il était Fils de Dieu, ce qui les rendrait coupables d'un crime infiniment plus grand. Le démon était homicide dès l'origine. Cela veut dire que sa nature de péché est une nature homicide. Il voudrait et aurait toujours voulu pouvoir détruire Dieu lui-même, mais cette volonté n'a jamais été efficace chez lui, sachant bien qu'il ne pourrait jamais le tenter seulement, ni même sur les bienheureux Anges dont le bonheur l'écrase; mais, ne pouvant détruire Dieu en lui-même, il cherche à le détruire dans son image et il y tend de toutes ses forces et de toute sa capacité, et ne pouvant la détruire cette image vénérable dans les Anges bienheureux, il tend de toute sa fureur à la détruire dans les hommes, où elle est vivante et parfaite. C'est pour cela qu'il cherche à la détruire autant qu'il est en lui, et à la défigurer au moins par le péché, et même à la détruire en partie, et pour un temps du moins, par la mort des hommes.

C'est pourquoi Notre-Seigneur semble parler ici de la nature du démon en lui-même et de son essence, et non d'un désir particulier. Il y a encore une autre raison de cet homicide; cela tient au péché qui le remplit d'une malice horrible et d'un orgueil effroyable, dont il résulte contre les hommes une haine de jalousie qui tient au caractère et à l'essence de ce misérable. Il se voit exclu du bonheur de posséder. Dieu et cela sans ressource, et nous, quoique pauvres et petits, comblés de grâces et de faveurs, et en voie pour nous disposer à le remplacer dans le séjour de la gloire. Cela lui fait des rages inconcevables, qui le font tendre sans cesse à notre destruction.

Et in veritate non stetit. Il ne fut pas dans la vérité. Cela semble dire que jamais il n'y fut un instant, et que, même dès le premier moment de sa création, au lieu de se complaire en Dieu, il se complut de suite en lui-même. Car c'est là stare in veritate, se fixer en Dieu, dans le Verbe de Dieu, qui était le principe de toute créature, le Verbe qui est la vérité par essence, et dont découle toute vérité. Cette méchante créature n'a jamais fixé son intelligence en Dieu, mais en elle-même indépendamment de Dieu, par conséquent dans le mensonge, dans le néant qui est la dénégation de la vérité. L'être essentiel qui est en Dieu est la vérité, la créature est la figure de cette vérité, c'est un écoulement et un épanchement de cette vérité, et le néant est la dénégation de cette vérité. Le péché n'est rien autre chose que l'acte par lequel une créature intellectuelle se détourne de cette vérité éternelle et se repose dans le néant, ce qui est exister et vivre dans le mensonge, dire oui à ce qui est non.

C'est ce qu'a fait le démon. Depuis que, dans l'origine, il est de suite entré dans le mensonge, il n'en est plus sorti. Depuis tout ce temps, toutes ses affections, inclinations et penchants sont en opposition à la vérité, parce qu'ils sont tous dans le mensonge, et cela d'une manière continuelle, et sans qu'il y eût jamais eu la moindre interruption: non stetit. La raison de cela est parce que la vérité n'est pas en lui: tout être créé raisonnable ne peut sentir ni agir que par un principe qui lui communique la vie ou le sentiment intellectuel qu'il a, et le meuve dans son action. Il n'existe que deux principes: Dieu, qui est la vérité, et le péché, qui est le mensonge, le néant, la dénégation de la vérité et l'opposé de Dieu. Celui qui se trouve dans ce péché, qui l'a comme principe de sa vie et de son action, celui-là est dans le mensonge et n'en sort jamais, car pour en sortir un instant il faut que la vérité soit en lui dans cet instant. Or, le démon n'a jamais eu la vérité en lui un seul instant, il n'est donc jamais sorti du mensonge. On pourrait dire que ce mot, ab initio, signifie depuis la création des hommes, car c'est dès lors qu'il mit en exécution son penchant primitif d'homicide, en faisant pécher Adam pour faire mourir tout le genre humain. - On peut aussi expliquer: in veritate non stetit. Il ne resta pas dans la vérité. Stetit indique persévérance. Cela montrerait qu'il y était pendant quelque temps. Cette explication, au premier abord, paraît plus selon la rigueur de la vérité, car Dieu le créa bon et en état de grâce, et par conséquent il aurait été au moins un petit instant dans la vérité. Dans la première explication, on pourrait dire que l'action de Dieu l'a mis dans la vérité dans sa création, mais que son premier acte élancé était hors de la vérité: non stetit indique un acte propre et non [un] état passif.

Cum loquitur, c'est-à-dire quand il communique ses sentiments et dispositions dans une âme, quand il l'anime et lui montre ce qu'elle a à faire. Qu'est-ce qu'il parle ainsi aux âmes? Des mensonges, toujours des mensonges. Ainsi, quand il dit aux Juifs de faire mourir Notre-Seigneur, il leur inspira quelques motifs et quelques sentiments, et c'était mensonge. Il en arrive de même toutes les fois qu'il parle ainsi aux âmes; il ne leur communique jamais que mensonge, cum loquitur mendacium. Par là Notre-Seigneur ne veut pas faire dire: quand il lui arrive parfois de dire des mensonges; mais: quand il parle, toutes les fois qu'il parle, et il ajoute: mendacium, parce que toutes les fois qu'il parle ainsi aux âmes il parle mensonge. Au moins toutes les fois qu'il parle selon sa volonté propre et non par force; car, Dieu le force quelquefois de dire des choses vraies, et il y mêle encore des mensonges si cela lui est permis. Et quand il parle ainsi mensonge, c'est de son propre fonds qu'il le tire, parce qu'il est menteur et son père aussi. Le père du démon c'est l'orgueil; car c'est l'orgueil qui a engendré le démon, qui l'a fait démon; il est tellement identifié avec l'orgueil, qui est menteur par essence, qu'il est devenu de même nature. L'orgueil est menteur; il faut remarquer [que] Notre-Seigneur ne dit pas que le démon et son père sont mensonge; mais menteurs, c'est-à-dire producteurs, pères du mensonge. Le péché est mensonge, l'orgueil est menteur, parce qu'il dit à la créature une excellence en elle qui n'y est pas du tout. Et l'orgueil était le père du démon; c'est lui qui l'a fait démon, et qui est aussi le principe de tout mensonge, c'est-à-dire de tout péché. Le démon est tellement identifié avec l'orgueil qu'il est menteur comme lui, et une seule et même chose avec lui. Il ne peut plus sortir de lui que des mensonges.

C'est la différence entre un homme sur la terre, livré au péché, et le démon. L'homme, sur la terre, qui est ainsi enfant du démon, ne devient pas si identique avec son père, qu'il tire ainsi le péché de sa propre substance et qu'il devienne menteur par nature; au contraire, toujours il a en son pouvoir de rentrer dans la vérité; parce que la vérité ne le quitte jamais, elle le sollicite sans cesse; et le mensonge qui en sort vient de son père (le démon), qui met en lui le péché qu'il tire de sa nature, et l'homme par sa volonté s'y livre. Tandis que le démon est devenu lui-même père du mensonge proférant de son fond le péché et le mensonge comme de sa source.

De là il résulte que les Juifs, voulant faire mourir Notre-Seigneur à cause de la vérité qu'il leur dit de la part de Dieu, manifestent dans cette volonté toute la nature diabolique, et par là même qu'ils sont enfants du diable.

× VIII,45

Ego autem si veritatem dico, ¦ Pour moi, si je dis la vérité, vous

non creditis mihi. ¦ ne me croyez point.

× VIII,46

Quis ex vobis arguet me de ¦ Qui de vous me convaincra de pécher?

peccato? Si veritatem dico ¦ Si je vous dis la vérité, pourquoi ne

vobis, quare non creditis ¦ me croyez-vous point?

mihi? ¦

Notre-Seigneur vient de leur montrer qu'ils écoutent le démon, père du mensonge, et lui obéissent comme des enfants pour exécuter ses désirs; maintenant, dans les versets suivants, il reprend ce qu'il a dit plus haut, pour leur expliquer pourquoi ils ne l'écoutent pas. Il leur dit: Vous écoutez le démon, et non seulement cela, mais vous donnez à vos paroles de mensonge l'assentiment de votre esprit et de votre volonté, vous adhérez à toutes ses inspirations, et ce sont des mensonges, qu'il tire de son fonds (Cum loquitur mendacium ex propriis loquitur). Et moi, si je vous dis la vérité, non seulement vous ne comprenez pas, mais votre âme s'y refuse et vous ne me croyez pas. Et pourquoi ne me croyez-vous pas? Est-ce par bonne volonté, parce que vous me croyez être capable de mal et de péché, pour croire que je ne dis pas la vérité? Qui de vous peut me reprendre d'un péché quelconque? Par là Notre-Seigneur leur montre sa nature impeccable, et leur prouve par là qu'il ne peut sortir de sa bouche que la vérité. Il leur demande: quis arguet me de peccato? parce que, s'ils n'avaient aucun reproche à lui faire, ni aucun soupçon à former sur lui, ils devaient nécessairement croire à la sainteté qui reluisait dans toute sa vie, et croire aux paroles saintes qui sortaient de sa bouche. Ils devaient les prendre pour la vérité, puisque tout en indiquait la vérité et l'éminente sainteté du personnage, et de la doctrine admirable qu'il annonçait. Et pourquoi donc ne croyaient-ils pas? Cela prouve qu'ils n'étaient pas de Dieu.

× VIII,47

Qui ex Deo est, verba Dei ¦ Celui qui est de Dieu écoute les

audit. Propterea vos non ¦ paroles de Dieu. Et si vous ne les

audistis, quia ex Deo non ¦ écoutez point, c'est parce que vous

estis. ¦ n'êtes point de Dieu.

Celui qui est de Dieu, c'est-à-dire celui dont l'âme est dans la dépendance et sous l'influence de Dieu, celui-là écoute les paroles de Dieu, il les discerne et les goûte, parce que celui qui est ainsi de Dieu a l'esprit porté vers Dieu, et aime ce qui vient de lui, il est animé de l'Esprit de Dieu, qui tend sans cesse à disposer l'âme pour recevoir les impressions divines qui dirigent et font tendre l'âme vers Dieu. De plus, le même Esprit lui inspire des sentiments et des dispositions conformes à celles que la parole de Dieu doit produire, apaise les passions et les penchants qui s'y opposent, et, dans le même moment que la divine parole est dite, l'Esprit de Dieu imprime dans l'intérieur une grâce analogue à cette parole divine. Enfin, par le moyen du divin Esprit qui est dans les âmes des enfants de Dieu, il se trouve une grande conformité et une singulière attraction et attrait entre cette parole divine et l'âme qui l'entend, tandis que ceux qui ne sont pas enfants de Dieu, c'est-à-dire ceux qui, dans tous les détails de leur vie, ne reçoivent pas de Dieu et le Saint-Esprit l'impulsion et l'influence qui fait agir leurs puissances, mais [la reçoivent] d'autre part, comme de la nature ou du démon; ceux-là, ayant des goûts différents, des habitudes contraires et un sentiment d'une nature tout autre et même tout opposée à celle de cette parole divine et des impressions qu'elle opère, et par là étant privés de tous les avantages ci-dessus marqués des enfants de Dieu, ceux-là ne peuvent pas ouïr, c'est-à-dire recevoir en eux cette parole de Dieu pour y croire. Voilà pourquoi les Juifs ne croyaient pas: Propterea vos non auditis; outre qu'ils avaient tous les défauts opposés, ils manquaient encore de ce qu'ont les enfants de Dieu, parce qu'ils n'étaient pas de Dieu.

× VIII,48

Responderunt ergo Judaei, et ¦ Mais les Juifs répondirent et lui

dixerunt ei: Nonne bene ¦ dirent: Ne disons-nous pas avec

dicimus nos, quia Samaritanus ¦ raison que tu es un Samaritain et

es tu, et daemonium habes. ¦ qu'un démon est en toi?

Ce discours, si peu favorable aux Juifs, mais d'ailleurs assez convaincant pour qu'ils n'eussent rien à y répondre, quoiqu'ils ne fussent capables d'en comprendre qu'une partie, ce discours les irrita toujours de plus en plus contre celui qui leur disait ainsi la vérité, pour les ramener à son Père et par amour pour eux. N'ayant pas de réponse à donner, ils lui disent des injures. Ils l'appellent Samaritain parce qu'ils le regardaient comme ennemi du peuple de Dieu, et possédé du démon parce qu'il leur disait les choses cachées dans leurs pensées et les réduisait à ne pouvoir pas lui répondre.

× VIII,49

Respondit Jesus: Ego ¦ Jésus répartit: Il n'y a pas de démon

daemonium non habeo; sed ¦ en moi; mais j'honore mon Père, et

honorifico Patrem meum, et ¦ vous, vous me déshonorez.

vos inhonorastis me. ¦

Les Juifs disaient qu'il était possédé du démon, parce qu'il leur disait des choses auxquelles ils n'avaient pas de réponse à faire; et Notre-Seigneur leur dit que ce n'était pas le démon qui l'inspirait dans ses paroles, mais qu'il honorait son Père. Il montre bien par son exemple, qu'en tout il honorait son Père et qu'il ne cherchait pas sa propre gloire, puisqu'après des injures si grossières et des blasphèmes si horribles, il répond avec tant de douceur. Quand il s'agit de venger l'honneur de son Père, il parle avec force, il découvre aux gens jusqu'à leurs secrets les plus intimes. Les Juifs veulent se donner pour enfants de son Père; cela n'aurait pas été honorable pour son Père d'avoir et de produire de tels enfants: le divin Agneau devient un lion, les accable, leur montre ce qu'ils sont, et les met à la place qu'ils doivent occuper. Il venge l'honneur de son Père, il honore son Père; il ne le fait pas par défaut d'affection et de tendresse pour eux, mais pour honorer son Père; mais quand on l'attaque lui-même, il redevient agneau et leur parle avec sa douceur ordinaire, tandis que les Juifs font le contraire. Notre-Seigneur ne leur en veut point, il ne les attaque point personnellement, il les aime malgré leur méchanceté, et leur dit la vérité, non pour leur faire [de la] peine, mais uniquement par amour pour son Père, pour l'honorer; et ils lui répondent par des injures; et pourquoi disent-ils qu'il est possédé du démon? Sa parole n'est cependant pas celle d'un homme inspiré par le démon. Tout y est saint et admirable; mais ils se trouvent manifestés par ses paroles comme des enfants du démon. C'est ce que Notre-Seigneur leur dit: Je ne vous parle et ne vous éclaire sur ces choses que pour honorer mon Père. Ce n'est pas moi que je défends par ces paroles, mais l'honneur de mon Père; et parce que j'honore mon Père vous me déshonorez. Notre-Seigneur ne déshonore pas les Juifs en leur disant qu'ils sont enfants du diable, puisqu'il ne fait que leur dire ce qu'ils sont, et cela par mission de son Père; tandis que les Juifs le déshonorent parce qu'ils lui disent une chose qui n'est pas.

× VIII,50

Ego autem non quaero gloriam ¦ Pour moi, je ne cherche point ma

meam: est qui quaerat, et ¦ gloire; il est quelqu'un qui la

judicet. ¦ cherchera et qui jugera.

Tous ceux qui n'honorent pas Notre-Seigneur, et qui ne croient pas en lui et en ses paroles, seront jugés et condamnés; et tous ceux qui croient en lui et qui chercheront sa gloire seront glorifiés; et ces jugements et cette récompense seront faits par Notre-Seigneur lui-même: et potestatem dedit ei judicium facere [et il lui a donné le pouvoir de faire justice: Jn. 5,27]. Mais dans ce jugement et cette récompense, Notre-Seigneur n'agit que par la volonté de son Père, qui veut que tous ceux qui croient en son Fils jouissent et soient revêtus de la gloire de son Fils, et que tous ceux qui le déshonorent et ne croient pas en lui, soient condamnés et restent couverts de tous les péchés. C'est ainsi que son Père glorifie son Fils en lui donnant sa gloire et en mettant tout sous sa dépendance et force tout le monde à l'honorez comme lui-même. Voilà pourquoi notre divin Maître dit qu'il ne cherchait pas sa gloire. Quoique les Juifs le déshonorent, il ne les reprend pas, parce qu'il ne cherche jamais que la gloire de son Père. Mais il les prévient qu'ils n'échapperont pas pour cela. Il y a un autre qui cherchera la gloire du Fils de l'homme, et c'est le Père lui-même. Il cherchera sa gloire dans ceux qui l'honorent et lui obéissent par une véritable foi, et il jugera (et judicet) ceux qui ne l'auront pas reçu et qui l'auront déshonoré. Quoique ce jugement soit donné par le Père au Fils: (omne judicium dedit Filio [il a remis tout jugement au Fils; Jn 5,22]), [mais] le Fils ne jugera que par la volonté du Père, qui veut que ceux-là soient condamnés, et non par sa propre volonté et parce qu'on lui a résisté; c'est cette volonté du Père qui est le seul principe et la seule mesure de ce jugement, et par conséquent la divine Sagesse et Vérité éternelle dit vrai [en déclarant] que son Père jugera.

Il faut observer que Notre-Seigneur dit en cet endroit: non quaero gloriam meam; mais qu'il ne dit pas: non judico ego; parce qu'il jugera réellement lui-même; seulement, il ne jugera pas à cause qu'il cherche sa gloire propre, mais parce que son Père la cherche, et cette recherche de la gloire du Fils par le Père fait tout le jugement du Fils.

Il faut observer aussi que Notre-Seigneur ne dit pas: est qui quaerat et qui judicet, mais qui quaerat et judicet, parce que ce jugement du Père et la recherche de la gloire de son Fils est la même chose; le jugement découle de la recherche. Le Père veut la gloire de son Fils, il l'a décrétée dans toutes ses créatures, il la cherche en toutes, et celles dans lesquelles elle ne se trouve pas seront, par le fait de cette loi universelle, jugées et condamnées, et c'est le Fils à qui il a été donné de prononcer et d'exécuter ce jugement.

× VIII,51

Amen, Amen dico vobis: si quis ¦ En vérité, en vérité je vous le dis:

sermonem meum servaverit, ¦ Si quelqu'un garde ma parole, il ne

mortem non videbit in ¦ verra jamais la mort.

aeternum. ¦

Notre divin Sauveur, par une bonté infinie pour ces âmes perverties, après leur avoir montré le jugement, leur montre aussi la miséricorde, afin de les toucher et de les attirer à lui: cette même volonté et recherche de sa gloire par son Père, qui fait le jugement de ceux qui ne croient pas, cette même volonté fait aussi le salut et donne la vie à ceux qui se soumettent et observent cette parole divine qu'il leur annonce. Notre bon Sauveur leur annonce les vérités de son Père pour leur apprendre le malheur dans lequel ils sont, et afin d'en faire de véritables enfants de Dieu, et de leur communiquer la connaissance de ses mystères, dont ils ne sont pas encore capables, à cause de la malice de leur père (du démon) qui est en eux; de leur côté, au lieu de recevoir cette parole et de s'y conformer pour avoir la vie, ils y résistent et se livrent davantage à l'empire de la mort et de satan. Cela touche profondément notre très-bon Sauveur, et il proteste d'un ton solennel contre leur conduite, afin de leur faire impression et de leur faire acquérir la vie: amen, amen dico vobis.

Mais ces malheureux sont si pleins de malice, que cette dernière bonté même est pour eux un sujet de scandale, par l'abus de cette grâce et par la méchanceté avec laquelle ils cherchent à s'en servir contre celui qui a un si grand désir de les sauver.

× VIII,52

Dixerunt ergo Judaei: Nunc ¦ Mais les Juifs lui dirent: Maintenant

cognovimus quia daemonium ¦ nous connaissons qu'il y a un démon

habes. Abraham mortuus est, et ¦ en toi. Abraham est mort et les

prophetae, et tu dicis: Si ¦ prophètes aussi, et tu dis: Si

quis sermonem meum servaverit, ¦ quelqu'un garde ma parole, il ne

non gustabit mortem in ¦ goûtera jamais la mort.

aeternum. ¦

× VIII,53

Numquid tu major es Patre ¦ Es-tu plus grand que notre père

nostro Abraham, qui mortuus ¦ Abraham qui est mort? Et les

est? et Prophetae mortui sunt? ¦ prophètes sont morts aussi. Qui

Quem te ipsum facis? ¦ prétends-tu être?

Les Juifs, incapables de comprendre les paroles spirituelles de Notre-Seigneur, pensent qu'il veut parler de la mort du corps. Tout charnels qu'ils étaient, ils ne pouvaient penser plus loin; et ils sont bien contents d'avoir trouvé quelque chose pour faire un reproche à Notre-Seigneur. Ils blasphèment et ils ne comprennent pas ce que la divine Sagesse leur disait. Ils ont cela de commun avec toutes les âmes mal disposées et sujettes à une passion quelconque tant soit peu violente ou qui préoccupe tant soit peu, ou avec tous ceux qui ne conçoivent les choses qu'humainement et selon la nature et ses goûts bas et défectueux, et qui sont ordinairement pleins d'amour propre, et veulent juger de tout. Tous ceux-là sont incapables de juger et de concevoir seulement les choses divines, et dès le premier abord ils jugent et condamnent; et non seulement cela, mais ils s'irritent et blasphèment contre ce qu'ils ne voient pas, sans examiner même les choses dont il s'agit. Leur mauvaise disposition ne leur laisse pas même le temps d'examiner et de considérer la chose, mais leur donne de suite une prévention qui les empêche à jamais de saisir le vrai point de vue, et d'avoir la soumission d'esprit suffisante pour suivre les lumières de Dieu, dont on aurait besoin; et de plus, la mauvaise intention les détourne de la voie de la vérité par laquelle ils auraient pu voir juste, et leur fait chercher de suite un mauvais côté de la chose; et quand on est plein de malice, on trouve toujours un mauvais côté, parce que la disposition malicieuse d'une âme et la faiblesse en général de l'esprit humain fait qu'on ne peut voir les raisons qui expliquent toutes les choses. Et ce mal va souvent jusqu'à la perte et à la damnation, souvent cause de grandes ruines dans les oeuvres saintes pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, au moins cause-t-il de grands dommages à ceux qui se laissent ainsi dominer par la nature et par les préventions.

La malice de ces malheureux Juifs va jusqu'à conclure de ces paroles saintes et uniquement dites pour leur salut, que c'est un démon qui en était l'auteur. Nunc cognovimus; ce sont ces paroles divines qui achèvent de les convaincre.

On voit par là jusqu'où mènent la malice et l'aveuglement des hommes. Et par là on doit apprendre à se mettre sur ses gardes contre l'amour-propre et contre les passions et les inclinations naturelles, puisqu'elles sont capables de nous mener si loin. Le grand argument qui leur prouve la possession du démon est: Abraham est mort et les prophètes sont morts aussi; et Notre-Seigneur dit que celui qui observe ce qu'il dit ne mourra point; cela prouverait qu'il est beaucoup au-dessus d'Abraham et des prophètes, puisqu'il a tellement la vie en lui, que tous ceux qui écoutent ses paroles et les observent, ne meurent point; et Abraham et les prophètes, non seulement n'avaient pas le pouvoir de donner cette vie aux autres, mais ils n'ont pas pu l'avoir pour eux-mêmes. Les Juifs se trompent en jugeant qu'il s'agit de la mort temporelle; ils n'étaient que chair et ne pouvaient voir que selon la chair; cependant, leur argument n'en est pas moins vrai ni moins fort, selon toute sa rigueur. - Mais c'est une chose bien étonnante et qui montre que leur malice les aveuglait: ils ne font pas de difficulté sur la chose même, [à savoir] si la parole de Notre-Seigneur pouvait donner la vie; mais ce qui les choquait tant, c'était que, d'après ce qu'il disait, il était plus qu'Abraham et les prophètes. Et c'est ce qu'ils trouvent monstrueux et digne d'exécration. Quem te ipsum facis? Cependant ils étaient toujours convaincus que le Messie était plus grand que tous les prophètes et avait plus de puissance qu'Abraham. - Ils savaient cependant tous que Notre-Seigneur se disait être le Messie, et tous le suivaient sans cesse dans cette pensée.

Et s'il leur avait dit simplement qu'il était le Messie, ils n'auraient pas pu trouver en cela une chose si étrange et si exécrable; tous les miracles qu'il faisait et le bruit public soutenaient cette opinion, et eux-mêmes le croyaient il n'y avait que quelques instants. Mais c'est la grandeur de leur méchanceté et de leur orgueil qui les aveugle. Ils son encore pleins d'indignation et de rage, de s'être entendu dire qu'ils n'étaient pas enfants d'Abraham, mais enfants du diable. L'idée d'Abraham roulait encore dans leurs esprits et les agitait violemment contre notre divin Maître; c'est pourquoi, au lieu de lui reprocher le pouvoir qu'il s'attribuait d'empêcher de mourir ceux qui croient et observent ses paroles (ce qui devait être pour eux une plus grande difficulté que celle qu'ils font), ils l'attaquent parce qu'il veut être plus qu'Abraham. Leur esprit étant encore rempli de colère de ce que Notre-Seigneur leur a dit qu'ils n'étaient pas enfants d'Abraham, et ils sont frappés et entraînés maintenant par cette autre pensée: Comment! maintenant il veut encore être plus qu'Abraham notre père? Cette pensée les fait entrer en fureur et achève de les endurcir dans leur grand aveuglement.

× VIII,54

Respondit Jesus: Si ego ¦ Jésus répondis: Si je me glorifie

glorifico meipsum, gloria mea ¦ moi-même, ma gloire n'est rien; c'est

nihil est: est Pater meus qui ¦ mon Père qui me glorifie, lui dont

glorificat me, quem vos ¦ vous dites qu'il est votre Dieu.

dicitis, quia Deus vester est.¦

Les Juifs, toujours aveugles sus la personne de Notre [Seigneur], et ne sachant pas qui il était, le prenaient pour un homme ordinaire, et, l'entendant dire des choses si extraordinaires, ils croyaient qu'il voulait se faire croire plus qu'il n'était; et quoique sa doctrine, l'ensemble de tous ses discours et toute sa conduite sainte et admirable, manifestassent clairement qu'il ne cherchait que la gloire de Dieu et ne faisait rien pour lui-même, la prévention, les mauvais penchants, les passions, l'orgueil et la malice de ces gens faisaient sur eux, en grand, ce que chacun de ces vices a coutume de faire ordinairement dans les âmes, par rapport aux choses divines et vis-à-vis des hommes les plus saints. Des hommes animés de ces passions et vices ne voyaient et n'apercevaient pas toutes les choses belles et saintes qui sortaient de la bouche, et qui luisaient d'une manière si brillante dans toute la conduite de notre adorable Sauveur; et si parfois ils ne pouvaient pas se le cacher, ni s'empêcher de rendre hommage à cette incomparable sainteté, cette lueur était bientôt étouffée par les mauvaises dispositions, et l'admiration se changeait en haine et en jalousie. Les Juifs donc, malgré ce qu'ils savaient de Notre-Seigneur, soutenaient toujours qu'il se glorifiait lui-même. C'est pourquoi Notre-Seigneur leur répond dans le même sens dans lequel ils le prenaient. Ils voulaient absolument voir en lui un homme qui cherche la gloire, et Notre-Seigneur, répond: Si ego glorifico, c'est-à-dire, si ce fils de l'homme que vous voyez seulement se glorifie lui-même, sa gloire n'est rien; parce que le fils de l'homme ayant été tiré du néant, il n'a pas de gloire en lui-même, et ne peut par conséquent pas s'en donner de son fonds, quelle que soit son excellence qui surpasse tant toutes les créatures, que jamais ange, ni Chérubin, ni Séraphin n'a pu la concevoir toute. Mais toute la gloire que cette vénérable Humanité a, lui vient de la Divinité qui est en elle corporellement, c'est-à-dire, substantiellement et incorporée ou incarnée.

Ainsi, si c'était l'Humanité sainte qui se glorifierait par elle-même les Juifs auraient raison de dire qu'elle avait tort, parce qu'en Abraham, ce qui le rendait grand, c'étaient les grâces divines, et par conséquent, quelles que soient la grandeur, la richesse et la beauté magnifique de cette très-respectable Humanité, considérée telle qu'elle est sortie de la main de Dieu, et, quoiqu'elle soit incomparablement plus au-dessus d'Abraham que le soleil dans tout son éclat et dans toute sa grandeur est au-dessus d'un petit grain de terre noire et vile, cependant les grâces de Dieu en Abraham sont plus grandes que l'Humanité sainte considérée en elle-même et dans son état naturel, abstractivement de l'immense trésor qu'elle possède si parfaitement. C'est pourquoi le divin Sauveur dit: Si ego glorifico meipsum gloria mea nihil est. Notre-Seigneur ajoute que ce n'était pas non plus lui qui se glorifiait lui-même. Car quand l'Humanité sainte parlait de sa grandeur, elle ne se glorifiait pas, mais elle glorifiait la gloire de son Père qui était en elle.

Lorsque les hommes se glorifient devant les autres, de quelque bonne qualité que ce soit, ce n'est pas Dieu qu'ils glorifient, et ce n'est pas Dieu qui les glorifie. C'est un néant qui glorifie un néant par un autre néant; et par conséquent la gloire est néant, nihil est. Car l'homme qui est néant, qui se glorifie et veut se donner du relief dans l'esprit et dans le coeur des autres sur une qualité quelconque; cette qualité n'est qu'une qualité créée, même lorsqu'elle est dans l'ordre surnaturel, et par conséquent, elle est néant; elle est encore plus particulièrement néant par rapport à lui, parce que cette qualité n'est qu'empruntée en lui, et n'y est que pour attirer l'honneur et la gloire à celui qui l'y a mise et à qui elle appartient, et par conséquent la gloire que l'homme veut attribuer à sa propre personne est une gloire de néant, ou plutôt n'en est pas, n'est rien et n'existe que dans son imagination. Mais, en Notre-Seigneur il n'en était pas ainsi.

C'était un autre que lui qui le glorifiait, et lui ne se glorifiait pas, mais il glorifiait uniquement celui qui le glorifiait. Son Père, en le revêtant de sa divinité, a donné au Fils de l'homme toute sa gloire divine, et par conséquent, toutes les fois que le Fils de l'homme parle de lui-même, il est obligé de dire ce qu'il en est et de glorifier la divinité, où elle veut être le plus glorifiée. De là on peut facilement concevoir, qu'en parlant de sa gloire, il ne se glorifie pas lui-même, mais la divinité qui est corporellement en lui.

Notre-Seigneur leur explique en cet endroit, quel est son Père qui le glorifie ainsi: c'est celui que les Juifs disaient être leur Dieu.

Le Père de Notre-Seigneur est le Dieu de tout l'univers, des méchants comme des bons, dans le sens que c'est lui qui a créé toutes choses et qui a puissance souveraine sur toutes ses créatures. - Mais, quand on dit qu'il est le Dieu d'un peuple ou d'un particulier, cela veut dire plus que cela: cela veut dire qu'il se communique à ce peuple ou à ce particulier, et lui fait sentir les influences de sa Divinité, et que ce peuple ou ce particulier le reconnaît, l'honore et le respecte comme Dieu, c'est-à-dire que les rapports du Créateur et de la créature dont il s'agit sont dans l'état voulu par la Divinité Créatrice. C'est dans ce sens que sont dites les paroles que Notre-Seigneur adresse dans un autre endroit aux Sadducéens: Non est Deus mortuorum sed viventium [il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants: Mt. 22,23].

Quant aux méchants qui n'honorent pas Dieu et ne le servent pas, toutes les communications voulues par le Créateur entre lui et sa créature sont rompues; il n'existe plus que le titre général de Créateur et de Conservateur de toute la créature et des relations particulières qui en résultent, mais dans lesquelles il n'y a plus la spécialité, qui se trouve dans les communications et les rapports intimes de la Divinité avec une âme qui est dans sa grâce et qui la sert et la reconnait.

C'était précisément là le malheur des Juifs: le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob n'était plus le leur; les communications étaient rompues. C'est ce que notre divine Sagesse leur dit: Quem vos dicitis, quia Deus vester est.

Ils l'appelaient leur Dieu, ils faisaient semblant de le servir par hypocrisie, mais, dans le fond, non seulement ils ne le servaient pas, mais ils ne le connaissaient pas même. C'est ce que Notre-Seigneur leur dit:

× VIII,55

Et non cognovistis eum: Ego ¦ Et vous ne l'avez pas connu: mais moi

autem novi eum; et si dixero ¦ je le connais; et si je disais que je

quia non scio eum, ero ¦ ne le connais point, je serais

similis vobis mendax. Sed scio ¦ semblable à vous, menteur. Mais je le

eum, et sermonem ejus servo. ¦ connais, et je garde sa parole.

Et non cognovistis eum. Ici Notre-Seigneur ne veut pas parler de cette connaissance acquise par les livres et par la parole des hommes, qui s'apprend par mémoire; car, celle-ci, les Juifs l'avaient de Dieu, ils connaissaient ce qui en était dit dans l'Ancien Testament, au moins il en connaissaient assez pour savoir qu'il était le Créateur de toutes choses, et pour savoir quelques-uns de ses attributs les plus importants. Mais il s'agit ici de cette connaissance intime qui est donnée à une âme qui est dans la grâce divine, dont cette âme ne se rend pas toujours compte, parce que c'est une vue de la pure foi qui ne réside pas dans les sens; mais il n'est pas moins vrai que c'est une connaissance réelle et plus parfaite que celle qui n'est acquise que par les livres, et dans laquelle la grâce n'est pour rien; car, celle-ci n'est que factice, ne donne pas à l'âme la vue de la Divinité et n'y met aucune lumière véritable. Tandis que cette connaissance communiquée par la grâce est une participation à la connaissance que l'Humanité sainte en a.

Notre-Seigneur ajoute que pour lui il connaît son Père. Par là il veut parler de la parfaite possession qu'il avait de toute la Divinité de son Père, par le Verbe qui était substantiellement en lui et qui était l'image parfaite et substantielle du Père, et par la vue duquel l'Humanité voyait le Père même. Il ajoute: Si dixero quia non scio eum, etc. Par là il semble s'excuser auprès de ces malheureux de ce qu'il parle ainsi à sa gloire. Car, connaissant ainsi la Divinité habitant en lui, il ne pouvait pas dire de lui qu'il n'était qu'un homme et parler de lui comme s'il n'était pas revêtu de la gloire, sans mentir comme faisaient les Juifs. Les Juifs disaient que le Père était leur Dieu et que Dieu était leur père, et cela n'était pas vrai; ils ne le connaissaient pas même; et si Notre-Seigneur avait dit au contraire qu'il ne le connaissait pas, il aurait dit l'opposé du mensonge des Juifs et ce n'eut pas été la vérité non plus.

Après cela Notre-Seigneur leur répète qu'il le connaît et qu'il observe sa parole, c'est-à-dire, sa volonté. Il dit: Sermonem; par là il parle de cette parole unique et éternelle qui résidait substantiellement en lui. Il veut montrer par là son union personnelle avec le Verbe: Ego scio eum, et la perfection de son opération, qui est en tout une opération divine, parce que le Verbe divin agit par h'Humanité sainte, et elle est en tout soumise et entièrement docile à tout ce que cette parole éternelle du Père opère: et sermonem ejus servo.

× VIII,56

Abraham pater vester ¦ Abraham, votre père, a tressailli

exsultavit ut videret diem ¦ pour voir mon jour; il l'a vu, et il

meum; vidit, et gavisus est. ¦ s'est réjoui.

Après que Notre-Seigneur leur à montré qu'il ne cherchait pas sa gloire, il revient à la pensée principale des Juifs, qui trouvaient extraordinaire qu'il se disait être plus qu'Abraham. Et il leur dit qu'il était tellement plus qu'Abraham, que ce Patriarche, pendant qu'il était sur la terre, a soupiré de voir le jour où Notre-Seigneur paraîtrait sur la terre.

Et maintenant qu'il l'a vu, il s'en est réjoui; par là il manifestait assez combien il était au-dessus d'Abraham. Pour montrer les soupirs d'Abraham, Notre-Seigneur dit: Exultavit, parce que ces soupirs et ces désirs enflammés des Patriarches, étaient toujours animés d'un grand transport de l'esprit, et une grande joie intérieure les accompagnait.

Cela même montre la grandeur de Notre-Seigneur au-dessus d'Abraham, parce que ce Patriarche fut dans de si grands transports dans ses désirs.

Il a vu et s'est réjoui, parce qu'il voyait enfin arriver son libérateur, qui le tirera bientôt de son lieu d'exil, et le fera jouir de son Dieu et le revêtira de sa propre gloire.

× VIII,57

Dixerunt ergo Judaei ad eum: ¦ Mais les Juifs lui répliquèrent: Tu

Quinquaginta annos nondum ¦ n'as pas encore cinquante ans, et tu

habes, et Abraham vidisti? ¦ as vu Abraham?

Les Juifs soupçonnèrent, d'après tout ce que Notre-Seigneur venait de dire dans tout ce discours, qu'il voulait qu'on crût en lui comme dans le Fils de Dieu, et que c'était par là qu'il se mettait au-dessus d'Abraham; seulement, comme ils ne comprenaient pas ses paroles, ils n'avaient qu'une idée confuse de la chose et n'étaient que dans un doute vague là-dessus, Comme leur fureur contre notre adorable Sauveur était montée à un grand excès, ils ne cherchaient plus qu'à tirer de sa bouche l'aveu qu'ils désiraient pour exécuter sur lui les desseins que leur malice a formés, et qui seuls pouvaient assouvir leur rage. Ils sont si pleins de méchanceté qu'ils ne sont plus capables de comprendre les paroles les plus simples; et ils expliquent ses paroles dans un sens qu'il est impossible de donner à la phrase, parce qu'ils désirent de lui entendre dire ce qu'ils lui prêtent. Notre-Seigneur dit d'Abraham: Vidit et gavisus est; et ils concluent de là qu'il disait avoir vu Abraham lorsque ce Patriarche vivait encore; et là-dessus ils lui font cette question: Comment dites-vous avoir vu Abraham, et vous n'avez pas encore cinquante ans? Ils disent cinquante pour un nombre plus sûr. Par cette demande ils espéraient tirer de sa bouche ce qu'ils entendirent en effet.

× VIII,58

Dixit eis Jesus: Amen, amen ¦ Jésus leur dit: En vérité, en vérité,

dico vobis, antequam Abraham ¦ je vous le dis, avant qu'Abraham eût

fieret, ego sum. ¦ existé, je suis.

Il entre quelquefois dans l'ordre de la divine providence de fournir aux pécheurs ce que leur malice demande pour leur perte; la divine volonté n'est pas de les perdre, mais les abandonner à leur malice, et ces occasions qu'elle leur fournit sont bonnes en elles-mêmes, et faites pour leur salut et pour celui des autres: ce n'est que leur malice qui les tourne en poison pour leur ruine et leur mort. C'est ce qui arrive aux malheureux Juifs dans cette circonstance. Ils ont un désir de malice effréné, et ce désir leur est accordé. Le divin Maître leur dit, en propres termes, qu'il a vécu avant Abraham, et par là leur dit clairement qu'il est le Fils de Dieu. Il aurait bien facilement pu leur montrer qu'ils avaient mal pris ses paroles, mais la divine volonté de son Père était qu'il parlât dans leurs sens, et qu'il leur dît, pour le salut de plusieurs, ce qu'ils désiraient savoir pour leur perte.

Notre-Seigneur dit: Ego sum au présent, pour indiquer la permanence de l'Etre infini et éternel du Verbe.

× VIII,59

Tulerunt ergo lapides, ut ¦ Ils prirent donc des pierres pour

jacerent in eum; Jesus autem ¦ les lui jeter; mais Jésus se cacha,

abscondit se, et exit de ¦ et sortit du Temple.

templo. ¦

Voilà à quoi a abouti ce beau sentiment de foi que ces gens-là avaient eu commencement de ce discours. Cela montre le grand malheur d'une âme qui a goûté Notre-Seigneur et qui ne persévère pas. Sa malice devient plus grande qu'auparavant, et souvent ces âmes se portent à de plus grands excès qui si elles n'avaient jamais commencé à servir Notre-Seigneur. La fureur des Juifs est montée au suprême degré, ils veulent exécuter leurs mauvais desseins qu'ils avaient formés, et faire mourir Notre-Seigneur; mais il n'était pas encore temps. Le Sauveur, par un effet de sa toute-puissance, se cacha à leurs yeux. Il se trouva au milieu d'eux, il n'y avait guère de moyen humain de s'évader, c'est pourquoi il leur rendit invisible son Humanité sainte, et se retira du Temple en leur présence, sans qu'ils le vissent. Jésus ne peut rester au milieu du trouble, partout où il y en a, il se retire.

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Caput IXm

[Chapitre neuvième× ]×

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× XI,1

Et praeteriens Jesus vidit ¦ Et comme il passait, Jésus vit un

hominem caecum a nativitate. ¦ homme aveugle de naissance.

Notre-Seigneur en passant devant cet aveugle-né, y fit attention, afin de fixer l'attention de ses Apôtres, pour qu'ils lui demandassent ce que nous verrons tout à l'heure. Car le divin Maître excitait ainsi les pensées et les sentiments dans ses Apôtres, afin de les instruire et de les rendre plus attentifs à ses instructions.

Quoique cette guérison de l'aveugle ait eu une fin directe pour la gloire de Dieu, comme nous allons voir, cela n'empêche pas cependant que cette oeuvre extérieure était une figure de choses spirituelles et plus relevées qui sont opérées par Notre-Seigneur. Toutes les circonstances particulières dans lesquelles Notre-Seigneur opéra ce miracle, montrent qu'il y a eu une intention spéciale de nous instruire par là de sa principale oeuvre.

Cette guérison de l'aveugle-né est une image de notre âme, qui est ainsi née aveugle, sans avoir la lumière de Dieu en elle, et sans être capable de pouvoir espérer guérir. Les termes de l'Evangéliste sont remarquables: aveugle a nativitate, comme si c'eût été sa naissance qui eût contribué à le rendre aveugle, ce qui arrive chez nous: nos âmes sont aveugles par leur naissance même qui leur vient d'Adam.

Notre-Seigneur guérit cet aveugle en passant: Praeteriens vidit; cela signifie, pour notre guérison spirituelle, que, quoique Notre-Seigneur arrivé dans sa gloire nous communique la grâce de notre guérison, il ne faut cependant pas nous y tromper, c'est par les mystères qu'il opéra en passant sur la terre, quand il était dans la voie pour aller à sa gloire; ce sont ces mystères qui renferment les grâces de notre guérison. C'est alors qu'il nous les a méritées; c'est alors, quand il opérait ces différents mystères qu'il voulait nous appliquer: il regarda chacun des aveugles qui devaient être guéris, pour offrir à son Père ses mérites, et les lui appliquer d'une manière pratique: Et praeteriens vidit. Ce mot vidit ne signifie pas une vue générale; il avait la vue générale de tous ceux qui l'environnaient, mais il vit particulièrement cet aveugle, et vit qu'il était aveugle. Et pourquoi le vit-il? Pour le guérir. C'est de même spirituellement: en opérant les mystères de notre vie, dans sa vie passagère, il voyait tout le monde entier d'une vue générale, et même ceux qui ne devaient pas profiter de ses mérites, mais il voyait spécialement ceux qui en ont reçu l'application pratique.

× IX,2

Et interrogaverunt eum ¦ Et ses disciples l'interrogèrent: qui

discipuli ejus: quis peccavit, ¦ a péché, celui-ci ou ses parents,

hic aut parentes ejus, ut ¦ pour qu'il soit né aveugle?

caecus nasceretur? ¦

C'était une idée commune aux Juifs, que tous les maux de la terre venaient par quelque péché commis. Et comme cet homme était aveugle dès sa naissance, les Apôtres voulaient savoir si c'était le péché des parents qui était puni dans les enfants, ou si Dieu dans les enfants punissait les péchés que les enfants devaient commettre quand ils en seraient capables; l'un et l'autre sentiment est faux et soutenu cependant des docteurs parmi les Juifs. Il est probable que, dès le temps des Apôtres, cette doctrine existait parmi eux, parce que dès lors ils avaient perdu les vrais principes dans les choses divines par leurs fausses traditions.

× IX,3

Respondit Jesus: Neque hic ¦ Jésus répondit: Ni celui-ci n'a

peccavit, neque parentes ejus; ¦ péché, ni ses parents, mais c'est

sed ut manifestentur opera ¦ pour que les oeuvres de Dieu soient

Dei in illo. ¦ manifestées en lui.

Par ces paroles Notre-Seigneur rectifie les trois erreurs de ses Apôtres. La première: il n'est pas nécessaire qu'il y ait un péché actuel pour que Dieu envoie des peines et des maladies dans ce monde; c'est souvent un dessein de miséricorde. Cette instruction était très importante pour les disciples de Notre-Seigneur, car, devant sortir de la loi de crainte et de la loi de promesse pour entrer dans la loi d'amour, l'état des choses devait entièrement changer. Dans l'ancienne loi de crainte, Dieu punissait les péchés, dès cette terre, par des châtiments terribles. De là est venue cette erreur que tout mal terrestre venait comme punition, ce qui n'est pas vrai, même pour ces temps, témoins Job et Tobie et une foule d'autres. La loi de promesse promettait même des biens terrestres pour son observation. Tandis que la loi d'amour est toute différente: tout, pour elle, est dans la gloire éternelle, et sur la terre les peines et les souffrances sont des sujets de joie et d'amour, parce que les peines ne viennent que pour glorifier Dieu dans ses enfants, qui, par là, ressemblent à Notre-Seigneur et prennent plus parfaitement part à ses immenses mérites. Sur la seconde erreur, [Jésus dit] que les péchés actuels des parents ne sont pas punis sur les enfants. Et sur la troisième, [il déclare] que Dieu ne punit pas par avance les fautes qui ne sont pas commises.

Quand Notre-Seigneur dit: Neque hic peccavit, neque parentes ejus, il ne veut pas dire qu'ils n'avaient jamais commis de péché; mais il veut dire que cette punition ne vient pas du péché de cet aveugle ni des péchés des parents. Mais Notre-Seigneur a pris cette tournure de phrase pour insinuer que cet aveuglement est la suite du péché originel. S'il avait dit: ce n'est pas son péché, ni le péché de ses parents, on aurait pu conclure que cet aveuglement n'était pas une suite du péché originel, puisque ce péché est le péché de l'aveugle et le péché de ses parents; mais Notre-Seigneur en disant: Peccavit, manifeste une action de péché en lui ou en ses parents, et il dit que cela ne vient pas de là, mais d'un péché qui ni lui ni ses parents n'ont commis, c'est-à-dire du péché d'origine. Il emprunte les paroles mêmes des Apôtres, afin de faire comprendre que c'est dans leur sens qu'il répond. Or, leur sens, n'était pas à savoir si jamais cet homme ou ses parents avaient commis un péché, mais si c'était un péché commis par cet homme ou par ses parents, qui a été cause de son aveuglement.

Pour comprendre bien tout ce que dit Notre-Seigneur en cet endroit, il faut savoir que tous sont coupables du péché originel, et que tous les maux du corps et de l'âme viennent et découlent de ce péché, et par conséquent, l'aveuglement d'un enfant qui vient au monde a sa source dans le péché originel. Mais il reste à savoir: Pourquoi Dieu a-t-il frappé cet enfant plutôt qu'un autre? Sa Providence a une raison en tout ce qu'elle fait, rien n'échappe à sa divine vue, rien n'est fait sans lui et rien n'est fait par lui au hasard. De là la question des Apôtres est encore sans solution: pourquoi cet homme est-il aveugle dès sa naissance. C'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute: c'est pour que les oeuvres de Dieu soient manifestées en lui. O bienheureux aveuglement, qui est donné pour une fin si glorieuse à Dieu! Notre-Seigneur dit: les oeuvres de Dieu; parce qu'en ce bienheureux aveugle se sont manifestées trois oeuvres principales: [une] oeuvre de puissance, pour faire une nouvelle création dans cet homme, création qui n'est pas dans l'ordre ordinaire de la Providence; [une] oeuvre de miséricorde, qui opéra le salut de cet homme en même temps que sa guérison; [une] oeuvre de justice, par l'aveuglement des Pharisiens, qui s'endurcirent et s'aveuglèrent d'une manière terrible dans cette circonstance. Notre-Seigneur dit: Ut manifestentur, et non ut operentur, parce que ces divines oeuvres s'opèrent tous les jours dans les âmes d'une manière spirituelle; et, dans cette circonstance, ces oeuvres, si fréquemment opérées en secret, devaient s'opérer avec un grand éclat, et faire voir clairement à un peuple nombreux ce qu'il avait à attendre de son Sauveur. Car les opérations de Dieu dans les âmes paraissent si manifestes dans cette occasion, que la figure disparaît presque pour laisser à découvert l'objet même qu'elle représente.

× IX,4

Me oportet operari opera ejus ¦ Il faut que j'opère les oeuvres de

qui misit me, donec dies est; ¦ celui qui m'a envoyé, tandis qu'il

venit nox quando nemo potest ¦ est jour; la nuit vient pendant

operari. ¦ laquelle personne ne peut agir.

× IX,5

Quamdiu sum in mundo, lux ¦ Tant que je suis dans le monde, je

sum mundi. ¦ suis la lumière du monde.

Les oeuvres du Père sur ses créatures doivent être faites par Notre-Seigneur: Me oportet operari opera ejus. Si nous voulons être guéris de notre aveuglement, allons à Jésus. Il a été envoyé pour nous guérir. Son Père l'a envoyé uniquement pour opérer ses oeuvres, afin que toutes les opérations divines se fassent par Lui. Il dit: Ejus qui misit me, pour manifester que c'est le sujet de sa mission, et que c'est en vertu de sa mission qu'il les opère.

Donec dies est. Toutes les oeuvres de son Père pour le salut des hommes, il les a opérées pendant qu'il était sur la terre, comme il a été dit plus haut. Quoique, du vivant de Notre-Seigneur sur la terre, ces oeuvres n'eurent pas toute leur perfection, mais seulement après l'accomplissement de tous ses mystères et l'envoi du Saint-Esprit avec tous ses dons, cela n'empêche pas que du vivant de Notre-Seigneur, il opéra toutes ces oeuvres et exécuta celles que son Père voulait qu'il exécutât pendant ce temps. De manière que, quoique ses mystères n'avaient pas force d'opération avant son ascension, cependant la présence de Notre-Seigneur sur la terre produisait des opérations véritables des oeuvres de son Père même avant le perfectionnement des mystères. Mais Notre-Seigneur une fois mort, tout le temps qui suivit jusqu'à la descente du Saint-Esprit était un temps de nuit, où personne n'avait pouvoir d'opérer et de communiquer la grâce. Voilà ce que veut dire Notre divin Maître: Il faut que j'opère les oeuvres de mon Père pendant qu'il fait jour, c'est-à-dire pendant que j'y suis encore, car tant que j'y suis, j'en suis la lumière; mais la nuit viendra lorsque moi, qui suis la lumière, ne serai plus de ce monde, il ne s'y trouvera pas de lumière, et mon Saint-Esprit ne sera pas encore descendu pour y communiquer mes rayons, encore plus éclatants, que j'aurai dans la gloire de mon Père. Pendant cette nuit personne ne pourra opérer. Toutes les âmes seront dans la nuit.

× IX,6

Haec cum dixisset, expuit in ¦ Lorsqu'il eut dit cela, il cracha à

terram et fecit lutum ex ¦ terre, fit de la boue avec sa salive,

sputo, et linivit lutum super ¦ et frotta de cette boue les yeux de

oculos ejus. ¦ l'aveugle.

D'une seule parole notre tout-puissant Sauveur aurait pu rendre la vue à cet homme: il a préféré faire toutes ces actions qui signifiaient ce qui se fait pour notre guérison spirituelle.

La salive qui sort de la bouche de Notre-Seigneur représente la grâce qui sort du Verbe de Dieu par l'Humanité sainte, qui est comme sa bouche par laquelle il se communique pour notre salut. C'est elle qui la source de notre guérison. La terre signifie notre âme, qui est absolument comme la terre, stérile par elle-même et incapable de rien produire; elle a besoin de la pluie du ciel et de la chaleur du soleil. Notre-Seigneur crache sur la terre, pour montrer la communication de la grâce de Dieu faite à nos âmes par la bouche sacrée du Verbe, c'est-à-dire par son Humanité, qui est son moyen de communication avec nous, comme notre bouche nous sert comme moyen de communication de notre pensée. - Il fait de cette manière une espèce de pâte pour l'appliquer sur l'endroit malade, pour montrer que notre guérison ne peut avoir lieu que par la réception de sa grâce dans notre âme. Ce n'est pas sa grâce par elle seule qui nous guérit; elle ne devient principe de guérison en nous que conjointement avec notre volonté, qui la reçoit sans y résister.

× IX,7

Et dixit ei: Vade, lava in ¦ Et il lui dit: Va, lave-toi dans la

natatoria Siloe (quod ¦ piscine de Siloë (ce qu'on interprète

interpretatur Missus). Abiit ¦ par Envoyé). Il s'en alla donc, se

ergo, et lavit, et venit ¦ lava et revint voyant clair.

videns. ¦

Par cette action de le faire laver dans l'eau douce et paisible du Siloë, Notre-Seigneur a voulu montrer le baptême. Le principe qui a rendu la vue à cet homme n'était pas le Siloë mais la salive mêlée avec la terre; mais c'est dans l'eau du Siloë qu'elle devait opérer ce miracle. De même le baptême ne produit pas par lui-même, mais la grâce reçue dans la volonté par ce sacrement et dans ce sacrement. L'eau du baptême n'est que de l'eau, l'action de verser cette eau n'est rien non plus, et les paroles de celui qui administre ce baptême, n'ont en elles pas de puissance non plus. Mais les paroles jointes à l'action et à l'eau forment le sacrement, et ce sacrement ayant en soi la force de Notre-Seigneur qui nous l'a donné et dont il est sorti, donne la grâce qu'il signifie, et c'est cette grâce reçue dans l'âme qui nous rend la vue de la lumière de Dieu.

Et venit videns. Au sortir du baptême, nous devenons voyant, parce que dans ce baptême, par la grâce qui est donnée à nos âmes, nous recevons la foi infuse, et cette foi est la véritable vue de nos âmes; tous ceux qui ne l'ont pas ne voient pas.

Le Siloë signifie plutôt le baptême que toute autre rivière par son nom qui signifie envoyé, comme le baptême qui est aussi un bain qui nous est envoyé de Notre-Seigneur. Toute sa force vient de ce qu'il nous est envoyé; il sort du sanctuaire du coeur de Notre-Seigneur pour laver nos âmes des taches horribles du péché.

De plus, d'après les prophètes [cf. Is. 8,6], les eaux du Siloë étaient paisibles, et en cela il représentait la paix que nos âmes y reçoivent: le baptême est une eau de paix, qui nous met en paix avec Dieu et avec nous-mêmes.

× IX,8

Itaque vicini, et qui viderant ¦ De sorte que ses voisins et ceux qui

eum prius quia mendicus erat, ¦ l'avaient vu auparavant mendier,

dicebant: Nonne hic est qui ¦ disaient: N'est-ce-pas celui-là qui

sedebat, et mendicabat? Alii ¦ était assis et mendiait? D'autres

dicebant: Quia hic est. ¦ disaient: c'est lui.

× IX,9

Alii autem: Nequaquam, sed ¦ Et d'autres: Point du tout,

similis est ei. Ille vero ¦ seulement il lui ressemble. Mais lui

dicebat: Quia ego sum. ¦ disait: C'est moi.

× IX,10

Dicebant ergo ei: Quomodo ¦ Ils lui demandaient donc: Comment tes

aperti sunt tibi oculi? ¦ yeux ont-ils été ouverts?

× IX,11

Respondit: Ille homo, qui ¦ Il répondit: Cet homme qu'on appelle

dicitur Jesus, lutum fecit: et ¦ Jésus a fait de la boue, il a frotté

unxit oculos meos, et dixit ¦ mes yeux, et m'a dit: Va à la piscine

mihi: Vade ad natatoria Siloe, ¦ de Siloë, et lave-toi. J'y suis allé,

et lava. Et abii, et lavi et ¦ je me suis lavé et je vois.

video. ¦

Comme ce miracle était si extraordinaire, qu'il a fallu une nouvelle création de la vue, et que jamais aucun moyen humain n'a opéré et ne peut même opérer une guérison semblable, tout le monde était étonné, et ce n'est que la grande admiration qui faisait dire à quelques-uns que ce n'était pas lui et que c'était un autre qui lui ressemblait. - Comme ces hommes n'avaient pas vu le miracle, ils ne pouvaient concevoir comment cet homme pouvait avoir recouvré la vue. Cet étonnement fait voir combien, à leurs yeux, ce miracle devait être grand et combien il devait faire impression sur eux. Cela fait voir aussi que cet homme avait été réellement aveugle de naissance, et reconnu pour cela. Il répondit à ceux qui l'interrogeaient: Cet homme qui s'appelle Jésus, etc. Il n'avait pas encore une foi pleinement éclairée. Notre divin Sauveur lui a ouvert les yeux du corps, mais cette lumière qu'il a rendue à son corps n'a pas encore pénétré dans l'âme; mais elle la disposa à recevoir aussi la lumière de l'âme. Il commence par le plus facile, ensuite il va au plus difficile; or, il est incomparablement plus difficile de guérir l'aveuglement de nos âmes que celui de nos corps; parce que notre âme est incomparablement plus malade, et de plus la maladie de l'âme est plus compliquée que l'aveuglement du corps, le désordre est beaucoup plus étendu. Et le plus grand malheur est que nous aimons notre aveuglement et nos maladies si multipliées qui la composent; nous résistons à notre très charitable médecin, nous nous opposons à tous les remèdes qu'il nous offre, tandis que nous sommes toujours bien satisfaits pour obtenir la guérison du corps.

Ille homo. Il ne savait pas que c'était le Fils de Dieu, il le prenait comme un homme ordinaire; cependant, il en avait déjà une grande opinion: Qui dicitur Jesus. C'est comme qui dirait: cet homme extraordinaire qui s'appelle Jésus et que vous connaissez bien. - Le nom de Jésus d'ailleurs lui convenait bien en cette circonstance, puisque ce nom adorable signifie Sauveur, et dans cette circonstance il a sauvé le corps et l'âme par un seul acte.

× IX,12

Et dixerunt ei: Ubi est ille? ¦ Il lui demandèrent: où est-il? Il

Ait: Nescio. ¦ répondit: je ne sais.

Les Juifs lui demandèrent où il était. On ne peut présumer que c'est par malice qu'ils firent cette question, comme on va le voir dans le verset suivant. Il répondit: Nescio [je l'ignore]. On voit bien qu'il n'a encore qu'un commencement de foi. Quand il aura fait quelque sacrifice, quand il l'aura défendue à ses dépens, quand il aura combattu pour cette foi, alors elle deviendra plus forte et se manifestera plus parfaite, et la récompense sera la lumière divine. Maintenant il dit encore: Nescio; il ne s'occupe que du bonheur d'être guéri. Il a reçu une grâce, il la reconnaît et c'est en quoi consiste sa foi; mais il se réjouit pour lui-même et ne s'occupe pas assez de son adorable Bienfaiteur, et c'est en quoi consiste l'imperfection de sa foi.

× IX,13

Adducunt eum ad Pharisaeos, ¦ Alors ils amenèrent aux Pharisiens

qui caecus fuerat. ¦ celui qui avait été aveugle.

Ces hommes qui étaient dans un grand étonnement de cette guérison, et qui par conséquent y voyaient un si grand miracle, loin d'être touchés et d'en profiter, n'en retirent qu'un sujet de scandale et de perte pour leurs âmes. Ne trouvant pas Jésus lui-même, ils prennent, à son défaut, celui en qui s'était opéré le miracle, et le conduisent aux Pharisiens, qu'ils savent être les plus grands ennemis de Jésus; et cela, sans doute, pour leur fournir un moyen de condamnation contre lui. S'ils l'avaient trouvé lui-même, ils l'auraient conduit lui-même, s'il leur en avait donné la puissance.

× IX,14

Erat autem sabbatum quando ¦ Or c'était un jour de sabbat que

lutum fecit Jesus, et aperuit ¦ Jésus fit de la boue et ouvrit ses

oculos ejus. ¦ yeux.

La raison pour laquelle ces gens-là l'amenaient aux Pharisiens et par laquelle ils leur fournissaient un moyen de condamnation contre Notre-Seigneur, comme aussi la raison pour laquelle les Pharisiens disaient qu'ils le poursuivaient tant dans cette circonstance, était que ce fut un jour du sabbat que cette guérison miraculeuse s'opéra. Et, dans cette circonstance, ils eurent deux grandes infractions à reprocher à notre divin Maître contre leurs fausses traditions: la première, d'avoir formé comme une pâte, lutum, ce qui est regardé par leurs traditions comme une des oeuvres serviles défendues; et la seconde, d'avoir guéri un malade.

× IX,15

Iterum ergo interrogabant eum ¦ Les Pharisiens lui demandèrent donc

Pharisaei quomodo vidisset. ¦ comment il avait vu. Et il leur dit:

Ille autem dixit eis: Lutum ¦ il m'a mis de la boue sur les yeux,

mihi posuit super oculos, et ¦ je me suis lavé et je vois.

lavi et video. ¦

Les Pharisiens étaient agités par deux souhaits opposés. D'un côté, ils auraient désiré que le fait fût vrai pour avoir de quoi condamner et décrier devant le monde celui qu'ils avaient déjà condamné dans leur esprit, quoique n'ayant pas de cause.

D'un autre côté, ils craignaient beaucoup la vérité du fait, à cause du grand miracle qui augmenterait la réputation de Notre-Seigneur. Ce sont ces deux pensées opposées qui font la grande inquiétude avec laquelle ils interrogent plusieurs fois l'aveugle guéri, et avec laquelle ils traitent toute cette affaire.

× IX,16

Dicebat ergo ex Pharisaeis ¦ Alors quelques-uns d'entre les

quidam: Non est hic homo a Deo ¦ Pharisiens disaient: Cet homme n'est

qui sabbatum non custodit. ¦ point de Dieu, puisqu'il ne garde

Alii autem dicebant: Quomodo ¦ point le sabbat. Mais d'autres

potest homo peccator haec ¦ disaient: Comment un pécheur peut-il

signa facere? Et schisma erat ¦ faire de tels miracles? Et il y avait

inter eos. ¦ division entre eux.

Ceux qui étaient ainsi animés de différentes passions contre Notre-Seigneur, trouvèrent de suite une raison plausible de le condamner. Ils ne pouvaient nier le miracle, ni l'expliquer, mais ce miracle heurte et condamne leurs traditions. Dieu les condamne par là. Que font ces gens passionnés? Ils font abstraction de ce qui est de leur traditions, considèrent l'infraction comme contraire à la loi de Dieu, et concluent que ce miracle ne peut venir de Dieu. Cet homme est un pécheur et agit en cela par un péché, et par conséquent ne vient pas de Dieu. Ils aiment plutôt passer par toutes ces absurdités, que de désavouer leurs traditions ridicules et toutes récentes, parce que leur plus grand intérêt les obligea à les soutenir, et leur orgueil ne veut pas perdre tout pour les miracles que Dieu opère par son Fils.

D'autres, plus sensés, ou plutôt moins passionnés et plus susceptibles de recevoir la grâce de Dieu et d'y être fidèles, leur font cette grande objection: Comment un pécheur peut-il faire de si grands miracles? Ils ne voient pas précisément la vérité, mais ils y soupçonnent et entrevoient quelque chose d'extraordinaire. Ils ne se fondent pas sur le seul miracle qui vient d'arriver, mais ils rappellent tous les autres qui avaient été faits par le divin Sauveur. On peut tromper une fois, mais tant de miracles, si publics et si extraordinaires, ne peuvent pas être des tromperies: Haec signa, disent-ils.

On peut présumer que Nicodème et Gamaliel étaient du nombre de ceux-ci. Ils ne savaient pas comment accorder cela avec leurs traditions, mais ils y voyaient le doigt de Dieu et ils étaient fidèles à la grâce, et suivaient ses lumières quoique petites.

Il y a dans cette oeuvre deux côtés: l'un, par lequel on se sauve et on parvient à la lumière de la vérité; et l'autre, par lequel on s'égare et on se perd. Les âmes bonnes et bien disposées son frappées du bon côté, qui est le véritable point de vue sous lequel il fallait voir la chose. Les mauvais sont entraînés par leurs passions et saisissent le mauvais côté, afin de se perdre. - C'est un exemple de ce qui arrive presque tous les jours, dans le monde, pour les choses divines.

× IX,17

Dicunt ergo caeco iterum: Tu, ¦ Ils dirent donc encore à l'aveugle:

quid dicis de illo qui aperuit ¦ Et toi, que dis-tu de celui qui t'a

oculos tuos? Ille autem dixit: ¦ ouvert les yeux? Il répondit: C'est

Quia propheta est. ¦ un prophète.

Dans cette diversité d'opinions et cette espèce de scission qui existait parmi eux à cette occasion, ils s'adressèrent à l'aveugle même, espérant qu'il leur dira quelque chose qui les favorisât. Ils espéraient que la crainte lui ferait dire comme eux que cet homme était un pécheur. Ce qu'il y a de certain c'est qu'ils ne s'adressèrent pas à cet homme pour connaître la vérité, puisqu'ils le rejetèrent de la synagogue parce qu'il soutenait toujours ce qu'il avait dit d'abord. Mais cet homme n'avait pas une foi vaine; plein de reconnaissance envers son divin Bienfaiteur, il soutint sa cause selon le peu de lumière que son commencement de foi lui en avait donné. Et il ne craignit pas de dire que c'était un prophète, quoiqu'il sût qu'il parlait devant les plus grands ennemis du Sauveur, et quoiqu'il fût présent à cette discussion qui avait eu lieu entre les deux partis, dont le plus nombreux était sans doute celui des méchants.

× IX,18

Non crediderunt ergo Judaei de ¦ Mais les Juifs ne crurent point de

illo, quia caecus fuisset et ¦ lui qu'il eut été aveugle et qu'il

vidisset, donec vocaverunt ¦ eut recouvré la vue, jusqu'à ce

parentes ejus qui viderat. ¦ qu'ils eussent appelé les parents de

¦ celui qui avait recouvré la vue.

Les pauvres Pharisiens, pleins de malice et de haine contre Notre-Seigneur, et par conséquent pleins du désir de détruire l'effet de ce miracle, employèrent tous les moyens pour venir à bout de leur dessein; ils cherchèrent tous les moyens d'en éluder la véracité. Ils étaient bien embarrassés. Décidés à ne pas croire, ils ne pouvaient cependant pas nier que cet homme voyait par une action miraculeuse de Notre-Seigneur, cet homme qui semblait être le plus capable de juger du miracle, parce qu'il sentait le bonheur d'être guéri après avoir été aveugle et aveugle de naissance, et cet homme dit hardiment en leur présence qu'il avait été aveugle de naissance, et avait été guéri par cet homme qui s'appelle Jésus, et que cet homme qui s'appelle Jésus est un prophète; et il savait que c'était un prophète, parce qu'il l'avait guéri miraculeusement. Mais ces misérables résistent à toutes les grâces que Notre-Seigneur leur offre, et ils résistent jusqu'à la dernière extrémité. Ne sachant que dire, ils accusent cet homme d'être de connivence avec Notre-Seigneur et ne veulent pas croire qu'il avait été aveugle dès sa naissance. Les aveugles! ils le sont plus que ce pauvre homme ne l'a été! Que gagnent-ils à cette recherche? Supposé même qu'il ne fut pas aveugle dès sa naissance, ils ne pouvaient pas nier qu'il fut aveugle, et par conséquent il existait toujours un miracle très grand et évident: un peu de boue formée de salive et de poussière n'a jamais guéri et ne guérira jamais un aveugle. De plus, on concevrait encore qu'ils eussent fait des recherches sur un fait semblable rapporté d'un homme inconnu; mais [quant à] Notre-Seigneur, qui faisait sans cesse des miracles nombreux et du premier ordre, il semble qu'il faut un dernier excès de malice pour avoir le soupçon qu'il s'était entendu avec cet aveugle, afin de lui faire dire qu'il était né aveugle et par là rendre le miracle plus éclatant aux yeux du peuple. Quelle absurdité qu'un homme qui fait un miracle soit animé dans l'acte même de cette oeuvre surnaturelle, par des sentiments pareils!

Mais la passion et la prévention sont capables de tout. Ils ne crurent pas à cet homme, et firent venir ses parents, espérant apprendre de leur bouche que leur fils n'était pas né aveugle, ou leur faire dire même quelque chose, qui les autoriserait à taxer de fourberie cette action de la toute puissance divine qui les accablait.

× IX,19

Et interrogaverunt eos ¦ Et ils les interrogèrent, disant:

dicentes: Hic est filius ¦ Est-ce là votre fils, que vous dites

vester, quem vos dicitis quia ¦ être né aveugle? Comment donc voit-il

caecus natus est? Quomodo ¦ maintenant?

ergo nunc videt? ¦

Les Pharisiens proposent aux parents les trois questions que naturellement ils devaient leur faire dans l'interrogatoire judiciaire qu'il leur fallait subir: 1°  Si c'est là leur fils? parce qu'il n'y a que les parents qui peuvent être les témoins les plus sûrs d'un fait semblable. 2°  Est-il né aveugle? c'est la principale question. 3°  Comment a-t-il été guéri? S'ils avaient fait ces trois questions avec bonne volonté, ils auraient facilement trouvé dans la réponse de quoi changer de sentiment envers notre divin Sauveur. Mais la manière dont ils s'y prennent montre qu'ils ne cherchaient pas à savoir ce qui en était, mais à intimider ceux qu'ils interrogeaient et à leur faire dire ce qu'ils devaient facilement penser qu'on voudrait entendre d'eux. D'abord, on voit dans la manière de poser les questions, qu'ils les proposaient avec dureté et mécontentement. En second lieu au lieu d'interroger d'abord sur la première question et d'en approfondir la vérité, ensuite la seconde et puis sur la troisième, ils les posent toutes les trois à la fois, afin de faire voir ce à quoi ils en veulent [venir]. En troisième lieu, la manière de la poser: Vous dites que cet homme est votre fils, et qu'il est né aveugle? Comment se fait-il donc qu'il voie? Ils leur disent nettement qu'ils ne les croient pas. Comment cela peut-il être vrai, puisque le voilà qui voit et jamais aveugle-né ne peut recouvrer la vue? Cela a plutôt l'air d'un interrogatoire de coupable que l'audition de témoins.

Il faut remarquer en outre qu'ils avaient affaire à des gens de la dernière classe du peuple, à des mendiants qui, par conséquent, étaient faciles à intimider, comme cela arrive en effet; et par conséquent, s'ils avaient voulu savoir la vérité, ils auraient dû s'y prendre plus doucement.

× IX,20

Responderunt eis parentes ¦ Ses parents leur répondirent et

ejus, et dixerunt: Scimus quia ¦ dirent: Nous savons que c'est notre

hic est filius noster, et quia ¦ fils, et qu'il est né aveugle.

caecus natus est. ¦

× IX,21

Quomodo autem nunc videat, ¦ Mais comment il voit maintenant, nous

nescimus: aut quis ejus ¦ ne le savons pas; ou qui lui a ouvert

aperuit oculos, nos nescimus: ¦ les yeux, nous ne le savons pas;

ipsum interrogate: aetatem ¦ interrogez-le; il a de l'âge, qu'il

habet, ipse de se loquatur. ¦ parle pour lui-même.

Les parents répondirent assez clairement pour convaincre les Pharisiens de la vérité de ce grand miracle. Quoiqu'ils n'osassent pas dire comment s'était faite la guérison, ces pauvres gens eurent cependant assez de fidélité, pour ne pas céder avec trop de faiblesse à ce que les malicieux Pharisiens désiraient. Ils dirent donc hardiment que c'était véritablement leur fils et qu'il avait été réellement aveugle dès sa naissance. Quant au point de la difficulté: pourquoi voit-il donc maintenant? ils n'y répondirent pas et renvoyèrent les juges à leur fils, en leur disant de l'interroger lui-même. Ils avaient répondu aux deux premières questions, parce que leur témoignage était nécessaire; leur fils ne pouvait pas y répondre avec certitude, il aurait pu être né d'autres parents que ceux-ci, et aurait pu avoir perdu la vue dans sa première enfance, après en avoir joui d'abord. Mais, pour ce qui est de sa guérison, personne ne pouvait mieux certifier le fait que lui-même. Ses parents savaient cependant le fait, soit pour l'avoir vu eux-mêmes, soit parce que leur fils le leur aura raconté. Si on le leur avait demandé avec sincérité pour s'en bien instruire, ils n'auraient pas manqué de le raconter comme ils le savaient; mais comme ils eurent peur qu'il ne leur en arrivât du mal, ils préférèrent, par faiblesse et par crainte, de dire un mensonge.

× IX,22

Haec dixerunt parentes ejus, ¦ Ses parents dirent cela, parce qu'ils

quoniam timebant Judaeos. Jam ¦ craignaient les Juifs; car déjà les

enim conspiraverant Judaei, ut ¦ Juifs étaient convenus ensemble qui

si quis eum confiteretur esse ¦ si quelqu'un confessait que Jésus

Christum, extra synagogam ¦ était le Christ, il serait chassé de

fieret. ¦ la synagogue.

× IX,23

Propterea parentes ejus ¦ C'est pourquoi ses parents dirent: Il

dixerunt: Quia aetatem habet, ¦ a de l'âge, interrogez-le lui-même.

ipsum interrogate. ¦

La crainte qu'eurent les parents était d'être chassés de la synagogue; car c'était une chose connue et publique que tous ceux qui suivaient notre divin Seigneur devaient être chassés de la synagogue, c'est-à-dire excommuniés, et par là regardés par tous les Juifs avec mépris et avec horreur, comme étrangers au peuple de Dieu, traités avec la plus grande rigueur en toutes les circonstances, séparés et abandonnés de tout le monde, ce qui, en effet, eût été une grande calamité pour des pauvres, qui vivaient probablement d'aumônes. Aussi cette crainte de paraître suivre Jésus paraît bien dans leur réponse. On y voit combien ils prirent soin d'en éloigner jusqu'au moindre soupçon, et [de] faire éviter même qu'on leur parlât de sa personne. Les Pharisiens leur demandent seulement: puisqu'ils disent que ce fils est né aveugle, comment il se faisait qu'il voyait. Et au lieu de se contenter de répondre à cette question: Comment il se fait qu'il voyait, ils ajoutent encore: (Nous ne savons pas comment il a recouvré la vue) ni quel est celui qui la lui a rendue. Ces dernières paroles manifestent bien combien ils s'empressent d'éloigner jusqu'au moindre soupçon là-dessus.

Cette grande crainte qu'ils avaient était cause qu'ils rejetèrent cet interrogatoire sur leur fils, afin de s'en débarrasser. Ces pauvres gens ont eu assez de force pour ne rien dire contre le divin Sauveur, et même pour soutenir en sa faveur tout ce qui ne les inculpait pas auprès des Pharisiens, disant que c'était leur fils, et surtout qu'il était né aveugle; mais pour ne pas avoir été pleinement fidèles, et pour n'avoir pas osé soutenir toute la vérité, ils ont perdu de bien grandes grâces que leur fils a gagnées par la ferveur de ses réponses.

C'est ce qui arrive bien souvent en ce monde; les âmes peu courageuses et peu fortes dans leur foi perdent beaucoup par leurs faiblesses et par leur crainte de se priver de biens terrestres; tandis que les âmes ferventes, qui vont rigoureusement dans les voies de la grâce divine, qui ne font pas attention aux pertes qu'elles pourraient faire sur la terre pour être fidèles à leur Dieu, et qui ont cette générosité de foi pleine de ferveur et d'amour, ces âmes sont récompensées au centuple de ce qu'elles perdent en biens de la terre. Les biens spirituels croissent avec une si grande abondance, que c'est une chose admirable à voir, comme cela arriva à ce bon aveugle.

× IX,24

Vocaverunt ergo rursum ¦ Ils appelèrent donc de nouveau

hominem, qui fuerat caecus, et ¦ l'homme qui avait été aveugle, et lui

dixerunt ei: Da gloriam Deo; ¦ dirent: Rends gloire à Dieu; pour

nos scimus quia hic homo ¦ nous, nous savons que cet homme est

peccator est. ¦ un pécheur.

Les Pharisiens, embarrassés de plus en plus à mesure qu'ils avançaient dans leur interrogatoire, eurent de nouveau recours à l'aveugle guéri lui-même. Ils ne poussèrent pas plus loin les questions aux parents, parce qu'il était facile de voir ce que les parents pensaient et ils craignirent [de] leur arracher un témoignage contre eux. C'est pourquoi, voyant qu'ils avaient réussi à intimider les parents et qu'ils ne pouvaient pas espérer obtenir d'eux plus qu'ils n'en ont eu, ils revinrent au fils pour gagner quelque chose sur lui et finir par affaiblir au moins le miracle par les aveux qu'ils espéraient tirer de lui.

Dans leur manière de l'interroger ils emploient une malice perfide. Ils voient ce pauvre homme dans une grande allégresse spirituelle, et plein de reconnaissance envers Dieu de la grâce qu'il vient de recevoir et ils tâchent de profiter de ses bonnes dispositions mêmes pour le séduire avec une malice satanique, et toujours en restant dans leur incrédulité sur le miracle qui, cependant, leur devenait de plus en plus évident. - Ils lui proposent des motifs de gloire de Dieu: Rendez gloire à Dieu, lui disent-ils, nous savons que cet homme est un pécheur. Cela voulait dire: Ne dites pas, comme vous avez fait jusqu'à présent, que vous êtes un aveugle-né et qu'il vous a guéri par miracle, mais dites-nous ce qu'il en est réellement de la chose.

× IX,25

Dixit ergo eis ille: Si ¦ Mais il leur dit: S'il est pécheur,

peccator est, nescio; unum ¦ je ne sais; je sais une seule chose,

scio, quia caecus cum essem, ¦ c'est que j'étais aveugle, et qu'à

nunc video. ¦ présent je vois.

L'aveugle guéri ne leur laissa probablement pas le temps de finir leur demande, qui semble n'être dite qu'à demi; dès qu'il entend dire que son bienfaiteur est un pécheur, cela le touche et il s'empresse de défendre son honneur contre ses ennemis. Il leur dit donc: pour la question [de savoir] si cet homme est un pécheur ou non, il n'avait rien à en dire: Nescio. Ce mot nescio, dans sa bouche, ne veut pas dire qu'il doute de la chose, car on voit plus bas quelle était sa pensée là-dessus. Il veut seulement dire par là, que ce n'était pas là la question et qu'il n'avait pas à répondre là-dessus, parce que, pour la chose en elle-même, il ne pouvait pas le savoir directement, mais seulement par induction, comme il va le dire plus bas, et comme il fait entendre dès ce moment. Je ne sais pas directement s'il est pécheur ou non, mais ce que je sais bien certainement, c'est que j'étais aveugle et que maintenant je vois. C'est une manière bien frappante de répondre à la malice insidieuse des Pharisiens, que cet homme sentait bien et qu'il repoussait avec force et avec courage, et même avec une certaine indignation dans tout cet interrogatoire.

× IX,26

Dixerunt ergo illi: Quid fecit ¦ Ils lui répliquèrent donc: Que t'a-t-

tibi? quomodo aperuit tuos ¦ il fait? Comment t'a-t-il ouvert les

oculos? ¦ yeux?

Les Pharisiens ne se donnèrent pas pour vaincus encore; ils firent de nouveaux efforts, et lui adressèrent les mêmes questions auxquelles il avait déjà répondu dans le premier interrogatoire; soit qu'ils espérassent qu'il se coupât dans ses nouvelles réponses, soit qu'ils voulussent obtenir de nouvelles circonstances, auxquelles ils pensèrent trouver de nouvelles difficultés; car, jusqu'à présent, ils n'avaient aucun doute à mettre sur le miracle, ni aucune autre difficulté que la prétendue infraction du sabbat qu'ils font sonner si haut.

× IX,27

Respondit eis: Dixi vobis jam, ¦ Il leur répondit: Je vous l'ai déjà

et audistis; quid iterum ¦ dit, et vous l'avez entendu; pourquoi

vultis audire? Numquid et vos ¦ voulez-vous l'entendre encore? Est-ce

vultis discipuli ejus fieri? ¦ que, vous aussi, vous voulez devenir

¦ ses disciples?

Cet homme, voyant toute la recherche inquiète des Pharisiens sur ce miracle, ils venaient de dire que celui qui l'avait opéré était un pécheur; après cela ils demandent comment le miracle s'était opéré, comme s'ils voulaient savoir cela de bonne foi, cet aveugle guéri voyant tout cela leur demanda s'ils faisaient cette recherche dans le désir véritable de se rendre, en le trouvant vrai, et d'être les disciples du Sauveur: Voulez-vous donc être aussi ses disciples, pour que vous cherchiez avec tant de soin à entendre de nouveau les circonstances du fait miraculeux?

Il est possible aussi que cet homme, aveugle de naissance et qui venait de recouvrer la vue il y a un instant seulement, n'avait pas l'oeil assez exercé pour discerner les traits des physionomies, ne distinguât pas assez dans cette circonstance les intentions des Pharisiens dans leurs interrogations, et ne fît attention qu'au ton doux qu'ils affectaient de prendre pour le mieux séduire, et pour mieux expliquer les circonstances du fait, et il put croire sérieusement que les Pharisiens eurent subitement changé de sentiment, et qu'ils voulaient être comme lui les disciples de Jésus. Et il pouvait d'autant plus facilement se laisser surprendre à cela, qu'il était pénétré d'un profond sentiment de respect pour Notre-Seigneur et d'un désir ardent d'être son disciple comme tant d'autres l'étaient; et il lui semblait très naturel que tout le monde eût les mêmes sentiments. Cependant, il semble être étonné de cela. Numquid et vos? vous qui lui étiez toujours si opposés!

On remarque que cet homme est tout plein de son bienfaiteur et qu'il ne craint pas de se manifester pour son disciple, au risque de devenir un objet d'anathème pour les Juifs, et en la présence des plus grands ennemis du divin Sauveur.

× IX,28

Maledixerunt ergo ei, et ¦ Ils le maudirent donc, et dirent:

dixerunt: Tu Discipulus ejus ¦ Sois son disciple, toi; mais nous,

sis; nos autem Moysi ¦ nous sommes disciples de Moyse.

discipuli sumus. ¦

Ce soupçon: Numquid et vos vultis discipuli ejus fieri? blessa jusqu'au vif l'orgueil des Pharisiens, qui se voyaient par là rangés au-dessous de celui qu'ils auraient voulu fouler aux pieds. Eux, être appelés disciples de Jésus-Christ? cela faisait horreur à leur orgueil; et à ce coup, la douceur qu'ils avaient feinte jusqu'à présent s'évanouit, et laisse la place à une violente colère. Ils maudissent celui qui a osé former sur eux cette pensée. Mais la malédiction des méchants est un véritable bonheur pour les âmes bénies par le Maître du ciel et de la terre, et par Celui en qui seul réside toute la bénédiction de Dieu qui doit être donnée aux créatures: Beati eritis cum maledixerint vobis propter nomen meum [Heureux serez-vous quand on vous maudira à cause de mon nom; cf. Mt. 5,11]. De plus, cette malédiction retombe sur ceux qui la donnent, selon la promesse faite à Abraham, en vue seule du Messie: Je bénirai ceux qui te béniront, et ceux qui te maudiront seront maudits [Gen. 12,3].

Ils disent à cet homme: Soyez, vous, son disciple, nous autres nous sommes les disciples de Moyse. Ils manifestent en ces paroles, un plus grand mépris pour le Messie divin, qu'Esaü n'en avait montré pour lui en méprisant la primogéniture [cf. Gen. 25,34]; aussi la malédiction d'Esaü reposera sur ces têtes orgueilleuses. Ils sont les disciples de Moyse; c'est un mensonge, ils ne sont que les disciples de leur orgueil, les disciples du mensonge et de son père qui est le démon; car s'ils étaient les disciples de Moyse, ils seraient nécessairement les disciples de Notre-Seigneur. Car, dans le temps où le Messie Fils de Dieu vivait sur la terre, et depuis tout ce temps, on ne pouvait être disciple de Moyse, qu'en l'abandonnant pour se ranger sous les lois du divin Messie, et en se faisant son disciple; parce que tout l'enseignement de Moyse dit cela et ne dit que cela; tout ce que Moyse a dit et fait était figure du Messie à venir pour préparer le peuple juif à sa venue, et par conséquent enseigne par là-même qu'elle doit céder la place à la réalité, quand elle paraîtra, et livrer entre ses mains tous ses disciples pour être éclairés par le Messie de la vérité et de la réalité.

× IX,29

Nos scimus quia Moysi locutus ¦ Nous savons que Dieu a parlé à Moyse;

est Deus; hunc autem nescimus ¦ mais celui-ci, nous ne savons d'où il

unde sit. ¦ est.

Belle raison qu'ils donnent de leur endurcissement à ne pas croire! Ils ne veulent pas être les disciples de Jésus et maudissent ceux qui les soupçonnent d'avoir seulement cette velléité, parce qu'ils savent pour sûr que Dieu a parlé à Moyse, et celui-là ils ne savent pas d'où il est, c'est-à-dire par quel esprit il agit. Dans quelle erreur de jugement ne jette pas la passion un homme qui la suit. Ils savent que Dieu a parlé à Moyse; et pourquoi ont-ils cette assurance? parce que leurs ancêtres leur ont transmis un grand nombre de miracles, qui ont été opérés par ce grand serviteur de Dieu, miracles d'ailleurs, pour le plus grand nombre, de jugement et de crainte et faits par le moyen de la prière du serviteur à son Maître pour obtenir ces miracles. C'est une grande preuve sans doute de sa mission. Mais ici, en Jésus le Fils de Dieu vivant et tout puissant, ils voient eux-mêmes par leurs propres yeux, les miracles innombrables, non de crainte mais de bienfaisance et d'amour, et opérés, non par la force de la prière, mais par sa propre puissance, et d'une seule parole, comme la puissance divine faisait dans la création; et ils disent qu'ils ne connaissent pas cet homme! Il y avait au moins de quoi le connaître comme envoyé aussi bien que Moyse. - Ils tombent dans un cercle vicieux par leur orgueil et leurs passions déréglées qui obscurcissent leur jugement. Ils admettent la mission de Moyse comme divine, par l'opération des miracles; et ils ne veulent pas admettre les miracles de Jésus, quoiqu'aussi évidents que ceux de Moyse et aussi grands, parce qu'ils ne connaissent pas sa mission divine. Les miracles vrais ne pourraient donc être connus que par la certitude de la mission divine, et la certitude de la mission divine ne se connaît que par les miracles, et comment se tirer de ce cercle pour connaître Dieu dans ceux qu'il a envoyés?

× IX,30

Respondit ille homo, et dixit ¦ Cet homme reprit et leur dit: Mais il

eis: In hoc enim mirabile est ¦ y a en cela une chose étonnante,

quia vos nescitis unde sit, et ¦ c'est que vous ne sachiez d'où il

aperuit meos oculos. ¦ est, et il a ouvert mes yeux.

× IX,31

Scimus autem quia peccatores ¦ Cependant nous savons que Dieu

Deus non audit; sed si quis ¦ n'écoute point les pécheurs; mais si

Dei cultor est et voluntatem ¦ quelqu'un honore Dieu et fait sa

ejus facit, hunc exaudit. ¦ volonté, c'est celui-là qu'il exauce.

× IX,32

A saeculo non est auditum, ¦ Jamais on n'a ouï dire que quelqu'un

quia quis aperuit oculos ¦ ait ouvert les yeux d'un aveugle-né.

caeci nati. ¦

× IX,33

Nisi esset a Deo, non poterat ¦ Si celui-ci n'était pas de Dieu, il

facere quidquam. ¦ ne pourrait rien faire.

Cette dernière réponse fait suite à ce qu'il a déjà dit plus haut, c'est pourquoi il dit enim; elle n'en est que le développement. Les Pharisiens lui avaient dit que cet homme était un pécheur, il répondit à cela que cependant cet homme qu'ils disaient être pécheur, lui a ouvert les yeux. Dans la réplique des Pharisiens à cela, ils dirent qu'ils ne connaissaient pas cet homme (c'est-à-dire Notre-Seigneur). Et à cela l'aveugle guéri continue ses dernières réponses, en disant que c'était précisément en quoi consistait la chose qui doit étonner, c'est que les Pharisiens, qui étaient les docteurs de la loi et les savants dans cette matière, ne le connaissent pas, et que cependant il était certain que ce même Jésus lui avait ouvert les yeux. Cet homme simple et ignorant pousse son raisonnement avec tant de vigueur qu'il accable ces savants incrédules, tant il est vrai que la foi vive et forte dans une âme simple l'éclaire infiniment plus, que les ténèbres obscures d'une raison humaine la plus éclairée. Il leur dit donc: Vous ne voulez pas être ses disciples parce que vous ne connaissez pas sa mission. C'est cependant une chose bien étonnante que vous ne connaissez pas si cet homme vient de Dieu. Il est certain qu'il m'a ouvert les yeux; or, d'un côté, il est certain que jamais par des moyens humains on n'a ouvert les yeux à un aveugle-né, par conséquent il n'a employé que des moyens surnaturels, c'est Dieu qui lui a accordé ma guérison (car il le croyait toujours un prophète seulement, et il sent que sa guérison ne vient que de Dieu); d'un autre côté, nous savons tous avec certitude que Dieu n'exauce pas les pécheurs pour leur accorder une grâce surnaturelle semblable, mais seulement ceux qui le servent fidèlement, et par conséquent il est bien évident que cet homme vient de Dieu; sans cela il lui eût été impossible de me guérir, ni de faire aucune oeuvre surnaturelle.

Quel bonheur pour cet homme d'avoir été choisi pour être le premier à défendre et à confesser Notre-Seigneur devant ces juges infidèles et vides de foi! Et notre divin Maître a montré par avance qu'il soutenait ceux qui le confesseraient devant les princes de la terre, et que ses serviteurs n'avaient pas besoin de préparer ce qu'ils auront à dire, parce qu'il les inspirera dans le moment [cf. Mt. 10,19-20]; car il est certain qu'il inspira cet homme ignorant pour parler avec tant de clarté et tant de force, pour réduire au silence des gens exercés de longue main à la chicane.

× IX,34

Responderunt et dixerunt ei: ¦ Ils répliquèrent et lui dirent: Tu es

In peccato natus es totus, et ¦ né tout entier dans le péché, et tu

tu doces nos? Et ejecerunt ¦ veux nous instruire! Et ils le

eum foras. ¦ jetèrent dehors.

Les Pharisiens, se voyant poussés par un pauvre ignorant de manière à n'avoir pas le mot à redire, lui firent une réponse à laquelle il ne pouvait pas répliquer. Ils avaient la force en main et cet homme était faible et sans défense contre eux, et ils employèrent l'injure et la violence, comme font ordinairement les orgueilleux. Ils commencèrent par lui dire des injures, en lui disant qu'il était né tout entier dans le péché. Les pauvres gens étaient dans la grossière erreur des Apôtres, concluant, de ce qu'il était né aveugle, qu'il était né dans le péché. Les misérables ne font pas attention que si même cet homme était né dans le péché, il en serait sorti glorieusement et avantageusement par un miracle opéré en sa faveur. Il serait en ce moment sorti du péché, et eux étaient de vils pécheurs, qui, au lieu d'en sortir, s'y enfonçaient et s'y endurcissaient de plus en plus. En outre, ils montrent par ces paroles qu'ils croyaient bien qu'il était né aveugle, et s'ils croyaient cela ils devaient par conséquent conclure que le miracle est grand et parfait; mais des âmes livrées à l'orgueil et à la passion sont incapables de voir les inconséquences de leur conduite, elles sont aveugles sur tout bien.

Ils disent: Vous êtes né dans le péché et vous voulez nous instruire. C'est ici qu'ils montrent de quoi est capable l'orgueil et la superbe. Cet homme parle si clairement qu'il n'y a pas de réplique à donner; ils sentaient toute la force de ses raisons, mais il y avait deux choses qui les empêchaient de les recevoir. Premièrement, ils étaient décidés à faire mourir Notre-Seigneur, et jamais ils ne s'en seraient dédits; en second lieu, se donner pour vaincus par un pauvre ignorant, jamais leur orgueil ne se pouvait résoudre à cela. Ils aiment mieux se boucher les oreilles, endurcir leurs esprits et leurs coeurs. Il est né dans le péché et il veut les instruire! Mais qu'est-ce que cela fait qu'il soit né dans le péché? Pourvu que la vérité soit dans sa bouche, on doit la recevoir. Mais les Pharisiens aveugles trouvent là une raison plausible et ils le mettent à la porte.

O divin Jésus! que cet homme est heureux d'avoir été ainsi traité par vos ennemis pour l'amour de vous! La porte des Pharisiens lui est fermée désormais, il n'en est pas à plaindre, bien au contraire son bonheur n'en est que plus grand, infiniment plus, parce que c'est par ce moyen qu'il trouve ouverte la porte de votre coeur adorable, et vous l'y recevez avec une bonté admirable. Il vaut bien mieux être reçu chez vous que d'appartenir aux Pharisiens. Ouvrez-moi aussi la porte de votre coeur, ô très aimable et très adorable Seigneur Jésus; faites m'y entrer et y jouir de la plénitude de votre divine lumière et de votre très saint amour.

× IX,35

Audivit Jesus quia ejecerunt ¦ Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté

eum foras; et cum invenisset ¦ dehors; et l'ayant rencontré, il lui

eum, dixit ei: Tu credis in ¦ demanda: Crois-tu au Fils de Dieu?

Filium Dei? ¦

Jésus apprit que les Pharisiens l'avaient chassé. Le divin Sauveur n'avait pas besoin de se le faire dire par d'autres; il l'avait vu et assisté dans tout ce combat, et était présent à tout ce qui s'y était passé; mais le saint Evangile veut nous montrer par là que l'oreille de Notre-Seigneur est attentive à toutes les injures que ses serviteurs souffrent pour l'amour de lui. Après qu'il nous ait assistés dans nos combats, qu'il nous ait donné la force de supporter les peines que le démon et le monde nous font souffrir en haine de lui, après même nous en avoir donné une grande satisfaction intérieure, il est prêt à nous recevoir à lui et à écouter avec une grande complaisance tout ce qui a rapport à nos combats, et vient ensuite à nous pour nous consoler et nous accorder une grande abondance de sa grâce. L'Evangéliste ne dit pas: Audiens Jesus, ni: Cum audisset et invenisset, mais une phrase détachée: Audivit, etc., pour nous enseigner cette vérité consolante pour les âmes qui souffrent persécution pour vouloir être à lui.

Le reste du verset fait suite à cette première parole. Voilà pourquoi l'Evangéliste ajoute: Et cum invenisset, etc. Jésus entendit la persécution qu'il avait soufferte. Il ne dit pas qu'il a entendu qu'il a été fidèle à défendre sa foi, mais qu'il avait été chassé, parce que c'est à cela que s'applique cette attention de l'oreille de Jésus.

Et que fait-il après cela? Il va le chercher pour lui donner sa récompense, car c'est ainsi qu'il fait ordinairement; il écoute et puis il vient à nous pour nous donner le centuple qu'il nous a promis. C'est pourquoi, l'étant sans doute allé chercher... car ce n'est pas un hasard qui l'a fait rencontrer, ni une providence ordinaire. S'il pouvait exister un hasard pour tous les hommes, (ce qui est impossible) pour Notre-Seigneur il ne pourrait pas y en avoir, parce que, sachant tout et réglant tous ses mouvements, par une claire vue de la divine volonté sur tous, il ne pouvait en rien agir qu'avec choix et par un acte de l'âme. Par cette même raison il n'y avait pas de providence ordinaire pour lui. Car la providence ordinaire sur tous les hommes se sert de leurs actions et de toutes les circonstances qui les environnent pour amener les choses au point où les veut la divine volonté, et cela indépendamment des hommes et sans qu'ils le sachent; mais pour Notre divin Maître cela n'était pas ainsi; la divine providence de son Père lui amenait les hommes et les circonstances, pour qu'il agît sur eux selon la volonté déterminée de son Père. Mais pour lui-même, voyant d'avance tout l'enchaînement de la divine Providence de son Père et le développement de sa volonté, [il] agit toujours de concert avec cette providence et volonté de son Père, par un acte réfléchi de son âme sainte, en union avec l'action divine du Verbe. Par conséquent, il est certain que Notre-Seigneur dirigea ses pas de manière à rencontrer ce pauvre homme, qui venait d'être chassé du conseil et de la synagogue. Il s'était fait dire tout ce qui s'était passé, et puis il va pour faire et dire à cet homme ce que son Père veut.

Et l'ayant trouvé il lui dit: Vous croyez dans le Fils de Dieu? Comme cet homme venait de combattre pour sa foi et que par conséquent sa foi était déjà pleine de mérites, Notre-Seigneur voulait la rendre plus éclairée qu'elle n'était, et achever de l'établir parfaitement et fortement. C'est toujours la marche que Notre-Seigneur suit avec nous; il nous donne d'abord une foi peu éclairée, il nous y communique de grandes grâces; et lorsque nous sommes fidèles il nous donne de plus grandes lumières, et affermit notre foi à mesure qu'il augmente nos lumières, et il nous l'affermit par les actes qu'il nous en fait produire. C'est pourquoi Notre-Seigneur donne à cet homme la lumière sur sa personne divine par manière de demande, afin qu'il puisse produire l'acte de foi, que cet homme produisit en effet avec beaucoup de ferveur. Et en même temps que Notre-Seigneur lui fait cette demande lumineuse, il lui communique dans l'intérieur le mouvement de sa grâce, qui lui fait faire plus que Notre-Seigneur ne lui demande de bouche, ou bien qui lui fait réduire en pratique, par toutes les puissances de son âme, les sentiments qui devaient être nécessairement renfermés dans une foi vive et ardente; tant est grande la bonté et la grâce de Notre-Seigneur dans les âmes fidèles, et tant est puissante sa divine parole.

La tournure de phrase: Tu credis, est par opposition aux Pharisiens incrédules, et en rapport avec la fidélité avec laquelle il a soutenu sa foi.

× IX,36

Respondit ille, et dixit: Quis ¦ Celui-ci répondit et dit: Qui est-il,

est Domine, ut credam in eum? ¦ Seigneur, afin que je croie en lui?

Les paroles de cet homme si dévoué et si plein de foi montrent bien que s'il n'avait pas toutes les lumières d'une foi parfaite, ce n'était que la grâce qui lui avait manqué jusqu'à ce moment, et que la divine miséricorde l'y a admirablement préparé. Notre-Seigneur lui demande s'il croyait dans le Fils de Dieu, et le pauvre homme est de suite prêt à croire, mais il ne le connaissait pas. La grâce divine l'a touché, son âme s'abandonne pleinement entre les mains de son Sauveur; il n'attend qu'une parole de sa bouche pour adorer le Fils de Dieu qu'il daignera lui montrer. Quel est-il pour que je croie en lui? Il demande avec impatience de savoir où était le Fils de Dieu. Il semble demander avec empressement à Notre-Seigneur, afin de savoir pour adorer. Il attend cette nouvelle grâce de sa bonté. Un esprit disposé de cette manière est toujours exaucé d'une demande semblable.

× IX,37

Et dixit ei Jesus: Et vidisti ¦ Et Jésus lui dit: Mais tu l'as vu, et

eum, et qui loquitur tecum ¦ c'est lui-même qui te parle.

ipse est. ¦

Notre-Seigneur, le voyant si bien disposé et son âme ouverte et prête à recevoir sa divine parole, se découvre à lui et lui donne une connaissance entière de sa divinité. C'est une grande instruction qui nous est donnée dans tout cela. Tous ceux que Notre-Seigneur attire à lui, il leur donne au commencement une foi peu éclairée. Il faut au commencement obéir à la divine parole de la grâce que Notre-Seigneur nous dit, quoique sans comprendre, et se disposer par là à avancer davantage; puis se donner à Notre-Seigneur de plus en plus avec la plus grande docilité, toujours sans rien voir, ou au moins sans voir bien clairement les choses; car à mesure qu'on avancera, on verra davantage. Ceux qui sont attachés à leur raison propre et qui craignent de se livrer trop (ce qui arrive toujours par amour propre; on craint de se rendre méprisable ou peu estimable aux hommes, ou d'autres raisons d'amour propre semblable), ceux-ci ne parviendront pas à cette docilité parfaite de l'aveugle. Ils ne savent pas assez intimement qu'ils sont nés aveugles et que leur esprit n'est que ténèbres; et ne parvenant pas à cette docilité, ils n'acquerront pas cette grande lumière intérieure, qui fait le bonheur des âmes parfaites et qui remplit l'âme d'une clarté céleste. - Mais les âmes qui, dès ce commencement, renoncent à leur propre esprit, qui sentent le bonheur d'être guéris par Notre-Seigneur et qui se livrent entièrement et sans réserve entre ses mains, celles-ci reçoivent de grandes et abondantes grâces. Leur foi sera d'abord obscure comme chez les autres, mais leurs esprits seront disposés comme celui de l'aveugle, ils n'attendent qu'une parole de la bouche de leur libérateur et maître pour se donner à corps perdu entre ses mains. Aussi Notre-Seigneur fait tout à coup changer la face des choses, leur foi devient lumineuse, et ils apprennent, de la bouche de leur adorable Maître, des instructions divines qui les remplissent. - Cela vient ordinairement après les croix qu'ils auront supportées avec courage et avec amour pour lui et pour son bon plaisir.

Pour lui faire connaître qu'il était le Fils de Dieu, Notre-Seigneur ne dit pas tout simplement: Ego sum, ou: Sum qui loquor tecum, comme il a dit à la Samaritaine; mais il prend une tournure toute particulière: Et vidisti eum. Notre-Seigneur veut lui montrer par là la plus grande grâce qu'il reçoit en sa guérison: un des premiers objets qu'il a vus était le Fils de Dieu; de plus [il lui montre] que c'était là la fin de sa guérison; car, telle est la bonté de Dieu; il nous accorde une première grâce pour nous en donner une seconde plus grande que la première; il nous donne les biens immenses de sa grâce dans ce monde, pour nous donner ensuite le bien infini de sa gloire.

Et vidisti veut dire aussi: [vous avez vu] par l'esprit et par la foi, car cette vue extérieure sans celle de la foi n'est rien. Il vit le Fils de Dieu selon la foi, quoique sans le connaître. Il le vit sans pouvoir se rendre compte de ce qu'il voyait, il y voyait quelque chose de divin. Il l'a bien prouvé par tout ce qu'il a fait et dit.

Et qui loquitur tecum ipse est. Par là Notre-Seigneur lui fait comprendre que tout ce qu'il sentait en son âme venait de lui qui était le Fils de Dieu, et qui loquitur tecum. Notre-Seigneur, le Fils de Dieu, lui parlait. Ses oreilles étaient frappées du son des paroles prononcées par le Fils de l'homme, mais ces paroles étaient celles du Fils de Dieu et pénétraient jusqu'à la division de son âme [cf. Heb. 4,12], pour le remplir et le pénétrer dans son intérieur. Il est certain que si Notre-Seigneur, dès auparavant, lui avait accordé de si grandes grâces, à combien plus forte raison dans le moment qu'il lui parlait, pour le disposer directement à recevoir la connaissance et la lumière de sa divinité.

Ces paroles expriment encore une autre chose: c'est la double action de Notre-Seigneur dans les âmes qu'il prend et attire à lui. La première est d'attirer vers lui leur esprit pour le contempler et pour se soumettre, et c'est le rapport de l'âme avec Notre-Seigneur: Et vidisti eum. La seconde est la communication de Notre-Seigneur à l'âme, pour lui imprimer sa parole et son amour, pour l'instruire et l'animer, et c'est le rapport de Notre-Seigneur avec l'âme: Et qui loquitur tecum ipse est. C'est le même qui nous fait voir et qui parle à notre coeur; même quand nous agissons pour le contempler et nous donner à lui, c'est lui qui opère cette grâce en nous.

× IX,38

At ille ait: Credo, Domine. ¦ Et celui-ci reprit: Je crois,

Et procidens adoravit [eum]. ¦ Seigneur; et, se prosternant, il

¦ l'adora.

Cette réponse de l'aveugle guéri est parfaitement en rapport avec ces deux paroles de Notre-Seigneur. A [cette parole] et vidisti eum, il répond: Credo Domine [je crois Seigneur]; et à [cette autre] et qui loquitur tecum, [il se prosterne et adore] et procidens adoravit eum. C'est là une foi admirable, une foi qui ne raisonne pas. Elle voit, elle entend et elle adore. Pas de réflexion, mais un abandon entier: Credo Domine, Notre-Seigneur lui demande: Tu credis ? et il répond: Credo Domine, et l'action suit de près. Non seulement il soumet son esprit, mais il donne toutes les puissances de son corps (et procidens) et de son âme (adoravit eum). Il voit par la foi et il adore par la grâce admirable qu'il en reçoit par sa divine parole. Il adore, et par là rend hommage à sa divinité, et avoue que toutes les puissances de son corps et de son âme sont dans la dépendance du Fils de Dieu et reçoivent tout de lui, dans l'ordre de la nature et dans [celui de] la grâce: Et procidens adoravit.

× IX,39

Et dixit Jesus: In judicium ¦ Alors Jésus dit: C'est en jugement

ego in hunc mundum veni, ut ¦ que je suis venu dans ce monde, afin

qui non vident, videant, et ¦ que ceux qui ne voient pas, voient,

qui vident caeci fiant. ¦ et que ceux qui voient, deviennent

¦ aveugles.

Notre-Seigneur se sert de cette occasion comme d'une parabole, en comparant et mettant en rapport l'aveuglement de cet homme et les ténèbres de son esprit, comme aussi la vue qu'il a reçue avec la grâce de la foi qui en fut la suite. L'une n'est qu'une image de l'autre; et il l'applique aux autres hommes. Il dit donc qu'il est venu dans ce monde pour être un sujet de jugement. Ce mot jugement renferme ce qu'a prédit Siméon au jour de la Présentation du divin Sauveur, disant que cet enfant sera la ruine, et le salut de plusieurs en Israël [Lc 2,34]. Il est venu pour être un sujet de jugement entre les bons et les mauvais. Les uns seront fidèles et se sauveront, et les autres seront infidèles et se perdront. Ce jugement consiste en ce que ceux qui ne voient pas deviennent clairvoyants, et c'est là ce qu'indique l'image de cet aveugle-né, qui était en même temps figure et réalité de cette vérité qui nous dit le divin Sauveur. Et ceux au contraire qui voient, deviennent aveugles. - Avant la venue du Sauveur, toutes les lumières étaient entre les mains des docteurs de la loi, et tous ceux qui recevaient leurs petites et faibles lumières étaient en bon état; les autres étaient des aveugles. Ces lumières n'étaient qu'une lueur, mais quand tout le monde est aveugle, celui qui a une petite lueur est regardé comme un homme clairvoyant.

Notre-Seigneur étant venu sur la terre, n'y est venu que pour y jeter le grand éclat de sa lumière de vérité. Ceux qui étaient dans les ténèbres, c'est-à-dire les gens les plus simples et les plus ignorants du peuple, voyant cette grande lumière, selon la parole du prophète [cf. Is. 9,2], se rendirent en grand nombre et crurent, et par la foi devinrent éclairés. (Si cela n'arriva pas de suite pour tous, cela eut lieu au moins après l'Ascension). Mais ceux qui, auparavant, avaient été en possession de cette petite lueur, croyant être bien clairvoyants, ne se rendirent pas et même résistèrent à la grande lumière, de peur d'être éclipsés par la présence de la lumière venue. Or comme cette petite lueur qu'ils avaient n'était qu'un reflet de cette grande et divine lumière, en la rejetant, ils perdirent même cette petite lueur, comme la lune en se détournant du soleil perd le peu de lumière qu'elle a et devient ténébreuse.

Par là Notre-Seigneur prédit aussi la conversion des gentils, qui avaient été enfants de ténèbres depuis l'origine du monde et qui ont reçu la lumière de notre divin soleil, et l'endurcissement du peuple juif qui, ayant eu seul la lumière en possession, la perdit et devint un peuple de ténèbres:

× IX,40

Et audierunt quidam ex ¦ Or quelques-uns d'entre les

Pharisaeis qui cum ipso erant, ¦ Pharisiens, qui étaient avec lui,

et dixerunt ei: Numquid et ¦ l'entendirent et lui demandèrent:

nos caeci sumus? ¦ Est-ce que nous sommes aveugles, nous

¦ aussi?

Il se trouva là présents des Pharisiens qui étaient avec Notre-Seigneur, car, ces gens-là ne le quittaient pas; il y en avait toujours avec lui, non pour profiter de ses discours, mais pour l'épier sans cesse et pour l'examiner dans toutes ses paroles et sa conduite, afin d'y trouver quelque chose à redire; et ils ne manquaient jamais de circonstance pour lui faire opposition, et dans toutes ces occasions leur orgueil paraissait.

Ceux qui étaient là présents sentirent de suite que cette parole pourrait les regarder, parce qu'ils se sentaient coupables; c'est pourquoi ils lui adressèrent de suite la question et lui demandèrent s'ils étaient aveugles eux aussi. Ils avaient si bonne opinion d'eux-mêmes qu'ils ne croyaient guère possible qu'on pût dire qu'ils fussent aveugles; mais ils étaient si aveugles, qu'ils ne voyaient pas que cette bonne opinion-là même était la source de leur aveuglement.

Ces Pharisiens comprenaient que Notre-Seigneur parlait de ceux qui ne voulaient pas croire en lui, et qui eurent chassé cet aveugle devenu clairvoyant; ils sentaient que cette comparaison pesait sur eux, voilà pourquoi ils font cette question avec une espèce d'étonnement: Croyez-vous donc que nous autres Pharisiens sommes aveugles? Ils veulent dire qu'ils avaient la lumière de la loi, des prophètes et de la tradition.

× IX,41

Dixit eis Jesus: Si caeci ¦ Jésus leur répondit: Si vous étiez

essetis, non haberetis ¦ aveugles, vous n'auriez point de

peccatum; nunc vero dicitis: ¦ péché. Mais maintenant que vous

Quia videmus; peccatum vestrum ¦ dites: Nous voyons, votre péché

manet. ¦ subsiste.

Notre-Seigneur n'avait pas dit qu'ils étaient aveugles, mais que, par leur résistance et opposition à la divine lumière, ils devenaient aveugles. Voilà pourquoi il leur répond que si véritablement ils étaient aveugles, comme avait été cet homme guéri, ils n'auraient pas de péché à lui résister, parce qu'ils résisteraient pour la gloire de Dieu et avec sincérité et non par suite de leurs passions, ne sachant pas qu'ils résistent à la lumière. Mais maintenant que vous dites que vous voyez la vérité, et vous résistez tout de même, votre péché restera en vous et vous serez véritablement aveugles. - Notre-Seigneur dit: Dicitis quia videmus, parce que, dans le fond, ils n'avaient pas une lumière véritable, mais seulement un reste de lueur, qu'ils trouvaient dans la loi et les prophètes, parce que leurs fausses traditions n'avaient pas tout renversé, mais avait seulement obscurci certaines choses, et il leur restait même de vraies traditions qui leur apprenaient encore bien des choses qui regardaient la Vérité éternelle qui devait paraître sur la terre. De tout cela il ne leur revenait pas un grand jour, mais une lueur forte, qui était affaiblie beaucoup par leurs passions et leurs fausses traditions. Il y en avait cependant encore assez pour leur faire connaître la vérité et pour les rendre inexcusables de leur malicieuse résistance, et c'est ce qui faisait que leur péché restait toujours en eux et produisait en eux cet aveuglement dont notre divin Maître parle. Mais cet aveuglement ne devait être achevé qu'après la mort de celui qui est venu les sauver et les éclairer? Car comme en ceux qui croyaient par l'habitude et la permanence de la foi, la lumière devenait leur partage, de même ceux qui devenaient incrédules, leur péché devenant permanent les endurcissait et les rendait aveugles; c'est pourquoi Notre-Seigneur dit: Peccatum vestrum manet.

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Caput Xm

[Chapitre dixième× ]×

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× X,1

Amen, amen dico vobis: Qui ¦ En vérité, en vérité, je vous le dis:

non intrat per ostium in ¦ Celui qui n'entre point par la porte

ovile ovium sed ascendit ¦ dans le bercail des brebis, mais y

aliunde, ille fur est et ¦ monte par ailleurs, est un voleur et

latro. ¦ un larron.

A l'occasion de la conduite des Pharisiens, Notre-Seigneur donne cette belle instruction aux pasteurs de son Église, c'est-à-dire aux pasteurs des âmes. Il adresse cette parabole aux Pharisiens, qui étaient les pasteurs du peuple juif.

Notre-Seigneur compare la réunion des âmes fidèles à un bercail. Il parle ici en général, et indique soit les fidèles de l'ancien soit ceux du nouveau Testament; et par conséquent cela regarde les prêtres du nouveau Testament, aussi bien que les docteurs et les chefs de l'ancien Testament.

Par l'entrée dans le bercail, Notre-Seigneur ne veut pas dire seulement la première entrée en charge, il veut faire entendre par là qu'il faut la vocation divine. Car c'est un reproche qu'il fait aux Pharisiens, pour leur montrer qu'ils sont des voleurs et des brigands; or, les Pharisiens n'étaient pas voleurs par faute de vocation; ils étaient assis dans la chaire de Moyse, comme dit Notre-Seigneur dans un autre Évangile, et cela par succession légitime. Il veut faire entendre plus particulièrement toute action du pasteur par laquelle il gouverne et dirige les fidèles. Ce mouvement par lequel il se porte vers les fidèles pour les gouverner et les diriger, s'appelle entrée dans le bercail, parce que pour gouverner et diriger en pasteur véritable, il faut entrer spirituellement dans les âmes; il faut que les âmes soient ouvertes devant le pasteur, et qu'après cette entrée il les dirige et gouverne.

Il y a deux entrées dans le bercail, l'une légitime et selon la nature du bercail, l'autre illégitime et hors de l'ordre des choses. L'entrée légitime et naturelle est appelée porte; toute autre entrée que la porte n'est pas l'entrée légitime et naturelle. Le pasteur entre par la porte, parce que le portier qui en est chargé lui ouvre. L'étranger qui vient pour voler ne peut entrer par la porte, parce que le portier ne lui ouvre pas; et que fait-il? il emploie la force ou la ruse pour se frayer un autre chemin pour entrer. De là, toute entrée, excepté la porte, est l'entrée des voleurs.

Maintenant, pour connaître et trouver la porte légitime, il faut examiner la nature du bercail et des brebis qui y sont renfermées; et pour y entrer, il faut être véritable pasteur, ou venir au nom du véritable pasteur et avec lui (35); car, aucun étranger n'entre comme pasteur dans ce bercail. Maintenant, qu'on examine quel est ce bercail. C'est un bercail tout spirituel et surnaturel, les brebis sont les âmes considérées dans un état et un ordre spirituel et surnaturel, et la manière d'y entrer doit être par conséquent spirituelle et surnaturelle. Or pour entrer d'une manière surnaturelle, dans ce bercail spirituel et surnaturel, il n'y a et ne peut y avoir qu'une seule porte, qui est Notre-Seigneur tout seul. -

Un homme qui s'occupe de son propre salut et qui n'est pas chargé des autres est une simple brebis, qui est entrée par cette divine Porte dans la voie du salut et dans le bercail du Père Éternel, car rien ne peut y entrer que par la divine Porte qui nous a été donnée par le Père. Mais celui qui, non seulement s'occupe de son propre salut, mais du salut du prochain, celui-là est pasteur, en tant qu'il est chargé des brebis, et toutes les fois qu'il se désoccupe actuellement de lui-même et fait une démarche vers les brebis pour les fonctions pastorales du gouvernement et de direction, il entre dans le bercail. Or, cette démarche ne peut le conduire dans le bercail d'une manière légitime que lorsqu'il la fait en Notre-Seigneur, qui est la seule entrée surnaturelle, le seul moyen par lequel on peut opérer des oeuvres surnaturelles. De là un pasteur qui veut entrer par la vraie Porte, c'est-à-dire par Notre-Seigneur, dans tous ses rapports avec les âmes pour les gouverner et diriger, doit entrer dans des vues surnaturelles de foi et par une action de foi animée de la grâce. - Celui qui s'occupe des fonctions pastorales dans des vues humaines et naturelles et par une action humaine et naturelle, celui-là, fut-il légitimement appelé au pastorat, il n'entre pas par la porte, mais par une des autres entrées. Ces entrées sont différentes, selon les différentes passions qui les guident, et selon l'action plus ou moins coupable qui est employée. Aussi, chaque action pastorale est faite, non pour gouverner et avoir des brebis, mais pour sa propre gloire et pour son propre profit; car, toutes les fois qu'un pasteur a des vues et une action purement naturelles, il agit pour lui-même. Or comme il n'a aucun droit de tirer son profit des brebis qui lui sont confiées, de là il résulte qu'il est un voleur et un brigand.

Notre-Seigneur emploie ces deux termes, dont l'un signifie voler en cachette et par ruse, et l'autre par force et à découvert, parce que tous les faux pasteurs emploient toutes ces deux espèces de moyens de voler; et surtout les Pharisiens employaient sans cesse l'un et l'autre, comme ils l'ont fait voir dans l'affaire du pauvre aveugle-né; ils employaient la ruse et la force pour le gouverner et le diriger, et l'une et l'autre étaient des moyens illégitimes entre leurs mains, parce qu'ils ne les employaient pas selon l'ordre légitime; ils n'entraient pas par la porte. Et c'est là le grand reproche que notre divin Pasteur leur fait, en leur disant qu'ils n'entraient pas par la porte, parce qu'ils n'avaient pas la foi dans le Fils de Dieu incarné, et par conséquent n'entraient pas par Lui. Et n'entrant pas par la porte, ils étaient des voleurs et des brigands, qui voulaient entrer dans les âmes par ruse et par force, parce qu'ils ne pouvaient entrer par la porte légitime. Ils voulaient agir sur les âmes indépendamment de Notre-Seigneur qui est la seule Porte, et ils voulaient agir sur elles pour leur propre intérêt et leur propre gloire.

× X,2

Qui autem intrat per ostium, ¦ Mais celui qui entre par la porte est

pastor est ovium. ¦ le pasteur des brebis.

On a vu par le verset précédent comment Notre-Seigneur est la Porte. Pour comprendre ce qui suit, il faut savoir ces deux grandes vérités: premièrement, qu'il n'y a qu'un seul bercail, qui est la réunion des enfants de Dieu, et un seul Pasteur qui est Notre-Seigneur; deuxièmement, que tous ceux qui sont chargés de la conduite des brebis et qui n'agissent qu'au nom, en union, en vue et par la vertu de ce grand Pasteur, deviennent comme une seule et même personne avec lui, et toute leur action pastorale est la sienne, parce que toute leur action pastorale se fait en lui et par lui, le souverain Pasteur, dirigeant, nourrissant et gouvernant les âmes. De là leur pastorat est attribué au grand Pasteur à qui seul il appartient, et à eux-mêmes, comme ayant en eux sa vertu de grand Pasteur, et agissant par cette vertu pastorale du grand Pasteur.

Ainsi, ceux qui n'entrent pas par la porte, c'est-à-dire qui ne viennent pas par Notre-Seigneur, et qui n'agissent pas en Notre-Seigneur, sont des voleurs et des brigands, comme prenant pour eux-mêmes le profit des brebis qui appartiennent uniquement au grand Pasteur des âmes, et ils ne sont pas pasteurs, parce qu'ils ne sauraient l'être qu'en ayant en eux sa vertu et en agissant par son action. Tandis que ceux qui entrent ainsi par la porte divine qui leur est donnée pour cela, sont les véritables pasteurs, comme il vient d'être dit.

Notre-Seigneur en disant: Pastor est ovium, dit seulement qu'il l'est lui-même, et celui qui entre par lui, l'est en lui et par lui, ou plutôt Notre-Seigneur exerce son pastorat par celui qui entre par lui et fait par lui ses actes pastoraux. Voilà pourquoi, dans le verset suivant, tout en parlant de ce pasteur qui entre par lui, il parle de sa personne propre et montre tout ce qu'il est par rapport à ses brebis qui sont en sa propriété, et sa conduite envers elles; et tout ce qu'il y dit est dit en toute réalité, non seulement en tout ce que l'adorable Pasteur fait par lui-même, mais encore en ce qu'il fait par ceux qui entrent par lui dans le bercail. Par conséquent, tout ce qu'il y dit de lui-même arrive à ceux-là, excepté que toute leur action leur est étrangère quant à son principe et à sa fin, et en grande partie même quant aux moyens ou manières d'être, qui appartiennent au souverain et unique Pasteur; autrement ils n'entreraient pas par lui et seraient des voleurs, parce que les brebis ne leur appartiennent pas, mais au souverain Pasteur dont elles sont la propriété (Et proprias oves...).

Et ce n'est pas une chose nouvelle que cette existence du souverain Pasteur dans ceux qui viennent et entrent par lui dans le bercail et cette identité qu'ils ont avec lui. Cette vérité est enseignée dans une multitude d'endroits du nouveau Testament. Le Fils de Dieu s'est incarné pour nous rendre participants de sa nature divine, consortes, a dit saint Pierre [2 Pt. 1,4], et saint Paul dit: Vivo, jam non ego, vivit vero in me Christus [Gal. 2,20]. Et il ne parle pas seulement de lui, mais de tout chrétien, et par la considération de cette fusion de l'Esprit de Jésus en nous pour établir sa vie en nous, Saint Paul répète cette vérité dans une multitude d'endroits, et Notre-Seigneur la dit souvent. - Notre divin Maître a établi tant de sacrements comme autant de canaux par lesquels il met sa vie en nous, pour que, dans tout état, Jésus vive en nous selon cet état. En outre, il a établi son adorable Sacrement par lequel il s'unit à nos âmes et fait une même substance avec elles. De là un simple chrétien a en soi la vie privée de Jésus vis-à-vis de son Père. Le prêtre qui est véritablement pasteur en Jésus-Christ, a en lui, outre sa vie privée pour lui-même sa vie pastorale pour les brebis.

Ainsi donc c'est une vérité que tout ce que Notre-Seigneur va dire de lui-même, doit être dit des pasteurs qui entrent par la vraie porte; autrement, on conclurait de son discours que tout autre pasteur que lui n'est pas vrai pasteur, mais voleur: ce qui n'est pas vrai. Tous ceux qui entrent véritablement par la porte, comme il a été dit plus haut, sont vrais pasteurs, mais c'est Jésus qui est Pasteur en eux, et c'est à Lui qu'appartiennent les brebis, et eux ne peuvent en rien agir en leur nom, ni tirer du profit pour eux-mêmes.

× X,3

Huic ostiarius aperit, et oves ¦ C'est à celui-ci que le portier

vocem ejus audiunt, et ¦ ouvre, et les brebis entendent sa

proprias oves vocat nominatim, ¦ voix, et il appelle ses propres

et educit eas. ¦ brebis par leur nom, et les fait

¦ sortir.

Le bercail spirituel des âmes appartenant à Dieu est fermé, et il est impossible d'y pénétrer surnaturellement sinon par Notre-Seigneur qui est la porte des âmes. Mais cette divine porte, ce n'est pas nous qui pouvons l'ouvrir par nous-mêmes: c'est son divin Esprit qui est le Portier, c'est lui qui fait entrer par cette adorable Porte. C'est à ceux qui représentent le souverain Pasteur à se diriger vers Notre-Seigneur et par Notre-Seigneur toutes les fois qu'ils veulent se mettre en rapport avec les âmes, pour les fonctions pastorales, et alors l'Esprit-Saint leur ouvre les âmes pour qu'ils y entrent et se mettent en rapport parfait avec elles. Mais le divin Esprit ne leur ouvre que parce qu'il voit Notre-Seigneur en eux, et en leur entrée et en leur action; car, il n'y a que le souverain Pasteur, à qui appartiennent les brebis, qui puisse entrer et qui y est reçu.

De là on peut voir la grande pureté que doivent avoir les pasteurs des âmes dans leurs oeuvres pastorales, combien leur foi doit être grande, et l'âme de toutes leurs oeuvres. Elle doit être dépouillée de tout amour-propre et intérêt particulier.

Et oves vocem ejus audiunt. Quand il s'agit de parler aux âmes et de les instruire des choses divines pour la gloire de Dieu et le salut des âmes, il n'y a qu'une seule voix qui s'en peut faire entendre, c'est celle du grand Pasteur; mais aucune voix humaine, quelque puissante qu'elle soit, n'est capable de faire comprendre aux âmes les vérités éternelles, de manière à leur imprimer des sentiments de foi et d'amour. Mais dès qu'elles entendent la voix de Notre-Seigneur toutes ces âmes qui sont véritablement brebis, c'est-à-dire qui ont la grâce de Dieu en elles et qui sont bien disposées, deviennent de suite dociles et soumises, elles reçoivent et écoutent la voix qui les touche et les attire. De là, si un pasteur veut parler aux âmes et les rendre dociles à la grâce, qu'il se remplisse de l'Esprit de Notre-Seigneur et qu'il parle ainsi dans ce divin Esprit de son Maître, et les âmes bonnes entendront cette voix qui leur est si bien connue, et se laisseront gouverner et diriger très facilement.

Et proprias oves vocat nominatim. Cette voix du divin Pasteur, parlant par la bouche de ses prêtres, appelle se propres brebis; il les appelle à Lui comme Lui appartenant et étant sa propriété, il les prend ainsi et s'empare d'elles. Quel bonheur pour des brebis véritables d'avoir de vrais pasteurs, en lesquels réside leur grand et unique Pasteur! Ces pasteurs leur parlent le langage de leur Maître, et ce divin Maître leur parle, les touche et les appelle à Lui.

Nominatim. Il n'y a que le divin Pasteur qui puisse appeler chaque brebis par son nom; il donne cette grâce aux vrais pasteurs qui agissent et qui parlent en son nom et par sa vertu. - Le nom d'un objet ou d'un homme est l'expression de la nature de l'objet et de la manière d'être de l'homme. Ici, il s'agit d'un objet spirituel et d'une manière d'être surnaturelle des âmes. Cette manière d'être surnaturelle d'une âme peut être en plusieurs façons différentes, parce que les voies de Dieu dans les âmes, ses desseins sur elles, la marche de la grâce en [chacune d'] elles, et son état et ses dispositions varient si considérablement, qu'il est impossible à un homme de connaître par lui-même l'état intérieur d'une âme, et la marche qu'elle doit suivre; par conséquent, il est impossible à tout homme d'appeler les brebis par leur nom, c'est-à-dire de discerner [en chacune] sa manière d'être et de lui parler et [de la] diriger selon cette manière d'être, tandis que Notre-Seigneur qui est l'auteur de toutes ces grâces, et qui connaît intimement tout ce qui se passe dans chacune de ces âmes, les appelle avec un amour et une bonté infinis, chacune par son nom, selon sa manière d'être intérieure.

Et educit eas. Le divin Pasteur appelle ainsi chaque brebis par son nom, et par son état et attrait intérieur, selon lequel sa voix divine la touche. Et il les fait sortir c'est-à-dire les fait produire des oeuvres, selon la volonté divine sur chacune, selon le nom de chacune, c'est-à-dire selon l'attrait, l'état et les dispositions spirituelles de chacune.

Une âme reste dans le bercail quand elle reste dans son intérieur, ayant en elle les dispositions et la vie de son divin Pasteur; et une âme sort sous la conduite de son Pasteur, quand, par suite de ces dispositions intérieures et de la vie de Jésus, elle agit au-dehors, quand, elle réduit en action cette vie de Jésus en elle. Or, il n'y a que le divin Pasteur qui peut appeler ainsi chaque brebis par son nom, (puisque cette divine vie de l'adorable Pasteur est si diversifiée dans les brebis) et les faire agir ainsi chacune selon son nom, c'est-à-dire selon la diversité de la vie du Pasteur en chacune.

Mais, par une bonté admirable de ce divin Pasteur pour ses brebis, il communique sa vie et son être pastoral à ceux qui agissent en son nom, par sa vertu et par son divin Esprit, de manière que Jésus, dans ses Prêtres et par ses Prêtres, opère les mêmes choses qu'il opère par lui-même. Et le Prêtre, ainsi saintement rempli de la vie pastorale et de l'Esprit de son principe, qui n'agit que par Lui et en Lui, connaît aussi, par une vertu surnaturelle, l'état des âmes, les appelle par leur nom et les fait agir selon les desseins de Dieu, et selon le véritable attrait de Notre-Seigneur en elles; aussi les fait-il plus avancer en un mois, qu'elles ne l'auraient fait en des années.

× X,4

Et cum proprias oves emiserit, ¦ Et lorsqu'il a fait sortir ses ante eas vadit; et oves illum ¦ propres brebis, il marche devant sequuntur, quia sciunt vocem ¦ elles, et les brebis le suivent parce ejus. ¦ qu'elles connaissent sa voix.

Et cum proprias oves emiserit. Emiserit dit plus que educit. Ce dernier terme signifie faire sortir, c'est-à-dire donner la première impulsion de l'action qui produise en dehors la vie intérieure de Jésus dans les âmes. Et celui du verset 4 emiserit signifie faire sortir loin et poursuivre la marche, c'est-à-dire la continuité de cette impulsion pour la continuité de l'action.

Notre-Seigneur dit encore une fois proprias oves, toujours pour montrer au doigt de quel pasteur il s'agit, quel est le pasteur qui fait ainsi sortir au loin ces brebis. Il n'y que le Maître du bercail qui puisse faire agir les âmes qui lui appartiennent, soit pour trouver leur nourriture, soit pour travailler à sa gloire.

Il dit encore proprias oves, non seulement par rapport à son pouvoir pastoral qui seul peut les faire sortir, mais encore par rapport aux brebis qui doivent toujours, dans leurs sorties, suivre Celui à qui elles appartiennent. Les âmes, dans leur action, doivent tendre en tout vers leur unique Pasteur et Maître; ce qui est expliqué par les paroles suivantes.

Ante eas vadit. Comme le pasteur marche devant le troupeau et que tous les yeux du troupeau sont sur lui, il les attire par sa parole et ses signes, et le troupeau le suit: de même Notre-Seigneur, le souverain Pasteur, quand il fait ainsi sortir les brebis, il marche devant elles il les attire dans toutes leurs oeuvres par cet attrait intérieur qu'il leur continue sans cesse dans leur action. Ainsi, il commence par les faire sortir, en leur donnant l'impulsion à ces oeuvres auxquelles il les applique ensuite; il va devant elles par l'attrait continuel qui les attire à continuer leur marche. Et lorsqu'il agit sur elles par ses vrais pasteurs, ces pasteurs, agissant par sa vertu et son esprit, font toujours suivre aux âmes cet attrait du grand Pasteur.

On peut expliquer encore ces paroles dans un autre sens, qui est vrai aussi: Et ante eas vadit. Dans toutes les vertus et perfections dont il fait exercer la pratique à ses brebis, il va devant elles, et leurs yeux doivent être dirigés sur leur Pasteur pour le suivre. Ainsi, en toute chose que nous faisons, nous avons notre Pasteur qui marche devant nos yeux, et qui est un modèle divin de la voie de sainteté et de perfection dont il nous ouvre la marche, et c'est à nous à le suivre. - Tous les vrais pasteurs doivent représenter le grand Pasteur, et donner ainsi les mêmes exemples à leurs brebis, non qu'ils soient obligés de faire les mêmes choses qu'ils font faire aux brebis, mais qu'ils en possèdent la vertu et la perfection.

Et oves eum sequuntur. Les brebis le suivent dans toutes leurs oeuvres; les âmes qui sont vraies brebis suivent cet attrait et rien autre chose; ce n'est pas la raison, ni leur goût, ni rien autre chose que la grâce de leur Pasteur qui les précède et les attire; c'est sa grâce, sa voix intérieure qu'elles entendent, et [ce sont] ses divins exemples qu'elles imitent.

Quia sciunt vocem ejus. La raison pour laquelle elles le suivent est qu'elles connaissent sa voix. Il les appelle et les attire en marchant devant elles, et elles le suivent parce qu'elles connaissent sa voix. Les âmes sentent dans leur intérieur que c'est la voix du Pasteur divin, lorsqu'elles sont de véritables brebis, parce qu'alors elles ont l'habitude d'entendre cette voix les appeler ainsi et parler dans leur intérieur. En second lieu, cette voix du Pasteur adorable par laquelle il les appelle et les attire à agir selon leur état et les dispositions qu'il a mises en elles, est si conforme aux goûts, aux désirs surnaturels et à tout ce qu'elles sentent en elles, qu'elles comprennent très facilement que cet attrait, par lequel il les attire, est la voix du Pasteur; et, au lieu de [faire] résistance et opposition, elles le suivent au contraire.

Si on explique les paroles: Ante eas vadit, des exemples, c'est ici la même explication; elles suivent les exemples du Pasteur, parce qu'elles reconnaissent sa voix qui les appelle après Lui par cet attrait intérieur.

× X,5

Alienum autem non sequuntur, ¦ Elles ne suivent point un étranger,

sed fugiunt ab eo, quia non ¦ mais elles le fuient, parce qu'elles

noverunt vocem ejus (37) ¦ ne connaissent point la voix des

¦ étrangers.

Alienum autem. Cet étranger est le faux pasteur qui vient en son nom, et qui agit par lui-même et pour ses intérêts. Il est étranger aux brebis de Notre-Seigneur, parce qu'elles ne lui appartiennent pas, et il n'a aucun droit de se les attirer, de les diriger et de les gouverner. Même lorsqu'il a été appelé légitimement et pour la voix de Dieu, dès qu'il parle par lui-même et pour lui-même, il est étranger et parle sans droit, car toute sa puissance et tout son droit sur les brebis, c'est la puissance et le droit du souverain Pasteur.

Quand donc l'étranger vient ainsi, pour attirer les brebis, pour les faire sortir selon son caprice et ses idées propres, sans qu'il soit l'organe du grand Pasteur, dont seul il doit leur faire entendre la voix pour les attirer, alors les brebis ne le suivent pas: c'est-à-dire [que] ses paroles ne font pas d'impression surnaturelle sur les âmes, elles n'éprouvent point cette attraction spirituelle pour se livrer à l'objet qu'on veut leur donner, et pour la suivre.

Se fugiunt. Loin de suivre l'impression que l'étranger veut leur donner, bien au contraire elles y sentent de l'opposition et de la résistance dans leur intérieur, et fuient ainsi les mouvements qu'on veut leur donner, ainsi que les faux pasteurs qui veulent les leur donner. Cette opposition et cet éloignement que les âmes éprouvent pour les pasteurs étrangers et humains qui veulent les attirer à eux, peuvent être appelés une véritable fuite spirituelle; car, plus ces pasteurs faux les veulent diriger, plus ils les appellent ainsi spirituellement, plus elles se retirent et s'éloignent.

Mais, d'où viennent ces répugnances, ces éloignements, ces oppositions, et ces raideurs et afflictions qu'éprouvent ces bonnes âmes, qui sont de vraies brebis et qui sont ordinairement si contentes d'obéir à leur Pasteur et de le suivre? Cela vient de ce qu'elles entendent une voix étrangère, qu'elles ne connaissent point. Dans la voix du pasteur qui les dirige et les conduit, elles veulent entendre la voix de leur propre Pasteur, qui est le divin et adorable Jésus; or il y a en elles une oreille spirituelle qui discerne et distingue la voix de cet adorable Pasteur qui retentit jusqu'au fond de leur intérieur et qui est parfaitement d'accord avec leur état et leur attrait; et, lorsqu'un faux pasteur parle un langage naturel, et d'une manière naturelle, et fondé sur des principes et des intérêts naturels, ce langage leur fait l'opposé du langage du Pasteur, il gêne tous leurs goûts et tous leurs attraits spirituels et surnaturels, et met de l'embarras dans leur intérieur. C'est ce que notre divin Maître appelle: ne pas connaître la voix des étrangers. Car il faut remarquer que Notre-Seigneur ne dit pas: non noverunt vocem ejus, mais vocem alienorum, pour nous faire entendre que, dès que cette voix n'est pas de Notre-Seigneur, quel qu'en soit le principe étranger, les âmes ne l'entendent pas, c'est-à-dire [qu']elle produit ces mauvais effets qui viennent d'être énumérés tout à l'heure, et il n'y a que la voix surnaturelle de Notre-Seigneur qui entre dans toutes les afflictions spirituelles et tous les goûts et les attraits, et qui trouve l'oreille des âmes fidèles de suite ouverte et y pénètre; et dès qu'elles écoutent ainsi, dès que cette parole entre, elle produit de suite son effet. Les âmes suivent de suite (car il s'agit des âmes fidèles, dociles et obéissantes à la grâce divine). Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit qu'elles ne suivent pas et qu'elles fuient, parce qu'elles n'ont pas connu la voix des étrangers; elle n'a pas eu accès en elles.

× X,6

Hoc proverbium dixit eis ¦ Jésus leur dit cette parabole. Mais

Jesus. Illi autem non ¦ ils ne comprirent pas ce qu'il leur ¦ cognoverunt quid loqueretur ¦ disait.

ejus. ¦

Cette parabole est adressée aux Pharisiens, qui avaient tous ces défauts qui font les faux pasteurs. Ils ne voulaient absolument pas venir au nom du vrai Pasteur, ils le méconnaissaient tout à fait, ils voulaient agir en tout par eux-mêmes, et voulaient s'attirer les âmes à eux-mêmes, de manière qu'ils étaient des voleurs et des brigands. Et Notre-Seigneur leur montre les mauvais effets de ce vol et de ce brigandage du Pastorat. Les brebis, au lieu d'écouter, fuient, tandis qu'elles écoutent et suivent le vrai Pasteur: ce qui s'est manifesté dans l'aveugle-né. Les Pharisiens lui parlaient et il leur résistait de toutes ses forces. Notre-Seigneur, le vrai pasteur, lui parlait, et il était docile comme une vraie brebis; cela vient de ce que la voix des Pharisiens était une voix étrangère, tandis que celle de Notre-Seigneur était celle du vrai Pasteur.

Mais les Pharisiens étaient si éloignés d'avoir si mauvaise opinion d'eux, que de se regarder et de croire qu'on pouvait les regarder comme de faux pasteurs leur paraissait impossible. Ils connaissaient si peu les mauvaises dispositions qui les animaient dans la direction des brebis qui leur étaient confiées, qu'ils n'eurent aucune idée de ce que Notre-Seigneur leur disait. Outre cela, ils ne savaient pas même ce que c'était que les devoirs et les fonctions du pasteur. Ils se voyaient à la tête du peuple de Dieu, et ils ne pensaient qu'à en profiter pour leur avantage, comme si les brebis étaient faites pour eux, tandis qu'au contraire ils étaient faits pour les brebis, qui appartiennent au souverain Pasteur; et c'est là encore une grande raison pour laquelle ils n'ont rien compris du tout à la parabole que Notre-Seigneur leur adressa.

× X,7

Dixit ergo eis iterum Jesus: ¦ Jésus leur dit donc encore: En

Amen, amen dico vobis, quia ¦ vérité, en vérité, je vous le dis,

ego sum ostium ovium. ¦ c'est moi qui suis la porte des

¦ brebis.

× X,8

Omnes quotquot venerunt, fures ¦ Tous ceux qui sont venus sont des

sunt, et latrones, et non ¦ voleurs et des larrons, et les brebis

audierunt eos oves. ¦ ne les ont point écoutés.

Comme les Pharisiens n'ont pas compris le langage figuré de Notre-Seigneur, il s'explique en termes clairs. Il y avait deux choses principales qu'ils n'avaient pas comprises, et que Notre-Seigneur leur explique. La première, la porte par laquelle il faut entrer; la deuxième, le pasteur qui a ses propres brebis et à qui seul le portier ouvre. Il commence par leur expliquer quelle est cette porte, comme il a été dit plus haut. Notre-Seigneur dit: Ostium ovium [la porte des brebis] et non ovilis [la porte de la bergerie] pour nous faire voir clairement qu'il ne s'agit pas ici seulement d'une porte d'entrée pour l'assemblée des fidèles en général, comme serait la vocation légitime et la juridiction reçue du vrai Supérieur, et (dans les pasteurs du Nouveau Testament) le sacrement du sacerdoce; mais plus particulièrement de l'entrée particulière des âmes, qui appartiennent à Dieu, c'est-à-dire l'entrée surnaturelle pour les gouverner, les diriger, etc.; chaque âme est fermée, et Jésus-Christ est la seule porte des âmes: Ego sum ostium ovium. - De quelque côté qu'on y entre, excepté par cette porte, on est un voleur et un larron. Notre-Seigneur dit: venerunt, parce qu'il s'agit ici particulièrement des Pharisiens, auxquels, après leur avoir annoncé le principe, il en explique les suites, qui ont eu lieu dans les rapports pastoraux des Pharisiens avec le peuple. Les Pharisiens étaient des voleurs et les brebis ne les entendaient point.

Il dit: audierunt au passé, et non: audiunt au présent, comme il dit fures sunt, par la même raison pour laquelle il dit ostium ovium. Car, comme ces faux pasteurs entraient par une fausse entrée, la porte des âmes leur restait toujours fermée; et par conséquent quand ils sont entrés, ce n'est pas que les âmes les aient entendus, mais c'est par force et par ruse qu'ils sont venus; mais les âmes ne les ont pas entendus ni écoutés. S'ils étaient venus par la vraie porte, alors, par là même qu'ils seraient entrés, les âmes les auraient entendus. Ce n'est qu'en entendant la voix du Pasteur que l'âme s'ouvre. Ainsi tous les Pharisiens qui ont gouverné et dirigé les âmes par d'autres principes que par Notre-Seigneur et dans sa foi et sa grâce, sont des voleurs; [ils] agissaient pour eux-mêmes et non pour le maître du troupeau. Et de plus, ils agissaient sur les âmes pour les gouverner et les diriger, sans que les âmes s'ouvrissent devant eux, sans que les âmes les goûtassent, mais au contraire ils ne font que les tourmenter, les troubler, déranger et gêner dans le service de Dieu.

× X,9

Ego sum ostium. Per me si quis ¦ C'est moi qui suis la porte. Si c'est

introierit, salvabitur; et ¦ par moi que quelqu'un entre il sera

ingredietur, et egredietur et ¦ sauvé: et il entrera, et il sortira,

pascua inveniet. ¦ et il trouvera des pâturages.

Il faut savoir que les pasteurs véritables sont en même temps pasteurs et brebis. C'est Notre-Seigneur qui est l'unique Pasteur, et tous les autres pasteurs sont ses brebis. Ils sont brebis en tant qu'il s'agit de leur propre salut; et ils sont pasteurs en tant qu'ils s'occupent du salut et de la conduite des autres. Mais, dans cette occupation même du salut des autres, ils trouvent leur qualité de brebis; car, s'ils s'acquittent de leur pastorat comme ils doivent le faire, ils y trouvent leur vie, et en cette occupation pastorale même, ils doivent être sous la conduite du souverain Pasteur et être ses brebis, pour en recevoir tout ce qu'une brebis reçoit de son pasteur.

Voilà pourquoi Notre-Seigneur répète ici ces mots: Ego sum ostium, pour montrer qu'il n'est pas seulement la porte pour l'entrée pastorale, mais [que] même comme brebis, les pasteurs ont besoin d'entrer par cette porte pour leur propre salut. De là on peut voir combien les pasteurs ont besoin d'agir avec perfection dans leurs fonctions pastorales, car, s'ils n'entrent pas par la vraie porte, ils y perdent autant pour eux-mêmes que pour les âmes qui leur sont confiées. -

Notre adorable Pasteur ajoute pour cela: Per me si quis introierit, salvabitur. Les pertes qu'on fait faire aux âmes, lorsqu'on n'entre pas par la vraie porte sont très nombreuses et très grandes, et les dangers que l'on court soi-même sont immenses, outre le mal qui réside dans l'acte même d'exercer les fonctions sacerdotales ou pastorales d'une manière naturelle et comme vivant pour soi-même; et un pasteur qui agit en tout son pastorat de cette manière fausse et indépendamment du souverain et unique Pasteur ne peut manquer de se perdre.

Mais s'il entre par la porte véritable, alors il sera sauvé. Les grâces qui sont données à un vrai pasteur sont immenses. Autant sa charge est éminente et ses fonctions le mettent au-dessus des brebis, autant sa grâce sera grande et au-dessus de celle du commun des brebis. D'ailleurs, le dévouement que le vrai pastorat exige de lui pour le parfait exercice de ses fonctions, s'il entre véritablement par Notre-Seigneur, ce dévouement sera nécessairement récompensé par des grâces éminentes. Mais la grande raison est que le pasteur ainsi bien disposé est dans des rapports intimes et continuels avec Notre-Seigneur, le souverain Pasteur, par là même qu'il entre par cette divine porte; de là il résulte nécessairement qu'il reçoit des grâces éminentes.

Et ingredietur et egredietur et pascua inveniet. Voilà les trois grands devoirs pastoraux. Et ingredietur: c'est l'occupation qu'il doit se donner des âmes et leur direction intérieure: guérir leurs maladies, fortifier leurs faiblesses, encourager leur pusillanimité, profiter du bien qui est en elles pour les faire avancer, et faire tout ce qui tient à la direction intérieure pour les établir dans la vraie voie de la perfection, pour les empêcher d'aller à côté de la voie et pour les faire avancer; comme aussi toutes les autres sollicitudes pastorales que la tendresse du vrai Pasteur lui donne; toutes ces choses tiennent à cette entrée dans les âmes: Et ingredietur.

Et egredietur: c'est le gouvernement et [la] direction extérieure pour conduire ses brebis, et ordonner tout ce qu'il faut pour la pratique des vertus et l'occupation des oeuvres qui leur seront utiles. S'il est entré dans les âmes par la vraie porte, il sortira sans difficulté et les brebis le suivront. A cette sortie tient cette autre fonction de les garder de tout ennemi, vigilance du pasteur; et de les défendre quand elles sont attaquées, dévouement du pasteur. C'est pour ces choses qu'il doit être à leur tête, car il y doit être, non seulement pour les attirer afin qu'elles le suivent, mais pour les défendre contre tout ennemi.

Et pascua inveniet: c'est le troisième devoir pastoral: de nourrir les brebis. Si le pasteur vient par lui-même, comment pourrait-il trouver de la nourriture pour les brebis? Il est impossible qu'une âme se nourrisse de ce qui vient seulement d'une autre âme qui agit indépendamment de Notre-Seigneur. Un homme peut amuser un autre homme, il peut occuper son esprit et satisfaire son imagination, il peut même lui faire prendre des résolutions naturelles de pratiquer les vertus d'une manière naturelle. Mais il lui est impossible de donner de la nourriture à son âme, car il est certain qu'un homme qui agit entièrement dans l'indépendance de Notre-Seigneur n'a rien dans son âme de ce qui peut nourrir une autre. Et comment peut-il donner ce qu'il n'a pas? Il est donc de la plus grande importance qu'on ne donne pas de son propre fonds, mais du fonds inépuisable qui se trouve en Notre-Seigneur; et les âmes ne sont nourries solidement de ce qui leur est donné par leurs pasteurs, qu'à proportion que cette nourriture est puisée en Notre-Seigneur. Quand un pasteur agit à demi, moitié par la foi et moitié par la nature, la nourriture qu'il donne est médiocre; c'est ce qui arrive à la plus grande partie des pasteurs; mais les saints qui étaient tout en Notre-Seigneur donnaient une nourriture si forte, si substantielle et si abondante, qu'une multitude innombrable d'âmes en jouissaient. C'est ce que notre divin Pasteur dit ici: Et pascua inveniet. Il la trouvera non en lui, mais en son souverain Pasteur, qui est pasteur et nourriture en même temps: Pastor et pabulum [pasteur et nourriture].

Mais ceux qui sont mauvais et ne font aucun retour vers le vrai Pasteur, ceux-là ne donnent rien, et les âmes restent stériles et sèches sous leurs mains. Que s'il arrive qu'une parole ou une action d'un de ces faux pasteurs fait effet, si leur prédication produit parfois quelque chose sur une âme, souvent cet effet est naturel et reste seulement dans l'imagination et est peu durable. Souvent aussi Dieu se plaît à se servir de ces hommes pour sauver une âme ou même quelques-unes sur lesquelles il a des desseins de miséricorde, et qu'il nourrit lui-même à l'occasion de cette parole vide qui leur est donnée. Il fait ce qu'il a fait autrefois par Moyse, il fait sortir de l'eau vive d'un rocher dur et stérile.

× X,10

Fur non venit nisi ut furetur, ¦ Le voleur ne vient que pour voler,

et mactet, et perdat. Ego veni ¦ égorger et détruire. Moi je suis

ut vitam habeant, et ¦ venu pour qu'elles aient la vie, et

abundantius habeant. ¦ qu'elles l'aient plus abondamment.

Ici Notre-Seigneur détermine entièrement le voleur et le met en parallèle avec Lui-même, qui est le vrai Pasteur. Premièrement, dans le voleur il n'y a rien de surnaturel, il ne fait aucune attention à Notre-Seigneur, et n'a aucune intention d'agir par des vues de foi. Secondement, il agit pour lui-même et par lui-même. Voilà pourquoi notre divin Maître dit: non venit nisi, etc., ce qui indique une exclusion de toute autre vue, de toute autre intention, de toute autre action.

Nisi ut furetur. Voilà l'intention de se satisfaire, de tirer son bien des brebis qu'il gouverne, à l'exclusion de toute autre chose. Il ne fait pas attention à des motifs surnaturels, ni au bien des âmes; il est occupé à se satisfaire et à se donner des plaisirs, à soigner ses intérêts et à contenter son orgueil et sa vanité. Il a des fonctions sacerdotales ou pastorales à exercer. Il les exerce avec le même esprit qui l'anime dans tout le reste, c'est-à-dire pour son intérêt, son plaisir et son orgueil; tant que cela sera conforme à cette triple passion, il le fera avec soin; quand cela ne l'est pas, ou il ne le fait qu'autant qu'il est obligé de le faire: c'est là le vol.

Et mactet. De cette première disposition suivent nécessairement les autres. Il n'agit pas comme un homme qui doit se dévouer pour le bien de son troupeau, et qui doit tout sacrifier pour en avoir soin et pour le sauver; mais il agit plutôt comme si le troupeau était fait pour lui; il exerce son autorité avec violence. Une brebis lui résiste-[t-elle]? il la frappe, sans faire attention au mal que cela pourrait lui faire, mais seulement au mal qu'il ressent. Cet homme a ses passions, et ces passions trouvent ses oppositions dans ses brebis; il les tue et les renverse pour ses passions. Il a ses goûts et ses dégoûts pour les uns ou pour les autres, selon que ses passions l'y portent, il cherche à les assouvir: [entre les âmes] il attire les unes et repousse les autres, et toutes les deux en leur faisant mal sans qu'il s'en mette en peine. On voit bien souvent de ces pasteurs qui défendent la religion, mais avec une aigreur et une brusquerie qui n'a pas d'exemple; c'est bien souvent leurs propres passions qu'ils défendent. Qu'il est difficile d'être bon pasteur! parce qu'il est difficile d'être vide de soi-même et plein de Notre-Seigneur, le grand Pasteur des pasteurs et des brebis.

Et perdat. Un bon pasteur souffre tous les dommages et prend toute espèce de précautions, et se donne toutes les peines pour empêcher une âme de se perdre; il n'y a pas de sacrifice qu'il ne fait pour cela; il est d'une patience, d'une longanimité, d'une douceur et d'une prudence sans égale pour cet article, surtout quand il s'agit d'une âme faible, il prend toutes sortes de ménagements, et souffre plutôt tout que de faire la moindre démarche qui risque de perdre une âme. Le pasteur voleur est bien loin de là; il veut se satisfaire; c'est son grand principe; il poursuit les faibles comme les forts, il est incapable de ménager il ne sait ménager que lui-même et ses intérêts. Il poursuit sans aucune réflexion tous ses desseins de mécontentement et de vengeance même; il parle et il agit dans les circonstances les plus délicates pour les âmes, comme s'il n'était pas chargé de les sauver, mais comme s'il était chargé de s'en faire honorer et d'en tirer toutes ses satisfactions et ses profits. Non seulement il néglige de les sauver, par suite de ses passions et du désir de satisfaire sa paresse et ses autres inclinations mauvaises, mais il fait des actes positifs qui les mènent à leur perte, par suite de ces mêmes passions et de ces mêmes inclinations de la nature perverse. Notre divin Maître dit: Non venit nisi ut mactet et perdat. Ce sont des actes positifs, et ces paroles divines sont et seront toujours véritables; non venit indique une action qui tend à frapper et à perdre. Tous les pasteurs qui voudront ainsi voler, feront ces actes mauvais.

Ego veni. Maintenant Notre-Seigneur montre la différence entre Lui et les mauvais pasteurs. Il se met en comparaison avec ce mauvais pasteur, pour faire voir la différence de l'intention et la différence des effets. Le mauvais pasteur ne vient que pour voler, massacrer et perdre, il n'exerce ses desseins et n'accomplit ses désirs qu'au dommage et au détriment des brebis; et Notre-Seigneur, le vrai Pasteur, est venu pour une fin opposée, pour donner sa vie aux brebis. Il ne dit pas: Ego non veni nisi ut vitam habeant, parce qu'alors il aurait fait entendre que sa fin unique serait les brebis, tandis que sa fin directe et son intention principale était la gloire et la volonté de son Père. Mais il dit: Ego veni ut vitam habeant, et il le dit en toute vérité. Car, quoiqu'il soit venu pour la gloire de son Père, cependant, comme cette gloire de son Père qu'il devait opérer, et sa volonté qu'il devait accomplir, ne pouvait s'opérer et s'accomplir que par la vie qu'il donnerait à ses brebis, de là il est venu pour leur donner cette vie: Non venit Filius hominis ut judicet mundum, sed ut salvetur mundus per ipsum [Jo. 3,17]. S'il était venu pour juger, il exercerait et appliquerait souvent la volonté de son Père au détriment des brebis; mais n'étant venu que pour sauver, alors toutes ses occupations auprès des brebis, et toute l'intention de sa venue n'est que pour donner la vie, et, par conséquent, il dit avec vérité: Ego veni ut vitam habeant. Or, n'étant venu que pour leur donner la vie, et toute son occupation auprès d'elles ne tendant qu'à cela, il est donc un vrai pasteur. Le troupeau lui appartient en propriété, l'ayant acheté au prix de tout son sang. C'est pourquoi il est seul en droit d'en tirer un profit pour sa gloire; mais, c'est une chose admirable, cette gloire et ce profit même qu'il retire de son troupeau, tournent à l'avantage de ce troupeau, et jamais à son détriment; il enrichit ses brebis par la gloire même qu'il en retire, tandis que tous les autres pasteurs ne peuvent rien retirer pour eux des brebis qu'au détriment des brebis et en les dépouillant. Or, toutes les fois qu'un pasteur dépouille ses brebis pour son profit, ce n'est pas un acte de pastorat qu'il fait, puisque le pastorat consiste à nourrir et à paître les brebis; il fait un brigandage dont le propre est d'enlever et de dépouiller. Il résulte donc de là que Notre-Seigneur est le seul pasteur véritable, non seulement parce que lui seul a un troupeau qui lui appartient, mais encore parce que lui seul paît son troupeau sans jamais le dépouiller; il ne le paît, ne le dirige et ne le conduit pas pour le dépouiller comme font les autres pasteurs, mais pour l'augmenter, l'engraisser et le fortifier.

Ut vitam habeant. La grande fin, l'unique fin qui nous a amené notre divin Pasteur, était pour que nous ayons la vie. C'est là le fond et l'ensemble de tout le pastorat; tous les autres soins qui y appartiennent tendent à celui-là. C'est tellement l'essentiel du pastorat, que le nom de pasteur est tiré de là: celui qui fait paître et qui donne le pâturage. Notre-Seigneur, comme souverain, unique et parfait Pasteur, est venu pour que ses brebis aient la vie; et cette vie, elles la prennent dans le pasteur même; il les nourrit et vivifie de son propre fonds et de sa propre surabondance. Et il ne fait pas seulement comme ferait un pasteur ordinaire qui donne la vie, mais il la donne avec une très grande abondance; il ne se contente pas de nourrir et soutenir la vie de ses brebis, mais il les engraisse et les remplit abondamment: Et abundantius habeant. Cette abondance de vie est au-dessus de ce qu'on peut concevoir. C'est par là qu'on peut voir la grandeur et l'amour du divin Pasteur pour ses brebis. Les soins qu'il a pris pour les mettre dans cette extrême abondance sont si grands, que, pour peu qu'elles y correspondent, elles ont cette grande abondance. Il est venu sur la terre et s'est incarné, il s'est livré à la mort et a passé par tous ces mystères et ces états de vie, afin de leur mériter et d'accumuler ces divins pâturages qui devaient les engraisser tant, et qui suffiraient pour communiquer la même abondance à plus de cent millions autant qu'ils ne sont. Pour leur faciliter et assurer la divine pâture qu'il leur a préparée, et qu'il leur prépare tous les jours encore étant assis à la droite de son Père, il a établi les sept sacrements qui sont autant de canaux par lesquels la vie divine leur est communiquée avec assurance; elles y reçoivent le Saint-Esprit avec tous les dons et toutes les béatitudes qui en sont la suite. Il a donc raison de dire: et abundantius habeant.

Voilà la différence entre notre divin Pasteur et ceux qui sont des voleurs, et qui agissent comme s'ils étaient pasteurs. Mais ceux qui sont vrais pasteurs et qui viennent au nom et par la vertu de ce grand et admirable Pasteur, ceux-ci sont d'autres lui-même, sa vérité et sa vie pastorale est en eux, et ils ont en main toute la nourriture et tout le pâturage qui est destiné par le Souverain Pasteur pour chacune des brebis qui leur est confiée.

Il faut cependant prendre garde de se laisser égarer par là, et croire que les mauvais pasteurs qui agissent par eux-mêmes ne puissent pas communiquer cette vie par les Sacrements qui ont été établis par le divin Pasteur comme des canaux pour communiquer aux brebis la nourriture céleste; ce serait une erreur grossière et une hérésie condamnée par l'Église. Ces Sacrements étant des canaux infaillibles par lesquels Notre-Seigneur communique sa grâce à ses brebis, ce ne sont pas les mauvais pasteurs qui donnent la nourriture, cela n'est pas sous leur dépendance; dès qu'ils opèrent les Sacrements, le divin Pasteur donne lui-même ce que ces Sacrements signifient. Ils ont beau vouloir prendre pour eux, ils ne peuvent pas priver les brebis de la nourriture qu'Il leur donne.

Ce en quoi ils peuvent leur nuire c'est de les éloigner et les priver de ces divins Sacrements par un effet de leur passion de leurs mauvaises inclinations et le reste de leur mauvaise conduite à l'égard des brebis. De plus, ils leur font grand tort en les privant d'une certaine surabondance de grâces très considérable, qui tient à la préparation que les âmes apportent à la réception des Sacrements, lorsque, en mauvais pasteurs, ils ne les préparent pas, ou même très souvent les empêchent de se bien préparer.

× X,11

Ego sum Pastor bonus. ¦ Moi je suis le bon Pasteur.

Bonus Pastor animam suam dat ¦ Le bon Pasteur donne sa vie pour ses

pro ovibus suis. ¦ brebis.

Notre-Seigneur a donc fait voir jusqu'à présent ce que c'est que le mauvais pasteur, qui mange les brebis au lieu de les nourrir, qui les perd et les néglige et qui n'agit que pour en retirer son profit, quoique cela ne lui appartienne pas. Il s'est mis en parallèle avec lui et a montré qu'il fait le contraire et qu'il n'est pas pasteur. Ici, il commence le parallèle avec un autre genre de pasteur répréhensible, c'est le mercenaire. Voilà pourquoi il commence par dire: Ego sum pastor bonus. Jusqu'à présent, il parlait de gens qui n'étaient pas pasteurs, mais voleurs, alors il fait entendre qu'il est seul le vrai Pasteur; maintenant, il parle de gens qui ne sont pas voleurs, qui viennent au nom du Pasteur, mais qui sont mauvais et répréhensibles plus ou moins; car, le mercénaire n'est pas voleur, seulement il n'est pas bon pasteur. C'est pourquoi Notre-Seigneur dit: Ego sum pastor bonus.

Ici il ne se met pas en parallèle avec le faux pasteur, puisque celui-ci fait directement l'opposé de ce que Notre-Seigneur dit ici. Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis, et le faux pasteur au contraire, tue les brebis pour soi, et par conséquent il n'y a pas de comparaison à établir. De plus, par là on voit facilement que le faux pasteur manque des choses qui constituent essentiellement le pastorat; et ici il s'agit seulement d'une qualité nécessaire au pastorat, c'est d'être bon pasteur, et le bon pasteur donne son âme pour les brebis. Par conséquent, il ne peut pas y avoir ici de parallèle avec les voleurs, qui ne sont pas pasteurs du tout, n'ayant pas l'essentiel du pastorat.

Un pasteur paît ses brebis et a soin d'elles; un bon pasteur donne son âme pour donner et conserver la vie de ses brebis. Notre-Seigneur, en parlant du bon pasteur, parle de la perfection du bon pasteur; car la perfection est d'aller jusqu'au sacrifice de soi pour celui envers lequel on manifeste sa bonté. Et c'est ce qu'a fait le véritable et unique bon Pasteur que nous avons. Il a donné sa vie volontairement pour ses brebis. Tous ceux qui viennent dans leur pastorat au nom du grand Pasteur, et qui, en même temps, agissent par son esprit pastoral, en font autant; ils portent leur zèle pour les brebis du souverain Pasteur jusqu'au sacrifice d'eux-mêmes, de tout ce qu'ils ont et de leur vie s'il en est besoin.

× X,12

Mercenarius autem, et qui non ¦ Mais le mercenaire, et celui qui

est pastor, cujus non sont ¦ n'est point pasteur, dont les brebis

oves propriae, videt lupum ¦ ne sont pas le bien propre, voyant le

venientem, et dimittit oves, ¦ loup venir, laisse là les brebis et

et fugit: et lupus rapit, et ¦ s'enfuit; et le loup ravit et

dispergit oves. ¦ disperse les brebis.

× X,13

Mercenarius autem fugit, quia ¦ Or le mercenaire s'enfuit parce qu'il

mercenarius est, et non ¦ est mercenaire, et qu'il n'a point de

pertinet ad eum de ovibus. ¦ souci des brebis.

Le Bon Pasteur donne sa vie pour la défense de la vie de son troupeau; mais le mercenaire fuit au moindre danger et laisse périr les brebis par les ravages de l'ennemi contre lequel il ne les défend pas. Il ne prend pas même les premières mesures pour se mettre en défense contre l'ennemi des brebis; dès qu'il voit venir de loin le loup qui veut les ravir, il fuit aussitôt, de peur de périr ou de souffrir quelque dommage lui-même. Quum vidit lupum venientem. - Le mercenaire est lâche et timide, et craint de souffrir quelque chose pour le troupeau. Il le paîtra avec soin et satisfaction et le conservera à son Maître, tant que cela lui rapporte quelque jouissance et contentement à lui-même, mais il ne se donnera pas grande peine, à moins que cela ne lui soit un avantage pour son amour propre, ou pour quelque autre inclination qui en profitera. Surtout quand il s'agit d'exposer ce qui lui est cher selon la nature, comme parents, amis, biens ou intérêts temporels, réputation: alors il laisse plutôt les brebis et se tient retiré.

Dans la multitude de pasteurs qui paissent le troupeau de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il y a peut-être seulement un petit nombre de voleurs et de brigands, mais qu'ils sont nombreux les pasteurs mercenaires, qui se paissent eux-mêmes dans le temps qu'ils paissent le troupeau du grand Pasteur, qui sont lâches, faibles, tièdes et sans mouvement quand il s'agit de sauver des âmes; ils sont pleins de zèle et d'ardeur quand il s'agit de leur propre intérêt. Ils ne font rien directement pour faire périr une âme, à cause de leurs intérêts propres, parce qu'ils ont encore une certaine crainte, mais ils seront négligents, et, dès qu'il s'agira d'un intérêt, ils négligeront davantage et abandonneront même le troupeau, laissant perdre les âmes plutôt que de s'exposer.

Ces termes: dimittit oves, indiquent l'abandonnement et la négligence par rapport au troupeau; ils le laissent sans le secourir: Et fugit, ils pourvoient à leur propre sûreté et à leurs propres avantages et intérêts.

Au commencement du 12° verset, Notre-Seigneur indique trois choses défectueuses du mercenaire qui sont cause du mal qu'il commet. Mercenarius autem: c'est la première, il cherche le gain, il garde le troupeau du maître pour en tirer son intérêt. Cette recherche et attache à soi et à ses intérêts, soit pécuniaires, soit de plaisir ou inclination, soit d'amour-propre, rend le pasteur faible, soigneux de lui-même, et craintif. - Et qui non est pastor: par là Notre-Seigneur veut dire: qui n'est pas le pasteur lui-même du troupeau, il n'est pas animé pour le troupeau des sentiments du pasteur; car, outre le désintéressement du vrai bon pasteur, il y a encore le zèle soigneux, ardent et plein d'amour pour ses brebis; et le mercenaire est indifférent pour son troupeau, dès qu'un de ses intérêts marqués plus haut ne le pousse. De là il arrive qu'il n'a aucune générosité pour le bien de ses brebis, et aucune ardeur ni force pour les défendre. - Cujus non sunt oves propriae: les brebis ne lui appartiennent pas; c'est la source de son indifférence; ces brebis lui sont étrangères, il ne leur porte aucun amour ni aucun attachement, il est froid à leur égard. D'un autre côté il est chaud pour ses intérêts; de là il vient que, dès qu'il se voit lui-même et ses intérêts en danger à cause du troupeau, il laisse le troupeau et met en sûreté ses intérêts, avec autant de soin et d'ardeur, que le bon Pasteur prend fait et cause pour ses brebis en se sacrifiant lui-même.

La différence entre le voleur et le mercenaire est que le premier ne vient pas au nom du vrai Pasteur, ne travaille pas pour lui, mais pour soi. Il ne cherche que ses propres intérêts, et cela aux dépens et à la perte du troupeau, sur l'intérêt duquel il est tout à fait indifférent; tandis que le deuxième vient au nom de Notre-Seigneur, travaille pour Lui; il s'intéresse au troupeau, et cherche son bien lorsque cela ne nuit point à son bien propre qu'il recherche même dans l'exercice de son pastorat. Lorsque son intérêt est en opposition avec celui du troupeau, il se préfère lui-même à son troupeau; c'est en cela précisément qu'il est mercenaire: il garde le troupeau du maître avec l'intention d'en tirer son intérêt; et ce qui le rend le plus coupable, c'est qu'il met son intérêt au-dessus de celui du maître du troupeau et du bien de ses brebis.

Voilà les caractères du mercenaire; mais les véritables pasteurs ont tout le contraire: ils sont entièrement désintéressés et n'agissent que pour les intérêts du Pasteur divin, négligeant et sacrifiant tout ce qu'ils ont et tout ce qu'ils peuvent pour le bien du troupeau. Ils sont pleins de l'esprit du souverain Pasteur, et animés de ses sentiments envers le troupeau dans toute leur conduite. Enfin, le troupeau est comme si c'était le leur, parce qu'ils sont une seule et même chose avec le souverain Pasteur, et agissent toujours en son esprit, c'est Lui plutôt qui agit par eux, et alors leur action est celle du pasteur à qui appartient le troupeau; aussi lui sont-ils attachés et s'y intéressent-ils comme ferait le grand Pasteur.

Le mercenaire s'imagine qu'il n'a pas fait de mal, car il n'a rien fait qui perdît les âmes qui lui sont confiées; mais sa faute est une faute d'omission, qui le déclare directement mauvais pasteur et qui perd le troupeau du grand Maître.

Et lupus rapit. Quel est ce loup? C'est l'ennemi du salut, qui est toujours à rôder autour du troupeau. C'est lui qui se montre au pasteur, en lui suscitant toutes les difficultés, les peines et les pertes de ses intérêts qu'il sait lui tenir à coeur. Le prêtre veut entreprendre par exemple une bonne oeuvre qui sera d'un très grand avantage pour le salut des âmes, alors le loup se montre; toutes sortes de difficultés temporelles se présentent; la résistance des amis, la peine des parents, la perte de la réputation; s'il est mercenaire il fuit. Pourquoi? Parce qu'il est mercenaire: il cherche son intérêt, il ne garde et ne soigne pas le troupeau dans des vues pures; et parce qu'il ne s'intéresse pas avec ce grand zèle du pasteur pour son troupeau, ce troupeau n'est pas à lui, il est à un autre que lui. Voilà pourquoi il l'abandonne. Il en arrive de même pour une foule d'autres choses de ce genre, de la prédication pieuse et utile, de la bonne direction des âmes pour leur perfectionnement, etc.

Mais plus ordinairement cela arrive [quant] à l'exercice ordinaire du ministère. Le mercenaire n'ose faire des démarches, ni donner les soins nécessaires pour le salut du troupeau, parce que le loup se montre, et le malheureux abandonne son troupeau au milieu des plus grands dangers, l'abandonne à sa propre conduite sans s'en occuper; et qu'est-ce qu'un troupeau sans guide et sans défenseur en présence d'un loup formidable? Le loup ravit les brebis qu'il peut saisir et disperse tout le troupeau, le met en désordre et lui fait perdre toute union et toute ferveur.

Mercenarius autem fugit quia mercenarius est, etc. Le mercenaire voit tous les désordres qui proviennent de sa mauvaise lâcheté et se sa conduite intéressée, et il laisse faire l'ennemi et s'enfuit toujours de plus en plus.

× X,14

Ego sum Pastor bonus: et ¦ Moi, je suis le bon pasteur, et

cognosco meas, et cognoscunt ¦ connais mes brebis et mes brebis me

me meae. ¦ connaissent.

× X,15

Sicut novit me Pater, et ego ¦ Comme mon Père me connaît, et que

agnosco Patrem; et animam ¦ moi-même je connais mon Père; et je

meam pono pro ovibus meis. ¦ donne ma vie pour mes brebis.

Notre divin pasteur nous montre ici encore une grande qualité de bon pasteur. Il a déjà dit plus haut qu'il appelle ses brebis nommément; il dit encore davantage ici, en expliquant cette divine connaissance qu'il a de ses brebis et celle qu'il donne aux brebis de leur adorable Pasteur.

C'est une chose admirable que cette connaissance dont parle ici notre divin Maître. Il montre par là les rapports si pleins d'amour qui existent entre le pasteur et les brebis. L'adorable Jésus étant un bon Pasteur envers ses brebis, donne à ses chères brebis d'être de bonnes brebis. Dès que les brebis reçoivent de leur adorable Pasteur les communications qu'il leur donne de ses sentiments du divin pastorat, elles reçoivent en même temps la grâce d'avoir pour Lui et de manifester à son égard les sentiments de vraies et bonnes brebis.

Cette connaissance dont il parle, n'est pas une connaissance ordinaire et commune, elle vient d'une source divine et adorable; ce n'est pas la connaissance qu'un homme a d'un autre homme, mais c'est une connaissance divine.

Notre-Seigneur connaît ses brebis comme son Père le connaît et ses brebis le connaissent comme le Fils connaît son Père. La connaissance dont il s'agit est une connaissance d'amour, car telle doit être la nature de la connaissance pastorale. Notre-Seigneur la compare à celle de son Père pour lui, parce que celle que le Père a du Fils est pleine de complaisance et d'amour, produisant le divin amour, puisque le Saint-Esprit n'est que l'amour procédant du Père et du Fils. Cette connaissance que le Père a pour le Fils et dont parle Notre-Seigneur, peut signifier aussi la connaissance d'amour du Père pour le Fils de l'homme, et cette connaissance d'amour est plutôt une connaissance amoureuse de pasteur, parce que c'est de supérieur à inférieur, de celui qui donne la vie à celui qui la reçoit; et vice-versa, l'amour du Fils de l'homme envers son Père céleste est un amour de brebis, de docilité, par conséquent une connaissance d'amour envers Celui qui donne et communique tout ce qu'il a, une connaissance de sa conduite et de tous les effets qu'il produit dans l'Humanité sainte comme pasteur. De même la connaissance amoureuse et pastorale de Notre-Seigneur pour nous, et notre connaissance que nous avons de notre Pasteur, de ce qu'il nous nourrit, nous conduit et nous dirige, est une connaissance amoureuse, qu'outre la connaissance que le pasteur a de la brebis pour l'aimer d'un amour de pasteur, et de la connaissance que la brebis a du pasteur pour l'aimer d'un amour de docilité, il existe encore la connaissance mutuelle de cet amour mutuel, et qui produit une nouvelle effusion d'amour.

Voilà pourquoi il dit: Cognosco meas, et cognoscunt me meae. Il les reconnaît comme siennes, et elles-mêmes le reconnaissent comme celui à qui elles appartiennent, et leur amour alors est en rapport avec cette connaissance.

Pour mieux expliquer cette connaissance par rapport à la divine comparaison dont se sert notre adorable Maître, on peut dire: La connaissance que le Père a de son Fils, a deux grandes qualités: elle est intime et substantielle. Elle est intime: le Père connaît tellement son Fils qu'il est tout en tout son Fils, de manière que l'intelligence infinie du Père réside tout entière dans l'intelligence infinie tout entière du Fils, et s'y applique sans cesse, et cela autant qu'il existe en lui-même, et qu'il se voit et se conçoit lui-même; 2° Elle est substantielle, par cette connaissance éternelle et infinie qu'il a de toute l'essence infinie qui est en son Fils: il voit, conçoit, de toute éternité, son propre être et sa propre essence, et c'est par cette même connaissance qu'il la Lui communique substantiellement.

Le Fils connaît le Père de la même manière. Il le connaît intimement, puisqu'il est autant dans son Père qu'il est en lui-même. Il le connaît substantiellement, parce que cette connaissance qu'il a de son Père est la même connaissance que le Père a de lui-même; et de plus, par cette connaissance, le Fils connaît la substance et l'essence même du Père comme étant toute sa substance et toute son essence. Or, la connaissance pastorale dont parle notre divin Maître est la même. Notre-Seigneur, qui est notre souverain et adorable Pasteur, nous connaît comme son Père le connaît, intimement. Il pénètre jusqu'au plus intime par sa divine grâce, il connaît tous les mouvements de nos âmes, il y est plus que nous [n'] y sommes nous-mêmes et connaît tout ce qui se passe en nous beaucoup mieux que nous: de manière qu'aucun mouvement ne se passe dans nous qu'il ne le voie et n'y fasse attention. Et c'est là la grande qualité du pasteur véritable et bon, de voir et de suivre tout ce qui se passe dans ses brebis; et par là il les dirige et les conduit selon leur besoin et leur utilité. Ainsi, en tous nos mouvements et en toutes nos actions, notre divin Pasteur est toujours en nous, pour nous modérer et nous diriger avec toute son autorité et en même temps avec tout son amour pastoral. Cette application est continuelle, comme celle de son Père envers lui est continuelle.

Et cognoscunt me meae. Notre âme, de son côté, si elle est vraie et bonne brebis, connaît Notre-Seigneur son pasteur comme il connaît son Père. Elle reste toujours, par son intelligence, appliquée à son divin Pasteur, pour concevoir et suivre la direction qu'il veut lui donner. Elle le connaîtra pour ce qu'il lui est: son Maître, son Pasteur, son Dieu et son Tout. Elle le connaîtra non seulement en Lui, mais en elle; elle sentira et verra sans cesse comment il est tout en elle, comme Jésus voit que son Père est tout en Lui. Cette connaissance sera intime dans nos âmes, parce que c'est le divin Pasteur lui-même qui s'y manifestera.

Cette connaissance est aussi substantielle. Jésus, notre Pasteur, nous connaît de cette manière comme son Père le connaît. Il se voit lui-même dans les âmes qui sont véritablement brebis, parce que tout ce qui est en elle, est de Lui. C'est Jésus qui réside dans ses brebis, car ses brebis véritables ne le sont qu'autant qu'elles sont pleines de Jésus. Et ses brebis reçoivent, par cette connaissance même, cette grâce de Jésus leur Pasteur, qui ne s'applique ainsi à ses brebis que pour leur communiquer en elles cette vie et cette grâce de Jésus leur Pasteur, et elles la reconnaissent comme brebis avec tous les sentiments et les dispositions de brebis véritables, car elles connaissent leur divin Pasteur de la même façon qu'il connaît son Père. Cette connaissance qu'elles ont leur vient précisément de la connaissance que Jésus a d'elles.

Notre-Seigneur dit: Meas et meae et non oves meas et oves meae parce qu'il veut manifester que cette connaissance s'applique seulement à celles qui sont sa propriété, et vient de ce qu'elles sont sa propriété; car cette communication pastorale de notre divin Pasteur est faite aux âmes qui sont en Jésus, et que Jésus possède en Lui comme siennes. Voilà pourquoi il dit ces mots, pour manifester propriété et appartenance particulière. Et c'est précisément en cela aussi que réside le point principal, par lequel cette connaissance est comparable à celle de Jésus et de son Père.

Notre-Seigneur dit d'abord: Ego sum pastor bonus, avant de parler de cette connaissance céleste, parce qu'en effet cette connaissance, comprise de cette manière, renferme tout ce qu'il y a de plus parfait dans l'application du pasteur à ses brebis.

Et animam meam pono pro ovibus meis. C'est la perfection du pastorat, comme Notre-Seigneur l'a déjà dit plus haut. Notre-Seigneur achève ici de parler contre le mercenaire, et montre qu'il fait ce qui est le comble du bon pasteur. Il parle de deux choses: la première, [c'est] que le mercenaire ne fait pas cette application entière à ses brebis; il ne les connaît pas parce qu'il n'y met pas son âme, et n'entre pas ainsi dans leur esprit, parce qu'il demande sa récompense, et ne cherche pas les brebis ni ne les aime en elles-mêmes. Or, cette connaissance et application parfaite de l'intelligence suppose un véritable amour et l'exige nécessairement. - En deuxième lieu, pour donner son âme pour ses brebis, ce qui est si éloigné du mercenaire, le bon Pasteur, notre divin Maître le fait.

Notre-Seigneur ne dit pas ponam, mais pono, quoique cependant ce fût alors que dans le futur. Mais ici il parle du moment même, et pouvait dire doublement pono au présent: 1° par la perfection de la disposition où il était de mourir pour ses brebis; 2° parce que notre adorable Sauveur voyait, à tous les instants de sa vie terrestre, sa passion et sa mort comme présentes; parce qu'en lui, ce n'était pas comme dans les autres hommes. Quand les hommes prévoient une chose qui doit leur arriver, ils n'en ont jamais une certitude absolue, parce qu'ils ne connaissent pas toutes les circonstances qui pourraient venir empêcher l'effet prévu. De plus, même s'ils voient la chose certaine d'une certitude absolue, ils ne la voient jamais telle qu'elle arrivera, et comme ils la verront au moment où elle arrivera. Quand il s'agit d'une chose mauvaise, leur espérance les empêche de la voir telle; si elle est bonne même, il y a en eux cet effet d'obscurité. Mais notre divin Maître voyait les choses telles qu'il le devait voir quand elles devaient arriver, et en sentait toute la vivacité de l'effet. Ainsi, il souffrait la mort à tous les instants de sa vie pour ses brebis, et dans le moment où il parlait, il offrait en effet sa vie à son Père pour ses brebis.

Il y a encore une autre raison qu'on peut donner du terme pono. Le divin Pasteur ne parle pas précisément de l'acte du sacrifice qu'il exécutera sur le Calvaire, mais de son application aux âmes. Aucune âme ne devient sa brebis que parce qu'il se sacrifie pour elle. C'est un terme général, une chose qui arrive toujours depuis le commencement du monde jusqu'à la fin: tous ceux qui sont brebis du grand Pasteur, ce divin Pasteur les a gagnés en mourant pour eux, il les voit entre les griffes du loup, et il les lui arrache en mourant pour elles. Voilà pourquoi il dit pono au présent. Il ne l'a pas seulement fait, il ne le fera pas seulement, mais sans cesse il le fait, il ne saurait être pasteur sans cela; car, il trouve toujours ses brebis dans la gueule du loup, et ne les lui arrache que par sa propre mort.

× X,16

Et alias oves habeo, quae non ¦ Mais j'ai d'autres brebis qui ne sont

sunt ex hoc ovili; et illas ¦ point de ce bercail; il faut que je

oportet me adducere, et vocem ¦ les amène, et elles entendront ma

meam audient, et fiet unum ¦ voix, et il n'y aura qu'un bercail et

ovile, et unus pastor. ¦ qu'un pasteur.

Les brebis dont parle ici Notre-Seigneur, sont la réunion des gentils qu'il devait attirer dans son bercail. Elles n'étaient pas alors dans le bercail, et notre divin Pasteur dit qu'il a à les amener dans le bercail. Non sunt ex hoc ovili, dit Notre-Seigneur: ex hoc désigne la Synagogue, qui était alors le bercail où se trouvaient les brebis. Les gentils n'étaient pas de cette Synagogue, ils étaient hors du bercail; et non seulement ils étaient hors du bercail, mais ils n'y sont jamais été. Dans l'ancienne Eglise renfermée dans la Synagogue, généralement parlant il n'y avait pas de brebis qui ne venait d'elle, ou au moins qui ne s'y agrégeait; mais Notre-Seigneur, voulant établir un bercail universel, attira tous les gentils et forma un autre bercail, qui, il est vrai, a pris sa source dans le premier, mais qui avait son existence par lui-même, et n'était pas au-dessous du premier; mais l'un et l'autre formaient un seul et même bercail, dirigé et gouverné par un seul et même Pasteur. L'ancien bercail, trop petit pour renfermer tant de brebis, est détruit. Toute l'universalité du troupeau est réunie dans un bercail formé par le divin Pasteur lui-même, et capable de [le] renfermer et de fournir à la subsistance de ce grand troupeau.

Notre-Seigneur dit: Qui non sunt ex hoc ovili, parce que le nouveau bercail n'était pas le même, et beaucoup plus parfait que le premier et formé du premier. Mais, outre que toutes les brebis du premier devaient entrer dans le second, outre celles-ci le grand pasteur en avait encore d'autres qui n'étaient pas de ce bercail ancien, et qui cependant ont à entrer dans le nouveau bercail qu'il ira former. Notre-Seigneur dit: Alias oves habeo, quoique ces brebis fussent encore toutes éloignées, et que dans le moment, elles n'étaient pas encore actuellement ses brebis. Mais on n'a qu'à se souvenir de ce que le divin Maître a dit ailleurs: Omne quod dat mihi Pater ad me veniet [Jo. 6,36]. Ces brebis lui ont été données par son Père, elles lui appartiennent donc et personne ne sera capable de les lui enlever. Par conséquent, Notre-Seigneur peut dire avec vérité qu'il a encore d'autres brebis; car, pour que dès ce moment, les gentils lui appartiennent, il suffit que son Père les lui ait donnés; or, il est bien certain que tous les gentils, qui dans la suite des temps sont devenus brebis, avaient été donnés à leur Pasteur adorable par son Père céleste. Ils lui appartiennent donc en propriété.

D'un autre côté, tout ce qui appartient à Notre-Seigneur est brebis, car il n'est venu que pour leur donner le pâturage: par conséquent il dit vrai en disant qu'il avait, dès le temps qu'il parlait, d'autres brebis à lui appartenant dès lors, quoiqu'elles fussent encore hors du bercail; mais précisément par cela [même] qu'il était obligé de les amener dans son bercail; parce qu'il a dit que tout ce que son Père lui donne vient à lui, et que, s'il ne les cherchait, elles ne pouvaient venir. Et ailleurs il a dit que tout ce que son Père lui donne il n'en perd rien [cf. Jo. 18,9], et que la volonté de son Père était que tout ce qui venait à lui il ne le mît pas dehors [cf. Jo. 6,37]: Oportet me adducere.

Il les appelle brebis dans ce moment-là même, parce qu'elles l'étaient dans l'ordre de la volonté de son Père.

Il dit: Et vocem meam audient. Dans le moment où Notre-Seigneur parlait, elles n'entendaient pas encore sa voix, parce qu'il n'en était pas encore temps; quand le temps déterminé par son Père était venu, alors le divin Pasteur appela ses nouvelles brebis qui lui avaient été données par son Père, et, dès qu'il les appela, elles entendaient sa voix, elles étaient fidèles et suivaient avec joie; par là notre divin Maître prédit la grande ferveur et le grand empressement avec lesquels les Gentils qui avaient été donnés à l'adorable Pasteur recevaient la parole de la foi, et avec lesquels ils suivaient l'attrait de la grâce divine qui était si nouveau pour eux, et à laquelle ils se rendaient avec tant de foi et de fidélité. Cette voix de Notre-Seigneur est la parole de foi annoncée par les saints apôtres, et cette parole intérieure que le Maître des apôtres disait à ces âmes bienheureuses.

Notre-Seigneur a encore dit ces paroles pour faire contraste avec ceux qui devaient être naturellement ses brebis, qui étaient de l'ancien bercail, et qui n'écoutaient pas sa voix, abusaient de toutes ses bontés, de toutes ses faveurs; c'étaient des brebis égarées, qui n'appartenaient plus au divin Pasteur, tandis que ces âmes neuves recevaient sa divine parole pastorale avec une joie et une tendresse d'amour inexprimables, rivalisaient et bientôt même surpassaient les anciennes brebis.

Ces brebis Lui appartenaient avant qu'elles ne s'en doutassent. Le divin Pasteur a déjà les yeux sur elles et ne les perd pas un instant de vue: alias oves habeo. Mais elles n'entreront dans le bercail que lorsqu'elles auront écouté sa voix.

Mais une chose bien remarquable contre les hérétiques se trouve dans ce verset: notre divin Maître dit qu'il a d'autres brebis à amener dans son bercail; voilà l'action de la grâce, par laquelle le divin Pasteur fait ses efforts d'amour pour les amener. Et vocem meam audient, ajoute-t-il, voilà l'action de la volonté coopérante des brebis. Elles seront fidèles à cette action de la grâce, la recevront et la suivront; et qu'arrivera-t-il après cela? Fiet unum ovile et unus pastor. De la concurrence de la volonté à la grâce divine, il résulte qu'un âme appartienne à Notre-Seigneur et que Notre-Seigneur devienne Maître et Pasteur de cette âme. Si ces brebis n'avaient pas écouté la voix du Pasteur qui les a amenées, le grand bercail n'aurait pas pu se former. Et fiet unum ovile et unus pastor. Par là notre divin Maître nous montre l'unité de la foi dans son Eglise. Dans l'Ancien Testament, qui était un bercail, mais un bercail de pratiques extérieures, - car, ce qui distinguait le peuple de la loi mosaïque des autres, ce n'était que des pratiques extérieures, - et par conséquent ce qui manifestait les brebis d'Israël n'était que ces pratiques: ainsi, par exemple, ils avaient la circoncision pour marque et pour caractère de leur qualité de brebis; ces pratiques jointes à la foi formaient les brebis d'Israël. Les brebis hors de la maison d'Israël, qui étaient ceux des Gentils qui croyaient en un Dieu seul et qui observaient la loi naturelle, comme Job, Naaman, Jéthro et autres, étaient brebis, mais n'appartenaient pas au bercail établi de Dieu dans Israël, qui, dans le fond, était cependant le véritable bercail. La foi de ces brebis tirées des Gentils était la même que celle d'Israël, mais il leur manquait le caractère particulier des brebis d'Israël, qui était la circoncision et les pratiques de la loi; et en cela, ce bercail qui, dans le fond, était absolument le même, variait cependant en une chose, qui, pour le temps de la loi de pratiques, était un caractère essentiel; et par là même l'union n'était pas parfaite dans le bercail. Mais, dans le nouveau bercail, le divin Pasteur réunira toutes ces brebis pour en former un seul et même troupeau, et pour les faire entrer toutes dans un seul et même bercail. Et dans ce temps, le caractère essentiel et unique des brebis sera dans l'âme, caractère formé par l'Esprit-Saint, caractère qui unira tout le bercail et rendra toutes les brebis dociles et souples sous un même pasteur. Et c'est l'Eglise nouvelle que le divin Pasteur a formée, et dans laquelle règnera une unité de foi parfaite et ce sera précisément ce qui fera les brebis. Dès qu'il se trouve une partie de ce bercail dont la foi n'est pas une avec le tout, cette partie ne sera plus du bercail parce qu'il n'existe qu'un seul bercail. De plus, elle n'aura plus le souverain Pasteur pour pasteur, parce que, comme ce bercail est un, de même il n'y aura qu'un pasteur, et comme le pasteur est unique, de même son bercail sera unique seulement. C'est ce divin Pasteur qui enseigne, qui inspire, qui guide et qui gouverne son unique bercail, de telle façon que tout enseignement, toute conduite, toute inspiration et tout gouvernement qui ne sont pas ceux de tout le bercail, ne peuvent pas venir du vrai Pasteur, parce que le pasteur étant seulement un, tout enseignement, toute conduite, toute inspiration et tout gouvernement qui ne sont pas ceux de tout le bercail, ne peuvent pas venir du vrai Pasteur, parce que le pasteur étant seulement un, tout enseignement, toute inspiration etc. doit être le même dans tout le bercail. De là celles des brebis qui ont ces choses autres qu'elles ne se trouvent dans le reste du bercail, ne reçoivent pas ces choses du vrai pasteur, de l'unique pasteur, et par conséquent le divin Pasteur n'est pas leur pasteur.

Ces hommes qui se forment une foi selon leurs idées, sans craindre de se séparer de la foi du bercail ou qui ne veulent pas s'assujettir au gouvernement et à la conduite de tout le bercail, ces hommes sont bien malheureux; ils sortent et se retranchent eux-mêmes du divin bercail qui seul a été établi pour les brebis de Dieu; et de plus ils se soustraient à l'autorité du souverain Pasteur, déclarant formellement par leur conduite perverse qu'ils n'appartiennent plus à l'unique Pasteur. Et si d'ailleurs ils veulent soutenir qu'ils lui appartiennent encore, comme ils le font ordinairement, leur sentence est prononcée par le divin Pasteur lui-même, qui les retranche du nombre de ses brebis, parce qu'ils se sont retranchés de son bercail, et [il] ne veut plus être leur Pasteur, fiet unum ovile et unus Pastor. La sentence est prononcée: malheur à ceux qui s'obstinent.

Quant aux termes et unus pastor, ils sont aussi en opposition avec ce qui existait dans le temps de l'ancienne loi. Dans le fond, il n'y avait qu'un seul pasteur, qui était Notre-Seigneur (36) car il a dit: Nemo venit ad Patrem nisi per me [nul ne vient au Père sinon par moi; Jo. 14,6]; par conséquent, il ne peut y avoir de vrai pasteur que Lui, et d'ailleurs il s'est assez prononcé sur cette vérité dans le chapitre présent. Mais dans l'esprit des Juifs, il y avait plus d'un pasteur comme il y avait plus d'un bercail. Ils regardaient comme pasteurs les prophètes auxquels Dieu a donné ses différentes lois; ainsi Moyse était le pasteur des Juifs, c'est-à-dire de toute la maison d'Israël qui était sous la loi. Les gentils qui servaient Dieu n'étaient pas obligés à la loi, et étaient brebis selon les Juifs mêmes et ils les appelaient enfants de Noé. Ils leur donnaient donc Noé pour pasteur. Les Juifs étaient donc enfants d'Abraham et de Moyse, recevant la foi et les pratiques prescrites à Abraham et à Moyse; et les gentils, enfants de Noé, recevant et observant seulement les lois prescrites à Noé. Ces dénominations se trouvent encore, même maintenant, dans leurs livres. Mais dans la nouvelle loi et le nouveau bercail, il n'y aura plus de ces différentes dénominations, ni ces différentes branches: tous seront directement et indistinctement les brebis de Notre-Seigneur, et recevront de lui immédiatement, directement et uniquement la direction intérieure de la grâce ainsi que la vie. Donc, dans ce nouveau bercail, il n'y aura qu'un seul pasteur, qui gouvernera seul tout son propre troupeau.

× X,17

Propterea me diligit Pater, ¦ Et si mon Père m'aime, c'est parce

quia ego pono animam meam, ¦ que je quitte ma vie pour la

ut iterum sumam eam. ¦ reprendre.

Notre-Seigneur parle ici de la dilection du mérite; car, par la dilection essentielle qu'il avait pour son Fils de toute éternité, comme aussi par la dilection de choix et de complaisance, ce n'était pas parce qu'il donnait son âme que son Père l'aimait; c'était parce qu'il était son Fils bien aimé. Mais il s'agit ici de la dilection de grâce et de mérite, qui tient à la perfection de l'accomplissement de la divine volonté, et de l'amour avec lequel on l'accomplit; et notre divin Pasteur, après avoir montré combien son pastorat est au-dessus de celui des faux pasteurs, ou plutôt est unique véritable pastorat, montre ensuite la récompense, qui est l'amour de son Père. Il a montré sa conduite pastorale par rapport à ses brebis, il la montre maintenant en ce qu'elle est par rapport à son Père. Et en cela encore il se compare aux autres pasteurs, et montre que lui seul est aimé de son Père: Propterea me diligit. C'est pourquoi c'est moi qui suis aimé de mon Père, quia ego pono, etc., parce que moi seul je donne mon âme. Ces termes me diligit quia ego pono, disent assez qu'il s'agit d'une comparaison et que c'est lui qui est aimé, et non les autres. Pourquoi son Père l'aime-t-il? Parce qu'il pose son âme pour la reprendre. Le grand caractère de l'amour c'est de donner son âme pour ses amis, c'est la perfection de tout amour, et celui qui donne son âme pour Dieu, aime Dieu parfaitement. De là, Notre-Seigneur donnant son âme pour ses brebis selon la volonté de son Père, par un pur effet de son amour pour lui et sans être forcé à cela par cette volonté, manifeste par là que cet acte est un acte souverainement parfait dans le Fils de Dieu. Car la perfection est double dans un acte: celle qui est inhérente à l'acte, et celle des dispositions qui l'accompagnent. Les dispositions qui l'accompagnaient étaient infiniment parfaites et d'un mérite infini, et l'acte dont Notre-Seigneur parle ici est en lui-même le plus parfait; voilà pourquoi il attire l'amour du Père. Ut iterum sumam eam. La perfection d'une action héroïque quelconque ne consiste pas en elle-même, mais en ce qu'elle se fait en l'accomplissement de la volonté de Dieu et pour son bon plaisir; voilà pourquoi, pour qu'elle soit parfaite, il faut qu'elle soit entièrement selon cette sainte volonté. Ici, la volonté du Père n'était pas que Notre-Seigneur mourût seulement et qu'il restât ainsi jusqu'à la résurrection générale, mais elle était qu'il ressuscitât peu de temps après; de là, l'amour du Père était attaché non à l'action de son Fils de donner son âme, mais à l'action de la donner et à l'intention de la reprendre. - Une autre raison encore, c'est que cette résurrection même était pour le bien de ses brebis et entrait dans la sanctification des âmes aussi bien que le mystère de sa mort, et par là attirait un amour particulier du Père.

Les termes pono et sumam indiquent la puissance du Fils de Dieu, par laquelle seule ces actions se firent; ils indiquent encore la volonté libre avec laquelle le Fils de Dieu les a faites, comme il va expliquer le verset suivant.

Le mot ponere indique un endroit. Notre-Seigneur pose son âme; et où la pose-t-il? c'est entre les mains du Père, comme il dit au moment de sa mort: Pater, in manus tuas commendo spiritum meum [Père, entre tes mains, je dépose mon esprit; Lc 23,46]. Ces paroles étaient cet acte de puissance prononcé avec tant de force et par lequel il déposa son âme entre les mains de son Père.

× X,18

Nemo tollit eam a me ipso, et ¦ Personne ne me la ravit; mais je la

potestatem habeo ponendi eam; ¦ donne de moi-même; j'ai le pouvoir de

et potestatem habeo iterum ¦ la donner et j'ai le pouvoir de la

sumendi eam; hoc mandatum ¦ reprendre. C'est la commandement que

accepi a Patre meo. ¦ j'ai reçu de mon Père.

Dans ce verset, Notre-Seigneur explique pourquoi il dit qu'il dépose son âme et qu'il la reprend. D'après les apparences, il semblera que ses ennemis lui arracheront l'âme et qu'il mourra par l'effet du supplice, et cette apparence est fausse; car, c'est par un simple acte de sa volonté qu'il rend son âme à son Père, lorsque tout ce qui devait avoir lieu et être exécuté en sa personne sera accompli. Et il l'a même assez manifesté dans ses derniers moments. Après avoir reçu le vinaigre, il dit: Tout est fini; et après avoir dit cela il élève la voix avec beaucoup de force, et dit à son Père: In manus tuas, etc. Par là il dit: Tout est terminé, j'ai accompli toutes tes volontés, maintenant je vous donne mon âme, je la dépose entre vos mains.

Et potestatem habeo, etc. Notre-Seigneur montre par là qu'il meurt par sa propre puissance et qu'il ressuscite par sa propre puissance. Potestatem habeo, il a ce pouvoir en Lui, il est inhérent à sa nature.

Notre-Seigneur dit: Pono, tollam animam meam; potestatem habeo ponendi et tollendi eam. Il parle de déposer son âme et de la reprendre, comme de déposer et de reprendre un objet qui n'est pas lui. Qui posera cette âme et qui la reprendra? Est [-ce] l'âme elle-même? Les termes ne disent pas cela; d'ailleurs, l'âme ne peut se reprendre, ni se poser hors d'elle pour être obligée après cela de se reprendre. Est-ce le corps? Mais le corps ne peut pas avoir puissance sur l'âme, en Notre-Seigneur encore moins qu'en tout homme, parce que, dans l'Humanité sainte, tout était dans un ordre parfait et le corps obéissait à l'âme selon l'ordre primitif de la création; or, si le corps avait eu pouvoir de déposer et de reprendre l'âme, il y aurait eu désordre. Qui est donc qui a cette puissance? C'est le Verbe divin qui dit: Ego pono eam a meipso, nemo tollit eam a me, potestatem habeo, etc.

Quand les volontés éternelles de son Père se furent accomplies sur son humanité sainte, alors le Verbe posa son âme, non hors de lui, mais hors du corps, et cela par un parfait consentement de cette âme sainte et admirable, et avec une parfaite docilité et soumission de ce corps, et c'est pour cela qu'au moment où cette grande action s'exécute, l'adorable Humanité inclina la tête: Inclinato capite, expiravit [et, inclinant la tête, il mourut; cf.  Jo. 19,30; Mc 15,37], pour manifester, par cette marque, l'accord et le consentement parfait de son corps, de l'âme et de la Divinité dans cette séparation admirable.

Pendant tout le temps de cette séparation, le Verbe resta uni au corps et à l'âme comme auparavant; de manière que le corps et l'âme restèrent médiatement unis ensemble de l'union surnaturelle que l'Esprit-Saint a opérée par l'union hypostatique du Verbe; car, le Verbe étant ainsi substantiellement uni avec le corps et avec l'âme, il résulte de là que ce corps et cette âme devenus saints et adorables, furent unis dans la substance divine du Verbe, substance essentiellement une et indivisible, et par conséquent une dans le corps et dans l'âme et les possédant de la manière la plus parfaite dans son unité indivisible. - Cependant, qu'on ne se laisse pas induire dans une erreur grossière, et croire par là qu'il n'était pas possible que le corps de Notre-Seigneur fût mort. Ce serait une grande erreur et une hérésie même. Ce corps adorable était mort pendant trois jours, mort et sans mouvement, comme tout corps humain qui est privé de l'âme. Mais tout mort qu'il était, il méritait toutes les adorations des anges et des saints, parce que le Verbe divin était en lui comme auparavant. - Mais en quoi consiste donc cette séparation de l'âme et du corps, si l'un et l'autre étaient toujours unis dans l'unité du Verbe? Elle consiste dans une séparation selon la nature. Car il faut remarquer en notre adorable Seigneur deux choses: son existence surnaturelle, qui provenait de son union avec la Personne divine du Verbe; et en deuxième lieu, son existence naturelle, qui sont les relations de son corps et de son âme; corps et âme crées absolument comme les nôtres, seulement dans un degré inexplicablement plus parfait et plus pur. L'un et l'autre étaient de même nature et avaient les mêmes qualités que les nôtres ont reçues de la main de Dieu dans notre première création, sans avoir ce que le péché a ajouté à cette création. Seulement, cette nature et ces qualités du corps et de l'âme de Notre [Seigneur] étaient incomparablement, et incompréhensiblement plus parfaites que les nôtres. Dans notre création, Dieu ayant joint l'âme avec le corps, a établi certaines relations entre elle et le corps, par laquelle union et lesquelles relations le corps reçoit la vie et le mouvement naturel de l'âme, et c'est ce qui fait l'homme vivant. Lorsque cette union naturelle et ces relations entre l'âme et le corps sont rompues alors on dit: Cet homme est mort. Car ce mot mort signifie séparation naturelle, et rupture de relations naturelles de l'âme avec le corps, qui doit lui donner la vie et le mouvement. Or, voilà ce que fit le Verbe divin en posant ainsi son âme; il leur enleva cette union naturelle et ces relations naturelles, de manière que le corps ne recevait plus la vie et le mouvement de l'âme; et par conséquent Notre-Seigneur est véritablement mort et a été véritablement enseveli, tout en restant uni parfaitement au Verbe divin; et par là le corps et l'âme restèrent immédiatement unis dans la substance divine du Verbe.

Par suite de cette union parfaite qu'il conserva avec le corps, Notre-Seigneur dit en toute vérité: Potestatem [habeo] ponendi et sumendi, quoiqu'il restât autant uni à l'âme qu'au corps, parce que séparant véritablement son âme de son corps, il la posa donc hors de son corps, ou plutôt en séparation de son corps, en ensuite quand il [la] réunit au corps et rétablit les relations entre le corps et l'âme d'une manière aussi parfaite et aussi admirable par sa résurrection, il reprit son âme dans son corps.

Hoc mandatum accepi a Patre meo. Ici, Notre-Seigneur dit la véritable raison pour laquelle il devait faire ces choses. Ce n'était pas parce que les Juifs l'avaient crucifié et parce qu'ils lui avaient fait souffrir des tourments si terribles, mais parce qu'il a reçu cet ordre de son Père. C'était la volonté de son Père, déterminée de toute éternité, que son Fils bien-aimé doit mourir sur la croix pour les péchés des hommes et ressusciter ensuite pour leur justification; c'est pour que ce Fils adorable exécutât dans le temps cette volonté éternelle du Père.

On peut considérer cette volonté du Père sous une double forme. Premièrement, comme donnée à son Fils, éternelle comme lui et de toute éternité; et alors, ce n'est pas une loi de supérieur à inférieur, mais, le Père ayant cette volonté en Lui, l'a engendrée dans son Fils, qui possédait de toute éternité cette même volonté dans l'essence du Père qui était toute en Lui. Secondement, comme donnée à l'Humanité sainte, comme une chose du bon plaisir du Père; et cette adorable et très sainte Humanité, dans un accord et consentement parfaits avec le Verbe, s'abandonna et se soumit entièrement à cette divine volonté du Père, et concourut de toutes les forces de sa volonté pour l'accomplir, quoiqu'elle eût pu choisir la jouissance et la félicité qu'elle recevait de l'essence divine du Verbe: proposito sibi gaudio, sustinuit crucem [au lieu de la joie qui lui était proposée, il endura une croix: Heb. 12,2].

Cette volonté du Père était non seulement pour la mort, mais encore pour la résurrection; c'est pourquoi le Fils de Dieu exécuté l'une et l'autre.

× X,19

Dissensio iterum facta est ¦ Une dissension s'éleva de nouveau

inter Judaeos propter ¦ parmi les Juifs à cause de ces

sermones hos. ¦ paroles.

A l'occasion de ces paroles, si pleines d'onction et de consolation, il se fit de nouveau une dissension et une dispute entre les Juifs, comme celle qui eut lieu à l'occasion d'autres paroles, qui renfermaient une doctrine aussi élevée et aussi pleine de consolation (chap. VII). Personne de ceux qui les entendaient ne pouvait les comprendre; seulement, ceux qui étaient bien disposés, et qui avaient un peu de foi, éprouvaient une grande consolation et un effet de grâce qui les touchait et les attirait davantage à Notre-Seigneur; les mauvais, au contraire, y trouvaient un sujet de scandale et de perte pour s'endurcir de plus en plus.

Cette dissension a mis fin aux discours de Notre divin Maître, qui ne se trouve jamais dans le trouble, comme il a été dit plus haut (chap. VII).

× X,20

Dicebant autem multi ex ipsis: ¦ Beaucoup d'entre eux disaient: Il

Daemonium habet, et insanit; ¦ un démon et il est insensé; pourquoi

quid eum auditis? ¦ l'écoutez-vous?

C'est le propre des gens mal disposés de blasphémer ce qu'ils ne connaissent pas. Ces gens-là, ne comprenaient pas les divines paroles de Notre-Seigneur; ils ne se contentent pas de dire que ses paroles sont obscures, mais ils blasphèment et disent: que celui qui les disait parlait par inspiration du démon et qu'il était insensé. Cependant, dans toutes ses paroles, ils avaient toujours observé une sagesse surhumaine; il leur était arrivé bien souvent qu'ils ne comprenaient pas bien, et cependant [ils] entrevoyaient une sagesse qui est au-dessus d'eux. Ils lui avaient entendu souvent parler par paraboles, et devaient croire que ces paroles étaient paraboliques et avaient un sens caché qu'ils ne comprenaient pas. D'autant plus qu'ils avaient toujours vu par expérience, que jamais personne n'a pu résister à la haute sagesse qui parlait par la bouche de Notre-Seigneur, et que jamais on n'avait pu l'embarrasser en rien. Cependant, au lieu d'avouer sa supériorité et de croire qu'il y avait là une sagesse cachée dans ces paroles qui leur étaient incompréhensibles, ils aimaient mieux suivre le penchant de leur passion, et juger d'abord que ces paroles étaient des paroles insensées, contre toute apparence de raison.

Ils disaient: Daemonium habet, parce que, quand le Fils de Dieu parlait ainsi au peuple, l'inspiration divine, ou plutôt la présence substantielle du Verbe, se faisait voir sensiblement dans tout l'extérieur de l'Humanité sainte. Car ces choses se passaient dans l'Humanité sainte comme dans les autres hommes. Lorsque les hommes veulent communiquer aux autres hommes une chose qu'ils conçoivent, qu'ils éprouvent et expérimentent dans leurs âmes, il faut que cela passe par les sens, et, par le moyen des sens, [ils] le communiquent à leurs semblables, dont les sens reçoivent la communication de ces choses qui leur sont rendues, et par leurs sens, entrent dans leurs âmes: Fides ex auditu [la foi vient de l'audition; Rom. 10,17].

Et la véritable éloquence consiste à ce que tous les sens de celui qui veut communiquer ainsi les choses qu'il éprouve prennent part, soient imprégnés de cet objet et aident à rendre cet objet, chacun à sa manière, et par là, font impression sur tous les sens de ceux qui écoutent, les captivent plus ou moins, et font recevoir leur objet avec perfection. C'est pourquoi ceux qui sont vivement et fortement pénétrés d'une chose, la rendent avec plus d'éloquence, parce que tous leurs sens en sont pleins. C'est pourquoi les hommes inspirés de l'Esprit de Dieu, et qui par là sentent les choses plus vivement, plus délicatement, et plus intimement, rendent les choses de la même façon, et plus parfaitement que les hommes qui n'ont qu'un sentiment fondé sur les seules forces de la nature; car, les effets produits par la nature sont incomparablement plus faibles que ceux produits par la grâce, et surtout dans des hommes inspirés d'une manière extraordinaire. C'est pourquoi aussi les hommes inspirés par le Saint-Esprit et animés de la grâce, produisent des effets merveilleux de grâce dans les âmes.

Ainsi donc notre adorable Humanité du Sauveur faisait de même pour rendre les choses admirables et divines qu'elle recevait par la communication ineffable du Verbe, et que la volonté du Père était qu'elle nous communiquât; le Fils de Dieu faisait passer ces objets admirables par les sens de l'Humanité-sainte, qui manifestait ainsi et produisait au-dehors les vérités communiquées par le Verbe divin, et les rendait par tous les sens qui devaient y prendre part, de manière que la sublimité incompréhensible de l'union divine du Verbe paraissait plus fortement. De plus, pour certaines vérités plus élevées et plus importantes, le Fils de Dieu manifestait davantage cet admirable écoulement de l'essence divine sur l'Humanité-sainte, comme il est dit par exemple: Exultavit Spiritu [Il exulta sous l'action de l'Esprit; Luc 10,12], et autres passages semblables.

Les Juifs voyant ces effets et étant mal disposés, les prenaient mal et disaient que cela venait du démon; voilà pourquoi il leur arrivait si souvent de dire: Daemonium habet, par un effet de leur malice, qui se sentait repoussée par la manifestation de la Divinité qui abhorrait leur malice; et cela excitait davantage leur malice. - Les bons, au contraire, étaient embaumés par cet écoulement de l'Esprit de Dieu sur l'extérieur du Sauveur et sentaient un grand effet de grâce.

× X,21

Alii dicebant: Haec verba non ¦ D'autres disaient: Ces paroles ne

sunt daemonium habentis: ¦ sont pas d'un homme qui a un démon en

numquid daemonium potest ¦ lui: est-ce qu'un démon peut ouvrir

caecorum oculos aperire? ¦ les yeux des aveugles?

C'est pourquoi les bons, c'est-à-dire ceux qui, parmi les Juifs, n'étaient pas mal disposés à l'égard de Notre-Seigneur, suivirent le sentiment de leur coeur plutôt que l'orgueil de l'esprit. Ils ne comprenaient pas non plus les divines paroles du Sauveur, mais, étant touchés par la grâce et disposés favorablement, ils conservèrent une certaine droiture d'esprit que la malice faisait perdre aux autres, et, quoique ne comprenant pas ces paroles, ils conclurent, d'après les antécédents, que c'est Dieu qui agissait en Notre-Seigneur et non un démon. Ainsi ils disent deux choses: premièrement, [que] ces paroles ne sont pas d'un homme possédé du démon, parce que le bon effet qu'elles produisent et la manière dont elles sont dites, aussi bien que la nature même de ces paroles, annoncent assez clairement que ce n'est pas le démon qui en est le principe. En second lieu ils disent que ce ne peut pas être par l'inspiration du démon que Notre-Seigneur parlait, parce qu'un démon ne peut ouvrir les yeux à un aveugle-né, et, par conséquent, ce grand miracle que Notre-Seigneur venait d'opérer était de Dieu; il était donc animé de Dieu dans ses oeuvres. Or, il est impossible que Dieu et le démon soient, dans une âme, le principe de ses actions de cette manière. Dieu ne fait pas de miracles par un homme qui agit et qui parle par inspiration du démon.

× X,22

Facta sunt autem Encaenia in ¦ Or on faisait à Jérusalem la

Jerosolymis: et hiems erat. ¦ Dédicace, et c'était pendant l'hiver.

× X,23

Et ambulabat Jesus in Templo, ¦ Et Jésus se promenait dans le Temple,

in porticu Salomonis. ¦ sous le portique de Salomon.

Notre-Seigneur, qui ne reste jamais dans le trouble, quitta les Juifs, aussitôt qu'ils se disputaient à son sujet. C'était dans ce temps de l'hiver, où les Juifs faisaient des feux de joie pour célébrer le rétablissement et la dédicace du Temple qui eut lieu au temps des Macchabées. Notre-Seigneur prenait toujours un plaisir très grand à considérer ce qui se faisait pour la gloire de son Père, ou pour lui rendre des actions de grâces pour ses bienfaits; et, dans toutes les circonstances, il honorait de sa présence les fêtes que le peuple faisait pour rendre hommage à son Père. Voilà pourquoi, en quittant les Juifs, il se rendit au Temple. Il est probable, que le principal de ces feux de joie eut lieu, dans le portique de Salomon. Peut-être y a-t-il quelqu'autre raison, pour laquelle il se rendit là, et qui nous est inconnue. Il serait possible qu'au temps de l'hiver le peuple se trouvait réuni sous le portique plutôt qu'ailleurs, et le divin Sauveur en ces solennités se montrait au peuple pour leur annoncer son nouveau royaume.

Il est probable que ces deux circonstances que l'Esprit-Saint nous met ici aient des raisons particulières et plus relevées: Hiems erat, et: in porticu Salomonis.

× X,24

Circumdederunt ergo eum ¦ Les Juifs donc l'entourèrent et lui

Judaei, et dicebant ei: ¦ dirent: Jusqu'à quand tiendras-tu

Quousque animam nostram ¦ notre esprit en suspens? Si tu es le

tollis? Si tu es Christus, ¦ Christ, dis-le nous ouvertement.

dic nobis palam. ¦

Les Juifs entendaient toujours parler la divine Sagesse, sans rien comprendre à ce qui sortait de sa bouche. Il est probable que [c'étaient] le mêmes qui viennent de lui entendre dire: Ego sum Pastor bonus, et les autres choses admirables, sans savoir ce qu'il disait; il paraît même certain que c'est là-dessus qu'ils lui font cette demande, puisque la réponse du Sauveur fait suite à son discours des premiers versets de ce chapitre. Ces gens-là viennent de dire: Daemonium habet et insanit, car ceux qui lui parlent ici sont des gens mauvais et sans foi; quoique de bouche ils disaient que c'étaient des folies qu'il disait, dans leur conscience ils sentaient bien que cela n'était pas et soupçonnaient qu'il pourrait vouloir dire par là qu'il était le Messie. Voilà pourquoi ils viennent ici l'entendre tous, pour lui demander de leur dire clairement qu'il est le Messie.

Après avoir bien discuté ensemble, il a dû y en avoir parmi eux qui eussent quelque incertitude et remords plus grands. Mais leur défaut de foi et leurs mauvaises dispositions font que cela ne s'éclaircit pas, et les fait abuser de nouveau des réponses de la divine Sagesse. Dans cette incertitude et ce remords, il font la demande: Jusqu'à quand enlevez-vous ainsi notre âme, la tenez-vous ainsi suspendue? si vous êtes le Messie, dites-le ouvertement et non pas toujours par énigme et par parabole. La manière dont ils viennent faire la demande ne méritait pas d'être exaucée. Ils viennent en se plaignant avec humeur, et tout le motif de cette singulière prière est un motif d'amour-propre; ils ne veulent pas être ainsi dans l'incertitude.

Une autre chose remarquable, c'est qu'ils ne demandent pas à connaître véritablement Notre-Seigneur, amis ils veulent savoir s'il est le Messie, comme ils s'imaginaient le trouver selon leurs idées singulières et humaines. - De plus, leur peu de foi les rendait incapables de cette connaissance, comme cela se manifeste bien, à la fin de la réponse que Notre-Seigneur leur fait. - D'ailleurs, plusieurs parmi eux étaient endurcis dans leur incrédulité, et demandaient cela pour avoir un prétexte d'agir contre lui; c'est la demande de Caïphe et le motif qui la lui fera faire.

× X,25

Respondit eis Jésus: Loquor ¦ Jésus leur répondit: Je vous parle et

vobis, et non creditis. Opera ¦ vous ne me croyez point; les oeuvres

quae ego facio in nomine ¦ que je fais au nom de mon Père

Patris mei, haec testimonium ¦ rendent témoignage de moi.

perhibent de me. ¦

Notre-Seigneur, en répondant à leur demande, reprend en même temps leur incrédulité, qui est la cause pour laquelle ils ne pouvaient comprendre ses paroles, et pour laquelle Notre-Seigneur ne leur donnait pas de plus amples instructions. Ils demandent que Notre-Seigneur leur dise s'il est le Christ, et déjà tant de fois il le leur avait dit sans qu'ils aient voulu le comprendre, par suite de leurs mauvaises dispositions; et quelquefois quand ils l'avaient compris, ils voulaient le faire mourir pour cela. Car, le nom du Christ par excellence qu'ils donnaient à ce grand personnage qu'ils attendaient et qui avait été prédit par tous les prophètes, ce nom ne signifiait rien autre chose que l'onction divine du Verbe dans l'Humanité; et par conséquent le Christ est la même chose que le Fils de Dieu; or, Notre-Seigneur leur avait tant de fois dit qu'il était le Fils de Dieu, sans que jamais ils aient voulu le recevoir comme tel. Et même bien plus, il leur a manifesté une multitude de fois, les deux natures qui étaient en Lui, s'appelant tantôt Fils de Dieu et se rendant égal à Dieu; tantôt Fils de l'homme et manifestant son infériorité. - Leur malheur était qu'ils avaient perdu toute véritable notion sur leur Messie et en avaient des idées toutes différentes de ce qu'il était réellement. De là venait qu'ils ne pouvaient rien comprendre au langage de Notre-Seigneur. Pour se tirer de là, il eût fallu avoir plus de docilité et de dispositions à la foi, afin d'être peu à peu éclairés sur leurs fausses idées. Mais eux, au contraire, tenaient à ces idées, et, toutes les fois que le divin Messie disait des vérités opposées à leurs idées, ils se mécontentaient et murmuraient. Ainsi, dès que Notre-Seigneur disait un terme qui montrait qu'il était plus que les autres hommes, au lieu de se soumettre et de chercher à s'éclairer, ils se fâchaient et se révoltaient contre lui, par le défaut entier de foi en lui et en ses paroles. Ainsi, quand il se met au-dessus d'Abraham et des prophètes, ils disent: Quem te ipsum facis ? Quand il dit qu'il a été avant Abraham, ils veulent le lapider. Ils veulent qu'il soit le Messie, et ils ne veulent pas qu'il soit ce qu'il leur annonce de sa propre personne, parce qu'il veulent un Messie selon leurs idées et non un autre.

S'ils avaient commencé à croire cette vérité grande et fondamentale de la divinité de Notre-Seigneur, toutes leurs erreurs seraient tombées. C'est donc ce que Notre-Seigneur leur dit dans sa réponse. Il leur montre que leur incertitude vient de leur incrédulité et non d'une autre cause. Mais, comme ils auraient pu dire qu'ils ne pouvaient pas l'admettre comme Fils de Dieu, ne voyant en lui qu'un homme comme les autres, ce qu'ils lui dirent dans une rencontre: Tu homo cum sis, facis teipsum Deum [Jo. 10,33], et par là leur incrédulité semblerait justifiée. C'est pourquoi Notre-Seigneur leur dit que les oeuvres qu'il fait comme Fils de Dieu prouvaient la vérité de ce qu'il dit. Il dit qu'il est Fils de Dieu, et en cette qualité fait sans cesse de si grands miracles; ces miracles prouvent qu'il l'est réellement, car il ne pourrait faire ces oeuvres que par la puissance de Dieu; et comment Dieu lui mettrait-il ainsi sa puissance en main, pour autoriser un mensonge si pernicieux? - Voilà pourquoi il dit: Opera quae ego facio in nomine Patris mei.- Les Juifs n'ont donc plus aucune raison à lui alléguer pour justifier leur incrédulité ni pour montrer que s'ils ne le connaissaient pas ce n'était pas de leur faute.

Notre-Seigneur ne dit pas: Je vous ai dit que je suis le Messie, Fils de Dieu, et vous ne voulez pas me croire; mais il dit: Je vous parle et vous ne voulez pas me croire. Parce qu'en effet il ne leur avait jamais dit expressément qu'il était le Messie; mais leur incrédulité en était la cause; c'est pourquoi il dit Loquor, en général.

× X,26

Sed vos non creditis, quia ¦ Mais vous ne croyez point parce que

non estis ex ovibus meis. ¦ vous n'êtes point mes brebis.

Après que Notre-Seigneur leur a enlevé la seule excuse de leur incrédulité par la preuve de ses miracles, il leur montre ici la véritable raison de cette incrédulité. S'ils ne veulent pas croire qu'il est Dieu et Fils de Dieu le Père, ce n'est pas par bonne volonté, par crainte d'offenser Dieu en adorant un homme, comme ils semblent le manifester en prenant toujours de bons prétextes pour le persécuter; mais cela vient de ce qu'ils ne sont pas du nombre de ses brebis. Ils n'avaient pas pour lui les sentiments ni les dispositions de brebis; c'est pourquoi ils ne croyaient pas et n'entendaient pas ce qu'il disait.

× X,27

Oves meae vocem meam audiunt: ¦ Mes brebis écoutent ma voix; moi je

et ego cognosco eas, et ¦ les connais et elles me suivent.

sequuntur me. ¦

Car ses brebis entendent sa voix. L'amour qu'elles ont pour leur pasteur fait que leurs affections se portent vers lui, et elles sont toujours favorablement disposées envers lui; mais celles qui ne sont pas de ces brebis, ne sont pas dans ces dispositions, le regardent comme un étranger, ne goûtent pas la nourriture que le pasteur leur donne, et toutes leurs affections les portent ailleurs que vers le divin Pasteur, à son opposition. - De plus, ce qui fait dans les vraies brebis l'ouverture de la docilité, c'est l'Esprit-Saint qui est en elles, et sa grâce divine qui les attire et les fait tendre vers leur Pasteur, qui leur ouvre l'intelligence et leur fait goûter et jouir de tout ce qui vient de leur Pasteur. Tandis que ceux qui ne sont pas ses brebis, ont l'esprit du démon et de la chair, qui tendent toujours à s'opposer au Pasteur divin et opèrent en tous moments le contraire de ce que fait l'Esprit-Saint dans les brebis. Ces raisons, et toutes les autres qui sont détaillées plus haut dans ce même chapitre, étaient cause que les Juifs n'avaient pas la foi.

Et ego cognosco eas et sequuntur me. Le divin Pasteur les connaît de la manière qu'il a été expliqué plus haut. Par cette connaissance il les attire toujours à lui, et elles le suivent sans cesse, se laissant conduire spirituellement par le divin Pasteur, et étant pleinement dociles à sa conduite et à l'attrait intérieur de la grâce jusqu'à la fin de leur vie.

Et ego cognosco eas, Notre-Seigneur les connaît, parce qu'elles ne sont brebis que par la détermination éternelle du Père, qui a voulu qu'elles le soient; et par suite de cette détermination générale qui les met au nombre des brebis de Notre-Seigneur, le Père leur a décrété de toute éternité les grâces particulières, qui, dans chaque temps, devaient opérer en elles cette qualité de brebis et les y conserver. Et Notre-Seigneur, possédant en lui cette volonté éternelle du Père, étant lui-même chargé de l'exécuter dans le temps envers chacune de ces brebis, dans chaque moment et dans chaque circonstance déterminés par cette divine volonté éternelle de son Père, connaît par conséquent toutes ses brebis et les connaît d'une manière pratique, pour opérer ce qui a été déterminé de toute éternité; c'est pourquoi c'est par suite de cette connaissance que les brebis le suivent.

× X,28

Et ego vitam aeternam do eis; ¦ Et je leur donne la vie éternelle, et

et non peribunt in aeternum, ¦ elles ne périront jamais, et nul ne

et non rapiet eas quisquam de ¦ les ravira de ma main.

manu mea. ¦

Avant d'expliquer le verset, il faut revenir sur les deux précédents. Il se trouve là une difficulté. Notre-Seigneur parle ici évidemment de ses élus, que son Père lui a donnés, et c'est ce qu'il appelle ses brebis. Il dit aux Pharisiens qu'ils n'étaient pas de ses brebis, et que c'était pour cela qu'ils n'entendaient pas sa voix, et que ses brebis l'entendaient, etc. Or, il est certain que plusieurs même de ceux qui avaient entendu sa voix et qui avaient été dans le bercail, se sont perdus après et ne sont pas entrés dans le royaume du ciel. Cette difficulté n'est qu'apparente; la vérité sort toujours de la bouche de la divine Sagesse. Seulement il nous arrive quelquefois de ne pas la comprendre; alors il ne faut accuser que notre ignorance et notre péché, et adorer avec foi et amour ce que nous ne connaissons pas assez à cause de nos ténèbres. Ici les paroles du maître se comprennent.

On peut diviser les personnes par rapport à notre divin Pasteur en quatre classes. 1° Les élus qui écoutent d'abord et restent fidèles toute leur vie, comme l'Apôtre saint Jean. 2° Ceux qui n'écoutent pas d'abord et se rendent ensuite pour être fidèles, comme saint Paul. 3°  Ceux qui écoutent et son fidèles d'abord et deviennent infidèles ensuite comme Judas. 4°  Ceux qui n'écoutent jamais et restent toujours dans leur infidélité; et c'est à ceux-là que parle Notre-Seigneur en cet endroit. Quant à ceux qui commencent par être fidèles et qui retombent et puis reviennent, comme l'Apôtre saint Pierre, ou ceux qui, après leur retour, retombent et finissent mal comme Simon le Magicien, ils rentrent dans une des quatre classes marquées. Il est certain que les deux premières classes sont les brebis et les deux secondes ne le sont pas.

Maintenant, reprenons les paroles de Notre-Seigneur. Il dit à ceux qui devaient rester dans leur endurcissement: Vous ne croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis, c'est-à-dire vous n'êtes pas de ceux que mon Père m'a donnés, qui sont ma propriété; c'est là la raison fondamentale pour laquelle vous ne m'écoutez pas. C'est une chose certaine que quand le moment déterminé par le Père, pour la conversion d'une âme, est arrivé, que la grâce de cette conversion est offerte, et que cette âme ne se convertit pas, il est certain qu'elle n'est pas au nombre des brebis, c'est-à-dire des élus; parce que, selon la parole de Notre-Seigneur qui suit, tous ceux qui sont ses brebis, c'est-à-dire que son Père lui a donnés pour être de ses élus, quand le moment déterminé par le Père arrive, et que par suite de cette détermination éternelle du divin Pasteur vient pour faire rentrer les brebis, ces brebis écoutent toujours la voix de leur pasteur. Et, par conséquent, si, dans un de ces moments décisifs, une âme n'écoute pas, cela vient de ce qu'elle n'est pas brebis. - S'il arrive quelquefois qu'une âme n'écoute pas d'abord, et qu'à la fin elle se rende et qu'elle devienne véritablement brebis, si elle n'a pas écouté d'abord cela venait de ce que le temps déterminé pour le faire, époque décisive donnée par les décrets éternels du Père, n'était pas arrivé; tandis que si elle s'est rendue dans la suite, quelquefois avec un moindre appel, c'est-à-dire, par une circonstance beaucoup moindre que la première, c'est qu'en ce temps l'époque fixée dans les décrets éternels était arrivée.

Mais il faut observer, que lorsqu'on voit, une âme écouter d'abord, et être fidèle pendant quelque temps, ce n'est pas une preuve qu'elle est au nombre des véritables brebis. Le divin Maître dit bien qu'un caractère de ses brebis est de l'écouter; de là on peut conclure que pour être sa brebis, il est nécessaire d'écouter; mais toutes celles qui écoutent ne sont pas toujours des brebis véritables: il arrive souvent que ce sont des brebis étrangères qui se trouvent dans le bercail du grand Pasteur, et qui finiront par s'en retirer et se perdre. Elles sont entrées dans le bercail par les grâces du divin Pasteur, et par la miséricorde très grande de son Père, qui leur a prédestiné ces grâces et ménagé cette entrée et cette demeure dans le bercail de son Fils bien-aimé, quoiqu'il ne les lui ait pas données. Il arrivera un moment où ses brebis deviendront infidèles à ces faveurs, et sortiront pour se perdre, et cela par leur propre faute, qui vient de leur malice et de leur méchanceté, laquelle résista à ces grandes grâces et à ces grands bienfaits. Et comme le Père ne les avait pas données à son Fils, ce Fils bien-aimé et fidèle à son Père, permet qu'elles se perdent, en ne leur donnant pas plus de grâces que celles que son Père leur a déterminées. Et le Père, tout adorable dans ses jugements, n'a pas voulu augmenter leur grâce, à cause du plus grand besoin qu'en a la grandeur de leur malice et méchanceté. - Ce qui fait le caractère déterminant et distinctif des brebis, [c']est la persévérance. C'est pourquoi quand Notre-Seigneur a dit: Oves meae vocem meam audiunt, il dit: Et ego cognosco eas. Il discerne et distingue celles qui l'écoutent comme vraies brebis, et par cette connaissance qu'il en a, il leur applique, en temps, lieu et circonstance, les grâces déterminées par son Père, soit pour leur conversion, soit pour leur persévérance; et alors il ajoute: Et sequuntur me: elles le suivent, voilà la persévérance. Le Pasteur donne les grâces sans cesse, et la brebis suit ces grâces sans cesse et est fidèle jusqu'à la fin. - Quant aux vraies brebis, qui sont fidèles d'abord, qui tombent et reviennent, il ne faut compter le moment décisif dans la détermination éternelle du Père, que la dernière fois qu'elles reviennent, et alors le Pasteur leur donne ses grâces et elles le suivent jusqu'à la fin.

Ceux-là donc qui sont les véritables brebis auront ce que l'éternel Pasteur promet en cet endroit. Il leur donnera la vie éternelle, en leur communiquant dès ce monde sa vie; et cette vie en eux sera durable et ne les abandonnera jamais, parce qu'elles suivront toujours leur Pasteur qui ne cessera de la leur communiquer. Ainsi, vient d'abord la prédestination éternelle pour être brebis du bon Pasteur, ensuite la grâce présente pour les attirer au bercail; à cela répond la fidélité d'écouter la voix du Pasteur qui appelle: Vocem meam audiunt; viennent ensuite les soins amoureux du Pasteur pour ceux qu'il reconnaît être ses brebis, et à cela répond la fidélité de le suivre dans cette grâce de persévérance; et à cette fidélité sont attachées des grâces continuelles, de manière qu'à mesure qu'une âme persévère dans sa fidélité, à mesure elle assure sa persévérance dernière. Notre-Seigneur appelle la vie éternelle qu'il donne en ce monde, cette vie commencée dans ce monde et qui n'aura plus fin, cette vie de Dieu dont la plénitude est dans le Pasteur; et le Pasteur la communiquant aux brebis fidèles, il la fait leur propriété qui leur reste toute l'éternité. Tandis que les âmes qui viennent à lui, qui sont fidèles quelque temps et l'abandonnent ensuite, cette vie éternelle n'est pas en elles; parce que c'est la vie de Dieu qu'elles reçoivent par la grâce momentanée qui leur est donnée, [mais ce] n'est pas leur propriété dans la vue de Dieu, qui voit qu'elle leur sera enlevée plus tard par leur faute. Dieu la leur donne comme aux autres pour tout le temps qu'elles seront fidèles, et comme elles ne le seront pas toujours, cette vie par conséquent ne leur appartient pas pour toujours, elle n'est pas éternelle.

Ce n'est donc pas un don parfait, mais un don qui ressemble à un prêt; tandis que ceux qui persévéreront dans leur fidélité, par le même principe, la garderont toute l'éternité, et par conséquent Notre-Seigneur dit avec raison: do eis. Il faut remarquer qu'il dit, do eis, au présent, ce qui dit: dès qu'ils deviennent véritables brebis. Notre-Seigneur ajoute: Et non peribunt in aeternum. Par là il montre qu'ils ne se perdront pas pour l'éternité. Ici il y a peribunt au futur, parce qu'il s'agit de l'autre vie; elles iront donc, [ces âmes], dans le royaume de la gloire, puisqu'elles ne périront pas pour l'éternité; mais celles qui n'écoutent pas, et celles qui retournent en arrière après avoir écouté, périront; ce ne sont pas ses brebis, et il ne se charge pas de les préserver de tout le mal qui leur arrivera.

Il ajoute encore plus: Et non rapiet eas quisquam de manu mea. Par là il nous dit deux choses. La première: il ajoute à ce qu'il vient de dire: non seulement elles ne périront pas pour toute l'éternité, mais même, elles ne feront pas une chute passagère qui les éloigne de lui. Car il faut remarquer que notre divin Pasteur parle ici de celles qui le suivent, c'est-à-dire qui reçoivent la grâce de la persévérance et qui y sont fidèles; car la vraie qualité de brebis du céleste Pasteur, considérée dans sa pratique, n'existe qu'après cette grâce de persévérance; [pour] une âme qui, après avoir été fidèle, tombe et puis se relève et persévère, sa première fidélité ne peut pas être comparée à celle des véritables brebis, mais à celles des âmes fidèles qui se perdent ensuite, car leur grâce de fidélité n'était pas cette grâce de brebis qui exige la persévérance. Le moment décisif de l'accomplissement des desseins de la parfaite miséricorde de Dieu sur elle, n'est venu qu'au temps où la grâce de persévérance commence sans plus s'interrompre. Voilà pourquoi le divin Pasteur dit que personne ne les lui enlèvera plus. Toutes les puissances de la terre et de l'enfer peuvent se réunir contre les âmes chéries de Dieu, elles ne seront pas capables de les enlever de la main de leur Pasteur qui les conduit. Et c'est la seconde chose qu'il veut nous manifester par ce mot, et non rapiet, etc.; c'est-à-dire que c'est lui qui a reçu puissance pour cela, et qu'il nous défendra contre toute puissance ennemie.

Manus signifie le pouvoir qu'il a de nous défendre, et en tant que ses brebis sont sa possession, elles sont dans sa main et dans sa main toute puissante, à laquelle personne ne les arrachera jamais. Ici, Notre-Seigneur dit seulement le fait: cela n'arrivera pas; et, dans les versets suivants, il en dit la raison.

Par là nous voyons combien nous sommes redevables à notre adorable Pasteur, qui veille ainsi sur ceux qui lui appartiennent, et qui les défend, de sa main toute puissante. Nous voyons encore, combien nous devons avoir confiance en lui, tant que nous sommes fidèles, puisque c'est lui qui est notre défenseur, et combien nous devons de suite revenir vers lui lorsque nous avons été infidèles, puisque ce n'est qu'en lui que nous trouverons notre force et notre soutien. Tous nous devons être pleins de confiance, que nous sommes au nombre de ses brebis et agir comme tels, et par conséquent le suivre avec une fidélité persévérante, et toujours être pour lui pleins des sentiments des vraies brebis.

Si quelqu'un est environné de tentations de crainte et de défiance, qu'il s'arme d'un amour plein de générosité, qu'il s'oublie lui-même et qu'il tâche d'aimer le divin Pasteur, de lui être docile et fidèle pendant tout le temps qu'il se trouve dans son bercail, sans s'occuper de savoir s'il est là comme propriété du divin Pasteur ou comme étranger.

× X,29

Pater meus quod dedit mihi, ¦ Quant à mon Père, ce qu'il m'a donné

majus omnibus est, et nemo ¦ est plus grand que toutes choses, et

potest rapere de manu patris ¦ personne ne le peut ravir de la main

mei. ¦ de mon Père.

Quand Notre-Seigneur parle dans tout ce chapitre de sa qualité de Pasteur, c'est du Fils de l'homme qu'il parle; car c'est à l'Humanité sainte que nous avons été donnés, c'est elle qui nous nourrit, qui nous communique la grâce, c'est avec elle que nous sommes toujours directement en rapport, c'est elle qui nous défend contre toute puissance ennemie, c'est le Verbe qui nous donne tout par son Humanité, c'est elle qui nous récompensera dans l'autre vie, comme tout cela a été expliqué au chapitre V.

× X,30

Ego et Pater unum sumus. ¦ Moi et mon Père nous sommes une seule

¦ chose.

Par conséquent, [en] tout ce que Notre-Seigneur dit dans cette circonstance, c'est l'Humanité sainte qui parle, c'est à elle que les Juifs ont été incrédules, parce qu'ils n'étaient pas de ses brebis.

Voilà pourquoi, après avoir dit que personne ne lui enlèvera ses brebis, elle en donne ici la raison. - Ce que mon Père m'a donné est le plus grand que tout ce qui existe. Et qu'est-ce que le Père a donné de si grand au Fils de l'homme? C'est son Verbe, et il le lui a tellement donné, que cette vénérable Humanité ne fait qu'une seule et même personne avec le Verbe; et celui qui lui enlève une chose l'enlève au Verbe, et si elle défend une brebis, ce n'est pas seulement elle, mais le Verbe qui la défend.

Il ajoute, pour expliquer davantage et en même temps pour faire sentir plus vivement son union avec le Verbe: Et nemo potest rapere de manu Patris mei. Ceci est une vérité que tout le monde est obligé d'admettre. Or, il est certain, que celui qui enlèverait une brebis de la main de l'adorable Pasteur, l'enlèverait de force de la main du Père. Et c'est ce que Notre-Seigneur explique en disant: Ego et Pater unum sumus. Le Verbe possède en lui l'essence, la nature et toute la substance du Père. L'Humanité sainte possède en elle la substance du Verbe de la manière la plus parfaite, par conséquent l'Humanité sainte, étant une avec le Verbe, est par là même une avec le Père et a en elle toute la puissance du Père.

Les termes, unum, sumus, dit l'union la plus parfaite. Le Père et le Fils ne sont qu'une même chose, ils ont la seule et même existence.

× X,31

Sustulerunt ergo lapides ¦ Alors les Juifs prirent des pierres

Judaei, ut lapidarent eum. ¦ pour le lapider.

La réponse des Juifs fut de prendre des pierres, pour lapider Celui qui leur disait des choses si divines. Leur méchanceté était si grande, qu'ils n'entraient pas en discours avec lui, mais s'emparèrent de suite des instruments du supplice qu'ils voulaient lui faire souffrir; et par là montrèrent bien la vérité des divines paroles, que Notre-Seigneur vient de leur adresser.

× X,32

Respondit eis Jesus: Multa ¦ Jésus leur dit: J'ai fait devant vous

bona opera ostendi vobis ex ¦ beaucoup de bonnes oeuvres par la

Patre meo, propter quod eorum ¦ vertu de mon Père; pour laquelle de

me lapidatis? ¦ ces oeuvres me lapidez-vous?

Les Juifs voulaient lapider Notre-Seigneur parce qu'il se faisait égal à Dieu, selon la loi qui ordonne ce supplice contre les blasphémateurs. Or, s'il fallait le lapider pour cela, il eût fallu le faire pour tous les miracles qu'il opérait pour le bien du peuple, car, tous ces miracles, il les faisait toujours en qualité de Fils de Dieu et au nom de son Père; et s'il ne méritais pas d'être lapidé pour ses oeuvres miraculeuses, il ne le méritait pas non plus pour avoir dit: Ego et Pater unum sumus, car l'un n'est pas plus blasphème que l'autre. Or Notre-Seigneur savait bien, que les Juifs ne pouvaient pas condamner ses miracles, parce qu'il était évident qu'ils venaient de Dieu, et ils n'auraient pas osé nier cette évidence devant le peuple. C'est pourquoi il leur dit: pour laquelle de mes bonnes oeuvres, c'est-à-dire de mes oeuvres miraculeuses, voulez-vous me lapider? J'ai fait ces oeuvres au nom de mon Père en grande quantité. Et si vous ne pouvez me lapider pour ces oeuvres, vous ne pouvez non plus me lapider pour la même parole, que je vous dis sans faire une oeuvre. Ces paroles étaient en même temps un reproche de leur ingratitude: ils voulaient lapider un si insigne bienfaiteur, qui marquait chaque pas qu'il faisait par ses bienfaits pleins de puissance et d'amour.

× X,33

Responderunt ei Judaei: De ¦ Les Juifs lui répondirent: Ce n'est

bono opere non lapidamus te ¦ pas pour une bonne oeuvre que nous te

sed de blasphemia: et quia tu ¦ lapidons, mais c'est pour un

homo cum sis, facis teipsum ¦ blasphème, et parce que tu te fais

Deum. ¦ Dieu.

Les malheureux, dans leur réponse, font leur propre condamnation. Ce n'est pas [à cause] des bonnes oeuvres qu'ils le lapident, mais [à cause] du blaphème; mais si les bonnes oeuvres sont vraies il ne peut y avoir du blasphème. Il lui reprochent deux choses pour lesquelles ils veulent le lapider: [pour] le blasphème contre Dieu, en s'égalant à lui, et pour l'idolâtrie, [en] voulant se faire adorer quoique n'étant qu'un homme.

× X,34

Respondit eis Jesus: Nonne ¦ Jésus leur répartit: N'est-il pas

scriptum est in lege vestra: ¦ écrit dans votre loi: Je l'ai dit:

Quia ego dixi, dii estis? ¦ Vous êtes des dieux?

Ces paroles sont dans les psaumes adressés aux méchants. Dieu leur dit: J'avais dit (lorsque vous étiez encore bons) que vous seriez tous des dieux et les enfants du Très-Haut [Ps. 81,6]. C'est aux Juifs pervertis qu'il parle de ses bons desseins sur eux, quand il leur avait donné sa loi. Et c'est de là que Notre-Seigneur tire une preuve contre eux. Cette bonté admirable du Sauveur! Il leur parle pour les convaincre, afin qu'ils quittent leur mauvais dessein et reviennent à des sentiments moins méchants, en leur tirant une preuve en sa faveur de leur loi même; et ces gens-là étaient si mauvais, qu'ils ne profitèrent pas même dans cette circonstance, et il fallait agir par la force de sa divinité pour les empêcher de faire mal.

× X,35

Si illos dixit deos, ad quos ¦ Quand elle appelle dieux ceux à qui

sermo Dei factus est, et non ¦ la parole de Dieu a été adressée, et

potest solvi scriptura: ¦ que l'Ecriture ne peut être détruite,

× X,36

Quem Pater sanctificavit, et ¦ vous me dites à moi que le Père a

misit in mundum, vos dicitis: ¦ sanctifié et envoyé dans le monde: Tu

Quia blasphemas; quia dixi, ¦ blasphèmes; parce que j'ai dit: Je

Filius Dei sum? ¦ suis le Fils de Dieu?

Si l'Ecriture appelle dieux ceux qui ne reçoivent de la divinité qu'une participation secondaire et imparfaite, et qui ne la reçoivent que de Notre-Seigneur et par adoption, à combien plus forte raison Notre-Seigneur lui-même, qui reçoit une participation simple, directe, immédiate et parfaite de la divinité, et qui doit la communiquer aux hommes qui doivent être ainsi des dieux par lui, à combien plus forte raison est-il Dieu; et par conséquent ils ne blasphème pas en se disant Fils de Dieu.

Si illos dicit deos ad quos sermo Dei factus est. Sermo Dei est cette parole que Notre-Seigneur donne [aux hommes] pour leur communiquer les perfections divines et les rendre participants à la divinité. Ce mot sermo parole, dit [parole] intérieure ou par la grâce, et extérieure [ou] la parole de la foi qui doit produire la grâce. Factus est, cette parole est faite; ce n'est pas la substance propre de la divinité, mais c'est une communication imparfaite, elle est créée. La grâce n'est pas la substance de la divinité, mais une créature qui rend participant à la divinité, autant qu'un homme le peut être sur la terre. - Ad quos, voilà qui dit le mode de cette communication: elle est une chose qui leur est étrangère et se fait d'une manière indirecte, par le moyen de l'Humanité sainte de Notre-Seigneur. Et cependant l'Ecriture les appelle dieux, parce qu'ils participent réellement à la divinité qui réside en eux, quoique d'une manière si imparfaite.

Et non potest solvi scriptura. On ne peut pas défaire ni contredire ce qui est exprès dans l'Ecriture.

Quem Pater sanctificavit. Maintenant Notre-Seigneur montre en lui-même tout ce qu'il a montré dans les âmes fidèles appelées dieux, et cela d'une manière incomparablement plus parfaite: Celui que le Père a sanctifié, d'une manière directe et par lui-même, en le prenant dans son sein éternel. Car, l'Humanité sainte a été prise dans le sein du Père par son union personnelle avec le Verbe, par là ne faisant qu'une seule et même chose avec le Verbe, et le Verbe divin reste toujours dans le sein du Père; et c'est là qu'elle a été sanctifiée, ayant en elle la sainteté du Père même.

Et misit in mundum. Ces termes montrent que le Fils de l'homme est dans le sein du Père, et que ces mots quem Pater sanctificavit, signifient qu'il l'a sanctifié en le prenant dans son sein, puisqu'après cela il l'envoie dans le monde. L'idée que le Père l'envoie dans le monde suppose une idée précédente [à savoir] qu'il l'avait dans son sein. - Le Père l'a envoyé dans le monde, cela veut dire qu'il l'a chargé de sanctifier le monde; il l'a envoyé dans le monde, pour que le monde reçoive imparfaitement et cependant richement, de son abondance. Il est envoyé pour communiquer la divinité, dont il possède la plénitude, à ceux qui doivent être appelés dieux.

Et vos dicitis, etc. Les Juifs étaient donc dans une grossière erreur et dans une indigne mauvaise foi, de dire que c'est un blasphème que cet adorable personnage s'appelle Fils de Dieu.

× X,37

Si non facio opera Patris mei, ¦ Si je ne fais pas les oeuvres de mon

nolite credere mihi. ¦ Père, ne me croyez point.

× X,38

Si autem facio, et si mihi non ¦ Mais si je les fais, quand bien même

vultis credere, operibus ¦ vous ne voudriez pas me croire,

credite ut cognoscatis, et ¦ croyez aux oeuvres, afin que vous

credatis quia Pater in me est, ¦ connaissiez et croyiez que mon Père

et ego in Patre. ¦ est en moi, et moi dans mon Père.

Et d'où vient cette grande erreur de leur part? C'est de leur malice, qui ne voulait pas croire à la divine parole de Notre-Seigneur.

Voilà pourquoi, le divin Maître leur répète encore une fois, cette raison convaincante qu'il leur a dite tant de fois déjà, c'est-à-dire la preuve de ses miracles.

Mais pour bien comprendre toutes les paroles que Notre-Seigneur dit en cet endroit, il faut savoir qu'une âme qui est hors du bercail du céleste Pasteur, pour y entrer en deux manières. Dans la première, la grâce prévient la connaissance. Notre-Seigneur attire à lui cette âme, et lui imprime dans son intérieur, une grâce de foi à toutes ses paroles, sans qu'elle y comprenne rien, et cette âme est fidèle à cette grâce et se rend, sans résistance à cette foi intérieure, à tout ce qui lui vient de Notre-Seigneur sans vouloir d'abord comprendre les choses qu'elle croit. Elle ne croit pas en Notre-Seigneur et à ses paroles, par les preuves convaincantes qu'elle a eues d'abord de sa divinité et de la véracité de ses paroles. Quand une fois elle croit ainsi purement et simplement par le mouvement de la grâce, Notre-Seigneur lui donne intérieurement des lumières et des connaissances sur l'objet de la foi, et ces connaissances sont beaucoup plus parfaites, plus intimes et plus convaincantes, que celles qu'une âme acquerrait par elle-même. -

La deuxième manière, c'est lorsque Dieu se sert de la raison pour convaincre une âme, et l'amener au divin bercail. C'est un raisonnement, animé cependant de la grâce divine, qui produit la conversion et qui amène à la foi. On commence par raisonner sur les objets, et quand on a trouvé la vérité par le secours de la grâce, on s'y rend par le secours d'une autre grâce. Cette deuxième manière est moins parfaite que la première, parce que plus il y a de la grâce dans les opérations surnaturelles de notre âme, plus ces opérations sont parfaites; et plus il y a d'influence de notre nature et de nos propres puissances intellectuelles ou sensibles, moins une opération surnaturelle est parfaite; car toute la perfection et tout le mérite de nos actions sont tirés de la grâce, ce sont les dons de Dieu et les mérites de Notre-Seigneur qui sont couronnés en nous: Coronando merita coronas dona tua, dit l'Eglise dans une Préface [Préface des Saints]. Par conséquent, c'est dans le plus ou moins de ce mérite que réside la perfection de nos oeuvres.

Seulement, ce qui est absolument nécessaire, c'est que notre âme, par sa coopération à la grâce, attire en elle ce mérite et ce don de Dieu, le rende triomphant en elle, l'y établisse et en fasse la vie de ses oeuvres. De là, plus notre coopération est parfaite, plus notre âme a de mérite devant Dieu, car plus notre coopération est parfaite, plus la grâce s'étend et triomphe dans notre âme, et plus aussi elle devient l'âme et la vie de nos oeuvres. Tandis que, sans notre coopération, la grâce reste morte en nous, ou tout au moins dans l'inaction, et toutes nos oeuvres sont les nôtres, indépendantes de la grâce, et par conséquent vides du mérite de Notre-Seigneur.-

Mais, pour revenir au texte, voilà donc le sens de ces paroles de Notre-Seigneur. Les Pharisiens ne voulaient pas lui croire, alors il leur dit: Si non facio opera Patris mei, nolite credere mihi. Notre-Seigneur se disait Fils de Dieu, mais en le disant, il faisait les oeuvres de son Père qui prouvaient clairement qu'il était véritablement le Fils de Dieu et que son Père était en Lui. S'il n'avait pas fait ces oeuvres, les Pharisiens auraient pu ne pas croire, parce qu'ils n'avaient pas cette grâce par excellence, qui attire à Notre-Seigneur par infusion et attraction particulière, indépendamment des opérations de notre intelligence; et, n'ayant pas eu cette grâce, leur raison leur disant que ce n'était qu'un homme qui parlait, et non le Fils de Dieu, de là, ils n'auraient pas été coupables de leur incrédulité, parce qu'avec la grâce ordinaire, ils n'auraient pas pu trouver la vérité et étaient obligés de suivre les lumières de leur raison.

Il y aurait eu encore de graves raisons, pour rendre croyables l'assurance que Notre-Seigneur donnait, qu'il était le Fils de Dieu; mais, la chose étant si grave, ils auraient pu ne pas croire à lui, et même ils auraient été obligés de ne pas croire. Mais Notre-Seigneur faisant tant de miracles pour preuve de la vérité de ce qu'il avançait, miracles qui étaient évidemment les oeuvres de son Père, et il les faisait avec une puissance extraordinaire qui paraissait évidemment résider en lui. C'était la preuve la plus capable de convaincre, et de donner la certitude la plus grande, à l'esprit d'un homme quelconque, de la vérité de ses divines paroles. D'ailleurs, cette grâce nécessaire pour aider la raison à arriver à la foi ne manque jamais à personne; il résulte donc de là, que les Juifs étaient sans excuse de n'avoir pas cru au moins de cette seconde manière. Voilà ce que Notre-Seigneur disait: puisque je fais ces oeuvres, si vous ne voulez pas croire à moi-même, etc.: voilà la première manière d'arriver à Notre-Seigneur, lui croyant sans raisonnement et par le seul mouvement de la grâce auquel l'âme est fidèle. Si mihi non vultis credere, croyez au moins à mes oeuvres, car là ils étaient inexcusables: operibus credite. Il ajoute: Ut cognoscatis et credatis. Par ces oeuvres, et de cette seconde manière d'arriver à la foi, ils auraient commencé par connaître, ut cognoscatis, et après avoir connu par le secours de la grâce, ils seraient arrivés à croire, ut credatis.

Et quel est l'objet de cette foi? Quia Pater in me est, et ego in Patre. Par là il explique cette parole qu'il a dite plus haut et qui les a tant scandalisés, et la preuve qu'il vient de leur en donner: Ego et Pater unum sumus. Lui et son Père ne sont qu'une substance, et cependant deux Personnes. Toutes la substance du Père est tout entière dans toute la substance du Fils et la remplit; et toute la substance du Fils est tout entière dans toute la substance du Père et la remplit; or, le Fils étant tout entier ainsi dans le Père, et le Père ainsi tout entier dans le Fils, il résulte de là que la substance du Père est celle du Fils, et la substance du Fils est celle du Père, et cependant il y a distinction, car, puisque le Père est dans le Fils, il faut que le Fils soit distingué du Père pour le contenir, et s'il n'était pas distingué du Père, il ne pourrait pas posséder en soi le Père, mais le Fils serait le Père. La même chose se dit du Père en qui est le Fils. Le Père et le Fils ont une même existence, un même être, une même nature, une même substance, une même vie, une même essence, et par suite de tout cela une même opération, tellement que les oeuvres du Père sont les oeuvres du Fils, et les oeuvres du Fils sont celles du Père.

Si facio opera Patris mei, dit Notre-Seigneur. Par cette existence du Père dans le Fils, Notre-Seigneur faisait les oeuvres de son Père, c'est son Père qui opérait par lui. C'est pourquoi dans les oeuvres de puissance que Notre-Seigneur opérait, il dit qu'il les faisait au nom de son Père; c'étaient les oeuvres de son Père et cependant il les faisait par sa propre puissance, parce que la puissance du Père était en lui et était la sienne aussi bien qu'elle était au Père.

Par ces paroles, Notre-Seigneur nous donne une explication sur sa génération éternelle. Son Père l'engendre de toute éternité, et en l'engendrant il engendre sa propre substance. Pater in me est. Ce n'est pas une partie de lui-même qu'il produit, ce n'est pas un objet étranger à lui-même, ni une modification de lui-même, ni plus que lui-même, mais c'est sa propre nature, sa propre substance et sa propre essence qu'il produit par un acte substantiel, éternel et infini. Et la seule différence qu'il y a entre le Père et le Fils, c'est que le Père engendre et le Fils est engendré.

Son Père l'engendre dans son propre sein, et non pas hors de son sein. C'est l'immensité du Fils qui est engendrée par l'immensité du Père, et l'immensité du Fils reste et remplit toute l'immensité du Père: et ego in Patre.

Par là Notre-Seigneur nous indique aussi ce double rapport éternel, substantiel, essentiel et infini du Père avec le Fils, et du Fils avec le Père, dont procède essentiellement et nécessairement l'Esprit-Saint, aussi immense, aussi infini et aussi Etre essentiel que le Père et le Fils. Ainsi aussi bien que le Père existe nécessairement, de même il engendre nécessairement son Fils de toute éternité; et aussi bien qu'il engendre nécessairement, de même est-il nécessaire qu'il l'engendre en son sein, c'est-à-dire aussi bien l'engendre-t-il nécessairement. De même sont nécessaires et essentiels les rapports entre les deux personnes divines; ou plutôt le rapport du Fils au Père est aussi essentiel que l'engendrement du Père.

Et, aussi bien [que] les rapports du Père et du Fils sont essentiels, substantiels et nécessaires, de même est-il nécessaire que l'Esprit-Saint procède du Père et du Fils et de ces rapports essentiels du Père et du Fils. Ainsi, comme toutes ces choses ont une égale essentialité, une égale nécessité et une égale et même substance, de là il résulte que le Père est autant dans le Fils qu'il est en lui-même, et le Fils est autant dans le Père qu'il est en lui-même, et le Père et le Fils sont autant dans le Saint-Esprit qu'ils sont en eux-mêmes, et le Saint-Esprit est autant dans le Père et le Fils qu'il est en lui-même. De là, même substance, même essence, même nature, mêmes perfections et même opération en toutes les trois Personnes divines, et en chacune comme en toutes les autres. Toute l'essence, la substance et les perfections divines et infinies sont dans le Père comme dans le Principe; car il n'est engendré ni ne procède d'aucune substance, ni égale, ni inférieure, ni supérieure à lui, ni qui lui soit étrangère ni qui lui soit propre, mais il est ce qu'il est par lui-même et en lui-même nécessairement, éternellement et infiniment. - Toute l'essence, toute la substance et toutes les perfections infinies qui sont dans le Père sont également dans le Fils, non comme Principe mais comme engendré de son Père; ce sont: l'essence, la substance et les perfections infinies du Père, qui sont aussi parfaitement, aussi substantiellement, aussi nécessairement et aussi éternellement dans le Fils que dans le Père, parce que le Père engendre essentiellement, substantiellement, nécessairement, et par conséquent éternellement et infiniment son Fils. Et, quoique l'Etre divin du Père soit dans le Fils, par l'engendrement et non par principe, il n'y a cependant rien dans le Fils de moins que dans le Père, excepté la Paternité. Et le Fils n'est inférieur en rien au Père, ni moins parfait en quoi que ce soit, mais le même Etre existe de toute éternité et dans la même perfection dans le Fils comme dans le Père, et il existe aussi essentiellement et aussi nécessairement dans le Fils que dans le Père. - Il faut dire la même chose de l'Esprit-Saint. Toute l'essence, la substance et toutes les perfections infinies, qui sont dans le Père et le Fils, sont également dans le Saint-Esprit, dans la même infinité et la même perfection qu'elles sont dans le Père et le Fils, non comme principe comme dans le Père, ni par engendrement comme dans le Fils, mais par procession. C'est l'essence, la substance et les perfections infinies du Père et du Fils qui sont dans le Saint-Esprit, aussi parfaitement, aussi substantiellement, aussi nécessairement et aussi éternellement que dans le Père et le Fils, parce que le Saint-Esprit procède du Père et du Fils essentiellement, substantiellement et nécessairement, et par conséquent éternellement et infiniment. Et le même Etre qui est dans le Père et le Fils est aussi infiniment et aussi nécessairement dans le Saint-Esprit; et, quoique cet Etre souverain et infini soit dans le Père par principe, dans le Fils comme génération, et dans le Saint-Esprit par procession; cependant il n'y a aucune supériorité, ni infériorité entre les trois Personnes divines, mais une parfaite égalité sans aucune dépendance, sinon celle de l'essentialité d'une même substance et d'une même nature; ni aucune différence, sinon que le Père est Principe existant par lui-même, le Fils est engendré de son Père de toute éternité et sans commencement, et le Saint-Esprit procède, de toute éternité et sans commencement, du Père et du Fils.

C'est cette existence parfaite et éternelle d'une même substance divine qui fait l'unité de Dieu; c'est cette différence qui fait la Trinité de Dieu ou la distinction des trois Personnes divines, véritablement unies par une seule et même nature, et une seule et même substance, véritablement distinctes par le Trinité des Personnes. Et chacune de ces deux qualités (c'est-à-dire l'unité et la trinité) est aussi essentielle et aussi nécessaire que l'autre.

Mais pour concevoir un petit peu en quoi consiste cette distinction des trois Personnes divines il faut savoir laquelle est appelée Père, laquelle Fils et laquelle le Saint-Esprit, et pourquoi le Père ne peut être le Fils ou Saint-Esprit et vice versa, et pourquoi le Fils ne peut être Saint-Esprit et vice versa.

La substance ou l'être divin existant de toute éternité, nécessairement, essentiellement par lui-même et en lui-même, c'est le Père, qui n'est ni fait ni engendré, qui ne procède de nulle part, mais qui est en lui-même, (ego sum qui sum) et par lui-même, d'un être infiniment parfait. C'est ce qui fait que le Père ne peut pas être Fils ni Saint-Esprit. Cela ne lui donne pas la qualité du Père; mais l'action d'engendrer. Dieu, concevant infiniment, éternellement, essentiellement, substantiellement et nécessairement sa substance divine dans son essence et sa perfection infinie, est appelé Père, et engendre son Fils possédant en lui toute la substance divine du Père dans toutes ses perfections infinies. -

Cette substance divine, infiniment parfaite, éternelle et essentielle, conçue ainsi dans l'intelligence infinie du Père, d'une manière substantielle, infinie, éternelle, essentielle et nécessaire, voilà le Fils, aussi parfait, aussi éternel, aussi infini, aussi essentiellement et aussi nécessairement existant que le Père, et n'étant rien autre chose que la nature et la substance du Père. Seulement il est comme conçu par l'intelligence infinie du Père, c'est-à-dire comme engendré, et par conséquent il n'est pas le Père mais le Fils. - Seulement, la génération passive du Fils étant aussi essentielle, aussi nécessaire, aussi infinie et aussi parfaite que la génération active et l'existence du Père, de là il résulte que le Fils est en tout aussi parfait que le Père et ne lui est inférieur en rien: Ego et Pater unum sumus; un d'une égalité parfaite. Jusque-là ce n'est l'explication que de ces paroles: Pater in me est. Le Père concevant ainsi, essentiellement et nécessairement sa propre substance divine, et par cette conception formant essentiellement et nécessairement son Fils, aussi parfait et aussi infini que lui-même, forma par là-même aussi essentiellement, aussi nécessairement, aussi infiniment, entre lui et son Fils un rapport aussi nécessaire, aussi éternel, aussi infini, aussi substantiel et aussi essentiel que cette conception. Cette substance infinie de Dieu ainsi conçue est le Fils, et le Père la conçoit, dans son propre sein et dans sa propre substance et essence; de là résulte cette complaisance infinie, substantielle, éternelle et nécessaire de l'être divin, dans sa propre substance infinie, conçue de cette même manière substantielle et essentielle, etc. Et c'est cette complaisance, essentielle et qui procède substantiellement et nécessairement, de ce rapport du Père avec son Fils et du Fils avec le Père, qui est l'Esprit-Saint. On l'appelle Esprit-Saint, parce que c'est le souffle essentiel et substantiel du Père qui va au Fils et du Fils qui va au Père: et c'est ce qu'on appelle procéder. Ainsi le Saint-Esprit procède du Père, il procède aussi du Fils, et cependant il ne sort pas du sein du Père et du Fils, mais y reste aussi essentiellement et aussi nécessairement, que le Fils reste dans le Père et que le Père reste en lui-même. - Il procède du Père et du Fils, non d'une procession double, mais elle est essentiellement et nécessairement une, aussi bien que la substance divine est une et que la génération du Fils est une. De tout cela on peut voir que l'Esprit-Saint n'est pas le Père, ni le Fils; il n'est pas engendré parce qu'il n'est pas conçu, mais il procède de cette génération active et passive du Père et du Fils, c'est-à-dire des rapports essentiels qui existent dans cette adorable génération. Il procède donc du Père et du Fils. - Mais, comme ces rapports et cette procession sont essentiels, éternels, substantiels, etc., de là il résulte que le Saint-Esprit est la substance même du Père et du Fils, aussi bien qu'ils le sont eux-mêmes, et que le Père et le Fils sont dans l'Esprit-Saint aussi bien qu'ils sont en eux-mêmes, et aussi bien qu'ils sont l'un dans l'autre, puisque le Saint-Esprit procède essentiellement substantiellement de cet être essentiel et substantiel, du Père dans le Fils et du Fils dans le Père. De même le Saint-Esprit est dans le Père et le Fils aussi bien qu'il est en lui-même. - De là l'Unité parfaite de nature, et la Trinité parfaite des Personnes. Mystère adorable, et à jamais incompréhensible à aucune créature, sur cette terre d'ignorance et de péché.

Les trois Personnes conçues ainsi n'existent pas seulement dans la conception humaine, dans le sens dans lequel parle quelquefois l'Ecriture, en disant par exemple: la main de Dieu, etc. Mais ces trois Personnes adorables sont réellement et distinctement existantes dans la divinité et de cette manière.

C'est en cela que consiste une grande différence entre elles et les attributs de la divinité. Nous disons des perfections et attributs de Dieu lui-même: l'immensité, l'infinité, l'éternité de Dieu, etc. et de ses perfections et attributs dans ses rapports avec la création: sa justice, sa miséricorde, etc. Mais ces attributs ne sont distincts que dans notre esprit, tandis qu'en la divinité, ils sont tous confondus dans son essence une et indivisible. Ces perfections ou attributs ne sont rien autre chose que la substance et essence divine vue par nos esprits faibles sous certaines modifications. Ainsi l'immensité de Dieu est Dieu immense, et ainsi des autres [perfections ou attributs]. Or, dans l'essence divine, tout est un et rien [n'est] divisé, rien [n'est] modifié. Seulement, parce que notre esprit est trop faible et trop borné pour voir la divinité dans son essence, nous la voyons de cette façon et toujours revêtue de certaines formes qui sont à notre portée.

De plus, même les attributs pris séparément selon les idées faibles, nous ne pouvons pas les concevoir en eux-mêmes, mais toujours par rapport à un objet créé qui y correspond: l'immensité par rapport à l'espace, l'infinité par rapport au fini ou borné, l'éternité par rapport au temps et ainsi des autres. Les attributs qui regardent les relations de Dieu avec ses créatures, nous les voyons dans leur action vis-à-vis ces créatures dans leurs effets, et c'est par là que nous distinguons la justice de la miséricorde.

Par tout cela on peut voir que ces paroles: et ego in Patre, indiquent, par voie de conclusion, et indirectement, la procession du Saint-Esprit, puisque cette adorable procession tient nécessairement et essentiellement à ce retour du Fils vers le Père, à cette existence du Père dans le Fils et du Fils dans le Père.

Comme les personnes sont distinctes dans la très Sainte Trinité, et que cependant il y a une seule et même nature, et un seul et même être infini dans les trois Personnes divines et dans chacune d'elles, de même chaque Personne a ses attributs ou attributions, et ses opérations qui tiennent à ces attributs ou attributions distinctes; et cependant, ces attributs ou attributions et ces opérations, quoique appartenant personnellement à une des trois Personnes, sont cependant essentiellement les mêmes dans les autres personnes; ce qui est prouvé par ces paroles de Notre-Seigneur: Ego et Pater unum sumus. Ils sont un de telle façon que tout de qui est dans le Père est dans le Fils, et tout ce qui est dans le Fils est dans le Père, et toute l'opération du Père est l'opération du Fils et vice versa. - Voilà pourquoi Notre-Seigneur dit qu'il fait les oeuvres de son Père, et par ces oeuvres on voit son Père en lui, parce que les attributs de le personne du Père étaient manifestés dans les oeuvres du Fils. C'est ce que Notre-Seigneur manifeste encore dans un autre endroit, quand il dit à son Père: Omnia tua mea sunt, et omnia mea tua sunt [tout ce qui est à toi est à moi, et tout ce qui est à moi est à toi; Jo. 17,10].

Mais, quoique ces attributs et opérations soient nécessairement et essentiellement uns et les mêmes dans les trois Personnes par l'unité essentielle de leur nature, ils sont cependant distincts et propres à la Personne à laquelle ils sont attribués, aussi bien et de la même distinction qui existe dans les divines Personnes. Cette distinction n'est pas seulement dans notre idée, mais elle est réelle de la même réalité de la distinction des Personnes adorables. Car, par suite du même principe qu'ils sont essentiellement et nécessairement un par suite de l'essence d'une même nature, de même on peut conclure qu'ils sont distincts par suite de la distinction des trois Personnes. Et s'ils est difficile de concevoir comment un attribut et une opération divine peuvent être particuliers et distincts à une Personne, et cependant être communs à toutes les trois Personnes aussi essentiellement qu'à celle à laquelle ils sont particuliers, la même difficulté existe pour la distinction des Personnes. On ne peut concevoir cela, parce qu'on ne peut pas concevoir l'essence divine, c'est un mystère pour nous sur cette terre; eh bien! la même chose sera de l'attribution personnelle et de l'opération personnelle des divines Personnes. Ainsi la toute puissance est attribuée à la Personne du Père, l'éternité aussi, puisqu'il est appelé l'Ancien des jours [cf. Dan. 7,9.13.22]. Cependant le Fils et le Saint-Esprit ont le même toute puissance, aussi essentiellement et aussi éternellement que le Père; cependant, ces attributs sont distinctement et particulièrement personnels dans le Père, parce qu'ils sont dans l'essence de la paternité qui est la distinction personnelle de cette adorable Personne. De là, toute opération divine de puissance étant une opération de la divinité, est par conséquent de toutes les trois Personnes adorables, et cependant est une opération personnelle du Père.

La même chose doit se dire du Fils dans l'attribut de la sagesse et les opérations de la sagesse; et du Saint-Esprit, dans l'attribut de l'amour et les opérations de l'amour.

Cette distinction dans l'opération personnelle de chaque Personne divine, jointe à l'union essentielle et naturelle de toutes les trois Personnes dans la même opération, est exprimée dans ces paroles: Ego facio opera Patris mei. Ego facio, voilà l'opération personnelle, parce que Notre-Seigneur, opérant sur la terre, opérait comme Personne du Fils. Opera Patris, voilà l'union essentielle et naturelle des autres Personnes divines à l'opération du Fils. Car, quoique Notre-Seigneur dise ces paroles pour prouver aux Juifs que son Père était en lui, ces paroles prouvent cependant en même temps, la distinction de l'opération du Fils, et l'union parfaite du Père à cette opération du Fils.

× X,39

Quaerebant ergo eum ¦ Ils cherchaient donc à le prendre,

apprehendere: et exivit de ¦ mais il s'échappa de leurs mains.

manibus eorum. ¦

Notre-Seigneur, par sa puissance, les empêcha de persévérer dans la volonté de le lapider, parce qu'il ne devait pas mourir de cette manière, et parce que son temps n'était pas venu encore; voilà pourquoi ils ne lui jetèrent pas les pierres qu'ils avaient à la main. Il est possible aussi qu'ils avaient honte de le lapider après en avoir reçu tant de bienfaits, et que ce fut le reproche que Notre-Seigneur leur fit: Propter quod eorum opus me lapidatis? C'est pourquoi ils laissèrent tomber les pierres dont ils s'étaient munis. Mais ils ne quittèrent pas leur mauvais dessein de le faire mourir; c'est pour cela qu'ils voulurent se saisir de sa personne pour le juger en règle, au moins en apparence, afin de se décharger de la honte d'avoir fait mourir leur bienfaiteur. Car ils se proposaient bien d'aviser aux moyens de le faire passer pour un blasphémateur, et par là ils se seraient déchargés de tout l'odieux de cette action et l'auraient jeté sur le divin Sauveur. Mais il n'était pas temps encore de le prendre, et Il fit en sorte qu'ils ne purent le retenir; ils avaient beau le saisir, il sortit de leurs mains par sa puissance divine.

× X,40

Et abiit iterum Jordanem, in ¦ Et il s'en alla de nouveau au-delà du

eum locum ubi erat Joannes ¦ Jourdain, dans le lieu où Jean

baptizans primum: et mansit ¦ baptisait d'abord; et il y demeura.

illic. ¦

A Jérusalem on ne voulait absolument pas reconnaître la divinité de Notre-Seigneur ni croire à sa parole, quoique Notre-Seigneur leur montrât évidemment qu'il était le Fils de Dieu. Alors notre divin Maître quitta Jérusalem, cette ville qui a été témoin de tant et de si grands miracles, et qui était si coupable de son incrédulité; il se rendit à l'endroit du Jourdain où saint Jean baptisait autrefois, et où l'Agneau de Dieu alla le joindre, pour recevoir son témoignage: Ubi erat Joannes baptizans primum. Il alla et resta là, afin de trouver quelques âmes fidèles pour les fortifier dans la foi. Car, en cet endroit, la mémoire et le témoignage de Jean étaient encore récents, et tous les peuples s'en entretenaient toujours. De plus, il voulait rappeler le souvenir de Jean et du grand témoignage qu'il lui a rendu, afin que personne n'ait d'excuse de son incrédulité. En outre il voulait se rapprocher de cet endroit, afin que Jean lui rende encore témoignage après sa mort même; car, tout le monde devait comparer Jean avec ce nouveau personnage, qui est venu après lui, et sentir vivement les grands avantages qu'avait sur lui le Fils de Dieu. En suite de cette comparaison, on devait se rappeler tout ce que Jean avait dit de lui, et par là il opérait un double bien: car cela devait éclairer et fortifier beaucoup la foi des peuples; et en second lieu, par cela même le Sauveur rendait un témoignage tacite à la grande mission de Jean et le glorifiait aux yeux de tous les peuples, parce qu'on voyait la vérité de tout ce qu'a dit Jean, et on sentait la raison pour laquelle il s'est tant humilié devant le divin Agneau. C'est pour cela que Notre-Seigneur resta à cet endroit, pour laisser mûrir toutes ces réflexions dans l'esprit, et produire un heureux effet par le secours des grâces qu'il répandait en ce lieu par sa présence.

× X,41

Et multi venerunt ad eum, et ¦ Et beaucoup de personnes vinrent à

dicebant: Quia Joannes quidem ¦ lui, et dirent: Jean n'a fait aucun

signum fecit nullum; ¦ miracle.

× X,42

Omnia autem quaecumque dixit ¦ Mais tout ce que Jean a dit de celui

Joannes de hoc, vera erant. ¦ -ci était vrai. Et beaucoup crurent en

Et multi crediderunt in eum. ¦ lui.

Dès que le Sauveur arriva là, le témoignage de Jean, dont on se souvenait fort bien, lui amena beaucoup de monde: Multi venerunt. Mais, quand une fois ils étaient quelque temps avec le divin Agneau, et qu'ils avaient vu tous les grands miracles qu'il faisait sans cesse, ils n'avaient alors plus besoin du témoignage de Jean, mais au contraire ils s'assuraient de la grandeur de Jean et de la divinité de sa mission, par Celui à qui il avait rendu témoignage. Il est vrai que Jean n'avait fait aucun miracle pour autoriser sa mission; mais le grand miracle de Jean, c'est que tout ce qu'il a annoncé de celui-ci est arrivé; et par cette raison un grand nombre crut en Lui. C'est la marche ordinaire que suit Notre-Seigneur dans la conversion des âmes. On commence par devenir plus favorable et on se rapproche de Lui. Il attire tantôt d'une manière tantôt d'une autre. C'est toujours lui qui dispose les esprits à se rapprocher de lui, par quelqu'un des moyens nombreux qu'il a pour cela. Ici, c'était le témoignage rendu autrefois par Jean qui disposa les esprits, les rendit ainsi favorables et les fit venir vers Notre-Seigneur. Quand une fois on s'est rapproché et qu'on le suit, il fait voir à l'âme quelque partie des merveilles divines qui sont en Lui, et alors l'esprit réfléchit sur les choses, il apprend à connaître Notre-Seigneur, il s'éclaire et se convainc, et la volonté y prend part; et une fois que la volonté est jointe à la raison, l'âme s'établit dans la foi, par une adhésion parfaite à Notre-Seigneur et à sa divine parole.

Jean n'a pas fait de miracles, parce que Jean ne vivait que pour le Messie qui devait venir. Il devait lui préparer les voies, c'est pourquoi il a fallu lui laisser tous les honneurs de la puissance divine, afin qu'à la première apparition du Messie, Jean disparût aussitôt, et que tous allassent à Lui, attirés par le spectacle extraordinaire de ses miracles. - De plus, tous les miracles opérés par Notre-Seigneur étaient autant de preuves de la mission de Jean et la vérité de ce qu'il avait dit.

D'ailleurs, Jean ne devait fixer l'attention du peuple sur lui qu'autant qu'il était nécessaire pour les amener au Messie, et jamais pour arrêter cette attention sur lui.

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Caput XIm

[Chapitre onzième× ]×

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× XI,1

Erat autem quidam languens ¦ Or il y avait un certain malade,

Lazarus a Bethania, de ¦ Lazare de Béthanie, du bourg où

castello Mariae et Marthae ¦ demeuraient Marie et Marthe sa soeur.

sororis ejus. ¦

Notre-Seigneur ayant demeuré à Béthanie pendant un certain temps (car c'est l'endroit où saint Jean baptisa et où il rendit témoignage à Notre-Seigneur), y attira plusieurs bonnes âmes à la foi, entre lesquelles se trouvaient principalement sainte Marie, sainte Marthe et Lazare. Toute cette famille était très attachée à Notre-Seigneur, et le divin Maître avait une tendresse particulière pour les trois personnes saintes qui la composaient; aussi la choisit-il pour y opérer une des plus grandes merveilles de sa grâce, et la combla-t-il de ses faveurs. C'est à cause de cette prédilection particulière du Fils de Dieu pour cette famille, que le Disciple bien-aimé se plaît à nous donner sur elle tous les détails que nous voyons ici et à nous conserver les noms de ces personnes respectables et favorisées de Notre-Seigneur.

× XI,2

Maria autem erat quae unxit ¦ Marie était celle qui oignit le

Dominum unguento, et extersit ¦ Seigneur de parfum, et lui essuya les

pedes ejus capillis suis: ¦ pieds avec ses cheveux, et Lazare,

cujus frater Lazarus ¦ alors malade, était son frère.

infirmabatur. ¦

On voit la complaisance du saint Evangéliste dans ces âmes qui aimaient tant son Maître, mais surtout Marie, qui était la grande amante du divin Seigneur. Il s'empresse de citer ici le fait qu'il raconte plus loin chapitre XII, et qui montre l'amour de cette grande Sainte pour Notre Seigneur. Comme le Saint-Esprit veut nous instruire dans ce Chapitre, par cette admirable scène du double amour divin: l'amour de Jésus pour les âmes et l'amour des âmes pour Jésus, c'est pourquoi il nous a d'abord si soigneusement fait connaître les personnes. Et comme en Marie se manifeste un plus grand et plus parfait amour, et que Notre-Seigneur montre pour cette âme une plus grande prédilection, l'Esprit-Saint aussi nous montre dès le commencement, d'une manière plus particulière, quelle était cette personne respectable.

Ce fait de Marie, qui répandit le parfum sur Notre-Seigneur, est le même qui est rapporté dans l'Evangile de saint Matthieu, 26,7, et dans celui de saint Marc, 14,3, quoique saint Jean au chapitre 12 ne parle que des pieds [du Sauveur], et que saint Matthieu et saint Marc ne parlent que de la tête, et que ces deux Evangélistes ne disent rien de ce que [fit] la Sainte, qui essuya avec ses cheveux; cela n'empêche pas que ces trois Evangélistes parlent du même fait. Ici, saint Jean supplée à ce qui manque au chapitre 12 et explique tout. Il dit: Unxit Dominum et extersit pedes. Le parfum fut versé sur la tête de Notre-Seigneur, seulement la Sainte n'essuya pas la tête de Notre-Seigneur; parce que cela n'aurait pas été convenable. Mais, après avoir rompu le vase pour faire couler ce parfum précieux sur la tête, elle en conserve une partie pour les pieds, qu'elle essuya ensuite avec ses cheveux, et ce n'est que saint Jean qui parle de cette dernière circonstance.

Saint Luc rapporte aussi un fait pareil, ch.7, v.37, mais ce n'est pas le même. Car il s'agit d'une pécheresse, et au temps de la Passion. Sainte Marie était sainte et une grande Sainte, et même respectée par les Juifs comme on voit dans ce chapitre. Mais les âmes pieuses doivent croire que cette Marie est la même que celle qui est appelée aussi ailleurs Magdeleine, puisque l'Eglise romaine persévère dans cette croyance, d'après une prière qui est dans le missel romain à la messe de cette Sainte, et tout l'office de sainte Marie soeur de Marthe qui est le même que celui de sainte Magdeleine, mais surtout la prière du Missel, qui dit évidemment que c'est la même. Or, si c'est la même, il faut croire que ce fait de saint Luc est arrivé aussi à Béthanie, ce qui est absolument possible, et chez ce même pharisien, appelé Simon le lépreux dans saint Matthieu et saint Marc, et Simon aussi par Notre-Seigneur qui lui adressa la parole dans saint Luc. Cette ressemblance de nom semble dire que c'est la même [personne]; et alors ce fait serait arrivé dans le premier temps, quand Notre-Seigneur arriva en Béthanie au retour de la Galilée, et à ce temps daterait la conversion de sainte Marie, et ce serait alors que Notre-Seigneur en aurait chassé sept démons qui la tenaient dans le péché; et la seconde fois, ce fait serait arrivé dans la même maison du pharisien Simon, qui est appelé le lépreux, parce que probablement Notre-Seigneur l'aurait guéri de la lèpre, et c'est ce qui l'aurait attaché à Notre-Seigneur. La ressemblance de la même action répétée ainsi deux fois indiquerait assez la même personne, surtout l'effusion de coeur avec laquelle cette action semble être faite l'une et l'autre fois.

Le nom de Magdeleine pourrait faire une difficulté, car ce mot signifie le pays de cette Marie, c'est-à-dire de Gdalène. Mais la maison des deux soeurs, quoiqu'étant située dans Béthanie ou aux environs, pourrait avoir porté le nom de Gdalène. L'Evangéliste, dans le verset premier de ce chapitre, le fait entendre, en disant que Lazare était de Béthanie, et ajoute: de castello Mariae et Marthae; ce qui est dit pour préciser encore plus que par le nom: [Béthanie] c'est la ville à laquelle appartenait ce château ou cette maison de campagne. Or, qu'est-ce qui empêchera de croire que ce castellum de Marie et de Marthe portait le nom de Gdalène?

× XI,3

Miserunt ergo sorores ejus ad ¦ Ses soeurs donc envoyèrent dire à

eum, dicentes: Domine, ecce ¦ Jésus: Seigneur, voilà que celui que

quem amas infirmatur. ¦ vous aimez est malade.

Dans tous les hommes, l'âme se peint dans les paroles et les actions; les moindres paroles, provenant du fond des dispositions intérieures, les indiquent et les font connaître. C'est ce qui arrive dans cette circonstance. On voit le grand et pur amour de Marie et de Marthe dans ce peu de mots qu'elles font dire à Notre-Seigneur dans la circonstance critique où elles se trouvent, et les autres saintes dispositions qui accompagnaient ce saint amour. Les première qualités du véritable amour consistent dans la foi et l'espérance dont il est accompagné; ce qui paraît très fortement dans ces deux saintes personnes. Ces deux vertus reçoivent ordinairement une grande force et une grande perfection, de la vivacité de l'amour qui règne dans une âme. La manière dont elles font dire au divin Maître que leur frère était malade, indique leur foi pleine de respect qu'elles avaient en lui. Cette foi paraîtra davantage dans la première entrevue qu'elles auront avec lui.

Leur espérance était si grande, qu'elles ne demandent pas même expressément la guérison de leur frère, mais elles disent seulement: Quem amas infirmatur. L'espérance est fondée sur l'amour de celui en qui l'on espère, et tire sa perfection de la foi, et surtout de cet amour de nos âmes, qui a pour source ce même amour de Jésus pour nous qui fait le fondement de l'espérance. C'est pourquoi on ne peut considérer les dispositions de ces âmes bienheureuses, qui exposent en cet endroit leurs peines à leur Maître bien-aimé, sans y voir cette sainte espérance, animée d'un amour très grand et très vif. On voit dans ses paroles la complaisance sainte de ces deux bonnes âmes dans le divin Maître; [complaisance] qui jouit et se complaît dans la complaisance divine de leur adorable Maître en elles et en leur frère. On voit dans l'amour de ces saintes soeurs les caractères du véritable désintéressement. C'est le propre d'un amour désintéressé de rendre une âme timide à demander ce qui est seulement pour ses intérêts propres. Cela vient en grande partie de ce que toutes les prières et toutes les demandes sont des épanchements de ce divin amour. De là toutes les prières et toutes les demandes doivent se ressentir de la qualité plus ou moins parfaite de ce divin amour; et l'âme qui s'adresse à son adorable Maître pour prier ou pour demander entre dans son amour, et s'y laissant entraîner, elle s'épanche sur l'objet de sa demande; et quand cet amour est pur et entièrement désintéressé, l'âme n'insiste pas sur les choses qui sont pour sa satisfaction et [son] intérêt propres; elle ose à peine les proposer, parce qu'elle est trop vivement pénétrée de l'objet de son pur amour et trop délicate dans l'épanchement de son coeur. Dans cette réserve, il n'y a pas de calcul d'esprit, mais elle tient au mouvement, au penchant d'amour et à l'habitude du coeur, qui ne peut se faire à l'idée de chercher fortement ce qui n'est que pour soi. Voilà ce qui paraît dans les paroles de ces saintes âmes.

Elles proposent la chose à leur Maître; celui que vous aimez est malade. Elles n'osent pas lui dire: venez vite pour le guérir, comme fit ce prince (chap. IV) qui le pressa d'aller avec lui pour guérir son fils avant qu'il ne mourût; elles lui exposent la chose et abandonnent le tout à son amour pour celui qui est malade. Elles montrent assez leur désir de voir leur frère guéri, mais elles n'osent pas faire effort; elles savent son amour et attendent ce que ce divin amour lui fera faire. C'est en cela que consiste la bonne prière, qui part d'un véritable amour et de la véritable confiance; l'âme sent que Notre-Seigneur l'aime plus qu'elle ne s'aime elle-même, elle n'a pas besoin de lui faire violence par les cris et la multiplicité de ses paroles, elle n'a pas besoin d'employer de l'éloquence. Il [lui] suffit de lui proposer ses besoins et de lui manifester ses désirs, avec respect, amour, foi [et] confiance; et en persévérant ainsi dans son saint désir devant lui, elle obtient tout, comme on verra plus bas dans ce chapitre. Un deuxième effet de cet amour désintéressé est la soumission à la volonté divine. Tout en ayant une ferme confiance d'être exaucée, l'âme, par cette confiance même qui est pleine d'amour, laisse son sort entre les mains de celui qu'elle aime et dont elle sait être aimée. Cette qualité va paraître davantage dans les deux soeurs, dans la première entrevue qu'elles eurent avec Notre-Seigneur, après la mort de leur frère. Le troisième effet, qui résulte des deux premiers, est la paix de l'âme; on est dans la peine, on désire être délivré de l'affliction et obtenir son objet, mais on ne s'empresse, on ne se tourmente, on ne s'inquiète pas tant. Et c'est ce qui paraît aussi dans la conduite de ces deux grandes saintes.

× XI,4

Audiens autem Jesus, dixit ¦ Ce qu'entendant, Jésus leur dit:

eis: infirmitas haec non est ¦ Cette maladie ne va pas à la mort,

ad mortem, sed pro gloria Dei, ¦ mais elle est pour la gloire de Dieu,

ut glorificetur Filius Dei per ¦ afin que le Fils de Dieu en soit

eam. ¦ glorifié.

Jésus écouta favorablement ce qu'on venait de lui annoncer, audiens, cependant il semble ne pas y faire attention dans la pratique; il resta dans le lieu où il se trouva et ne se pressa pas de venir au secours de ces bonnes âmes. La suite fera voir que cette apparence d'indifférence dans la conduite, n'empêcha pas qu'il ne les exauçat réellement, quoique pas sitôt, ni de la manière qu'elles auraient désiré d'abord. C'est une grande leçon pour les âmes bonnes et saintes qui demandent secours dans leurs afflictions et leurs besoins. Il semble quelquefois que le divin Maître les néglige; qu'elles ne craignent pas, il les écoute, et, après les avoir écoutées, il agit selon le bon plaisir de son Père, qui tire toujours sa gloire de la prière de ses serviteurs fidèles, et ces prières des âmes ferventes et pleines d'amour seront toujours exaucées dans toute l'étendue de leurs désirs qui sont selon le véritable et pur amour de leur adorable Maître, et pour leur plus grand avantage, quoique la chose bien souvent, n'est pas accordée selon la même manière qu'elles la demandent.

Les deux soeurs font une sainte et amoureuse prière à Notre-Seigneur. Elles croient fermement qu'elles seront exaucées, et leur intention était que le divin Maître vînt pour guérir leur frère. Leur prière est bonne et sera réellement exaucée. Elle produira l'effet que celui qui la leur a inspirée prétend en obtenir, et non celui que les saintes soeurs veulent. Cette prière doit obtenir que Jésus vienne opérer la gloire de son Père et il vient. Si cette prière n'eût pas été faite, probablement il ne serait pas venu, et la gloire de son Père n'aurait pas été opérée, par le défaut des hommes qui n'auraient pas fait cette prière. Mais cette prière n'obtint pas l'effet tel que les deux saintes âmes se proposaient, parce que ce ne fut pas le Saint-Esprit qui inspira cette intention; elle était humaine, provenait de la nature et non de Dieu. Or, toute prière qui vient de la nature n'est pas exaucée; il faut que l'Esprit-Saint prie en nous par des gémissements inénarrables.

Toutes les âmes fidèles doivent imiter ces âmes saintes dans leurs prières: prier avec ferveur, amour, confiance et respect, s'abandonner à tout le mouvement du divin Esprit, ne pas chercher à distinguer et à discerner ce qui, dans nos désirs, vient de l'Esprit-Saint ou de la nature, mais s'abandonner simplement; seulement il faut deux choses pour que notre prière soit bonne tout de même. La première [est] qu'il faut avoir une habitude d'amour pur et désintéressé, pour que nous ne cherchions pas nos propres intérêts, et cela peut se voir si notre prière a toutes les qualités qui proviennent de l'amour pur et désintéressé, comme il est marqué au verset précédent. En second lieu, quand on voit clairement un défaut, il faut l'éviter. Quand nous prierons ainsi avec simplicité, et en nous abandonnant, dans une grande ferveur d'amour, au divin Esprit, notre prière sera exaucée; seulement Notre Seigneur y débrouillera ce qui vient de nous et ce qui vient de lui, et exaucera notre prière, à la gloire de notre Père céleste et selon ses desseins adorables. Aussi, de notre côté, il faut imiter les deux soeurs de Lazare et nous tenir parfaitement soumis, persévérant toujours, dans un désir humble et amoureux, devant la divine Majesté.

Notre-Seigneur dit à ceux qui lui ont été envoyés, que l'infirmité de Lazare n'était pas ad mortem. C'est-à-dire, la divine providence de son Père, qui a donné cette maladie à Lazare, ne la lui a pas donnée dans l'intention et le dessein de le faire mourir; mais les desseins de son Père allaient plus loin et aboutissaient à procurer sa gloire par ce moyen. Par là Notre-Seigneur veut dire que l'effet qui suivra cette maladie (c'est-à-dire la mort) ne sera pas permanent: la maladie produira la mort, mais elle n'a pas été donnée pour cela; Dieu n'a pas le dessein direct de la mort de Lazare, mais indirect seulement et non permanent, pour le ressusciter ensuite pour sa gloire. Voilà pourquoi Notre-Seigneur ne dit pas: Lazare ne mourra pas, mais seulement: Cette maladie n'est pas pour le faire mourir.

× XI,5

Diligebat autem Jesus Martham ¦ Or Jésus aimait Marthe et sa soeur

et sororem ejus Mariam, et ¦ Marie, et Lazare.

Lazarum. ¦

× XI,6

Ut ergo audivit quia ¦ Ayant donc entendu dire qu'il était

infirmabatur, tunc quidem ¦ malade, il demeura toutefois deux

mansit in eodem loco duobus ¦ jours encore au lieu où il était.

diebus. ¦

× XI,7

Deinde post haec dixit ¦ Et, après cela, il dit à ses

discipulis suis: Eamus in ¦ disciples: Retournons en Judée.

Judaeam iterum. ¦

Notre-Seigneur lisait dans les ordres et les volontés de son Père céleste. Il y était dit que cette maladie de Lazare devait être pour sa gloire; et Jésus devait dans cette circonstance opérer cette gloire. D'après cette divine volonté de son Père, il ne devait pas partir tout de suite, mais attendre deux jours, afin d'arriver en temps convenable pour opérer cette gloire selon les desseins de son Père céleste. Ce n'est donc pas par défaut d'amour pour ces bonnes âmes que Jésus reste encore en Galilée. C'est ce que l'Evangéliste remarque: Diligebat autem etc. C'est une circonstance qu'il est obligé de dire, pour nous faire voir que le divin Maître agissait en tout par la volonté de son Père.

Il reprend ensuite sa narration: Ut ergo audivit etc. Quand il apprit la maladie de Lazare, il resta d'abord encore deux jours; mais, après ces deux jours, il dit à ses disciples qu'il voulait se diriger vers la Judée.

× XI,8

Dicunt ei discipuli: Rabbi, ¦ Les disciples lui dirent: Maître,

nunc quaerebant te Judaei ¦ tout à l'heure les Juifs cherchaient

lapidare et iterum vadis ¦ à vous lapider, et vous retournez là?

illuc? ¦

Notre-Seigneur, deux jours après la nouvelle de la maladie de Lazare, dit aux apôtres qu'il allait retourner en Judée sans leur en dire la raison. Aussi les apôtre ne pouvaient s'empêcher de lui faire cette observation que leur crainte leur inspirait. Selon la prudence humaine, en effet, Notre-Seigneur n'aurait pas dû retourner en Judée, surtout s'il n'avait eu aucune raison, comme les apôtres le croyaient d'abord; mais le divin Maître n'agissait jamais en rien par des raisons de la prudence humaine, qui n'est que ténèbres, mais par les lumières de son Père et par ses divines volontés.

Quoique les apôtres eussent de bonnes intentions en disant cela, et que leur attachement pour leur Maître leur inspirât cette crainte, cela n'empêche [pas] qu'ils ont mal fait en cela, jugeant de la conduite de la sagesse éternelle par des vues et des lumières humaines, au lieu de s'abandonner à sa conduite par la foi, et en renonçant à leurs propres lumières.

× XI,9

Respondit Jesus: Nonne ¦ Jésus répondit: N'y a-t-il pas douze

duodecim sunt horae diei? si ¦ heures dans le jour? Si quelqu'un

quis ambulaverit in die, non ¦ marche pendant le jour, il ne se

offendit: quia lucem hujus ¦ heurte point, parce qu'il voit la

diei videt: ¦ lumière de ce jour.

× XI,10

Si autem ambulaverit in nocte ¦ Mais s'il marche pendant la nuit, il

offendit, quia lux non est in ¦ se heurte, parce qu'il n'a point de

eo. ¦ lumière.

Notre-Seigneur leur répond d'une manière parabolique, pour les exhorter à avoir plus de foi et à se conduire par cette foi en renonçant à leur raison. C'est pourquoi, au lieu de répondre directement à leur demande pour leur donner les raisons pour lesquelles il voulait aller en Judée, [il] leur donna seulement les raisons qu'ils avaient de le suivre sans chercher la raison de sa conduite.

Pour leur dire ces choses, Notre-Seigneur se sert pour parabole du jour matériel: celui qui marche le jour marche à la faveur de la lumière de ce monde; quoique l'homme par lui-même ne voie rien, cependant, en marchant le jour, il voit la lumière du soleil et ne tombe pas ni ne heurte contre rien, par la lumière dont il jouit; tandis que, s'il marche pendant la nuit, il se fait mal, il se heurte et tombe, parce qu'il est plein de ténèbres; son oeil n'a pas de lumière en lui et la lumière de ce monde ne l'éclaire pas, voilà la cause de ses chutes. - C'est donc une grande folie de marcher la nuit, quand on peut avoir tant de facilité de marcher pendant le jour. C'est ce que Notre-Seigneur [dit]: N'y a-t-il pas douze heures pendant le jour, où l'on peut marcher avec assurance, et si l'on a douze heures pendant [le jour] pourquoi donc préférer la nuit?

Maintenant, pour l'application de la parabole au spirituel: pour comprendre toute la valeur des termes que Notre-Seigneur emploie dans cette parabole, il faut savoir que nous recevons deux genres de lumières par la foi en Notre-Seigneur. Les premières sont les lumières et les dons parfaits d'une âme parfaitement renoncée à elle-même et bien solidement avancée dans la vie divine de la foi. Une âme qui a pris de longue main l'habitude de n'agir et de ne considérer ni estimer rien que par les lumières de Notre-Seigneur, auquel elle adhère uniquement et parfaitement par la foi pure et sainte; une âme, dans cet état, reçoit les lumières divines comme incrustées et inhérentes en elle, de manière qu'elle en jouit, elle en est illuminée jusque dans son plus intime. Ce sont là les dons de la sagesse, de la science et de l'intelligence que l'Esprit-Saint donne. La foi de ces âmes n'est plus aveugle, mais parfaitement éclairée et lumineuse, qui jette un grand éclat dans leur intérieur, et de leur intérieur découle sur toutes leurs actions. Ce n'était pas là l'état des Apôtres, dans le moment où il s'agit ici; mais c'était leur état plus tard, après la réception des dons du Saint-Esprit.

Les deuxièmes [sortes de lumière] sont celles d'une âme qui est encore imparfaite et peu avancée dans la vie de la foi. Elle n'a pas ces grands dons du Saint-Esprit, qui jettent une si grande clarté dans leur intérieur et dans leur plus intime. Elles ont la grâce inhérente en elles, et par cette grâce elles adhèrent à Notre-Seigneur, qui est la plus grande lumière par la foi. Tant qu'elles suivent cette foi dans leur conduite, elles ont une grande assurance dans leurs actions, quoique, dans le fond, leur intérieur soit peu éclairé sur la leur conduite et leurs actions. Elles ont la foi, elles agissent par la foi, mais c'est une foi aveugle. Toute la lumière que la foi leur procure est répandue seulement sur leurs actions extérieures, et par ce moyen leur fait éviter le mal, quoiqu'elle ne leur donne pas cette clarté intérieure qui leur ferait discerner tout le bien qui y est renfermé, ni tout ce qui y est renfermé dans l'état des choses dans lesquelles elles sont. C'est de ce genre de personnes que Notre-Seigneur parle ici. N'y a-t-il pas douze heures pendant le jour? C'est-à-dire n'avons-nous pas toutes les facultés d'agir par la foi? Notre-Seigneur n'est-il pas avec nous toutes les fois que nous voulons agir? Cette grande lumière divine était personnellement et corporellement avec les apôtres, ils n'avaient qu'à suivre ses paroles, quoiqu'ils ne les comprissent pas toujours; il est avec nous par les préceptes et les conseils de son saint Evangile, et par sa grâce intérieure qui nous sollicite sans cesse; nous n'avons qu'à suivre, quoique nous ne le comprenions pas toujours parfaitement, étant au-dessus de nos pauvres petits esprits.

Marcher ne veut rien dire autre chose que la conduite et l'action générale et particulière de notre âme, qui se dirige vers un objet ou vers une fin. Or cet objet et cette [fin] doivent être Dieu seul, en toutes et par toutes nos actions et notre conduite. Pour obtenir cet objet et pour arriver à cette fin, nous avons besoin de la lumière divine de Notre-Seigneur. Car de nous-mêmes et en nous-mêmes nous n'avons que ténèbres profondes et absolues, tellement que nous serions à jamais incapables de nous diriger dans cette marche. Si donc quelqu'un marche pendant le jour, c'est-à-dire s'il ne se guide pas dans sa marche spirituelle et dans sa conduite par les vues de son propre esprit qui n'a pas de lumière, mais par les lumières de Notre-Seigneur qui est le soleil du monde spirituel, celui-là marche véritablement pendant le jour; et il ne se fait pas mal, il n'offense pas, c'est-à-dire il ne choque aucune volonté divine et n'y résiste en rien: non pas précisément parce qu'il connaît parfaitement et pénètre les vues de Dieu sur lui et sur son action; il ne les conçoit pas toujours parfaitement; la lumière divine n'est pas en lui d'une manière parfaite pour le remplir de cette clarté lumineuse; mais cela est parce qu'il voit la lumière de ce monde spirituel et surnaturel, qui lui indique l'action à faire ou à éviter; cette divine lumière lui éclairera les objets extérieurs et cela lui suffira pour l'empêcher de se heurter contre quoi que ce soit. - C'était le cas où les apôtres se trouvaient; ils devaient suivre les lumières de Notre-Seigneur qui disait expressément qu'il fallait aller en Judée, quoique sans savoir pourquoi, et en rejetant leur propre esprit qui leur disait le contraire, parce que cette parole du Maître adorable qui les conduisait les éclairait assez sur l'objet extérieur, quoique sans leur en communiquer les lumières intérieures.

Ainsi, en marchant ainsi par le jour, en quittant ses propres idées et suivant les vues du divin Soleil, on n'aura pas (dans cet état imparfait de la foi) un grand éclat de cette lumière en soi, mais on en profitera pour marcher avec assurance, étant éclairé par cette lumière au moins au-dehors de notre conduite.

Mais si on marche pendant la nuit, en suivant son propre esprit et son propre jugement tout à fait indépendamment des lumières de Notre-Seigneur, et en opposition avec Lui et avec sa manière d'agir, alors on offense, c'est-à-dire on heurte et on choque les volontés divines et on se froisse contre; cela vient de ce qu'on n'a pas la lumière en soi. Les lumières de la foi et de la parole de Notre-Seigneur ne nous guident pas, puisque nous nous y refusons pour nous conduire par nous-mêmes; il ne nous reste donc pour nous guider que la lumière que nous croyons avoir au-dedans de nous. Or, nous n'en avons pas au-dedans de nous, donc il résulte de là que nous nous froissons sans cesse contre tout ce qui se rencontre être en opposition avec notre action et notre conduite.

C'était là l'état des apôtres. Ils ne comprenaient pas la conduite de leur Maître, et ils voulaient suivre leurs propres ténèbres, plutôt que la lumière divine; ils auraient marché dans la nuit et auraient heurté contre la divine volonté, qui prétendait opérer de si grandes choses dans ce voyage auquel ils répugnaient tant. Ils auraient offensé de la sorte, par la seule raison qu'ils n'avaient pas de lumière en eux, pour concevoir et saisir les desseins de Dieu sur ce voyage en Judée. Or, n'ayant pas de lumière en eux-mêmes, ils devaient suivre la lumière du soleil divin qui les éclairait sur l'extérieur de leur conduite, plutôt que de marcher dans la nuit de leurs propres ténèbres.

× XI,11

Haec ait, et post haec dixit ¦ Il parla ainsi, et ensuite il leur

eis: Lazarus amicus noster ¦ dit: Lazare, notre ami dort, mais je

dormit; sed vado ut a somno ¦ vais le tirer de son sommeil.

excitem eum. ¦

Haec ait. Le divin Maître dit ces paroles pour leur montrer leur faute, et pour leur apprendre ce qu'ils avaient à faire pour agir en vrais disciples de la Sagesse éternelle. Et après leur avoir donné cette leçon, il leur explique le motif de son départ pour la Judée, et l'objet de la divine volonté sur cette démarche.

Notre Seigneur appelle la mort de Lazare un sommeil, parce que cette mort ne devait pas être une mort permanente, mais une absence momentanée de l'âme, qui cessait pendant cet intervalle toutes ses fonctions dans le corps, et laissait ainsi ce corps sans mouvement et sans vie. - On pourra dire aussi qu'il y a de la différence entre la mort ordinaire et la mort d'une personne qui doit être ressuscitée par miracle, d'après l'expression de sommeil que Notre Seigneur emploie ici et dans saint Luc chap. VIII, lorsqu'il s'agit de la fille de Jaïre. Dans la mort ordinaire, il n'y a que le corps qui est engourdi et sans mouvement, l'âme a tout l'exercice de ses fonctions en elle-même et indépendamment du corps. Elle est active et passive, produisant tous les actes ordinaires dont elle a reçu la puissance du Créateur, et recevant les impressions dont le Créateur l'a rendue susceptible; mais dans la mort de ceux qui doivent ressusciter d'une manière miraculeuse, Dieu, leur donnant ainsi la mort, fait, par un acte de puissance, que l'âme elle-même reste engourdie et endormie, n'ayant pas d'action et ne recevant pas d'impression jusqu'à son retour dans le corps; elle n'est pas morte ni anéantie, mais elle n'a pas le pouvoir d'exercer les fonctions vitales; elle est endormie. Ensuite, par un nouvel acte de la puissance divine, Notre Seigneur l'excite et la retire de ce sommeil pour la rendre à ses fonctions accoutumées. - Peut-être même pourrait-on dire que l'âme ne sort pas même du corps, mais seulement [que] ses fonctions sont suspendues, et que c'était pour cela que Notre Seigneur appelle cela sommeil. Mais cette suspension des fonctions de l'âme est telle, que, sans une puissance extraordinaire de Dieu, elle ne pourrait jamais y rentrer, et on comprendrait pourquoi Notre Seigneur dit de la fille de Jaïre: Qu'elle n'était pas morte, mais qu'elle dormait. En réalité et devant Dieu, cette fille n'était pas morte, parce qu'il restait encore un certain lien qui unissait l'âme du corps. D'un autre côté, on pouvait la considérer en réalité et devant Dieu comme véritablement morte, parce que l'âme avait perdu tout domaine et toute fonction vitale dans son corps, de telle sorte que, dans son état naturel, elle ne pouvait plus vivifier et animer le corps, et il a fallu un acte de puissance pour lui rendre ce pouvoir qu'elle n'avait pas en elle-même et dans sa nature. Voilà pourquoi Notre Seigneur va dire bientôt: Lazarus... mortuus est.

Dans le verset présent, il ajoute: Sed vado ut a somno excitem eum; il l'excite de ce sommeil dont on vient de parler; comme cette mort est comme un sommeil, c'est pour cela que l'acte de puissance par lequel le souverain Seigneur le ramène à la vie s'appelle l'exciter. Par un effet de sa grâce puissante, qu'il répand sur lui pour le retirer de son état de mort, il délie les liens qui tiennent son âme embarrassée et l'excite, en lui donnant l'action et la vie. Le premier acte est pour lui donner sa passivité, et le second pour lui donner l'activité, la puissance d'agir.

Mais pourquoi Notre Seigneur dit-il vado? Pourquoi n'est-il pas resté en Galilée? Il aurait pu faire tout ce qu'il vient de dire sans quitter le lieu où il était. Par là il nous montre la grandeur de sa miséricorde et la bonté et la tendresse incompréhensibles de son coeur divin pour ceux qui l'aiment. L'amour de ce coeur est si grand qu'il est imprénétrable à ceux-mêmes qui lui appartiennent de plus près. C'est ce grand amour, qui lui fait aller là où était Lazare, et qui lui fournit la double raison d'y aller: la première qu'il indique ici, et la seconde dans le verset 15. - Jésus est plein de grâces, il en surabonde, et ne désire rien tant que de trouver des âmes qui l'aiment avec simplicité, afin de les remplir; plus il en peut donner, plus son coeur jouit. Plus il voit que les âmes reçoivent de lui, plus il les aime d'avance avec une complaisance inouïe.

O mon Jésus, je vous aime aussi un peu, quoique petitement et misérablement; je suis aussi votre ami aussi bien que Lazare. Je suis mort comme lui; mon âme est engourdie et incapable de quoi que ce soit: venez aussi à moi, s'il vous plaît, avec cette tendresse et cette complaisance. Donnez-moi aussi vos grâces, qui m'excitent de mon sommeil si dangereux et si mauvais. Je les attends, Seigneur, avec de très grands désirs, venez donc avec votre grande bonté, votre grande douceur et votre grand amour.

La première raison pour laquelle Notre Seigneur quitte le lieu où il est, c'est que Lazare son ami dormait. Voilà le grand avantage d'être l'ami de Jésus. On ne l'aime jamais sans s'attirer un surcroît d'amour de sa part, et qui tend toujours à nous combler de nouvelles grâces et à augmenter notre amour pour lui. Les grâces que Notre Seigneur accorde à ceux qui ne sont pas ainsi dans l'intimité de son amour, il ne les donne ordinairement que de loin; il ne s'approche pas d'eux par des communications intimes, il ne met pas tant de complaisance en eux, et par conséquent ses grâces sont moindres en nombre et en force, et leur portée ne va pas si loin. Mais quand il vient ainsi s'approcher de nous, comme il a fait pour Lazare, alors il ne met pas de mesure à ses miséricordes. Ainsi Notre Seigneur va lui-même vers Lazare, par un effet de cette grande [affection] qu'il avait pour lui, à cause de l'amour que Lazare eut pour lui, et pour lui communiquer une plus grande abondance de grâces par sa sainte présence.

On pourrait encore dire une autre explication de ces mots, pour la consolation des âmes qui l'aiment véritablement et qui se trouvent dans des états pénibles pour leur amour. Lazare était ami: Amicus noster. Quoique ami, il dormait et ne pouvait manifester aucun amour par des actes formés; mais l'amour de Jésus était dans cette âme, cela suffit pour attirer la tendresse divine de Jésus. Lazare, ami du divin Maître, se trouve dans un pitoyable état: quoique l'amour réside en lui, il ne peut cependant pas se tirer de ce terrible sommeil; il ne peut pas non plus venir vers son bien-aimé, pour qu'il l'excite de ce sommeil. Jésus, connaissant cela par sa divine lumière, sachant que Lazare son ami ne peut pas venir vers lui, que fait-il? Son coeur adorable est plein d'amour pour cet ami et cet amour fait qu'il va auprès de lui, il vient avec une grande tendresse et une grande complaisance et le délivre de son pénible assoupissement pour le combler de nouvelles et plus grandes grâces qu'auparavant, et le rendre une cause de salut et de sanctification pour plusieurs.

C'est ce qu'il fait tous les jours pour les âmes qui ont son amour divin en elles, qui se trouvent spirituellement dans le même état que Lazare, par cette incapacité intérieure, par les peines et afflictions, les tentations de tout genre qui les accablent et les lient, de manière à ce qu'il leur semble qu'elles sont mortes. Elles sont dans des agitations, des inquiétudes, des langueurs, des impuissances dans le service de Dieu. Les craintes et les angoisses de la mort les environnent. Quelquefois même leurs puissances sont tellement liées et garrottées, qu'elles ne sont pas même capables d'une impulsion de crainte et d'angoisse. Que ces âmes se consolent: Jésus, leur Seigneur, ne les oublie pas. Elles ne peuvent pas aller auprès de lui, elles sont obligées de rester ensevelies dans le tombeau ténébreux de leur intérieur, sans être capables de se lever et d'aller trouver celui qui seul peut les guérir. Mais Jésus les aime, il se complaît en elles. Il dit à ses anges et à ses saints: Notre amie dort, mais je vais à elle pour l'exciter de son sommeil. Il la fait attendre quelque temps, comme il a fait attendre Lazare dans le tombeau; mais, tôt ou tard, il viendra avec cette grande tendresse et cette infinie miséricorde dont son coeur adorable est plein, et la récompensera largement, par une vie nouvelle et plus parfaite même que la précédente, [de] toutes les peines, les angoisses, les tristesses qu'elle aura souffertes avec douceur, avec patience et avec confiance par son amour et dans son amour.

Les états pénibles, où se trouvent quelquefois les âmes, sont le plus souvent un effet de l'amour de Jésus pour elles, qui les y laisse exprès, afin de manifester en elles son amour et sa gloire, comme il a fait avec Lazare. Tout ce qu'elles ont à faire, c'est d'attendre le jour de la miséricorde avec patience, amour, confiance et humilité.

On peut voir par ces paroles, comment notre divin Maître faisait les réprimandes, avec douceur et avec bonté: dans les versets qui précèdent, les apôtres, ne sachant pas pourquoi leur Maître voulait se rendre dans la Judée, trouvaient à redire et pensaient que ce n'était pas agir prudemment. Leur foi était faible et ils étaient pleins de timidité. Notre Seigneur leur fait donc la réprimande qui est marquée dans les versets 9 et 10 et immédiatement après, il leur adresse les paroles du verset 11 pour leur apprendre le sujet de son prochain départ pour la Judée. Ces paroles sont si douces et si pleines d'amour et de suavité, qu'on doit nécessairement en conclure que les précédentes étaient dites dans un même esprit de douceur et d'amour, comme l'est la suite du même discours. C'est une règle que doivent suivre tous ceux qui sont obligés de reprendre leurs inférieurs: que l'amour de Jésus pour ses disciples les anime aussi en ces moments, ainsi que ses paroles, et que jamais l'humeur, la dureté et le mécontentement ne se mettent de la partie. Il faut que leurs paroles soient pleines d'onction et de bonté.

× XI,12

Dixerunt ergo discipuli ejus: ¦ Or ses disciples lui dirent:

Domine, si dormit, salvus ¦ Seigneur, s'il dort, il guérira.

erit. ¦

× XI,13

Dixerat autem Jesus de morte ¦ Jésus avait parlé de sa mort, mais

ejus; ipsi autem putaverunt ¦ eux crurent qu'il parlait de

quia de dormitione somni ¦ l'assoupissement du sommeil.

diceret. ¦

Les apôtres ne comprirent pas la signification de ce mot dormit, et crurent qu'il s'agissait du sommeil naturel; c'est pourquoi ils répondirent: S'il dort, il guérira de sa maladie. La première fois que Notre Seigneur leur dit: Allons encore une fois dans la Judée (verset 7), ils ne se souvinrent plus de ce que les soeurs de Lazare avaient fait dire à leur Maître au sujet de leur frère. C'est pour cela qu'ils firent l'observation du verset 8, où ils paraissent un peu de mauvaise humeur. Ils aimaient leur Maître et n'avaient pas la foi assez éclairée; ils craignirent donc pour sa vie. Ils voyaient tous les jours la grande puissance qu'il manifestait en toutes ses oeuvres; ils avaient vu plusieurs fois que les ennemis ne pouvaient rien sur lui, ils avaient cependant peur. Quand les lumières de la foi ne sont pas vives et ne remplissent pas l'âme, on a beau faire, la conduite spirituelle n'est pas d'accord avec la conviction de notre esprit, et de plus cette conviction même nous échappe en certaines circonstances difficiles. Mais cette lumière étant grande, nous voyons clair, notre esprit est conséquent avec lui-même, ou plutôt avec le principe par lequel il voit, et en outre, alors cette grâce de grande lumière est accompagnée d'une force très grande qui nous fait suivre sans crainte les lumières de notre esprit. - Ici les apôtres craignirent pour leur adorable Maître et pour eux-mêmes. C'était là la raison de leur première réponse: et c'est ce qui leur attira la réprimande des versets 9 et 10. Quand ensuite, au verset 11, Notre Seigneur leur rappela le souvenir de Lazare, ils comprirent que ce fut pour guérir le malade que le Sauveur voulait y aller, et croyaient que Lazare dormait d'un sommeil naturel. Ils dirent que le malade guérirait, parce que cela est une chose ordinaire que quand les malades vont mieux, le sommeil revient.

Ce n'est pas sans fin qu'ils dirent cela; sachant que le divin Sauveur, plein de bonté pour ses amis, voulait aller exposer sa vie pour la guérison de Lazare, ils espèrent encore l'en dissuader par ces paroles: A quoi bon y aller désormais? S'il dort, il guérira. Ils ne comprirent pas les paroles de leur divin Maître, parce qu'ils étaient prévenus par cette crainte pour sa vie et pour la leur. Ils n'osent pas cependant lui résister ouvertement, comme au verset 7; ils prennent un détour: Oh! il guérira, disent-ils, s'il dort. Ils semblent dire cela en passant. Ils savaient bien que Jésus lisait dans leurs pensées et qu'il savait tout ce qui s'y passait. Il venait de les reprendre avec bonté de ce qu'ils ne voulaient pas se laisser conduire et de ce qu'ils jugeaient des choses autrement que lui, qui est la sagesse éternelle du Père; c'est égal, ils ne voient pas bien clair encore, et leur foi était faible et leur coeur aussi; ils cherchent à amener la Sagesse éternelle à leur faux jugement. C'est une chose bien remarquable. Ils croient à leur Maître la connaissance de l'état de Lazare, quoique éloigné de lui de trois journées de chemin, et ils se servent de cette connaissance divine même par laquelle il leur dit l'état de Lazare, pour faire changer d'avis à sa Sagesse infinie et lui faire suivre leurs fausses lumières et leur fausse sagesse.

Si nous faisons bien attention, nous verrons que cela est bien souvent notre conduite. Il nous arrive une infinité de fois, que nous voulons à toute force faire agir Notre Seigneur, selon nos petites lumières, selon notre volonté. La même chose nous arrive bien souvent par rapport à la divine Providence. Nous ne sommes pas contents de notre état intérieur, au lieu d'une grâce qu'il nous fait, nous croyons qu'une telle autre nous aurait mieux valu; s'il nous envoie des croix, des peines intérieures ou extérieures, nous voudrions le repos; si nous sommes en repos nous voulons avoir des croix; c'est à ne jamais pouvoir nous contenter; de même, dans les événements de la divine Providence, si nous étions arbitres des événements, nous mènerions les choses tout autrement; sur tout ce qui nous regarde nous voulons sans cesse changer les desseins de Dieu, pour les conformer à nos petites idées rétrécies et à notre prudence ténébreuse. Toute cette conduite prouve la faiblesse de la foi. Ce n'est pas à nous à conduire Notre Seigneur, mais à nous abandonner pleinement à sa divine sagesse et à son amour, bonté et puissance infinies, qu'il emploie tour à tour par une miséricorde très grande, pour nous amener là où son Père céleste nous veut, c'est-à-dire dans la perfection de la sainteté, et de notre côté nous lui résistons sans cesse.

On pourrait peut-être dire aussi que les apôtres n'avaient pas dit ces mots pour empêcher Notre Seigneur d'aller en Judée, mais par un effet de la tendresse de charité qu'ils avaient pour Lazare; et cela est cité comme en réponse aux paroles de Notre Seigneur, qui dit: Amicus noster; ce qui montre que Lazare aimait bien les apôtres, comme cela arrive ordinairement que les amis de Jésus s'aiment entr'eux, et c'est la marque qu'il donne lui-même pour connaître ses disciples. Cependant, la première explication semble préférable, parce que celle-ci ne fournit pas une raison suffisante, pour que le saint Evangéliste rapporte cette parole des apôtres avec la réponse de leur Maître. Tandis que dans la première, il montrerait combien peu le divin Seigneur était connu de ses apôtres, et combien ceux-ci étaient faibles dans la foi et timides, et en même temps la bonté de notre doux Seigneur qui, après cela, manifeste encore tant d'amour pour eux. D'ailleurs, on voit bien au verset 16, dans les paroles de saint Thomas, que les apôtre n'avaient pas eu envie d'aller voir Lazare, et qu'ils avaient espéré ne pas être obligé d'y aller. Cependant ces paroles: Sed vado ut a somno excitem leur disaient bien que Notre Seigneur y allait.

× XI,14

Tunc dixit ergo eis Jesus ¦ Alors Jésus leur dit clairement:

manifeste: Lazarus mortuus ¦ Lazare est mort.

est. ¦

× XI,15

Et gaudeo propter vos, ut ¦ Et je me réjouis à cause de vous, de

credatis, quoniam non eram ¦ ce que je n'étais pas là, afin que

ibi. Sed eamus ad eum. ¦ vous croyiez. Mais allons auprès de

¦ lui.

Dans ces deux versets, on voit la grande et admirable tendresse de ce coeur d'amour pour ceux qui lui appartiennent. Il voit leur esprit obscurci, leur foi faible, leur volonté débile, timide, il leur voit si peu de confiance en lui et en ses divines et infinies lumières et puissance, il les voit en un mot pleins d'imperfections et de mauvaises dispositions; mais il voit qu'il n'y a pas de malice en leur conduite, tout leur mal est la faiblesse. Il voit qu'ils l'aiment et désirent lui être agréables. Il sent surtout son coeur adorable rempli d'amour pour eux, il s'attendrit sur leur état et agit avec eux selon sa miséricorde et selon son amour. Le très doux Agneau agit de la sorte envers nous tous, et qu'elle est l'âme qui, désirant de lui plaire, n'a pas éprouvé ces mêmes effets de son divin amour? Mais aussi c'est une grande leçon pour ses serviteurs, qui sont chargés de la conduite des âmes bonnes qui lui appartiennent; ils doivent porter leurs faiblesses et leurs imperfections, s'attendrir sur elles, et prendre avec tendresse les moyens de les fortifier le mieux qu'ils peuvent, ne jamais regarder aux peines et injures personnelles, aux défauts de confiance et aux autres manquements de ces âmes; mais conserver le même amour pour elles dans l'amour du divin coeur de Jésus, et prendre des mesures douces et salutaires pour les guérir.

Jésus, voyant ses disciples si pleins d'obscurité et de défauts, par leur faiblesse dans la foi et dans la confiance, leur parle avec une bonté admirable, d'une manière plus manifeste; il leur découvre déjà en partie ce qu'il ira faire et en des termes couverts; et s'il n'a pas voulu encore les éclairer entièrement, c'était parce que le temps déterminé pour cela par son Père n'était pas venu encore; il entre au moins dans un grand sentiment de compassion, il fortifie et échauffe leur volonté par ses paroles de grâces et les remplit d'un courage et d'une confiance très grands, quoique sans les éclairer, il y a là de quoi admirer la conduite de notre adorable Sauveur envers ses amis.

Les apôtres étaient trop faibles pour recevoir ces lumières complètes que donne la foi parfaite, qui guident parfaitement dans la conduite, et nous font voir les dispositions intérieures, dans lesquelles nous devons agir à l'égard de notre adorable Maître; il fallait donc les fortifier d'abord au milieu de leur aveuglement et les soutenir jusqu'à ce que le temps fût arrivé de les éclairer entièrement. Leur pusillanimité était cause qu'ils avaient mal compris ce que leur Maître leur avait dit sur le sommeil de Lazare, et cette même faiblesse leur a fait saisir cette idée erronée, pour leur faire espérer qu'ils ne seront pas obligés d'aller s'exposer à la mort en Judée. Voilà pourquoi Notre Seigneur commence par les désabuser de leur erreur, et par là rend nulle toute la belle raison qu'ils lui prétendaient suggérer pour l'empêcher d'aller à Jérusalem. Ayant arraché à leur esprit tout subterfuge, et enlevé tout espoir de s'évader, il fortifie la volonté par les paroles du verset 15, où il exprime la deuxième raison pour laquelle il va en Judée; [c'est] non seulement pour faire ce grand bien à Lazare, son ami, et à sa famille, mais encore pour fortifier la foi de ses apôtres. Les termes qu'il emploie montrent la grande tendresse qu'il avait pour eux.

Et gaudeo. Il se réjouit de n'avoir pas été là en Judée, avant la mort de Lazare. Ce n'est pas de la mort de Lazare qu'il se réjouit, mais du grand bien qui en devait résulter pour ses disciples chéris: Propter vos. Quelle complaisance Notre Seigneur met dans ses faibles disciples! Cette complaisance n'est pas dans les qualités qu'il voit en eux, mais dans la grâce qu'il allait leur communiquer: Ut credatis. Cette résurrection devait produire nécessairement dans les apôtres une grande force dans la foi. Cela leur était d'autant plus nécessaire que l'heure de la Passion et des opprobres de leur Maître était peu éloignée, et il leur fallait, dans ce moment critique, un événement extraordinaire pour les empêcher de tomber dans l'excès de l'incrédulité. Le souvenir frais d'un miracle si considérable, opéré sur une personne si intimement connue de tous et qui demeurait si près de Jérusalem, était fait pour les retenir et les empêcher de tomber dans un découragement complet, et pour procurer, en partie, leur retour à la foi lorsqu'ils virent leur Maître ressuscité. Il faut remarquer ces termes: Quoniam non eram ibi. S'il avait été là, Lazare ne serait pas mort. La bonté de Jésus est si grande pour ses amis, qu'il ne leur refuse rien: les soeurs de Lazare auraient demandé la guérison de leur frère et l'auraient obtenue. Par ces paroles, Notre Seigneur fait allusion à ce qu'il resta en Galilée encore deux jours après avoir appris la maladie de Lazare, et de plus [il] explique ce retard, au moins en partie: c'était pour fortifier la foi des apôtres. Il est vrai que si même il était parti sur le champ, il serait arrivé deux jours après la mort du malade; mais ces quatre jours déjà écoulés depuis la mort de Lazare rendaient le miracle de la résurrection plus frappant pour les spectateurs. D'ailleurs, il serait possible aussi qu'il s'arrêtât encore en route et fît en sorte de venir trop tard. Après avoir fortifié leur volonté par cette parole d'amour, il leur dit encore une fois: Sed eamus ad eum.

Notre Seigneur ne leur dit pas expressément qu'il allait ressusciter Lazare; les apôtres lui auraient cru et l'auraient suivi plus volontiers; mais leurs dispositions en cela auraient été moins parfaites. Ils aimaient voir leur Maître faire ces grands prodiges; ils auraient eu d'ailleurs une certaine satisfaction de voir ramener à la vie un ami comme Lazare; de plus, ils auraient eu une certaine garantie qu'il ne leur arriverait pas de mal, ni à leur Maître non plus. Toutes ces raisons n'auraient pas été mauvaises, mais il est encore plus parfait qu'on s'abandonne aveuglément à la conduite du divin Maître et qu'on le suive sur sa seule parole, sans savoir ce qu'on deviendrait. Voilà pourquoi il les laisse dans l'ignorance sur ce qu'il allait faire, ou au moins il ne donne qu'une demi-lueur, et en même [temps] agit par sa grâce sur leur volonté, afin qu'ils se surmontent et qu'ils le suivent avec plus d'abandon et sans raisonner sur sa conduite. C'est pour cela qu'il dit: Ut credatis. Il ne dit pas l'objet de cette foi, car elle n'en a pas de déterminé; il s'agit de cette foi générale, parvenue à un tel degré de force, que nous adhérons à Notre Seigneur sans crainte, sans inquiétude, sans nous rendre compte et sans comprendre ce qu'il demande de nous; nous le suivons à l'aveugle.

C'est ce qui arriva en effet aux apôtres. Après ce miracle, ils le suivirent à Jérusalem le jour de la fête, sachant cependant que les chefs de la Synagogue voulaient le faire mourir. Ils restèrent avec lui, l'accompagnèrent dans le jardin des Olives; ils n'avaient plus ni crainte, ni inquiétude, quoiqu'il leur dît expressément qu'il allait être livré.

× XI,16

Dixit ergo Thomas, qui dicitur ¦ Sur quoi Thomas, qui est appelé

Didymus, ad condiscipulos: ¦ Didyme, dit aux autres disciples:

Eamus et nos, ut moriamur cum ¦ Allons, nous aussi, afin que nous

eo. ¦ mourions avec lui.

Cette confiance n'était pas encore parfaite dans les apôtres; ce n'est qu'après le miracle que cela s'accomplit parfaitement. Cependant les paroles toute-puissantes de Jésus produisent toujours leurs effets sur des âmes qui ne sont pas trop mal disposées et qui n'ont pas de malice. Elles opèrent selon les dispositions qu'elles trouvent; c'est pourquoi ces divines paroles produisirent ici leur effet à demi. Elles ne produisirent pas en eux cet abandon entier à la conduite de Jésus. Les apôtres n'étaient pas assez disposés pour cela; leur foi était trop faible, et leurs coeurs trop pleins de toutes sortes de passions; mais cela opéra en eux une grande générosité pour suivre leur bon Maître, quoique cela puisse coûter leur vie. Ils croient toujours que la Sagesse éternelle va commettre une grande imprudence et s'exposer à la mort, et ils prennent la résolution d'aller à sa suite pour mourir avec lui. Au moins c'est Thomas qui leur fait cette proposition, et il paraît qu'ils entrèrent dans son sentiment. Cette parole de saint Thomas montre l'extrême attachement qu'ils avaient pour leur Maître. Ils aimaient mieux mourir avec lui que de vivre sans lui.

Il faut cependant remarquer que cet attachement n'était pas sans imperfection. Ce n'était pas cet amour pur et parfait qui fait qu'on se livre à la mort pour l'amour de Notre Seigneur, tel qu'était celui qui, dans la suite, a fait immoler tous les apôtres; la différence était très grande. Ici ils n'avaient pas de Notre Seigneur la connaissance parfaite qu'ils en avaient dans la suite. S'ils l'avaient reconnu clairement comme Fils de Dieu, ils n'auraient pas craint pour sa vie. Ils le crurent donc homme comme eux, seulement bien plus élevé et plus parfait; c'était un prophète, le plus grand des prophètes, le Messie même. C'était beaucoup, mais cela ne semble pas assez pour mourir pour lui. Par conséquent, cette générosité ne répondait pas aux motifs qui la produisaient.

D'où vient donc qu'ils eurent ce sentiment? Cela venait en partie d'une grâce intérieure, qui les attirait avec une force extraordinaire vers Notre Seigneur, et leur donnait des sentiments d'amour très grands et très tendres; c'est le Père qui les attirait vers son Fils bien-aimé avec d'autant plus de force qu'il voulait en faire l'élite des sujets de son empire. C'était là le premier principe de leur attachement, mais ce principe était aveugle en eux. Ils éprouvaient cette vive et continuelle attraction d'une manière très sensible, et ils la suivaient avec une grande ardeur par la grande douceur et la grande et violente satisfaction qu'elle leur faisait éprouver; mais ils n'y comprirent rien et ne réfléchirent pas même au motif de leur tendre amour pour leur Maître. Ils éprouvaient un grand bonheur dans ce sentiment, et ils le suivaient comme des aveugles, pour jouir de ce bonheur; voilà le premier principe de leur amour pour Jésus-Christ, principe bon, mais imparfait, et il se trouve encore maintenant dans un grand nombre de ceux qui commencent à marcher à la suite de Jésus, et qui éprouvent de ces joies et de ces délices excessives de l'amour divin. Ils se livrent avec une grande ardeur à ce sentiment d'amour, mais, en grande partie, à cause de la grande douceur et du grand bonheur qu'ils y éprouvent. Dans la suite, quand les apôtres se sont livrés à la mort pour leur adorable Maître, et cela, après avoir tant souffert, par amour pour lui, les plus grandes souffrances et les plus grands travaux, leur amour était plus pur et plus élevé. Ils l'aimaient moins sensiblement, peut-être, mais ils l'aimaient plus fortement, ils l'aimaient comme Fils de Dieu, Rédempteur du monde, et comme Sanctificateur de tous les élus. Ce n'était plus au milieu des jouissances et des délices, ni par le désir des jouissances du saint amour et des satisfactions qu'on y trouve, qu'ils aimaient, mais dans les privations, les croix et les souffrances; et c'était précisément là dedans qu'ils trouvaient leurs délices, et ce dont leur amour se nourrissait et s'enflammait de plus en plus. Tel est aussi l'état de toute âme fervente quand elle fait du progrès dans la vie de l'amour divin.

Le deuxième motif ou principe de leur amour pour Notre Seigneur était les charmes divins, qui étaient répandus sur tout son extérieur et dans tous ses rapports avec eux, la tendresse de sa charité, les délices qu'ils éprouvaient dans sa conversation et dans sa conduite en général, la grâce de ses paroles, l'éminence, la sainteté et les richesses de sa doctrine, la douceur de ses regards, la modestie répandue sur toute sa sainte Humanité, la douce gravité de sa démarche et de toute sa conduite, la bonté inconcevable de son coeur qui se manifestait en toutes les circonstances; tout cela et tant d'autres attraits ravissants et divins qui lui attiraient et captivaient tous les coeurs qui n'étaient pas livrés au démon, et même de ceux qui n'avaient pas le bonheur de se trouver dans sa familiarité, à plus forte raison des apôtres, qui étaient l'objet continuel de ses soins et à qui il manifestait sa tendresse dans toutes les rencontres. Cet amour, quoique pieux et saint, avait cependant quelque chose d'imparfait; il n'existait que pendant qu'il vivait avec eux sensiblement et dans sa chair mortelle; il y avait beaucoup d'attachement naturel en cela. Après sa résurrection, et surtout après son ascension, leur amour étant bien plus pur et plus parfait, ce qu'il avait de sensible et de naturel passa, et fut remplacé par un amour plus solide et plus fort, plus constant et durable, et plus parfait.

On pourrait peut-être expliquer d'une autre manière ces mots: Moriemur cum eo, mais le fond du sens serait toujours le même. Saint Thomas aurait dit: Allons-y nous aussi, et mourons avec Lazare. Notre Seigneur venait de dire que Lazare était mort et il ajouta: Allons vers lui; alors Thomas faisant allusion à la mort de Lazare dit: Allons nous aussi, n'abandonnons pas notre Maître quoiqu'il faille mourir comme Lazare. Ce sens semble plus naturel selon la valeur des mots, mais cela ne paraît pas être le véritable sens de l'Evangéliste.

× XI,17

Venit itaque Jesus; et invenit ¦ Jésus vint donc, et il le trouva mis

eum quatuor dies jam in ¦ dans le sépulcre depuis quatre jours.

monumento habentem. ¦

Jésus, quoique plein de tendresse pour Marie et pour Marthe, a cependant voulu attendre quatre jours avant de les consoler de leur grande affliction. Pourquoi son coeur si doux et si compatissant n'est-il pas venu plus vite au secours de ces âmes chéries? Il daigna verser des larmes à la vue de la douleur de Marie. Pourquoi n'a-t-il pas prévenu ce malheur et fait en sorte que cette bonne âme n'eût pas cette grande affliction? Ne semble-t-il pas que les Juifs avaient raison de dire: Celui qui a rendu la vue à un aveugle-né, n'aurait-il pas pu empêcher la mort de Lazare? (verset 37). C'est bien là le langage de l'homme de la terre: Qui non percipit ea quae sunt spiritus Dei. Les vues du Seigneur sont bien différentes des nôtres, et sa divine action correspond toujours à la grandeur de ses vues. On voit dans cette action les deux grands principes de toute sa conduite. Le premier, [c'est que] dans toutes les oeuvres qu'il accomplit sur la terre, il ne voit que la gloire de son Père, devant laquelle tout n'est compté pour rien, tout cède, tout est sacrifié jusqu'à son adorable Humanité. C'est cette gloire de son Père qu'il avait à accomplir en tout, selon la volonté éternelle de ce Père adorable. Il aimait Marie et Marthe, et était plein de tendresse pour Lazare, et il daigne manifester sa tendresse et sa compassion par les larmes; mais, quoiqu'il les aimât, il aimait encore davantage son Père; il n'aime cette pieuse famille qu'en son Père, pour son Père. Ce Père divin avait décrété de toute éternité que Lazare doit rester quatre jours dans le tombeau, et ses deux soeurs tout ce temps dans une profonde affliction; et tout cela devait produire sa gloire pour la manifestation de son Fils bien-aimé parmi les hommes. Voilà pourquoi le Fils, qui fait toujours ce qui plaît à son Père, laisse Lazare dans le tombeau et ses soeurs dans la douleur, pour obéir au décret éternel de son Père et pour sa gloire.

Grande instruction pour nous, qui sommes ses disciples et ses représentants sur la terre: rien ne nous doit être cher dans ce monde que par rapport à notre Père céleste, en lui, par lui et pour lui. Et tout doit être sacrifié et immolé sans hésitation à sa gloire et à son moindre bon plaisir. Lorsque la gloire de Dieu et sa sainte volonté le demandent de nous, il faut laisser mourir notre ami Lazare, laisser dans l'affliction père, mère, soeurs, frères et amis. Nous pouvons en souffrir et en être affligés profondément, en pleurer même, mais il faut que nous fassions tous nos sacrifices avec amour, joie, paix et plénitude de notre volonté.

Le deuxième principe de la conduite de Jésus sur la terre est le salut et la sanctification des âmes, particulièrement de celles qui lui sont chères et que son Père céleste lui donne spécialement. Il ne craint pas de les affliger et accabler même de tristesse, quand cela tend à leur sanctification. Sa bonté est immense à notre égard; mais ayant des vues de miséricorde plus grandes et plus profondes que ne sont les nôtres, il nous laisse exprès dans l'affliction, pour qu'ensuite il nous comble de grâces plus grandes et plus parfaites. C'est ce qui est arrivé à ces trois âmes d'élite. Ce prétendu malheur de Lazare et ces jours de douleur et de deuil de ses deux soeurs ont été pour eux la source de si grandes grâces qu'ils en ont été dans l'admiration.

Nous pouvons tirer de la conduite de notre divin Sauveur deux genres de fruits: le premier [c'est que] quand nous sommes dans la peine et l'affliction, quelle qu'elle soit, nous ne devons pas craindre, mais compter avec assurance sur sa grande bonté que, si nous sommes fidèles, il nous comblera de grâces et de faveurs. Ne croyons pas qu'il nous oublie, néglige ou abandonne, quelle que soit la durée de notre peine. Nous le voyons bien. Les soeurs de Lazare devaient croire qu'il les avait abandonnées, et cependant il y pensait toujours, comme nous voyons de ce qu'il dit à ses apôtres. Le second fruit est pour ceux qui conduisent les âmes. Ils ne doivent pas craindre de causer parfois de l'affliction à ceux qu'ils sont chargés de conduire, ni même de les laisser quelquefois dans la peine, lorsqu'ils sont assurés que cela les avancera dans la perfection. Ils peuvent, et même ils doivent avoir compassion de ces peines, comme a fait le divin Directeur des directeurs, mais cette compassion ne doit aller jusqu'à la faiblesse. Quand le bien spirituel et la sanctification d'une âme exigent qu'elle soit pendant un temps dans la peine, il faut qu'elle y soit.

× XI,18

(Erat autem Bethania juxta ¦ (Or Béthanie était près de Jérusalem,

Jerosolymam quasi stadiis ¦ à environ quinze stades.)

quindecim.) ¦

× XI,19

Multi autem ex Judaeis ¦ Cependant beaucoup de Juifs étaient

venerant ad Martham et Mariam, ¦ venus près de Marthe et de Marie,

ut consolarentur eas de fratre ¦ pour les consoler au sujet de leur

suo. ¦ frère.

L'Evangéliste marque cette circonstance pour deux raisons. La première, pour montrer que ces Juifs venaient de Jérusalem et pour expliquer que ce sont eux qui allèrent dénoncer le miracle aux pharisiens, comme il va dire plus bas. En deuxième lieu, pour montrer la raison pour laquelle ce miracle a fait tant d'éclat. Ces circonstances sont remarquables, à cause des suites extraordinaires qu'elles ont eues. Il semble que le Saint-Esprit, en faisant marquer ces circonstances au saint Evangéliste, veut fixer notre attention sur la conduite de la divine Providence, qui amena ainsi ces circonstances pour accélérer l'accomplissement de notre Rédemption, dont le temps avait été décrété pour la Pâque qui suivit de près ce grand événement. - C'était un usage parmi les Juifs, et une oeuvre de miséricorde très estimée parmi eux, de consoler ceux qui étaient en deuil pendant les sept jours qui suivaient la mort de leur parent. (Cet usage existe encore maintenant parmi eux.)

× XI,20

Martha ergo ut audivit quia ¦ Marthe, donc, dès qu'elle eut appris

Jesus venit, occurrit illi; ¦ que Jésus venait, alla au-devant de

Maria autem domi sedebat. ¦ lui, mais Marie se tenait dans la

¦ maison.

Marthe et Marie avaient toutes les deux un amour très vif et très fort pour Notre Seigneur, tellement qu'il serait difficile de discerner dans laquelle des deux cet amour était plus fort et plus véhément. Dans Marthe, il s'exprime avec vivacité dans tout ce qu'elle dit et tout ce qu'elle fait; dans Marie, il a une si grande intensité intérieure qu'on l'en voit toute consumée et toute absorbée. Cet amour était cependant si différent dans ses effets, qu'on est obligé de s'en apercevoir au premier coup d'oeil. La différence vient de ce que cet amour n'avait pas le même caractère dans les deux saintes. Dans Marthe c'était un amour passionné, sensible; dans Marie, il était paisible, intérieur. Dans Marthe, l'amour divin agissait sur les sens et les tournait vers le divin objet de l'amour de tous les coeurs, et par là laissait le caractère intact. Il agit en elle par de continuelles explosions; elle ne peut rien garder en elle, son coeur si rempli du divin amour est toujours sur ses lèvres et dans ses mains. C'est que l'amour qu'elle avait dans le coeur pour le Fils de Dieu, agissait sur les sens, sur les passions, et les mettait dans une action vive et continuelle. Les passions ainsi impregnées de l'amour divin ne peuvent pas rester sans activité, et cette activité est très vive, en proportion de la vivacité de l'amour qui les anime. Cela vient de ce que l'amour de Dieu est toujours agissant, et cela de sa nature. D'un autre côté, les passions sont actives et violentes. Ces instruments si impétueux, animés d'une action d'amour violent produisent cette vivacité dans les paroles et dans les actions dans cette bonne sainte.

Marie, au contraire, avait un amour tout différent. Il amortissait et calmait le mouvement des passions; son caractère subissait de grandes modifications; il ne paraissait pas en elle beaucoup de ces saillies de caractère, comme dans sa soeur; on a de la difficulté à distinguer quel fut son caractère avant cet état d'amour. Son âme est sous la domination de cet amour, ses passions n'agissent plus, ou au moins très rarement. Ce n'est que selon certaines impulsions d'amour plus vif, dans des circonstances extraordinaires, où elle reprend toute la vivacité et toute la sensibilité de son caractère, pour le manifester au-dehors.

C'est de cette manière qu'on pourrait facilement expliquer la différence entre ce qu'elle paraît ici, et ce qu'on la voit être au moment de la résurrection, supposé, comme l'Eglise nous l'insinue, que c'est la même célèbre sainte Magdeleine. Cet amour si vif, si intense et si tendre, comme cela paraît ici et au commencement du chapitre XII, était concentré dans le fond de l'âme, et son action, quoique forte, ardente et pénétrante, ne produisait pas pour l'ordinaire ces explosions, ne se répandait pas en actions, mais faisait tendre vigoureusement l'âme de la sainte vers son bien-aimé par la contemplation. Le feu était violent au-dedans, mais il tendait plutôt à l'union intérieure qu'à l'activité extérieure. Elles agissait peu, parlait peu, mais son âme brûlait; et dans certaines circonstances, ce feu violent se manifestait dans toute sa chaleur, tantôt avec langueur, tantôt avec une violente absorption et ensuite explosion comme au saint sépulcre; le tout, selon les différentes circonstances qui excitaient ces mouvements divers, et selon l'action de la grâce divine qui produisait, comme elle fait ordinairement, des impressions diverses, et prenait une action et une tournure différentes, selon la diversité des circonstances; mais le fond de l'état de cette âme si pleine de cet amour contemplatif est le même dans toutes ces différentes circonstances.

Les puissances spirituelles de Marthe sont toujours en activité, parce qu'elle n'agit que par le mouvement des passions mises en mouvement par l'amour divin; les puissances spirituelles de Marie sont sans cesse fixées par le repos d'un amour contemplatif; son action et [aussi] sa parole est grave, posée, mais vive, forte et touchante, parce qu'elle est animée par le feu de l'amour qui brûlait sans cesse dans son âme. De cette activité des puissances spirituelles dans Marthe, il résultait qu'il lui échappait souvent des paroles et des actions défectueuses, parce que, dans la vivacité de ses mouvements elle ne discernait pas le bien du mal; son esprit se laissait entraîner à tous ses mouvements au premier moment qu'ils se présentaient, excepté sans doute lorsqu'elle voyait qu'un mouvement n'était pas bon. Le plus souvent ces mouvements étaient bons et inspirés par l'amour divin dont elle était pleine; mais il devait arriver nécessairement un mélange de plusieurs autres mouvements défectueux. Comme elle était aussi habituée à cette activité dans l'action, sa bouche exprimait aussitôt les pensées qui étaient dans son esprit.

De plus, cet état de deux saintes influait dans toute leur conduite, même dans l'ordre de leurs affections et de leurs rapports naturels, et dans leurs actions ordinaires. De là il est venu que Marthe était instruite la première de l'arrivée du Seigneur; elle se mettait plus en rapport avec le dehors que sa soeur, Marie restait retirée dans la maison et vivait dans le repos: Domi sedebat. Une autre raison encore: le caractère de l'amour divin de Marie et de Marthe, si différent, montre cette différence encore là. Elles étaient toutes deux dans l'affliction par la mort de leur frère. Marthe, livrée ainsi à l'activité, avait besoin d'épancher sa douleur et ne pouvait rester en repos dans la maison; cela faisait qu'elle avait des rapports plus fréquents avec le dehors, et elle apprit la première la bonne nouvelle de l'arrivée du Sauveur à Béthanie. Marie, au contraire, dont l'âme était formée d'une toute autre façon par son amour contemplatif, concentra sa douleur en elle-même. On peut présumer qu'elle portait bien souvent son âme vers Notre Seigneur, se consolant en lui et dans l'amour qu'elle lui portait. Elle n'éprouvait pas ce grand besoin de s'épancher au-dehors, étant habituée ainsi à retenir son âme au-dedans d'elle-même et ses affections en elle. Voilà pourquoi elle reste en repos (sedebat) dans sa maison.

On peut croire que les deux soeurs s'attendaient [à ce] que Notre Seigneur ne tarderait pas à venir, puisqu'elles lui avaient fait annoncer la maladie de Lazare, et que c'était peut-être pour cela que l'amour de Marthe, impatient de voir arriver son Maître, la faisait aller bien souvent aux enquêtes. C'est pour cela qu'elle apprit cette heureuse nouvelle avant sa soeur. Marie, dont l'amour n'était pas moindre que celui de Marthe, mais d'un autre genre, attendait avec paix et calme que la divine Consolation d'Israël vint pour fortifier son âme. Son amour vif et ardent lui donnait des désirs aussi véhéments qu'à Marthe, de voir enfin arriver le grand Consolateur des affligés pour la soulager; mais c'est le propre de cet amour contemplatif, de donner des désirs et des affections très forts et très véhéments, et de conserver en même temps l'âme qu'il anime dans un parfait repos, et de lui faire attendre les moments de Dieu avec douceur et tranquillité: Maria domi sedebat.

Dès que Marthe eût appris que Jésus était venu, elle alla à sa rencontre avec sa ferveur d'amour et elle le rencontra hors de l'endroit où il s'arrêta.

× XI,21

Dixit ergo Martha ad Jesum: ¦ Marthe dit donc à Jésus: Seigneur, si

Domine, si fuisses hic, frater ¦ vous eussiez été ici, mon frère ne

meus non fuisset mortuus. ¦ serait pas mort.

On voit ici Marthe, dans ces paroles, préoccupée de deux objets. Le premier était le sujet de sa douleur, la mort son frère, et le second est son grand amour pour de divin Seigneur. Sa douleur était tempérée par cet amour, qui est une grande consolation pour une âme affligée.

Il paraît que, pendant tout le temps de l'absence de Notre-Seigneur, les deux soeurs étaient préoccupées de la pensée que s'il avait été là, il aurait guéri leur frère, et que c'était pour elles un grand sujet d'affliction que cette absence; car la première parole était celle-ci: Si fuisses hic, etc. Cela montre combien ces deux bonnes âmes étaient pleines de l'amour de Notre-Seigneur. Cela montre en même temps la grande foi et la confiance sans bornes qu'elles avaient en lui. Elles savaient que Jésus les aimait, et que s'il avait été là, il n'aurait pas laissé mourir Lazare. C'est un grand bonheur pour une âme de savoir qu'elle est aimée de Jésus, et cette connaissance devient en elle la source abondante d'une confiance sans bornes.

× XI,22

Sed et nunc scio, quia ¦ Cependant je sais maintenant même,

quaecumque poposceris a Deo, ¦ que tout ce que vous demanderez à

dabit tibi Deus. ¦ Dieu, Dieu vous le donnera.

Au verset 32, Marie dit la même chose que Marthe dans le verset précédent, mais elle n'ajoute rien. Marthe y ajoute ce que nous voyons dans ce verset-ci, et en cela paraît encore la différence de leur caractère de piété. La pensée de Marthe est active, et elle ne retient rien dans son esprit sans l'exprimer; la pensée de Marie est contemplative, et elle ne tient pas à exprimer tout ce qui se passe en elle. Elle dit peu de mots et son âme se répand devant son Seigneur. Le Fils de Dieu voit bien ce qui se passe en elle.

Cette seconde pensée est parfaitement renfermée dans la première; mais l'amour du coeur de Marthe ne croyait jamais avoir assez exprimé les sentiments de sa foi et de sa confiance, et cela tenait au caractère d'activité sensible qu'avait cet amour. Marie, au contraire, ne fait guère attention à l'expression de ces choses: son esprit n'a pas cette multiplicité d'idées, elle dit peu de chose par son esprit; son principal langage est celui du coeur, qui ne s'exprime pas par la multiplicité des paroles et des idées; au contraire les paroles sont moindres et plus rares, mais ce saint langage consiste dans la tendance de l'amour; et cela vient de ce que l'amour de Marie est un amour contemplatif. Dans l'amour actif de Marthe, l'âme aime et agit fortement, l'esprit aussi bien que le coeur est dans cette activité, qui cependant est animée par l'amour. Dans l'amour contemplatif, l'âme de Marie s'unit, reçoit en elle les influences célestes de la grâce, et se laisse entraîner à sa divine action. Elle est dans un grand repos, toutes ses puissances sont dans un doux sommeil entre les bras de son Bien-Aimé, et jouissent du divin amour. Ce repos n'est pas oisif; elle agit fortement, mais cette action n'est pas sa propre action, ce n'est pas par ses propres forces et son propre mouvement; elle est entraînée par l'impression; elle s'abandonne à cet entraînement et court à la suite de son Bien-Aimé, auquel sa contemplation la tient attachée et liée comme sans mouvement et sans vie; et en effet, elle n'a de vie que par l'amour et dans l'amour de son Bien-Aimé. C'est lui qui la traîne après lui, et elle court par cet entraînement en se laissant entraîner de grand coeur, fortifiée, animée, touchée et consolée par l'admirable odeur des parfums délicieux et variés que son Bien-Aimé répand en elle par l'action de son divin amour.

Marthe dit: Nunc scio, pour montrer que sa foi est la même, quoique le Sauveur n'ait pas fait le miracle en faveur de son frère. On voit en cela la bonté de ces âmes, la vérité et la pureté de leur amour. Il ne s'élève pas en elle le moindre sentiment de murmure contre le Seigneur. Elles lui avaient fait dire d'avance le malheur qui les menaçait, et devaient croire qu'il avait négligé de venir. Cependant rien ne manifeste le moindre murmure. Les Juifs murmurent, comme on va voir bientôt verset 37, parce que leur foi était médiocre et [non] pas animée d'un vrai amour; mais les deux soeurs se soumettent sans avoir même l'idée du mécontentement, parce que l'amour était dans leur coeur.

On pourrait peut-être dire aussi que ces paroles des deux soeurs: Si fuisses hic etc. sont une prière: Seigneur, pourquoi n'êtes-vous pas venu sauver mon frère? Vous qui l'aimez tant!; mais ce n'était pas un reproche, et [cela] se manifeste par l'action que Marie joint à cela et par ces paroles que Marthe y ajoute: Quoique, Seigneur, vous ne soyez pas venu, je sais cependant que votre Père vous donne ce que vous lui demandez.

On voit dans ces paroles qu'elle n'avait pas une vue claire de la divinité du Sauveur; elle le prend pour un grand Prophète, pour le Messie, et parle de son pouvoir de faire des miracles comme s'il l'avait par la force de ses prières, comme les prophètes. Peut-être avait-elle une idée tellement confuse de la divinité de Notre-Seigneur, qu'elle ne pouvait rien concevoir de déterminé, comme nous verrons tout à l'heure.

× XI,23

Dixit ei Jesus: Resurget ¦ Jésus lui répondit: Votre frère

frater tuus. ¦ ressuscitera.

Le deux bonnes soeurs de Lazare, si remplies d'amour pour Notre-Seigneur, ne pouvaient manquer d'être exaucées. La prière de Marthe obtint l'assurance d'être exaucée, et celle de Marie fut suivie de l'effet. En cela paraît l'incomparable bonté de Notre-Seigneur pour ceux qui lui sont chers. Les deux soeurs n'osent pas même lui demander de ressusciter leur frère, elles se contentent de lui dire que s'il avait été là, Lazare ne serait pas mort; et en même temps [elles] lui manifestent leur foi et leur amour, et cette prière tacite fut exaucée tout de même, et Lazare fut ressuscité.

Le coeur de Notre-Seigneur est touché de la douleur de cette bonne âme, c'est pour cela qu'il lui adresse cette parole pour la consoler. On voit une grande différence entre l'amour de Jésus pour Marie, et son amour pour Marthe: la douleur de celle-ci reçoit des paroles de consolation et une promesse; celle de la première attire des larmes et des consolations effectives et efficaces.

× XI,24

Dicit ei Martha: Scio quia ¦ Marthe lui dit: Je sais qu'il

resurget in resurrectione in ¦ ressuscitera à la résurrection, au

novissimo die. ¦ dernier jour.

On peut donner deux intentions différentes à cette réponse de Marthe: reconnaissant que Notre-Seigneur lui adressait ces paroles pour la consoler, elle ne les prend pas pour la promesse d'une prochaine résurrection, mais comme une pensée capable de la consoler que Notre-Seigneur lui suggérait, comme s'il lui avait dit qu'elle devait se consoler de cette perte puisque son frère ressusciterait un jour. Elle répond à cela: Je sais bien qu'il ressuscitera à la grande résurrection au dernier jour. En second lieu, on peut dire (et cela paraît plus conforme au texte sacré) qu'elle a pris ces paroles de Notre-Seigneur comme une promesse de résurrection; au moins elle en avait vaguement l'idée, seulement sa foi était très faible sur ce point. Elle reconnaissait bien le pouvoir à sont bien-aimé Maître, elle le croyait sincèrement comme elle va le dire bientôt (verset 27), mais cette foi était spéculative et générale, et quand il s'agissait d'en faire l'application à son frère, son esprit se trouvait dans un certain vague. Sans avoir précisément de l'opposition à croire que Notre-Seigneur allait le ressusciter, elle n'adhérait pas cependant à sa divine parole, et n'osait s'y livrer avec confiance. Cela provenait de ce que son frère était mort depuis quatre jours, et elle ne pouvait se faire à l'idée de le voir revenu à la vie, d'autant qu'elle n'avait pas encore vu opérer un miracle semblable. D'ailleurs son esprit était toujours préoccupé de plusieurs objets, surtout dans la circonstance où elle se trouvait, et de là il venait qu'elle n'attachait pas aux paroles du Sauveur toute l'importance qu'elles méritaient, et n'y prêtait pas toute l'attention qu'elle devait. Voilà pourquoi elle fait la réponse que l'Evangéliste rapporte. Elle entend dire à Notre-Seigneur que son frère ressuscitera; et elle répond: Vous dites qu'il ressuscitera; oui, sans doute, il ressuscitera, je le sais bien, mais ce sera à la grande résurrection et non pas maintenant. En attendant, il n'est plus avec nous. Il faut remarquer que Notre-Seigneur ne dit pas qu'il allait ressusciter Lazare, mais qu'il ressuscitera. Il ne voyait pas dans Marthe des dispositions assez parfaites pour lui dire ouvertement la chose. Peut-être aussi était-ce pour éprouver sa foi. Et s'il avait dit formellement qu'il voulait ressusciter Lazare, Marthe aurait cru.

× XI,25

Dixit ei Jesus: Ego sum ¦ Jésus lui dit: C'est moi qui suis la

resurrectio et vita; qui ¦ résurrection et la vie: celui qui

credit in me, etiamsi mortuus ¦ croit en moi, quand même il serait

fuerit, vivet. ¦ mort, vivra.

× XI,26

Et qui vivit, et credit in me ¦ Et quiconque vit et croit en moi, ne

non morietur in aeternum. ¦ mourra jamais. Croyez-vous cela?

[Credis hoc?] ¦

La bonté divine de Jésus voulut relever la foi de Marthe, et les paroles célestes qu'il lui adressa allaient directement à guérir son mal. Cette bonne personne était alors comme toutes les âmes dont l'état de dévotion est un état sensible. Tant que ces âmes reçoivent de Notre-Seigneur des grâces qui les favorisent et les attirent vers lui avec suavité elles sont pleines de confiance et d'amour pour lui, et quelquefois tout absorbées. Dans ces moments, rien le leur paraît incroyable, elles entendent la parole de Notre-Seigneur à demi mot, et seront plus portées à croire plus qu'il ne dit, que d'être incrédules ou d'avoir le moindre doute. Mais, dès que la volonté divine du Maître agit à leur égard de manière à froisser leurs affections sensibles, et sans mettre dans son action cette abondance de douceur, alors ces âmes, tout en conservant la force de l'amour qui les porte vers le divin Maître, deviennent cependant toutes différentes d'elles-mêmes. Elles sont inquiètes, préoccupées de leur sujet de peine; leurs sentiments de foi sont vagues et mêlés de défiance; elles croient bien encore à la promesse de Dieu, mais c'est d'une manière générale. Dans cette foi, elles ne sont pas unies et abandonnées à Notre-Seigneur. Tous les sentiments de foi sont d'une manière vague dans leur esprit, elles ne s'y attachent pas avec cette force de volonté, parce qu'elles sont habituées à cette attraction sensible qui les entraîne vers leur divin Maître. Ne sentant plus cet entraînement, tout est embrouillé chez elles.

C'est ce qui semble être l'état de Marthe. Elle avait cet amour sensible et passionné, comme il a été dit plus haut. Quand tout était conforme à cet amour, rien n'était plus fort que sa foi. Elle envoie dire à son Maître bien-aimé: Maître, celui que vous aimez est malade. Elle comptait bien sûrement sur la bonté de celui qu'elle aimait tant et dont elle savait être aimée. Sa foi, animée de cet amour, lui donnait une confiance sans bornes. Elle est trompée dans son espérance, son frère meurt. Quoiqu'elle sache bien que ce n'était pas par manque d'amour que Jésus a laissé mourir son frère, cela ne laissait pas de lui causer une grande peine, qui préoccupait fortement son esprit et empêchait son amour de prendre tout le développement en la présence du bien-aimé. Cet amour existe cependant encore en elle. Elle était inquiète et attendait avec impatience le divin Sauveur. Dès qu'elle apprend son arrivée, elle accourt pour trouver quelques consolations auprès de lui; mais sa foi était trop vague, son esprit trop préoccupé pour adhérer au divin Maître et s'abandonner à lui pour trouver tout en lui, et c'est ce qu'il eût fallu faire pour trouver cette sainte consolation qu'elle cherchait. Mais Jésus par sa bonté infinie et son grand amour pour cette âme, veut la guérir. Au lieu de cette foi vague dans les vérités révélées, il fixe l'esprit de la sainte en lui-même, comme principe unique dans lequel nous trouvons cette foi parfaite qui remplit notre âme, et dans lequel sont renfermées, comme dans leur essence, toutes les vérités qui font l'objet de notre foi. De plus, il attire vers lui ce coeur agité par l'affliction qui le préoccupe, pour le vivifier et le remplir de sa sainte suavité. Quand nous sommes ainsi agités et que notre foi est faible, il faut nous unir à Jésus pour trouver en lui tout ce qui nous manque. Voilà pourquoi il dit: Ego sum resurrectio et vita. Voyez, Marthe, la grande grâce qui vous est offerte, relevez-vous de votre abattement. Ne vous oubliez pas jusqu'au point de désespérer ainsi. Ne laissez pas aller votre coeur à tant d'inquiétudes, ni votre esprit à toutes sortes de pensées. C'est Jésus qui est la résurrection et la vie; fixez votre esprit en lui par une foi animée et épanchez votre coeur dans le sien avec confiance.

Notre-Seigneur dit qu'il est la résurrection. Qu'étions-nous avant lui? Jamais nous n'aurions pu nous relever de notre mort. Il est notre résurrection par la foi qu'il imprime dans nos âmes, et par laquelle il commence à nous attirer à lui et nous justifie, et il est notre vie par la charité parfaite qu'il nous communique. Mais il faut remarquer qu'il ne dit pas qu'il ressuscite et donne la vie, mais qu'il est la résurrection même et la vie même qui est en nous, termes très forts et qui nous montrent que, dès que nous ressuscitons, Jésus est en nous; et si nous avons la vie parfaitement, c'est que Jésus vit parfaitement en nous. Jésus est donc le commencement et la fin en nous, l'alpha et l'oméga. Il est toutes choses en nous, et dès qu'il n'est pas en nous, nous n'avons pas la vie, nous sommes des morts.

Mais, comment peut-on comprendre que Jésus est notre résurrection et notre vie de cette manière? On comprendrait bien qu'il est notre résurrection, parce que c'est lui qui nous attire de notre mort spirituelle et nous unit à lui par la foi dont il nous anime. L'acte de notre résurrection ne part pas de nous, puisque nous ne faisons rien pour ressusciter de la mort. Un mort n'a rien en lui qui puisse lui donner de l'action vers la vie, autrement il ne serait pas mort; de même nous n'avons en nous rien qui puisse devenir en nous source de résurrection, puisque tout en nous est mortifié par la mort, c'est-à-dire tout en nous est sans vie; nous n'avons en nous aucune action qui tende par soi à nous donner la vie, ni même à nous aider pour arriver à la vie. De là il résulte que toute notre résurrection consiste en ce que notre divin Sauveur nous attire et nous rend la vie par infusion, par le souffle de sa divine bouche, comme nous avons reçu la vie du corps par l'infusion de notre âme dans notre création, et cela sans notre coopération. Il est vrai que nous pouvons nous y disposer et que notre divine résurrection exige cette préparation; il n'est pas moins vrai pour cela que ce rappel de la mort à la vie se fait par l'attraction de notre Maître et par l'infusion qu'il nous fait. Ainsi, il peut dire qu'il est notre résurrection même; nous ne ressuscitons qu'en ce que nous le possédons en nous par la foi, et cette union aussi bien que cette attraction de la foi, c'est lui qui en est le principe et qui l'opère en nous.

Mais comment peut-il être notre vie même? Il est dit au commencement de ce saint Evangile: In ipso vita erat et vita erat lux hominum: [En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes. Jn, 1,4]. Toute vie est renfermée dans le Verbe de Dieu. Le Verbe s'étant incarné, toute la vie se trouve dans l'Humanité sainte de Notre-Seigneur. Cette vie consiste d'abord dans l'essence divine du Fils de Dieu, qui possède en lui la vie essentielle du Père. Cette vie est incommunicable; la sainte Humanité du Fils de Dieu peut seule avoir en elle cette vie essentielle, non par une opération particulière faite en son propre fonds, mais par son union personnelle avec le Verbe, qui fait que tout ce qui est au Verbe lui appartient. Ce n'est pas de cette vie que le Sauveur veut parler quand il dit à Marthe: Ego sum vita. Car il ne parle ici que de cette vie qui se communique aux hommes.

La seconde vie est celle qui est communiquée aux créatures: Vie de la grâce en ce monde, et vie de gloire dans l'autre. Cette vie n'est rien autre chose qu'une communication de la divinité à ses créatures, par le moyen de la sainte Humanité de notre adorable Sauveur, qui, comme Chef de toutes les créatures raisonnables, reçoit elle-même, d'une manière incompréhensible à toute intelligence, la vie divine en elle, pour en donner communication de grâce sur la terre et de gloire dans le ciel. (Dedit illi nomen, quod est super omne nomen, ut in nomine Jesu, etc... coaelestium, terrestrium, [et il lui donne un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse, au ciel, sur terre... Ph. 2,9-10]. Le nom de Jésus est au-dessus de toute puissance et principauté, étant le Chef de toute créature. Jésus est le nom de la sainte Humanité, car c'est la sainte Humanité qui a été soumise à la circoncision, et par elle le Verbe; c'est la sainte Humanité qui a fourni notre salut par la croix, et par elle le Verbe divin. L'empire céleste est à ses pieds pour en recevoir la gloire, le terrestre pour en recevoir la grâce, et l'enfer pour en recevoir le jugement).

Cette vie du Verbe dans l'Humanité sainte est une vie d'amour, selon les paroles de ce texte: Sic Deus dilexit mundum, ut Filium suum unigenitum daret. [Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique. Jn. 3,16]. La donation du Fils de Dieu à la terre, c'est-à-dire l'Incarnation, (car c'est ainsi que [l']appelle Isaïe: Filius datus est nobis: [Un Fils nous a été donné. Is. 9,6], est une opération divine d'amour; c'est pourquoi aussi elle a été faite par le Saint-Esprit: Spiritus Sanctus superveniet in te [L'Esprit-Saint viendra sur toi. Luc, 1,35]. La vie du verbe dans l'Humanité sainte est donc une vie d'amour.

Il faut savoir que la divine Incarnation du Verbe dans l'Humanité sainte, n'est pas un acte transitoire de la divinité, ce n'est pas une opération passagère du Saint-Esprit, ce sera désormais un acte qui durera toute l'éternité. Pendant toute l'éternité, le Père engendrera son Verbe et pendant toute l'éternité le Saint-Esprit lui unira la très sainte Humanité. Et cet acte est un acte d'amour, d'amour du Père pour l'humanité en général, sic Deus dilexit mundum, et pour la sainte Humanité de son Fils en particulier. Pater diligit Filium et omnia dedit ei in manu.. [Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main. Jn. 3,35]. Que signifie ce mot omnia, sinon son Verbe et avec son Verbe tout ce qui existe.

C'est cette vie du Verbe dans la sainte Humanité, qui nous est communiquée par l'amour de Jésus pour nous, amour réduit en acte par lequel il nous attire à lui pour nous donner part à ce grand trésor, et en acte éternel par la continuité de cet acte divin qui nous tient unis à lui et nous communique cette vie divine. Voilà donc ce qui se fait de la part de Dieu envers la sainte Humanité, en parfait rapport avec ce qui se fait de la part de son Fils par rapport à nous. - D'autre part, il y a la même ressemblance en ce qui se fait de la part de la sainte Humanité envers Dieu, avec ce qui se fait de notre part envers le Fils de Dieu.

L'Incarnation a été, et sera dans toute l'éternité opérée par le Saint-Esprit. Or, le Saint-Esprit n'opère pas sur le Verbe, puisqu'il reçoit son essence de l'essence du Père et du Fils: De meo accipit [Il reçoit de ce qui est à moi. Cf. Jn. 16,14], mais c'est dans l'Humanité sainte qu'il a opéré. Le Père engendre son Verbe dans la sainte Humanité d'une manière incompréhensible à toute créature, et le Verbe divin s'unit ainsi par sa propre puissance à cette très sainte et très pure Humanité. Car quoiqu'il ne puisse être engendré que par son Père, sa puissance contribue autant que celle du Père dans son union avec l'Humanité sainte. Mais le Saint-Esprit n'étant pour rien dans l'ordre de la génération éternelle du Verbe, il ne peut pas influer sur cette divine personne dans sa génération temporelle, et comment donc a-t-il opéré l'Incarnation, sinon en opérant sur l'Humanité sainte, en l'unissant au Verbe, opération la plus parfaite que l'Esprit-Saint ait jamais opérée et qu'il opérera jamais. Or, les opérations parfaites du divin Esprit sont des opérations d'amour. C'est donc de cette union d'amour de l'Humanité sainte avec la divinité, que la vie du Verbe est en elle. Et, de même que cette union et cet amour sont incompréhensibles à toute créature, de même cette vie divine qui est dans le Fils de l'homme est ineffable et incompréhensible. En nous la même chose se passe (quoique plus en petit et à divers degrés) envers le Fils de Dieu incarné; quand l'Esprit-Saint veut nous faire participer à la vie du Verbe, qui est la vie de la sainte Humanité de Jésus-Christ, il nous unit aussi au Fils de Dieu par cette union de charité; et alors, comme le Père engendre son Fils dans l'Humanité sainte, de même le Fils de Dieu incarné nous communique cette vie divine, dont il a donné une si immense participation à sa sainte Humanité par l'opération du même Esprit-Saint, et cette communication dure autant que durera notre union de charité. Dans ce monde, cette union de charité est une union de grâce, aussi la vie de Jésus en nous est une vie de grâce; dans l'autre, cette union de charité est une union de gloire, aussi Jésus vit en nous dans sa gloire. La charité reste toujours, même dans l'éternité, comme dit saint Paul, car c'est elle qui nous unit à Jésus pour recevoir sa vie. D'après tout cela on comprend ce que le divin Sauveur dit dans ces deux versets.

Il est la résurrection: toute âme morte ne ressuscite que parce que Jésus s'unit à elle et l'anime; par là une âme sort de son état de mort, elle est capable de mouvement et d'action dans l'ordre surnaturel, qui est le seul ordre de choses où il y a la vie véritable.

Il dit en second lieu, qu'il est la vie. L'âme, ayant ainsi Jésus en soi, peut encore agir par un autre principe que par celui de cette divine résurrection, et alors ses actions ne seraient pas des actions de vie. Ces actions ressembleraient à celles qui, dans l'ordre des choses humaines et naturelles, seraient faites sans attention, ni advertance, ni volonté; elles ne seraient pas des actions humaines, parce que l'âme n'y aurait pas participé. Mais si nous sommes unis à Jésus par l'habitude infuse d'amour, qui fait tendre sans cesse notre âme vers lui, la colle pour ainsi dire à sa Personne adorable par son Humanité sainte; alors, par l'Humanité adorable de Jésus et par les saints mystères qui ont été opérés en elle et par elle, nous recevons la plénitude de cette vie qui se répand dans nos âmes et se développe dans nos oeuvres, qui seraient des oeuvres vivantes. Dès que l'âme est ressuscitée, elle a en elle le principe de vie qui fait qu'elle n'est pas morte, mais cette vie n'est pas pleine et parfaite, il faut pour cela qu'elle se manifeste dans ses oeuvres. Car, comment peut-on appeler vie pleine celle qui ne donne pas de mouvement au corps? Il en est de même pour l'âme. Quand l'âme agit par suite de cette union avec Jésus, c'est Jésus qui est sa vie, c'est cette vie divine du Verbe qu'il lui communique, qui se développe et agit. Tout ce qu'il y a de vital dans nos actions, c'est la vie de Jésus qui est en nous, qui y est tout ce qu'il y a de vital.

On peut encore expliquer que le Fils de Dieu est notre vie, dans ce sens qu'il est le principe de vie que nous recevons dans la résurrection de notre âme de son état de mort. Nous étions morts, il devient notre résurrection par là même qu'il devient notre vie, par l'infusion de la vie divine dans nos âmes par sa grâce. Si Notre-Seigneur met les deux termes qui semblent signifier la même chose, il le dit pour nous représenter la chose sous deux rapports: 1° sous le rapport de l'action qui nous ramène à la vie, resurrectio, et 2° sous le rapport de cette vie même qui est le principe de notre résurrection, et vita.

Notre divin Sauveur ajoute: Qui credit in me, etc. Il dit in me, cela dit la foi animée de charité, l'union véritable de l'âme à lui. Il ne suffit pas de la croyance pour ressusciter. Marthe croyait que le Fils de Dieu pouvait ressusciter, mais elle n'adhérait pas à ses sentiments et à ses dispositions intérieures; cela montre que sa charité manquait de perfection dans ce moment. Car il faut remarquer [que] toutes les fois que la foi faiblit, la charité faiblit aussi.

Etiamsi mortuus fuerit, vivet. Celui qui aurait cette foi vivra par là même, parce que, étant uni à Notre-Seigneur, la vie de Notre-Seigneur lui sera communiquée. C'est là l'explication du mot resurrectio. Jésus devient notre résurrection, si nous avons cette foi en notre divin vivificateur. Un seul acte de cette foi parfaite produit notre résurrection, parce que cet acte nous unit à lui, et par là même nous communique sa vie. - Et tout homme vivant, c'est-à-dire tout homme qui, ayant été ressuscité par lui, et qui croit en Jésus, c'est-à-dire qui est dans l'habitude de cette sainte adhésion à Jésus, dont l'âme agit par ce principe de vie divine qui est en elle, par le moyen de cette union de foi et d'amour à celui qui la lui communique, cet homme ne mourra pas. La vie divine ne l'abandonnera pas, tant qu'il persévérera dans cette union sainte avec le souverain auteur de la vie et la vie même. Dans ce monde ce sera une vie de grâce, et dans l'autre, une vie de gloire. Voilà pourquoi le divin Maître dit: In aeternum. La vie est la même, quoique sa manière d'être souffre de grandes modifications. Le principe sera le même dans le Ciel comme sur la terre. Ce sera toujours Jésus qui sera notre vie, notre vie de gloire comme notre vie de grâce. La vie de grâce est le germe, et celle de gloire, le fruit produit par ce germe. Celui qui vivra et croira en Jésus ne mourra jamais. De là on peut conclure que la divine Sagesse veut dire seulement pendant tout le temps qu'on croit en lui (c'est-à-dire qu'on a la foi animée de la charité. Car croire en lui, [cela] veut dire cette foi parfaite animée de la charité, qui renferme toujours en elle l'espérance). [Il n'est pas dit:] Et qui vivit jam non moritur, ce qui signifierait que la vie de la grâce ne peut plus se perdre; mais, qui vivit, c'est-à-dire qui a reçu la vie de la grâce, et credit, et qui en outre a cette foi animée, vivante, celui-[là] ne mourra jamais. Cette inamissibilité de la vie ne tient donc pas à l'existence de cette vie, mais à l'existence de cette foi, mais de [la] foi parfaite. Il ne suffit pas de croire les vérités enseignées par le Fils de Dieu, ce qui veut dire croire au Fils de Dieu, il ne suffit pas de croire le Fils de Dieu. Tout cela Marthe le croyait, et cependant la Sagesse incarnée voulait quelque chose de plus en cette sainte fille; elle voulait qu'elle crût dans le Fils de Dieu, - in me, c'est-à-dire [de] cette adhésion parfaite de l'âme dans toutes ses puissances, et c'est à cette adhésion seule qu'est promise la résurrection, et après cela la vie éternelle et inamissible.

Il reste une difficulté. Le Fils de Dieu dit que celui qui vit et croit vivra toujours. Mais de là on pourrait, il semble, conclure qu'on peut vivre et ne pas avoir cette foi, seulement, quand on n'a pas cette foi en lui, on n'est pas assuré de vivre toujours, on peut facilement perdre la vie. Par conséquent, on pourrait vivre sans avoir cette foi. Cela est vrai, car ici le divin Maître ne parle que de cette foi agissante d'une âme, qui, fortifiée par la grâce et par l'attraction divine, adhère parfaitement au Fils de Dieu par cette foi animée de la charité et s'unit à lui. C'est cette action de l'âme qui la rend à la vie, et, lorsqu'elle est vivante, la lui conserve. Il est impossible qu'une âme adhère et soit unie à Notre-Seigneur dans une action, et que cette action soit telle qu'elle lui fasse perdre la vie. Le mot credit indique assez l'acte de l'âme par lequel elle adhère à son divin Sauveur.

Le fond de cette instruction, qui est donnée à Marthe, signifie la mort, la résurrection et la persévérance dans la vie, dans le sens spirituel, en parlant de l'âme. Cependant elle était parfaitement applicable à la circonstance dans laquelle Marthe se trouvait. Il pouvait obtenir pour son frère Lazare, mort corporellement, le même résultat qui devait s'obtenir spirituellement pour les âmes, non quant à la persévérance de la vie, mais quant à la résurrection. Elle devait s'unir à Notre-Seigneur, recevoir sa parole de grâce avec docilité, et s'abandonner à lui avec confiance. C'est ce que la bonté divine voulait opérer en elle par ces douces paroles qu'elle lui adressa: adoucir l'intérieur de cette pauvre affligée, calmer son esprit, la fixer vers celui qui est la seule vie des âmes, et l'unir à lui par un abandon plein d'amour et de confiance.

Notre-Seigneur ajoute à ces divines paroles: Credis hoc? C'est avec une bonté inconcevable qu'il traite ses amis. Il procède en cela selon sa manière d'agir ordinaire dans les âmes. Il veut attirer Marthe à lui par cette foi parfaite, pleine d'amour, d'abandon et de confiance; cette bonne âme en était bien éloignée, et [elle était] au contraire très agitée, comme il a été dit plus haut. Il commence donc par lui exprimer une grande douceur par ces saintes paroles qu'il vient de lui dire; par là il calme ses sens agités d'une manière passionnée par la tristesse et la peine. Cela fait une fois, cette âme sera disposée à fixer son attention vers lui, à l'écouter et à se laisser entraîner. Alors il lui donne une impression de foi pour lui faire croire cette vérité, et lui faire concevoir par là cette vertu et [cette] perfection dans lesquelles il veut la faire entrer. Ces âmes touchées de la sorte par la grâce n'entrent pas d'abord dans ces perfections; avant de les posséder, elles entrent dans de grands sentiment de foi envers ces objets; cette foi les fixe davantage en Notre-Seigneur, et les rend ensuite peu à peu conformes à cette vue que le divin Seigneur leur présente, et qui fait l'objet de leur foi.

Ce qui marque ici la bonté particulière du Sauveur pour cette bonne âme, c'est que, après lui avoir dit la chose, non seulement il excite intérieurement sa foi, mais il l'y exhorte par ses paroles; (il faut toujours remarquer [qu']aux paroles du Sauveur répond une grâce intérieure). Et non seulement il l'excite par ses paroles, mais il lui adresse ces paroles par forme de question, afin de lui faire faire un acte. Les actes prononcés fortifient considérablement l'âme dans la foi.

× XI,27

Ait illi: Utique, Domine ego ¦ Elle lui répondit: Certainement,

credidi, quia tu es Christus ¦ Seigneur, je crois que vous êtes le

filius Dei vivi, qui in hunc ¦ Christ, le Fils du Dieu vivant, qui

mundum venisti. ¦ êtes venu en ce monde.

La parole du Sauveur eut tout son effet. Marthe reprend toute son ancienne ferveur et fait une belle confession. On voit combien son coeur adhère à la vérité que le Sauveur vient de lui annoncer, et qu'il se porte tout entier vers lui, principalement par l'assurance avec laquelle elle professe sa foi. Certainement, Seigneur je crois. Il n'y a qu'un instant, son esprit était dans le vague, son coeur hésitait; maintenant elle est animée: Certainement ,Seigneur, je crois. Le mot credidi au passé signifie le présent, comme cela est assez commun dans le langage des hébreux. Je crois, dit-elle, que vous êtes le Fils du Dieu, qui êtes venu dans ce monde. On voit encore par là la lumière que la divine parole de Notre-Seigneur jeta dans cette âme. Tout à l'heure elle dit: Je sais que tout ce que vous demandez à Dieu, il vous le donnera. Et maintenant elle dit: Vous êtes le Fils de Dieu qui êtes venu dans ce monde. Cela vient de ce que la divine Sagesse venait [de] dire qu'elle était la résurrection et la vie. Marthe ne comprenait pas ce langage; cependant ces paroles accompagnées de la grâce intérieure jettent dans son esprit une lueur assez grande pour qu'elle pût voir confusément quelle était la grande lumière éternelle qui se manifestait à elle. Cette bonne âme voyait donc quelque chose, mais elle ne pouvait se rendre compte exactement de ce qu'elle voyait. Quoiqu'elle confessât la divinité du Fils de Dieu, elle ne conçut pas cependant comment cela était ainsi: elle ne connut rien de l'Incarnation. La connaissance parfaite de l'union du Fils de Dieu avec le Fils de l'homme était réservée au jour de la Pentecôte. Avant ce temps-là, la Très Sainte Vierge, saint Joseph et saint Jean-Baptiste étaient les seuls qui eussent cette connaissance.

Il paraît cependant certain que sainte Marthe eut en ce moment cette connaissance par ces paroles qu'elle dit qui in hunc mundum venisti. Si elle avait compris ces mots: Fils de Dieu, dans un sens vague qui ne dirait pas plus que prophète ou que juste, on ne voit pas pourquoi elle ajouterait qui in hunc mundum venisti. Elle sentait que le Sauveur n'avait pas toujours été dans ce monde, et qu'il y était venu du sein de Dieu. Mais comment cela s'était fait, son esprit ne s'en occupait pas, ni des autres grandes difficultés qui semblaient devoir se présenter si naturellement.

Quand on connaît l'action de la grâce dans les âmes, on ne s'étonne pas de ce qu'elle ne cherchait pas à éclaircir cette vue obscure qu'elle avait de cet objet important. Cela vient de ce que toutes les fois que la grâce divine nous donne une lumière intérieure par une impression forte, cette lumière, quoique très obscure, embrase tout notre esprit, surtout quand l'impression est très sensible. L'esprit ainsi embrasé et jouissant d'une manière si sensible de cette vue obscure et vague, est tellement préoccupé de cette vue et de la jouissance qui lui en revient, que l'idée ne lui vient pas même de scruter la chose pour y voir plus clair.

Or, tel était l'état de Marthe, et de toutes les âmes à qui Notre-Seigneur donna, avant son Ascension, cette connaissance obscure de sa divinité. Dans cet état la curiosité ne vient pas, et, lorsqu'elle vient, la grâce n'est plus si forte et si sensible, et cette curiosité achève de diminuer la grâce, de rendre la vue plus obscure, et alors la nature prend ordinairement le dessus et l'âme quitte Notre-Seigneur. Ce malheur arrivait bien souvent aux Juifs. On en voit un certain nombre qui le suivaient pendant longtemps, et finissent par le quitter; tandis que les disciples fidèles ne cherchent pas tant à comprendre, mais ils croient avec un grand abandon à leur Maître. Le plus grand obstacle à la perfection de la foi est de vouloir comprendre ce que l'on entrevoit. Cette curiosité naturelle, cette recherche scrutatrice en cette matière ruine tout: Scrutator majestatis peribit a gloria [Celui qui scrute la majesté périra de sa gloire. Cf. Prov. 25,27 vg.].

On pourrait dire aussi que ce mot credidi est au passé. Marthe, dont l'âme fut animée d'une foi plus vive par ces paroles de lumières sorties de la bouche du Seigneur dit: Certes, Seigneur, je crois ce que vous dites là. Même quand j'ai hésité tout à l'heure, quand j'ai été dans le vague, je croyais aussi que vous êtes le Messie, Fils de Dieu vivant. Cette explication supposerait que Marthe n'avait jamais cessé de croire que Notre-Seigneur était le Fils de Dieu. Que si elle venait de dire qu'il obtiendrait par la prière tout ce qu'il demandera, ce fut dans ce moment d'obscurité, de peine et de tristesse qu'elle dit cela, sans trop attacher de sens strict à sa parole, tandis qu'au [fond] la même croyance existait toujours.

× XI,28

Et cum haec dixisset, abiit et ¦ Après qu'elle eût dit cela, elle s'en

vocavit Mariam sororem suam ¦ alla et appela Marie, sa soeur, en

silentio, dicens: Magister ¦ secret, disant: Le Maître est là, et

adest, et vocat te. ¦ il t'appelle.

L'activité naturelle de Marthe pouvait avoir été cause qu'elle alla sitôt chercher sa soeur après cette courte conversation avec Notre-Seigneur; mais il paraît que ce fut par l'inspiration d'un pieux mouvement intérieur. Cette âme ayant reçu cette parole de consolation et sentant son coeur fortifié, ne peut conserver sa consolation pour elle seule, elle ne peut rester en repos là-dessus. Elle va aussitôt, pleine de joie, prévenir sa soeur pour qu'elle vînt aussi voir le Seigneur. Elle lui dit que le Maître l'appelle. Elle a peut-être conclu cela, d'après les grands sentiments de tendresse qu'elle lui connaissait pour Marie. Il est probable qu'en quittant Notre-Seigneur elle lui dit qu'elle allait chercher sa soeur, et alors il était naturel qu'elle dît à sa soeur que le Seigneur l'appelait. Le Seigneur est là et vous appelle, ce qui veut dire: Il vous attend, et pour cela il n'était pas nécessaire qu'il se fût prononcé là-dessus.

Elle lui dit cela dans le silence, c'est-à-dire en secret, de façon que ceux qui étaient là ne s'apercevaient pas qu'elle l'appelait. La raison pour laquelle elle agit ainsi en cachette est qu'elle voulait que Marie pût parler au divin Consolateur seule et sans être environnée de tout le monde. Ce put être aussi la raison pour laquelle elle avait quitté si brusquement Notre-Seigneur, afin de pouvoir procurer à sa soeur la consolation de lui parler à son aise avant qu'il ne fût entré dans la ville, où ordinairement il était de suite environné de toute la foule. Elle comptait bien revenir avec sa soeur, et jouir à loisir de la grande suavité que les deux mots qu'elle venait d'entendre avaient déjà répandue dans son coeur.

× XI,29

Illa ut audivit, surgit cito, ¦ Ce que celle-ci ayant entendu, elle

et venit ad eum. ¦ se leva promptement et vint à lui.

× XI,30

Nondum enim venerat Jesus in ¦ Car Jésus n'était point encore entré

castellum, sed erat in loco, ¦ dans le bourg, mais il était dans le

ubi occurrerat ei Martha. ¦ lieu où Marthe l'avait rencontré.

Le peu de mots que Marthe dit à Marie rendit à celle-ci toute l'énergie d'une âme aimante comme la sienne; elle était triste et dans la langueur. Les Juifs étaient là pour la consoler, mais une âme qui brûle de l'amour de Jésus ne peut être consolée par les hommes; le seul nom de son Maître lui rend plus de vie et d'énergie que tous les discours humains les plus éloquents ne peuvent lui en donner. Elle se lève avec vivacité, et suit sa soeur sans dire mot à personne, comme cela paraît bien par ce qu'en pensaient les Juifs. Le nom de son Maître la remplit tellement, qu'elle oublie tout pour se rendre auprès de Celui qui est le seul objet de son amour et seul capable de la consoler.

La bonté divine de Jésus l'attendait au même endroit où Marthe lui avait parlé. Ceci est assez l'habitude de Notre très aimable Maître. Il attend les âmes. Il ne vient pas lui-même, ou [n'agit pas] de telle sorte qu'il ne leur reste rien à faire, mais il les attend, et en les attendant il les attire à lui avec une bonté infinie et par une douceur intérieure qu'il donne, et quelquefois par les événements de sa divine Providence. C'est ainsi qu'il attira les bergers, les Mages, Nathanaël, Nicodème, la Samaritaine, saint André et cet autre disciple de saint Jean-Baptiste et une foule d'autres; et quand ces âmes sont fidèles à suivre l'attrait de son divin amour et viennent à lui, il les comble de grâces et de faveurs. C'est ce qu'il dit aux Juifs dans un endroit déjà vu: Cum exaltatus fuero, omnia traham ad me ipsum [Jn. 12,32]. Le Verbe éternel du Père attire la très sainte Humanité et l'unit à Lui, et par cette admirable union il demeure en elle corporellement, comme dit saint Paul, en la rendant parfaitement participante de la substance de sa divinité. Cette admirable Humanité sainte, par la vertu divine qui réside en elle substantiellement, nous attire à elle, et par la sainte union dans laquelle elle nous unit à elle, elle nous communique la vie divine dont elle a la plénitude.

La divinité du Verbe ne vint pas à l'Humanité du Fils de Marie; car, quelque parfaite et admirable que fût cette sainte et aimable Humanité, la divinité ne pouvait pas sortir de son propre sein pour s'unir à cette sainte Humanité, qui lui était si infiniment inférieure. Dieu ne pouvait pas sortir de son immense et infinie perfection, pour s'unir à l'imperfection; car l'Humanité adorable de Jésus, Fils de Marie, quelque grande, quelque pure, quelque sainte, quelqu'aimable et quelque parfaite qu'elle soit devant la divinité du Verbe, elle est une imperfection, et tellement qu'elle perd sa personnalité à cause de son union avec le Verbe. Il est donc évident que le Verbe ne pouvait pas venir à la sainte Humanité pour s'unir à elle; mais il prit dans le sein de la très pure et très immaculée Vierge Marie la substance de cette Humanité, il créa une âme digne de lui être intimement unie, la dota de grandeurs, de beautés et de richesses si immenses, qu'il [est] impossible à aucune créature (exceptée peut-être Marie) de la considérer sans en être éblouie et accablée; et [cela] par l'opération du Saint-Esprit, qui forma cette substance du corps pur et saint de cette céleste Humanité, pour unir cette âme admirable à ce corps si saint et si pur, et pour attirer et unir à sa divinité ce corps et cette âme.

Ainsi donc le Verbe ne s'unit pas au corps et à l'âme de Jésus, fils de Marie, mais il se les unit à lui-même, et les rendit ainsi à jamais l'objet de l'amour et de l'adoration de tous les enfants de Dieu. - Si saint Paul dit que le fils de Dieu s'est anéanti, cela ne s'oppose pas à ce qui vient d'être dit. Cet anéantissement existe tout de même. Le Verbe, de toute éternité, était égal au Père, et lui rendait les devoirs substantiels, essentiels et infinis, précisément par cette égalité. Mais, en s'unissant la sainte Humanité, être créé, qui, en sa qualité de créature et de serviteur de son Dieu, doit lui rendre les devoirs du néant et de serviteur; et certes, cette admirable Humanité ne cessait et ne cessera jamais un instant, de rendre au Père ces devoirs de néant et de serviteur. Or tous ces devoirs seront en même temps les devoirs du Verbe; il est donc vrai que le Verbe a pris la forme de serviteur et qu'il s'est anéanti.

Maintenant pour expliquer entièrement ce dont il s'agit ici: Le Fils de Dieu établit la même union avec nous comme il l'a avec l'Humanité sainte, tirée du sein de Marie; seulement, cette union est moins parfaite et se fait précisément par cette sainte Humanité; et, par cette sainte union qui est opérée en nous par le moyen de cette sainte Humanité unie au Verbe, la vie divine nous est communiquée. De là, le Fils de Dieu ne vient pas à nous, mais il nous attire à lui, comme il a attiré divinement et avec une perfection inconcevable sa sainte Humanité. Notre attraction n'est pas aussi parfaite, bien entendu. Cette sainte Humanité a été et est éternellement attirée en réalité et par une loi unique et spéciale établie pour elle seule; pour nous, c'est une loi commune surnaturelle, par laquelle nous sommes attirés et unis à cette sainte Humanité, et par elle et avec elle au Verbe divin. La loi qui a attiré la sainte Humanité est une loi, de sa nature, fondée sur l'unique et absolue volonté divine, sans aucune participation de la volonté humaine; en nous, c'est une loi commune fondée sur la volonté divine, mais non sur la volonté absolue, il y faut la participation de notre propre volonté; et cela seul suffit pour faire voir l'imperfection de notre union; car, tout ce qui sort de la créature est imparfait, notre volonté n'est capable de rien que d'imparfait. Aussi, plus il se trouve de la participation divine dans notre union, plus elle est parfaite, et si notre volonté y abonde davantage, elle est plus imparfaite.

Cette attraction de la volonté divine se fait en nous par la grâce qui nous est communiquée par le moyen de la sainte Humanité, et cette grâce doit opérer cette union qui se fait par la tendance de notre âme vers celui qui nous attire. Cette tendance se fait par la foi, l'espérance et la charité. - Par tout cela on comprend facilement que Jésus ne vient pas à nous et en nous, mais il nous unit à lui, et, une fois unis à lui, il devient notre vie, en nous communiquant la sienne, qui est celle du Père qui est substantiellement en lui par le Verbe.

C'est ce qu'il pratique même par sa conduite extérieure, car sa conduite extérieure a la même efficacité que l'intérieure, s'il trouve les dispositions nécessaires dans les âmes. Il attend les âmes. Il se sert de sa grâce qu'il met en elles pour les attirer, et quelquefois, comme dans cette circonstance dont il s'agit ici, il met cette grâce dans d'autres moyens qu'il emploie pour opérer cette attraction. Cela se voit comme ailleurs; ainsi il se sert des anges pour attirer les pasteurs, de l'étoile pour les mages, d'une circonstance providentielle pour la Samaritaine, de Philippe pour Nathanaël et de Marthe pour Marie. Il est le maître de ses dons, il les emploie comme il lui plaît. - Quand ensuite les âmes obéissent à sa voix et répondent à cette attraction, alors il opère plus parfaitement en elles et leur communique abondamment la vie divine qu'il possède.

× XI,31

Judaei ergo qui erant cum ea ¦ Cependant les Juifs qui étaient dans

in domo, et consolabantur eam, ¦ la maison avec Marie, et la

cum vidissent Mariam quia cito ¦ consolaient, lorsqu'ils la virent se

surrexit et exiit, secuti sunt ¦ lever si promptement et sortir, la

eam dicentes: Quia vadit ad ¦ suivirent, disant: Elle va au

monumentum, ut ploret ibi. ¦ sépulcre pour y pleurer.

Le mouvement subit et vif que le divin amour fit faire à Marie étonna les Juifs. Elle était tranquillement assise, probablement sans dire mot, triste et accablée sous le poids de sa douleur; tristesse augmentée probablement par cette pensée: si le Maître avait été ici, mon pauvre frère vivrait encore. Etant ainsi comme sans mouvement et sans vivacité, tout à coup elle reprend toute l'énergie de sa sensibilité, elle se lève et s'en va, sans faire attention à ceux qui étaient là pour la consoler, sans leur adresser une seule parole. Cela les étonne. Ils ne peuvent attribuer qu'à la violence de la douleur ce changement subit qu'ils aperçoivent en elle, ne sachant pas ce qui pouvait y avoir donné lieu. Ils pensent qu'une pensée affligeante s'était subitement emparée d'elle, et qu'elle allait pleurer sur la tombe de son frère. Comme sa démarche était vive et rapide, ils n'eurent pas le temps de lui demander où elle allait, ils ne pouvaient que la suivre. Ces pauvres Juifs, peu éclairés de ce qui se passait dans cette âme, prenaient pour douleur accablante ce que l'amour opérait en elle. Ce mouvement était mêlé de douleur à la pensée de son frère, mais en même temps la grâce animait ce coeur et l'attirait avec violence. Cette pauvre âme retrouve la vie dans la pensée de se voir en la présence de son Sauveur. Elle était accablée sous le poids de la plus forte tristesse, à cause de l'absence de celui-là seul qui lui était cher sur la terre et qui seul pouvait la soulager et la consoler. Voilà quatre jours qu'elle est dans cet accablement, elle est presque sans vie; elle apprend son arrivée, elle court bien vite s'épancher devant lui avec son amour violent, et recevoir sa consolation.

× XI,32

Maria ergo, cum venisset ubi ¦ Et quand Marie fut venue où était

erat Jesus, videns eum, ¦ Jésus le voyant, elle tomba à des

cecidit ad pedes ejus, et ¦ pieds, et lui dit: Seigneur, si vous

dicit ei: Domine, si fuisses ¦ eussiez été ici, mon frère ne serait

hic, non esset mortuus frater ¦ pas mort.

meus. ¦

Marie est habituée à trouver de grandes faveurs aux pieds du Sauveur, aussi aimait-elle à y être. Déjà une autre fois, dès le premier moment que la grâce l'attira vers ce bien-aimé, elle sut trouver ce grand secret de se mettre à ses pieds avec un amour humble et ardent, et elle obtient le pardon de tous ses péchés, elle obtient sa propre résurrection; maintenant elle va avoir la résurrection de son frère. Une autre fois, elle est aux pieds de Jésus pour écouter sa sainte doctrine, et elle reçoit des grâces sans nombre, qui la font avancer de plus en plus dans la perfection du divin amour.

Mari étant éloignée de Jésus, sa douleur était triste, morne et pénible; son coeur n'étant pas auprès de Jésus ne trouve personne pour s'épancher, ce coeur était sous l'oppression. A peine voit-elle son Bien-Aimé, que ce coeur s'épanche avec une grande effusion de larmes, qui ont dû être bien suaves et toutes détrempées de la grâce divine.

C'est le propre des âmes fortement animées de l'amour divin: dans leurs ardents épanchements, elles sont aux pieds de leur Maître. Ce n'est pas tant l'humilité que l'amour qui les met dans cette posture, par l'action vive et pénétrante de la grâce divine en elles. Cette impression de la grâce est si violente, et l'amour qu'elle inspire si vif, que l'âme, malgré toute l'ardeur de son mouvement, y est plus passive qu'active. Ce mouvement passif, dont l'âme se ressent si vivement, se retrace dans l'imagination sous la posture de la prostration aux pieds du divin Maître; et c'est ce qui fait qu'on se voit comme prosterné aux pieds de Notre-Seigneur, quoiqu'on soit debout ou assis, par une fiction presque passive de l'imagination. Cette fiction ou représentation est presque passive, parce que l'imagination ne travaille pas pour faire cette représentation, mais c'est un effet de cette même impression de la grâce qui, en même temps qu'elle agit sur les puissances de l'âme, exerce la même action sur l'imagination. - C'est de là que venait l'action extérieure de Marie qui se jetait si souvent aux pieds de Notre-Seigneur; cela se faisait sans réflexion, par l'effusion de l'amour divin qui agit si puissamment sur elle, y produisait de si fortes impressions, et par suite agit de même sur l'imagination, et de l'imagination se communique à l'action, sans qu'elle fît trop attention à ce qu'elle faisait, par la force de l'impression intérieure qui l'absorbait.

Toute cette action était pour ainsi dire un effet passif de cette forte impression d'amour qui la remplissait. Le terme du saint Evangile l'indique assez: Cecidit ad pedes ejus. Elle est accablée d'affliction; quand elle apprend que son grand consolateur était là, la grâce la touche et l'attire fortement. Ce mouvement vif de la grâce divine qui excite son amour, produit un changement dans sa tristesse et son affliction. Au lieu que cette douleur fût morne et abattue avant la venue de cette divine attraction, elle devint énergique et expressive par le divin amour dont elle prend la forme et l'action énergique. Elle vient, animée de ce violent sentiment et, dès qu'elle voit son Bien-aimé, cet amour prend tout son développement, et elle se laissa tomber à ses pieds.

Il est évident que ce fut cette impression intérieure qui l'animait et la dominait, qui produisit ce laisser-aller. Cette impression était alors une impression de douleur qui s'épanche, parce que la circonstance où l'âme se trouvait était une action d'amour, opérée par la forte impression de la grâce divine. Marie se laisse entraîner dans sa douleur, et, par l'impulsion ardente de la grâce et de l'amour divin, elle se laisse tomber aux pieds de Jésus, son amour unique et son Consolateur.

Des torrents de larmes coulent de ses yeux. La source de ces larmes était la circonstance douloureuse qui les excitait; mais le principe qui les attire, qui leur ouvre la porte, et les fait couler avec cette abondance, était le divin amour. Ce qui peut-être a été l'occasion de cette nouvelle sensibilité et de cette abondance de larmes, ce fut l'idée du grand amour de Notre-Seigneur pour Lazare qui se présentait vivement à l'esprit, et le regret que la sainte avait de l'absence de Notre-Seigneur pendant le temps de la maladie de son frère; ce que semblent signifier les paroles qu'elle adresse à son divin consolateur. Mais ces paroles auraient pu être prononcées par suite de ce grand mouvement d'amour, qui l'animait en ce moment. Cela aurait pu arriver d'autant plus que cette idée préoccupait les deux soeurs tout le temps qui précédait l'arrivée du Seigneur; et alors, dans cet épanchement amoureux de sa douleur, elle reproduit cette pensée habituelle de son esprit avant cette violente impression.

Cette dernière explication paraît plus vraisemblable; car l'impression, que devait faire et que faisait évidemment sur elle la nouvelle de l'arrivée du Sauveur, a dû détourner son esprit de cette pensée habituelle, et frapper vivement son coeur d'un autre sentiment que celui, qui servait sans cesse à l'abattre par la douleur; par conséquent ces larmes et ce rafraîchissement de sensibilité ne venaient pas de la saillie nouvelle de cette idée triste; cette idée n'était plus assez saillante pour produire cette douleur et ces larmes, elle ne pouvait plus faire subitement un aussi violent effet sur son imagination.

× XI,33

Jesus ergo, ut vidit eam ¦ Mais lorsque Jésus la vit pleurant,

plorantem et Judaeos, qui ¦ et les Juifs qui étaient venus avec

venerant cum ea, plorantes, ¦ elle pleurant aussi, il frémit en son

infremuit spiritu, et ¦ esprit, et se troubla lui-même.

turbavit seipsum. ¦

L'objet des larmes de Notre-Seigneur ne peut être la mort de Lazare, puisqu'il savait qu'il allait ressusciter. D'ailleurs, la privation de la jouissance d'un ami ne pouvait faire verser des larmes à Notre-Seigneur. Personne ne pouvait croire cela; car il ne voulait jamais jouir des créature, sinon dans la gloire de son Père opérée en elles et en elles. Aussi l'Evangéliste a soin de marquer la raison: ut vidit eam plorantem etc. Ces paroles nous indiquent trois causes des larmes du divin Maître.

La première par sa bonté pour Sainte Marie. Il se proportionne à sa faiblesse, à l'état où elle se trouve, et entre dans ses sentiments pour la remplir de ses grâces divines. Cette sainte âme était dans un grand accablement de douleur, elle était sous le poids de la faiblesse humaine, qui, dans les circonstances où elle était, se trouvait accablée, et, comme son coeur était extrêmement sensible, elle en était plus affligée que d'autres ne l'auraient été. La bonté divine a compassion d'elle, et daigne répandre des larmes sur sa douleur, et par là répandit une grande effusion de grâces dans cette âme, qui ont dû produire en elle une consolation extrêmement grande. Car si, en voyant un homme charitable touché et pleurant de notre affliction, nous en ressentons un grand soulagement et acquérons beaucoup de forces pour soutenir notre malheur, à combien plus forte raison les larmes du Fils de Dieu ont-elles dû produire un grand effet de grâces dans Marie pour la consoler, et la sanctifier par cette affection qu'elle éprouvait.

De plus, Marie était dans un état de tristesse extrême et accablée de douleur. C'était là la disposition de son extérieur. Le Fils de Dieu, par une bonté inouïe, se conforme et se proportionne ordinairement à l'état de nos âmes, se fait petit et pauvre avec nous, pour nous sanctifier dans l'état où il nous voit. C'est pour cela qu'il s'est fait homme, afin de pouvoir entrer dans nos petitesses et nos pauvretés. C'est dans ce sens que parle saint Paul quand il dit que nous avons un Pontife qui peut compatir, c'est-à-dire souffrir avec nous [He. 4,15]. C'est ce qu'il fait dans cette circonstance. Il voit cette pauvre âme dans une disposition d'affliction, il ne tend pas à lui inspirer de la joie. Mais il veut que cette affliction et cette tristesse soient saintes et sanctifiantes. Aussi son opération intérieure est-elle une opération conforme aux sentiments de douleur qui se trouvaient en Marie. Il prend la forme de cette âme, pour la rendre sainte dans la forme où il la trouve.

Mais on se demandera: Pourquoi il a plu à ce divin Seigneur de pleurer extérieurement? N'aurait-il pas pu opérer tout de même à l'intérieur comme il a fait? Mais il faut savoir que, pendant sa vie sur la terre, l'extérieur de son Humanité sainte se conformait aux opérations intérieures; car toutes les opérations de grâce ne se faisaient alors que par l'expression sensible de l'adorable Humanité du Fils de Dieu, et l'on verra toujours dans toute sa conduite les grâces intérieures répondre aux actions extérieures. L'Humanité sainte était et sera toujours le canal unique des grâces qui viennent de la divinité, et, comme alors son existence sur la terre était une existence sensible et toutes ses communications avec les hommes étaient une communication sensible, de là il résulte que, lorsqu'une grâce devait être communiquée aux hommes, ce fut par une action sensible. Ainsi donc, quand il a plu à sa Majesté divine de verser des larmes sur Marie, cette bienheureuse créature en retira de grands dons de sainteté dans sa douleur.

Les serviteurs du Fils de Dieu peuvent tirer un grand profit de l'exemple de leur Maître pour la sanctification des âmes affligées. Ce n'est pas chercher à les égayer par nos manières gaies, mais de pleurer avec ceux qui pleurent, comme dit saint Paul; mais il faut pleurer saintement, pour que nos larmes sanctifient les leurs, et pour que nous versions la grâce dans leurs âmes en même temps que nous prenons part à leur affliction.

Par là aussi le très doux Sauveur manifeste à cette bonne âme l'intérêt qu'il lui portait, l'amour qu'il avait pour elle; et cette manifestation devait porter dans cette âme un degré d'amour très violent pour ce bien-aimé Seigneur.

La deuxième cause des larmes du Fils de Dieu, [ce] furent les Juifs. Il voulait leur montrer combien il aimait ceux qui croyaient en lui, et le suivaient avec amour, et combien il les consolait et les secourait dans leurs peines. Et comme ensuite il devait faire ce miracle et manifester sa puissance, ces Juifs devaient être bien plus disposés à croire en lui et à s'attirer sa tendresse. De plus, comme ces Juifs étaient touchés et pleuraient à la vue des larmes de Marie, en voyant ainsi Jésus mêler ses larmes aux leurs et partager leurs peines, ils devaient être bien plus disposés à croire en lui, lorsqu'ils verront le miracle s'opérer. On voit en cela une bonté admirable dans la conduite de Jésus. Il voulait sauver les pauvres Juifs; pour cela il fallait leur communiquer sa foi; pour cela il allait faire ce grand miracle; mais, pour que le miracle opérât véritablement la foi, il fallait d'abord que la volonté de ces hommes fût mieux disposée qu'elle ne l'était. Ils étaient pleins de toutes sortes de défauts et de préjugés, qui étaient cause que ces miracles ne les rapprochaient pas parfaitement du Fils de Dieu et ne leur donnaient pas cette foi parfaite qui était dans le coeur de Marie et de Marthe. Car, pour qu'un homme puisse parfaitement profiter de ces miracles et entrer dans un sentiment de foi, il faut la disposition de la volonté qui précède et qui fait qu'on se rend plus facilement aux sollicitations de la grâce. C'est pourquoi le divin Sauveur commence par faire cette action pour toucher leur volonté, et immédiatement après il les mène au tombeau pour frapper leur esprit, pour les forcer pour ainsi dire de se rendre.

C'est encore là une grande leçon pour ses serviteurs. Qu'ils apprennent que s'ils veulent ramener à la foi une âme égarée, il faut commencer par toucher sa volonté et l'attirer. Quoique la foi soit la vertu propre de l'intelligence, elle est cependant fondée sur la disposition de la volonté, sans laquelle il n'y a pas de vertu et surtout pas de foi.

La troisième cause des larmes du Fils de Dieu, [c']est pour nous apprendre ce qu'il faut penser de ces sortes de douleurs, et comment il faut nous y comporter. Ces douleurs par elles[-mêmes] ne sont pas mauvaises, et les larmes qu'on verse dans ces circonstances ne sont pas blâmables. C'est ce que le Sauveur nous montre, en s'excitant lui-même à cela, en voyant Sainte Marie et les Juifs en larmes. Par là il nous apprend qu'il approuve même ces larmes, si elles ont lieu avec certaines dispositions, quand elles sont animées et dominées par la grâce, comme étaient celles de Marie, soeur de Marthe, selon l'explication qui en a été donnée au verset précédent, quand on se laisse tomber ainsi aux pieds du divin Maître avec amour et abandon, comme cette sainte personne vient de faire. La mort des proches, selon la nature des choses, doit produire une certaine douleur. C'est une punition du péché, non seulement pour ceux qui sont morts mais aussi pour ceux qui vivent encore, et cela en deux manières: la première consiste dans l'appréhension et l'horreur naturelle de la mort, et la deuxième dans la douleur qu'elle cause, lorsqu'elle frappe ceux que Dieu nous a unis. Cette [douleur] est ou naturelle ou surnaturelle, et, dans l'un et l'autre cas, la mort qui sépare peut causer de la douleur. Dans la [douleur] surnaturelle, nous avons l'exemple de saint Paul qui, en parlant d'un de ses coopérateurs qu'il aimait beaucoup dans la charité de son Maître, et qui venait de relever d'une dangereuse maladie, annonce aux fidèles sa guérison et dit que Dieu a voulu avoir compassion de lui et ne pas lui laisser avoir tristesse sur tristesse.

Dans l'union naturelle, nous avons plusieurs exemples dans l'ancien Testament, et celui dont il s'agit ici que le Sauveur approuve et sanctionne par sa divine grâce qu'il y mêle et par son exemple. Pour concevoir la raison qui nous montre pourquoi cette douleur et ces larmes ne sont pas mauvaises, il faut considérer ce qu'elle est, [cette douleur], en elle-même et dans son principe. Que son principe soit une affection naturelle ou surnaturelle, elle est bonne tout de même. Car voici comment cette douleur a lieu: nous sommes attachés par des liens naturels ou surnaturels à une personne. Si ces liens sont surnaturels, l'affection est méritoire et très agréable à Dieu; si elle est naturelle, on entend celle qui est formée par l'auteur de la nature, le Créateur, et qui est par conséquent imprimée par lui-même dans notre âme, et par conséquent bonne, quoique par soi sans mérite pour le ciel (à moins qu'on ne la rende surnaturelle). Et non seulement [elle est] bonne, mais [elle est] nécessaire et obligatoire de droit naturel. L'une et l'autre affection sont donc bonnes, supposé qu'elles restent dans les bornes voulues par l'auteur de la nature et de la grâce. Ces affections, existant dans l'âme, produisent un certain effet dans les sens, qui les goûtent et en jouissent; cette impression qu'elles produisent dans les sens n'est pas mauvaise non plus, puisqu'elle est dans la nature de l'homme, non de l'homme corrompu et gâté par le péché, mais de l'homme tel qu'il sort de la main de Dieu. Lorsque tout à coup il arrive que Dieu nous enlève cette personne qu'il nous avait ainsi unie, les sens reçoivent un contre-coup, qui est proportionné à la force de l'affection que notre âme avait contractée; l'âme elle-même reçoit un certain coup. Ce coup porté à l'âme et aux sens produit la tristesse, la douleur et les larmes. Or, il faut bien savoir que ce coup qu'on reçoit, on le reçoit de main étrangère; la douleur que l'on souffre est par conséquent une passion qu'on n'excite pas en soi, mais qui nous vient d'ailleurs. Il n'y a donc pas de mal en cela, pas plus qu'il n'y en a, lorsqu'on souffre des douleurs au corps, après avoir été frappé à coups de bâton. Ces douleurs et ces larmes sont par soi des choses indifférentes; on peut en user mal ou bien, selon que l'on se laisse aller au sentiment de la nature corrompue ou de la grâce. Ici Sainte Marie, soeur de Marthe, sanctifia sa douleur en se laissant entraîner aux impressions de la grâce, qui l'amena devant Notre-Seigneur et la fit entrer dans les sentiments qu'on a vus plus haut. Dans ces cas, les peines et les douleurs produisent un bien considérable [dans les âmes] pour leur sanctification. [La douleur] fortifie dans une âme le renoncement à toute créature, ranime les sentiments de foi, fait entrer de plus en plus, et quelquefois parfaitement, dans un saint abandon à Notre-Seigneur et à la sainte volonté divine, et perfectionne considérablement l'union à ce divin Maître. Cependant, il arrive souvent que la grâce opère dans certaines âmes de telle sorte, que cette douleur et ces larmes n'ont pas lieu, en appliquant fortement ces âmes et en les absorbant quelquefois à d'autres considérations, qui les empêchent d'être frappées de l'objet pénible qui devrait faire la douleur. De là on peut conclure pour la pratique [que], lorsqu'on sent vivement la douleur, il faut avoir recours à Notre-Seigneur, comme Magdeleine, se servir de cette douleur et de ces larmes selon les vues de Dieu et le mouvement de la grâce intérieure; si l'on n'en éprouve pas, il ne faut pas s'en faire, mais obéir à la grâce divine qui est en nous. On peut conclure qu'il y a du mal, lorsque cette douleur est vide de la grâce et nous détourne de Dieu, nous trouble et agite. Quoiqu'il n'y ait pas de péché ni même [d']imperfection dans ces douleurs et ces commotions produites dans nos sens, il faut cependant savoir que ces choses viennent du péché, comme toute espèce de souffrance. Ce sont des faiblesses communes à tous les hommes, et devenues comme innées à leur nature depuis les ravages du péché. Cela étant ainsi, le Fils de Dieu fait homme ne voulut et ne put s'y soumettre que selon qu'il lui plaisait. Car, il eût été inconvenant pour sa vénérable et adorable personne d'être soumise malgré elle aux ignominies du péché. La passion ne pouvait jamais agir sur lui qu'autant qu'il le voulait bien. Il lui suffit de prendre la similitude du péché, en se conformant volontairement à ses frères bien-aimés, pour lesquels il est venu se sacrifier. Voilà pourquoi il dit: Turbavit semetipsum: c'est par un acte formel de sa volonté qu'il produit ce mouvement. Aucune puissance ni effet étranger [ne] pouvait agir sur son intérieur ni même sur ses sens. Il ne suffit pas d'une permission de la divinité, mais [il faut] une action formelle pour opérer ces effets.

Il faut remarquer ces paroles: Infremuit spiritu. Il ne faut pas croire que cela signifie que son esprit fut saisi par [un] frémissement, comme cela se fait dans les hommes, qui sont tous faibles et misérables par le péché qui les domine en cela. Ces paroles qui suivent montrent bien que non, puisqu'il dit: Turbavit semetipsum. C'est volontairement qu'il excita ce frémissement et la commotion des sens qui s'en suivit. L'explication la plus naturelle serait infremuit Spiritu, il frémit par l'Esprit-Saint. Tous les mouvements de l'Humanité sainte se faisaient par le divin Esprit, par son inspiration et [par sa] conduite immédiate. - Ainsi Jésus, notre adorable Maître, daigna en cette circonstance prendre une de nos faiblesses, par cette inspiration de son divin Esprit pour la sanctification des âmes. La raison pour laquelle on met ici que ce fut par l'inspiration du Saint-Esprit, (quoique toutes les actions de l'Humanité sainte étaient faites de la sorte) est parce qu'il s'agit ici d'une action qui, dans les autres hommes, se ressent du péché; c'est pourquoi le saint Evangéliste ne peut souffrir que cette idée vînt à qui que ce soit, et il montre que cette action était volontaire au lieu d'être une passion [comme] en nous, qu'elle était l'effet de l'inspiration immédiate de l'Esprit-Saint, au lieu qu'en nous elle est l'effet du péché.

Turbavit ne veut pas dire que ce trouble fut dans l'âme sainte de Notre-Seigneur. Cette âme admirable n'était et ne pouvait jamais être troublée. Ce trouble était cette perturbation des sens qui produit ordinairement les larmes, et qui n'influe pas nécessairement sur l'âme pour y opérer la même perturbation.

× XI,34

Et dixit: Ubi posuistis eum? ¦ Et il dit: Où l'avez-vous mis? Ils

Dicunt ei: Domine, veni et ¦ lui répondirent: Seigneur, venez et

vide. ¦ voyez.

Notre-Seigneur, après avoir produit cet effet de sensibilité sur lui-même, et manifesté sa tendresse pour cette pieuse famille, et après avoir fixé l'attention des deux soeurs et des Juifs, leur dit: Où l'avez-vous enseveli? Il le savait bien, mais ce fut pour provoquer en eux le désir et l'espérance de la résurrection qu'il allait opérer. Demander où on l'avait mis, et cela après s'être attendri sur la peine de ses amis, c'était presque s'offrir de le ressusciter. On connaissait sa puissance extraordinaire. Si leurs âmes n'avaient pas été si extrêmement abattues, les deux soeurs devaient concevoir les plus grandes espérances? Car par quelle raison voudrait-il aller à la tombe du défunt? Il devait d'autant plus l'éviter que, selon la loi, on contractait une impureté légale en y allant. Il est probable que Marie conçut en effet de bonnes espérances, quoiqu'elle ne dise rien; elle était dans l'attente sans doute et entre la crainte et l'espérance. Les Juifs ne pensaient sans doute pas à un miracle. Ils lui dirent cependant de venir et de voir. Voyant l'intérêt extraordinaire qu'il prenait au malheur des deux soeurs, ils pensaient qu'il allait à la tombe par amitié pour Lazare et ils étaient bien aise de l'accompagner; puisque d'ailleurs ils pouvaient présumer que Marie et Marthe ne le laisseraient pas aller seul.

× XI,35

Et lacrymatus est Jesus. ¦ Et Jésus pleura.

Jésus se mettant en route pour les suivre, versa des larmes, pour montrer de plus en plus la grande affection qu'il avait pour cette pieuse famille. C'est ainsi que Jésus, avec une bonté admirable, prépare ces âmes au grand miracle qu'il va opérer. A mesure qu'il s'approche de la tombe, il donne de nouvelles marques de sa tendresse, comme on voit par le second frémissement qu'il excita en lui-même (v.38), afin d'exciter la foi et l'espérance dans les âmes qui s'intéressaient au défunt.

× XI,36

Dixerunt ergo Judaei: Ecce ¦ Et les Juifs dirent: Voyez comme il

quomodo amabat eum. ¦ l'aimait!

Les Juifs ne virent dans la conduite du Sauveur qu'une amitié stérile. Cela les édifiait, il est vrai, mais ils n'eurent pas l'idée qu'il pourrait bien ressusciter le mort, puisqu'il l'aimait tant. Leurs réflexions n'allaient pas si loin. Cependant, c'était une bonne disposition, pour que le miracle opérât en eux selon les desseins [de Notre-Seigneur]. Cette pensée disposa favorablement leur volonté, ce qui était toujours nécessaire pour que les miracles pussent produire leur bien; car tous les préjugés des Juifs contre Notre-Seigneur les indisposaient contre lui, et les empêchaient de bien prendre les miracles qu'il opérait. Bien souvent ceux qui étaient le moins mal disposés n'en retiraient que la satisfaction d'une certaine curiosité et d'une vanité nationale; mais lorsque la conduite ou la divine parole de Jésus leur imprimait cette disposition de douceur, alors ils tiraient de ces miracles une foi réelle. C'est ce que la divine bonté de Jésus opéra dans cette circonstance: une plus grande abondance de foi dans ceux qui en avaient déjà, et cela même avant le miracle, et un commencement de foi dans ceux qui n'en avaient pas, par le miracle.

× XI,37

Quidam autem ex ipsis ¦ Mais quelques-uns d'eux dirent: Ne

dixerunt: Non poterat hic, ¦ pouvait-il pas, lui qui a ouvert les

qui aperuit oculos caeci nati, ¦ yeux d'un aveugle-né, faire que

facere ut hic non moreretur? ¦ celui-ci ne mourût pas?

Quelques-uns de ces Juifs mal disposé envers le divin Sauveur ne se laissèrent pas toucher par sa sainte conduite. Il a fallu que ces coeurs fussent bien endurcis et bien prévenus pour rester si insensibles. Les actions du Fils de Dieu produisaient toutes des effets de grâce, pour peu qu'elles trouvassent de dispositions; mais ses actions extraordinaires, on leur résistait difficilement: or celle-ci est de ce nombre. Le divin Seigneur manifeste son amour pour les âmes, et il le manifeste de la manière la plus forte que les hommes puissent le manifester. Il fait cette manifestation pour remplir d'amour ceux qui le voyaient agir; quelle n'a pas dû [être] la puissance de cette opération divine sur les âmes? Quand on voit pleurer un homme, la communication des sentiments d'attendrissements que la nature opère est telle, que peu de personnes y résistent. Mais quand le Fils de Dieu verse des larmes, quels on dû être les effets d'attendrissement qui devaient en résulter? Cependant ces hommes, au lieu d'en être touchés, se mécontentent de lui, et disent dans leur endurcissement: Est-ce que celui-ci, qui a ouvert les yeux à un aveugle-né, n'aurait pas pu faire que Lazare ne mourût point? Ces hommes croyaient, l'aveugle-né les y forçait, mais ils n'avaient pas la foi. Ils croyaient avec dépit, et leur malice qui les empêchait d'avoir la foi, ne pouvait leur enlever de la pensée que Jésus avait guéri cet aveugle qu'ils connaissaient. C'est pourquoi, pleins de cette malice,ils abusent de toutes les grâces que la divine bonté leur offrait. Ils se souviennent de ce miracle non pour se dire: Oh! bien sûrement, son amour pour Lazare va le lui faire ressusciter. Ils aiment mieux [se] livrer à leur malice qui les irrite contre le divin Agneau. Ils le voient si tendrement affectionné à Lazare et à ses soeurs; au lieu d'en être touchés et attendris eux-mêmes, ils se mécontentent et murmurent contre lui: Pourquoi l'a-t-il laissé mourir? On verra bientôt que la résurrection de Lazare ne fit pas une meilleure impression sur eux. Une âme, une fois entraînée dans sa malice, tourne en poison les plus grandes grâces que le tout divin amour de Jésus lui fait faire pour elle. O Jésus, mon amour et ma vie! vous êtes bien doux à mon égard. J'ai été bien plus méchant que ces Juifs, et vous m'avez cependant touché le coeur par votre extrême bonté. Vous m'avez empêché de tourner ainsi à ma perte les bienfaits de votre bonté. O divin Agneau, veuillez bien supporter la malice dont je suis encore plein maintenant: ne permettez jamais que je murmure; mais au contraire, remplissez-moi d'amour pour tout ce qu'il vous plaira de faire, afin que, de plus en plus, je n'aime, n'adore et ne désire que vous, ô mon divin amour!

× XI,38

Jesus ergo rursum fremens in ¦ Jésus donc frémissant de nouveau en

semetipso, venit ad ¦ lui-même, vint au sépulcre: c'était

monumentum: erat autem ¦ une grotte, et une pierre était posée

spelunca; et lapis ¦ dessus.

superpositus erat ei. ¦

Etant sur le point d'arriver à la tombe, Jésus excite de nouveau en lui ce frémissement. Dans ce moment, les Juifs allaient être attentifs à ce qu'il irait faire; voilà pourquoi il s'excite de nouveau à un attendrissement pour les disposer immédiatement au miracle. L'évangéliste ajoute que ce tombeau était une caverne à l'entrée de laquelle on avait posé une pierre; il semble dire cela pour l'explication de ce qui va être dit. Cependant, les âmes pieuses trouveront de quoi s'édifier dans toutes ces particularités, que l'Esprit-Saint n'a pas inspirées vainement. Car la résurrection de Lazare étant une image de la résurrection du pécheur, toutes ces circonstances marquées dans le saint Evangile représentent les choses qui ont rapport à l'état du pécheur.

× XI,39

Ait Jesus: Tollite lapidem. ¦ Jésus dit: Otez la pierre. Marthe, la

Dicit ei Martha, soror ejus ¦ soeur de celui qui était mort, lui

qui mortuus fuerat: Domine, ¦ dit: Seigneur, il sent déjà mauvais,

jam faetet, quatriduanus est ¦ car il est de quatre jours.

enim. ¦

Jésus, ayant disposé les coeurs au miracle qu'il allait opérer, voulait éprouver leur esprit et fortifier leur foi par l'action. Il n'avait pas besoin de se faire enlever la pierre; il aurait pu la faire [se] retirer d'elle seule et en même temps qu'il eût ressuscité Lazare, ou faire la résurrection d'abord. Mais il voulait faire agir la foi des assistants, et après cela, la volonté [étant] disposée comme elle était, et l'esprit [étant] actuellement agissant par la foi, le miracle devait produire de grands fruits. Ces paroles s'adressèrent particulièrement aux Juifs qui étaient [là]. Il est probable qu'ils se mirent de suite en devoir d'obéir à la voix du Sauveur.

Pendant tout ce temps Marie ne dit mot. Son coeur sans doute éprouvait les plus fortes commotions d'amour, pendant que tout cela se passait. Comme c'était pour l'amour d'elle principalement que le Fils de Dieu daigna verser des larmes, il semble qu'elle devait plutôt répondre que Marthe; mais non, elle était dans son silence contemplatif, et, soit qu'elle s'attendît à voir un miracle, soit qu'elle n'y pensait pas, parce que son âme était entièrement absorbée par l'amour dans son Seigneur, et dans toute cette bonté qu'il manifestait, elle se taisait et restait dans le calme du divin amour qui la remplissait. Elle se gardait bien de contredire son bien-aimé Maître, son esprit ne savait penser que comme son divin Maître pensait, et sa volonté suivait avec amour tous les désirs et les volontés divines de son Maître. Sa foi était pleine. Marthe, au contraire, n'avait pas une foi parfaite. Elle croyait que son Maître pourrait ressusciter Lazare; et s'il avait dit qu'il allait le ressusciter, elle aurait cru, mais de là à une foi parfaite il y a encore beaucoup de chemin à faire. Marthe avait de la foi et de l'amour, mais ni l'une ni l'autre parfaits. La foi parfaite exige une union [et] un abandon entiers de l'intelligence à la Sagesse éternelle, et l'amour une union et un abandon parfaits de la volonté. Comme l'amour n'a jamais aucun refus pour les moindres désirs de celui qui en est l'objet divin, de même la foi n'a jamais de réplique à ses paroles. Lorsqu'on apporte encore son esprit propre dans ses rapports avec le Sauveur, on trouve toujours à faire mal à propos toutes sortes d'observations, parce que notre esprit a encore des restrictions et notre volonté aussi. Si, au contraire, nous sommes dans la foi et l'amour parfaits, notre esprit et notre volonté sont entraînés à la moindre parole du Bien-aimé.

Le malheur, qui est arrivé à Marthe, d'apporter toutes sortes de résistances à notre divin Maître, arrive encore maintenant à bien des personnes qui désirent se donner à son divin amour. On a toujours toutes sortes de restrictions et de réflexions à faire aux inspirations intérieures, par lesquelles notre bon Maître nous parle intérieurement. Il y a très peu d'âmes qui sachent, comme Marie, se tenir dans le silence, dans le saint abandon d'une foi et d'un amour parfaits devant le Seigneur et le Maître de nos âmes. Peu de personnes se laissent entraîner ainsi amoureusement à la moindre manifestation de Jésus. D'où cela vient-il? Du même défaut qui était la cause de cela en Marthe. Cette bonne sainte avait une grande activité naturelle. De là il venait que son esprit ne pouvait pas être sous la parfaite dépendance du divin Esprit de son Maître; il s'échappait à tout instant, même lorsque la volonté était pleine de la suavité d'amour, et alors il était en opposition avec le divin Maître; au moins, il raisonnait, examinait et modifiait les paroles divines; sa volonté même par cette activité avait ses raideurs et ses résistances. Marthe manqua ici par une résistance d'esprit et une opposition de volonté. Le Sauveur lui avait déjà fait entendre d'une manière assez formelle qu'il allait ressusciter Lazare. Si son esprit avait été disposé à cet abandon à son Maître, elle l'aurait sûrement compris dès le premier moment; et même si elle ne l'avait compris qu'à demi, son esprit aurait été dans une douce attente, animé par l'espérance dans la bonté du Seigneur. Mais l'esprit, livré à sa propre activité, avait une tendance d'opposition, et c'est ce qui l'empêchait de comprendre clairement qu'il s'agissait de ressusciter son frère, même après tout ce qu'elle voyait dans son divin Maître. Sa foi n'était pas assez forte pour croire à demi-mot. -

La volonté même était en opposition, en ce qu'elle voulait empêcher d'ouvrir la tombe dans le moment même où le Sauveur l'ordonnait, quoique ce fût par bonne volonté qu'elle s'opposait à ce qu'on enlevât la pierre: (Jam faetet). Cependant une volonté bien abandonnée se laisse aller à la première manifestation de la volonté divine, et n'y trouve jamais rien à redire. La même chose arrive à toutes les âmes qui sont encore livrées à leur propre activité; avec la meilleure volonté du monde elles tombent dans une multitude de fautes, et même assez souvent cette même bonne volonté est la cause de ces fautes, parce que c'est cette bonne volonté qui met en mouvement cette activité naturelle. Aussi ordinairement le bon Maître a compassion d'elles et les ramène avec une douceur, une patience et longanimité admirables, comme il fit avec sainte Marthe.

× XI,40

Dicit ei Jesus: Nonne dixi ¦ Jésus lui répondit: Ne vous ai-je pas

tibi, quoniam, si credideris, ¦ dit que, si vous croyiez, vous

videbis gloriam Dei? ¦ verriez la gloire de Dieu?

Jésus reprend sainte Marthe avec une bien grande bonté. Il ne fait que lui rappeler ses divines paroles, qu'il lui avait dites plus haut (v.23, 25, 26) et qui devaient lui suffire pour avoir plus de confiance en son Maître et plus d'abandon, comme on vient d'exposer au verset précédent. C'est ainsi que Jésus reprend les fautes de ses amis. Marthe l'aimait et croyait en lui; seulement son amour et sa foi n'étaient pas parfaits, et Jésus est plein de bonté pour elle; il a égard à sa faiblesse. Voilà comme il agit ordinairement avec les âmes qui lui appartiennent. Lorsqu'elles sont infidèles à sa divine grâce et aux paroles intérieures qu'il avait la bonté de leur dire au fond de l'âme, il se contente de les rappeler à elles, de leur faire comprendre qu'elles auraient dû être plus fidèles, et [de] leur inspirer par là le repentir de leur faute, afin de les ramener à la fidélité. Une âme infidèle ainsi à son Dieu par une faiblesse passagère, et même si cela lui était arrivé à plusieurs reprises et d'une manière persévérante, comme cela arriva à sainte Marthe, ne doit pas se décourager pour cela, ni croire que le divin Maître l'abandonnera; oh! bien sûrement elle ne doit pas croire cela. Tant qu'elle a l'amour de son maître en elle, elle en sera aimée aussi, et il la ramènera avec bonté et douceur.

Notre-Seigneur dit à Marthe que, si elle croyait, elle verrait la gloire de Dieu par la résurrection de Lazare. Quel malheur pour nous d'être infidèles à notre Dieu! Il arrive très souvent que d'une petite infidélité il résulte un grand mal: comme ici cette bonne âme, par cette infidélité, allait priver Notre-Seigneur de la gloire qui lui revenait de cette résurrection. Elle se privait elle-même d'un grand degré de perfection que devaient acquérir sa foi et son amour, et les Juifs assistants, de la grâce de foi que cette résurrection devait leur procurer.

Il paraît que ces paroles eurent toute leur efficace. Marthe ne réplique pas comme elle faisait auparavant; elle se tait par le sentiment intérieur de la grâce qui l'animait par les divines paroles de son Maître; elle est dans l'attente, et le miracle est opéré.

× XI,41

Tulerunt ergo lapidem; Jesus ¦ Ils ôtèrent la pierre; alors Jésus

autem, elevatis sursum oculis ¦ levant les yeux en haut, dit: Mon

dixit: Pater, gratias ago tibi ¦ Père, je vous rends grâce de ce que

quoniam audisti me. ¦ vous m'avez écouté.

Il serait possible que les Juifs s'arrêtèrent, quand ils entendirent l'observation de Marthe, et que ce n'est que lorsqu'à la parole du Sauveur elle se rendit en gardant le silence, qu'ils se remirent en devoir d'enlever cette pierre. Ce mot ergo pourrait aussi se rapporter à cette parole de Notre-Seigneur: Tollite lapidem.

La pierre étant ôtée, le divin Seigneur élève les yeux vers le ciel. On trouve souvent dans le saint Evangile que Jésus élevait les yeux vers le Ciel. Cela arrive lorsque sa sainte Humanité veut rendre quelque devoir à la divinité. Il faisait cela pour trois raisons: pour que son corps saint contribue à louer son Père, et à exprimer ce que sa très sainte âme faisait dans ce moment; pour apprendre aux hommes qui étaient présents une partie de son divin amour, et par là faire sur eux la sainte impression qu'il désirait imprimer dans leurs âmes, impression qu'il communiquait par le mouvement sensible, par lequel il manifestait les dispositions et les actes admirablement saints de son âme céleste; enfin pour attirer du mérite et imbiber de sa grâce les actions extérieures que nous faisons ainsi, en exprimant par le corps les sentiments qu'il met dans nos âmes, et en honorant son Père céleste par ces actes extérieurs du corps. Car, toutes ses actions sur la terre étaient pour nous, selon cette sainte parole qu'il dit ailleurs: Et pro eis ego sanctifico meipsum [Jn. 17,19]. - Ces actions extérieures de son corps étaient toujours conformes et en rapport avec le genre de sentiment qui était dans sa sainte âme. Ainsi, à la montagne des Oliviers, il était prosterné face contre terre; ici qu'il s'agit d'une élévation d'âme vers son Père céleste par l'amour et pour lui rendre des actions de grâces, il élève les yeux.

Notre-Seigneur élève donc les yeux et rend grâces à son Père de ce qu'il l'exauce. Pour être exaucé, il a fallu qu'il eût prié; et comment le Fils de Dieu prie-t-il? N'est-ce pas lui qui a opéré cette résurrection aussi bien que son Père, puisqu'il lui est égal en puissance, et participe autant que le Père lui-même à tout ce qu'il fait pour les créatures? Mais il faut remarquer qu'il s'agit du Verbe incarné, qui nous obtient tous les biens et tous les dons de la nature et de la grâce par ses mérites infinis, qu'il offre sans cesse pour ses frères malheureux et pécheurs. Ces mérites offerts au Père sont les prières du Fils. Cela n'empêche pas que le Fils opère cette merveille par sa propre force, veni foras, parce que son Père lui a donné de faire ces oeuvres de puissance, comme il a bien voulu avoir l'extrême miséricorde de nous le dire plus haut; mais, quoique ce soit sa propre opération, cependant c'est par ses mérites présentés devant le trône de son Père, qu'il l'obtient.

Il dit: Audisti (au passé). Cela peut s'expliquer en trois manières. D'abord, selon l'usage des Hébreux, le passé se dit pour le présent; et dans ce cas, au moment où Notre-Seigneur opère les grâces en nous, c'est celui où il présente ses mérites devant son Père pour nous obtenir ce bienfait. Ainsi, au moment de ressusciter Lazare, il lui applique ses mérites infinis pour lui donner une vie miraculeuse. Il prie son Père en ce moment, parce qu'il applique ses mérites.

En deuxième lieu, on pourrait dire que, lorsque le divin Maître excita ainsi en lui cette émotion, et qu'il versait des larmes à la vue des pleurs de Marie et des Juifs, et en excitant leur foi et ensuite celle de Marthe, il leur fit intérieurement produire des désirs pour la résurrection de Lazare, et unissant ainsi leurs prières à l'offrande qu'il faisait à son Père, il a prié et a été exaucé dans sa propre prière et dans celle qu'il produisait en eux; car leurs prières n'ont été exaucées que comme siennes. Toute prière, qui n'est pas celle de Jésus, n'est pas exaucée; et celle qui est faite en nous par Jésus est toujours exaucée, comme il dit au verset suivant: Me semper audis. Les prières qu'il fait en nous sont toujours exaucées comme il les fait en nous. Ce qui, dans nos prières, n'est pas exaucé, est ce qui vient de notre propre fonds, qui est presque toujours corrompu et ne peut jamais produire un effet surnaturel.

La troisième manière d'expliquer ce mot audisti est que Notre-Seigneur parle à son Père de la prédestination éternelle, par laquelle le Père, de toute éternité, voyant son Fils dans le temps appliquer ses mérites à Lazare mort et les lui offrir pour sa résurrection, a décrété dès avant l'origine des choses que son Fils bien-aimé ferait cette grâce à Lazare, à ses soeurs et aux Juifs. Le Père, dans ses décrets éternels, ne prédestine les grâces à donner aux créatures dans le temps, qu'en vue des mérites de son Fils, et c'est ainsi que de toute éternité il l'exauce.

L'Evangéliste dit sursum oculis, et non caelum. On pourrait croire que Notre-Seigneur se trouvait déjà dans la caverne lorsqu'il fit cette prière, et ne voyait plus le ciel, il dirigea ses yeux en haut vers le ciel.

On pourrait aussi expliquer cela d'une manière mystique; Notre-Seigneur, vivant dans ses membres, a part à leurs souffrances et aux différents états où la divine volonté les réduit par un effet de sa justice exécutive contre leurs péchés. Lazare se trouva ici dans un état de mort et enseveli dans le tombeau, et le Sauveur souffrait cette affliction dans la personne de Lazare. De plus, cet état de Lazare est une figure de l'anéantissement que méritaient toutes les créatures perdues par le péché; Jésus vient les ressusciter, en s'anéantissant pour elles et avec elles. Il est mort et enseveli avec Lazare et en la personne de Lazare. C'est pourquoi il s'attendrit, il soupire, il pleure de compassion sur le malheur de ces créatures de son Père céleste. Ensuite du fond de sa tombe (dans laquelle il est enseveli avec Lazare), il élève ses yeux vers son Père pour le remercier de ce qu'il l'a exaucé pour le salut de ces pauvres créatures "Il élève les yeux en haut", est dit en opposition à la profondeur de la tombe dans laquelle il est enseveli sous les ruines du péché. Il élève les yeux dans le même sentiment dans lequel le Psalmiste dit: De profundis clamavi ad te, Domine. C'est de lui que ces paroles sont dites, et il les accomplit ici.

Une chose reste à expliquer: Notre-Seigneur rend grâces de ce que son Père l'a exaucé. On ne voit pas qu'il ait fait une prière et il semblerait que ce fût là sa prière. Si le mot audisti s'explique dans le dernier sens dont il a été parlé, cette difficulté n'existerait pas. Dans le premier sens, on peut dire que toutes les intentions de Notre-Seigneur, dans ses actions et dans les grâces qu'il voulait accorder, étaient des prières, parce que toutes ces saintes intentions étaient l'application de ses mérites qu'il offrait à son Père pour cette grâce qu'il voulait accorder, ou cette action qu'il voulait faire. Ainsi, le Fils de Dieu se dirigeant vers la tombe de Lazare avec l'intention de le ressusciter, a fait une prière, parce que par là même il dirigea ses mérites et les offrit pour cette résurrection. Voilà pourquoi il ne fait que rendre grâces au moment où il s'agit d'opérer ce miracle.

Il prononce le saint nom de son Père et lui adresse son action de grâces, afin de manifester au nom de qui il allait agir et la puissance de qui opérait dans son action.

× XI,42

Ego autem sciebam quia semper ¦ Pour moi, je savais que vous

me audis, sed propter populum ¦ m'écoutiez toujours; mais c'est à

qui circumstat dixi, ut credat ¦ cause de ce peuple qui m'environne

quia tu me misisti. ¦ que j'ai parlé, afin qu'ils croient

¦ que c'est vous qui m'avez envoyé.

Toute la vie du Fils de Dieu sur la terre était une prière, une adoration, une offrande pour effacer les péchés et une action de grâces. Car toute cette vie divinement passée sur la terre est un seul et même sacrifice. Le premier sacrifice s'était fait à l'Incarnation. Le Verbe s'anéantit; or, c'est dans l'anéantissement que consiste l'acte du sacrifice. Depuis ce temps, toute cette vie sacrée et divine était un anéantissement, jusqu'à ce que ce sacrifice fût consommé, et achevé sur le calvaire,où il dit: Consummatum est, c'est-à-dire sacrificium. Il dit alors que c'est dans son adorable mort [que] ce long sacrifice de toute sa vie eut sa consommation. Ce sacrifice a commencé par l'anéantissement du Verbe, du Fils de Dieu, et a fini par l'anéantissement même de la nature humaine, du Fils de l'homme. Tout l'intervalle de ces deux époques remarquables est un seul et même sacrifice.

Dans l'intervalle de ces deux époques, il se rencontrait des circonstances marquantes où le Fils de Dieu réitérait son sacrifice d'une manière sensible par l'expression de certains actes formulés: ces circonstances emportaient des raisons graves avec elles pour qu'il exprimât ces actes. Ainsi, ces paroles du prophète se sont accomplies à la lettre: Ingrediens mundum dixit: holocaustomata pro peccato noluisti: Ecce venio, etc. [He. 10,5-7]. Voilà un acte de sacrifice prononcé, mais ce fut à son entrée dans ce monde, parce qu'il s'agissait d'embrasser un genre de sacrifice nouveau. Le premier était celui de l'anéantissement du Verbe dans le sein pur et virginal de Marie: le deuxième eut lieu quand il entra dans ce monde impur, en sortant du sein de Marie, et c'est alors qu'il fit l'acte du sacrifice marqué par le prophète: Tunc dixi... Il devait remplacer les hosties sensibles, la réalité devait remplacer la figure, et il prononce cet acte pour opérer ce beau changement. Il ne change pas de sacrifice, c'est toujours le même; seulement, entrant dans un ordre de choses nouvelles, il s'offre pour obtenir de nouvelles grâces à ce nouvel ordre de choses. Avant de commencer sa prédication, il va jeûner dans le désert: c'est un acte expressif de son sacrifice, parce qu'il entre dans une nouvelle époque de sa sainte vie, se vie conversante; il fait l'offre de son sacrifice pour obtenir des grâces. Enfin [vient] sa croix, qui devait être la consommation de tout.

Mais tous ces sacrifices n'en faisaient qu'un; seulement, par la raison particulière de ces grandes époques de sa vie adorable sur la terre, l'Humanité sainte formulait d'une manière expressive l'acte continuel de son sacrifice. Dans tous les autres intervalles de sa sainte vie, cela n'était et ne devait être qu'un seul et même acte, qui était actuellement prononcé sans cesse. Car, pour ce qui est de la volonté divine du Verbe, elle ne fait pas d'acte distinct de l'opération. Ainsi quand, dans l'origine du monde, il prononça cette volonté du Père, cette adorable volonté ainsi prononcée était l'acte même qui créait les êtres. Fiat lux [que la lumière soit faite], voilà un acte prononcé de la volonté divine; et facta est lux [et la lumière fut faite]. Par qui fut-elle faite? Par ce seul acte de la volonté divine prononcé. Ainsi quand le Verbe voulait, dans le temps, faire et offrir les sacrifices en son Humanité sainte et par son Humanité sainte, ce n'était que l'application de la volonté éternelle du Père à la volonté humaine de la sainte Humanité, pour lui donner le vouloir de ce sacrifice et le lui faire exécuter.

Quant à la volonté humaine, c'est la même chose: ses actes de vertus étaient tous actuellement persévérants. Toutes les vertus que cette très-sainte volonté produisait, elle les produisait sans discontinuer un seul instant dès le premier moment de l'existence de la sainte Humanité, jusqu'à sa divine mort, excepté certains actes de vertu, dont l'époque où ils devaient être produits était déterminée de toute éternité par la volonté divine, et alors, dans le temps déterminé, cet acte était produit selon toute la perfection et la sainteté dans laquelle cette volonté divine l'avait décrété de toute éternité. Et même dans ce cas, l'âme sainte de Jésus voyait cet acte dès le premier moment de son existence, et sa sainte volonté humaine s'y livrait avec un amour inconcevable à toute créature.

Pour prouver cette unité d'acte dans la sainte volonté humaine, on n'a qu'à considérer que cette sainte Humanité unie hypostatiquement au Verbe, avait sa volonté et l'opération de cette sainte volonté unie aussi hypostatiquement à la volonté et à l'opération du Verbe, qui lui communiquaient sans cesse leur action, et par conséquent l'action de la volonté humaine devait être une et continue comme les volontés du Verbe ainsi opérant en elle. D'ailleurs l'Humanité sainte, jouissant de la vision intuitive et recevant de plus sans cesse tous les desseins de son Père sur elle et sur les actes qu'elle devait produire; et comme, d'un autre côté. sa sainte volonté humaine, était sans cesse parfaitement et également obéissante à la volonté divine, de là ses actes n'étaient jamais coupés en aucune façon, ni par l'interruption de l'intention ni par l'affaiblissement ou l'inapplication de l'attention; et de plus, [ils] n'étaient jamais ni plus ni moins intenses, n'acquérant jamais plus de perfection, et n'en diminuant jamais. Par conséquent, dans la sainte Humanité, c'étaient aussi des actes uniques, du commencement de sa vie sainte jusqu'à le fin.

Dans les hommes faibles et misérables, comme nous sommes sur la terre, cette vie parfaite de Notre-Seigneur n'est pas possible. A tout instant, notre attention manque, et notre volonté par là même n'est plus actuellement dans cette sainte intention de Dieu; et lors même que nous ferions attention, notre volonté elle-même, par sa faiblesse et sa corruption, se détourne de Dieu, et rarement même elle persévère longtemps dans la perfection de son premier acte, lors même qu'elle ne se répand pas dans les créatures; voilà pourquoi nous devons souvent renouveler et très souvent les bonnes intentions et les vertus que nous avons reçues de la bonté divine.

Mais pour revenir à notre passage, les choses étant ainsi, d'où vient que le Fils de Dieu fait ici exception à sa conduite ordinaire? Pourquoi prie-t-il d'une manière si explicite et par un acte distinct? C'est ce qu'il explique dans ce verset. Il avait des desseins de miséricorde extraordinaire sur ce peuple. Il voulait les ramener, [ces âmes], à son Père céleste. Il allait faire un miracle, et par ce miracle tout ce peuple devait croire en lui, excepté quelques endurcis; et comme il ne cherchait pas sa propre gloire, mais celle de son Père, il voulait leur faire voir évidemment que ce fut le Père qui l'avait envoyé, et qu'il ne faisait ses oeuvres que par la vertu de son Père qui était en lui.

Ego sciebam quia semper me audis. Par là il dit qu'il n'avait pas besoin de faire un acte distinct et exprès d'offrande de ses mérites pour obtenir la résurrection de Lazare, et celle de ce peuple qu'elle signifie, puisque cette offrande se fait sans cesse par un acte continu et est aussi continuellement exaucée, semper, c'est-à-dire sans interruption. C'était pour le peuple qui était présent, qu'il avait dit ces paroles à son Père, c'est-à-dire,[que] c'est pour ce peuple, qu'il manifestait par rapport à la circonstance présente, ce qui se passait intérieurement dans sa sainte âme, l'offrande de ses mérites appliqués à la résurrection de Lazare, et les grâces qu'il rendait sans cesse à son Père de ce qu'il l'exauçait. Ainsi, dans cette circonstance, il n'a rien fait d'extraordinaire, sinon d'exprimer à voix haute les actions de grâces qu'il rendait à son Père. - On pourrait penser aussi qu'il dit cela parce que ce peuple, l'entendant rendre grâces d'être exaucé, aurait pu croire qu'il n'était pas toujours exaucé et que c'était pour cela qu'il rendait grâce cette fois-ci, comme cela se voit dans les habitudes entre les hommes, qui rendent grâces pour un bienfait auquel on n'est pas accoutumé. Une autre erreur aurait pu résulter de cette action de grâces. On ne rend grâces que pour un bienfait qui nous est accordé gratis et par élection, mais non pour une chose qui est due à titre de justice rigoureuse. Notre-Seigneur ne se rendait pas grâces en cela pour lui-même, parce que tous ses mérites recevaient leur récompense par justice rigoureuse et c'est ce qu'il exprime par ces mots: Quia semper me audis. Mais il rendait grâces pour l'application de ces mérites à la résurrection de Lazare et à la conversion de ces Juifs, ce qui était une pure miséricorde: Quia audisti me, il s'agit de cette circonstance.

Il reste à savoir pourquoi le divin Sauveur s'adresse à son Père et non au peuple même. Il aurait bien pu dire à ce peuple tout ce qu'il continue, dans ce verset, à dire à son Père; ce qui semblerait plus naturel, puisqu'il s'agit d'instruire ce peuple et qu'il ne dit ces paroles que pour lui. La raison en est qu'adressant ces paroles à son Père, c'est une continuation de sa prière et une application de ses mérites pour obtenir à ce peuple la foi en lui comme dans l'envoyé du Père [mais ce n'est pas, ce qui serait ridicule à penser, une excuse qu'il ferait à son Père de ce qu'il lui adresse la prière contenue dans le verset précédent]. Mais pourquoi dit-il ces paroles encore à voix haute et par un acte distinct et exprimé de la volonté? Il semble que, pour atteindre son but de faire croire qu'il vient comme envoyé du Père, il lui eût suffi de prononcer, à voix haute, les paroles du verset précédent. Il dit ces paroles encore à voix haute, pour manifester à ce pauvre peuple le grand amour qu'il lui portait et le désir immense qu'il a de son salut et par là il porte ce même amour dans leurs âmes. Les paroles du verset 41 portaient une grâce de lumière dans l'intelligence de ce peuple, et celle du verset 42 une grâce d'amour dans la volonté; ce qui produit une foi vive et animée.

× XI,43

Haec cum dixisset, voce magna ¦ Ayant dit cela, il cria d'une voix

clamavit: Lazare, veni foras. ¦ forte: Lazare, sors.

Les miracles opérés par Notre-Seigneur Jésus-Christ étaient opérés par l'Humanité sainte, en qui résidait la Divinité. C'était la puissance divine qui était communiquée à la sainte Humanité, et une vertu sortait de la sainte Humanité pour opérer ces merveilles. Il est bien juste que ces prodiges fussent exécutés par la sainte Humanité, puisque c'était elle qui méritait les grâces pour cette opération merveilleuse. Ce n'était pas par sa puissance humaine qu'elle opérait, mais par la puissance divine qu'elle attirait sur cette action. Aussi Notre-Seigneur donnait ordinairement ces merveilles comme preuve de sa Mission; et il dit même dans un endroit que c'était son Père qui faisait ses oeuvres. Arbitre de la puissance divine, il l'employait selon la volonté de son Père pour faire ses oeuvres extraordinaires.

Quoique ce fût la puissance divine qui opérât, ces vertus sortaient cependant de la sainte Humanité. Voilà pourquoi, toutes les fois que Notre-Seigneur faisait un miracle, il le faisait par un acte exprimé de son Humanité sainte par parole ou par action, afin que l'intermédiaire de la sainte Humanité tout entière y contribue. Voilà pourquoi on cherchait à le toucher, parce qu'une vertu sortait de sa sainte Humanité. Voilà pourquoi il dit une fois qu'on l'avait touché, pour nous apprendre cette vérité: On m'a touché, car il [est] sorti de moi une vertu [Lc. 8,46].

C'est ce qui explique ici la conduite du divin Maître. Il commence par prier son Père (comme il a été dit au verset précédent) pour attirer la volonté puissante de son Père pour l'opération miraculeuse de la résurrection de Lazare. Il prie à voix haute, pour manifester au peuple que ce n'est pas sa puissance humaine mais la divine qui allait opérer. Ensuite, il dit comme de son propre fond: Lazare, venez, etc., pour montrer que cette puissance divine est entre ses mains, que c'est son Humanité qui emploie cette puissance, que c'est de sa sainte Humanité que sort la vertu divine qui ressuscite. Il crie à haute voix, afin que le son de sa voix parvînt jusqu'à Lazare et que là sa sainte Humanité, comme à l'ordinaire, agît directement sur le sujet du miracle. Il aurait pu dire ces mêmes paroles à voix ordinaire, et opérer la même merveille, comme il l'a fait quelquefois, par exemple quand il dit au Prince: Filius tuus vivit [Jn. 4,50]; mais alors il eût plutôt ressuscité le mort par un acte de sa volonté que par le contact de sa sainte Humanité, et ici il voulait montrer au peuple la vertu renfermée dans sa sainte Humanité.

Mais pourquoi Notre-Seigneur n'est-il pas entré dans la caverne tout auprès du mort? On peut [en] dire plusieurs raisons. 1° Il n'était pas convenable pour sa dignité d'entrer dans un lieu ténébreux. 2°  Parce que ce lieu est censé immonde aux yeux des Juifs, il eût fallu le purifier, ce qui était indigne de sa sainteté, qui ne pouvait jamais contracter de tache; ou il eût fallu qu'il passât aux yeux des Juifs comme s'il méprisait leur loi, ce qui aurait causé du scandale. 3°  [C'était] pour épargner les Juifs et par une grande bonté pour eux. Ils avaient une si grande horreur pour les tombeaux, que plusieurs auraient sûrement manqué de courage pour le suivre. 4°  C'est une figure de la grande résurrection des morts qu'il a voulu donner; or, au jour de la grande résurrection, le Fils de Dieu fera entendre sa voix à tous les morts pour les ressusciter; il n'ira pas les visiter dans leurs tombes, il les appellera et ils ressusciteront à sa voix. 5°  Enfin, la résurrection de Lazare est une image de la conversion du pécheur; or le Fils de Dieu n'entre pas dans l'âme du pécheur pour la convertir et ramener à la vie, mais il l'appelle du dehors: Ego sto ad ostium et pulso [Apoc. 3,20].

Veni foras. Il ne faut pas que le pécheur reste dans sa tombe, dans ses mauvaises habitudes; il faut sortir des habitudes de la chair qui est comme le tombeau de l'âme, qui étant morte par le péché est ensevelie dans la chair.

Si on interprète la résurrection de Lazare comme une image de l'état de mort où se trouvent quelquefois les âmes bonnes et amies de Jésus, ces paroles veni foras signifient ce retour à la lumière. Notre-Seigneur rappelle ces âmes du tombeau ténébreux où leur intelligence reste ensevelie, il fait ensuite ouvrir les liens dont la volonté est garrottée sans pouvoir se débarrasser, il rétablit ainsi l'âme dans la parfaite liberté, et, à l'exemple de Lazare, il conduit l'âme d'une vie naturelle à la mort et à la nuit du tombeau par cette impuissance où il la met, ensuite dans un état surnaturel par cette résurrection.

× XI,44

Et statim prodiit qui fuerat ¦ Et aussitôt sortit celui qui avait

mortuus, ligatus pedes et ¦ été mort, lié aux pieds et aux mains

manus institis et facies ¦ de bandelettes, et le visage

illius sudario erat ligata. ¦ enveloppé d'un suaire. Jésus leur

Dixit eis Jesus: Solvite eum, ¦ dit: Déliez-le et laissez-le aller.

et sinite abire. ¦

Jésus ne dit pas à l'âme de Lazare de fonctionner dans son corps comme auparavant, il ne lui ordonne pas de ressusciter comme il dit à la fille de Jaïre Thalita cumi; mais il lui ordonne de venir hors de son tombeau, et par là il manifeste cette grande puissance qu'il a. La nature lui obéit aux ordres qu'il donne d'une manière indirecte même. Il dit à Lazare de sortir, et Lazare revient à la vie et sort aussitôt, et statim prodiit qui fuerat mortuus. Ce n'est pas sans dessein que l'Evangéliste dit les choses de cette manière. - Les liens dont il était lié sont significatifs. Dans l'explication donnée plus haut de la mort de Lazare, appliquée à l'état d'obscurité d'une âme dans son état d'épreuve, les liens des pieds parquent l'impuissance de se diriger dans sa marche. L'âme accablée ne sait pas continuer sa route qui la dirige vers Dieu, elle n'a pas la capacité de suivre sa marche. - Les liens des mains marquent l'incapacité des actes de la volonté, et le suaire sur la figure représente l'obscurité de l'intelligence. Jésus dit qu'on lui défasse tous ces liens, et l'âme s'en va et quitte cet état pénible, elle s'en va vers son Dieu. - Dans la signification qu'on donne à la mort de Lazare dans ses rapports avec la mort du péché, les liens des pieds montrent l'incapacité de se diriger vers Dieu dans ses oeuvres, l'âme pécheresse est hors de la voie, elle est liée dès qu'il s'agit d'aller à Dieu. Ceux des mains signifient les bonnes oeuvres dont elle est incapable. Enfin le suaire des ténèbres de l'esprit, qui ne reçoit aucune lumière de Dieu.

× XI,45

Multi ergo ex Judaeis qui ¦ Beaucoup d'entre les Juifs qui

venerant ad Mariam et Martham, ¦ étaient venus près de Marie de

et viderunt quae fecit Jesus, ¦ Marthe, et qui avaient vu ce que fit

crediderunt in eum. ¦ Jésus, crurent en lui.

× XI,46

Quidam autem ex ipsis abierunt ¦ Mais quelques-uns d'entre eux

ad Pharisaeos, et dixerunt eis ¦ allèrent vers les Pharisiens, et leur

quae fecit Jesus. ¦ dirent ce qu'avait fait Jésus.

Ceux des Juifs bien disposés ne pouvaient guère manquer de croire après un miracle pareil. Ils savaient que Lazare avait été mort et enseveli, ils en étaient assurés; maintenant ils le voient revenir à la vie après quatre jours de mort et ils croient.

On voit cependant dans ce fait trois choses bien importantes.

La première: sans une grâce puissante de conversion les faits les plus miraculeux ne servent de rien: ce ne sont pas les miracles qui donnent la foi; ils disposent la raison humaine à la foi qui est donnée par la grâce intérieure, et cette grâce agit sur l'âme à l'occasion de ce miracle, elle tourne l'esprit de ce côté, elle touche le coeur par cette vue et inspire la foi. Les hommes pensent qu'ils croient à cause de ce qu'ils ont vu; leur foi est fondée sur ce qu'ils ont vu, dans ce sens que ce qu'ils ont vu a servi d'instrument entre les mains de Dieu pour les toucher et les éclairer; mais ce n'est pas ce qui les a éclairés, c'est une grâce interne. Il en est de même de tous les motifs de la foi qu'on présente à la raison. Ici, dans ce fait, les paroles et les actions du divin Sauveur ont déjà opéré de grands effets, produit et attiré la grâce dans ces coeurs pour les disposer au grand coup qui devait être porté.

En second lieu, ce qui perd les hommes et les empêche d'acquérir la foi, ce sont leurs mauvaises dispositions; les plus grandes grâces sont nulles pour eux. Le Sauveur, si plein de bonté et de miséricorde pour les pauvres Juifs, prend de si puissants moyens pour les attirer et disposer à ce grand miracle afin de leur donner la foi, et ils s'endurcissent davantage. Et c'est la troisième chose remarquable. Quand une grâce extraordinaire est accordée, surtout si elle avait été accompagnée de sollicitations intérieures très-fortes, comme cela est arrivé assurément dans cette circonstance où le divin Sauveur agit et parle d'une manière si touchante; quand cela arrive et qu'on rejette cette grande grâce, on tombe dans la malice et parfois dans l'endurcissement, comme il semble qu'il est arrivé aux Juifs dont il est parlé au v. 46.

Ils allèrent conter ce qu'ils avaient vu, sans doute avec un esprit d'aigreur et de malignité. Sachant que les Pharisiens étaient jaloux (38) des merveilles que faisait le Fils de Dieu et de l'estime et de l'amour universels qu'il acquérait parmi les peuples, ils allèrent exciter davantage ces mauvais sentiments. Ils racontèrent toutes les différentes actions que le Seigneur avait faites dans cette circonstance, quae fecit. C'est ce qui arrive ordinairement à ces sortes de gens: ils passent en revue toutes les actions, disant quelque réflexion maligne sur chaque circonstance, et [les] représentant de manière à aigrir et à augmenter les mauvais sentiments de ceux à qui ils parlent.

× XI,47

Collegerunt ergo Pontifices et ¦ Les Pontifes et les Pharisiens

Pharisaei concilium et ¦ assemblèrent le conseil, et ils

dicebant: Quid facimus, quia ¦ disaient: Que faisons-nous, car cet

hic multa signa facit? ¦ homme opère beaucoup de miracles?

× XI,48

Si dimittimus eum sic, omnes ¦ Si nous le laissons ainsi, tous

credent in eum: et venient ¦ croiront en lui, et les Romains

Romani et tollent nostrum ¦ viendront et ruineront notre pays et

locum et gentem. ¦ notre nation.

Les Pharisiens, pleins de haine et d'envie contre Notre-Seigneur, comme on le voit dans toutes les circonstances, réunissent un conseil pour mettre fin aux miracles innombrables que le divin Messie opérait sans cesse. Ces miracles, joints à sa doctrine sainte, détruisaient toute la réputation des prêtres et des Pharisiens: la doctrine, parce qu'elle les condamnait, et les [miracles] établissant l'autorité de celui qui donnait cette doctrine, ils produisaient deux mauvais effets contre eux: ils mettaient Notre-Seigneur infiniment au-dessus d'eux, et autorisaient cette doctrine qui faisait si bien voir leur mauvaise conduite. Que faisons-nous, disent-ils, nous laissons faire cet homme, il fait sans cesse un grand nombre de miracles. Ils veulent dire par là qu'ils avaient tort de ne pas s'opposer à sa prédication et à ses miracles. La raison qu'ils donnent est que le peuple croira en lui, et les Romains viendront faire la guerre et détruiront tout, parce qu'ils ne voudront pas que le peuple juif ait un roi. Dans ce discours, on voit des hommes qui veulent se tromper mutuellement et se faire illusion à eux-mêmes par des raisons en apparence plausibles. Les Pharisiens croyaient à Moïse et aux prophètes; ils attendaient le Messie au temps précisément que Notre-Seigneur parut sur la terre; ils voient un homme qui opère de grands et d'innombrables miracles; ces miracles sont tels qu'ils regardent comme une chose certaine que tout le peuple croira en lui, c'est-à-dire que tout le peuple le reconnaîtra comme Messie et adhérerait à lui; c'est pour cela qu'ils pensent devoir l'empêcher de faire ces merveilles, de peur que les Romains, apprenant l'arrivée du roi Messie, ne fassent la guerre au peuple juif. Mais qu'avaient-ils à craindre des Romains, ayant leur Messie à leur tête? Ils auront donc mieux aimé rester sous la servitude des Romains, et ils auraient rejeté leur Messie à cause des Romains? C'est déjà se déclarer bien coupables. Bien certainement aucun de ces hypocrites n'aurait jamais osé dire qu'il avait ces dispositions, mais l'envie et la haine contre Notre-Seigneur les aveuglaient.

De plus, par ces paroles, ils rendent un témoignage formel à notre bon Maître. La seule raison qu'ils apportent pour s'opposer à cet homme merveilleux, est la crainte des Romains; par conséquent ils trouvent ces miracles véritables et venant de Dieu; car s'ils les avaient crus faux, ils auraient dû poursuivre celui qui les faisait, non par la crainte des Romains, mais parce qu'il séduisait le peuple. On aurait pu par conséquent leur faire ce raisonnement: ou vous croyez cet homme envoyé de Dieu et opérant de vrais miracles au nom de Dieu, ou non. Dans le dernier cas, vous devez vous opposer à un malfaiteur, non à cause des Romains, mais à cause du mal; il ne serait pas nécessaire de chercher vos raisons de si loin, et Caïphe n'aurait pas besoin de dire qu'il faut qu'un homme meure pour le peuple, il mourrait pour lui-même; dans le premier cas, vous résisterez donc formellement à Dieu et à son Messie afin de ne pas déplaire aux Romains? Vous rejetez le seul remède qui reste à vos maux; aussi vous serez livrés à ces mêmes Romains que vous craignez. Mais s'ils n'avaient pas été remplis de malice, ils n'auraient pas si mal raisonné. Ils reconnaissent la vertu divine et ils cherchent à empêcher le peuple de croire en lui. La seule envie était capable d'opérer ce triste aveuglement dans ces orgueilleux. Ils avaient honte les uns devant les autres, et ils cherchaient à colorer leur malice par une apparence de bien; mais ils se trahissent dans leurs paroles, comme cela arrive presque toujours. Tous ces beaux prétextes ne cachent pas leur haine et font ressortir d'autres mauvaises dispositions; mais, ce qui est plus ordinairement, ils disent des choses qui font voir la divinité de Notre-Seigneur et de sa Mission.

Il n'y a rien de plus dangereux que l'orgueil dans une âme. Elle ne trouve la vérité et ne s'y rend que lorsqu'elle lui est favorable. Lorsque cette vérité est opposée à ses prétentions, l'orgueil fait prendre toutes sortes de détours pour la décliner, et cela presque toujours en aveuglant l'esprit, qui, ne voyant que d'après ce qui le flatte, ferme toute ouverture à la vérité et ouvre toutes celles qui peuvent le tromper. Presque toujours ces illusions se font sous le prétexte de bien.

× XI,49

Unus autem ex ipsis Caïphas ¦ Mais l'un deux, nommé Caïphe, qui

nomine cum esset Pontifex anni ¦ était le Pontife de cette année-là,

illius, dixit eis: Vos ¦ leur dit: Vous n'y entendez rien.

nescitis quidquam. ¦

× XI,50

Nec cogitatis quia expedit ¦ Et vous ne pensez pas qu'il vous est

vobis ut unus moriatur homo ¦ avantageux qu'un seul homme meure

pro populo, et non tota gens ¦ pour le peuple, et non pas que toute

pereat. ¦ la nation périsse.

Les Pharisiens et les prêtres semblaient embarrassés sur ce qu'il y avait à faire. Ils avaient probablement la même pensée que Caïphe, qu'il fallait faire mourir cet homme merveilleux, mais ils n'osaient pas s'avancer. Ces hommes semblaient être en garde les uns vis-à-vis des autres. Ils sentaient qu'ils agissaient mal, et leur orgueil leur faisait craindre de dire une chose si mauvaise. C'est pour cela qu'ils étaient si réservés.

Il a fallu que leur chef ouvrît ce conseil qui était digne du chef d'une telle assemblée. Ce qui prouve que tel était le sentiment de tous les Pharisiens, c'est que personne n'objecta rien, et depuis ce temps il ne se cachaient plus; ils poursuivaient ouvertement le divin Messie et disaient au peuple qu'il était un séducteur. Le masque étant tombé de toutes les figures de ces orgueilleux, ils n'avaient plus ni honte, ni crainte les uns devant les autres. Il fallait seulement mieux colorer leur attentat devant le peuple, qui était plus sincèrement attaché à leur Messie que ces orgueilleux, et ils dirent au peuple qu'il était un séducteur.

Caïphe, connaissant ce qui se passait dans l'esprit des membres de son conseil par la longue expérience qu'il avait d'eux, ne craignit pas tant de se déclarer. De plus, Caïphe était parvenu probablement à une plus grande méchanceté qu'eux. Ce qui l'indiquait, c'était de voir qu'ils craignaient de se prononcer sur le sentiment qu'ils avaient, c'est pour cela qu'il commence son avis par leur dire des choses dures. Mais, tout en leur disant ces paroles dures, il savait feindre comme eux, afin de ne pas donner lieu à des explications sur le fond de la question, à savoir si Jésus était le Messie. Il ne nie donc pas ce que les autres avaient supposé, que les miracles étaient véritables et nombreux; il ne se prononce pas sur le personnage qu'il s'agissait de condamner à mort. Il se contente de prendre là où les Pharisiens sont restés. Les Romains viendront enlever le peuple et détruire Jérusalem; le moyen le plus simple d'empêcher ces maux, c'est de faire mourir celui qui pourrait causer ce mal. Il est innocent à la vérité, mais Caïphe passe là dessus; ce n'est pas là la question; il faut qu'il meure pour le peuple. Cette tournure qu'il donne à son sentiment était d'une malice raffinée. Il épargne à ses complices la honte d'un crime, et colore son sentiment d'une vertu politique, du bien public. Vu la disposition des esprits, il n'aurait pas pu opiner plus adroitement pour parvenir à la fin criminelle à laquelle il voulait arriver. Il laisse sur les yeux de ses compagnons le voile qu'ils y ont posé et qu'ils voulaient y garder: Vous ne savez rien, leur dit-il, vous voyez le mal et vous ne savez y porter remède. Les Pharisiens étaient bien contents de ce reproche, cela met leur vanité à l'abri, ils ont l'air de s'être seulement rendus au conseil violent de leur chef et le mal ne tombait pas sur eux (d'après l'illusion qu'ils ont dû se faire).

Il leur dit: Expedit vobis. Les Pharisiens craignent pour le pays et le peuple. Caïphe savait bien que ce n'était pas l'intérêt du peuple qui les tenait, et il leur dit les choses nettement pour les toucher davantage en faveur de son sentiment, en leur montrant que c'est leur intérêt qu'il cherche. Il les prend par leur endroit sensible. Il leur fait concevoir par ses paroles que cette espèce d'indignation à laquelle il s'était laissé aller, provenait de l'intérêt qu'il portait à leur avantage et pour le soutien de leur autorité. Ut unus homo, etc. Il vous est avantageux qu'un homme meure pour le peuple, un seul homme, mais quel homme? un ennemi des Pharisiens, un détracteur de leur autorité. Il ne dit pas le fin mot; mais il savait qu'il serait compris de ses collègues. Il valait mieux laisser penser cela que de le dire; Et non tota gens pereat. Si tout ce peuple périssait que vous resterait-il ensuite?

× XI,51

Hoc autem a semetipso non ¦ Or il ne dit pas cela de lui-même;

dixit: sed cum esset pontifex ¦ mais étant le pontife de cette année-

anni illius, prophetavit quod ¦ là, il prophétisa que Jésus devait

Jesus moriturus erat pro ¦ mourir pour la nation.

gente. ¦

× XI,52

Et non tantum pro gente, sed ¦ Et non pas pour la nation seulement,

ut filios Dei, qui erant ¦ mais encore pour rassembler en un les

dispersi, congregaret in unum. ¦ enfants de Dieu qui étaient

¦ dispersés.

La tournure de phrase que prend ce méchant homme est entièrement orthodoxe et approuvé de toute éternité par le conseil éternel du Père. De toute éternité, le Père a prononcé cette sentence: il faut qu'un seul homme meure pour tout le peuple de Dieu. Caïphe, dans son animosité, aurait dû employer d'autres termes. Il aurait dû dire que cet homme, restant en vie, attirerait l'animadversion des Romains sur le peuple, et qu'il faudrait le faire mourir pour empêcher ce malheur. Il devait employer des termes qui indiquent [que] le mal venait de lui, et qu'il devait être mis à mort afin de l'empêcher de causer ce grand malheur; au lieu de cela, il s'exprime par une maxime générale, qui indique le peuple dans un danger et [qu'il faut] qu'un homme meure pour le peuple, sans dire que le danger du peuple venait de cet homme. Ces paroles semblent indiquer une action généreuse, par laquelle un homme se livre à la mort, pour le salut du peuple; moriatur d'ailleurs indique une mort volontaire et non une exécution de justice.

Caïphe a prophétisé involontairement, à cause de son souverain Pontificat. Dieu a voulu nous faire connaître par la bouche du méchant, la raison pour laquelle son Fils devait mourir pour le peuple, c'est-à-dire pour tous les hommes. Car Caïphe n'est pas prophète par son intention, mais sans le savoir il dit: ut unus moriatur pro populo. Il a l'intention de parler du peuple juif, mais l'intention de Dieu n'est pas celle de Caïphe.

On pourrait expliquer en deux manières ce passage. La première [est celle-ci]: Caïphe semble dire que le Fils de Dieu meurt pour le peuple juif, et Dieu ajoute à cela que Caïphe n'a prophétisé, mais il est mort encore pour tous les peuples, afin de réunir tous les hommes dans l'Eglise de Dieu. Ces enfants de Dieu sont dispersés sur toute la terre et ne vivent pas unis par le même [lien] que Notre-Seigneur est venu donner aux âmes réunies dans son bercail. Dans ce sens, l'Evangéliste appelle tous les hommes enfants de Dieu par leur vocation, par les mérites de la mort de Jésus-Christ qui leur sont offerts. S'ils s'étaient rendus à la grâce divine qui leur était méritée par la mort du Fils de Dieu, ils auraient été enfants de Dieu; donc Jésus-Christ notre Sauveur est mort pour les réunir tous comme enfants de Dieu. Ce sens ne paraît pas cependant aussi naturel que le suivant.

Le deuxième [sens est]: Caïphe dit qu'il devait mourir pour le peuple juif, c'est-à-dire pour sauver le peuple juif. Ainsi la proposition de Caïphe [était] qu'il fallait que Jésus-Christ mourût pour que le peuple juif fût sauvé. L'Evangéliste ajoute, et non seulement pour le peuple juif, mais encore pour le salut de tous les élus de Dieu; car le terme enfant de Dieu signifie élu, signifie âme dans la grâce sanctifiante au moins. Dans ce sens, on peut donc entendre cette réunion de deux façons: la réunion des élus dans le ciel ou la réunion des âmes par la grâce sanctifiante dans l'Eglise. Car toute âme infidèle qui reçoit la grâce sanctifiante, entre par là dans l'Eglise et par là reçoit l'application de la mort de Notre-Seigneur.

C'est ce dernier sens qui paraît le plus naturel.

Ici l'Evangéliste ne parlait pas de dévouement de Notre-Seigneur qui n'est pas seulement mort pour une partie des hommes, mais pour [tous les hommes] en général et pour chacun en particulier; il parle seulement du bien qu'il voyait devoir résulter de la mort du Fils de l'homme; ce bien était le salut de l'oppression et de la destruction entière du peuple.

L'Evangéliste ajoute: Quoique Caïphe n'étende le bienfait de la délivrance qu'au peuple, cette délivrance était une figure prophétique qui annonçait la délivrance des enfants de Dieu, c'est-à-dire, de tous ceux qui devaient appartenir à l'Eglise de Dieu. Or, la mort de Jésus-Christ devait opérer cette délivrance de ces enfants de Dieu, dispersés dans tout le monde pour les réunir dans son Eglise. Ainsi, les hérétiques ne peuvent pas conclure contre nous que Jésus-Christ n'est mort que pour les enfants de Dieu; car il ne s'agit pas ici d'appliquer la prophétie de cet aveugle à toute l'étendue de la fin que le Fils de Dieu se proposa, mais seulement à l'une des deux; ou à l'application parfaite des mérites du Fils de Dieu aux seuls élus; ou à l'application momentanée des mérites du Fils de Dieu aux payens devenus enfants de l'Eglise. Il faut toujours distinguer dans la mort de Notre-Seigneur, ce qui était dans son intention en mourant ainsi pour les hommes, et ce qui arriva en réalité: [à savoir] que sa mort ne fut appliquée qu'à un certain nombre qui voulurent bien en profiter et recevoir ce grand bienfait de leur Dieu.

× XI,53

Abo illo autem die ¦ Dès ce jour donc ils pensèrent à le

cogitaverunt ut interficerent ¦ faire mourir.

eum. ¦

On voit par là ce qui s'était passé dans l'esprit de ces hypocrites. Cette raison que Caïphe leur allégua n'était pas si convaincante pour ne souffrir aucune difficulté. D'où vient-il donc qu'elle passa sans réplique à l'unanimité, et que depuis ce temps ils s'occupèrent seulement du moyen de faire mourir leur Messie? C'est que, dès le commencement de leur conseil, ils avaient tous le désir de le faire mourir, mais ils n'osèrent le dire par hypocrisie. Maintenant que leur conscience pharisaïque et orgueilleuse est couverte, c'est-à-dire, qu'ils n'ont pas à risquer d'être mal jugés par les hommes, ils ne craignent plus de tendre ouvertement à ce grand forfait. L'arrêt a été prononcé par leur chef, et tout le monde est de son avis.

Mais la raison qui les a si fortement convaincus que cet homme doit mourir, ils ne l'allègueront pas au peuple; ils diront que c'est un séducteur qui parle et qui agit contre la loi de Moïse et contre les prophètes; c'est le zèle de la gloire de Dieu et de la loi qu'ils montrent au peuple dans leur grand forfait.

× XI,54

Jesus ergo jam non in palam ¦ C'est pourquoi Jésus ne se montrait

ambulabat apud Judaeos, sed ¦ plus en public parmi les Juifs; mais

abiit in regionem juxta ¦ il s'en alla dans une contrée près du

desertum, in civitatem quae ¦ désert, en une ville qui est appelée

dicitur Ephrem, et ibi ¦ Ephrem, et il y demeurait avec ses

morabatur cum discipulis suis. ¦ disciples.

Ici, on voit la même conduite dans le Fils de Dieu qu'on a déjà vue plus haut: il savait que son heure n'était pas venue encore, et que par conséquent les Juifs n'avaient encore de pouvoir sur lui; il avait toute puissance pour résister à tous leurs efforts, il se cache et ne paraît en public dans la Judée que lorsque le temps de son sacrifice arriva. Cependant, il nous montre en même temps, d'un autre côté, que nous ne devons pas entièrement abandonner notre ministère parce que des hommes nous résistent. Il se retire ailleurs et n'abandonne pas ses disciples pour cela. S'il avait voulu être entièrement caché, il n'aurait pas dû conserver ses disciples auprès de lui; mais il ne veut pas que nous abandonnions les travaux que nous entreprenons pour la gloire de son Père; il veut seulement que nous cédions aux circonstances autant que ces circonstances nous obligent absolument à céder.

× XI,55

Proximum autem erat Pascha, ¦ Or la Pâque des Juifs était proche,

etc. ¦ et beaucoup montèrent de cette

¦ contrée à Jérusalem, avant la Pâque

¦ pour se purifier.

× XI,56

Quaerebant ero Jesum, etc. ¦ Ils cherchaient donc Jésus, et se

¦ disaient les uns aux autres étant

¦ dans le temple: Que pensez-vous de ce

¦ qu'il n'est point venu pour la fête?

¦ Or les Pontifes et les Pharisiens

¦ avaient donné ordre que si quelqu'un

¦ savait où il était, il le déclarât

¦ afin de le prendre.

Un grand nombre de Juifs des différentes provinces allèrent à Jérusalem avant Pâques, afin de se disposer à manger l'agneau pascal. Il fallait se purifier auparavant, au moins un grand nombre avaient besoin de se purifier; et ceux-là allèrent à Jérusalem avant Pâques. On voit la différence entre les âmes simples et sans ambitions, et ceux qui sont pleins d'eux-mêmes et qui cherchent plutôt leur amour propre que la gloire de Dieu. Le peuple bon et simple qui n'a pas de vue d'ambition, ne trouve pas d'obstacle considérable dans l'observation de la loi de Dieu et est docile aux inspirations de la grâce. Ils viennent à Jérusalem pour se purifier, et ils cherchent avec empressement le Fils de Dieu. Ils savent bien où le chercher, c'est dans le temple. Ils ne le trouvent pas là, et ils concluent qu'il ne viendra pas à Jérusalem pour ce jour de fête, parce qu'ils sont habitués de la voir avant que le jour ne soit arrivé. Pourquoi le cherchent-ils? Pour écouter sa divine parole et voir les merveilles qu'il opérait sans cesse.

On pourrait encore expliquer les mots de regione du pays de Lazare, des environs de Béthanie. Ces hommes, encore touchés et étonnés du grand miracle que Jésus vient d'opérer dans leur pays, le cherchent dans le Temple afin de s'instruire et de s'édifier de sa doctrine. Mais quelle différence entre ces hommes simples et les prêtres et les Pharisiens! Ceux-ci, préoccupés par leur ambition, cherchent aussi le Fils de Dieu et cela avec autant de soin que ce bon peuple; mais leur intention était bien différente! Leur orgueil les aveuglait et les endurcissait de plus en plus. Quel bonheur pour une âme d'être simple et sans orgueil! et quel malheur d'être pleine de soi-même! Or, il arrive assez souvent à ceux qui sont préposés sur les autres de manquer de cette simplicité. Ils ont besoin de veiller sur eux-mêmes plus que tout autre, pour ne pas être entraînés par leur amour-propre, et ordinairement ils ont moins de vigilance, surtout lorsqu'ils administrent par des principes trop humains; alors, dès qu'une chose contrarie leur administration et leurs vues, ils se livrent tout entiers à l'opposition que leur amour-propre leur fait aussitôt sentir, ils n'examinent et ne calculent pas le bien qui résulte de la chose qui les contrarie, ni le mal qu'ils commettent en s'y opposant; ils ne voient que l'objet qui les préoccupe, l'administration qu'ils ont en tête, et c'est une pure illusion de leur amour-propre qui les fixe et les attache ainsi à ce qu'ils veulent en faire résulter. Cette préoccupation les rend incapables de voir le mal qu'ils commettent, en les jetant dans une profonde illusion. Si ces hommes étaient plus défiants d'eux-mêmes, s'ils avaient des désirs plus purs de la gloire de Dieu, ils ne chercheraient pas tant à établir leurs propres oeuvres au détriment d'un autre bien; ils examineront d'abord, s'il n'est pas plus avantageux à la gloire de Dieu que ce bien qu'ils veulent renverser ou entraver existe, et qu'ils modifient leur action à laquelle ce bien s'oppose. Si les Pharisiens avaient mieux examiné, s'ils n'avaient pas tant tenu à leur autorité et à leur manière d'administrer, ils auraient eu le bonheur de reconnaître le Sauveur du monde et auraient favorisé sa doctrine. Combien n'y a-t-il pas de personnes constituées en autorité, à qui le même malheur arriverait si le divin Sauveur revenait, et si sa conduite contrariait leurs vues et leur administration? Qu'il faut se défier de soi-même! Que les dignités et le gouvernement des choses sont dangereux et difficiles! Que nous avons besoin d'être purs et saints quand nous sommes à la tête d'une oeuvre!

Mais, lorsque l'orgueil est dominant dans un homme chargé d'une administration, lorsque l'ambition et le désir d'être estimé sont les principes de sa conduite, et qu'il se présente un obstacle à ses vues d'orgueil, d'ambition et de vanité, alors on va jusqu'à l'excès de tous les maux, on s'aveugle complètement, on trouve des raisons graves pour se faire illusion et pour tromper les autres, et on porte les choses jusqu'à l'excès de tous les maux. C'est ce qui arriva aux prêtres et aux Pharisiens dans cette circonstance.

×

Caput XIIm

[Chapitre douzième× ]

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× XII,1

Jesus ergo ante sex dies ¦ Jésus donc, six jours avant la Pâque,

Paschae venit Bethaniam, ubi ¦ vint à Béthanie, où était mort Lazare

Lazarus fuerat mortuus, quem ¦ qu'avait ressuscité Jésus.

suscitavit Jesus. ¦

Jésus, devant se rendre à Jérusalem pour la fête de Pâques, passa quelques jours auparavant à Béthanie auprès de Lazare. Telle est la bonté du divin Sauveur. Lorsqu'il a accordé une première grâce à une âme,si cette âme en profite il la comble ensuite de ses grâces plus intimes, il lui rend de fréquentes visites pour achever sa sanctification. Un grand nombre de Juifs l'attendaient à Jérusalem et se disposaient à écouter sa doctrine sainte; il les laisse et va trouver Lazare. Ce n'est qu'après avoir passé quelques jours avec Lazare, qu'il va au temple.

Ce mot ergo a rapport au commencement du verset 55 du chapitre précédent: proximum autem erat Pascha.

Quoique Pâques fût de sept jours, l'Evangéliste ne parle ici que de six, parce que le septième était comme une fête particulière.

Si on pouvait expliquer ce verset: avant les six jours qui précèdent Pâques, toute la difficulté disparaîtrait.

× XII,2

Fecerunt autem ei caenam ibi, ¦ On lui prépara là un souper; Marthe

et Martha ministrabat, Lazarus ¦ servait, et Lazare était un de ceux

vero erat unus ex ¦ qui étaient à table avec lui.

discumbentibus cum eo. ¦

Saint Matthieu et saint Marc parlent aussi d'un repas fait au Sauveur à Béthanie dans cette circonstance, et ils disent que ce fut dans la maison de Simon le lépreux. Saint Luc parle une fois d'un Simon le pharisien; c'était peut-être le même, quoique les repas dont il s'agit dans ces deux circonstances ne fussent pas les mêmes.

L'Evangéliste dit ici fecerunt, sans dire qui. C'est peut-être pour [cela qu'] il est [dit] que Marthe servit à table; ce qui ne serait pas nouveau si ce fut chez elle; comme aussi, il ne serait pas étonnant que Lazare fût au nombre des convives. Il eût bien fallu que le maître de la maison fût de ce nombre; car on voit bien qu'il s'agit d'un grand repas. Mais c'étaient des circonstances à indiquer si le repas eut lieu dans la maison de Simon. - Cependant, on pourrait dire que le Saint Evangile dit que Marthe servait à table, pour montrer que cette sainte, tout en avançant dans le divin amour, ne cessait pas d'aimer l'action, et [que] Marie continuait toujours dans son amour de contemplation. - Pour Lazare, on en parle pour rappeler le grand miracle de sa résurrection. Cependant l'ensemble du texte dit l'un et l'autre, c'est-à-dire indique que le repas ne fut pas chez les deux soeurs, et montre ces observations sur Marthe et sur Lazare.

× XII,3

Maria ergo accepit libram ¦ Or Marie prit une livre de parfum

unguenti nardi pistici, ¦ d'un nard pur de grand prix; elle en

pretiosi, et unxit pedes Jesu, ¦ oignit les pieds de Jésus, et les

et extersit pedes ejus ¦ essuya avec ses cheveux, et la maison

capillis suis; et domus ¦ fut remplie de l'odeur du parfum.

impleta est ex odore unguenti.¦

Marie, toujours préoccupée de son amour, se livre à toute l'intensité de la tendresse de son coeur. On voit dans cette action une tendresse d'affection très-douce et très-violente en même temps. Qu'on se représente cette sainte âme ainsi blessée par un trait du divin amour; le coeur brûlant et doucement affecté pour son bien-aimé, elle se livre tout entière à ce saint mouvement de l'Esprit de Dieu, elle prend un baume très-précieux et répand le vase tout entier sur les pieds et sur la tête du Sauveur. Sentant en elle le besoin pressant de satisfaire ce mouvement tendre et violent du saint amour qui lui brûlait dans le coeur, elle ne fit aucune attention au prix du parfum qu'elle employait pour une chose qui paraissait si peu importante (Car Marie ne savait pas la signification de ce qu'elle faisait, elle suivait à l'aveugle le mouvement qui la pressait.) Le véritable amour ne calcule pas. Sa profusion paraît surtout par ce qui est marqué dans les autres évangiles. Elle ne [se] contenta pas d'employer une partie de ce baume; elle cassa le vase afin de le vider tout entier, ce qui montra une grande ferveur d'amour.

Dans les deux évangiles cités plus haut, il n'est pas parlé de l'onction des pieds dont parle saint Jean, mais il y est dit qu'elle versa le parfum sur la tête du Seigneur. Saint Jean ne parle pas de cette circonstance parce qu'elle est déjà rapportée dans saint Matthieu et saint Marc; il dit ce qu'ils avaient omis. Il paraît donc qu'elle commença par oindre les pieds de Notre-Seigneur. Par là on voit l'humilité de l'amour de Marie. Elle se plaisait à être aux pieds de son Maître. On voit même que généralement, dans sa conduite, le divin amour prenait en elle cette tournure. Il arrive dans cette circonstance ce qui arrive ordinairement aux âmes qui ont un amour généreux et humble; cet amour augmente, les enhardit et devient plus familier, tout en conservant son humilité et une certaine réserve. Marie aux pieds du Sauveur, occupée à les essuyer avec ses cheveux, s'anime de plus en plus de cette tendresse d'amour, elle brise le vase qui renfermait le parfum et le verse tout sur la tête de son bien-aimé. Cette augmentation et cette familiarité de l'amour est un don de l'Esprit-Saint, qui se communique avec une plus grande abondance aux âmes humblement dociles à ses divines impressions.

Marie ne réfléchit pas, elle ne voit pas ce qu'elle fait, elle éprouve un mouvement violent qui la transporte, et elle s'y abandonne comme font ordinairement et ont toujours fait les amantes ferventes de Jésus. L'amour de Marie l'absorbe tout entière; c'est ce qu'on observe partout où on la voit sous cette sainte influence du divin amour.

Le baume était si précieux que son odeur remplit toute la maison. C'est une image de l'effet ordinaire du véritable amour de Dieu, qui répand toujours sa bonne odeur partout.

× XII,4

Dixit ergo unus ex discipulis, ¦ Alors un de ses disciples, Judas

Judas Iscariotes, qui erat eum ¦ Iscariote, qui devait le trahir, dit:

traditurus. ¦

× XII,5

Quare hoc unguentum non veniit ¦ Pourquoi ce parfum n'a-t-il pas été

trecentis denariis, et datum ¦ vendu trois cents deniers, et

est egenis? ¦ n'a-t-il pas été donné aux pauvres?

× XII,6

Dixit autem hoc, non quia de ¦ Il dit cela, non qu'il se souciât des

egenis pertinebat ad eum, sed ¦ pauvres, mais parce qu'il était

quia fur erat, et loculos ¦ voleur, et qu'ayant la bourse, il

habens, ea quae mittebantur, ¦ portait ce qu'on y mettait.

portabat. ¦

Mais les âmes pieuses qui agissent dans ces saints mouvements de l'amour divin, ne sont pas toujours approuvées de tout le monde. Ceux qui n'ont pas l'amour de Dieu dans le coeur, loin de s'édifier des saintes ferveurs de ces bonnes âmes, s'en formalisent, les désapprouvent, parce qu'ils ne peuvent concevoir le sentiment divin qui anime ces âmes pieuses. Leurs actions deviennent pour eux quelque chose de repoussant au lieu de les toucher agréablement; au moins ils y sont froids et prêts à les blâmer, dès qu'ils peuvent y trouver matière; et cela est très facile à ces hommes vides d'amour, ils raisonnent sur tout, selon qu'ils se sentent portés eux-mêmes. Or, dans leur intérieur, ils ne sentent que froideur et indifférence; leur esprit alors cherche des raisons pour désapprouver. Mais si, en outre, leur passion s'intéresse dans la cause contre les actions pieuses de ces bonnes âmes, alors ils se déchaînent avec violence. Ils prennent fait et cause en faveur de leur passion. Ils s'arment alors de raisons bonnes et religieuses en apparence, mais vides de l'Esprit de Dieu.

C'est ce qui arriva dans cette circonstance à Judas. Cet homme infidèle et endurci déjà dans son péché, était froid et vide de tout sentiment d'amour; il était d'ailleurs animé par la passion de l'avarice, ce [qui] acheva de l'animer contre cette sainte action. C'est ce que l'Evangéliste fait observer. [Il y a en Judas] deux mouvements: le premier [est celui] par lequel Judas ne put goûter cette action de dévotion, parce qu'il était loin d'avoir en lui l'amour de son Maître, pour sentir ce que la sainte sentait, lui qui peu de jours après devait le livrer. Préoccupé de sa passion pour l'argent, il ne pouvait aimer son Maître.

Le deuxième mouvement, c'est de vouloir qu'on vendît ce précieux baume, plutôt que de le perdre, comme il prétendait, en embaumant son Maître que la malice de ce disciple pervers devait livrer à la mort; de vouloir qu'on le vendît et lui en donnât le prix.

Dans saint Matthieu et saint Marc, on voit qu'au moins plusieurs autres disciples ont partagé l'idée de Judas, qu'il valait mieux vendre ce baume et le donner aux pauvres, et qu'ils manifestaient leur mécontentement. Ici cependant l'Evangéliste attribue ces pensées à la passion de Judas. Cela donne à croire que Judas a commencé par être choqué de cette action; il manifesta hautement son mécontentement, il déclama contre la sainte femme, et allégua cette spécieuse raison des pauvres pour colorer sa mauvaise humeur. Ces autres disciples, bonnes gens simples et peu éclairés dans les choses divines, s'y laissent prendre, et se rangent du côté du méchant contre la fervente aimante du Sauveur. Mais ce n'est pas le défaut d'amour pour leur Maître, qui en est la cause, c'est l'ignorance et le défaut d'habitude de cette fervente dévotion. Ceci arrive bien souvent aux âmes peu éclairées dans les choses divines; elles voient une action fervente qui n'est pas dans leurs usages, elles ont alors une grande facilité de condamner cette action comme imprudente, comme une fausse dévotion, parce qu'elle la jugent, non selon l'esprit de Dieu, mais par leur raison naturelle et d'après ce qu'elles éprouvent elles-mêmes. Elles se rangent très facilement du côté des méchants mêmes, qu'elles entendent déclamer contre ces sortes d'actions. Elles tombent ainsi dans de graves erreurs, et commettent des fautes, comme les disciples dans cette circonstance. Les disciples commirent ici une faute de présomption. La sainte femme faisait cette action sur Notre-Seigneur lui-même, lui qui connaissait même les choses les plus cachées. Or, la Sagesse éternelle laissant faire cette action, il y avait à croire qu'elle la jugeait bonne. Mais, au lieu de consulter leur divin Maître, ils se laissèrent aller au mouvement qui les animait et ils se trompèrent.

Ce qu'il y a souvent de remarquable, c'est que les personnes bien disposées qui se laissent ainsi tromper par leur présomption et l'ignorance des choses divines, parlent plus durement contre les âmes pieuses dont ils blâment les actions saintes, s'animent contre elles et agissent fortement en s'opposant à leurs saints desseins, quelquefois même plus fortement que les méchants, parce que ceux-ci, sentant leur malice et leur ignorance, ne prennent pas toujours chaudement le parti opposé; mais ceux-là se croient forts de leur justice, de leur bonne volonté, de la faveur de leur Maître, qu'ils servent bien ou croient bien servir, et par cette assurance, ils agissent plus ouvertement. En outre, ils sont animés par un certain zèle de la gloire de Dieu, qu'ils croient intéressée dans la cause. Saint Marc, en parlant des disciples dont il s'agit: Erant quidam indigne ferentes in semetipsis ... un peu plus loin: Infremebant in eam [Quelques-uns étaient indignés intérieurement... et ils s'irritaient contre elle: cf. Mc. 14,4-5].

× XII,7

Dixit ergo Jesus: Sinite ¦ Jésus lui dit donc: Laissez-la

illam, ut in diem sepulturae ¦ réserver ce parfum pour le jour de ma

meae servet illud. ¦ sépulture.

× XII,8

Pauperes enim semper habetis ¦ Car les pauvres, vous les avez

[vobiscum]: me autem non ¦ toujours avec vous, mais moi, vous ne

semper habetis. ¦ m'avez pas toujours.

Le divin Maître fait ici un double reproche à ses disciples inconsidérés. Car il ne faut pas croire que les paroles de ces deux versets soient dites à Judas seulement, mais à tous les autres qui étaient d'accord avec ce méchant. Il dit: sinite, au pluriel.

Le premier reproche est contre leur ignorance. Ils reprenaient cette sainte personne inspirée de Dieu, parce qu'ils ne savaient pas pourquoi cette action devait être faite. Il y avait un mystère caché, et ses disciples, voulant faire les entendus dans les choses divines, faisaient voir leur ignorance. Cette sainte femme faisait cette onction du baume pour ensevelir le corps de son Sauveur. Mais pourquoi Notre-Seigneur tenait-il tant à cette image? On dit: c'était l'usage des juifs d'embaumer les corps; mais qu'est-ce que cela faisait au Seigneur, que cet usage des Juifs fût conservé ou non? D'ailleurs, Nicodème et Joseph d'Arimathie accomplirent cet usage pieux sur le corps du Seigneur. - On pourrait encore dire qu'il voulait que cela se fît pour figurer sa passion et la manifester à ses Apôtres, mais il le leur avait déjà annoncé plusieurs fois, de vive voix et par figure. Dans les autres évangiles il dit que partout où son Evangile sera prêché, cette action sainte sera rapportée. C'était donc une inspiration extraordinaire de l'Esprit-Saint, à laquelle il attachait de l'importance, parce qu'elle renfermait un grand mystère. En effet, cette onction signifie l'union du Verbe avec la chair sacrée, même après la séparation de l'âme et du corps, et c'est en premier lieu ce qui rend son sépulcre glorieux. Cette vérité a été indiquée aussi par David: Non dedit sanctum suum videre corruptionem [Et il ne laisse pas son Saint connaître la décomposition: cf. Ps. 15,10; Ac. 2,27]. Comment peut-on appeler un corps inanimé le Saint de Dieu par excellence, sinon parce que c'est un corps uni au Verbe?

Rien ne présente mieux l'union du Verbe avec la sainte Humanité que le baume. La sainte femme a choisi un baume le plus exquis, pour que cela manifeste que cette union du Verbe avec l'adorable Humanité était la plus parfaite possible. Elle commença par faire une onction des pieds, pour signifier l'onction du Verbe dans la chair (Et Verbum caro factum est). Le pieds sont la partie infime du corps, la partie agissante ce qui représente le corps. Elle versa ensuite ce baume avec plus d'abondance sur la tête, qui représente l'âme sainte du Sauveur. Quoique le Verbe soit également uni au corps et à l'âme du Sauveur, cependant les émanations de dons sont plus grandes dans l'âme sainte de Jésus que dans son saint corps.

On peut dire encore que les pieds signifient les membres de Jésus-Christ dans son Eglise; elle fit une onction bornée, car leur union avec le Verbe est bornée. La tête représente Notre-Seigneur comme chef de sa sainte Eglise, où l'onction du Verbe et ses dons sont sans mesure et sans borne; elle brise le vase et verse tout ce qui est dedans. La divinité habitait en lui substantiellement. La maison représentait l'Eglise en général; aussi, le chef sacré étant couvert de cette sainte onction, toute la maison de l'Eglise fut remplie de sa bonne odeur.

Elle faisait cela pour l'ensevelir. On pourra dire que la fraction du vase signifie la séparation du corps et de l'âme par la mort; le corps, représenté par le vase d'argile, fut brisé, et c'est alors que l'onction du Fils de Dieu se répandit dans toute l'Eglise, dans celle de la terre et dans celle des limbes. Le corps fut rendu à la terre pour la féconder par son union avec le Verbe qui persévère, et l'âme alla délivrer l'Eglise des limbes par la toute-puissance du Verbe qu'elle possédait par suite de cette même union.

La sainte femme ne connaissait sans doute pas tous ces mystères qu'elle figurait, mais elle était remplie d'amour et agissait avec simplicité sous l'impression du divin Esprit. C'est là le grand avantage des âmes simples, bonnes et ferventes; elles ne raisonnent pas tant leurs actions; elles sentent le mouvement de la grâce et elles suivent avec fidélité. Le plus souvent elles ont une lumière au moins confuse et générale de la prudence et de la sagesse de leurs actes, et c'est cette lumière infuse qui leur donne une certaine assurance dans leur action; tandis que les âmes peu simples et qui ne vont qu'à demi avec Dieu, raisonnent sur toutes leurs démarches et veulent que rien n'y manque, et, par leurs recherches humaines, elles se privent de cette lumière surnaturelle qui leur ferait bien mieux voir le fond de leurs actions, et leur bien et leur mal.

Le second reproche que le Seigneur fait à ses disciples est marqué dans le verset 8. Il répond à la raison qu'ils donnent pour blâmer sainte Marie. Ils sont animés de la pensée que par cette dévotion, on faisait tort aux pauvres, et Notre-Seigneur leur dit qu'ils trouveront toujours le moyen d'exercer leur charité envers les pauvres, mais ils ne pourraient bientôt plus exercer la charité envers son Humanité sainte, et par conséquent cette sainte femme faisait bien de répandre ce baume sur son corps sacré.

C'est une chose bien remarquable, notre Sauveur se compare aux pauvres, et ne veut leur être préféré que pour une raison de dévotion spéciale qu'on éprouverait, et dans une circonstance où la nécessité est plus grande; cela montre sa grande bonté et sa grande tendresse pour les hommes. Pour bien saisir la réponse de la divine Sagesse et l'approfondir, il est bon de savoir que deux motifs doivent nous animer dans le choix de nos oeuvres de miséricorde. Nous avons à choisir entre deux sortes d'oeuvre; la première provient de notre amour envers Dieu, et [se fait] par religion envers lui, par le culte qui lui est dû, par exemple pour les ornements de ses autels, employer son bien pour le corps réel de Jésus-Christ. La seconde espèce est pour les besoins de ses membres mystiques, les pauvres, mais toujours pour l'amour de Lui.

Pour le choix entre ces deux objets, qui sont eux-mêmes tout à fait égaux, il peut être fondé sur une des deux raisons suivantes: la première est la dévotion intérieure. Tout le mérite de nos oeuvres de miséricorde réside dans la charité et la religion dont elles sont animées. Ces dispositions en font l'âme. Si ce mouvement porte quelqu'un vers Notre-Seigneur dans l'ornement de son corps naturel, il faut qu'il se livre à ce sentiment et qu'il donne à cet objet. Si un directeur fondé sur des principes généraux, le détourne et lui fait donner aux membres du corps mystique plutôt qu'à son corps naturel, il a souvent tort et lui enlève un grand mérite. Car, ce n'est pas la raison du directeur qui doit régler la conduite du pénitent, mais bien la grâce intérieure qui porte sa religion vers Jésus-Christ en lui-même; celui-là mérite le reproche du divin Maître: Quid molesti estis, sinite, etc. [Pourquoi la tracasser (Mt. 26,10). Laissez-la, etc.]. C'est là une règle générale. On ne doit y déroger que dans les cas spéciaux où l'on peut juger que la volonté de Dieu est que ce bien doit être employé à un autre objet que celui vers lequel on est porté. Le second motif est dans la plus grande importance ou le plus grand besoin des oeuvres entre lesquelles on a le choix. Quand on éprouve un désir général d'employer un bien à une bonne oeuvre, et qu'on n'éprouve pas d'attrait spécial pour telle ou telle oeuvre, alors qu'on choisisse entre les oeuvres diverses la plus importante et la plus nécessiteuse.

Il faut bien noter que ceux qui hésitent tant à quelle oeuvre employer leur bien, estiment beaucoup trop leurs dons. Il faut être bien persuadé que ce n'est pas ce don en soi qui a le mérite, mais les dispositions; par là le choix n'est plus si excessivement important, quoi qu'il soit nécessaire et doive être fait avec sagesse et discrétion.

Dans les cas extraordinaires, comme la famine etc., l'Esprit-Saint inspirait à ses saints de préférer les pauvres à l'ornement de l'église; dans les cas ordinaires, il les portait à l'un et à l'autre. Ainsi l'église romaine et d'autres anciennes églises étaient dès l'origine très - riches en vases sacrés et ornements; donc on approuvait cela dans l'Eglise; on avait cependant en même temps grand soin des pauvres. Dans les calamités publiques les SS. Papes vendaient les vases sacrés, dépouillaient le corps naturel de leur Maître, pour venir au secours de son corps mystique affligé pour le moment.

Tout cela est renfermé dans les divines paroles du Sauveur; Sinite eam etc. (Quid molesti estis etc., dans d'autres évangiles): laissez-la faire, vous êtes de mauvais directeurs, vous ne voyez pas mon esprit qui l'excite à cela pour manifester mes mystères? Dans le verset 8 on voit l'égalité des oeuvres en elles-mêmes et la préférence à donner à celle qui presse le plus.

× XII,9

Cognovit ergo turba multa ex ¦ Une grande multitude de Juifs sut

Judaeis quia illic est; et ¦ qu'il était là; et ils y vinrent, non

venerunt, non propter Jesum ¦ à cause de Jésus seulement, mais pour

tantum, sed ut Lazarum ¦ voir Lazare qu'il avait ressuscité

viderent, quem suscitavit a ¦ d'entre les morts.

mortuis. ¦

L'arrivé de la multitude à Béthanie provenait d'un sentiment pieux qu'excitait en eux le prodige de la résurrection de Lazare. Ils étaient [désireux] d'entendre parler le grand prophète qui avait apparu en Israël, et en même temps ils étaient animés d'un pieux désir de voir celui sur lequel s'était opéré un si grand miracle. Le simple peuple, qui n'était pas circonvenu par des vues d'ambition, croyait naturellement, après avoir vu et entendu des merveilles si étonnantes. La grâce avait accès dans leurs coeurs, pour y opérer un commencement de foi. Si ce mouvement ne durait pas toujours autant qu'il devait, cela provenait de la légèreté de ce peuple, dont le coeur était comme ce terrain sur le roc; la semence y prenait, mais elle séchait bien vite, parce qu'elle n'y pouvait bien prendre racine [cf. Mt. 13,20-21 par.].

× XII,10

Cogitaverunt autem principes ¦ Les princes des prêtres songèrent

sacerdotum, ut et Lazarum ¦ donc à faire mourir Lazare lui-même:

interficerent: ¦

× XII,11

Quia multi propter illum ¦ parce que beaucoup d'entre les Juifs

abibant ex Judaeis, et ¦ se retiraient d'eux à cause de lui,

credebant in Jesum. ¦ et croyaient en Jésus.

Les Princes des prêtres n'étaient pas disposés comme le peuple. Ils n'avaient pas leur simplicité pour se laisser toucher par ses miracles. Il arrive encore maintenant bien souvent ce qui arriva à ces pauvres orgueilleux. Ils s'étaient hautement prononcés contre le Sauveur, et cela par un effet de leur orgueil et de leur jalousie. Il leur était difficile de reculer après s'être si avancés. Il fallait donc soutenir la condamnation qu'ils avaient si injustement prononcée contre le Messie. Il vient cependant de faire un miracle si éclatant à la porte de Jérusalem, sur une personne bien connue dans la ville. Lazare était une preuve vivante de la divinité de Jésus-Christ, preuve qui confondait les chefs des prêtres. Ils voyaient un grand nombre abandonner leur parti et se rendre à la vérité. Le moyen le plus efficace, était de faire disparaître Lazare même; aussi la pensée leur en est venue, et probablement ils l'auraient exécutée, s'ils n'avaient pas réussi aussi vite dans leur dessein de faire mourir Jésus-Christ lui-même. En faisant mourir Notre-Seigneur, ils croyaient couper court à toute inquiétude, et n'avaient plus besoin d'attenter à la vie de Lazare.

× XII,12

In crastinum autem turba multa ¦ Le lendemain, une foule nombreuse qui

quae venerat ad diem festum, ¦ était venue pour la fête, ayant

cum audissent quia venit ¦ appris que Jésus venait à Jérusalem

Jérosolymam, ¦

× XII,13

Acceperunt ramos palmarum et ¦ prit des rameaux de palmiers, et alla

processerunt obviam ei, et ¦ au-devant de lui, criant: Hosanna,

clamabant: Hosanna benedictus ¦ béni celui qui vient au nom du

qui venit in nomine Domini, ¦ Seigneur, comme roi d'Israël!

Rex Israël! ¦

Le peuple qui venait des provinces à Jérusalem pour honorer Dieu et pour rapporter quelque consolation, était toujours avide de voir et d'entendre le grand prophète, son Messie, dont il entendait raconter sans cesse tant de merveilles. Toutes les fois qu'on arrivait, on se demandait s'il n'était pas déjà à Jérusalem, ou s'il y venait bientôt. Cette fois-ci, ils entendaient raconter de tous côtés le miracle éclatant qui s'était opéré dans la personne de Lazare, et ils en furent transportés de joie. Ils voyaient clairement que c'était leur Messie, et ils se croyaient tout près de leur délivrance de la puissance de leurs ennemis. Ce fut là leur malheur. Ils reconnaissaient l'évidence de la venue du Messie, mais ils étaient dans l'erreur en pensant que le Messie devait leur procurer des avantages temporels. Dès qu'ils le voyaient dans ses divines faiblesses, ils ne savaient plus qu'en dire et ils l'abandonnèrent en l'insultant dans leur fureur. Quand ensuite, après la résurrection, ils furent détrompés de leur grossière erreur, et qu'ils virent continuer les miracles nombreux faits en son nom et par son pouvoir, un grand nombre se rendirent à la vérité. C'étaient les plus sincèrement attachés à Dieu, et qui ne s'éloignèrent que parce qu'ils se croyaient trompés. Ils comprirent mieux le rôle que le Messie devait jouer sur la terre. Leur coeur disposé avec simplicité et sincèrement porté vers Dieu devint fidèle à la grâce qui leur était montrée. Mais les plus grossiers parmi les Juifs, et ceux qui étaient orgueilleux et passionnés pour le parti pharisien, et ce fut la grande majorité, tous ceux-ci ne revinrent pas de leur erreur et allaient toujours en avant dans leur opposition à la vérité; les uns, par la grossièreté de leurs vues, ne pouvaient concevoir les biens spirituels que le Messie leur procurait: n'ayant pas de biens terrestres à espérer de Notre-Seigneur ils ne voulaient l'admettre comme leur Messie; les autres résistaient par esprit de parti et s'endurcissaient dans leur erreur, par orgueil. Plus tard, quand ils virent les disciples de Notre-Seigneur réussir et propager la foi chez les payens, un esprit de parti se répandit parmi eux, la jalousie s'empara d'eux, et ils devinrent les ennemis mortels des disciples de Jésus-Christ, et cette haine dure encore maintenant.

Ce qui montre la joie et l'enthousiasme religieux qui étaient dans ce peuple à l'approche du divin Messie, c'est cette procession qu'ils firent en allant à sa rencontre. C'était l'usage les plus grands jours de fête; ils avaient des branches de palmier et ils allaient en procession chantant: Hosanna, Benedictus qui venit etc. Encore maintenant, ils ont cet usage dans leur synagogue, qu'ils ont pris du second temple; [à] la fête des tabernacles, ils font tous les jours une procession dans l'intérieur de leur synagogue avec des branches de palmier en main, en chantant Hosanna; le dernier jour, qui est le plus grand de leur joie, ils chantent encore Benedictus. Toutes les cérémonies sont des souvenirs de ce qui se faisait au second temple, surtout vers la fin. De tout cela on peut conclure que cette cérémonie était profondément religieuse; et que ce fut seulement le transport d'une sainte joie qui anima le peuple en ce moment. Ils décernaient à leur roi Messie les honneurs qu'ils rendaient à leur Dieu dans son Temple.

Ils appellent Notre-Seigneur roi d'Israël par excellence et un roi béni qui vient au nom de Dieu.

× XII,14

Et invenit Jesus asellum, et ¦ Et Jésus trouva un ânon, et s'assit

sedit super eum, sicut ¦ dessus, comme il est écrit:

scriptum est: ¦

× XII,15

Noli timere, filia Sion: ecce ¦ Ne craignez point, filles de Sion:

rex tuus venit sedens super ¦ voici votre roi qui vient, assis sur

pullum asinae. ¦ le petit d'une ânesse.

Jésus prit un âne pour faire son entrée triomphante et royale à Jérusalem, parce que telle était la volonté de son Père, qui l'avait ordonné ainsi par son prophète.

On peut trouver plusieurs raisons pour lesquelles le divin Messie devait ainsi prendre possession de son royaume, assis sur une monture si pauvre et si humble. La première: pour faire voir que son royaume n'était pas de ce monde, et par conséquent son trône ne doit pas être orné par les choses brillantes de ce monde, et sa gloire ne doit être que spirituelle et non selon la terre. 2° Il devait montrer par là l'humilité du règne du Verbe de Dieu sur ses créatures; il s'est anéanti pour chercher un trône bien humble pour la grandeur de sa Majesté. 3° parce qu'il ne devait prendre possession de son règne que par les humiliations. 4° pour montrer à ses disciples que toute leur grandeur consiste dans leur humilité, et que ce ne sera qu'en s'humiliant qu'ils parviendront à la gloire de leur royauté. 5° pour apprendre à tous ceux qui veulent l'avoir pour leur roi ce qu'ils doivent être eux-mêmes pour qu'il règne sur eux. Un roi humble comme Jésus ne prend possession des âmes que dans l'humilité. Un roi ainsi humble ne saurait régner sur des sujets superbes. 6° parce que ses sujets sont bien petits et bien misérables. D'ordinaire, la gloire des rois est dans les sujets; ici c'est le contraire. Toute la gloire des sujets est dans ce divin roi, de manière qu'ils sont très-glorieux d'avoir un tel roi; mais si d'ordinaire, la gloire du roi doit être dans les sujets, plus les sujets sont pauvres et misérables, plus le roi doit être humble et modeste. Or, cela étant, le triomphe de Jésus devait être fort humble et fort modeste, car au lieu de gloire, il ne tire qu'humiliations et abaissements de ses sujets, en remplacement de sa gloire dont il les revêt. De cette façon son entrée humble est un véritable triomphe pour lui et pour nous. Pour lui, parce qu'elle montre que toute sa gloire est en lui seul et non ailleurs, et pour nous, parce qu'elle nous manifeste que nous avons un roi si grand et si glorieux en lui-même, qu'il ne reçoit rien de nous et qu'il nous donne sa gloire; si nous sommes un objet d'humiliation pour lui, il est un sujet de gloire pour nous. Si Jésus avait dû paraître pour ce qu'il est en lui-même, il aurait paru dans la splendeur d'une gloire qui aurait ébloui toutes les créatures; mais devant paraître pour ce qu'il était par les sujets qu'il devait acquérir, il devait alors paraître dans l'humilité et la modestie.

× XII,16

Haec non cognoverunt discipuli ¦ Ses disciples ne comprirent point

ejus primum; sed quando ¦ ceci d'abord; mais quand Jésus fut

glorificatus est Jesus, tunc ¦ entré dans sa gloire, alors ils se

recordati sunt quia haec erant ¦ souvinrent que ces choses étaient

scripta de eo, et haec ¦ écrites de lui, et qu'ils les lui

fecerunt ei. ¦ avaient appliquées.

Dans les commencements, les disciples ne connaissaient pas cela, ils ne le surent qu'après la glorification de leur Maître. Car alors ils commencèrent à comprendre que Jésus possède toute gloire en lui-même et qu'il n'en reçoit pas de ses sujets. Toute la gloire qu'il reçoit de ses sujets est la sienne, que sa bonté leur avait communiquée. Il est glorifié de la compassion qu'il a daigné avoir d'un peuple de misérables, qui est maintenant revêtu des richesses et la gloire de son Roi. Les Apôtres voyant cela enfin après l'Ascension de leur Maître, comprirent ce qui avait été écrit de lui et de l'accomplissement qu'il avait donné à la divine volonté de son Père céleste. - On peut dire encore qu'avant l'Ascension les Apôtres avaient les yeux obscurcis et ne pouvaient encore comprendre le sens de l'Ecriture; il ne leur fut découvert qu'après la descente du Saint-Esprit; alors ils se rappelèrent la parole de l'Ecriture, et se souvinrent combien, sans le savoir, ils avaient parfaitement accompli la divine volonté.

× XII,17

Testimonium ergo perhibebat ¦ Or c'est ainsi que rendait témoignage turba quae erat cum eo quando ¦ la multitude qui était avec lui

Lazarum vocavit de monumento, ¦ lorsqu'il appela Lazare du tombeau et

et suscitavit eum a mortuis. ¦ le ressuscita d'entre les morts.

× XII,18

Propterea et obviam venit ei ¦ C'est pour cela aussi que la foule

turba quia audierunt eum ¦ vint au-devant de lui, parce qu'ils

fecisse hoc signum. ¦ avaient appris qu'il avait fait ce

¦ miracle.

La foule du peuple qui assista à la résurrection de Lazare, à son retour à Jérusalem parlèrent partout de la merveille sont ils venaient d'être témoins, et par là excitèrent l'admiration du peuple et leur donnèrent un grand enthousiasme et une confiance sans bornes, en celui qui opérait sans cesse tant de miracles, et toujours par la charité tendre d'une bienfaisance toute divine. (Transit benefaciendo [Il passe en faisant le bien: cf. xxxxxxxx]). Ce fut cette admiration qui fit venir la foule à sa rencontre. Ce fut cette allégresse et ces transports du peuple qui achevèrent de précipiter les Pharisiens dans le dernier excès du crime, par l'effet de leur horrible jalousie. Plus l'empressement du peuple était grand, plus ils se pressèrent de consommer leur projet détestable. Plus le miracle était éclatant et répandu parmi les peuples, plus ils se hâtèrent d'en détruire l'effet par un excès d'abomination digne de leur malice.

On commence à comprendre maintenant, pourquoi le Sauveur [y] attacha une si grande importance, ou pourquoi il semble y apporter une espèce de préparation que l'on ne voit pas dans d'autres miracles, et l'exécute avec une sorte de solennité qui ne se voit pas ailleurs.

C'est que ce miracle devait mener le dénouement de la scène [qui] devait avoir lieu; ce devait être l'occasion immédiate qui devait le conduire à la croix et au salut du monde.

Ce fut peut[-être] là aussi le motif qui le fit tant tarder à venir afin que les habitants de Jérusalem, qui devaient propager le miracle, eussent le temps d'apprendre la mort de Lazare, de venir visiter les deux soeurs, et afin que le miracle pût être fait dans toute sa force et avec toute la solennité convenable pour obtenir l'effet qu'il devait produire, et qui était déterminé dans les décrets éternels du Père.

× XII,19

Pharisaei ergo dixerunt ad ¦ Les Pharisiens se dirent donc entre

semetipsos: Videtis quia nihil ¦ eux: Voyez-vous que nous ne gagnons

proficimus? ecce mundus totus ¦ rien? voilà que tout le monde court

post eum abiit. ¦ après lui.

Les Pharisiens, apprenant ce miracle, étaient bien loin de partager les sentiments des peuples. Quand les passions nous préoccupent, nous ne sommes plus capables de bien voir les choses. Les passions agissent toujours sur notre intelligence. Dès que la volonté cesse d'être maîtresse des passions, dès qu'elle s'y laisse entraîner, tout en nous est alors renversé. L'intelligence, qui doit être le guide de notre âme, s'y laisse elle-même conduire et traîner par les passions; elle n'est plus capable de voir clair, elle se laisse servilement pousser par les passions, tendant et ne s'occupant plus que de l'objet des passions et en faveur des passions.

Les Pharisiens en étaient là. Ils devaient penser ainsi de prime abord: cet homme fait de grands miracles, il pourrait bien être envoyé de Dieu. Cette pensée les aurait amenés à un examen sérieux, et aurait peut-être fini par les guérir. Mais non, ce n'est pas le fait qui commence à les préoccuper, mais leur passion. Ce n'est pas le fait miraculeux de l'envoyé de Dieu qui frappe leur intelligence, parce que cette intelligence avait été profondément prévenue par la passion. Elle était sans cesse préoccupée du moyen de se débarrasser d'un censeur éclairé et importun, d'un homme capable d'attirer le peuple à lui, au détriment des pharisiens. Cet homme qu'ils veulent détruire dans l'esprit du peuple vient, fort mal à propos pour leur dessein, faire des miracles éclatants, et le peuple s'y laisse prendre malgré eux. Le première idée qui frappe cette intelligence passionnée, c'est le non-succès de ces machinations. Cette première impatiente, irrite, met au désespoir. Voyez donc, nous avons beau faire, nous n'avançons à rien: tout le monde court après lui, malgré tout ce que nous faisons. Ils pâlissent de désespoir et frémissent de rage. S'ils n'avaient pas tant fait contre lui, leur peine eût été moindre; mais ils disent, ils font tout ce qu'ils peuvent imaginer pour le perdre dans l'esprit du peuple. Il fait un miracle et leurs paroles sont méprisées, eux-mêmes sont délaissés, et tout le monde, en les abandonnant, se range sous sa conduite. Ce qui les frappe le plus, c'est que tout le monde les abandonne et va à lui: Post eum abiit.

Bien des gens se trouvent dans le même cas, dans ce siècle-ci. Combien de personnes ne se laissent pas préoccuper par l'amour-propre! Elles résistent alors au bien et aux hommes de bien. Une fois lancées, elles reviennent rarement. Elles se fondent sur leur bonne foi, mais le fond de leur coeur est en défaut; elles se sont laissé prévenir par une passion. Elles persécutent les serviteurs de Jésus-Christ et le bien qu'elles ne croient pas voir, ou qu'elles ne voient réellement pas par suite d'une passion. Qui leur pourrait assurer qu'elles n'auraient pas persécuté le divin Sauveur lui-même, si le cas s'était malheureusement présenté? Il est probable que ce malheur leur arriverait, si cela se rencontrait, parce que, une fois prévenues, elles n'auraient pas plus été capables de reconnaître le Sauveur que ses serviteurs.

Qu'il est donc important de se prémunir contre la passion et contre la prévention! Qu'il est important de juger toutes choses avec esprit de charité, de douceur, et dans une grande humilité et abnégation de soi-même, lorsque la chose semble contrarier ses propres vues et ses propres intérêts. Si les Pharisiens avaient pris ces précautions, il ne leur serait pas arrivé un si grand malheur que celui dans lequel ils se sont précipités comme à corps perdu.

× XII,20

Erant autem quidam Gentiles, ¦ Or il y avait quelques gentils, de

ex his qui ascenderant ut ¦ ceux qui étaient venus adorer à la

adorarent in die festo. ¦ fête.

× XII,21

Hi ergo accesserunt ad ¦ Ceux-ci s'approchèrent de Philippe,

Philippum, qui erat a ¦ qui était de Bethsaïde en Galilée, et

Bethsaida Galilaeae, et ¦ ils le priaient, disant: Seigneur,

rogabant eum, dicentes: ¦ nous voudrions voir Jésus.

Domine, volumus Jesum videre. ¦

L'Evangéliste ne rapproche pas ces deux faits sans dessein. Et dans tous les siècles nous en tirerons un grand fruit si nous y faisons tant soit peu attention. Les Pharisiens rejettent le Sauveur et les gentils le recherchent. Il y a d'abord un sens mystérieux en cela qui est expliqué au v. 23. Mais le sens moral que nous en tirons est facile à concevoir. Pourquoi les Pharisiens, avec toute la connaissance de la loi et des prophètes, rejettent-ils le Sauveur, tandis que les gentils, avec toute leur ignorance, courent-ils après lui? En posant la même question pour tous les siècles, on trouve toujours le résultat du même genre: Pourquoi les hommes de Dieu ont-ils toujours été réprouvés et contrariés, dans les oeuvres qu'ils entreprenaient pour la gloire du Maître, par ceux qui étaient les plus capables de comprendre leurs bonnes intentions, l'esprit de Dieu qui les animait et l'excellence des oeuvres qu'ils entreprenaient, tandis que les ignorants, et même ceux qui sont éloignés de Dieu, changent de vie et ont une pleine confiance en eux (39)?

Le rapprochement de ce fait, avec le verset 19 qui le précède, semble renfermer un sens mystérieux. Les Pharisiens font tous les efforts pour couvrir l'éclatante lumière de Dieu qui apparaît au milieu du temple d'Israël, pour arrêter l'expansion de son éclat, et pour détruire son effet merveilleux; et, au moment où leur malice est aux abois, non seulement le peuple juif vient en foule à la rencontre du Fils de Dieu incarné, lui rendant les hommages et lui exprimant leur joie, mais les gentils mêmes accourent et veulent avoir part au bonheur du peuple.

Les paroles des Pharisiens sont frappantes, ils disent: Voyez, nous avons beau faire, tout le monde le suit. Pauvres et aveugles Pharisiens, vous dites vrai, sans le savoir; tout le monde entier court après celui que votre orgueil et votre endurcissement vous fait rejeter et persécuter, mundus totus. Et comment en sera-t-il autrement? La lumière véritable, la lumière essentielle qui éclaire tout homme est venue dans le monde, dans ce monde qui a été créé par elle; comment le monde pourrait-il ne pas la suivre aussitôt qu'il aperçoit son éclat? La vérité, qui échappe à l'orgueil pharisaïque en désespoir, commence à s'accomplir au moment même; non seulement les Juifs mais encore les gentils courent après Jésus. Mais les gentils ne viennent qu'au moment où les chefs du peuple juif le repoussent. Il semble donc que le saint Evangéliste veut faire ressortir, par ce rapprochement, la réprobation du peuple juif et la vocation des gentils. Ce n'est pas Dieu qui a réprouvé le peuple juif, c'est ce peuple lui-même qui, livré à son orgueil et à sa malice, a repoussé la lumière divine qui lui appartenait comme par droit de naissance, et a ainsi consommé de ses propres mains sa réprobation. Le divin Sauveur n'a rejeté personne: non venit filius hominis ut judicet mundum sed ut salvetur mundus per ipsum. Qui non credit in filium hominis jam judicatus est [cf. Jn. 3,17-18]. Dans son désir immense de sauver ce peuple, il a usé d'une condescendance et d'une délicatesse admirables envers lui, ménageant ses faiblesses et prévenant les mauvais effets de ses vices. Quel n'a pas été son désir ardent de sauver le monde entier? Etant venu pour l'éclairer, que ne dut pas être son désir de répandre l'éclat brillant de sa grâce et de sa doctrine au milieu des ténèbres profondes de la gentilité? Mais devant sauver les brebis égarées des enfants d'Israël, il ne veut pas même donner au peuple des gentils les miettes qui tombent de la table des enfants. Il attend que ceux-ci l'aient foulé aux pieds, en refusant de se nourrir de ses dons et de ses bienfaits. Alors il répand avec profusion ses grâces et ses lumières sur la multitude des gentils, vivant jusqu'alors dans un désert sec et aride et plongés dans un abîme de ténèbres. S'il s'était manifesté aux Gentils en même temps qu'il avait apparu aux Juifs, ceux-ci, par un effet de leur orgueil, auraient été jaloux et se seraient éloignés de la vie que le Père leur envoyait. Le divin Sauveur, voulant ménager la faiblesse du peuple de Dieu, contint l'ardeur du zèle qui le dévorait pour le salut de tous les hommes, et ne répandit parmi les Gentils la grâce qu'il était venu leur apporter, que lorsque son peuple n'en voulait pas; mais les chefs du peuple et un grand nombre avec eux ne voulurent pas profiter de cette bonté infinie. Pendant que le peuple juif s'endurcissait, le Sauveur disposait de loin les Gentils et les attirait par sa grâce, afin de les trouver prêts quand leur temps serait venu. C'est ce que nous voyons dans le fait que le saint Evangile rapporte. Des Gentils vinrent, non pas encore pour adorer le Fils de Dieu et pour se soumettre à sa doctrine, mais pour le voir, volumus Jesum videre. Ils étaient bien près du royaume de Dieu, mais ils n'y étaient pas entrés, parce que ceux qui étaient invités n'avaient pas encore repoussé, d'une manière irrévocable, les bienfaits du divin Epoux. Mais on remarque qu'au fur et à mesure que les Juifs s'éloignaient, les Gentils s'approchent. Par la suite, les Apôtres imitent leur divin Maître; ils secouent, selon sa recommandation, la poussière de leurs pieds, quand les Juifs repoussent la parole de Dieu, et vont l'apporter aux Gentils; et lorsque le peuple d'Israël est entièrement rejeté, la gentilité vient en masse.

Cette conduite de Dieu mérite de fixer notre attention. Dieu est infiniment et essentiellement saint. Cette sainteté de Dieu, dans ses rapports avec sa créature, se manifeste en deux manières: par la miséricorde, et par la justice. Quand elle se manifeste par la miséricorde, elle se communique à la créature; quand c'est par la justice, elle la repousse.

Cependant, ne nous ayant créés que dans une pensée de miséricorde et pour se communiquer à nous dans sa sainteté, sa miséricorde ne nous est jamais enlevée; elle dépasse toujours de beaucoup la justice dans les relations de Dieu avec nous; de plus, la justice de Dieu n'agit que forcément, c'est-à-dire, lorsque la créature refuse la miséricorde. D'abord elle agit forcément par la raison que Dieu a nécessairement des relations avec sa créature; ces relations ne peuvent être que pour la rapprocher de lui ou pour la repousser; or, la créature refusant par sa volonté libre l'action miséricordieuse de Dieu qui la rapproche, il faut donc qu'il exerce l'action répulsive, et c'est la justice.

L'une et l'autre action produisent sa gloire, parce que l'une et l'autre sont la manifestation de sa sainteté. Nous procurons donc nécessairement la gloire de notre Dieu créateur. Si nous ne voulons la produire pour notre bonheur, en acceptant sa divine miséricorde, nous la produirons pour notre malheur, en devenant l'objet de sa sainte et infinie justice.

En deuxième lieu elle n'agit que forcément. Comme il est de l'essence de notre création que Dieu se communique à nous par sa sainte Miséricorde, Dieu tend à nous la communiquer de toute la force de sa volonté divine qui nous a créés, et autant sa volonté créatrice tend à nous communiquer sa sainteté de miséricorde, autant elle répugne à nous repousser par sa sainteté de justice.

Aussi la miséricorde dépasse sans mesure sa justice, et devient surabondante, même envers les hommes pécheurs, tant qu'ils vivent sur la terre, c'est-à-dire tant qu'ils ont une volonté libre. Quelle que puisse être l'infiltration du péché dans une âme, la justice de Dieu ne repousse pas l'âme, mais seulement le péché qui est en elle. De là, tant que nous vivons sur la terre, nous devons nous tenir pour assurés de la miséricorde de Dieu, et revenir à lui, quel que soit notre état; désespérer de la miséricorde de Dieu, c'est renier son Dieu créateur, ou plutôt c'est nier sa qualité de créateur.

C'est cette tendance de miséricorde du créateur qui a produit les merveilles de l'Incarnation et de la Rédemption. La Rédemption est encore un deuxième rempart contre l'action de la justice divine. Elle est une seconde volonté de miséricorde envers les créatures. Par le fait de l'Incarnation et de la Rédemption, Dieu a établi une nouvelle relation avec ses créatures, pour leur communiquer sa sainteté avec une plus grande abondance, et avec une plus grande intimité de miséricorde. Comme le Fils de Dieu s'est incarné pour s'unir à toutes les créatures, comme il s'est immolé pour les racheter, [les] revivifier et [les] guérir toutes sans exception, c'est-à-dire, tant que leur volonté reste libre, tant qu'elles sont dans la voie.

Voilà pour les créatures considérées dans leur individualité. Il y a une certaine différence, quand on considère les hommes réunis en peuple.

Dieu se choisit souvent dans le monde des peuples en particulier, pour leur communiquer des grâces et des dons spéciaux, dans un dessein de miséricorde pour tout ou pour une grande partie du genre humain. Il en est alors comme des hommes isolés que Dieu se forme ce qu'il comble de dons spéciaux pour le salut d'un grand nombre de leurs semblables.

Quoique ces dons et ces grâces soient accordés à ces peuples dans les desseins de miséricorde pour tout le genre humain, ces peuples ne laissent pas d'attirer l'amour de prédilection de Dieu et de profiter les premiers de ces dons et de ces grâces, s'ils sont fidèles.

C'est ce qui est arrivé au peuple juif. Le monde était plongé dans un abîme d'erreur, de malice et de péché, alors Dieu s'est formé ce peuple qu'il destinait au salut du monde. Si ce peuple avait persévéré, s'il avait reconnu les dons immenses que le Verbe, incarné dans un de ses membres, devait lui apporter, s'il était resté fidèle, il aurait vu des choses admirables et son bonheur eut été incalculable. Mais ce peuple, au lieu de reconnaître les bienfaits que Dieu lui avait accordés jusqu'alors avec humilité et amour filial, il se prit d'orgueil, et se nourrit de la prétention que ces dons lui étaient dus; il s'élevait au-dessus des autres peuples et les méprisait. Au lieu d'entrer dans la pensée de Dieu pour leur salut, il ne pouvait souffrir que sa divine grâce leur fut communiquée.

Dès ce moment, il méritait que Dieu l'abandonnât, exerçant envers lui sa justice. Car il n'[en] est pas d'un peuple comme d'un individu: Dieu ne lui faisait ces grâces que dans un dessein de miséricorde pour les autres peuples et non pour lui, et par conséquent il n'avait droit à cette miséricorde qu'autant qu'il restait fidèle à la tendance de Dieu qui en était le principe, c'est-à-dire la miséricorde pour les autres peuples. Cependant, cette communication de Dieu aux autres peuples devant se faire par le peuple juif, la lumière et la vie du Verbe incarné devaient profiter d'abord aux juifs avant d'arriver aux Gentils; c'est pourquoi le divin Sauveur ne voulait pas enlever le pain des enfants pour le donner aux chiens, c'est-à-dire aux Gentils, dont la vie était toute animale; ceux-ci ne devaient recevoir le pain de la vie que de la main des enfants. Le peuple juif résistant aux desseins de Dieu par son orgueil et sa jalousie, la divine bonté allait jusqu'à condescendre à ses faiblesses et à sa malice, afin de le corriger et de le rendre digne et capable de remplir la mission qu'il devait exécuter auprès des autres peuples. Le peuple choisi ayant résisté à cette nouvelle miséricorde de Dieu à son égard, et s'endurcissant de plus en plus dans son orgueilleux rebut au point de rejeter les dons les plus précieux de Dieu, ces dons se retirèrent de lui, il fut livré à son endurcissement, et Dieu choisit quelques membres plus fidèles de ce malheureux peuple pour opérer les grands desseins de sa miséricorde parmi les Gentils; et ce peuple, une fois en dehors de sa vocation, tombe lui-même dans les ténèbres, la justice de Dieu s'exerce contre lui à la place de la miséricorde qu'il a rejetée. La justice le repousse comme peuple, mais la miséricorde reste aux individus qui en font partie, parce qu'ils sont les créatures de Dieu, ils ont été rachetés par le Fils de Dieu et ils conservent toujours la volonté libre pour profiter de la miséricorde de Dieu.

Ces réflexions méritent de fixer l'attention des hommes choisis de Dieu pour évangéliser, pour sanctifier les peuples. La sainteté de Dieu se manifeste, se communique à eux sous forme de miséricorde, mais d'une miséricorde immense pour eux et pour un grand nombre. Dieu fait de leurs âmes un dépôt, un réservoir de sa miséricorde, d'où elle doit s'écouler dans les autres âmes et les remplir. Se vues sur leurs âmes sont nécessairement des vues de prédilection et de sainteté, comme celles qu'il avait sur le peuple juif. S'ils ont fidèles, s'ils reçoivent ces grâces abondantes, ils se sanctifieront de plus en plus, et alors ayant répondu aux desseins de Dieu, ils sanctifieront un grand nombre. Mais, s'ils sont infidèles, il leur arrivera ce qui est arrivé au peuple juif; la sainteté de Dieu deviendra pour eux une sainteté de justice, et sa prédilection se changera en répulsion; Dieu les rejettera de sa face, ils perdront ses dons précieux et surabondants, et ne lui serviront pas d'instruments pour le salut des âmes. Cependant, ils ne doivent pas désespérer, quand, après un temps, ils auront reconnu leur infidélité; d'abord parce que Dieu patiente avec ceux qu'il comble d'une prédilection spéciale; il agit à leur égard comme le divin Maître a agi à l'égard du peuple juif, il les traite selon leur faiblesse et attend leur retour; en deuxième lieu, si Dieu attend d'eux de grandes choses et qu'il ne les a pas obtenues à cause de leur infidélité, il ne laissera pas de leur faire miséricorde quand ils reviennent à lui; seulement cette communication de la sainteté de miséricorde sera moindre, parce qu'ils auront rejeté les premières communications qui étaient abondantes. Cependant, si l'infidélité a été grande, persévérante, les retours sont rares. Veillons donc et prions. - Revenons au texte.

Erant quidam gentiles. Les Gentils qui demandent à voir Jésus sont en petit nombre, quidam; le temps de grâce pour la multitude des Gentils n'était pas encore arrivé, il a fallu que le peuple juif eût d'abord refusé la lumière.

Ex iis qui ascenderunt ut adorarent in die festo. Les Gentils étaient de ceux qui étaient sortis de l'abîme ténébreux de la perversion et de l'idolâtrie, et se dirigeaient vers les hauteurs où la lumière divine brille avec éclat, ascenderunt ut adorarent. Tant qu'on est plongé dans les ténèbres de l'erreur et dans l'abîme du péché et de la vie des sens, on n'a pas envie de voir Jésus ni de près ni de loin, on est à peine capable de savoir que la lumière et la vie sont en Jésus pour nous être communiquées. Une âme que l'erreur environne par l'enflure de l'orgueil, ou dont les avenues sont fermées par la voie des sens, n'est pas en état d'être touchée par la grâce; pour se rapprocher de la lumière, il lui faut un coup extraordinaire qui l'arrache de son abîme. Pour s'approcher de Jésus, pour désirer de le voir, il faut une disposition préalable; il faut la bonne volonté au moins, qui consiste à ne pas aimer le péché, la vie des sens et de l'orgueil, et à désirer bien faire; c'était la disposition de ces bons Gentils; cette disposition étant une fois dans un homme, il parvient à voir Jésus, et le voyant il est éclairé et sanctifié par lui.

Ut adorarent in die festo. Ces bons Gentils étaient de ceux qui reconnaissaient un seul Dieu et qui venaient prendre part à l'adoration du peuple choisi, sans cependant être assujettis à toutes les observances de la loi. Ces Gentils avaient tout naturellement un sentiment humble d'eux-mêmes, et se regardaient comme bien inférieurs à ceux qui appartenaient au peuple choisi de Dieu, possédant ses saintes lois, ses traditions patriarcales et prophétiques. Ce désir d'adorer le Dieu d'Israël, dont la connaissance ne leur avait apparu encore que sous un voile obscur, devait naturellement leur donner aussi celui de voir Celui qui renferme en lui la lumière essentielle dans toute sa splendeur; et ce sentiment humble d'eux-mêmes était une bonne disposition pour obtenir la faveur désirée.

Hi ergo accesserunt ad Philippum. Ce sont ces Gentils, tels que vous les voyez avec ces dispositions, hi, qui se présentèrent à Philippe pour lui demander à voir Jésus. Les enfants d'Israël, sanctifiés par la loi et les prophètes, préparés par saint Jean-Baptiste, pouvaient directement voir Jésus; ils en avaient d'ailleurs reçu le droit par les promesses faites à leurs ancêtres; les Gentils ne devaient se présenter que par l'intermédiaire des enfants d'Israël, qui étaient destinés à devenir un peuple d'apôtres.

Nos Gentils entrèrent dans les vues de Dieu par le sentiment humble d'eux-mêmes; ils n'osèrent se présenter eux-mêmes et s'adressèrent à Philippe.

Qui erat à Bethsaïda (40). Ce mot signifie la maison de la pêche. Les Gentils devaient arriver à Jésus par les pêcheurs d'hommes, c'est-à-dire par les apôtres. Leur arrivée était une des premières annonces de la grande et miraculeuse pêche qui devait se faire plus tard. On voit que c'est là l'impression qui s'est produite sur saint Philippe et sur saint André.

Volumus Jesum videre. Pauvres Gentils, ils n'osent pas demander d'avantage; il leur suffit de le voir. Ils ont bien raison, il suffit de voir Jésus pour être transporté de joie et de bonheur, pour être éclairé de sa divine lumière, pour être consumé de son divin amour, pour être sanctifié par sa sainte présence. C'est un grand bonheur pour ces pauvres Gentils de voir Jésus; mais que serait-ce d'entendre sa divine voix, d'écouter sa sainte doctrine, d'être fortifié et animé par sa divine parole, d'être éclairé, échauffé, dirigé par son adorable lumière?

× XII,22

Venit Philippus, et dicit ¦ Philippe vint, et le dit à André;

Andreae: Andreas rursum et ¦ puis André et Philippe le dirent à

Philippus dixerunt Jesu. ¦ Jésus.

Philippe vit avec joie arriver les Gentils pour voir Jésus; il s'empressa d'en parler à André, et tous deux ensemble mirent le même empressement à l'annoncer à leur Maître. Cette joie et cet empressement ressortent particulièrement de ce [que] Philippe, au lieu de conduire les Gentils auprès de Notre-Seigneur pour le leur faire voir, va en parler à saint André, et de ce que tous deux vont ensuite en parler au Sauveur. La réponse de Notre-Seigneur fait voir aussi la satisfaction et l'empressement de ses deux disciples.

Les Apôtres, voyant la merveilleuse réception que Jésus avait eue à son entrée dans Jérusalem, voyant la foule se précipiter sur son passage avec des rumeurs et faisant entendre le cri d'allégresse: Hosanna, remplis de joie, ils crurent que le moment était arrivé où leur Maître allait être glorifié par tout ce grand concours du peuple d'Israël, que désormais son règne allait s'établir avec gloire; et voyant arriver des Gentils aussi pour voir et reconnaître le Messie, Fils de Dieu et Roi d'Israël, ils se crurent au moment de voir le règne de leur Maître s'étendre sur tous les peuples. De là leur joie et leur empressement. Il ne comprenaient pas en quoi consistait la mission de leur Maître, ni quelle gloire il devait avoir sur la terre; ils étaient encore trop assujettis à des sentiments de la nature, comme nous allons dire tout à l'heure; de là leur erreur.

Peut-être aussi le sentiment que renfermait cet empressement était que les Apôtres, voyant le petit nombre de disciples que Jésus-Christ avait parmi leurs compatriotes, ne comptant d'ailleurs pas beaucoup sur l'enthousiasme que venait de faire voir le peuple, et sachant du reste l'opposition des prêtres, des scribes et des Pharisiens contre leur divin Maître et l'animosité avec laquelle ils le poursuivaient, tout cela leur causait de l'inquiétude; d'un autre côté, ils avaient souvent entendu dire par leur Maître que les Gentils remplaceront le peuple juif; ils devaient naturellement éprouver une certaine joie, au milieu de leurs inquiétudes, quand ils voyaient arriver les Gentils, et croire que le moment était venu où le royaume de Dieu allait être annoncé aux peuples de la terre, et [où] leur Maître, si méconnu et si indignement traité par les chefs d'Israël, [allait être] glorifié dans la multitude de la gentilité. Ce sentiment et ces pensées étaient l'effet de leur amour pour le divin Sauveur; mais les Apôtres, simples et bons, il est vrai, n'étaient pas encore parvenus à ce degré parfait de l'amour qu'ils ont acquis depuis, ni à cette clarté des lumières qui leur furent accordées plus tard. Il y avait dans leur tristesse quelque chose de naturel et de faible, et dans leur joie et leur empressement quelque chose d'imparfait. Ils aimaient tendrement leur Maître, et ils voulaient pour lui une gloire humaine et naturelle; ils n'étaient contents que lorsqu'ils le voyaient exalté parmi les hommes, et voyant qu'il n'obtenait pas cette gloire au milieu de son peuple, ils s'attristaient; voyant que les Gentils venaient à lui, ils se réjouissaient, dans l'espoir qu'il trouvera cette gloire humaine parmi les Gentils. Il leur manquait deux choses que le Saint-Esprit opéra en eux le jour de sa descente: la 1re, [c'est] qu'ils n'avaient pas un amour assez dégagé d'eux-mêmes, ni débarrassé des prétentions, des faiblesses et des imperfections de la nature. Quand le Saint-Esprit descendit sur eux, il leur donna cet amour pur, fort et généreux, qui les éleva au-dessus d'eux-mêmes, les agrandit, les rendit capables de tout souffrir avec joie et égalité d'âme; il leur donna cette force, cette énergie du zèle, mais en même temps les rendit maîtres d'eux-mêmes et toujours égaux dans la joie comme dans l'adversité. En un mot, jusque-là c'étaient des enfants, l'Esprit en fit des hommes puissants et grands.

La 2e chose qui leur manquait, c'était qu'ils n'avaient pas une idée exacte de ce que le Fils de Dieu était venu faire sur la terre. Ils voulaient toujours pour lui cette gloire humaine, cette gloire extérieure, éclatante. Ce qui a paru dans plusieurs circonstances: ainsi ils aimaient à voir des grandes choses faites par leur Maître ou en son nom, ils revinrent avec joie de leur mission, disant que les démons mêmes leur avaient obéi; ainsi les enfants de Zébédée voulaient faire descendre le feu sur Sichar, saint Pierre ne voulait absolument pas entendre parler du calice amer que Jésus devait boire. Mais quand une fois le Saint-Esprit était venu les remplir, ils ont compris que le Verbe est venu s'incarner pour établir le règne de son Père dans les âmes, et non pas pour régner extérieurement dans le monde; ils ont compris que le Fils de Dieu est venu glorifier son Père dans les âmes, en les sanctifiant, et que cette sanctification ne se faisait pas au milieu de la gloire extérieure et éclatante, au milieu des joies et des sanctifications, mais au contraire au milieu du mépris, des humiliations, des souffrances et des contradictions.

Alors ils ont dû comprendre combien ils avaient été dans l'erreur, quand ils ont tant cherché l'éclat pour leur divin Maître, combien leurs pensées étaient petites, combien ils rapetissaient sa gloire en la faisant dépendre des hommes; ils ont dû sentir qu'ils rabaissaient la gloire de Jésus. - Heureux les hommes qui le glorifient, qui courent après lui, qui veulent le voir, qui écoutent sa doctrine merveilleuse, qui obéissent avec fidélité et amour à sa divine [loi]. C'est ce bonheur que nous devons procurer aux hommes. Mais quand toute la terre serait dans un ravissement d'admiration et d'amour devant Jésus, cela n'ajouterait rien à sa grandeur ni à sa gloire.

Les hommes de Dieu, qui sont chargés à la suite des saints Apôtres, d'établir le règne de Dieu dans les âmes doivent faire attention à ces observations. Combien n'y en a-t-il pas malheureusement qui en sont encore à cet état d'enfance où ont été les saints apôtres, et encore s'ils avaient cette simplicité et cette vivacité d'amour! Combien n'y en a-t-il pas, dis-je, qui mêlent ainsi dans la grâce de l'apostolat, les faiblesses, les imperfections, et même les défauts, les penchants, parfois même leurs penchants mauvais! Combien n'y en a-t-il pas qui s'exaltent de joie et parfois d'orgueil, quand tout va à leur gré, et qui s'abattent, s'affaissent, quelquefois s'irritent, se déconcertent, se découragent, quand ils éprouvent des contradictions, des difficultés qu'ils ne peuvent pas surmonter. Combien n'y en a-t-il pas qui comprennent mal la mission de leur divin Maître, et par conséquent la leur; ils veulent une gloire extérieure, ils ne savent pas que leur mission est une mission d'humiliations, de souffrances continuelles, de crucifiement en un mot. Ils n'ont pas cette grandeur, cette générosité, cette égalité parfaite, ce calme et [cette] paix humble d'une âme sanctifiée et fidèle à la grâce de son apostolat. Ce sont des enfants et souvent des enfants sensibus et non malitia.

× XII,23

Jesus autem respondit eis, ¦ Et Jésus leur répondit, disant:

dicens: Venit hora ut ¦ L'heure est venue que le Fils de

clarificetur Filius hominis. ¦ l'homme doit être glorifié.

Jésus, voyant la joie qu'ils éprouvaient à l'approche des Gentils, comprenant le désir qu'ils avaient de sa glorification, mais désir mélangé d'imperfections de cette glorification mal entendue, leur fait une instruction, dans laquelle en leur faisant voir leur erreur, il donne le principe fondamental pour leur futur apostolat.

L'Evangéliste fait sentir, dès le premier mot, que la réponse de Jésus était dans un sens opposé à l'idée des deux Apôtres. Jesus autem respondit eis, et pour donner aux paroles du Seigneur la gravité et l'importance qu'elles ont, il fixe l'attention par le mot dicens: Venit hora ut clarificetur Filius hominis. Jésus-Christ a honoré le monde de sa présence depuis 33 ans, il a parcouru la Judée et la Galilée depuis 3 ans, faisant des oeuvres merveilleuses et prêchant une doctrine divine; les Apôtres attendaient encore le temps de sa gloire et ne le voyaient pas arriver; ils voient enfin tout Jérusalem se mettre en émoi, ils voient les Gentils prendre part à l'enthousiasme général et, tout joyeux, ils l'annoncent à Jésus comme pour lui dire: Vous voilà enfin au moment d'être reconnu par les hommes, d'être glorifié dans le monde. Et Jésus leur répondit qu'en effet l'heure de sa gloire était arrivée, mais dans un autre sens que celui dans lequel ils l'entendaient. L'heure était déterminée dans les desseins éternels du Père. Notre-Seigneur ne dit pas l'époque, le jour, mais l'heure. La volonté divine de son Père avait réglé chaque instant où les divins mystères devaient s'accomplir, elle avait déterminé le moment où le Fils devait être glorifié. Les Apôtres trouvaient le temps long; ils étaient trop impatients de voir l'accomplissement des paroles de leur Maître, parce qu'ils ne comptaient qu'avec leurs désirs et ne faisaient pas attention à la volonté du Père céleste, ou plutôt ils auraient voulu que la volonté divine s'accommodât avec leurs désirs naturels et imparfaits. Le Sauveur ne se laissait pas presser par ces désirs imparfaits, il ne devança l'heure qu'une fois, à la prière de Marie, parce que cette prière était toute sainte et toute parfaite, exempte de tout empressement et de tout sentiment naturel. Il n'en était pas de même des Apôtres; cependant, tant qu'il ne voyait en eux qu'un désir et qu'un amour trop naturel, il patienta[it] avec eux, et ne [les] reprenait pas avec sévérité. Il devait leur communiquer plus tard l'abondance de l'Esprit-Saint, qui devait en faire des hommes nouveaux, des hommes selon [son] coeur et remplis de son esprit et de sa vertu. Mais traitera-t-il avec la même douceur, avec [la] même patience, ceux [qui], plus tard et dans la suite des temps, suivent ses traces dans la vie apostolique? Ceux-ci ont reçu la plénitude de son Esprit par l'imposition des mains, et sont cependant bien souvent tout aussi imparfaits que les Apôtres l'étaient pendant sa vie humaine sur la terre, tout aussi faibles, tout aussi peu avancés dans ses voies, tout aussi impatients et aussi incapables d'attendre les moments de Dieu, qui entendent tout aussi mal la glorification de Jésus sur la terre. Que ceux-là écoutent l'instruction de leur Maître, qu'ils la gravent profondément dans leur coeur; elle n'est pas seulement pour les deux Apôtres qui l'entendirent, mais pour tous ceux qui devaient le suivre jusqu'à la fin des siècles.

Il faut remarquer que Notre-Seigneur a dit que l'heure était arrivée où le Fils de l'homme serait glorifié. Il parle de l'heure déjà arrivée; or l'heure alors arrivée était l'heure des douleurs, de l'opprobre et de la mort la plus désolante, et il dit que c'était l'heure de la glorification. Il parle de sa glorification en sa qualité humaine, le Fils de l'homme. Or tout le poids de la douleur, de l'humiliation et de la mort la plus ignomineuse, est tombé précisément sur le Fils de l'homme.

Pourquoi Notre-Seigneur parle-t-il de la gloire du Fils de l'homme, lui qui dit ailleurs: Non quaero gloriam meam, sed gloriam ejus qui misit me? Et comment se fait-il qu'il donne le titre de gloire à ce qui est le comble de l'abaissement et de l'opprobre? Pour comprendre ce passage et ceux qui suivent jusqu'au verset 29, il faut avoir une idée juste d'une créature.

La créature n'a aucune gloire par elle-même; tout ce qu'elle peut posséder de gloire lui est communiqué par Dieu, cui soli honor et gloria. La créature par elle-même n'a que la bassesse de son néant. La gloire que Dieu donne à une créature est quelque chose de réel, qui devient une qualité glorieuse, inhérente et devenant intime à la nature de cette créature. Une créature ainsi glorifiée de Dieu acquiert dans son intime la splendeur de la gloire, comme la splendeur de la lumière est inhérente à la lumière du soleil. La splendeur que Dieu donne au soleil ne consiste pas en ce que les hommes le louent et le vantent de son éclat, de même la gloire que Dieu donne aux âmes qu'il choisit, ne consiste pas en ce que les hommes les louent, les admirent et les vénèrent; elle leur est inhérente, elle leur est donnée de Dieu, elle appartient à Dieu. Le soleil reçoit de Dieu la splendeur de sa lumière, et les hommes en profitent sans pouvoir ni l'augmenter ni la diminuer; de même, quand Dieu communique à une créature un rayon de sa gloire, les autres créatures en profitent et ne peuvent ni l'augmenter ni la diminuer.

C'est donc une idée bien fausse que celle qui nous fait placer la gloire dans les louanges des hommes; c'est faussement que nous croyons un homme glorifié, quand les autres hommes l'exaltent.

Cette fausse idée a son principe dans cette pente de notre orgueil, qui tend toujours à vivre dans l'estime des hommes, à chercher sa gloire dans la pensée, le jugement, la considération des hommes. Cette idée est d'autant plus fausse qu'elle est basée sur l'orgueil, qui est le néant de la gloire; car, là où il y a orgueil, là la créature est réduite à sa qualité de créature indépendante du Créateur, et la créature par elle et en elle n'a que le néant. De ce néant de gloire qui est essentiel à l'orgueil, et de la pente invincible de l'orgueil vers la gloire et vers une gloire inhérente à la créature comme telle, il résulte cette autre pente invincible à chercher la gloire dans les idées des autres créatures: gloire mensongère dans son fond, puisque la créature à laquelle elle se rapporte n'a que son néant et par conséquent est dans une nullité complète de gloire; mensongère dans sa forme, puisqu'elle n'existe que sous la forme d'une idée qui est dans des créatures étrangères à celle à laquelle cette gloire se rapporte, et celle-ci n'en retire rien de réel qui relève son être en lui-même; il ne peut lui en revenir qu'une jouissance orgueilleuse et par conséquent, un abaissement, couvert d'un voile imaginaire mais faux, d'une élévation factice qui n'a pas de réalité; abaissement qui, au jour de l'éternelle révélation, sera changé en une immense confusion, tout comme la véritable gloire sera changée en une immense splendeur.

La véritable gloire est à Dieu et en Dieu seul. Quand il en communique une portion à sa créature, c'est un don qu'il lui fait pour perfectionner son être et lui donner une excellence au-dessus des êtres qui lui sont semblables, quelquefois au-dessus même des êtres qui lui sont supérieurs par leur nature; c'est ainsi que l'Humanité sainte de Notre-Seigneur, la très Sainte Vierge et peut-être quelques autres saints, on été élevés au-dessus des Anges; les dons de Dieu leur ont donné une excellence qui dépasse celle de la nature angélique, bien supérieure à la nature humaine.

Cette communication de la gloire se fait en deux manières: par pur don de Dieu, qui, en lui-même et par lui-même, répand un lustre dans l'être créé sans qu'il y ait eu de sa part ni mérite ni participation. Cette gloire a été donnée à l'Humanité sainte de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans l'Incarnation du Verbe; cette gloire nous est donnée dans la grâce sanctifiante qui nous vient en nous par les sacrements, ou autrement dans des cas extraordinaires. Cette communication gratuite de gloire est faite dans une fin qui doit amener la créature à l'accomplissement d'une volonté divine, et cet accomplissement apporte à la créature une autre gloire, qui se donne dans ce monde, et enfin une gloire dans le règne de Dieu. Ainsi il y a une gloire première, pur don de Dieu indépendamment de l'action de la créature, et il n'est pas question ici de celle-ci. Il y en a une qui est attachée à l'accomplissement des desseins de Dieu, et une gloire qui répond à celle-ci dans l'éternité dans le sein de Dieu.

La gloire, répandue sur la créature dans l'accomplissement des desseins de Dieu, consiste principalement dans le règne de Dieu en elle. Ce règne de Dieu sur la créature et en la créature s'effectue en sa perfection, lorsque celle-ci s'immole, se sacrifie autant qu'il est en elle pour l'amour de Dieu, dans l'accomplissement des desseins de Dieu sur elle. Alors la créature, laissant agir en elle la volonté divine, s'anéantit et disparaît autant qu'il est en elle. Toutes les forces de l'activité vitale qui se trouvent dans l'âme intellectuelle étant mues, animées par la force active de Dieu en elle, au point que l'action de Dieu efface, immole jusqu'à la tendance la plus intime de toute créature, celle de la conservation. C'est sans contredit le règne, la vie de Dieu dans sa créature, et le règne et la vie au degré le plus parfait; par conséquent, la plus grande gloire consiste dans l'immolation la plus parfaite. C'est pourquoi Jésus-Christ dit: Venit hora ut clarificetur Filius hominis, en parlant de sa passion et de sa mort; il dit: Filius hominis, parce qu'en parlant de la gloire de l'immolation et du sacrifice, il parlait de la gloire du Fils de l'homme, de la nature créée.

Mais ici il y avait plus que la gloire d'une créature s'immolant au Créateur: le dessein de Dieu dans la formation de l'Humanité sainte de Jésus-Christ, dans l'Incarnation du Verbe, dans la passion et la mort de son Fils, ne consistait pas seulement à élever une nature individuelle au-dessus des autres créatures, mais à s'en servir pour former une nouvelle création dans l'ordre de la grâce. La création de l'univers est une émanation de la vertu toute-puissante de Dieu, la création de l'ordre de la grâce produisant la rédemption du genre humain tombé dans le néant (quant à cet ordre des choses), est une émanation de sa puissance, de sa sainteté et de sa miséricorde. Eh bien, la passion avec ses douleurs, ses angoisses, ses abaissements, et la mort avec son anéantissement quant à la vie humaine, associaient l'Humanité sainte à la toute-puissance de sainteté et de miséricorde de Dieu. Tel était le dessein de Dieu, de vivre en l'Humanité sainte dans sa force créatrice de sainteté et de miséricorde, afin qu'avec elle et par elle il fasse sa nouvelle créature en sa grâce, sa miséricorde et sa sainteté.

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NOTES ET COMMENTAIRES×

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(1). Jo I,3. [Note marginale de l'auteur]:

cette image est imparfaite par rapport à l'image infinie et éternelle, quoique l'image créée soit très parfaite en elle-même, comme créature, car il est dit: Vidit Deus cuncta quae fecerat quia erant valde bona [Dieu vit tout ce qu'il avait fait, que cela était très bon: cf. Gen. 1,31].

(2). Jo I,3. Le commentaire du v.3 s'achève ici dans la première rédaction. Ce qui suit a été écrit par le P.Libermann à une date ultérieure et sur une feuille à part; mais il est manifeste que son intention était de compléter son commentaire par les réflexions qui suivent. C'est pourquoi nous les transcrivons ici d'après son texte manuscrit.

(3) Jo I,17. Ici et dans le paragraphe suivant l'auteur, par distraction, a écrit factum , au lieu de facta.

(4) Jo I,31. [Note marginale de l'auteur]. Notre-Seigneur a voulu sanctifier le saint Précurseur étant caché dans le sein de sa Mère, et saint Jean l'étant aussi, et son opération était cachée aussi comme dans les anciens Prophètes, car le jour de sa manifestation n'était pas venu. Et il est probable que Jean n'a jamais vu l'enfant Jésus, quoique les peintres représentent souvent ce tableau; sa première vue manifeste était un jour de la manifestation du Sauveur en Israël.

(5) Jo I,31. [Note marginale de l'auteur]. Par là on explique les difficultés qui pourraient venir de la différence de l'Evangile de Saint Jean et des autres évangélistes.

(6) Jo I,33. La phrase s'arrête là dans le manuscrit.

(7) Jo I,35. [En marge]. Note sur le verset 35: Ceci paraît avoir eu lieu après le retour de Notre-Seigneur du désert où il alla de suite après son baptême.

(8) Jo I,38. [En marge]. Ceci eut lieu ce premier jour du retour de Jésus auprès de Jean.

(9) Jo I,38. Nous modifions légèrement le début de la phrase: le manuscrit commence ainsi: "Il faut toujours qu'en même temps, etc.".

(10) Jo I,43. [Note de l'auteur, en marge]. Note 41 et suivants. La vocation de saint Pierre, de saint Philippe et de Nathanaël eurent lieu le second jour. C'est ce jour que Notre-Seigneur s'en alla en Galilée, et arriva le troisième jour à Cana près de Capharnaum, où il s'arrêta et prêcha les jours qui suivirent les noces de Cana.

(11) Jo I,51. [Note de l'auteur en marge]; Videbitis caelum apertum [vous verrez le ciel ouvert]. Ce fut par l'ascension de l'humanité sainte que le ciel s'ouvrit pour les créatures humaines. Auparavant, les anges adoraient le Père par le Verbe. Quand l'humanité sainte était une fois dans le ciel avec toute la captivité de la créature humaine [cf. Eph. 4,8], aucune gloire ne pouvait plus être rendue au Père que par elle. Par là la nature humaine fut exaltée, et en même [temps] une plus grande surabondance de grâces fut répandue sur la terre, et une plus grande surabondance de gloire dans le ciel.

(12) Jo II,4. [Note de l'auteur en marge]. Si Dieu a caché devant Marie cette vérité, comme cela semble être marqué dans saint Luc quand elle retrouve l'Enfant Jésus [Lc. 2,50], c'était maintenant le temps de bien l'instruire de cela, puisque le moment du ministère était venu. Marie conserve dans son coeur la réponse de son divin enfant au Temple [Lc. 2,51], mais il aurait été possible qu'elle n'en a conçu le sens qu'après cette circonstance-ci, parce que Dieu pouvait ne l'instruire sur sa conduite vis-à-vis de son fils qu'à mesure qu'elle en avait besoin.

(13) Jo II,5. [Note de l'auteur en marge]. Ces repas nuptiaux étaient considérés comme des repas saints, on les faisait avec pompe et cérémonie, même pour ceux qui n'étaient pas riches, afin d'y donner une grande solennité pour réjouir les Epoux; c'est pourquoi il y eut un architriclinus [Maître du festin] et des ministri [serviteurs].

(14) Jo II,13. [Note de l'auteur en marge]. Notre-Seigneur a été dans le désert 40 jours, il en est revenu pour recevoir les deux disciples de Jean; au 43º jour il fit le miracle de Cana, il resta ensuite 2 ou tout au plus 3 jours à Capharnaüm, ce qui fait 45 ou 46 jours, alla ensuite à Jérusalem où, deux ou trois jours après, eut lieu la Pâque des Juifs; de manière qu'il est allé au désert tout au plus 50 jours avant Pâques; ce qui fait que notre Carême répond au jeûne de Notre-Seigneur dans le désert. Et peut-être seulement 46 jours, ce qui ferait juste la valeur de notre carême. Seulement il en revint 6 jours plus tôt, parce que son jeûne doit continuer, et les 40 jours finissaient 6 jours avant Pâques, tandis que notre carême est interrompu toutes les semaines par le dimanche, c'est pourquoi il va jusqu'à la veille de Pâques.

(15) Jo III,2. Le manuscrit dit: ils .

(16) Jo III,10. Manuscrit: ... que je vous les ai expliquées.

(17) Jo III,13. Les lignes qui suivent jusqu'à: Ainsi d'un côté...., ont été ajoutées postérieurement en marge par l'auteur.

(18) Jo III,13. Fin de l'addition en marge.

(19) Jo III,13. Ce qui suit a été ajouté postérieurement par l'auteur.

(20) Jo III,13. Fin de l'addition en marge.

(21) Jo III,19. Manuscrit: ils.

(22) Jo III,32. [Note de l'auteur en marge]. Il faut observer d'abord [qu'] il est dit: qui de sursum est [Celui qui est d'en haut]; par là il veut marquer la puissance de Notre-Seigneur, comme venant d'en-haut, et par là maître de toutes choses. Ensuite il dit: Qui de caelo [Celui qui est du ciel] par opposition à qui de terra est [Celui qui est de la terre]... pour montrer que dans leur ministère pour le royaume du ciel les serviteurs sont au-dessous du maître, et que Notre-Seigneur est autant au-dessus d'eux que le ciel est au-dessus de la terre.

(23) Jo IV,22. [Note marginale]. Les Samaritains n'admettaient pas les prophètes dans leurs Ecritures mais seulement la loi; ils rejetaient aussi les traditions des Juifs.

(24) Jo IV,24. Le manuscrit a seulement: Elle doit...

(25) Jo IV,47. [Note marginale de l'auteur]. Regulus: c'était probablement un chef d'une petite principauté, d'une ville ou d'un village. Il ne paraît pas qu'il fut prince de Capharnaüm mais seulement que son fils se trouvait par circonstance malade dans cette ville.

(26) Jo V,17. Le manuscrit ajoute en marge et au crayon: Cela doit s'entendre dans le sens de l'explication donnée au Chap. I, v.3.

(27) Jo V,24. Le verbe reprendre est pris ici dans le sens de réprimander, blâmer, comme dans le paragraphe précédent: ... ne peuvent pas être repris par cette lumière.

(28) Jo V,30. Ce paragraphe, ajouté en marge du manuscrit et écrit avec une encre différente, doit être postérieur à la rédaction primitive.

(29) Jo V,38. Tout ce paragraphe est écrit de la main de l'auteur, et de la même encre, dans la marge du manuscrit.

(30) Jo VI,13. Les deux lignes qui suivent sont ajoutées en marge par l'auteur.

(31) Jo VI,39. [Note de l'auteur en marge] Rejeter dit plus que perdre: rejeter dit une action qui repousse, et perdre dit une permission de laisser retirer ceux qui se retirent, l'omission d'une action conservatrice.

(32) Jo VI,66. Dans le manuscrit: "... mais s'ils sont de nature à persévérer."

(33) Jo VIII,25. [Le mot sera est une correction postérieure du mot est. De même la note qui suit a été écrite postérieurement, avec une encre différente]

"Selon le texte hébreu, il n'y a pas dans l'Exode Ego sum au présent, celui qui est m'a envoyé, mais celui qui sera, et on peut expliquer que c'est celui qui plus tard devait venir les délivrer de la dure captivité du démon. Les anciens reçurent cette promesse avec consolation et en adorant le Seigneur, et les derniers refusent la réalité avec malice, avec mépris et avec toutes sortes de résistances. Si on veut conserver le sens Ego sum, la comparaison établie entre les anciens Israélites et les Juifs du temps du Seigneur aurait tout de même sa force. Les anciens, quoique méchants jusqu'à l'excès, reçoivent avec consolation l'envoyé de Celui qui est, et par la seule raison qu'il vient en son nom, et ceux-ci refusent avec mépris et malice, celui-là même qui a l'être par essence."

(34) Jo VIII,26. [Note écrite plus tard et d'une encre différente] Notre-Seigneur juge et condamne nécessairement toute oeuvre mauvaise dès le moment qu'elle est faite, et le coupable ressent de suite un effet de ce jugement, effet qui est effacé par la pénitence, soit dans son tout, soit en partie, selon la perfection de la pénitence. Ce jugement n'est pas toujours communiqué au pécheur, dans ce sens que Notre-Seigneur ne lui fait pas toujours sentir intérieurement cette réprobation de l'oeuvre mauvaise par la force et l'efficace de sa divine grâce. Quelquefois même il laisse le pécheur dans l'oubli entier de sa faute et dans l'endurcissement. C'est le cas des juifs; voit plus bas.

(35) Jo X,1. Dans le manuscrit: ... au nom et avec le véritable pasteur.

(36) Jo X,5. Dans le commentaire qui suit, M.Libermann citera le texte correct: vocem alienorum.

(37) Jo X,16. [Note marginale de l'auteur]. Même avant l'existence de l'Humanité sainte tous les mérites acquis sur la terre ne pouvaient venir que de Jésus-Christ. Les anciens se sauvèrent par la foi en Jésus-Christ, leur futur sauveur: Non in alio aliquo salus [il n'y a aucun salut ailleurs qu'en Lui; Act. 4,12].

(38) Jo XI,46. Dans le manuscrit, on lit: gotaux (?)

(39) Jo XII,21. Ici s'achève le cahier relié. Le reste du manuscrit est un fascicule séparé, de format plus grand.

(40) Jo XII,21. [Note marginale de l'auteur]. Bethsaïde signifie maison de chasse et maison de pêche. Ici, il faut prendre la dernière signification qui est plus probable. Cet endroit était l'habitation des pécheurs sur le bord du lac. Voir d'ailleurs Chap. V. Probatica piscina quae cognominatur Bethsaïda.

 

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