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DE L'ORAISON D'AFFECTION

(E.S. pp. 149-270)

 

CHAPITRE I

 

CARACTÈRES GÉNÉRAUX DE L'ORAISON D'AFFECTION

 

Quoique l'oraison de méditation mène peu à peu à l'oraison d'affection, cela n'empêche pas que beaucoup d'âmes commencent par celle-ci et ne peuvent jamais s'appliquer à la méditation. Il ne faut pas déranger ces âmes, mais les laisser sous la conduite de Dieu et les aider le mieux que l'on peut.

 

L'oraison d'affection est un état où l'âme touchée d'une impression surnaturelle et sensible, se porte avec violence vers Dieu et ce qui lui appartient.

 

1° I1 faut se rappeler ce qu'on a dit plus haut, dans la définition générale, que l'oraison n'est ni un acte ni un mouvement passager, mais un état permanent de l'âme et une voie continuelle dans laquelle elle se trouve.

 

2° Ce qui fait que l'âme agit fortement dans cet état, c'est qu'elle est touchée. Si cette touche est forte, elle agit avec force, si elle est moins forte, elle agit moins fortement. Cette touche n'atteint pas seulement la volonté, mais toutes les puissances de l'âme, les unes plus ou moins que les autres.

 

3° Cette touche provient d'une impression que l'âme reçoit, mais qu'elle ne se donne pas. Elle la cherche bien et avec ardeur, mais elle sent bien que cette impression ne vient pas par ses propres efforts; seule la main de Dieu la lui donne comme il veut et quand il lui plaît.

On est quelquefois atteint de cette impression sans qu'on s'y attende et sans y penser; quelquefois, et d'ordinaire même, elle vient lorsqu'on se met en oraison et dans les moments de recueillement.

 

4° Cette impression est purement surnaturelle, soit par le principe qui est Dieu, soit par l'objet qui est Dieu ou une chose sainte, soit en elle-même, car c'est un mouvement très pieux, soit par les effets qui sont saints. Quelquefois il se produit dans ces âmes des impressions qui semblent en approcher, et qui en sont bien différentes cependant; il est très facile de distinguer les unes des autres. Celles-ci sont purement naturelles et n'ont ni le même goût ni la même saveur que les autres, et ne constituent pas le même genre de mouvement; les sens sont affectés d'une tout autre façon que dans les impressions surnaturelles.

 

Ces sortes d'impressions naturelles se font de deux manières :

a. Comme l'âme est habituée à éprouver ces impressions sensibles et à agir par leur impulsion, elle est facile à toucher naturellement dans les moments où elle n'éprouve pas de sensation surnaturelle, parce qu'elle est toujours ouverte pour recevoir une impression qui touche, de façon que les touches naturelles peuvent y entrer très facilement. Par exemple, on voit un malheureux bien affligé ; si on ne sent pas d'impression surnaturelle qui touche de compassion, on se laisse toucher par une impression et un sentiment naturels.

 

b. Comme elle cherche continuellement ces touches et ces impressions, elle les excite souvent en elle par rapport aux objets surnaturels, mais ni l'une ni l'autre ne le sont; on en parlera plus bas.

 

5° Cette impression opérée par le Saint-Esprit se fait dans les sens. Dans cet état, l'âme ne reçoit rien que par le moyen des sens. Elle est toujours répandue en eux, n'agit que par eux et ne cherche son bonheur que là; elle l'y trouve, car Dieu y est.

 

6° L'âme se porte, etc. : dans cet état l'âme agit beaucoup. Dieu donne cette impression et établit cette attraction et rapport entre lui et l'âme en l'attirant plus ou moins fortement, et l'âme jouissant d'un si grand bonheur coopère très fortement à cette attraction et agit beaucoup.

Cette activité, qui n'est pas mauvaise, provient de ce que tout est dans les sens, et les sens agissent beaucoup et d'une manière très violente. Cet état d'oraison bien caractérisé est extrêmement violent, et l'intensité de cette violence se mesure sur l'intensité de l'impression sensible que la grâce opère en elle.

 

7° Toutes les facultés de l'âme se ressentent de cette violence ; elles se portent vers Dieu et s'établissent en lui par le moyen des sens ; mais le grand effort est dans la volonté. L'effort de cette oraison réside en elle : l'âme veut jouir de l'objet divin qu'elle veut posséder en elle, et, comme elle possède l'objet de son bonheur dans les sens, elle veut en jouir dans les sens. Voilà pourquoi ces efforts violents de la volonté, mais des efforts purement sensibles.

 

8° L'objet vers lequel l'âme et surtout la volonté se porte avec tant de violence, est Dieu considéré en lui-même ou en ses attributs ou dans ce qui lui appartient, comme les mystères de Notre-Seigneur, la sainte Vierge, les saints, etc. Cette oraison est proprement une oraison d'amour de Dieu.

 

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CHAPITRE II

 

ÉTATS INTÉRIEURS D'UNE ÂME EN ORAISON D'AFFECTION

 

 

I1 y a deux états différents dans l'oraison d'affection.

 

I. - PREMIER ÉTAT DE LAME

 

Dans le premier, l'impression sensible est douce, suave et paisible; elle calme les sens, leur imprime une jouissance de repos. Cette jouissance est moins vive, moins ardente, que dans le second état, mais plus délicate et plus suave. Elle produit plutôt le recueillement que l'épanchement. Les sens trouvent leur bonheur à se recueillir à l'intérieur, aiment cette récollection; l'esprit se replie sur son intérieur, l'imagination se tait, et alors la volonté jouit sensiblement. L'âme est auprès de Notre-­Seigneur qui est en elle, comme un enfant sur le sein de sa mère en suçant sa mamelle : quelquefois il ferme les yeux par la douceur qu'il éprouve dans le lait, quelquefois il les élève vers sa mère avec complaisance et la regarde. Tel est l'état de ces âmes: elles jouissent, elles sucent le lait de la grâce en se reposant, dans leur intérieur, sur le sein de Notre-Seigneur.

 

Il faut bien le remarquer : ce n'est que du lait qu'elles sucent, mais un lait délicieux. Quelquefois, comme cet enfant, elles se contentent de se reposer ainsi, fermant les yeux intérieurement et parfois même extérieurement, et, les yeux fermés, elles jouissent ; d'autres fois elles considèrent Notre-Seigneur avec une très grande tendresse d'amour.

 

Dans cet état, on fait dans l'oraison une entière abstraction de toutes choses, et toutes les puissances sont ramassées dans l'intérieur. On commence par faire une considération, qui le plus souvent a pour objet Notre­-Seigneur dans un de ses mystères, ou dans une de ses actions, ou dans un de ses sentiments. Quelquefois cette considération a pour objet soi-même, ses péchés, une grâce reçue, etc., etc. ... Aussitôt que cette considération est faite ou commencée seulement, l'âme sent une impression intérieure et très sensible. Cette impression douce et suave se fait au cœur : alors l'esprit se tait, il se contente de se replier sur son intérieur comme pour retenir celui qui produit une si douce affection; l'imagination jouit elle-même, et elle, aussi bien que les sens, reste dans le calme, de peur de troubler la douce jouissance de cette impression ; on ferme les yeux et on se met dans la posture la plus favorable. Quelquefois cette impression suave se fait sentir sans aucune considération préalable. Dans cet état, l'oraison est purement sensible et elle se fait par suite d'une impression qui était absente; l'âme n'a pas en son pouvoir de se mettre en état semblable.

 

Dans le cours de la journée, ce trait qui a été lancé dans le cœur, se lance de nouveau de temps à autre; quelquefois si ce n'est pas un trait, mais comme un épanchement de la grâce dans notre intérieur, ce même sentiment se fait sentir dans la journée ; si c'est un autre mouvement, c'est toujours le même genre de mouvement qu'on ressent de temps en temps dans la journée, et, à la suite de ce mouvement, l'âme éprouve la même impression de paix. On travaille sans perdre la présence de Dieu, sans sortir de son recueillement; on s'occupe de toute chose sans perdre cette suavité. S'il arrive parfois qu'on ait perdu la présence sensible de Dieu, on y revient facilement, seulement par l'idée qu'on se trace de l'impression intérieure à laquelle on est habitué. Ceux qui sont dans cet état se tiennent dans toute leur conduite, doux, modérés, évitant avec le plus grand soin l'activité; à peine osent-ils se remuer avec une certaine vitesse. I1 y en a qui portent les choses à l'excès. Tout cela vient de ce qu'on craint de déranger le sentiment de paix dans lequel on trouve de si grandes jouissances.

 

Il en est à qui la présence de Dieu dans la journée est plus difficile, à qui il arrive plus ou moins de distractions dans le travail, et à qui seulement par intervalle il vient une de ces touches. I1 faut prendre grand soin de les encourager et de les soutenir, car ils sont portés dans ces circonstances à se peiner, à s'impatienter ou à se mécontenter d'eux-mêmes, à se troubler, à s'inquiéter; ils se croient en mauvais état et se livrent quelquefois à de graves tentations par suite de ces inquiétudes.

 

Rien n'est plus nuisible à cet état que ces troubles et agitations, et le mal est que, souvent, on ne peut pas parvenir à leur persuader que ces absences intérieures ne sont rien. Ils ont dans leurs désirs une grande raideur qui s'oppose à tout ce qu'on peut leur dire et les ferme à toute consolation; c'est un très grand mal. Si au contraire on peut parvenir à leur faire prendre leur mal en patience et avec soumission à la divine volonté; si on peut les conserver dans la paix et la bonne volonté d'être tout à Dieu et de le servir avec amour et tranquillité pendant ces absences, cet état leur est extrêmement utile, produit en très peu de temps de grands effets pour leur sanctification, et de plus les fait entrer peu à peu dans un état contemplatif.

 

Un autre mal contre lequel il faut prémunir ces personnes, c'est qu'elles mettent toute leur perfection dans cette douce paix. Cette idée est cause de leurs troubles, en grande partie, et dans ce cas on parvient assez aisément à les en guérir. Quelquefois la cause de ces troubles est l'amour-propre, qui est en peine de se voir frustré, en voyant que cet état qui semblait l'élever au-dessus des autres lui échappe. Quelquefois, c'est des jouissances spirituelles qu'on craint d'être privé.

 

Dans ces deux derniers cas, ces personnes succombent très souvent et se ruinent. Cette idée que toute perfection est dans cette paix, fait que ces âmes ne s'occupent pas assez de se rendre agréables à Dieu 'par le renoncement à elles-mêmes et à leur amour-propre; il faut les faire se servir de leur état pour s'avancer davantage dans la perfection de la vertu.

 

II. - DEUXIÈME ÉTAT DE L’AME

 

Le second état est celui où l'impression est vive, ardente, et agit avec violence sur la partie sensible et les passions de l'âme. Dans cet état, l'impression ou la touche de la grâce reçue varie tantôt c'est une impression de joie, tantôt de douleur, tantôt d'amour, tantôt de compassion, etc.; elle varie selon les mystères ou selon la variété de l'objet.

 

Généralement et presque universellement, ces âmes s'occupent des mystères de Notre-Seigneur et y trouvent tous leurs goûts et leurs délices. Ordinairement il se fait dans ces âmes une impression des mystères qu'on célèbre dans l'Église. et dans le temps où on les célèbre. Ce qui fait que ces personnes célèbrent les fêtes avec une allégresse et une dévotion extraordinaires, et c'est une joie immense pour elles que l'approche d'une fête. Un salut, une grand'messe, une procession leur donne des transports d'amour envers Notre-Seigneur dans le Très Saint Sacrement; et ainsi généralement cette impression varie selon l'objet et la circonstance qui se présente.

 

Cependant il y a toujours ou presque toujours dans l'âme une disposition prédominante, un objet spécial, ou un sentiment particulier. Objet spécial, par exemple, tel mystère, la contrition de ses péchés. Sentiment particulier, par exemple, amour, crainte amoureuse, etc. Cet objet et ce sentiment se mêlent ordinairement dans toutes les impressions que l'âme reçoit et font comme un attrait dominant.

 

Il est très important de ne pas déranger cet attrait, parce qu'on troublerait ces âmes et on pourrait leur faire du mal. Par exemple, une personne a commis des péchés avant sa conversion, et, cependant, au lieu d'avoir une impression de contrition de ses péchés, elle en éprouve une autre, comme une impression d'amour, etc. Ce cas est bien rare, il est vrai, mais enfin il peut se présenter. Si le directeur veut absolument tourner les affections de cette âme vers la contrition, en la détournant de l'objet de ses impressions, il lui fera du mal, car elle ne manquera pas de faire des efforts violents pour obéir, sachant combien il est vrai que ses péchés méritent d'être pleurés, et d'ailleurs que le directeur le désire.

 

Delà il arrive qu'elle se détourne de l'objet auquel Dieu veut l'appliquer, et elle fait des efforts stériles dont elle ne tire aucun fruit. De plus, elle tombe dans le trouble, la contention et l'inquiétude, et quelquefois dans le découragement.

 

Autre exemple : une âme sera touchée de l'amour des souffrances ; elle s'abandonnera avec toute la violence ordinaire à cette impression, par exemple, un jour de Pâques ou de Pentecôte; elle ne s'occupera que fort légèrement du mystère du jour. Etant trop fortement prise par la vue de la croix, elle tournera toutes les considérations du mystère qu'on célèbre, vers l'objet de son ardent désir, qui est la croix. Le directeur de cette âme trouvera que cela n'a pas le sens commun et l'appliquera à l'objet direct du mystère de Pâques ou de la Pentecôte. I1 lui fera tort et l'empêchera de tirer du fruit du mystère auquel il l'applique fort mal à propos. Cette âme s'épuisera en efforts et en contention pour rien. 11 faut toujours laisser agir Dieu dans les âmes, et ne pas les conduire selon nos vues rétrécies et nos raisons propres.

 

Ces impressions sont vives et sensibles, et l'âme jouit dans cet état d'un bonheur excessif : elle est abreuvée de joie et de délices, elle en regorge.

Cette joie étant toute dans les sens, est vive et bruyante. Aussi une âme dans cet état est toujours en mouvement et ne peut rester tranquille. Cela vient de ce que les sens sont la demeure des passions, et, toutes les fois que l'âme jouit et agit par les sens, elle agit par les passions. Si c'est une jouissance créée, ces passions sont mauvaises. Ici ce sont des jouissances célestes, et les passions de l'âme avec les ressorts qui les font agir, c'est-à-dire les sens, sont dans un mouvement perpétuel pour tendre vers l'objet de leur jouissance qui est Dieu. C'est là véritablement ce qui fait l'extrême violence qu'éprouve l'âme, lorsque cette impression sensible est forte, car plus l'impression de bonheur est forte dans les sens, plus ceux­-ci se précipitent pour jouir.

I1 y a une grande différence entre ce mouvement surnaturel des passions et celui qui se fait pour un objet créé.

 

La première différence, c'est la violence.

1- Comme la jouissance dans les objets créés est médiocre, le mouvement des passions l'est aussi, lorsqu'on a l'objet de ces jouissances.

2- Si quelquefois les objets humains excitent une grande violence dans les passions, d'abord ce n'est pas une violence de jouissance, mais une violence de privation, car la violence de ce mouvement ne vient que de ce qu'on ne possède pas l'objet et qu'on ne jouit pas, tandis que la violence surnaturelle vient de ce qu'on jouit. Ensuite, cette mauvaise violence vient souvent d'une malice interne plutôt que de l'objet créé pour lequel les passions se remuent.

3- Souvent ces passions ne se mettent pas en violence par elles-mêmes, mais par un principe externe, le démon ou ses suppôts, tandis que, lorsque Dieu se fait sentir à une âme, les sens n'ayant jamais éprouvé de si grand bonheur et sentant l'immense bien qu'ils possèdent, attirés d'ailleurs et poussés par la grâce, ils se portent avec violence vers ce divin objet et font des efforts prodigieux pour en jouir et savourer ses perfections divines.

 

La deuxième différence, c'est la paix dans les passions mises en mouvement par la grâce. Le mouvement est suave, malgré sa vivacité et sa violence, et c'est l'excès même de la douceur qui le rend si violent, tandis que celui qui se fait par les créatures est plein de trouble et d'agitation. Qu'on parvienne à calmer et à adoucir celui qui est ainsi en mouvement, et les passions feront peu de violence. .

 

La troisième différence, c'est le bonheur et la joie immenses des passions qui possèdent Dieu. Elles sont rassasiées, en jouissent et savourent leur bonheur, tandis que les passions mises en mouvement par les créatures sont dans le travail et la peine; elles sont affamées et se tourmentent pour posséder l'objet qui les remue. Plus le mouvement des passions qui jouissent de Dieu est violent, plus elles jouissent, et plus la violence est grande dans les passions profanes, plus elles souffrent.

 

La quatrième différence vient de ce que, dans la jouissance des passions surnaturelles, c'est la volonté qui jouit; l'esprit se tait, est en repos, et, quoiqu'il ne discerne pas d'une manière distincte l'objet divin, il ne laisse pas d'en jouir, et cela d'une manière très douce et beaucoup plus suavement qu'il ne l'a jamais fait dans les objets créés, qu'il discernait et qui lui plaisaient. Dans le mouvement des passions profanes, l'esprit est dans les troubles, les peines, les agitations et les angoisses, surtout si le mouvement est violent. I1 est entièrement obscurci et voit toutes choses d'une manière inquiète.

 

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CHAPITRE III

 

DES DOULEURS DE L'AME EN CET ÉTAT D'ORAISON

 

Quoique l'âme, en cet état, ait de très grandes jouissances, cela n'empêche pas que très souvent elle n'éprouve des douleurs intérieures très fortes; mais ces douleurs sont si pleines de suavité et renferment une joie si grande et si violente, qu'on ne saurait s'en faire une idée, si on ne les a éprouvées. Ces douleurs ont lieu par rapport à différents objets.

 

I1 y en a une qui provient des péchés passés. Elle est presque universelle, surtout dans les âmes que la bonté divine vient de retirer du péché. On est brisé de douleur d'avoir offensé son Dieu, qu'on aime avec tant de violence. La violence de la douleur est mesurée sur la violence de l'amour, car cette impression de douleur est une impression d'amour, et la violence de la joie est mesurée sur la douleur.

 

Cette douleur suit les âmes jour et nuit, sans les quitter un instant, en se levant et en se couchant, en récréation comme dans les exercices de piété, dans l'étude comme dans la prière. En dormant même, on répand quelquefois des larmes sur ses péchés. Cet état dure plus ou moins, selon la volonté de celui qui l'a donné. I1 y a des âmes qui y restent d'un an à dix-huit mois, d'autres plus ou moins longtemps.

Une autre douleur vient du désir d'obtenir une grâce, d'acquérir une vertu vers laquelle on sou­pire sans cesse. On ne se fait pas une idée des gémissements, des aspirations, des désirs violents qui crucifient une âme dans la vue d'une grâce ou d'une vertu qui lui manque. La joie que ren­ferme cette douleur est exquise et différente de celle qui se trouve dans la douleur de la contri­tion. Elle est moins violente et se ressent davan­tage de la langueur de cette âme qui aspire vers cette vertu, mais elle est plus exquise et plus douce.

Une troisième douleur provient de la vue de la croix et des souffrances de Notre-Seigneur; elle est d'un autre genre et a un tout autre goût que les deux précédentes ; les joies qu'elle renferme sont inouïes, d'une violence extrême et incom­parablement plus exquises que les deux pre­mières.

 

Les fruits de ces douleurs sont bien grands et bien désirables. La première produit une grande horreur du péché, une haine extrême du monde, elle purifie singulièrement l'âme et lui donne l'amour de Dieu, elle la dispose aussi à la médi­tation et à la participation de la croix de Notre­-Seigneur.

La seconde attache fortement à Dieu, opère l'humilité dans une âme, et produit la vertu, ou procure la grâce qui en fait l'objet.

La troisième, la plus excellente, produit un grand amour de la croix et des souffrances et un désir continuel d'en avoir. Elle fortifie l'âme dans l'amour de Notre-Seigneur, la détache de toute créature et d'elle-même, et la mène directement à la contemplation.

 

Le grand soin d'un directeur est de discerner ces différents attraits des âmes, de les favoriser en tout, de leur parler dans le sens de cet attrait, et de bien se garder de les en détourner ou de leur inspirer un autre objet. Si cet attrait est moins parfait que ce que conçoit le directeur, cela ne fait rien : l'âme y doit rester. I1 faut seule­ment retrancher les défauts qui s'y mêlent et lever les difficultés que l'âme peut y rencontrer, évitant de lui donner de la vanité par une mani­festation extérieure d'estime pour son état, comme aussi de lui témoigner de l'indifférence. I1 est bon de ne pas flatter ces âmes et d'éviter de les en­tretenir dans le goût, la recherche et l'estime des grâces sensibles. On ferait bien de les contrarier, mais non pas dans ce qui fait le fond de leur attrait. Il ne faut pas les décourager, mais agir avec chacune selon ses forces. En les contrariant, il ne faut pas avoir l'air de vouloir les éprouver; il faut s'y prendre de manière qu'elles ne s'aper­çoivent en aucune façon qu'on veut les contredire.

On a quelquefois un autre genre de peines dans cet état d'oraison : ce sont les privations intérieures. Il arrive parfois que cette impres­sion ne se fait pas sentir, et ces pauvres âmes restent à sec dans leurs oraisons et autres exercices. Elles sont alors dans une bien grande peine, elles qui sont habituées à de si grandes jouissances. Les sens n'ayant plus de quoi se satisfaire comme de coutume, les agitent et les troublent. Ces états ne sont que momentanés, au moins généralement parlant; ils durent pendant une partie d'oraison ou toute une oraison, pendant un jour ou même quelques jours, ce qui est très rare.

 

Cela vient quelquefois d'une infidélité, d'une recherche ou jouissance d'une créature. Il faut alors traiter doucement ces âmes, leur faire faire un examen et prendre des résolutions là-dessus, les établir dans des sentiments d'humiliation devant Dieu, les consoler et les tenir en paix autant que possible, en les rendant, soumises à la volonté de Dieu qui les prive, et dociles à ses bons plaisirs.

 

Quelquefois cela ne vient d'aucune faute, mais Dieu veut éprouver leur soumission humble et douce à sa divine volonté, et leur fidélité au milieu de ces sécheresses. I1 faut profiter de ces moments pour les détacher et leur montrer que le tout ne consiste point dans ces sensibilités, qui ne sont rien du tout, et qui ne servent souvent qu'à nous y attacher; qu'il faut se donner tout à Dieu, parce que c'est là que réside la perfection; qu'elles doivent se servir de toutes les grâces pour être plus à lui, et ne pas croire qu'on est plus saint parce qu'on a plus de sentiments. Elles seront plus capables alors de comprendre ces considérations que lorsqu'elles nagent dans les joies. Lorsque cet état vient de Dieu, c'est une très bonne marque, et elles peuvent s'en réjouir, parce que c'est un signe de grande prédilection de Dieu pour elles et un gage de grandes grâces et d'avancement spirituel.

 

 

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CHAPITRE IV

 

DE QUELQUES DONS PARTICULIERS

QU'ON PEUT APPELER EN QUELQUE SORTE PASSIFS

 

Dieu favorise quelquefois les âmes dans cette oraison de dons singuliers, auxquels elles ne s'attendent pas, auxquels elles ne contribuent en rien, et qu'elles ne peuvent en aucune façon ni conserver ni augmenter par leurs efforts. Elles auraient même bien de la peine à s'y refuser si elles en avaient envie.

 

Ces grâces ne sont rien autre chose que cette impression dont nous avons parlé. La différence est que cette impression prend une tournure plus intime et plus intense, et qu'on n'y contribue en rien, ni pour se disposer à la recevoir, ni pour l'augmenter, ni pour l'arrêter. De plus, dans l'ordinaire de l'impression, l'âme agit et coopère beaucoup : ici, elle souffre violence, et, quoiqu'il y ait action, c'est plutôt une action qui se fait sur elle qu'une action qu'elle fait elle-même; elle est entraînée et violentée d'une manière extraordinaire. Toutes ces grâces se produisent seulement dans les sens. En voici quelques-unes :

 

1° Cette impression est quelquefois si violente qu'on n'est plus maître de soi, et qu'on ne peut presque plus agir. Alors l'âme est dans une grande extrémité et une tendance extrême, de manière à ne savoir que devenir. Ce qu'il y a de remarquable, c'est qu'au plus fort de ce violent mouvement on ne pense quelquefois plus à l'objet qui l'a causé. On se sent violenté excessivement, et on ne sait plus ni pourquoi ni comment. On tend avec violence et malgré soi, et on ne sait pas, au moins on ne s'en rend pas compte, vers quel objet on tend. C'est cependant vers Dieu et Notre-Seigneur.

 

Quelquefois cette impression oppresse tellement le cœur qu'on croit très sérieusement que ce pauvre cœur va se fondre et s'en aller en pièces, et qu'on va mourir. On est obligé de faire des mouvements très violents du corps, comme de se plier en deux, de se coucher par terre. On souffre véritablement une grande douleur dans le corps, mais cette douleur est bien compensée par la joie extraordinaire dont on est plein. Le corps même jouit de cette douleur, car elle a quelque chose de doux et de suave même pour lui. Ces sortes d'efforts viennent assez souvent à ces âmes pendant la sainte communion.

 

2° Don des larmes. - I1 faut bien observer que, dans cet état, ce don est inférieur de beaucoup à celui que Dieu accorde dans la contemplation. I1 est même de tout un autre genre et de tout un autre goût. Ce don se trouve joint ordinairement, dans les âmes auxquelles Dieu l'accorde, aux trois douleurs dont on a parlé plus haut, surtout à celle de la contrition et de la vue du mystère des souffrances de Jésus-Christ. I1 se trouve quelquefois joint aussi à l'impression de joie et aux autres, mais plus souvent aux douleurs. Les larmes de la croix sont plus excellentes que celles de la contrition, et s'approchent davantage de celles que l'on verse dans l'oraison de contem­plation.

 

Ces deux dons, c'est-à-dire le brisement de cœur et le don des larmes sont accompagnés d'une si grande joie qu'on ne saurait s'en faire une idée.

 

Nota. 1° Ce don n'a pas son excellence dans les larmes qu'il fait verser, mais dans le principe qui les produit, et dans les effets qui en résultent et qui sont très précieux. Le principe qui le produit est ordinairement une impression plus puissante, plus fine et plus intérieure, et suppose une grâce plus forte. Les effets sont une grande tendresse pour Dieu, une grande ardeur pour lui plaire et le bien servir; et peu à peu ils mènent à une vie intérieure et contemplative.

 

Nota. 2° I1 ne faut pas confondre ces larmes avec celles que versent quelquefois les personnes qui ne sont pas même dans cet état d'oraison : je veux dire ces larmes de sensibilité et d'attendris­sement sur elles-mêmes ou en elles-mêmes, par rapport à différents mystères. Ceci n'est qu'un mouvement des sens, qui se fait à l'occasion d'une pensée pieuse qui nous touche un peu et produit comme une espèce de frémissement spirituel, qui agit sur les organes dans lesquels résident les larmes.

On peut remarquer que cette idée pieuse : par exemple Notre-Seigneur montant au ciel ou quelque autre chose semblable, ne touche que la pointe ou la superficie de notre esprit et y opère ce petit frémissement, qui se communique aussi superficiellement aux sens. On remarquera encore qu'il se trouvera toujours un certain genre de dé­tour sur soi-même par la pointe de l'esprit, et c'est précisément ce détour qui produit, en grande partie au moins, les larmes. C'est plutôt un atten­drissement en soi ou sur soi - selon le sujet -que sur l'objet pieux vers lequel notre esprit se porte.

Cette touche, outre qu'elle ne porte que sur la pointe ou superficie de l'esprit et des sens, est encore peu intense ; la joie qui en résulte est peu de chose, et réside plutôt dans l'esprit que dans le cœur. Ce n'est pour ainsi dire que par suite et par contre-coup que le cœur éprouve un certain contentement; tandis que, dans les larmes dont nous parlons, la touche embrasse toute l'étendue de nos sens, en dedans et en dehors : elle s'étend même sur le corps. C'est un embrasement uni­versel et une joie exquise et extraordinaire par la violence, la suavité et la profondeur. Cette touche réside plutôt dans le cœur que dans l'esprit, qui en jouit cependant aussi. Quoiqu'il s'y trouve des retours sur soi, ces retours ne produisent aucunement ces larmes. Dans la contrition où nous pleurons sur nos péchés, et quelquefois même dans la crainte d'en être punis par Notre-Seigneur, notre esprit qui, ce semble, devrait nous tourner sur nous-mêmes, reste uniquement fixé à Dieu.

 

3° Un troisième don, c'est une espèce d'embrasement de l'esprit et de la mémoire, qui se communique aussi à la volonté, et qui produit comme un délire spirituel. L'impression spirituelle agit si fortement par le moyen des sens, que notre esprit entre dans une ferveur extrême et fait faire des actions dont aurait honte quelqu'un qui serait dans un état naturel. Ce don est plus ou moins intense, plus ou moins violent, et, par conséquent, produit des efforts extérieurs plus ou moins marquants. S'il vient à un point très intense, on agit comme un fou aux yeux du monde, par exemple, saint François d'Assise au commencement de sa conversion, et plusieurs autres saints.

 

Les âmes favorisées de ce don se portent quelquefois à des rigueurs de pénitence effroyables, et elles n'ont pas toujours raison de le faire. Elles agissent par ce mouvement violent, mais, comme on dira plus tard, elles ne discernent pas toujours bien les choses de Dieu. Saint Ignace et probablement saint Bernard ont agi, je pense, par ce don, lorsqu'ils s'abandonnèrent à de si grandes rigueurs de pénitence.

L'effet immédiat de ce don est un amour de Dieu très violent, qui va jusqu'à une espèce de délire; on lui immole tout. Les âmes qui sont favorisées de ce don dans un degré éminent, vont ordinairement bien loin dans les voies de la vie intérieure et de la perfection.

 

4° Un quatrième don consiste dans une espèce d'attraction entre Dieu et l'âme. C'est Dieu qui attire l'âme, ou qui fait éprouver un certain effet d'attraction aux sens. Cet effet a lieu dans cet état en certaines circonstances particulières et n'est pas habituel. I1 se produit, par exemple, devant le Très Saint-Sacrement, mais il peut y avoir une foule d'autres circonstances où cette attraction s'établisse. Alors, c'est une force puissante qui sort du tabernacle et attire si violemment, qu'on craint d'être enlevé de sa place; et il semble en effet que si cette opération augmentait, on serait obligé de céder;-on serait véritablement enlevé et collé contre le tabernacle. La pauvre âme, dans ce moment, ne pense à rien et ne fait rien. Elle voudrait bien aider ce mouvement et embrasser avec ardeur l'objet qui l'attire, mais elle ne peut rien faire; elle a le cœur brisé de joie et d'amour, et les autres puissances souffrent la même violence, tellement que l'âme ne sait presque plus où elle en est. Les larmes coulent par torrents et les délices sont immenses. Cette attraction peut durer assez longtemps, une demi-heure, peut-être davantage, peut-être moins. Ce don est beaucoup plus intérieur que les autres, et je crois qu'il tient en partie à la contemplation; au moins l'âme doit être bien avancée dans l'oraison d'affection et ap­procher de la contemplation lorsqu'elle éprouve cet effet. Je crois cependant que cette grâce appar­tient à l'affection, car son effet principal a lieu dans les sens, et il est aussi trop violent pour ne pas être affectif.

 

Il est quelquefois difficile de discerner ces choses, mais il n'est pas nécessaire qu'un direc­teur sache cela ; pourvu qu'il voie l'état de l'âme qu'il a à diriger, cela lui doit suffire. S'il voulait en savoir davantage, ce lui serait une vaine cu­riosité qui ne pourrait que nuire, et on doit tou­jours éviter la curiosité dans la direction.

Par rapport à tous ces dons, il faut prendre garde à la trop grande estime que l'on en fait et à l'attache que l'on y a. On se compare aux autres qui n'ont rien de pareil, on a des retours sur soi, quelquefois même dans les moments où nous éprouvons ces grandes grâces, car notre âme n'est pas toujours entièrement liée dans ces états, et moins encore impeccable. Un autre inconvénient, c'est que dans les moments où ces grâces ne nous sont pas données, on s'efforce d'en ressentir les effets : par exemple, on s'épuisera pour s'arracher une larme.

 

5° Je pense qu'il doit se trouver aussi des visions dans cet état, mais ces visions ne peuvent être que corporelles ou imaginaires et d'un genre peu intérieur. I1 faut prendre bien garde à soi, si cela arrivait. II peut très facilement s'y glisser de très grandes illusions, et ces illusions seront très dangereuses ; elles ne tendent à rien moins qu'à ruiner de fond en comble ces pauvres âmes.

Le directeur doit surtout faire attention dans cette circonstance si celui qu'il a à conduire, 1° n'estime pas trop ces choses extraordinaires; 2° s'il a beaucoup d'amour-propre, d'ambition, de désir d'être quelque chose; 3° si ce n'est pas une imagination exaltée ou originale; 4° s'il a peu de jugement joint à un caractère ardent.

Si un ou plusieurs de ces caractères se trouvent dans un sujet, il est difficile de le tirer d'affaire, s'il tombe dans l'illusion. Et une personne de ce caractère à qui il arriverait des visions, serait sûre d'y tomber. I1 faudrait absolument couper court à toute vision, au moins tâcher de l'en éloigner tant qu'on pourrait, et lui inspirer la plus grande crainte et la plus grande indifférence; on n'empêcherait pas pour cela les visions véri­tables.

I1 faut, généralement, que tous ceux qui sont favorisés de ces dons n'y aient aucune attache et n'y mettent aucune importance, mais en usent pour mieux servir Dieu.

Dans tous ces dons, l'âme agit beaucoup et d'une manière très violente; et plus elle souffre violence, plus elle agit et veut agir avec violence. Elle agit ainsi pour se rendre agréable à Dieu et pour jouir de son bien-aimé : ce sont les sens qui font tout ce mouvement. Ce sont des gens gros­siers et mal entendus qui font un si grand bruit pour honorer leur maître, dont la présence les transporte. Toute une heure de bruit fait pour l'honneur de ce grand Maître, ne vaut pas un ins­tant du silence d'une âme contemplative.

 

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CHAPITRE V

 

DES MOINDRES DEGRÉS DE CET ÉTAT D'ORAISON

 

Cette oraison n'a pas communément cette élé­vation ; il y a certaines âmes plus favorisées que les autres, et quelquefois plus fidèles, à qui Dieu accorde de plus grandes grâces.

Généralement, l'âme touchée moins fortement par cette impression sensible, se porte vers Dieu avec moins de violence. Cette impression elle-­même a différents degrés, elle est de différents genres et produit aussi des effets différents.

Ces âmes sentent cette impression dès qu'elles considèrent un sujet de piété. Elles se mettent en oraison, commencent la méditation d'un sujet, et sentent tout de suite cette suavité qui les touche et les porte à produire des actes envers Dieu et envers Notre-Seigneur. Ces actes varient selon le genre et la qualité de l'impression qu'elles sen­tent. Elles doivent se laisser aller à ces mouve­ments.

Elles passent quelquefois une heure d'oraison sans avoir pu achever une seule réflexion, parce qu'elles sont entraînées par les affections conti­nuelles; cela ne fait rien, il faut qu'elles se lais­sent aller. Quelquefois elles peuvent suivre un sujet, au moins jusqu'à un certain point; seule­ment c'est avec un goût très prononcé accompagné d'une grande suavité et d'une grande multitude d'affections. Elles doivent le suivre, mais sans s'efforcer en rien. I1 faut qu'elles se laissent aller aux affections qui entrecoupent les réflexions, de quelque manière qu'elles se présentent.

 

Quelquefois ce n'est pas un sujet suivi, mais une parole de l'Écriture sainte, ou quelqu'autre chose de semblable qui les tient dans une grande suavité et leur fait produire de grandes affections pendant toute une oraison. Il y a plusieurs autres choses de ce genre qui les tiennent et leur plaisent, et tout cela est très bon; il faut les laisser suivre leur attrait. Généralement parlant, elles doivent toujours s'appliquer à l'oraison, la préparer, prendre un sujet et s'y appliquer, le tout selon leur attrait et le goût décidé qu'on apercevra en ces âmes.

 

Dans la journée, la moindre chose les touche; le chant d'un cantique les remplit de joie et de consolation. Elles sentent de très grands désirs à la vue d'une image, ou pour avoir entendu dire une parole à la gloire de Dieu. Il faut très peu de chose pour les remplir de suavité et exciter en elles de grands sentiments et de grands désirs. Les mêmes effets se produisent quelquefois dans celles dont l'oraison est plus intense, mais alors la touche est tout autre et plus vive que dans les autres.

 

Dans les degrés moins intenses, les âmes ont besoin d'être soutenues, car il arrive quelquefois des moments de sécheresse qui les mettent en langer de se décourager et de tomber dans d'autres défauts. Il faut les porter à se tenir pures, à se renoncer et à tâcher de se rendre agréables ,levant Dieu. Il est bon d'appuyer souvent sur ce point, et de se servir de leur attrait pour les faire parvenir au plus parfait renoncement et à la pureté de cœur et d'esprit.

 

Outre cette pureté de cœur il y a encore un point très important qui les ferait progresser grandement, c'est l'humilité. I1 serait bon de les faire avancer le plus que l'on peut dans cette vertu, et de leur en inspirer le désir. On ne doit pas les y porter en leur en parlant souvent. Il faut, au contraire, en leur inculquant cette sainte vertu, faire attention à n'en pas trop prononcer le nom ;ils prendraient le change et n'en profiteraient pas du tout ou très peu. Voyant l'excellence de la vertu et n'en saisissant pas bien la nature, ils feraient de grands efforts, et tous ces efforts n'aboutiraient pas à la véritable humilité. D'ailleurs, ils courraient risque de s'éloigner de leur attrait.

 

Aussi il vaut beaucoup mieux les porter à cette vertu par leur attrait même, en leur faisant pratiquer les choses, sans leur dire les mots qui les signifient. Par exemple, quelqu'un aurait un vif attrait d'amour envers Notre­-Seigneur; je voudrais, je suppose, lui inspirer de bas sentiments de lui-même, je ne lui dirais pas : il faut s'adonner à l'humilité, mais je lui montrerais souvent Notre-Seigneur immolé, humilié et sacrifié pour le délivrer des mains du démon ; je le comparerais à Notre-Seigneur; je lui montrerais le grand amour de Jésus pour lui et le peu de correspondance de sa part; je lui indiquerais combien nous devons nous tenir abaissés, en nous voyant si misérables devant un si bon et si grand maître, et ainsi de suite. De cette manière, on peut le corriger de tout son orgueil, et lui faire souffrir avec joie et douceur toutes les humiliations du monde. I1 vaut mieux lui faire pratiquer l'humilité sans qu'il le sache. En général, il ne faut pas lui nommer l'humilité, mais le faire parvenir à la véritable connaissance de lui-même, et lui faire pratiquer les différentes parties de l'humilité sans faire semblant de rien.

 

Il serait très bon de lui attirer des humiliations, parce qu'il faut un aliment fort pour entretenir cette impression intérieure qui le porte vers Dieu, et il n'y a rien de tel qu'une humiliation bien supportée. D'ailleurs, il faut l'établir dans la solidité du renoncement; or, une humiliation est exquise pour cela. Mais on aura soin de se montrer bien prudent : il ne doit ni savoir, ni même soupçonner que c'est fait à dessein pour l'humilier. I1 faut encore prendre garde de ne pas le charger au-delà de ses forces. On procèdera en tout cela avec une très grande douceur, afin que cette humiliation ou mortification soit détrempée de consolations et le laisse dans une grande paix et suavité, en même temps qu'elle le tient dans l'humiliation,

 

Si on prend ce moyen avec sagesse et selon Dieu, le pénitent ne peut manquer d'en tirer de grands profits. Le directeur ne doit manifester ni trop d'estime ni aucun mépris ou indifférence pour cet état. I1 ne doit pas contrarier les dispositions de son dirigé, à moins qu'elles ne soient mauvaises ; et même alors il faut s'y prendre doucement.

 

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CHAPITRE VI

 

COMMENCEMENT, PROGRÈS ET TRANSITION DE CET

ÉTAT D'ORAISON A LA VIE CONTEMPLATIVE

 

Cette oraison n'est pas un état permanent, ce n'est qu'un chemin pour arriver à la contemplation, si l'âme est fidèle. L'âme est le temple de Dieu, et dans cette oraison Dieu ne fait qu'entrer dans le vestibule de son temple, qui sont les sens, car les sens sont le vestibule de l'âme. II s'arrête dans ce vestibule, et le temple de l'âme s'orne peu à peu pour être capable de recevoir un si grand Maître. Si ce temple reste toujours fermé et sans ornements, il n'y entre pas, à moins d'une miséricorde extraordinaire pour cette âme.

 

On entre de deux façons dans l'état d'affection :

1° d'une manière subite et par une grâce spéciale de Dieu, en sortant d'un état nul pour l'oraison, ou même d'habitude de péché et d'oubli de Dieu;

2° en passant par les degrés de l'oraison de méditation.

 

Dans le premier cas, l'âme n'est dans aucun état d'oraison : ou elle est livrée entièrement au péché, et alors les facultés intellectuelles deviennent chair, se laissant pleinement dominer par les appétits ou instincts; ou elle n'est pas tout à fait mauvais, soit par une grâce spéciale de Dieu, soit par une disposition naturelle des sens qui ne molestent pas tant les facultés de l'âme, et alors au moins ces facultés spirituelles ne sont en aucune façon dans une voie qui mène à Dieu, mais tournées vers la terre et les choses de la terre. Dans l'une et l'autre hypothèse, la mémoire fixe son attention uniquement dans les créatures et en soi-même. L'esprit ne cherche aucune lumière de Dieu, mais tout en lui-même, et ne s'occupe jamais que des créatures, et la volonté ne jouit que des créatures et d'elle-même; et comme les créatures ne peuvent venir aux facultés spirituelles de l'âme que par les sens, il en résulte que celles-ci sont toujours tournées vers les sens, pour y trouver ce dont elles s'occupent exclusivement. Ainsi, dans le premier cas, on est entièrement hors de la voie de Dieu, et il n'y a pas d'état d'oraison. L'âme est répandue dans les sens et les sens sont pleins des créatures dont l'âme se repaît, et auxquelles elle est unie.

 

Que fait alors Dieu quand il a des desseins de miséricorde sur cette âme? quelquefois il se manifeste grandement dans les sens, et alors les facultés spirituelles de l'âme, au lieu d'embrasser les choses créées, s'unissent à Dieu, et c'est ainsi que Dieu établit subitement cette âme dans un état d'oraison très excellent. Dans les commencements, ces rapports de l'âme avec Dieu sont imparfaits et grossiers. Comme elle est habituée à ne chercher dans les créatures que sa propre satisfaction, surtout la jouissance de la volonté, et qu'elle trouve dans cette circonstance de si grands contentements, elle veut se rassasier et ne cherche Dieu que pour jouir, ce qui est indigne. La bonté divine souffre ce mal et comble cette âme par les jouissances sensibles, et peu à peu elle devient plus raisonnable et plus parfaite, et finit, avant beaucoup de temps, par chercher Dieu pour lui-même, et lui rendre amour pour amour.

 

Quelquefois Dieu y va plus doucement et amène cette âme égarée peu à peu, et la met dans l'oraison mentale, et par l'oraison de méditation la conduit peu à peu à l'affection, et c'est le deuxième cas.

 

Dans cet état, la mémoire ne fixe son attention, l'esprit ne cherche sa lumière, la volonté sa ,joie que dans les sens. Les sens ont toujours une certaine habitude de se tourner vers les créatures, et ce n'est qu'à force de travail qu'on parvient à les éloigner par le secours de la grâce, et c'est là le travail de l'oraison de méditation, pour se mettre dans la voie qui mène à Dieu. A force de travailler, on acquiert de bonnes habitudes, et plus ou moins de facilité en cela, mais l'état de l'âme est encore bien naturel ; on ne s'arrache par moments de cet état qu'à force de bras. Peu à peu, Dieu perfectionne l'âme en cet état et la dispose pour aller plus loin, en lui imprimant plus ou moins d'affection dans les sens.

 

C'est de cette manière que cette âme se trouve peu à peu dans un état habituel d'oraison, Dieu se manifestant de plus en plus dans les sens et y attirant les facultés de cette âme. Il s'y manifeste, parce que les facultés spirituelles sont entièrement dans les sens et n'ont jamais agi que dans eux et par eux. Après avoir ainsi purifié les sens et disposé les facultés intellectuelles de l'âme, il la mène plus loin, ou plutôt il y pénètre lui-même et se manifeste dans l'intérieur où il opère de plus grandes choses; c'est ainsi que cela se passe ordinairement.

 

Cet état de l'âme, d'abord bien sensible, bien vif et bien violent et tout renfermé dans les sens, devient peu à peu plus intérieur et plus intime aux facultés intellectuelles ; l'âme s'affermit peu à peu dans les désirs surnaturels, où la joie immense et le bonheur le plus vif l'ont attirée avec violence. De cette façon, les facultés spirituelles prennent l'habitude de se porter vers Dieu et de demeurer auprès de lui.

 

A mesure que l'âme avance dans cette voie de l'oraison, elle se purifie toujours davantage et se rend capable de recevoir les impressions de Dieu les plus intimes et les plus pures. Dans les commencements elle se rassasie, mais Dieu l'attire insensiblement et la détache de ses joies pour l'attacher et l'unir à lui-même, qui en est la source et l'auteur.

 

Si l'âme est fidèle, si elle se dégage de ses délices pour s'unir à son Dieu, alors les opérations divines deviennent plus intérieures, et ses com­munications se font plus directement aux facultés spirituelles. C'est toujours encore par le moyen des sens, mais d'une manière plus intérieure.

Les jouissances qui résultent de ces communi­cations plus intimes sont sans comparaison plus délicates, plus douces et plus suaves que les vio­lentes joies du commencement. L'âme, vers la fin de cet état, n'est plus dans une si grande vio­lence ; elle est moins vive et moins active; elle tend sans cesse à Dieu, et cela d'une manière sensible, je veux dire par les sens, mais avec moins de violence; elle est dans une espèce de langueur; les impressions de Dieu l'atteignent par le moyen des sens, mais d'une manière plus intérieure. Elle reste un certain temps dans cet état mitoyen, avançant toujours, vers la contem­plation ; elle se purifie et se dégage de plus en plus de ces sensibilités, s'affermit dans le désir de s'unir à Dieu et de lui plaire, et tend directe­ment vers lui. C'est ainsi qu'elle va par degrés, jusqu'à ce qu'elle arrive enfin à la divine contem­plation.

Quant à cette langueur, elle est plus ou moins forte. Il arrive souvent que Dieu favorise cer­taines âmes, arrivées à ce point d'avancement, d'un grand don plus excellent que tout ce qu'on a vu précédemment. Cette langueur devient si forte que l'âme est quelquefois dans de bien grandes extrémités. Cet état est très douloureux, mais d'une douleur plus délicieuse que toutes les joies les plus grandes du premier état d'affection. On sent un effet d'amour qui semble épuiser l'âme. II semble qu'elle va toujours en se traînant devant Dieu. C'est l'effet d'un amour pénétrant, qui agit sur les sens d'une manière très intérieure. Le regard intérieur est toujours fixé vers Dieu. En outre, il y a aspiration douce mais forte de la part de l'âme, et attraction correspondante de la part de Dieu, c'est-à-dire douce mais forte, et dans le même genre que l'aspiration, et c'est cette attraction qui produit cette aspiration. Ce regard, cette tendance et cette aspiration sont tendres, forts, suivis et languissants, ou plutôt jettent la langueur dans l'âme.

Tout cela se passe - il me semble - dans les sens, et cependant il n'y a pas d'activité, parce que les sens sont abattus et comme épuisés C'est une langueur d'amour dont les délices sont im­menses. Ordinairement, on sent en même temps l'effet d'un feu interne qui semble consumer le cœur ; cet effet se fait sentir quelquefois sur le cœur matériel, mais pas toujours et ne dure pas non plus tout le temps que dure cette langueur.

Cet état de langueur est persistant : on passe toutes ses journées dans ces langueurs d'amour, ces aspirations et tendances du cœur vers son divin amour. Tout son temps s'écoule en gémis­sements, en regards intérieurs, en tendances d'a­mour, en désirs et en aspirations. Quand l'âme est dans cet état, elle ne tarde pas à entrer dans une grande contemplation de Dieu, et elle y est déjà en partie. Mais toutes ces âmes ne sont pas favorisées de cet état et surtout à ce degré.

 

Voilà pour les âmes qui sont fidèles, qui suivent Dieu et se laissent conduire par son divin Esprit.

 

Si une âme n'est pas fidèle, si, au lieu de retirer son affection des joies qu'elle éprouve, pour s'attacher à Dieu seul qui en est la source, elle cherche toujours à se repaître de jouissances, elle ne fera pas le moindre progrès dans le renoncement à elle-même; elle conservera toujours ses facultés spirituelles courbées vers les créatures; elle n'acquerra pas cette habitude d'attacher directement ses facultés à Dieu, et ne lui sera jamais vraiment unie. Car si elle se reporte vers Dieu, ce n'est pas du tout pour s'unir à lui, mais pour en tirer son plaisir; elle cherche ce plaisir, et elle se sert de Dieu même pour se le procurer. Quelle indignité! quelle horreur! quel effroyable sacrilège de se servir de Dieu lui-même pour se procurer du plaisir! C'est comme si on se servait du pain adorable de la très sainte Eucharistie, pour contenter sa faim corporelle.

 

Cette âme sera toujours répandue dans les sens pour y chercher de quoi se satisfaire, et ne saurait jamais s'élever plus haut et vivre avec Dieu au dedans d'elle-­même. De tout cela il résulte qu'elle n'arrive pas à la contemplation divine.

 

Sont seules exceptées quelques âmes de prédilection particulière, que Dieu enlève malgré elles, et qu'il finit enfin par dégager d'elles-mêmes. Si elles vont dans la contemplation et n'arrivent pas à ce dégagement, leur perte est bien grande; mais, généralement, ces sortes d'âmes n'y parviennent point; il leur arrive même de bien plus grands maux, et, au lieu de monter à la contemplation, elles descendent. Voici ce qui se produit :

1° Cette âme si avide de jouissances spirituelles prive d'une foule de grâces, et ne profite pas véritablement de celles qu'elle a, et par là s'affaiblit de plus en plus et se laisse aller aux affections créées.

2° Son esprit s'obscurcit, et comme elle est extrêmement attachée à elle-même, elle devient le jouet de son amour­-propre et s'y entortille de plus en plus.

3° Dieu voyant une âme si impure et qui se cherche elle-­même, se retire d'elle peu à peu ; il n'a plus pour elle ces complaisances avec lesquelles il l'accablait de délices; il se retire des sens et la laisse à sec. Alors elle fait des efforts continuels pour retrouver ses anciens goûts, non pas pour plaire à Dieu, mais pour jouir, car elle met toute sa perfection en cela; elle est dans une contention continuelle, elle se replie sur elle-même, et cherche en elle ce qui n'y est pas.

4° Quelquefois il arrive à ces pauvres âmes, dans cet état, de devenir brusques, chagrines, de mauvaise humeur envers tout le 'monde et envers toutes choses. Quelquefois elles portent envie à ceux qu'elles voient plus favorisées, et quelquefois elles blâment et taxent tous les autres; elles tombent dans une foule de fautes et d'embarras de ce genre; elles se plaignent à tout le monde de leurs misères ; elles se lamentent et s'affligent ; elles trouvent toutes sortes de raisons d'où provient cette sécheresse, excepté la raison véritable qu'elles ne veulent pas voir.

 

L'unique remède serait de se soumettre avec patience, amour et douceur, à' toutes ces privations et à mille fois davantage, si cela plaisait à Dieu ; de se corriger de ce défaut; de se rendre fidèle à Dieu par l'obéissance, la ponctualité et la bonne volonté avec lesquelles on accomplirait en toutes choses ses bons plaisirs ; de se tenir dans l'humilité et l'abjection devant Dieu et devant les hommes; de tâcher de se rendre agréable à Dieu par le repentir de sa faute, et de prendre la résolution de se tenir en repos et de souffrir cette privation en toute paix et amour, aussi longtemps qu'il plaira à Dieu de nous y laisser. Il faut surtout réduire en pratique cette dernière résolution, être fidèle, au milieu de ces sécheresses, au temps fixé pour l'oraison et les autres prières et exercices, prendre ses diligences pour s'y bien préparer, et tâcher de se tenir en paix au milieu de toutes ces peines. Mais ces âmes ne prendront guère ces remèdes, crut leur paraîtront trop difficiles.

 

5° Comme ces âmes sensuelles ne sauraient employer ces moyens, au moins c'est très rare, elles tombent encore plus bas. Ayant l'habitude de mettre toutes leurs affections dans les jouissances et ne les trouvant plus en Dieu, elles se laissent aller peu à peu à l'amour des créatures, pour trouver quelque consolation et contentement. Elles n'étaient attachées à Dieu qu'à cause des jouissances qu'elles trouvaient en lui; ne les ayant plus, elles les cherchent ailleurs.

Elles deviennent alors plus mauvaises qu'auparavant avant, parce que leurs passions sont plus avides, plus vives et plus actives depuis qu'elles ont goûté Dieu, car cette joie violente les a mises dans titi violent mouvement. Et puis elles ne seront jamais rassasiées après avoir joui de Dieu; il leur Faut de plus violentes jouissances pour les contenter tant soit peu. Elles finissent par quitter l'oraison et oublier Dieu tout à fait.

Aussi est-il important d'habituer les âmes, dès le principe, à pratiquer solidement le renoncement à elles-­mêmes et à toutes les jouissances et contentements, à chercher Dieu avec pureté, et à mettre tout leur amour et toute leur vie en Dieu seul, et non dans les joies qu'il donne.

C'est d'ailleurs une très grande folie à ces âmes de s'attacher ainsi aux joies sensibles; elles en auraient de bien plus grandes si elles étaient plus pures et plus dégagées. D'abord, dans l'oraison d'affection, elles n'éprouvent jamais ces joies intimes, au moins il est rare que ce ne soit en moindre nombre et en moindre qualité. Ensuite, elles sont presque toujours privées des joies incompréhensibles et inexplicables. de la contemplation, parce que presque jamais elles n'y arrivent sinon par une espèce de miracle.

 

 

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CHAPITRE VII

 

DES AVANTAGES DE CET ÉTAT D'ORAISON

 

Cette oraison met l'âme dans une habitude continuelle d'amour de Dieu : l'âme fait tout par amour. On est toujours dans une grande allégresse de cœur on peut dire à tout instant : Paratum cor meum, Domine, paratum cor meum, parce que la volonté est toujours disposée à servir Dieu et à faire ce qu'il demande d'elle.

 

On a toujours de grands désirs et des envies démesurées de se rendre agréable à Dieu.

Les choses les plus difficiles ne coûtent rien à une âme qui est vraiment dans l'oraison d'affection. On entreprend tout, on est capable de tout, on ne délibère point, quelle que puisse être la peine et la difficulté que l'on rencontre. Plus l'oraison est intense, plus on a de force.

 

Dans cet état, on est exempt de sensations fâcheuses, au moins généralement. Les sens jouissent de Dieu et ne pensent pas à d'autres satisfactions; ils sont purifiés par les divines impressions qui s'y font.

 

Ces âmes ont une foi vive et fortement déclarée, et il leur semble que cette foi ne pourrait jamais être renversée. Elles se trompent en cela, comme saint Pierre. Elle est au contraire facile à renverser, et ce n'est pas la foi pure qu'elles ont, mais un sentiment très vif des vérités de la foi, qui est du reste très excellent, parce qu'il les affermit singulièrement dans l'adhésion aux vérités du salut, et les porte à travailler sérieu­sement et de tout leur cœur à leur sanctifica­tion. On vit sans inquiétudes et sans soucis On jouit de Dieu, on cherche à l'aimer et à le servir. C'est toute la pensée et tout le désir qui occupent ces âmes du matin au soir.

Elles sont dévorées du désir de faire aimer et servir Dieu par tous ceux qui les environnent, et elles s'y appliquent avec leur violence ordinaire, agissant et parlant de toutes leurs forces pour persuader les autres. Elles touchent quelquefois beaucoup et très vivement, parce qu'elles éprou­vent dans leur intérieur un sentiment très fort de la chose qu'elles veulent persuader, et elles s'y prennent avec vivacité et sensibilité ; d'ailleurs Dieu les aide et les favorise.

Ordinairement, elles ont de grandes et de fortes dévotions. Ces dévotions ressemblent à tout le reste de leur conduite : tout y est violent et vif. Une âme dans cette oraison, à un degré intense, aura des colloques de feu avec la très sainte Vierge. Elle sera réduite quelquefois à l'extré­mité, à perdre presque la respiration par l'ardeur de ses désirs et de ses sentiments. Elle s'entre­tiendrait toute une journée avec la divine Mère, et cela avec des tendresses inexplicables. I1 en est de même des autres dévotions.

Aux approches des fêtes, surtout de certains mystères principaux, ces âmes vivent dans une joie et une allégresse inouïes. On s'y prépare avec un soin, une ardeur et une activité dont on ne se fait pas une idée, quand on n'a pas éprouvé ces choses. Aussi, quand le jour arrive, on est hors de soi-même, et Dieu se plaît à accabler de délices ces pauvres âmes, qui passent ces jours dans un abîme de joie et d'amour. On ne conçoit pas les bontés divines envers ces âmes dans ces grands jours. Cette complaisance que Dieu semble mettre en elles en ces fêtes vient de la prépara­tion soigneuse qu'elles y apportent, et d'où il résulte que leurs sens sont ouverts et disposés à recevoir l'impression du mystère. C'est de là que vient aussi en partie cette extrême impatience avec laquelle elles attendent l'arrivée de ces jours, parce que les sens sont ouverts par la réception de l'impression du mystère.

Ordinairement, quand la grâce est forte, l'im­pression du mystère ne se fait pas par raisonne­ment ou méditation, mais on se trouve assailli par une suavité intérieure qui semble couler du mystère et qui nous y attire, et alors on se sent comme enveloppé de ce mystère et abîmé de dons. On ne sait ni comment ni pourquoi cela se fait, mais on s'y trouve submergé. Si on se sent péné­tré d'une impression fixe, comme celle de la croix de Notre-Seigneur etc., alors tous les mystères nous ramènent à cette impression fixe. Notre âme est, par ses sens, enveloppée de ce mystère, mais tout ce qu'elle y puise se change en l'objet de son impression fixe.

 

Quelquefois Dieu laisse ces âmes dans la sécheresse, pendant une partie de la journée ou pendant une partie d'un office; elles prennent cela très bien, l'attribuent à leurs péchés, le souffrent avec amour et patience, et font toute leur diligence pour réparer leur faute et pour plaire à Dieu. Ceci arrive ordinairement vers la fin de cet état, quand on y est bien avancé déjà.

 

Je crois que, généralement, la grande dévotion de ces âmes, c'est celle du très saint Sacrement. Et c'est un très grand avantage : elles voudraient passer toutes leurs journées devant le divin Maître ; leurs désirs sont violents là-dessus et les transportent continuellement d'amour envers ce très saint Sacrement; leurs visites sont brûlantes, mais leurs désirs de faire la sainte communion sont inexprimables. Ces désirs et cette dévotion augmentent à mesure qu'elles avancent dans cet état. Leur préparation est ardente, et elles soupirent après le jour où elles doivent en approcher, avec une véritable impatience, ne pouvant attendre le moment. Les effets de la sainte Communion et ses fruits sont très considérables et remplissent ces âmes d'une nouvelle force et de nouveaux désirs. Elle produit en elles de puissantes impressions; la présence de Notre-Seigneur se fait sentir d'une manière extrêmement vive.

 

Les objets créés, au lieu de les éloigner de Dieu, les portent vers lui, et quelquefois d'une manière très puissante, en les remplissant d'une suavité extraordinaire. Ceci n'arrive pas toujours à un degré élevé, mais toujours elles ont une certaine facilité pour cela, et, en voyant une fleur, en entendant chanter un air, ou même en sentant une bonne odeur, elles se trouvent quelquefois touchées de Dieu sans savoir pourquoi. Cela ne se fait ni par un raisonnement ni par une représentation d'imagination; elles ne cherchent pas même toujours à s'élever à Dieu par ces choses, mais il se fait sur elles une impression qui les touche. Quelquefois elles sont saisies par l'imagination, quelquefois par une pensée surnaturelle, par rapport à cet objet créé, mais quelquefois, sans savoir pourquoi, elles se trouvent pénétrées de cette suavité.

 

On ne peut souffrir les conversations qui n'ont pas rapport à Dieu, dont on voudrait parler sans cesse, et on en parle avec un très grand épanchement de cœur. Lorsqu'on sort d'une conversation pieuse, où l'on a bien épanché son cœur, on est tout embrasé.

 

Ces personnes ont une très grande facilité à se tenir en la présence de Dieu ; il leur serait même difficile de ne pas s'y tenir lorsque cet état d'oraison est bien déclaré. Elles prennent des moyens continuels pour y rester, et leur présence de Dieu est pleine d'amour et de suavité.

 

Elles ont une grande contrition de leurs péchés, au moins généralement parlant. Sans cesse ces péchés sont présents à leurs yeux; elles s'humilient devant Dieu et en sont pénétrées de douleur.

 

Elles ont une grande horreur et un grand mépris pour le monde. Elles en parlent dans les termes les plus forts, voulant imprimer dans tous les cœurs la même haine et le même dégoût. Il est bon de les entretenir dans ces sentiments, de leur en parler souvent, et de le faire dans leur sens et à leurs goûts.

 

Souvent elles ont de très grands désirs de mortification. Il est bon de les y entretenir, spécialement dans la mortification intérieure, de les purifier le plus que l'on peut, et de les éloigner de tout plaisir des sens : mollesse et amour des aises et commodités. II faut les accoutumer à la sobriété intérieure et extérieure. Ceci est très nécessaire pour entretenir et augmenter en eux l'esprit d'oraison; rien ne nuit plus à cette oraison d'affection que l'attachement aux plaisirs des sens, car cette concupiscence est directement opposée à la volonté, qu'elle attaque et affaiblit, et cette oraison fait son séjour principalement dans la volonté, comme on a dit plus haut.

 

Un grand avantage de cet état, c'est l'obéissance et la docilité au directeur, et généralement à tous les supérieurs. Ces personnes ne raisonnent sur rien. Leur directeur ou leur supérieur leur dit de faire une chose, elles la mettent à exécution ; elles croient tout, elles sont capables de tout. Lorsque leur directeur leur dit de faire des choses dont elles ne peuvent venir à bout, cela les afflige beaucoup et les tourmente véritablement, surtout quand ce sont des choses qui touchent à leur intérieur. Voilà pourquoi le directeur ne doit pas être facile à condamner les choses qu'elles font, car souvent il se trompe et Condamne des choses bonnes, et que ces pauvres âmes ne peuvent éviter. S'il leur ordonne de faire le contraire, et qu'elles ne le puissent pas, cela les tourmente et les trouble beaucoup, et, bon gré mal gré, le directeur est obligé de revenir sur sa parole. I1 vaut mieux qu'il se rétracte que de s'opiniâtrer dans son sentiment.

 

Ils ont un désir ardent d'accomplir la volonté de Dieu en toutes choses, et pour cela ils sont d'une exactitude ponctuelle dans l'observation des règles, s'ils se trouvent en communauté, et des pratiques qu'ils ont l'habitude d'accomplir pour la gloire de Dieu. Ils sont soigneux et désireux de connaître cette volonté de Dieu en tout, et sont toujours prêts à l'exécuter avec un très grand goût et une grande suavité.

Leur charité pour le prochain est très grande et d'une vivacité égale au reste, et même trop vive. Ils font l'impossible pour rendre quelque service ou pour faire plaisir au prochain.

Il y a sans doute encore plusieurs autres avantages, mais qu'il n'est pas nécessaire de rap­porter.

 

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CHAPITRE VIII

 

DÉFAUTS DE CET ÉTAT

 

 

Une âme dans cet état d'oraison est une lampe ardente mais non luisante : c'est là un grand défaut de cet état. On n'a pas la prudence; c'est la vertu des parfaits qui est réservée pour l'orai­son de contemplation.

Une âme dans l'oraison de méditation est réservée et se rend raison de ce qu'elle fait. A l'extérieur elle ne commet pas tant d'imprudences, mais on peut lui appliquer cette sentence des Proverbes : « Le fou qui se tait est regardé comme sage. »  Cette prudence, qui paraît dans ces âmes du premier état, n'est pas prudence véritable; elle est aux trois quarts fondée sur l'amour-propre. L'imprudence d'une âme affective est infiniment préférable à la prudence d'une âme qui est dans l'oraison de méditation.

Une âme affective est incapable de cette réserve, elle est bouillante; la volonté animée par cette vive impression dont elle jouit par les sens, agit avec violence. Mue par cette impression, et sans demander compte à la raison de ce qu'elle fait, elle agit avec une très grande impétuosité et à l'aveugle, abandonnée pleinement à la vive impression qu'elle sent. L'esprit lui-même se tait et se livre à la volonté pour suivre son impétuosité, touché lui aussi de cette impression qui la captive. I1 s'élance et agit sans examen, par le même effet du plaisir extrême qu'il éprouve. C'est l'enfance de la vie intérieure; elle a besoin d'être guidée. Aussi la bonté divine veille sur ces âmes pour qu'elles ne fassent rien qui puisse leur causer un tort notable, car leur imprudence va bien loin.

 

Elles sont aussi imprudentes dans les choses intérieures et par rapport à elles-mêmes, que dans les extérieures et par rapport aux autres. Au moins cela leur arrive quelquefois. D'autres sentent mieux ce qui leur convient et ce qui ne leur convient pas.

 

Leur grand préservatif est une parfaite docilité aux avis de leur directeur, et la fidélité à ne rien faire sans l'avoir soumis à son jugement. I1 y en a cependant qui manquent à ce dernier point. Malgré cela elles font encore bien des choses contraires aux règles ; mais il ne faut pas les tourmenter là-dessus, autrement il en résulterait trois grands maux :

 

1° On les troublerait sans cesse et on les gênerait dans leurs actions, ce qui est très nuisible.

 

2° On fixerait leur attention sur une chose qui n'est pas de grande importance, et cela les empêcherait de suivre leur grand attrait. Souvent ce sera une chose purement extérieure.

 

3° On leur donnerait la fausse prudence qui est uniquement fondée sur l'amour-propre, et par là on les arrêterait tout court, et la touche intérieure tarirait peu à peu. Ils auraient la crainte de paraître imprudents, etc., et cette crainte pleine de vanité influerait puissamment dans toutes leurs actions, et les empêcherait bien souvent de suivre l'impression que Dieu leur donne.

 

I1 vaut beaucoup mieux les laisser faire leurs petites sottises, et les rendre seulement plus fervents et plus renoncés à eux-mêmes. Quand une fois ils seront montés plus haut, tous ces défauts disparaîtront au moins en grande partie. S'il y avait cependant un défaut réel, une attache, etc., alors il faudrait les en corriger; mais, si ce n'est qu'une chose indifférente, il faut se conduire à leur égard comme on vient de dire.

 

I1 faut encore se garder beaucoup de leur faire trop d'observations sur leurs défauts extérieurs, et, lorsqu'on leur en fait, n'avoir pas l'air d'y attacher haute importance, de peur de faire naître en eux les sentiments de la prudence de vanité, qui est pire que tous ces défauts. II est bon cependant de les leur faire observer, mais très doucement, leur disant qu'il serait bon de s'en corriger, en ajoutant cependant que ce n'est pas là l'important; qu'ils doivent avant tout fixer uniquement leur attention sur Dieu et son divin amour, et nourrir en eux cette impression intérieure, selon leur attrait particulier. On leur recommandera néanmoins d'éviter ces défauts toutes les fois qu'ils s'en apercevront.

Grand nombre de personnes tombent dans cette erreur, et reprennent et tourmentent ces pauvres âmes pour un défaut insignifiant, une manière de tenir la tête, etc., leur en faisant une affaire capi­tale; elles leur causent beaucoup plus de tort qu'elles ne pensent. On veut que ces âmes soient parfaites dès le premier moment, et malheureuse­ment bien souvent ce n'est que la fausse prudence qui dicte ces observations. Alors on tend plutôt à les pervertir (sans le savoir) qu'à les rendre parfaites.

Si on veut absolument faire ces observations, qu'on les fasse, mais non avec cette importance et cet acharnement. Du reste, ces défauts, surtout s'ils sont considérables, viennent toujours d'un défaut intérieur qui a besoin d'être corrigé. C'est l'affaire du directeur de reconnaître ce défaut in­térieur, de le faire voir doucement et suavement à son pénitent, et de lui montrer par l'effet exté­rieur quel il est. Qu'il montre donc au doigt le défaut intérieur et en déduise l'extérieur, en mon­trant qu'il en provient.

Quant aux vivacités imprudentes et aux saillies contraires aux règles, elles viennent toujours d'un bon principe et sont une bonne marque : c'est la violence de l'impression intérieure qui en est la cause. Ces personnes ont tort de faire cela et c'est un défaut, mais elles ne sont pas encore parfaites.

Elles s'attachent aussi aux jouissances qui vien­nent de leurs impressions intérieures. Au commencement, cette attache est grossière et purement sensuelle. Si ces âmes, dans ces commencements, n'étaient encore tout embourbées de l'amour d'elles-mêmes auquel elles étaient livrées auparavant, cette attache serait très mauvaise, mais de cette façon elle est bonne en quelque sorte, au moins par rapport à leur état. Qu'une de ces âmes soit dégagée de ces jouissances, ce serait, il me semble, un miracle plus grand que la résur­rection d'un mort, car la chose en elle me semble impossible.

Nous avons dit plus haut que Dieu les détachait peu à peu et les attirait à lui par une bonté incon­cevable. Plus tard, lorsqu'elles sont débarrassées de cette recherche grossière d'elles-mêmes, elles cherchent Dieu avec sincérité et pureté de cœur, pour lui-même et par amour. Mais cela n'empêche pas qu'il ne leur reste une certaine attache plus ou moins forte et plus ou moins excusable à ces délices. Quelquefois , elles s'y attachent parce qu'elles croient qu'elles sont plus agréables à Dieu quand l'impression est plus vive, à raison des actes violents d'amour et d'autres vertus qu'elles produisent. Elles tombent en cela dans une grande erreur. Au lieu de Dieu qu'elles croient chercher, elles ne cherchent que l'objet de leurs jouissances. Elles s'attachent aux moyens que Dieu emploie pour les unir à lui, au lieu de s'attacher à Dieu lui-même.

D'autres fois elles s'attachent à ces choses pour un motif moins bon : l'estime qu'elles ont de ces grâces. Elles croient ces impressions bien relevées, surtout quand elles sont fortes et extraordinaires, et elles les recherchent pour être plus parfaites et plus excellentes dans l'ordre de la grâce. Ce n'est pas précisément par ambition, mais par un certain bon désir qui n'est pas bien pur, et dont même elles ne se rendent pas tou­jours bien compte.

 

Quelquefois, c'est pour le plaisir bien vif et bien pénétrant qu'elles y éprouvent. Ce motif est bien mauvais : c'est une sensualité. Ce n'est plus cependant la même chose que ce que l'on vient de dire ci-dessus pour les commençants. On ne recherche pas Dieu dans le seul dessein d'en jouir, car on ne se propose pas seulement les jouissances; on cherche à s'unir à lui, mais on aime aussi à jouir, et on cherche à lui plaire au milieu des jouissances.

 

Ces âmes sont en grand danger, et, plus les grâces sensibles sont fortes, plus leur danger augmente ainsi que leur sensualité. De plus elles ne feront jamais grand progrès dans la vie intérieure. Elles tombent encore dans une multitude de défauts intérieurs et extérieurs, dont les plus grands sont : de s'amuser aux jouissances même terrestres, au défaut des célestes, dans l'oraison ou hors des moments de l'oraison, l'estime de soi-même et la confiance, la présomption et d'autres défauts que donne l'amour-propre : l'entêtement, la désobéissance, le mépris ou l'indifférence pour le prochain, la facilité de le juger, d'en mal parler, la ténacité aux pratiques extérieures, et la fausse dévotion avec tous les autres défauts qui en dépendent. I1 n'est pas rare du tout de trouver des âmes attachées plus ou moins de cette manière aux grâces sensibles.

 

Quelquefois ce désir vient de l'ambition, alors c'est une horreur. On ambitionne d'être quelque chose dans les voies de Dieu. Dans ce cas, il n'y a pas de maux spirituels auxquels on ne doive s'attendre, surtout si la personne a une imagination ardente, un caractère hautain et passionné, et le jugement peu droit. Le démon en fait ce qu'il veut.

 

Ces âmes n'agissent pas par amour pur, mais par retour sur elles-mêmes, au moins dans les commencements, avant que cette impression soit bien intérieure, et, même plus tard, plus ou moins. Il faut toujours les porter à Dieu et à la pratique des vertus par un motif d'amour, les engager, à mesure qu'elles avancent, à servir Dieu dans la pureté de son amour et uniquement pour lui plaire, non pour l'amour de soi, et les faire penser plus souvent à Dieu qu'à elles-mêmes.

 

Elles ont plus de facilité à pratiquer les vertus pour lesquelles il faut de l'action que celles où il faut de la patience. Elles ne sont guère capables d'achever une entreprise de longue haleine, où elles rencontrent de grands et de nombreux obstacles qui durent, et qu'il s'agit de vaincre l'un après l'autre. En cela, elles ont encore un autre défaut : elles veulent aller toujours droit au fait, et heurtent du front avec violence contre tous les obstacles. C'est une suite de leur imprudence et de ce violent désir pour le bien. Elles seraient bien capables d'entreprendre les choses les plus difficiles, mais, s'il faut patienter, elles mènent rarement l'entreprise à un heureux résultat. S'il ne faut que du travail et des peines, quelque grands qu'ils soient et quelle que soit la difficulté, elles en viendront à bout, pourvu qu'il s'agisse d'aller avec vigueur et droit au fait.

 

Elles sont extrêmement actives, tombent très souvent dans un grand empressement et dans l'agitation, et elles n'ont aucune mesure dans leurs actions et dans leurs paroles.

 

Quelquefois cette activité et cet empressement vont jusqu'au trouble, et leur font tout à fait perdre la capacité de s'élever à Dieu. Il faut tout simplement les calmer par quelque pensée affectueuse et qui soit selon leur attrait, les habituer à ne pas se laisser aller à cet empressement, et y revenir très souvent.

 

Lorsque l'impression sensible qu'elles ressentaient cesse pour un temps, elles veulent quelquefois se la retracer dans leur esprit et dans leur cœur, et font des efforts pour avoir la même sensation qu'elles ont coutume d'éprouver ; elles doivent éviter cela et se soumettre à Dieu.

 

Elles n'ont pas d'uniformité dans leur conduite; cola vient de ce qu'elles se conduisent selon le sentiment qu'elles éprouvent dans leur intérieur, et ce sentiment est toujours fortement imprimé Clans leurs paroles et leurs actions, de sorte que, si le sentiment change, leur extérieur change missi.

 

Elles veulent que tout le monde soit parfait. Elles exigent quelquefois plus qu'elles ne font elles-mêmes. Elles vont trop vite en besogne, et veulent forcer tout le monde.

 

Un autre défaut qui tient au précédent, c'est la raideur avec laquelle elles agissent quand elles trouvent des obstacles, je veux dire quand elles ne marchent pas avec autant de ferveur qu'elles le désirent, quand on leur résiste, etc.

 

Au sortir d'une oraison bien fervente, où elles ont éprouvé de grandes jouissances, elles se laissent quelquefois surprendre par les joies naturelles, par exemple, l'amitié humaine, etc., la dissipation même. Cela vient de ce que leurs sens émus par la grande jouissance qu'elles ont éprouvée, sont susceptibles d'impression, et ne sont pas sur leurs gardes.

 

Ces âmes, surtout quand elles reçoivent de grandes faveurs, sont portées à avoir quelque bonne opinion d'elles-mêmes, et se croient bien avancées ; elles se comparent quelquefois aux autres.

 

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