I.
La récollection.
La récollection est l'acte le plus important. Cette
récollection existant, le reste suit tout naturellement. Il est impossible, en
effet, qu'une âme soit recueillie, sans que son attention soit fixée vers Dieu
dans une vue de foi quelconque; et il est impossible qu'elle soit ainsi
recueillie sans s'unir à Dieu par amour.
La source, le principe de la récollection est dans
l'intérieur. Si elle n'y était pas, il faudrait l'y attirer. Cette source est:
ou une grâce spéciale accordée au moment, grâce qui attire toutes les
puissances de l'âme, sans que de notre côté nous y ayons contribué; ou un état
de fidélité habituelle d'une âme à la grâce, fidélité par laquelle elle se
renonce en tout et vit habituellement à Dieu; ou un état moins parfait dans
lequel la grâce agit dans l'âme, et celle-ci, quoique souvent infidèle, a
cependant une volonté bonne et bien déterminée actuellement à faire son oraison
dans une vue surnaturelle.
Dans le premier cas, la grâce spéciale de récollection
donnée un moment sans efforts de l'âme est ordinairement accordée, soit pour
opérer dans l'âme une conversion du mal au bien ou du bien au mieux, soit pour
donner à l'âme une grâce particulière. Ainsi par exemple, pour les saints
personnages qu'il a plu à Dieu de favoriser de quelque don extraordinaire, ce
don a toujours été précédé par une grâce intérieure, qui établissait un profond
recueillement par une grande force d'attraction. Ou bien enfin cette grâce de
récollection est donnée aux âmes qui sont dans l'état d'une oraison affective,
à un degré plus ou moins élevé. Dans ce dernier cas, l'âme y contribue toujours
un peu; mais c'est cette grâce intérieure affective qui y a toujours la plus
grande part; dans les degrés intenses de cet état, elle fait presque tout, et
souvent même elle rend la récollection tout à fait passive.
Dans le deuxième état, l'âme, vivant en Dieu et étant
morte à elle-même, est facilement impressionnée de Dieu, puisque Dieu est
d'habitude l'objet vers lequel elle tend, dans lequel sont concentrées toutes
ses affections. De là l'objet qui l'impressionne le plus habituellement, le
plus facilement, c'est Dieu, et celui dont elle repousse le plus facilement les
impressions, ce sont les créatures; par suite, elle est débarrassée des
entraves qui empêchent ordinairement les puissances de l'âme de se porter vers
Dieu, et au contraire ses facultés tendent toutes vers lui. La grâce intérieure
étant d'ailleurs toujours là, quand, par devoir ou par inspiration, elle veut
se mettre en oraison, il en résulte qu'étant facilement impressionnée, elle n'a
qu'à vouloir pour se recueillir. Du reste, chez elle, le pli du recueillement
est pris, car une âme dans cet état a des retours très fréquents vers Dieu dans
sa journée; et si elle est dans une habitude sensible ou intense de
recueillement, dans le courant du jour, la récollection de l'oraison est plus
facile encore et plus intense.
Dans le troisième état, la récollection est plus
difficile et demande une volonté fortement déterminée et un certain travail. La
récollection est difficile, parce que l'affection du coeur étant partagée et
l'amour de Dieu faible, l'âme n'a pas toujours la ferveur voulue pour
l'efficacité de l'action de la grâce qui la recueille, et un recueillement
forcé est un recueillement nul; d'ailleurs les facultés de l'âme en cet état
étant peu habituées à se recueillir en Dieu, étant au contraire habituées à se
répandre facilement dans les créatures, il leur est difficile de se recueillir
pendant un temps considérable, elles se lassent facilement et se débandent.
La récollection demande une volonté fortement déterminée
à faire une bonne oraison, pour imprimer une impulsion vigoureuse au coeur qui
est faible, pour donner une action forte à la récollection et pour la maintenir
avec énergie. Cependant, cette volonté ne doit pas être raide et sèche, elle ne
produirait que la contention et non la véritable récollection.
Enfin cette force d'application de la part de la volonté
ne suffit pas, il faut un certain travail, une certaine industrie pour arrêter
les divagations de l'imagination, lui donner de la pâture et pour nourrir
l'affection du coeur. Il faut que les autres parties de l'oraison soient bien
soutenues pour soutenir l'attention.
Dans cet état, c'est tout l'opposé du précédent. Dans le
précédent, la récollection facilite les autres actes de l'oraison, pour
lesquels il faut peu de travail; dans celui-ci, au contraire, la récollection
ne se fait que par le secours des deux autres actes de l'oraison: la fixité
dans la vue de foi et l'affection de l'amour; et pour déterminer ces deux actes
et les soutenir il faut du travail et de l'industrie. Aussi dans l'état
précédent, l'action de la grâce a la plus grande part en toutes les parties de
l'oraison, dans celui-ci la nature agit plus que la grâce.
Dans ce troisième état de choses, c'est-à-dire, quand
nous ne sommes pas tout à fait morts à nous-mêmes, quand nous ne vivons pas
tout à Dieu, quand nous n'avons pas vaincu tous nos défauts principaux, et
enfin quand nous n'avons pas l'habitude de vivre sous l'impulsion de la grâce
divine, nous avons donc de très grandes difficultés à surmonter pour nous
établir dans cette récollection, sans laquelle point d'oraison possible. Ces
difficultés sont encore augmentées par celles de la vie active, où nos
relations avec les créatures sont habituelles; ce qui donne plus de force à
tous les empêchements provenant de nos défauts.
Le premier obstacle à la récollection provient de
l'attache à une personne, à une chose ou à nous-mêmes.
Quand l'objet de l'attache est une personne, lors même
qu'il ne s'y mêle rien de mauvais, cette attache a le désavantage d'embarrasser
le coeur, parfois de l'amollir, toujours de lui enlever la véritable ferveur,
et d'être un obstacle à la grâce. La première condition nécessaire à la
récollection de l'âme en Dieu est qu'elle soit fervente, et que le coeur se
porte vers Dieu.
L'attache à une chose compromet moins la récollection,
parce qu'elle compromet un peu moins notre amour envers Dieu; cependant elle y
met un obstacle grave, parce qu'elle porte dans l'âme une certaine disposition
de froideur envers ce qui appartient à Dieu; elle porte généralement avec elle
une sorte de préoccupation, elle diminue les dispositions de perfection et par
suite les grâces divines si nécessaires pour cette récollection.
L'attache à soi-même est le pire de tous les obstacles;
elle ajoute aux inconvénients que je viens de mentionner, pour les deux
premières attaches, celui de mettre sans cesse en jeu l'orgueil, de lui donner
gain de cause, de produire souvent des perturbations dans l'âme, d'y apporter
bien souvent la lâcheté et beaucoup d'autres vices essentiellement opposés au
saint recueillement de nos âmes devant Dieu.
Si donc on sent en soi une de ces attaches, il faut agir
avec générosité et avec énergie contre cette mauvaise disposition de l'âme,
arriver à l'oraison avec cette résolution forte et énergique et diriger son
oraison contre ces attaches jusqu'à ce qu'on les ait arrachés de l'âme.
La deuxième difficulté pour la récollection se trouve
dans les habitudes d'une vie trop naturelle. Quoique notre vocation soit
tellement sainte, qu'elle devrait nous maintenir sans cesse dans l'esprit
d'abnégation, de foi et d'amour, quoique nos occupations habituelles si
saintes, et les peines, les souffrances, les contradictions et les dangers,
devraient conserver habituellement nos âmes dans l'esprit de sainteté, nous ne
pouvons cependant pas nous dissimuler, que, par l'effet de la pente de notre
nature et par sa faiblesse extrême, nous risquons de tomber dans cette vie
naturelle et d'en apporter l'esprit dans nos occupations ordinaires, même les
plus saintes. Eh bien! c'est en soi déjà un grand malheur, et de plus la
récollection en Dieu dans l'oraison nous est rendue par là très difficile, et
même presque toujours impossible. D'abord, l'âme étant dans l'habitude de voir,
de sentir et d'agir humainement en restant dans l'ordre naturel, ne peut pas
s'élever à l'ordre surnaturel, quand elle le veut. Elle arrive à l'oraison, je
suppose, avec de bonnes intentions et sans mauvais penchant, mais elle arrive
avec sa nature; elle veut élever son esprit à un principe ou à un motif de foi,
elle veut se mettre sous une impression surnaturelle, elle veut s'animer d'une
tendance d'amour, elle veut sortir pendant trois quarts d'heure ou une heure de
ses tendances naturelles et les remplacer par des tendances surnaturelles, elle
fait un effort sur elle-même, se propose quelques pensées fortes pour se
frapper, elle use de toute l'industrie enseignée par les auteurs spirituels qui
parlent de l'oraison et parvient à se recueillir un moment. Eh bien! ce
recueillement sera presque toujours factice et ne durera pas. Le plus souvent
elle ne réussira pas, et elle passera son temps dans le vague et l'ennui. La
grâce peut, elle seule, nous élever à l'ordre surnaturel; par conséquent, la
grâce seule peut nous mettre dans cet état de récollection.
Un homme vivant habituellement de cette vie surnaturelle,
de cette vie de la grâce, cet homme est dans son élément en se mettant en
oraison; il n'a qu'à apporter la somme de fidélité nécessaire et l'action de la
grâce se manifestera. La récollection lui devient facile, et, quand il plaît à
Dieu, des grâces plus spéciales lui sont accordées , et cette récollection
devient alors intense, plus absorbante, plus fixe, et en tout cas, elle est
solide. Mais un homme naturel ne peut se recueillir que par une grâce
extraordinaire; si elle lui est accordée, elle tend de son essence à le retirer
de cette habitude de vie naturelle. De manière qu'avec la persévérance dans la
vie naturelle, l'oraison devient impossible, puisque ce qui lui est le plus
essentiel manque précisément.
Mais ce n'est pas là tout le mal. Cette habitude d'une
vie trop naturelle apporte une certaine froideur parfois et lâcheté dans l'âme
pour tout ce qui est surnaturel, surtout pour tout acte intérieur de religion;
de plus, un fond de routine, de cette malheureuse routine, qui est la mère
nourricière de la tiédeur et la perte du missionnaire. De là deux difficultés:
l'âme ne peut pas rentrer en elle-même, ni par conséquent recueillir ses
facultés, elle perd le goût de l'oraison.
Enfin cette habitude de vie naturelle reste rarement
(dans un missionnaire) innocente; elle ressuscite tous les penchants, vices et
défauts, enlève la grâce de Dieu, met en état de péché, souvent sans qu'on se
le persuade, et par suite, toute oraison devient impossible. Tout moyen de
faire oraison dans cet état est inefficace; les seuls à employer sont ceux qui
font sortir de cet état.
Ici quelques observations: 1E rarement un missionnaire de la Congrégation
descendra à ce point de relâchement qu'il devienne ainsi un homme naturel dans
la généralité de ses habitudes; mais cela pourrait arriver à un degré plus ou
moins élevé. Selon le degré plus ou moins élevé de ce mauvais état, se
mesurerait la difficulté plus ou moins grande de se recueillir dans l'oraison.
Il est nécessaire de prendre des mesures sérieuses contre cet état dès qu'on
s'en ressent. 2E Il arrive assez souvent
que, tout en conservant un fond d'esprit de foi et de piété dans l'âme, cette
vie naturelle s'introduit dans les occupations auxquelles on se livre. On
s'habitue à ces fonctions, on s'y plaît, non pas tant par zèle pour l'amour de
Dieu et pour le bien qui en résulte, mais par nature; on suit sans y penser ce
sentiment de la nature, et on s'acquitte ainsi tout naturellement de ses
désirs; c'est un artiste qui aime son art et qui l'exerce ainsi avec affection
naturelle. Il résulte de là que l'esprit est sans cesse occupé de ces
fonctions, des personnes et des choses qu'elles concernent; de là, difficulté
très grande pour arriver à la récollection intérieure. Cette difficulté est
d'autant plus grande qu'on ne peut pas abandonner ces fonctions, et, ne pouvant
les abandonner, on aura beau combattre ce sentiment de la nature, on aura beau
chercher à se débarrasser de cette habitude naturelle de faire, la
préoccupation restera encore très longtemps, et rendra, par conséquent, la
récollection intérieure difficile.
Cependant il faut se mettre à l'oeuvre, combattre
vigoureusement le sentiment de la nature, employer de l'énergie et de la
persévérance à faire ses fonctions dans une disposition surnaturelle, avec une
intention toute surnaturelle. Quand une fois on est parvenu à vaincre le fond
de l'habitude de vie naturelle, et à établir son âme dans une disposition
surnaturelle, quoique sensiblement la récollection soit entravée par ces
préoccupations restant de l'ancien état, elle n'en est pas mois réelle pour
cela, comme je vous le dirai plus tard dans la suite de cette instruction sur
l'oraison.
La troisième difficulté est dans la mollesse ou la
nonchalance qui rend l'esprit inappliqué, affaisse, assoupit l'âme et la rend
inerte pour tout acte intérieur. Quand la grâce doit agir efficacement dans une
âme, il faut qu'elle la trouve éveillée, alerte, et dans une disposition
vigoureuse et énergique. Cette mollesse et nonchalance est un sentiment, un
état de la nature, qui aime le repos; toutes les fois que l'âme agit sous
l'impression de la grâce, elle agit avec force et ne se repose pas en
elle-même, ne s'affaisse pas sur elle-même: la récollection devient donc
impossible avec ce vice.
Ceux qui sont atteints de ce mal, ont à examiner d'abord
quelle en est la source. Si elle provient d'un amour de délicatesse pour soi-même,
il faut aviser aux moyens de vaincre cet amour de soi-même et de ses aises; il
y aura lieu d'en parler d'ailleurs.
Si elle est l'effet du naturel, ou d'habitudes prises,
par suite de la pesanteur de l'air ou de la chaleur, alors, outre les résolutions
énergiques prises pour l'oraison, et les autres exercices spirituels, il faut
encore en corriger l'habitude, même dans l'ordre naturel, afin de réformer, de
refondre le fond du caractère ou de l'habitude. Pour cela il faut s'appliquer à
mettre une grande activité dans ses actions extérieures, éviter d'amollir le
corps par des positions aisées, et mettre de l'énergie dans son application aux
travaux intellectuels. Ces moyens sont nécessaires pour relever l'âme de cet
abattement moral, et lui donner du ton, afin qu'elle soit en état de se rendre
fidèle à la grâce. Une fois que ce mal moral n'existera plus, la difficulté
pour l'oraison disparaîtra aussi.
Mais si cet état est physique, c'est-à-dire, s'il
provient d'un mal physique qui abat l'organisation, détermine l'inapplication
de l'esprit, ou l'affaiblissement du système général de l'organisme, alors les
efforts qu'on ferait pour prendre toute son énergie dans les actes intérieurs
ne feraient qu'aggraver l'incapacité et ne produiraient aucun bon effet; ce
serait une pure contention, il faut l'éviter. Dans ce cas, il faut se soumettre
à Dieu avec humilité, amour et confiance, supporter son mal dans ces
sentiments, s'élever fréquemment à Dieu, maintenir dans son âme la disposition
générale d'être tout à lui, et s'offrir à lui dans cette intention, dans les
circonstances qui se présenteront.
D'ailleurs, si la difficulté ne provient que d'un
obstacle physique, ce n'est plus une difficulté réelle: l'âme étant, je le
suppose, dans les dispositions habituelles et pratiques d'être toute à Dieu, et
ne perdant pas dans ses habitudes ordinaires l'esprit de foi et d'amour, fait
réellement son oraison, elle est réellement recueillie quoique sensiblement
cela ne paraisse point ainsi.
La quatrième difficulté est un effet de l'attache à
soi-même, d'une vie trop naturelle et du caractère. Elle consiste dans une
sensibilité trop grande, jointe à une imagination vive et à un amour-propre qui
n'est pas encore vaincu.
Il résulte de là une certaine irritation des sens et un
emportement d'imagination, qui viennent très fréquemment mettre une gêne très
grande et un obstacle invincible à la récollection. - Je ne fais qu'indiquer,
devant parler ailleurs de cette matière. Pour que l'âme puisse se recueillir,
il faut qu'elle soit maîtresse d'elle-même, sans agitation d'esprit, sans
préoccupation ardente; il faut qu'elle se maintienne dans la paix, la douceur
et l'égalité intérieure. Pour avoir d'habitude la facilité pour cette sainte
récollection, il faut que, dans toutes ses habitudes, elle se maintienne dans
ces dispositions.
La cinquième difficulté est dans une habitude, une
manière d'agir très défectueuse: on embrasse les choses dont on s'occupe avec
trop d'ardeur d'esprit, on se répand trop au dehors dans tout ce qu'on fait, et
l'on y met trop d'activité ou d'empressement; on s'en embarrasse, on s'en
préoccupe tellement qu'on devient incapable de se recueillir. Toutes ces
manières d'agir sont pleines de défauts et fondées sur la mauvaise nature.
Soyons avant tout des hommes intérieurs, des hommes
d'oraison. En perdant l'esprit d'oraison nous perdons la source de tout bien;
nous déclinerons, la nature prendra bientôt le dessus, et nous finirons par
nous retrouver avec tous nos mauvais penchants, nos vices, nos attaches et nos
défauts, et alors il nous deviendra très difficile de devenir ce que Dieu veut
que nous soyons, et ce qu'il nous est facile d'être si nous conservons l'esprit
d'oraison. Comme la récollection est la partie la plus essentielle de
l'oraison, en la perdant, nous perdons tout.
II.
Fixité de l'attention.
Dans ce second acte de l'oraison, l'âme ainsi recueillie,
circonscrit son attention dans une vue de foi pour fixer son esprit
surnaturellement en Dieu. C'est là, à propre parler, ce qui caractérise
l'oraison et ce qui lui appartient à elle seule; les deux autres actes (la
récollection et l'application par amour) sont ses parties intégrantes, mais ils
se trouvent aussi bien dans nos dispositions et actions diverses de la journée
que dans l'oraison.
L'attention n'est autre chose que l'application de notre
intelligence à un objet; c'est donc un acte purement intellectuel.
L'attention est active quand, dans l'oraison, c'est par
un acte de la volonté que nous appliquons notre intelligence à Dieu. Elle est
passive, lorsqu'une vue de foi impressionne, captive notre âme et tient notre
intelligence dans cette fixité de vue, laquelle se fait par l'attraction ou
l'impulsion de la grâce, sans qu'il y ait eu action de notre part. Ce sont là
les oraisons passives, dont je dirai un mot seulement quand je parlerai du
troisième acte.
Quoique l'attention soit un acte intellectuel de l'âme
produit par la détermination de la volonté, cependant les impressions et les
tendances des sens et de l'imagination peuvent y apporter des facilités ou des
difficultés, selon qu'elles sont dans les sens de la vue de foi qui préoccupe
l'âme, ou contre elle. Lorsque la vue de foi qui fixe l'attention, impressionne
favorablement les sens et l'imagination; les passions de l'âme étant mises dans
un mouvement favorable, déploient toute leur activité à fortifier l'attention
et produisent une grande intensité dans l'action de l'âme en sa vue de foi.
Quelquefois, l'impression sensible quoique n'étant pas de nature à activer
ainsi le mouvement passionné de l'âme, suffit cependant pour maintenir
l'imagination dans la sphère de l'objet sur lequel l'attention est fixée, et
alors cette impression porte à l'âme au moins un secours négatif.
D'autres fois les sens et l'imagination sont sous une
impression opposée ou différente de l'action de la grâce et du mouvement
d'oraison. L'impression est opposée à l'action de la grâce, quand son objet est
mauvais, ou quand, cet objet étant indifférent, elle agit violemment sur les
passions et jette la perturbation dans l'âme. Dans ces cas le recueillement est
nul, et par suite l'attention de l'âme en Dieu impossible. D'ailleurs, l'âme
participant à l'impression mauvaise, ou bien faiblissant sous son poids ou sous
ses attaques, ne peut fixer son intelligence en Dieu, ni se maintenir dans la
vue de foi qu'elle se propose, puisqu'elle est entraînée par une tendance et
une vue contraires; l'oraison est donc nulle et impossible. Il faut alors que
l'âme se rende maîtresse de la mauvaise impression et du mouvement passionné,
qu'elle ramène dans son coeur une impression surnaturelle, qui rétablisse le
calme et qui fasse triompher de la mauvaise disposition qui a donné lieu à
l'impression opposée à Dieu ou à ce mouvement des passions.
On peut voir par là combien il importe, si on veut ne pas
renoncer à l'oraison, non seulement d'être détaché de toutes choses selon la
perfection évangélique, mais de se mettre en garde contre toute
impressionnabilité, surtout contre celle qui provient de l'orgueil ou qui est
irritante, car l'une et l'autre agissent fortement sur l'imagination et les
passions, (et le défaut du détachement rend notre âme sujette à se laisser
impressionner par des objets opposés à sa tendance vers mDieu) et par là elles détruisent l'oraison.
J'aurais à vous faire observer, mes chers confrères, que
sous le rapport de l'impressionnabilité, vous avez à veiller sur vous plus que
tous les autres. Les climats chauds où vous vivez presque tous, produisent des
excitations dans l'organisation, et par là rendent très impressionnable.
Qu'arrive-t-il alors? Ceux dont l'amour-propre n'est pas bien surmonté se
trouvent très facilement sous des impressions de susceptibilité, quand
l'impression est défavorable, ou de complaisance, quand elle est favorable; car
dès que l'amour-propre n'est pas dompté, cette sensibilité ou
impressionnabilité porte toujours son attaque de son côté, et forme la
susceptibilité ou la vaine complaisance selon que cet amour-propre est froissé
ou satisfait. De plus, les climats tropicaux ont encore cela de particulier,
que l'impressionnabilité qu'ils produisent est d'une nature très vive et
irritante; or, outre que toutes ces impressions sont mauvaises dans leur nature
et dans leurs formes, elles portent beaucoup sur l'imagination et les passions.
Par conséquent, outre les fautes et les imperfections habituelles qu'elles
produisent, elles deviennent un grand obstacle à l'oraison.
Quoiqu'elles soient organiques et qu'elles proviennent de
l'influence du climat, ces impressions ne laissent pas pour cela de renfermer
tout ce mal pour une âme qui s'y laisse entraîner, ou qui, malgré la sensation
qu'elle éprouve, n'oppose pas à ces impressions le calme intérieur et une
opposition au moins passive, qui, du reste, est peut-être la meilleure dans le
plus grand nombre de cas.
L'impression n'est pas opposée, mais différente de la vue
de foi, quand, tout en ayant un objet indifférent, et en n'agissant pas
fortement sur les passions et l'imagination, elle ne laisse pas de tendre à
distraire l'âme de son attention à Dieu et de la vue de foi qui la préoccupe.
Ici il faut examiner la source de la difficulté; elle
peut être double: ou le relâchement dans la perfection évangélique, ou une disposition
physique.
Ici on n'a qu'à voir les difficultés développées
lorsqu’il était question de la récollection. J'aurai seulement à ajouter que
ces difficultés, soit celles qui proviennent du relâchement, soit celles qui se
rattachent à un principe physique, deviennent plus grandes ici. En voici les
raisons: 1E On ne peut s'élever à une vie surnaturelle et
fixer son esprit en Dieu dans cette vue de foi, que dans le recueillement, et
surtout on ne peut se maintenir dans cette vue de foi et dans cette attention
de l'esprit à Dieu pendant un temps notable que par un recueillement soutenu.
Or, ce recueillement devenant difficile, et lors même qu'on parvient à s'y
mettre, n'ayant pas ordinairement l'intensité suffisante pour maintenir
l'esprit attaché à Dieu dans la vue de foi qu'on se propose, il résulte de là
une plus grande difficulté. - 2E Pour faire
journellement notre oraison, il faut apporter une fidélité journalière à la
grâce qui nous est donnée pour cela, grâce qui ne nous manque jamais (puisque
l'exercice de l'oraison est un devoir pour nous). Mais, comment aurons-nous
cette fidélité journalière à la grâce d'oraison, si, tout le long du jour, nous
sommes dans une habitude opposée à cette grâce et à son action. Les habitudes
les plus opposées à cette grâce et à son action sont: l'attache à nous-mêmes et
aux créatures, une vie trop naturelle, la mollesse, la nonchalance, la
recherche de notre bien-être et de notre satisfaction dans ce que nous faisons,
la sensibilité trop grande, les susceptibilités de l'amour-propre, les
préoccupations trop ardentes ou trop empressées, le désir trop naturel de faire
tout parfaitement; ce sont là autant d'habitudes directement opposées à
l'oraison. En effet, comment pourrons-nous élever notre esprit et le conserver
ainsi attaché à Dieu dans un ordre surnaturel, si notre âme est attachée à une
créature, la fixité de l'esprit vers un objet se mesurant ordinairement sur
notre attachement à cet objet? Comment le pourrons-nous, si nous sommes
d'habitude dans une vie purement naturelle? C'est peut-être là la plus grande
des difficultés, car c'est une difficulté des plus grandes d'élever son esprit
à l'ordre surnaturel, lorsqu'on vit dans un ordre naturel; la grâce ordinaire
ne nous y fait pas parvenir, elle trouve en nous un obstacle que nous lui
opposons par notre faute. - Comment le pourrons-nous, si, par notre nonchalance
et la recherche de nos aises, nous énervons l'énergie d'action de notre
volonté, énergie rigoureusement nécessaire pour fixer ainsi notre esprit, pour
l'arrêter sur Dieu ou sur un objet surnaturel, et nécessairement amollie par
les vices qui sont les enfants de la paresse? Enfin, comment le pourrons-nous,
si nous donnons prise aux mouvements passionnés de nos âmes, par notre
sensibilité extrême, par la susceptibilité de notre amour-propre, les ennuis et
tristesses dans l'insuccès, par les préoccupations ardentes de notre esprit, et
par l'empressement avec lequel nous avons l'habitude d'agir? Tous ces
mouvements passionnés de l'âme ouvrent sans cesse la porte à l'imagination,
produisent des agitations, et détournent de Dieu l'attention de notre esprit.
Enfin une dernière difficulté, qu'il n'est pas toujours
en notre pouvoir d'éluder, c'est quand non seulement une indisposition purement
organique met un obstacle absolu à notre application de l'attention à Dieu,
mais encore que l'organisation affaiblie jusqu'à un certain point, jointe à la
multiplicité des occupations, ou à une disposition, à un état intérieur, nous
met dans l'impossibilité de cette application suivie de notre attention à Dieu
d'une manière sensible. Alors on doit apporter un soin et une vigilance plus
grande à la pratique de l'abnégation, et à la vie de foi et d'amour dans le
détail des actes intérieurs et extérieurs. Il faut avoir une fidélité très
grande à faire son oraison, il faut se rendre maître des mouvements passionnés
de l'âme, et ne pas se laisser dominer par les impressions sensibles. Avec ces
trois conditions, on est assuré de faire bien son oraison. Quoique,
sensiblement, l'attention ne paraisse pas être avec Dieu, elle l'y est en
réalité au fond de l'âme.
On a d'ailleurs lieu de se consoler grandement de ce
qu'on ne peut pas faire oraison par les souffrances, quelque faibles qu'elles
soient, endurées avec foi, amour et parfaite soumission à la divine volonté.
J'indiquerai encore quelques obstacles à l'union ou
fixité en Dieu dans l'oraison. Il y a d'abord la légèreté qui rend l'esprit
superficiel, lui enlève la faculté de se fixer longtemps sur un objet, lui rend
difficile l'application à une chose sérieuse, et le prive de la gravité et de
l'égalité nécessaire à l'oraison. Il ne faut pas s'effrayer de cette
difficulté, mais s'appliquer à Dieu par le coeur, être une personne de
résolution et de persévérance, prendre dans l'ensemble de sa conduite des
habitudes graves et modérées. L'abnégation intérieure est une grande ressource
dans ce cas; par ce moyen, on vaincra cette difficulté.
Ajoutez la mollesse ou nonchalance, qui rend l'esprit
inappliqué, affaisse et assoupit l'âme. Ceux qui sont atteints de ce mal
doivent s'appliquer à être actifs dans tout ce qu'ils font, soit dans leurs
actions extérieures, soit dans leur application aux travaux intellectuels. Ce
dernier point est plus difficile, mais il ne faut pas se décourager. Qu'on prenne
d'abord une résolution généreuse, qu'on soit actif dans les travaux extérieurs,
ce qui est plus facile; qu'on se détermine certains moments de la journée pour
exécuter avec énergie des travaux intellectuels; qu'on commence par un temps
borné, une demi-heure par exemple pendant laquelle on s'appliquera avec
vigueur. Une fois cela gagné, on augmentera peu à peu et on finira par obtenir
un résultat complet. L'âme ayant une fois repris sa vigueur, l'oraison ne
souffrira plus cette difficulté.
III. Application
à Dieu par amour. [1]
Ce qui caractérise la vertu d'oraison, c'est la direction
de l'âme vers Dieu; mais sa perfection consiste: quant à la forme, dans
l'absorption de l'esprit et du coeur en Dieu, quant à la nature de l'acte dans
la perfection de l'amour qu'il renferme.
La perfection de l'oraison consiste donc dans
l'application de l'âme à Dieu par amour, en vertu duquel l'âme remplit la
mesure de son union avec Dieu. Cet amour s'exprime tantôt par la charité pure,
tantôt par l'espérance. L'oraison est d'autant plus parfaite et d'autant plus
unitive avec Dieu que l'âme s'y unit à Lui avec un amour plus pur et plus
intense.
II. But de l'oraison.
Nous avons un double but dans l'oraison: le premier est
de nous unir directement à Dieu par un acte spécial et uniforme, dans lequel
notre âme applique toutes ses puissances à son créateur et rédempteur,
considéré sous un point de vue quelconque, pour croire en lui, y mettre son
espérance et l'aimer. C'est un acte pur d'union à Dieu.
Le deuxième but est de détruire de plus en plus
l'influence de la nature mauvaise, de diminuer celle de la nature même bonne,
dans nos actes intérieurs et extérieurs, pour nous mettre de plus en plus sous
l'influence de la grâce divine et nous faire parvenir ainsi à perfectionner
notre union à Dieu dans la pratique, c'est-à-dire, dans nos actes et dans les
habitudes de la vie.
Ici, je dois vous faire observer, mes chers Confrères,
que, pour atteindre plus ou moins parfaitement le premier but, il faut tendre
vigoureusement, dans l'ensemble de notre vie, vers le second. Pour que notre
union à Dieu dans l'oraison ne soit pas imparfaite, souvent nulle ou illusoire,
il faut que nous soyons dans une résolution ferme, efficace et permanente, de
pratiquer une abnégation entière à nous-mêmes et à toutes choses, pour ne vivre
qu'à Dieu, et pour Dieu. Celui qui est amateur de lui-même, qui se complaît en
lui-même, qui désire la gloire humaine, qui cherche les jouissances dans les
créatures, qui vit de sa propre volonté, dont le coeur n'est pas animé des
sentiments que Dieu veut nous ayons envers le prochain, supérieurs, inférieurs
ou égaux, celui-là ne peut être que plus ou moins sous l'influence de la grâce
divine dans la pratique, et quelquefois il n'y est pas du tout. Par suite, il
ne peut s'unir à Dieu que par une charité imparfaite et plus ou moins faible,
ou quelquefois il ne le peut pas du tout, et, par conséquent, son oraison est
imparfaite ou nulle, parfois illusoire, par un effet d'imagination et d'un
sentiment naturel, qui produit soit un mouvement d'oraison qui n'en est pas un
véritable, soit un mouvement de charité parfaite qui n'existe pas, car il ne
peut exister qu'avec une disposition parfaite, à moins que, par une grâce
particulière, Dieu ne donne cet acte d'union de charité; mais alors la
disposition mauvaise et imparfaite de l'âme sera changée. Si donc, au sortir de
l'oraison, on sent cette disposition changée, c'est une bonne marque, sinon, il
est à craindre qu'on n'ait été dans une oraison illusoire.
Cependant, il pourrait arriver que ce mouvement d'oraison
eût été réel, seulement, le sentiment de la nature l'aurait emporté, quand ce
mouvement avait passé. Dans le cas où cette oraison serait habituellement ainsi
bonne, et que cependant rien n'eût changé dans la disposition mauvaise, que
l'âme n'éprouvât pas un désir plus ou moins vif, plus ou moins efficace de
sortir de cette disposition défectueuse, ou que, ce désir existant, il n'y eût
aucun effort sérieux pour le seconder, ce serait une preuve qu'il existe au
moins quelque chose d'illusoire dans cette oraison. Si l'oraison est bonne,
elle doit tendre nécessairement et nous porter à l'abnégation et à la vie de
sainteté; et si l'âme reste longtemps infidèle, l'oraison doit disparaître ou
elle doit être illusoire. C'est une règle générale qui, peut-être, a quelque
exception.
Cependant, il ne faut pas conclure de ce que je viens de
dire que votre oraison est nulle par suite de mauvaises dispositions, toutes
les fois que votre âme est sèche et portée à la distraction pendant le temps
que vous y donnez. Il ne faut pas même tirer cette conclusion, quand vous
éprouvez quelque tentation contre un ou plusieurs des détails de cette
abnégation dont je vous parle, ni même lorsqu'il vous est arrivé de succomber
l'une ou l'autre fois. Tant que vous combattez vivement avec une volonté
efficace contre vos vices, vos défauts et vos propres volontés, et que vous
faites des efforts efficaces pour vous détacher des créatures, votre oraison
peut être très bonne et parfaite, et vous pouvez et devez vous en servir comme
d'une arme bien trempée, dans vos luttes contre vous-mêmes.
III.
Différentes espèces d'oraison.
Nous pouvons appliquer notre âme à Dieu dans l'oraison en
différentes manières.
La première est la méditation: l'âme, pleine du
désir de sa sanctification, s'y propose une vérité surnaturelle qui tend à la
perfectionner, elle raisonne avec esprit de foi sur cette vérité pour en tirer
une conclusion pratique et applicable à ses besoins, cherche à se convaincre de
cette conclusion, prend des résolutions selon sa conviction, et animant toute
l'action de son esprit par un sentiment pieux, elle accompagne tout le détail
de ses raisonnements d'actes de désir, de religion, d'amour, de confiance et
d'humilité. Voilà la méditation.
La deuxième est l'affection. L'âme impressionnée
par la considération d'une vérité surnaturelle s'affectionne à cette vérité,
s'attache à Dieu par un sentiment du coeur plus ou moins ardent et produit des
actes d'amour et d'autres vertus.
Dans la méditation, le raisonnement domine; seulement il
est accompagné, plus ou moins, d'un sentiment affectif et pieux. Dans
l'affection, l'âme n'a pas le temps de raisonner et de tirer une conclusion,
elle ne fait que considérer et aussitôt elle est impressionnée par le sentiment
du coeur, et la conviction est de suite établie.
La méditation s'exerce ordinairement sur les vérités
morales plus ou moins abstraites, selon le plus ou le moins de sentiments affectifs
mêlés dans l'oraison; cependant elle les considère toujours pieusement, et tend
à la conviction pratique, adaptant la vérité ou la manière de l'exploiter à ses
besoins et finissant par une conclusion applicable à sa position.
L'oraison affective n'aime pas à méditer les vérités
abstraites; elle se porte de préférence vers celles qui excitent le sentiment
du coeur, pour les considérer d'une manière affective; elle aime surtout, au
moins généralement, les mystères, parce qu'elle en est impressionnée plus
vivement.
La troisième est la contemplation. Les puissances
de l'âme sont ici fixées en Dieu, soit par une simple présence pleine
d'adhésion à Dieu, soit par la considération d'un de ses attributs, d'une de
ses perfections; ou bien en Notre Seigneur Jésus-Christ, considéré dans ses
mystères, dans ses actions, ou même dans ses paroles. L'acte par lequel l'âme
considère Dieu ou Notre Seigneur Jésus-Christ par la foi, adhère et s'attache à
lui par la charité, est un acte simple, fixe et unitif.
Dans les deux premières oraisons, il y a activité, et par
conséquent multiplicité d'actes: d'une part, de l'esprit par le raisonnement,
de l'autre, du coeur par les affections. Dans la troisième, il y a immobilité
dans un acte unique et persévérant, renfermant en lui seul, d'une manière plus
intense et plus complète et dans un degré plus parfait, les
actes multipliés des
vertus exprimées dans les deux autres.
Dans l'oraison contemplative, l'âme s'attache directement
à Dieu ou à Notre Seigneur Jésus-Christ plutôt qu'aux vérités de Dieu; elle
voit ces vérités en Dieu et y adhère en adhérant à Dieu. Dans les deux autres
oraisons, l'âme considère directement les vérités de Dieu plutôt que Dieu, ou
notre Seigneur Jésus-Christ; elle voit Dieu dans ces vérités et adhère à Dieu
en adhérant à ces vérités.
Exemple: le sujet de l'oraison est, je suppose, Jésus
humilié dans une des circonstances de sa passion. L'âme méditative se dit à
elle-même: "Jésus-Christ a voulu la souffrir pour moi, pour racheter mon
orgueil et pour m'apprendre à être humble; il faut donc que je sois humble et
que je le sois surtout dans telle et telle circonstance."
L'âme affective considère cette humiliation de Jésus et
en est profondément émue et touchée; elle se dit: "Comment le roi de
gloire a-t-il pu se soumettre à cette profonde humiliation de la part de ses
créatures, et de ses créatures si misérables?" Elle est encore plus
vivement impressionnée à la pensée que c'est pour elle qu'il a daigné souffrir
cette humiliation; elle entre dans l'indignation contre elle-même, quand elle
songe que c'est son orgueil qui est la cause de l'humiliation de son divin
Sauveur, elle s'épuise en toutes sortes de sentiments de reconnaissance,
d'amour, de compassion, d'humiliation, de désir, à la vue de la bonté ineffable
de Jésus pour elle, la plus misérable des créatures, et elle se promet bien de
combattre son orgueil etc. En tous ces sentiments, cette activité affective de
l'âme se porte plutôt vers l'humiliation de Jésus que vers Jésus lui-même,
quoiqu'elle lui adresse la parole, établisse un colloque avec lui ou embrasse
ses pieds, etc.; car, dans tous ces mouvements qui la portent directement à
Jésus lui-même, elle est fixée sur l'idée de cette humiliation de Jésus et de
pensées qui s'y attachent, et non en Jésus; elle voit Jésus dans son
humiliation pour elle, et elle en est remplie d'amour.
L'âme contemplative est toute fixée ou absorbée en Jésus
humilié pour elle. Les mêmes idées qui font l'objet du raisonnement et de la
conviction dans la méditation, ou qui pénètrent et préoccupent les sentiments
du coeur dans l'oraison d'affection, ont pour objet direct de fixer davantage
l'âme contemplative à Jésus humilié; et si elles produisent en elle un
sentiment affectif, ce sentiment, loin d'attirer à soi son attention et de
produire en elle cette activité ne fait que la rendre plus immobile, plus
attachée à Jésus et plus absorbée en lui.
Une autre différence existe encore. Tout l'effort de
l'oraison de méditation se fait dans l'esprit. Il faut avoir soin de l'animer
de la foi et de l'humecter, pour ainsi dire, le plus possible, par l'affection
de la charité. L'oraison affective porte tout son effort sur le coeur. Il faut
la nourrir par une grande générosité de mortification et d'abnégation. La
contemplative affecte également toutes les puissances de l'âme, quoique, dans
les uns ce soit la foi, dans les autres la charité qui domine.
Dans la méditation, toute l'action de l'âme se fait pour
établir la conviction, et par elle l'amour des vertus à pratiquer. Dans
l'oraison d'affection, la conviction existe et la résolution pratique aussi, il
ne s'agit que de savourer les vérités par l'affection du coeur, et par ce moyen
on fixe davantage cette résolution, on la spécialise dans une foule de détails
dans lesquels elle n'est pas encore assez consolidée. L'âme agissant encore par
les sens ou les passions dans le bien qu'elle fait, a besoin, en effet, que ses
sens soient purifiés et dégagés des affections et sentiments naturels. Or, ces
affections de l'oraison l'élevant à Dieu par le moyen des sentiments,
produisent ces effets, rendent les résolutions plus énergiques et plus
appliquées à certains détails pratiques, sur lesquels elle est fixée par les
considérations qui la touchent. Dans la contemplation, l'âme attachée à Dieu, à
notre Seigneur Jésus-Christ par le sentiment le plus intime, possède en lui la
conviction des vérités et des vertus. Étant pénétrée du sentiment puisé dans
son union à Dieu, elle embrasse avec force et avec calme ces vertus qu'elle
considère en lui.
Enfin, il me reste à vous parler d'une quatrième manière
de faire votre oraison, et c'est il me semble, la plus importante pour nous;
car c'est, en général, cette manière d'être qui est spéciale aux hommes appelés
à l'action, et surtout à nous en particulier, quoiqu'avec quelques exceptions.
Les motifs de mon observation sont que, les trois différentes oraisons dont je
viens de parler demandent une grande facilité de récollection, l'absence de
tiraillements ou préoccupations d'esprit, et un sentiment affectif dans le
coeur au moins jusqu'à un certain point: toutes choses difficiles à concilier
avec l'activité nécessaire à un missionnaire. Il a et doit avoir un certain
fond de recueillement, mais il a ordinairement des difficultés pour arriver à
la récollection entière; son coeur est plein de cette charité de Dieu, de cette
charité forte qui le sacrifie sans cesse à Dieu, et qui le fait travailler
continuellement à la perfection; mais cet amour est dépourvu ordinairement de
cette sensibilité affective qui facilite l'oraison, faite de la manière dont
nous avons parlé. Il est impossible, au moins il est rare, que son esprit soit
débarrassé de ces tiraillements et préoccupations que lui donne la multiplicité
des choses et des rapports qui l'occupent le long du jour. Il ne s'en trouble
ni ne s'agite, son âme reste fermement attachée à Dieu, il fait chaque chose en
son temps et selon la mesure de ses forces, et se maintient dans le calme de
l'esprit et la paix du coeur; mais il n'est pas moins vrai que cette occupation
continuelle, embrassée par lui avec l'intérêt qu'elle mérite, sans dépasser les
limites qu'elle doit atteindre, devient un obstacle à l'application sensible
qu'exigent ces manières de faire son oraison. Nous avons de plus les chaleurs
du climat, les fatigues de notre saint ministère et l'affaiblissement de notre
physique, qui pèsent sur nos organes, les affaissent et, par là, causent une
certaine sécheresse et empêchent l'application nécessaire.
Notre oraison doit être, dans le fond, la même que celles
dont je viens de faire la description, moins la jouissance qu'on y trouve et le
compte favorable qu'on peut se rendre d'avoir bien fait.
D'abord, dans le fond elle doit être la même. En entrant
en oraison, nous devons nous proposer une chose: de nous unir à Dieu, en nous
donnant tout à lui sans mesure et sans restriction; ne nous attendre à aucune
jouissance sensible et être bien décidés à rester ainsi disposés et fidèles à
la grâce par la vue pure de plaire à Dieu. Ainsi résolu et disposé on commence
par se recueillir, soit par la simple vue de Dieu, en le considérant présent en
soi, ou en se considérant présent devant lui, soit par la vue de N.S.
Jésus-Christ dans un de ses mystères ou dans une de ses actions, ou par la vue d'un
des sentiments, d'une des dispositions ou vertus de Jésus ou de Marie. On se
maintient ainsi dans ce recueillement, en renouvelant ou variant la vue selon
les dispositions du moment, soit par la pensée d'une grande et frappante
vérité, soit par la considération d'une vertu, d'un vice ou défaut, d'un
passage de la sainte Écriture, ou de sa propre misère devant Dieu; dans ce cas
réitérer l'idée qui a fait du bien, et élancer quelques bons désirs vers Dieu.
L'heure passée ainsi devant Dieu, quoiqu'avec sécheresse
et distraction, obtient tout le but qu'on se propose: 1E L'âme s'exerce dans l'union à Dieu, puisqu'elle
ne fait, pendant tout ce temps, que tendre vers lui par la foi, l'espérance et
la charité; elle ne formule pas les actes de ces vertus d'une manière sensible
pendant tout ce temps, mais elle les pratique d'une manière virtuelle par une
tendance continue vers Dieu. Étant fidèle à faire cette oraison, elle augmente
son état surnaturel et en acquiert l'habitude. L'expression de ces vertus est d'autant
plus pure, qu'elle éprouve moins de jouissance ou qu'elle n'en éprouve point du
tout pendant son oraison. 2E Elle
perfectionne ses actes ordinaires de la vie par les vertus qui ont leur
pratique dans ses relations avec Dieu, les créatures et avec elle-même.
Quoiqu'il y ait absence de sensibilité et d'application de l'esprit aux détails
de ces vertus, on peut être assuré que la conviction s'établit solidement dans
l'âme, qui acquiert en outre une force toute spéciale pour la pratique des
vertus. De plus, le sentiment surnaturel se fortifiant et augmentant, il
produira, sans même qu'on s'en aperçoive, le fond et le perfectionnement des
vertus. 3E Enfin, l'âme y est éclairée sur ses défauts et
vices qui s'opposent à son union à Dieu et à la pratique des vertus. Cette
lumière n'a pas cette vivacité et clarté qui résulte d'une oraison où la
sensibilité est affectée; c'est une connaissance expérimentale et pratique que
l'âme acquiert, et si elle est fidèle, elle y obtiendra de grandes grâces pour
se vaincre, et plus elle sera fidèle à vaincre et à surmonter ses vices et
défauts, plus elle perfectionnera son oraison.
Pour que l'oraison, ainsi faite, obtienne véritablement
les résultats que Dieu demande, et pour qu'elle ne devienne pas une illusion,
il faut se donner sérieusement à l'abnégation de soi-même. C'est la base de
tout l'édifice spirituel du missionnaire et du religieux; c'est en elle qu'est
renfermée toute l'espérance des âmes, aussi bien que le progrès de la vie
religieuse! L'oraison est une des principales colonnes sur lesquelles repose
cet édifice; si la base est solide, la colonne reste debout, si la base manque,
la colonne croule et l'édifice avec elle. L'oraison, à son tour, prêtera un
secours puissant à l'abnégation et la consolidera davantage.
Cette résolution ferme et persévérante une fois
généreusement prise, si vous voulez bien faire votre oraison, ne la jugez pas,
mais soumettez-vous en paix à ce qui vous y manque et livrez-vous y avec une
volonté décidée et constante. Il vous arrivera souvent que, privés de
sentiments, livrés à des distractions, et parfois même à des dégoûts, vous
serez tentés de juger votre oraison d'après ce que vous sentez, et vous la
regarderez comme nulle; ce serait un défaut très grave et une dangereuse
tentation.
La source de ce jugement serait, le plus souvent, dans
l'amour propre et dans le désir de trouver quelques jouissances dans cet
exercice; quelquefois dans une certaine faiblesse dans le service de Dieu. On
se décourage alors facilement, et, l'on se persuade qu'on ne sait faire oraison
et que celle qu'on fait n'en est pas une. En ce cas on s'autorise plus
volontiers à se laisser aller aux distractions et à la nonchalance. C'est pour
cette raison aussi que cette tentation est dangereuse; car, au bout de peu de
temps, la nonchalance dominera et il arrivera qu'on ne fera plus oraison, parce
qu'on croira qu'on n'en fait pas. Le dégoût augmentera, parfois même le
découragement s'en mêlera et on serait tenté d'abandonner tout, au moins de
diminuer le temps qu'on donne à l'oraison toutes les fois qu'on le pourra, et
même de l'omettre tout à fait quand on en aura l'occasion.
Nous avons besoin d'y aller franchement, généreusement,
sans trop examiner si ce que nous faisons est parfait; faisons ce qui dépend de
nous pour bien faire, et abandonnons le reste à Dieu et à sa sainte grâce. Plus
notre oraison est dépourvue de sensibilité, plus nous avons besoin de courage
et de persévérance. Ce courage et cette persévérance deviendront pour nous une
garantie assurée de la bonté de notre oraison et du fruit de sanctification qui
y est attaché.
Cependant il est bon, important même de nous
précautionner contre l'illusion et le relâchement. Il est facile de passer de
l'absence de la sensibilité à l'insouciance, de l'impossibilité de s'appliquer
à la paresse et à la nonchalance, du repos de l'âme qui évite la contention à
l'assoupissement ou à l'inaction. On pourrait se bercer d'une application vague
des règles générales de l'oraison. On dira que l'âme dépourvue du secours de la
sensibilité, s'élève à Dieu par la foi et la charité pures et simplifiées et,
se reposant sur cela, on se fera une illusion nuisible. Il faut éviter la vaine
sécurité et l'inquiète incertitude, et prendre tous les moyens pour fortifier
son oraison.
Il y a d'abord un moyen bien assuré de rendre l'oraison
ainsi faite, bonne, sainte et profitable, c'est de vivre tout le long du jour
dans l'union pratique avec Dieu, non seulement par l'accomplissement de ses
saints devoirs, et avec l'esprit dans lequel ils doivent être accomplis, mais
encore par l'exercice d'une douce et paisible vigilance sur soi-même pour
résister aux impressions de la nature et surtout de la mauvaise nature, et agir
en tout conformément au bon plaisir de Dieu, par un esprit de foi et d'amour.
Notre oraison nous servira puissamment à rendre ainsi toute notre vie sainte et
agréable à Dieu.
De plus, ayons dans la journée des retours vers Dieu le
plus fréquemment possible; ces retours doivent être animés du désir sincère et
de la volonté ferme de vivre pour lui seul et de faire toujours son bon plaisir
aux dépens de toute satisfaction propre.
En outre, ne soyons pas trop répandus hors de nous-mêmes;
évitons la légèreté d'esprit, les amusements frivoles, les habitudes de curiosité,
les irritations, les mauvaises humeurs, la négligence, la mollesse et
l'oisiveté.
Quoique nous ne soyons pas capables de préparer notre
oraison, il est bon cependant de prévoir un sujet quelconque et de quelque
manière que ce soit, chacun selon son goût et ses idées. Il faut ensuite
observer ce qui est généralement prescrit pendant le grand silence: d'abord
observer ce silence, ne pas s'occuper pendant ce temps d'objets capables de
distraire de l'oraison, comme études ou lectures de livres curieux etc., et
conserver son âme dans la paix.
Pendant son oraison, éviter la mollesse, les impatiences
contre soi, ramener doucement son âme à l'objet qui l'occupe et produire des
actes surnaturels, abandonner le tout à Jésus et à Marie, avec une entière
confiance.
Ce qui est dit pour l'oraison du matin doit être appliqué
à la visite du saint Sacrement, ainsi qu'à la préparation et à l'action de
grâce avant et après la sainte Messe. Le sujet peut varier, mais la tendance de
l'âme doit être la même, et la manière de se diriger vers Dieu aussi.
Si nous sommes fidèles à faire ainsi notre oraison et ces
différents exercices avec ce soin, cette paix et cette confiance, il est
impossible que notre âme n'avance pas dans la véritable sainteté selon les
explications que je vous en ai données plus haut.
IV.
Sujets d'oraison.
Il me reste à vous dire un mot sur le sujet de l'oraison;
les détails seront la plupart pour ceux qui ont une des trois premières
méthodes, c'est-à-dire, ceux qui éprouvent encore quelque sensibilité dans
l'oraison.
Les sujets sur lesquels l'âme s'exerce dans la pratique
de l'oraison, sont Dieu et ses divines perfections; notre Seigneur Jésus-Christ
en lui-même, dans ses mystères ou dans ses actions; la très sainte Vierge et
les mystères qui se sont opérés en elle, et dans ce cas, il y a toujours une
relation directe ou indirecte à son divin Fils; les Saints, ce qui cependant
est rare; la parole de Dieu inspirée par l'Esprit-Saint ou exprimée par notre
Seigneur Jésus-Christ, et quelquefois dite par ses serviteurs; les vertus
chrétiennes ou celles des états particuliers; les vices, défauts ou fautes, et
enfin les vérités éternelles.
Tout cet énoncé demande une courte explication, en
commençant par où nous avons fini, et nous ferons précéder cette explication
d'une réflexion générale.
Ces divers sujets sont en soi plus parfaits les uns que
les autres, plus profitables à l'âme et dénotent souvent un plus grand
avancement dans la vie intérieure et dans la sainteté. Cependant, ces sujets
variés ne sont pas abandonnés à notre choix. Tel ou tel genre de sujets
conviendrait parfaitement aux uns et produirait les plus heureux effets, tandis
qu'il serait de nul effet et même nuisible à d'autres.
La convenance du genre de sujets pour une âme tient à son
état d'oraison, à ses dispositions intérieures, à son avancement spirituel,
quelquefois à des circonstances dans lesquelles elle se trouve, ou même en
partie à son naturel.
En cela, comme en tout le reste, mettons de côté notre
amour-propre, qui a envie de se satisfaire par une oraison plus élevée, plus
parfaite. Ne prenons pas une nourriture que nous ne digérerions pas bien et qui
ne produirait rien dans notre âme.
Il faut s'arrêter aux sujets qui nous profitent, et par
le moyen desquels nous avons plus de facilité de nous unir à Dieu, fût-ce d'une
manière moins parfaite, lorsque des sujets plus parfaits ne feraient que
laisser notre âme dans le vide et la nullité. Nous pourrions, pendant nos jours
de récollection, où il est bon de s'occuper avec un soin particulier de notre
oraison, et surtout pendant la retraite annuelle, examiner avec un bon
directeur à quel genre de sujets nous devons nous appliquer.
Il est important, en matière d'oraison en général, de ne
pas raffiner, de ne pas trop laisser raisonner notre esprit sur la manière de
la faire, de ne pas trop faire de retours sur nous-mêmes. Pour cela,
souvenons-nous de l'axiome de St Antoine: "la meilleure oraison est celle
où l'on ne sait comment on la fait." Apprenons à connaître ce en quoi nous
y manquons et tâchons de nous corriger et de bien faire.
Pendant le temps qui suit la conversion, la grâce de Dieu
porte naturellement dans l'âme un grand repentir des fautes commises, soit en
vue de l'offense faite à Dieu, soit par l'horreur du péché et des suites
funestes de la séparation de Dieu, qui en était ou devait en être le résultat.
Cet ordre d'idées affecte plus ou moins vivement l'âme et devient le sujet
ordinaire de ses oraisons. Ces sujets sont très bons et produisent d'excellents
effets de sanctification, il faut s'y livrer.
Cependant il arrive quelquefois que cet attrait diminue
et cesse d'exister en réalité, n'étant plus qu'à l'état factice, pour ainsi
dire. On sait qu'on avait commis beaucoup de péchés; on se fait par suite une
raison de continuer la méditation de ce sujet, afin d'entretenir dans son coeur
la contrition et l'horreur du péché; on est fortifié dans cette pensée par les
sentiments vifs qu'on avait éprouvés précédemment à la méditation de ces
sujets; parfois même, comme on n'éprouve plus ces sentiments, on se peine, on
s'inquiète dans la pensée qu'on n'a pas la contrition de ses péchés. On se
trompe dans ce calcul, comme on se trompe en général en tout ce qui est calcul en
matière spirituelle. Il faut suivre la grâce de Dieu, quelqu'avantage qu'on ait
éprouvé de ce genre de sujets; on doit suivre l'attrait de Dieu et non sa
raison propre, quels que soient les fondements solides en apparence sur
lesquels elle se fonde. Il faut abandonner ces sujets et arriver peu à peu à en
trouver des conformes à son attrait.
Les âmes qui ne sont pas encore bien purifiées de
l'attachement aux choses de la terre, peu faites à l'oraison mentale, ou
parfois celles qui sont plus dans la voie de la crainte que dans celle de
l'amour de Dieu, sont portées à prendre pour sujets ordinaires de leur oraison,
les vérités éternelles, comme l'enfer, le ciel, le péché et autres. Ces
vérités, quoiqu'abstraites, frappent leur imagination, fixent leur esprit et
les portent à de bonnes résolutions.
D'autres, qui n'ont pas pris la résolution généreuse et
absolue d'une abnégation entière aux créatures et à elles-mêmes, ou qui ne sont
pas bien ferventes dans la mise en pratique de cette résolution, dans lesquelles
l'amour de Dieu n'a pas une grande activité, quoique la bonne volonté de bien
faire ne manque pas, qui sont peu avancées dans l'esprit intérieur, ou enfin
qui procèdent plutôt par l'esprit que par le coeur, quoique d'une vertu solide
et d'une piété avancée, aiment à se proposer dans leurs oraisons les vertus,
les vices, les défauts et autres vérités abstraites, ainsi que Dieu et ses
divines perfections, considérées par les uns sous une forme spéculative et, par
les autres, sous une forme pratique, mais parlant plus à la raison qu'au
sentiment du coeur.
Ces sujets, pris en Dieu, et en ses divines perfections
considérées pratiquement, donnent aussi directement une nourriture au coeur et
à la contemplation de l'âme.
Les âmes sensibles et affectives s’accommodent bien d'un
texte, qui les remplit de douceur et leur suffit pour les entretenir longtemps
dans les sentiments d'amour envers Dieu.
Enfin les mystères et les actions de notre Seigneur sont
les sujets les plus avantageux. Ils remplissent l'âme et l'attachent à Dieu;
ils parlent à l'esprit, au coeur et à l'imagination. Il est bon, en les
considérant, d'éviter un certain entraînement de l'imagination, le coeur doit
toujours y avoir sa grande part.
APPENDICES
N°
1.
De
la vie naturelle.
Pour bien comprendre la vie de sainteté que Dieu veut
nous communiquer, il est utile de se faire une idée de la vie naturelle que
Dieu nous a donnée.
Il est dit dans l’Écriture, lorsqu'elle fait le récit de
la création, qu'après avoir créé l'homme, Dieu y souffla un esprit de vie.
Ce souffle intellectuel de la vie de l'homme renferme la faculté de connaître,
d'aimer et de vouloir. L'esprit vital nous est donné à l'état de facultés, qui
ont besoin d'un objet sur lequel elles s'exercent.[2]
Cet exercice se fait par la sensibilité intellectuelle ou morale, affectée par
l'objet qui est en relation avec l'âme, et par l'activité qui suit
l'impression.[3]
Pour mettre en jeu par ce double mouvement, la vie que
Dieu nous a donnée, nous avons reçu de lui le besoin de nous mettre en relation
avec les objets afin d'en recevoir les impressions, et la nécessité d'agir à la
suite des impressions reçues. Or l'objet qui nous impressionne nous est bon ou
mauvais. S'il nous est bon, l'impression est agréable, et l'impulsion
d'activité que nous avons reçue de Dieu nous porte à l'embrasser; s'il nous est
mauvais, l'impression est désagréable, et notre impulsion d'activité nous porte
à le fuir.
Si nous étions restés dans l'état primitif, tel que
l'homme est sorti de la main de Dieu, l'impression faite par les objets sur
notre sensibilité intellectuelle ou morale, serait toujours conforme à la
vérité, ou, en d'autres termes, notre sensibilité par la rectitude naturelle
qu'elle a reçue de Dieu, et par l'état surnaturel dans lequel notre âme a été
d'abord placée, percevrait expérimentalement les objets selon leur valeur, le
bien comme bien et le mal comme mal, et, par suite, aurait dans la pratique
répulsion pour tout ce qui est mal, et penchant pour tout ce qui est bien. Le
péché a perverti ce double instinct de nos âmes; souvent le mal impressionne
favorablement notre sensibilité morale ou intellectuelle, et le bien
défavorablement.
En conséquence de cette perversion, non seulement nous
penchons vers le mal et répugnons pour le bien, mais les notions pratiques
expérimentales du bien et du mal sont elles-mêmes faussées ou obscurcies selon
l'impression sous laquelle nous nous trouvons. Cependant, par nature et par
grâce, il nous reste l'impulsion pour le bien et la répulsion pour le mal moral
naturel, et, par grâce seulement, l'impulsion vers le bien et la répulsion pour
le mal surnaturel, le tout considéré en général. Mais dans la contradiction de
ces deux forces, qui se combattent, notre âme n'a pas le pouvoir suffisant pour
résister à l'impression mauvaise, qui l'emporte dans la pratique, soit quand
elle fausse la notion du bien et du mal, soit lorsqu'elle est dominante. Je
n'ai pas à entrer ici dans de plus grands détails sur les maux résultant du
péché; j'aurai à en parler lorsqu'il sera question des obstacles que les
desseins de Dieu rencontrent en nous.
La sensibilité, qui est affectée par les objets et nous
fait percevoir le bien et le mal, est donnée à notre faculté de connaître, et
la force impulsive ou répulsive affecte notre faculté d'aimer; la volonté
détermine l'activité de l'âme pour ou contre un objet, et fait arriver les
mouvements des autres facultés à l'état d'acte.
Lorsque la sensibilité n'est affectée que par l'unique
notion du bien ou par l'unique notion du mal, notre faculté de connaître ne
peut percevoir que cette notion unique, et notre faculté d'aimer ne peut avoir
que l'impulsion pour ou la répulsion contre cet objet, selon la qualité de bien
ou de mal qui y a été perçue par l'âme. La faculté de vouloir reste libre dans
la détermination de l'acte, et cet acte n'est complet qu'après la détermination
de la volonté.
Dans l'état actuel des choses, il est très ordinaire que
les hommes soient impressionnés diversement par le même objet, le bien et le
mal pouvant à la fois impressionner l'âme favorablement et défavorablement.
Dans cet état de choses où la perception du bien et du mal est ainsi pervertie
en nous, où il y a à la fois des impressions pour et des impressions contre,
et, par suite, des impulsions et des répulsions, la détermination de la volonté
pour le mal et contre le bien devient facile. Dans les cas où la perception du
bien et du mal sera unique et sans aucune contradiction, et l'impulsion ou la
répulsion unique, la volonté libre se déterminera toujours dans ce sens.
L'acte n'étant complet que par la détermination de la
volonté, c'est cette détermination de la volonté, c'est cette détermination de
la volonté qui décide le bien ou le mal dans l'acte, selon qu'elle est pour ou
contre le bien, pour ou contre le mal. D'où il résulte que le bien ou le mal
n'est pas dans l'action extérieure, mais dans l'acte intérieur de l'âme.
Quand notre âme détermine ainsi un acte en faveur du mal,
elle fait un acte mauvais; si c'est en faveur du bien, elle fait un acte bon;
si cet acte est en faveur d'un bien surnaturel, et s'il provient d'une
impression et d'une impulsion surnaturelles, il est surnaturellement bon.
Quand notre sensibilité est affectée facilement pour un
bien et difficilement pour le mal qui est opposé à ce bien, et que, par suite,
notre activité s'exerce et la volonté se détermine dans le même sens, notre âme
a une inclination vers le bien, une habitude bonne; elle a la vertu qui répond
à ce bien. Si, au contraire, le mal est mis à la place du bien, notre âme a le
vice qui répond à ce mal. Lorsque cette inclination à un bien est surnaturelle,
l'âme possède une vertu surnaturelle.
Outre cette sensibilité intellectuelle et morale, nous
avons encore une sensibilité physique ou organique, dont les impressions se
communiquent à la sensibilité morale, et qui est affectée par les objets
agréablement ou désagréablement; ici l'activité d'impulsion ou de répulsion est
représentée par l'instinct. Cette sorte de sensibilité et cet instinct,
considérés en eux-mêmes, ne renferment ni bien ni mal; mais le péché ayant
perverti toute la nature, ils servent à introduire le mal dans l'âme; car la
sensibilité morale recevant les impressions des objets physiques par la sensibilité
organique, celle-ci lui communique ses sensations qui, par l'adhésion de la
volonté, constituent souvent un mal moral. Cependant la sensibilité morale ne
reçoit pas ses impressions par l'organique seulement; la force imaginative la
met directement en relation avec les objets matériels aussi bien qu'avec les
objets moraux.
La sensibilité intellectuelle est en relation avec les
objets métaphysiques et en reçoit ses impressions, elle les reçoit aussi par un
effet de ce qui a été produit dans la sensibilité morale; la sensibilité morale
reçoit ses impressions par les objets moraux, c'est-à-dire mixtes, en partie
intellectuels et en partie physiques, au moins quant à la forme, et par les
objets matériels, quand ces impressions lui viennent par les sensations
organiques, ou par leur représentation imaginaire. La sensibilité physique
reçoit ses impressions par les objets matériels, et ces impressions sont
purement organiques.
Toutes ces diverses impressions arrivent en dernier
ressort à l'âme intellectuelle; elle seule possède le principe vital que Dieu a
mis en nous, elle seule décide en dernier ressort pour ou contre un objet, et
exécute cette décision en la réduisant en acte. La sensibilité intellectuelle
c'est la raison; l'impulsion qui suit l'impression est forte, unie et calme. La
sensibilité morale n'est autre chose que les sens intérieurs; c'est là qu'est
le séjour des passions, l'imagination y tient la place de la raison. Les
impressions faites sur nos sens y produisent une sensation et donnent une
impulsion à nos passions. Si cette impulsion est violente, elle entraîne avec
elle une perturbation. En tout cas, c'est là qu'est notre plus grand mal et
notre plus grand danger, parce qu'en tout cas le mouvement de nos passions
obscurcit la raison, l'entraîne ou risque de l'entraîner, ce qui est toujours
un désordre et presque toujours un mal, attendu que, dans l'état actuel, nos
sens reçoivent aussi facilement l'impression du mal que celle du bien, et
l'impulsion la suit, si la raison ne s'en mêle pour l'arrêter. Or, l'âme n'a
pas toujours la force de vaincre les passions et cela surtout quand les
passions sont violentes. Cette force des passions et la faiblesse de l'âme
contre elles tiennent à plusieurs causes:
1E
L'organisation a une grande influence sur les passions, sur la violence des
impressions, et sur leur forme. Telle ou telle organisation est plus ou moins
sujette à telle sensation, plus ou moins susceptible, plus ou moins active; par
là les sens sont plus ou moins fortement impressionnables, et les passions
assujetties à une impulsion plus ou moins forte, brusque et persévérante. Il en
est de même de la forme ou de la tournure de cette impulsion ou de ce mouvement
des passions; par exemple, dans les uns ce sera l'irascibilité, dans les autres
la tristesse, la susceptibilité, etc. Ces diverses formes tiennent à des
organisations diverses. Quand l'organisation est ainsi plus ou moins cause
principale de la forte impressionnabilité des passions, l'âme a besoin d'une
grande force pour soutenir le choc. Pour l'arrêter et le vaincre, elle a besoin
d'une plus grande force intérieure tirée de la puissance de la grâce de Dieu en
elle.
2E La deuxième
cause est l'attachement de l'âme pour un objet, et sa tendance vers cet objet.
Dans ce cas, que l'objet soit bon ou mauvais, l'impressionnabilité des sens
intérieurs sera atteinte dans un degré de force au moins égal à cet
attachement, parfois plus grand, selon le degré de jouissance qui a été produit
dans ces sens; car l'imagination, qui joue un grand rôle dans l'inflammabilité
des passions, reçoit à son tour une grande activité par les passions
enflammées, et produit ensuite une violence et perturbation qui dépasse
l'attachement de l'âme à cet objet. L'approche de l'objet, soit physique, soit
morale, produit aussi le même effet et sur les sens et sur l'imagination, les
enflammant au-delà de l'attachement de l'âme. J'appelle approche morale,
soit l'espoir prochain ou plus certain de le posséder, soit l'idée de sa
réalité tracée fortement par l'imagination.
L'âme étant ainsi attachée à un objet, si cet objet moral
est naturellement bon, il a la facilité d'impressionner les passions, et par
suite il donne la facilité de faire ce bien naturel, qui est le résultat de
cette passion bonne. Il faut cependant observer que l'âme, par nature, se
maintenant difficilement dans un bien même naturel, cet amour d'un bien doit
être soutenu par une organisation telle qu'elle lui soit favorable. Ce bien
naturel d'ailleurs étant généralement restreint, et l'attachement de l'âme,
pour conserver à cet objet sa bonté naturelle, étant borné, il résulte de là,
pour l'ordinaire, que l'impression sur les passions est modérée, et la
jouissance aussi. S'il en résultait une commotion forte dans les passions, cela
prouverait ou que l'attachement est vicié par son excès, ou que l'objet, en
apparence bon, renferme un mal qui agit plus puissamment que l'idée de bien qui
paraît, ou enfin que l'organisation ou l'imagination produit l'exagération.
Dans ces deux derniers cas, on peut être assuré que le mal est ajouté au bien,
ou même que le bien est souvent changé en mal.
Si l'objet est surnaturellement bon, si l'attachement est
surnaturel, alors les jouissances produites par l'impression sur les passions
arrivent souvent à une grande intensité, et l'activité imprimée dans les
passions est très violente, le tout cependant sans perturbation et sans
agitation. L'intensité devient grande ainsi que la jouissance, tant par la
nature de l'objet qui dépasse en bonté la force de la capacité de nos sens, que
par la nature de cet attachement, qui devient de plus en plus fort.
Si l'attachement est mélangé d'un principe naturel,
l'objet surnaturel est par le fait remplacé par un objet naturel, et
quelquefois mauvais, de toute la mesure de ce mélange; alors, comme un objet
surnaturel ne peut être saisi par la nature laissée à elle seule, il y a
compression, effort et guindement.
Enfin, si l'objet est mauvais, il peut produire une
impression plus ou moins forte, selon le plus ou moins d'attachement pour cet objet.
Dans ce cas, les passions produisent facilement une obscurité dans l'âme, qui
lui fait voir le bien dans le mal. Cette erreur est souvent purement illusoire,
et l'illusion provient de ce que l'âme, attachée à cet objet, est aussi
attachée au bien en général, par suite de l'impulsion de la nature et de la
grâce vers le bien. Ayant donc cet attachement général au bien et tenant
cependant à cet objet, et les passions lui faisant impression, elle se persuade
le bien où il n'est pas, et, par un effet de l'imagination, l'idée du bien
impressionne l'intelligence (la sensibilité intellectuelle). Cette impression
sur l'intelligence est plus ou moins forte, plus ou moins complète. L'âme n'est
pas excusée par l'illusion incomplète du mal auquel elle adhère.
L'illusion devient complète quand l'âme est habituée à
déterminer ses actes par les impressions des sens, et que, jugeant un objet
mauvais, l'impression des sens le lui fait juger bon. Ayant acquis l'habitude
de suivre l'impression des sens en faveur du mal, l'imagination acquiert aussi
l'habitude de représenter le bien dans le mal et le mal dans le bien; et alors
la notion du bien et du mal est pervertie, et l'âme intellectuelle ne perçoit
les objets que par l'impression favorable du mal et défavorable du bien. Il
résulte donc de là que l'âme voit le bien dans le mal et le mal dans le bien.
Enfin, lorsque l'âme, ayant la notion du mal et suivant
tout de même l'impression des passions, se détermine habituellement au mal, il
lui arrive, après un certain temps, d'émousser tellement l'impulsion vers le
bien donnée à la nature, et d'affaiblir à ce point celle donnée par la grâce,
qu'elles disparaissent presque entièrement; alors l'âme est endurcie, fait le
mal sans remords, et souvent hait le bien.
3E La sensibilité,
la vivacité, l'intensité et la violence de l'imagination ont une grande
influence sur les passions, et celle-ci leur donne le degré de force qu'elle a
elle-même. Les effets qu'elle produit, s'ils sont en faveur du bien, sont peu
importants, peu durables, surtout si c'est en faveur d'un bien surnaturel. La
raison en est que ces qualités diverses de l'imagination sont défectueuses et
ne restent pas dans les bornes du vrai où le bien reste toujours. Son action
étant exagérée, le bien n'est aimé que sous sa forme exagérée, par conséquent
fausse, et par suite l'effet, qui est de passionner pour le bien, est éphémère,
parce qu'il ne dure que le temps où le bien est représenté sous cette forme
exagérée.
Ajoutons que, s'il s'agit d'un bien surnaturel, l'effet
imaginaire provenant de l'exagération renferme peu de principe surnaturel, et
par suite est, sous ce rapport, encore plus défectueux et moins stable, parce
qu'il lui manque le fond sans lequel il ne peut subsister sous sa forme
surnaturelle.
Si ces effets sont en faveur du mal, ils sont durables,
dangereux et excessifs, suivant le degré de la force imaginative: durables,
parce qu'ils sont sustentés par les sens, qui, depuis que le péché est entré
dans le monde, sont inflammables et portés au mal; l'imagination s'alimentant
par les impressions des sens, et ayant porté fortement le mal dans les sens,
elle y retrouve une substance pour s'y entretenir elle-même; dangereux,
parce qu'ils voilent complètement le tact intellectuel de l'âme, et, causant
des impressions fortes, ils la portent avec plus de force vers le mal; excessifs,
parce qu'ils sont une exagération même du mal.
Si l'imagination est réglée, calme et guidée par le tact
intellectuel, ou au moins telle qu'elle n'agisse pas de manière à voiler ce
tact, elle produit de très heureux effets pour le bien, et rend de grands
services à l'âme dans l'ordre naturel et dans l'ordre surnaturel. Dans l'ordre
surnaturel surtout, elle est d'un très grand secours, principalement si, avec
une imagination réglée, on a le coeur sensible. Des éléments naturels ainsi
disposés offrent peu d'obstacles à l'action de la grâce et renferment des
ressources favorables.
4E Tant que
l'âme est habituée à vivre sous l'impression des sens et à déterminer ses actes
d'après leurs impressions, les sens restent impressionnables et les objets
exercent sur elle une action plus ou moins puissante, selon le plus ou moins
d'intensité qu'il y a dans la sensibilité de l'organisation, la force de
l'imagination et l'attachement à un objet ou à un ordre d'objets. Lorsque cet
objet ou cet ordre d'objets est surnaturel, la grâce agit dans le sens de
l'impression faite par l'objet, pour déterminer l'impulsion intérieure et ce
qui en est la suite, et se conforme à l'état de l'âme habituée à vivre sous
l'impression des sens. Il en résulte que l'impression et l'impulsion se font
par le moyen des sens et la détermination qui s'ensuit se fait d'une manière
passionnée. Cependant, la grâce tend peu à peu à rendre l'âme indépendante de
l'impression des sens.
Quand l'âme est habituée à ne pas vivre sous l'impression
des sens, elle en est indépendante, et ce ne sont plus les passions qui entrent
dans sa détermination pour ou contre un objet; l'impression d'un objet,
l'impulsion pour ou contre et la détermination se font dans la région
intellectuelle, dans la raison. C'est l'état normal de l'homme, le plus
favorable au bien, surtout au bien surnaturel; cet état est plus stable, plus
uniforme, plus vrai, et, se tenant dans les bornes du bien sans exagérer, au
moins pour l'ordinaire, l'âme y a plus de tact pour la vérité, plus de force
pour la suivre, et dévie moins fréquemment. Cet état se trouve quelquefois,
dans l'ordre naturel, dans les hommes dont l'organisation est favorable, ou
dont l'imagination et le sens moral sont bien réglés. Mais dans ce cas, il y a
rarement des élans généreux dans l'âme vers le bien. Je dis rarement, pour ne
pas dire plus; car, avec un élan généreux, il y a presque toujours ou une
sensibilité morale impressionnable au même degré, ou une imagination à un degré
élevé, et l'une ou l'autre exercerait son influence.
Souvent il arrive que, tout en vivant dans les
impressions des sens et y cherchant même sa jouissance, l'âme cependant, par
l'effet d'une raison élevée bien développée, ou d'une forte volonté, sait quand
elle veut se rendre indépendante des impressions des sens, et peut même
acquérir l'habitude de cette indépendance. Mais ceci n'est que l'effort de la
nature, ne s'exerce que dans l'ordre naturel et n'a qu'un effet naturel. Cet
effet ne renferme pas un bien moral complet, par la raison que cette qualité ne
produit que très peu de résultats pour le bien de l'âme elle-même,
c'est-à-dire, pour l'établissement de la vertu en elle. Le principal résultat
en est dans l'acte extérieur, qui est analogue à l'idée déterminée et a plus
d'apparence que de réalité pour le fond de la vertu. D'ailleurs, cet effort
d'une nature élevée gagne peu de terrain sur les mauvaises passions, et moins
encore sur l'orgueil, qui souvent n'est que fortifié par cette qualité; car les
qualités morales de l'âme, surtout les qualités de ce genre, portent avec elle
une dose plus forte de ce vice et de plus le fomentent. La grâce seule peut
opérer cette indépendance des passions avec perfection.
NE 2.
Autres
considérations du Vénéré Père
sur
l'union de l'âme avec Dieu.
L'âme est unie à Dieu, lorsque la grâce divine est le
principe vivifiant qui dirige ses actes vers lui, comme à leur fin.
L'âme est unie à Dieu en deux manières: par l'union
pratique dans les actes et habitudes de la vie, et par l'union contemplative ou
d'oraison.
L'âme est unie pratiquement avec Dieu lorsque, renonçant
aux impressions de la vie naturelle, elle inspire et anime ses actes et les
habitudes de sa vie par la grâce de l'Esprit-Saint, qui habite en elle. Elle
s'unit ainsi à Dieu par la pure charité, qui renferme la foi et l'espérance.
Il y a à distinguer entre les actes partiels et les
habitudes.
Comme il n'est question ici que de la perfection à
laquelle il a plu à la divine miséricorde de Dieu de nous appeler, il est hors
de propos de parler de ces actes qui sont contraires à la volonté de Dieu, au
point de rompre notre union avec lui.
Il en est d'autres qui, sans causer cette rupture, sont
cependant pour nous une cause d'affaiblissement et de détour, et
malheureusement il nous en échappe trop souvent. Il est de la plus haute
importance d'y apporter toute notre vigilance. Ces actes consistent dans des
résistances moins graves à la sainte volonté de Dieu, soit dans nos devoirs
généraux, soit dans les devoirs de notre état; ou bien dans la négligence, la
mauvaise volonté avec lesquelles nous portons à la perfection à laquelle Dieu
veut que nous parvenions, par suite soit de la grâce du baptême soit de celle
de l'apostolat qu'il nous a accordée.
Cette infidélité, si pernicieuse à notre union avec Dieu,
provient de ce que, n'ayant pas assez d'abnégation de nous-mêmes et des
sentiments qui nous viennent de la nature, nous n'écoutons pas les inspirations
de la divine grâce, ou nous lui résistons. Aussi c'est sur cette abnégation
intérieure que doit se porter toute notre attention. En nous-mêmes nous ne
pouvons rien faire directement; pour que la grâce agisse en nous et pour
qu'elle devienne le principe vital de nos actes, il nous suffit de déblayer le
terrain, de nous vider du sentiment de la nature, et nous pouvons être assurés
que la grâce qui est en nous prendra la place de la nature, et cela dans une
proportion aussi grande que sera celle de notre abnégation.
Quand, dans l'ensemble de tous nos actes, le sentiment
naturel n'a plus aucune influence et se trouve remplacé par l'acte surnaturel
de la grâce, notre âme entre dans l'union habituelle avec Dieu; la grâce
sanctifiante prend un développement considérable en elle, domine dans ses
sentiments, lui donne une puissante inclination vers Dieu, et la tient attachée
à lui. Plus cette influence dominante de la grâce est complète, étendue et
intense, plus l'union de l'âme avec Dieu est parfaite.
Sous l'influence prédominante de la grâce, notre âme non
seulement repousse avec promptitude et énergie tout ce qui peut la rendre
désagréable à Dieu, mais elle se porte avec ferveur et allégresse vers ce qui
est conforme à la divine volonté et même à tout ce qui peut la rendre plus
agréable à son Dieu; puis, dans l'exécution de sa divine volonté, elle vise au
plus parfait. De plus, remplie sans cesse de l'esprit de Dieu, elle apporte le
sentiment surnaturel dans tout l'ensemble de sa conduite, fait avec autant de
perfection les moindres choses qui sont dans l'ordre de la volonté de Dieu que
les plus grandes, et sanctifie même ses actions indifférentes, par les
dispositions saintes qu'elle apporte dans toute sa conduite, et cela sans avoir
besoin de réflexion ou de préoccupation aucune.
La vie surnaturelle lui est devenue pour ainsi dire
naturelle.
En tout cela, elle ne compte pas avec elle-même; qu'une
chose soit selon son goût ou non, qu'elle lui soit avantageuse et dans son
intérêt ou non, qu'elle devienne pour elle un objet de satisfaction ou de
souffrance, ce n'est pas ce qui l'occupe. Unie à Dieu, elle est devenue
indifférente pour elle-même, et ne vit plus que pour Dieu, qui est devenu le
principe et la fin de ses oeuvres.
Ainsi, la grâce sanctifiante vivifie nos âmes, et par
elle le principe de notre vie est pris en Dieu par Jésus-Christ Notre Seigneur.
Cette grâce nous est communiquée par l'Esprit-Saint vivant en nous, et par
notre fidélité à l'action de l'Esprit-Saint nous sommes unis à Notre Seigneur
Jésus-Christ, et par Lui et en Lui à son Père.
C'est ce qu'il nous a dit, dans son saint Évangile en
parlant de l'envoi de l'Esprit Consolateur: In illo die, vos cognoscetis
quia ego sum in Patre meo, et vos in me, et ego in vobis. - In illo die,
quand vous aurez reçu cet Esprit Consolateur, quand il dominera dans vos âmes, vos
cognoscetis, vous connaîtrez par tout ce que j'opérerai en vous, vous
changeant en hommes nouveaux, c'est-à-dire arrachant de vos âmes les affections
et inclinations de la nature, pour les remplacer par mes sentiments et mes
inclinations venant de mon Père céleste, et dirigeant tous vos actes vers lui,
vous connaîtrez, dis-je, que je suis dans mon Père: quia ego sum in Patre
meo, et que par conséquent il est le principe de ma vie, ma vie est la
sienne. Et vos in me, vous connaîtrez aussi que vous êtes en moi, car la
vertu surnaturelle de ma grâce vous portera sans cesse vers moi, et par moi
conséquemment vers mon Père. Et ego in vobis, et vous connaîtrez que je
suis en vous, car la vie que vous sentirez dans vos âmes et qui se reproduira
dans vos actes sera la mienne; et moi seul je puis la produire, moi seul je la
produirai, en extirpant de vos âmes le principe de la nature mauvaise, et en dominant
en vous par la fidélité que vous apporterez à mes inspirations.
Cette fidélité à la grâce divine, qui produit notre union
active avec Dieu dans nos actes, est l'effet de la pure et forte charité, qui
est l'expression, la manifestation de la grâce sanctifiante en nous; cette
fidélité à la grâce nous attire une prédilection plus grande de Dieu pour nous,
c'est-à-dire une surabondance plus grande de ses grâces et de son union avec
nous; et par suite de cette surabondance, notre union à Dieu devient habituelle.
Si quis diligit me sermonem meum servabit, si quelqu'un a la véritable
charité, la charité pure et pratique dans son âme, il sera fidèle à ma parole
(c'est-à-dire à la parole que Notre Seigneur Jésus-Christ lui communique par sa
grâce) et alors: Pater meus diliget eum, et ad eum veniemus et mansionem
apud eum faciemus, mon Père l'aimera et nous viendrons en lui et établirons
en lui notre demeure.
Voyons maintenant notre âme dans ses relations avec les
créatures.
J'ai déjà dit que la grâce sanctifiante se produit dans
nos actes par la foi, l'espérance et la charité. Les actes de ces trois vertus
font tendre l'âme directement à Dieu, l'unissent à Dieu, pourvu que la charité
y soit, car la foi seule sans la charité, fait tendre l'esprit vers Dieu, mais
l'union se consomme par la charité, qui fait un acte complet de l'âme, avec le
consentement de la volonté qui en est la suite.
Quand l'âme se met en relation directe avec Dieu, elle le
fait par ces trois vertus. Mais comme elle a des relations nombreuses et avec
son propre être, et avec d'autres êtres créés, et que, dans les relations, elle
éprouve des impressions et produit des actes de nature fort diversifiée et dont
les nuances sont multiples et variées, de là résulte un nombre considérable et
varié de vertus qu'elle a à pratiquer, de vices et défauts à vaincre. Eh bien!
la pratique de ces vertus et la victoire sur ces vices et défauts l'unissent à
Dieu, si elles ont pour principe le principe surnaturel de la grâce et tendent
vers Dieu. Or, ceci s'accomplit lorsque nous faisons entrer dans la composition
de ces vertus ou de ce travail contre le vice les trois vertus dont je viens de
vous parler.
Quelques mots maintenant sur cette autre union de notre
âme à Dieu que nous appelons oraison.
Dans l'exercice de l'oraison, l'âme se met directement en
relation avec Dieu, fixe en lui toutes ses puissances par un acte persévérant
de charité, guidée par la foi et se présentant quelquefois par l'espérance.
L'oraison a pour objet: 1E
d'exercer l'âme dans l'union à Dieu par l'application des trois vertus (foi,
espérance, charité), l'augmentation de ces vertus et la formation de leur
habitude dans l'usage ordinaire de la vie; - 2E
de perfectionner les actes et habitudes de l'âme dans ces relations avec Dieu, avec
les créatures, avec elle-même. Ce perfectionnement se fait, soit dans la nature
des actes, ce qui forme le corps des vertus diverses, soit par l'introduction
des trois vertus avec plus de pureté et d'abondance, ce qui forme l'âme de ces
vertus diverses et les rend plus saintes; - 3E
enfin d'appliquer l'âme à la connaissance des obstacles qui s'opposent aux
résultats exprimés dans les deux premiers points, et de lui donner la force
pour les combattre efficacement et les détruire.
NE 3.
Considérations sommaires
sur la fin de l'homme,
sur la perfection du
chrétien, du religieux et
du prêtre voué à
Dieu par l'apostolat.
N.B. Ayant retrouvé ces notes dans les manuscrits du
Vénéré Père, nous avons cru devoir les reproduire ici, d'autant plus qu'il les
avait rédigées à l'occasion des instructions aux Missionnaires. Elles
renferment d'ailleurs des considérations très substantielles et pourront servir
de matière à des méditations et instructions très utiles.
Qu'est-ce que la vie de l'homme sur la terre? qu'est-ce
qui doit nous y préoccuper? et nous en particulier? Pourquoi tant de
difficultés sur notre route? Comment la doctrine de l’Évangile lève-t-elle ces
difficultés et nous montre-t-elle la voie? Comment comprendre l’Évangile et
nous l'appliquer? C'est en le lisant dans Jésus-Christ.
------------
L'exigence du droit naturel. - Aimer Dieu par dessus tout
et le prochain comme soi-même.
La perfection chrétienne: 1E
s'en fait un exercice pratique et habituel, par l'infusion de la grâce, par
l'application de l'âme et par la prière; 2E elle y
ajoute le sacrifice des choses permises pour donner plus d'intensité et de
continuité à cet amour.
La perfection d'une âme consacrée à Dieu est de sacrifier
tout. Elle consiste dans la mort à soi-même et à toutes choses et dans la vie à
Dieu et pour Dieu seul.
Une âme peut se consacrer à Dieu pour sa personne, en
vivant à Dieu par la vie religieuse, lui consacrant l'usage de toutes ses
facultés pour le glorifier en elle-même.
Une âme peut se consacrer à Dieu par l'apostolat, vivant
à Dieu seul pour le salut des âmes, et aux âmes pour la gloire de Dieu.
Ce qui est commun à ces deux consécrations, c'est que,
dans l'une et dans l'autre, l'âme ne vit plus au monde ni à elle-même ou pour
elle-même, elle sacrifie tout à Dieu et vit à Dieu et pour Dieu.
La différence entre elles est que: 1E dans l'une l'âme s'isole, pour consommer cette
consécration en elle, selon l'idée qu'elle en a reçue de Dieu; dans l'autre
l'âme, tout en consommant sans cesse cette consécration en elle, se livre aux
desseins de Dieu pour opérer encore sa gloire dans les autres. - 2E L'une est une résolution permanente de l'âme, un
contrat fait avec Dieu; l'autre est une vocation de Dieu consentie par l'âme et
cimentée de la main de Dieu par l'impression du caractère sacerdotal. - 3E L'une sacrifie tout pour jouir de Dieu seul;
l'autre sacrifie tout jusqu'à cette jouissance de Dieu. - 4E A l'une l'amour fait prendre le moyen le plus
facile et sûr d'établir le règne de Dieu en elle; dans l'autre l'amour sacrifie
à Dieu même ce moyen sûr et facile, et on livre son âme à Dieu pour sa propre
sanctification et pour établir le règne de Dieu dans les autres. 5E L'amour de l'une tend plus à l'affectif et l'amour
de l'autre tend plus à l'effectif qu'à l'affectif.
Toutes ces différentes vies retracent celle de
Jésus-Christ vivant sur la terre.
Le chrétien retrace la vie apparente de Jésus dans sa vie
privée. Il pratique plus ou moins ses vertus, et souffre plus ou moins et avec
plus ou moins d'amour pour plaire à Dieu. Il meurt soumis à la volonté de Dieu.
Animé dans cette vie par la grâce, il est uni à Jésus comme la branche au cep
et produit des fruits de salut. Il retrace, selon le degré de sa perfection, un
portrait vivant plus ou moins parfait de Jésus-Christ dans la sainteté de sa
vie privée.
Le contemplatif ou homme religieux pénètre dans la vie
intime de Jésus. Détaché de tout et animé de la grâce, il est uni à Jésus avec
plus de perfection et reçoit de lui une vie plus abondante. Il retrace le
portrait de Jésus dans le plus intime de sa vie privée.
L'homme apostolique, vide de lui-même et rempli de la
vertu apostolique, est uni à Jésus par les points cardinaux de l'âme et retrace
toute la vie de Jésus dans la sienne. Il retrace la sainteté de Jésus dans sa
vie privée et sa mission divine dans sa vie apostolique. Le caractère
sacerdotal est l'image de l'onction du Verbe dans l'Humanité sainte. Il l'unit
spécialement à Jésus pour faire vivre Jésus en lui de la plénitude de sa vie,
pour en faire un modèle, une lumière et une victime pour le salut des hommes.
(Ici il est fait abstraction de l'idée mystique de la vie humaine, de la mort,
de la vie ressuscitée et glorieuse de Jésus-Christ.)
Il résulte de là pour l'homme apostolique: 1E que l'essence de sa vie est l'amour de Dieu,
l'essence de son amour le sacrifice, et l'essence de ce sacrifice l'abnégation
et l'immolation de lui-même; 2E qu'il doit
être entièrement dévoué à Dieu pour le salut des autres; 3E que, tout en se dévouant pour les autres, il
doit vivre à Dieu avant tout par la plus parfaite sanctification de son âme; 4E qu'il doit être entièrement et saintement dévoué
aux âmes, tout en conservant le domaine de Dieu sur toutes ses puissances et en
fixant en lui toutes les tendances de son âme; 5E
qu'il doit chercher sa sanctification dans la bonté divine, dans ses sacrifices
et son travail entrepris pour la gloire de Dieu.
L'homme apostolique ainsi animé se considère comme un
instrument entre les mains de Dieu, employé selon les desseins du Maître et par
sa volonté, et fait pour être usé à son service. Comme il est un instrument
vivant, sentant, pensant et voulant, comme c'est précisément cette force vitale
dans toute l'énergie et l'activité qui lui est propre, ainsi que ce sentiment,
cette pensée et cette volonté par la vie qui leur est inhérente, qui doivent
être cet instrument destiné à être manié selon les desseins et la volonté de
Dieu, il faut qu'outre l'abnégation parfaite, qui fait la qualité propre de
l'homme apostolique, sa nature soit perfectionnée et sanctifiée par la vie et
les vertus surnaturelles.
Dieu qui nous appelle nous donne la grâce pour parvenir à
cette sainteté et perfection: grâce de lumière pour nous la faire concevoir, d'attrait
pour la faire goûter, grâce de force pour la faire vouloir. Outre ces grâces
générales, il donne les mêmes grâces particulières pour les détails, au fur et
à mesure qu'ils se présentent. La fidélité doit répondre aux grâces
particulières dans les détails.
Quoiqu'on voie, on goûte ou veuille, même très fortement,
même jusqu'à être embrasé de cette lumière, de ce goût et de cette volonté, on
ne possède pas cette sainteté et cette perfection jusqu'à ce qu'on ait détruit
tout ce qui en soi s'y oppose et qu'on l'ait fait entrer dans les habitudes de
la vie.
Cette grâce de sainteté trouve en nous sept obstacles:
l'épanchement dans les choses extérieures, le faux amour pour nous-mêmes,
l'impressionnabilité de nos sens, le trop d'activité de l'imagination,
l'influence de la nature sensible sur l'ensemble de notre vie, la défectuosité
de notre caractère, et l'orgueil, qui est l'âme de tous les défauts précédents
et se combine avec tous.
Selon la diversité des combinaisons de ces différents
défauts, modifiées par la forme diverse du caractère et la tournure de
l'imagination, se forme la variété des obstacles que la grâce rencontre en
nous.
Contre ces obstacles, et pour favoriser la grâce de
perfection, notre ressource la plus efficace est dans la vie de communauté: 1E dans les règles qui les prévoient et cherchent à
y porter remède; 2E dans la régularité; 3E dans la pauvreté; 4E dans l'obéissance; 5E dans les grâces spéciales promises par Notre
Seigneur à l'union formée en son nom dans un dessein spécial. Dès lors la vie
de communauté devient pour nous un gage de persévérance.
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NE 4.
Plan général des
Instructions aux Missionnaires.
Le Vénéré Père, avant de se mettre à écrire les
Instructions aux Missionnaires, a jeté plusieurs plans sur le papier. Pour n'en
rien perdre, nous les avons coordonnés ensemble, de manière à former un tout,
en y ajoutant les développements que le Vénéré Père avait lui-même donnés à
certains chapitres.
Nous ferons encore remarquer que le Vénéré Père, dans ce
qu'il a pu écrire des Instructions aux Missionnaires, n'a pas suivi tout à fait
ce plan, et l'on peut croire qu'il en aurait été de même pour la suite de son
travail, s'il avait pu l'achever.
Chap. I |
- De la sainteté
de notre vocation, nécessité d'y répondre. |
Chap. II |
- De la
constitution naturelle du principe de vie que Dieu nous a donné et son
exercice. |
|
- De la
vie naturelle (ou de la vie de la nature), c'est-à-dire force vitale que Dieu
nous a donnée. |
Chap. III |
- De la sainteté. |
|
·
1er. Sainteté en
général. |
|
·
2e. Sainteté dans
l'homme apostolique. |
|
·
2e. Moyen
efficace d'y parvenir - Vie religieuse. |
Chap. IV |
- De l'union à Dieu pratiquée par une
âme sainte, moyen de se maintenir dans la sainteté. En quoi elle consiste,
ses effets; les conditions auxquelles elle existe; ses degrés. - Union
résidant dans la fidélité à la grâce (ou union pratique). - Union d'oraison.
- Obstacles: tristesse; mélancolie; nature passionnée; manque de domination
sur les sens et l'imagination. - Paix et calme. |
Chap. V |
- Des vertus qui forment le fond de
notre union à Dieu. Idée générale; foi, espérance; charité. |
Chap. VI |
- De la foi: foi à la parole de
Dieu, foi en Dieu, soumission à l’Église, amour pour elle, pureté de foi dans
la doctrine (doctrine saine). - Effets de la foi. - Prudence (fausse
prudence). - Défauts opposés à la foi et défauts qui s'exagèrent: confiance
dans ses propres lumières; indépendance du jugement; opiniâtreté ou
entêtement; préventions; répugnance pour toutes les choses extranaturelles;
esprit curieux, scrutateur, vain, aimant à s'amuser, léger, superficiel;
exaltation de l'imagination; amour de l'extraordinaire. |
Chap. VII |
- De l'espérance: foi et charité en
Dieu vu dans l'avenir, avec désir bon pour soi-même. - Sa source. - Ses
fondements. - Son objet. Son application: à nous-mêmes, quant à notre
intérieur, à notre ministère. - Ses effets. - Qualités de notre espérance. -
Fausses espérances (par défaut et par exagération). - Défauts qui s'y
opposent: trop d'ardeur dans les désirs et trop de faiblesse dans la volonté;
un désir trop naturel dans la pratique de la vertu et pas assez d'énergie
pour sa pratique; trop de confiance dans ses forces propres; plus de
confiance dans le sentiment de la grâce en soi que dans la miséricorde de
Dieu; un caractère timide, incertain; une trop grande impressionnabilité. |
Chap. VIII |
- De la charité. Charité envers
Dieu. - Ferveur. - Contention. - Amour de complaisance, dévotion. -
Soumission; amour de la volonté de Dieu. - Vertus qui ressortent de la
charité: douceur intérieure (fausse douceur); fermeté (fausse fermeté);
activité au service de Dieu (fausse activité, empressement). - Mortification.
- Esprit de sacrifice; amour des souffrances. - Modération. - Paix de l'âme. |
Chap. IX |
- De l'amour envers Notre Seigneur
Jésus-Christ. - Imitation. |
Chap. X |
- Des obstacles que trouve en nous la
charité en général. Amour de soi; des jouissances; paresse ou amour du
repos; naturel froid, sec ou dur; (maladies, langueurs, dégoûts naturels.) |
Chap. X |
- Des obstacles que trouve en nous la
charité en général. Amour de soi; des jouissances; paresse ou amour du
repos; naturel froid, sec ou dur; (maladies, langueurs, dégoûts naturels.) |
Chap. XI |
- De la vertu de religion. Fonctions
saintes. - Saint Sacrifice de la Messe. - Administration des sacrements. -
L'esprit du monde. - Illusions, tentations. |
Chap. XII |
- De la crainte de Dieu. |
Chap. XIII. |
- Des dévotions. Celle envers la
Très Sainte Vierge. - Fausse dévotion et ses principes. |
Chap. XIV. |
- De l'amour affectif, chasteté. Obstacles;
mollesse ou délicatesse; immortification des sens; impressionnabilité de la
chair et de l'imagination; tempérament. |
Chap. XV |
- De l'amour effectif, soumission à la
sainte volonté de Dieu. Obstacles: raideur; l'âme trop passionnée; un
coeur trop sensible; l'imagination trop vive; trop d'attache à soi-même et à
ses intérêts. |
Chap. XVI. |
- De la ferveur et de la tiédeur. |
Chap. XVII. |
- De la modestie. |
Chap. XVIII |
- De la charité envers le prochain. Sa
source; sa nature; son excellence; sa nécessité; sa perfection. - Obstacles:
égoïsme, orgueil, défauts de caractère. |
Chap. XIX. |
- Du zèle pour le salut des âmes. Amour
des âmes: pureté d'intention et d'affection dans cet amour. - Ce que nous
sommes aux âmes et ce que nous leur devons. - Caractères du vrai zèle. -
Vertus nécessaires au zèle. - Abnégation intérieure; pauvreté, humilité. -
Faux zèle. - Obstacles: amour de ses aises; crainte de déplaire aux hommes,
d'en être jugé; naturel faible ou indifférent; absence de générosité, de
dévotion. |
Chap. XX |
- De la douceur et de la force. Amour
de soi; trop de sensibilité (susceptibilité); naturel dur, raide ou hautain;
caprice; mauvaise humeur. |
Chap. XXI. |
- De la prudence et de la simplicité. Prudence
et franchise. - Franchise, raideur et orgueil. |
Chap. XXII. |
- De la vie de communauté. Charité
dans la vie commune; sa nature; sa nécessité. - Comment elle se produit en
pratique. - Son exercice affectif et effectif envers ses supérieurs, ses
confrères, les étrangers. |
Chap. XXIII |
- De la régularité. |
Chap. XXIV |
- De la pauvreté. |
Chap. XXV. |
- De l'obéissance. Orgueil, raideur
de volonté et de jugement. |
Chap. XXVI |
- Des
sentiments et de la conduite envers ses supérieurs, inférieurs, égaux et les
frères. |
Chap. XXVII |
- De l'humilité. En elle-même;
comme fondement de toutes les vertus. |
Chap. XXVIII |
- Des
dispositions de Dieu dans notre création pour nous donner la sainteté -
tournées en obstacles par le péché. |
Chap. XXIX |
- Du seul moyen efficace de résister
aux obstacles créés en nous par le péché: l'abnégation. |
Chap. XXX. |
- De l'amour déréglé de nous-mêmes ou
de l'égoïsme. |
Chap. XXXI |
- De l'orgueil et de ses différentes
branches. |
Chap. XXXII |
- De la volonté propre. |
Chap. XXXIII |
- De la
concupiscence de la chair et de ses différentes branches. |
Chap. XXXIV |
- De la
concupiscence des yeux. |
Chap. XXXV |
- Du désordre
des passions. |
Chap. XXXVI |
- Des défauts
du caractère. |
Chap. XXXVII. |
- De la tentation et de l'illusion. |
Chap. XXXVIII. |
- Des scrupules. |
|
|
[1] Sur ce troisième point relatif à la nature de l'oraison, nous n'avons trouvé que les quelques pensées que nous donnons ici prises sous forme de notes par le Vénéré Père. Il se réservait sans doute d'y revenir.
[2] Par objet, on entend non seulement une personne ou une chose, mais toute idée qui se présente à l'âme et l'occupe.
[3] La sensibilité intellectuelle est affectée par une impression faite sur l'âme d'une manière intellectuelle, et la sensibilité morale par une impression faite sur elle par le moyen des sens intérieurs. L'activité de l'âme s'exerce sur l'impression reçue, l'esprit pour connaître, le coeur pour aimer, et la volonté pour déterminer un acte en rapport avec l'amour.