NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR CL.FR. POULLART DES PLACES

 

 

Quelques repères pour les années d’enfance et de jeunesse de Claude-François

 

 

 

NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR CL.FR. POULLART DES PLACES

Quelques repères chronologiques

 

 

 

 

 

1679: février, le 26: naissance de Cl.Fr. Poullart des Places à Rennes

                      le 27- baptisé en l’église  (St Pierre) de l’abbaye St Georges

1690: octobre- âgé de 11 ½, il entre au Collège s.j. St Thomas de Rennes

1691: avec L.M. Grignon de Montfort,  il est formé au souci et au soin des pauvres

           par l’abbé Bellier, un ‘prêtre du Saint-Esprit’

1694: octobre - étudiant au collège s.j. de Caen

1695 - 1698: à nouveau au collège St Thomas de Rennes

1698: août, le 25 - 'Grand Acte' brillant devant la haute société rennaise      

          retraite d’orientation; désire être prêtre via Sorbonne; pas d’effet durable

1698 - 1700: fait son Droit à Nantes - Un certain relâchement dans sa vie de foi

                     retour à Rennes: aide son père dans la gestion de ses affaires

1701: été - il doit faire face à une décision pour son avenir immédiat : Conseiller au                  

          Parlement? Grande retraite de conversion et d’élection à Rennes

1701: octobre - entre en théologie au Collège s.j. Louis-le-Grand: affilié à l’Assemblée

          des Amis (AA) ; tonsuré le 15 août suivant

1702: mai - rencontre Jean-Baptiste Faulconnier, pauvre aspirant au sacerdoce: il

         partage tout avec lui, lui fournit un logement et devient son formateur; d’autres

         jeunes exclus du sacerdoce faute de moyens viennent se mettre sous son aide

         providentielle; de plus en plus engagé avec ses amis ‘‘pauvres écoliers’’

1703: mars, début du carême - Il quitte Louis-le-Grand pour partager la vie de ses 

         amis et les aider plus efficacement à leur avenir de prêtres pour les pauvres           

         mai, le 27 - Fête de la Pentecôte : fondation de la communauté du Saint-Esprit,

        dans la chapelle de Notre-Dame de Bonne Délivrance, en  l’église Saint-Etienne 

        des Grès: pour des ministères humbles, laborieux, où l’Eglise n’a pas d’ouvriers.

        La communauté croît rapidement (± 40 jeunes un an après). Débordé par la

        tâche, il passe par une dure épreuve physique et spirituelle.

1704: décembre: retraite de réorientation: renouvellant sa foi en l’amour de Dieu, il 

          est déterminé à poursuivre son oeuvre, mais va en partager la responsabilité.

1705: premier collaborateur: début de la communauté des formateurs (société du

         Saint-Esprit) au service des jeunes trop pauvres pour être prêtres (séminaire du

         Saint-Esprit); organisation exemplaire de la formation et des études.

1706, le 18 décembre: Poullart est ordonné sous-diacre

1707, ordination au diaconat le 19 mars, et au sacerdoce le 17 décembre, à Paris.

1709, le 2 octobre: Claude-François Poullart des Places meurt de maladie infectieuse

         en se sacrifiant pour ses étudiants pauvres: il est inhumé dans la fosse  

         commune des clercs pauvres de St Etienne du Mont.

         




Le récit de la vie de Claude-François Poullart des Places s’appuie le plus possible, sur le témoignage de deux témoins qualifiés : Pierre Thomas et Charles Besnard.

 

          Pierre Thomas est un des premiers disciples de Cl.Fr.Poullart des Places; il est entré dans la communauté du St Esprit le 27 mars 1704, il y a fait toute sa formation ; il est devenu membre de la communauté des formateurs en 1712 [1] ; il est donc témoin oculaire du fondateur pendant 5 ans 1/2. Son Mémoire -la première partie surtout- abonde en notations sur la personnalité et les ‘goûts’ du jeune Claude François. Il montre le cheminement qui le conduit à la conversion, avec les étapes décisives de ses grandes retraites de 1701 et 1704.

            Charles Besnard est entré dans la communauté du Saint-Esprit peu de temps après la mort du fondateur ; il en a reçu une ample connaissance par le P. Louis Bouic, compagnon et collaborateur de Poullart pendant environ 5 années, puis son successeur ; devenu membre de la Compagnie de Marie, Besnard en fut le Supérieur Général et écrivit la première biographie de Grignon de Montfort ; il y rapporte des souvenirs précieux concernant Poullart.

 

          Voici ce que rapporte le mémoire de Thomas sur l’enfance de Poullart :

 

Messire Claude-François Poulart (sic) des Places, né à Rennes, paroisse de Saint-Pierre attenant l’Abbaye, y fut baptisé.[2] Messire Claude de Marbeuf, président au Parlement de Bretagne, fut son parrain et demoiselle Françoise Truillot, Dame de Ferret [ fut sa marraine]. On lui donna le nom de Claude-François qui est aussi le nom de Messire son père. Ses parents, également sages et pieux, s’étaient adressés à Dieu pour qu’il bénit leur mariage en leur accordant un garçon. Ils avaient été exaucés ; ils le vouèrent à celui qui le leur avait donné, et lui firent porter l’habit blanc pendant sept ans [en l’honneur de la Sainte Vierge]. 

 

Le récit montre qu’à la profonde piété des parents répondit celle du jeune enfant: 

 

Son grand plaisir était de représenter les cérémonies qu’il avait vu pratiquer à l’Eglise. Ses parents s’en trouvaient quelquefois importunés, mais s’il cessait pour leur obéir, il revenait ensuite bientôt à ses amusements  [...]

 

Les manifestations de ce goût pour la piété perdurèrent en s’adaptant à la croissance:

 

Il fit une pieuse association avec ses compagnons[3] sans en rien communiquer à ses parents ni à son précepteur[4] [...] Ils avaient leurs règles pour la prière, pour le silence et la mortification qui allait quelquefois jusqu’à la discipline  [...]

Ces dispositions du jeune des Places étaient d’autant plus admirables que son tempérament vif et remuant le portait à toute autre chose [...] Un Père Jésuite qui dirigeait notre jeune écolier en eut connaissance.  Il leur ordonna de rompre ces assemblées [...] Le directeur fut obéi, mais cette obéissance fut pour son petit pénitent une mortification plus sensible que les autres.

Il lui fallut pourtant soutenir dans la suite de rudes combats pour résister à la tentation du plaisir. Son tempérament l’y portait; les invitations et les exemples de ses camarades en augmentaient le penchant ; mais l’amour pour son devoir et la vigilance d’un père et d’une mère attentifs à son éducation ne lui permettaient pas de s’émanciper [...]

Après avoir fini ses basses classes et sa rhétorique au Collège de Rennes, Monsieur son père, par le conseil de son Régent, voulut qu’il s’appliquerait une seconde année à l’éloquence dans le collège des Jésuites de Caen où ce Régent, qui avait une attention particulière pour son élève, allait enseigner [...] Il y acquit une grande facilité à s’expliquer et un fond d’éloquence qui lui servit, dans la suite, pour faire valoir les motifs dont il se servait pour persuader la vertu .

 

          Au cours de ses jeunes années de collégien, à Rennes, Claude-François reçut une formation spirituelle particulièrement attentive de la part de ses maîtres jésuites, qui l’invitèrent à faire partie de la Congrégation de Notre-Dame[5] ; il eut aussi la chance d’être accompagné, avec Louis-Marie Grignon de Montfort,  par l’abbé Bellier, un prêtre tout donné au service de l’Evangile, surtout parmi les pauvres; il était aumônier de l’hôpital St Yves qui leur était destiné, et aussi ‘prêtre du Saint-Esprit’[6] ; il s’intéressait, de plus, à la formation des ‘pauvres écoliers’[7]. Après l’intermède de l’année à Caen, le voici de retour à Rennes, où il retrouve son Collège pour 3 années de philosophie: le mémoire de Pierre Thomas en parle ainsi:

 

C’est d’ordinaire une temps bien critique pour les jeunes gens. Ils sont alors beaucoup moins gênés que dans les classes inférieures [...] Mais quoi qu’il en soit, il étudia et réussit si bien dans la philosophie qu’à la fin de son cours, il se trouva en état de soutenir une thèse dédiée à Mgr. le Comte de Toulouse. La défense fut extraordinaire. Les Présidents et conseillers du Parlement y assistèrent en cérémonies, avec tout ce qu’il y avait de personnes de considération dans la ville et aux environs.

 

          C’était vraiment la gloire! Et aussi le début d’une période de ‘dolce vita’. Son père l’envoya à Versailles pour un bref séjour ; plusieurs indices montrent que c’était pour faire connaissance d’une jeune demoiselle ‘bien en cour’ en vue d’un mariage le temps venu : Claude-François n’avait alors que 19 ans. Il n’y eut pas de suite à ce premier pas, sinon de pousser le jeune-homme, de retour à Rennes, à faire le point sur son désir profond:

 

Pour se remettre bien avec Dieu et recouvrir le repos de la conscience, une retraite est bien utile. Il était d’ailleurs temps de penser à choisir un état: on venait de lui proposer celui du mariage. Il n’y avait pas encore assez réfléchi, à son gré. Il entre donc en retraite. Dieu lui parla au coeur. Il répondit avec fidélité aux grâces que Dieu a coutume de donner alors abondamment. Il se trouva dégoûté du monde et plein d’envie de servir Dieu, en un mot converti.

 

          Cette conversion signifie que Claude-François renoue avec le désir d’être prêtre, ressenti dès son enfance. Mais en se réorientant vers le sacerdoce, c’est avec l’idée de s’y préparer à la Sorbonne[8] . Ses parents ne partagent pas sa résolution; parce qu’ils veulent s’assurer de la constance de son projet, et que leur idée à eux, c’est que leur fils devienne conseiller au Parlement de Bretagne. Finalement, il est décidé que Claude-François ira, pour le moment, faire son Droit à Nantes. Il y part donc, et en peu de temps, les belles résolutions s’estompent ;  l’étudiant, entouré de compagnons moins zèlés que lui, se laisse aller à quelque relâchement.

          Deux années se passent ainsi ; pourvu d’un diplôme en Droit, il retourne alors à Rennes pour prendre part à la gestion des affaires de son père. Apparemment, il a décidé de l’orientation de sa vie, à la joie de ses parents ; jusqu’au moment où sa mère lui offre une robe de conseiller au parlement ; c’était au début de l’été 1701 ; Claude-François, mis en demeure de se décider pour de bon, est tout désemparé : il n’est pas prêt à s’engager dans la magistrature, il désire toujours être prêtre.

          Le voici à un tournant de sa vie : il a 22 ans, parfaitement préparé à une carrière brillante dans la haute société rennaise. Et pourtant, il se remet radicalement  en cause, sous la direction d’un accompagnateur jésuite, pour sortir de sa longue indécision : une grande retraite, en même temps de conversion, puis d’élection, selon les Exercices de St Ignace.[9] Il en ressort complètement transformé : son choix est fait, il est parfaitement résolu à devenir prêtre pour un ministère où ni ambition, ni  vanité n’auront de part : le service de Jésus-Christ et de lui seul. Au grand regret de ses parents, il choisit de faire ses études de théologie à Paris, chez les Jésuites de Louis-le-Grand, auxquels la Sorbonne refuse la faculté de donner des grades universitaires.[10]

 

          Sa première année de théologie se passe dans l’obéissance aux résolutions de sa retraite ; sa réception à l’Assemblée des Amis (AA), une association de spiritualité pour les aspirants au sacerdoce, dirigée par les Jésuites, continue à le structurer dans le même sens ; il vit d’une rente modeste que lui sert son père. La lecture de la vie de Michel Le Nobletz, le grand apôtre de la Bretagne, lui fait retrouver l’inspiration spirituelle de l’abbé Bellier. Il mène une intense vie de prière, assaisonnée de pénitences, peut-être excessives. L’ AA l’aide aussi à retrouver le chemin du service des pauvres : il s’y adonne généreusement: visite des hôpitaux, catéchisme aux petits Savoyards, toujours sales et déguenillés avec leur métier de ramoneurs ambulants, aumônes, etc. Et puis, un beau jour de 1702, il rencontre un ‘pauvre écolier’[11], Jean-Baptiste Faulconnier, qui n’a rien pour vivre. C’est le premier maillon d’une chaîne qui va aller en s’allongeant. Poullart lui partage ses ressources; il prend sur sa bourse, sur ses repas, sur tout ce qu’il a ; le Collège accepte de l’aider en lui remettant les restes des repas des étudiants. Il loue une chambre dans les environs immédiats ; Jean-Baptiste est bientôt rejoint par un autre compagnon de misère, et puis par un autre ...  

 

Dès lors, il consacra ses épargnes[12] et une partie de son nécessaire à fournir à quelques pauvres écoliers le moyen de poursuivre leurs études, jusque-là qu'il donnait chaque jour la moitié de sa portion à l'un d'entre eux qui demeurait à la porte du collège. C'est ainsi qu'il préludait à ce qu'il devait faire en peu avec un zèle dont les fruits subsistent encore aujourd'hui.[13]

         

          Au mois d’août 1702, il demeure pourtant assez libre pour faire une retraite, conformément aux directives de l’AA ; il se prépare à la Tonsure qu’il reçoit le 15 de ce mois : le voici donc clerc du diocèse de Rennes, il porte désormais le costume ecclésiastique, non pas celui d’un ‘abbé de qualité’, mais d’un modeste clerc. La courte prière qui suit, composée pour se soutenir dans la présence à Dieu, date très probablement de cette période :

 

Très Ste Trinité, Père, Fils et St Esprit, que j’adore par votre Ste grâce

de tout mon coeur, de toute mon âme et de toutes mes forces,

je vous supplie de vouloir bien me donner la foi, l’humilité, la chasteté,

la grâce de ne faire, de ne dire, de ne penser, de ne voir, de n’entendre et de ne souhaiter que ce que vous voulez que je fasse, que je dise etc.

Accordez-moi ces grâces, mon Dieu, avec votre très sainte bénédiction,

et que, mon coeur et mon esprit n’étant remplis que de vous seul, je sois toujours dans votre présence et vous prie sans cesse comme je dois.   +++

Mon Jésus soyez-nous Jésus éternellement ; mon Jésus, soyez-moi Jésus éternellement ; soyez éternellement en moi, et moi en vous.

Je vous recommande mon esprit et mon coeur entre vos mains

par la très Sainte Vierge; au nom de mon Jésus et de Marie.

 

          L’année 1702-1703 est décisive ; il a de plus en plus de pauvres écoliers à sa charge, autant pour leur subsistance que pour leur formation; comment poursuivre en même temps sa théologie? Il reçoit la visite de son grand ami, son aîné de 6 ans, Louis-Marie Grignon de Montfort : ce dernier l’invite à le rejoindre dans le travail des missions dans l’ouest de la France. Cette invitation aura permis à Claude-François de percevoir plus clairement sa propre mission dans l’Eglise:

 

« Je ne me sens point d'attrait pour les missions[14] ; mais je connais trop le bien qu'on peut y faire pour ne pas y concourir de toutes mes forces et m'y attacher inviolablement avec vous. Vous savez que depuis quelque temps je distribue tout ce qui est en ma disposition pour aider de pauvres écoliers à poursuivre leurs études. J'en connais plusieurs qui auraient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne peuvent les faire valoir, et sont obligés d'enfouir des talents qui seraient très utiles à l'Eglise s'ils étaient cultivés. C'est à quoi je voudrais m'appliquer en les assemblant dans une même maison. Il me semble que c'est ce que Dieu demande de moi, et j'ai été confirmé dans cette pensée par des personnes éclairées dont quelqu'un m'a fait espérer de m'aider pour pourvoir à leur subsistance. Si Dieu me fait la grâce de réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires. Je vous les préparerai et vous les mettrez en exercice. Par ce moyen vous serez satisfait et moi aussi. »[15]

 

          Au début du carême de 1703, Claude-François quitte le Collège Louis-le-Grand d’où il devient de plus en plus difficile de prendre soin des pauvres écoliers ; il s’installe parmi eux, partageant en tout leur vie avec ses inconforts : disparités d’éducation et de culture, chambres sur-occupées, constante proximité... Et le nombre des jeunes augmentant sans cesse, il faut bien trouver d’autres logements et d’autres ressources, les quêter auprès des gens dont il était le pair, devenant ainsi leur obligé. Un vrai pèlerinage de pauvreté, plus coûteux que les privations qu’il s’imposait auparavant!

          Au mois de mai, le petit groupe compte déjà une douzaine de jeunes autour de Poullart ; ils prennent alors la décision de se consacrer ensemble au Saint-Esprit sous la protection de Marie Immaculée. Ils réalisent leur projet le 27 mai, devant Notre-Dame de Bonne Délivrance, en l’église St Etienne des Grès ; ils deviennent ainsi une communauté dotée d’une règle de vie[16].

 

"Messire Claude-François Poullart des Places, en mil sept cent trois, aux fêtes de la Pentecôte, n'étant alors qu'aspirant à l'état ecclésiastique, a commencé l'établissement de ladite communauté et Séminaire consacré au Saint- Esprit, sous l'invocation de la Sainte Vierge conçue sans péché."[17]

                                               

M. Desplaces commença par louer une chambre dans la rue des Cordiers, proche le collège, et y assembla les pauvres écoliers qu'il assistait déjà auparavant et dont les bonnes dispositions lui étaient connues. Les progrès en tout genre que faisaient ces premiers disciples étaient trop remarquables pour ne pas lui attirer d'autres excellents sujets. Il pensa donc à louer une maison pour qu'on fût plus au large. En peu de temps il s'y forma une communauté d'ecclésiastiques, à qui il donna des règles remplies de sagesse, qu'il fit examiner et approuver par des personnes d'une grande expérience. Lui-même pratiquait le premier ce qu'il recommandait aux autres. Il ne se contentait pas de leur faire souvent des instructions, il avait soin de leur faire donner des retraites par les plus habiles maîtres en ce genre. Il profitait même de toutes les occasions qui se présentaient pour leur procurer quelqu'entretien de piété. Il conduisait à sa communauté ceux de ses amis qui venaient le voir et en qui il reconnaissait le talent de la parole.[18]

 

          Si les premiers mois de vie communautaire sont vécus dans la joie, Poullart ne va pas tarder à éprouver la surcharge que lui imposent la sollicitude et les soucis de ses pauvres écoliers ; il reçoit de l’aide de la part de condisciples de Louis-le-Grand pour ce qui est de l’enseignement à donner à ces jeunes ; mais l’essentiel de la tâche lui revient, et dans des conditions de vie vraiment précaires. La communauté ne cesse de grandir : un an après la démarche fondatrice, les jeunes avoisinent la quarantaine ; et le père est de plus en plus bousculé par tout ce que peut comporter leur formation. A mesure que l’année 1704 va vers sa fin, Poullart se sent épuisé : il passe par un désert spirituel, et sans doute aussi par une grande lassitude physique. Un temps d’arrêt s’impose pour faire le point ; aux environs de Noël, il va chercher la vérité dans une retraite, où il bénéficie certainement de l’accompagnement d’un Jésuite sage. Depuis son enfance, rien d’important ne s’est décidé dans sa vie sans que les Jésuites ne l’aident dans son discernement.

 

          Les notes de retraite qu’il rédige ont pour titre: Réflexions  sur le passé. Il commence par se souvenir de ce temps béni d’enthousiasme spirituel qui a suivi sa conversion : le vocabulaire ignatien le désigne par le terme de ‘consolation’. Ce qui frappe en lisant ces lignes, c’est la générosité foncière de Poullart à répondre à la grâce de l’Esprit-Saint qui lui donnait de vivre en présence de Dieu : 

 

Mon plus grand chagrin était de n'y penser pas toujours. Je ne souhaitais que de l'aimer, et, pour mériter son amour, j'avais renoncé aux attachements même les plus permis de la vie. Je voulais me voir un jour dénué de tout, ne vivant que d'aumônes après avoir tout donné. Je ne prétendais me réserver de tous les biens temporels que la santé dont je souhaitais faire un sacrifice entier à Dieu dans le travail des missions, trop heureux si, après avoir embrasé tout le monde de l'amour de Dieu, j'avais pu donner jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour celui dont les bienfaits m'étaient presque toujours présents.[19]

 

          Dans une seconde partie, il constate le désarroi spirituel dans lequel il se trouve à présent: ce que le vocabulaire ignatien appelle ‘désolation’.

 

En un mot, il faut l'avouer devant Dieu, je ne suis plus qu'un homme qui a quelque réputation de vivre encore et qui est très certainement mort, au moins si l'on compare le présent avec le passé. Hélas! je ne suis plus qu'un masque quasi de dévotion et l'ombre de ce que j'ai été [...]  Ce n'est pas autrement que le pied a commencé à glisser à tant de gens d'une vertu éminente, et qui ont enfin péri funestement. Qui doit plus craindre que moi une pareille chute après avoir éprouvé toute ma vie de si fréquentes inconstances dans mes retours vers Dieu et de si longs désordres ensuite?

 

          La crise à travers laquelle il passe lui fait douter de la légitimité de sa fondation: est-ce que l’ambition n’était pas à la racine? N’était-ce pas présomption que de se lancer dans pareille aventure, alors qu’il n’était pas si solide pour la mener pas-à-pas avec le Seigneur?

          C’est en faisant mémoire de l’amour indéfectible de Dieu pour lui qu’il reprend  confiance : un amour qui l’a suivi depuis son enfance, et qu’il voit encore à l’oeuvre au sein de ses angoisses :

 

Je dois croire outre cela que le Bon Dieu aura encore pitié de moi, si je retourne à lui de tout mon coeur, car [...] la conduite qu'il a tenue jusqu'ici 1° de ne permettre point que j'aie été content de moi-même un seul moment, toujours inquiet et chagrin de mon dérangement; 2° de me faire la grâce de voir toujours intérieurement que je n'étais rien moins que ce qu'on me croyait et ce qu'on me disait que j'étais; 3° de ne souffrir point que je me sois pu mettre au-dessus de tous mes scrupules qui, quoiqu'ils aient un peu contribué à me déranger, m'ont fait plus souvent approcher du sacrement de la pénitence et avoir plus d'inquiétudes quand l'occasion était présentée d'offenser Dieu : toute cette conduite de Dieu, dis-je, me fait espérer que le ciel ne sera point toujours de fer pour moi si je songe, de bonne foi, à pleurer mes fautes et à rentrer en grâce avec le Seigneur.

          Rempli de cette sainte confiance par la grâce encore de mon Dieu, je vais donc examiner quel chemin est le plus court, sans considérer désormais le plus agréable à la nature, pour regagner celui sans lequel je ne puis, quoi que je fasse, vivre un moment en paix.[20]

 

          La retraite donne les bons fruits que Poullart en espérait ; aidé de son accom-pagnateur, il va aller de l’avant dans le service de sa communauté en croissance. Fondé uniquement sur l’amour fidèle de Dieu, et instruit par l’expérience de son épuisement, il va partager ses responsabilités avec des collaborateurs : ainsi naît une petite communauté de formateurs au service de la communauté des jeunes.[21]  En faisant un pas de plus sur le chemin de la pauvreté -le dépouillement de ses prérogatives exclusives-, Poullart assurait aux pauvres écoliers une meilleure formation grâce à la concertation d’une équipe d’animateurs à leur service.

 

          Claude-François a maintenant plus de temps et de liberté d’esprit pour terminer son cours de théologie; il est ordonné sous-diacre le 18 décembre 1706, diacre le 19 mars 1707 et prêtre quelques mois après, le 17 décembre. Selon son voeu à la fin de sa grande retraite de 1701, il accédait au sacerdoce libre de toute ambition et vanité personnelles.

 

          Il y a peu à dire sur les derniers mois de sa vie ; il est le serviteur qui se donne corps et âme aux pauvres, silencieusement, jusqu’à se priver héroïquement au cours de la famine de 1709, pour qu’ils aient un peu plus à manger :

Mais tandis que M. Desplaces se livrait tout entier aux soins qu'exigeait sa communauté naissante , et qu'il s'épuisait d'austérités, il fut attaqué d'une pleurésie jointe à une fièvre continue et à un ténesme violent qui lui causa pendant quatre jours des douleurs extrêmes. Elles ne purent arracher de sa bouche un mot de plainte, encore moins d'impatience. On n'apercevait le redoublement de ses souffrances que par les actes de résignation qu'elles lui faisaient produire. La défaillance même de la nature semblait lui prêter de nouvelles forces pour répéter souvent ces paroles du saint roi David : Que vos tabernacles sont aimables, ô Dieu des armées! mon âme ne saurait plus soutenir l'ardeur avec laquelle elle soupire après la demeure du Seigneur. (ps. 83, v 2-3)

Dès qu'on sut à Paris que sa maladie était sérieuse, un grand nombre de personnes distinguées par leur piété et par leurs places vinrent le voir [...] On lui administra de bonne heure les derniers sacrements, et après les avoir reçus avec  un plein jugement et une parfaite liberté d'esprit, il expira doucement sur les 5 heures du soir le 2 Octobre l'an 1709, âgé de 30 ans et 7 mois. Tel fut le saint et célèbre M. Desplaces, instituteur du séminaire du Saint-Esprit à Paris. L'amitié que la conformité de vues, de caractères, de sentiments avait formée entre M. de Montfort et lui, a toujours subsisté entre les successeurs de ces deux grands hommes et leurs élèves.[22]

 

          Claude-François Poullart des Places fut inhumé dans la fosse commune des clercs pauvres de Saint Etienne du Mont. Ainsi se conclut son pèlerinage qui l’amena, depuis une situation privilégiée, à vivre jusque dans la mort en pauvre parmi les pauvres pour le service des populations délaissées.

 

On sait à quoi sont destinés les jeunes ecclésiastiques qu'on rassemble au séminaire du Saint-Esprit. Formés à toutes les fonctions du sacré ministère et à toutes les vertus sacerdotales, et plus encore par les exemples de leurs sages directeurs, ils possèdent dans un souverain degré l'esprit de détachement, de zèle d'obéissance. Ils se dévouent au service et aux besoins de l'Eglise sans d'autres désirs que de la servir et de lui être utiles. On les voit entre les mains de leurs supérieurs immédiats et au premier signe de leur volonté (toujours sous le bon plaisir des évêques), faire comme un corps de troupes auxiliaires, prêts à se porter partout où il y a à travailler pour le salut des âmes, se dévouant par préférence à l'oeuvre des missions, soit étrangères, soit nationales, s'offrant pour aller résider dans les lieux les plus pauvres et les places les plus abandonnées, et pour lesquelles on trouve plus difficilement des sujets.[23]

  

 

Quel enseignement recevons-nous de Claude-François Poullart des Places

pour éclairer notre vie et notre mission aujourd’hui?

 

 

- C’est tout d’abord d’avoir entendu l’espérance silencieuse des pauvres. Pour se mettre à leur service, il a renoncé à une situation privilégiée, celle de son milieu familial, et celle d’une honorable fonction pour laquelle il était parfaitement préparé.

 

- Il s’est mis à l’école de l’Esprit de vérité, principalement au long de ses retraites, aidé par son accompagnateur spirituel, pour accueillir toute la volonté de Dieu sur sa personne et sur ce que le Seigneur attendait de lui ; son détachement de ce qui pouvait freiner sa totale obéissance, particulièrement sa vanité et son ambition, lui a permis de surmonter une fierté propre à son milieu et à son éducation.

 

- L’approfondissement de son union avec Dieu -véritable union mystique- lui a donné de communier intensément à son amour pour les pauvres et d’en témoigner auprès des « écoliers », membres de sa communauté:  

 

          Il a vécu au milieu d’eux comme celui qui sert (Lc 22:27) ; cent cinquante ans après sa mort, son 11° successeur, le Vénérable François Libermann, en témoignait comme de la caractéristique du fondateur.[24]

 

          Renonçant à la condition d’un étudiant ecclésiastique pourvu de ressources suffisantes au Collège s.j. Louis-le-Grand, il est venu partager la condition précaire des « écoliers » démunis, démunis au point-de-vue financier, conditions de logements, mais aussi culturellement ; avec leur nombre croissant, il a partagé avec eux l’insécurité du lendemain et la confiance en la Providence seule.

 

          Accueillant les incommodités de la vie commune qui ne cessait d’augmenter en nombre -jusqu’à atteindre la quarantaine et plus, il a accepté le message qu’elle lui donnait : il devenait impossible d’en être le seul responsable. Il a donc appelé des prêtres, lui qui ne l’était pas encore, pour collaborer avec lui dans le service de ces jeunes défavorisés. Il s’est dépossédé d’une part de la paternité qu’il exerçait en vertu de l’initiative de la fondation.

 

          Il a vraiment porté ces jeunes à la libération que donne l’évangile, grâce aux exigences de leur formation, libre du jansénisme et du gallicanisme, dans un climat d’humble charité : il les a préparés à être des serviteurs solides et qualifiés de pauvres des campagnes et des hôpitaux, et plus tard, des populations lointaines en attente de première évangélisation. Il a refusé toute tentation de donner à des pauvres une formation au rabais pour le service des leurs frères et soeurs démunis. 

 

           Il s’est sacrifié pour permettre à des jeunes, que la société repoussait sur ses marges, de devenir de bons prêtres pour quantité de gens qu’elle négligeait. 

 

Personne n’a plus d’amour que lorsqu’il donne sa vie pour ses amis (Jn 15:13)

         

                   

          

NOTICE BIOGRAPHIQUE

 

 

sur

 

 

CLAUDE-FRANÇOIS POULLART DES PLACES

 

 

1679 - 1709

 

 

FONDATEUR

 

 

DE LA CONGRÉGATION DU SAINT-ESPRIT

 

 

ET

 

 

DU SÉMINAIRE DU SAINT-ESPRIT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] A partir de la reconnaissance légale, en 1734, la communauté des ‘pauvres écoliers’ prit le nom de Séminaire du Saint-Esprit, et la petite communauté des formateurs, Société du Saint-Esprit.

[2] Claude-François est né le 26 février 1679; il a été baptisé le lendemain 27

[3] Charles Besnard, ancien élève de la communauté du Saint-Esprit, auteur de la première biographie de L.-M. Grignon de Montfort, écrit à ce propos: « Ce fut là qu'il forma une étroite liaison avec M. de Montfort. Ils concertèrent ensemble de faire avec quelques-uns de leurs condisciples une petite association pour honorer très spécialement la très sainte Vierge. Ils s'assemblaient à certains jours, dans une chambre qu'une personne de piété leur avait prêtée »

[4] Selon la coutume propre à son milieu social, Claude-François eut un précepteur jusqu’à l’âge de 11 ans; c’est alors qu’il entra au Collège Saint-Thomas.

[5] Il s’agit d’une association où se retrouvaient les élèves montrant plus de goût pour la vie chrétienne; ils y  approfondissaient leur foi et ses exigences, notamment envers les pauvres.

[6] Bon nombre de prêtres bretons étaient membres de cette fraternité qui soutenait leur vie spirituelle et pastorale par une accentuation de la dévotion au St Esprit.

[7] Les pauvres écoliers sont des séminaristes qui manquent de moyens financiers pour payer leur formation en vue du sacerdoce. Il y avait à Rennes un établissement pour les recevoir.

[8] Ce détail est important: la Sorbonne est le chemin naturel des ecclésiastiques qui pensent ‘faire carrière’. Le jeune Poullart a donc des projets d’où l’ambition n’est pas absente.

[9] voir ‘Réflexions sur les vérités de la religion’ et ‘Choix d’un état de vie’, in Claude-François Poullart des Places, Écrits et Études, Congrégation du Saint-Esprit, 1998

[10] en se référant à la note 8, on peut voir sur quel chemin d’humilité Claude-François était appelé : sans grade délivré par la Sorbonne, un eccléiastique ne peut pas faire carrière dans le Royaume. 

[11] c’est-à-dire un séminariste trop pauvre pour pourvoir à sa formation en vue du sacerdoce.

[12] Thomas écrit dans son Mémoire: « M. son père, qui allait à l’épargne, ne lui donnait qu’une pension de huit cents livres. C’était une pension assez modique pour un jeune homme de son âge. Cependant, il trouvait le moyen d’en donner une grande partie aux pauvres. Il assistait le plus libéralement les pauvres honteux, il avait aussi une adresse merveilleuse pour leur épargner la confusion... »

[13] Besnard Ch., Vie de M. Louis-Marie Grignon de Montfort ( 1770) p. 274-284, Centre International Montfortain, Rome, 1981.

[14] Il s’agit des missions intérieures, comme dit plus haut ; le jeune Poullart avait entendu souvent parler des missions lointaines par ses formateurs jésuites, et elles exerçaient un attrait sur lui.

[15] cité par Besnard, op.cit.

[16] Le titre de communauté n’apparaîtra pas officiellement, tant qu’elle ne sera pas reconnue légale-ment (1734), quant à la règle de vie, ce n’est que peu-à-peu qu’elle va se préciser.

[17] extrait d’un Registre c.s.sp. -aujourd’hui disparu-, mais copié in ‘Gallia Christiana’, 1744

[18] Besnard, op.cit.

[19] ‘Réflexions sur le passé’, in Claude-François Poullart des Places ... op.cit.

[20] Ce texte et le précédent sont tirés des mêmes ‘Réflexions...’

[21] Lors de la reconnaissance légale (1734), la communauté des formateurs s’appellera désormais Société du Saint-Esprit, et celle des pauvres écoliers, Séminaire du Saint-Esprit.

[22] Besnard, op.cit.

[23] idem

[24] voir le début de la ‘Notice’ de 1850 sur la Congrégation.

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