NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR CL.FR. POULLART DES PLACES
Quelques repères pour les années denfance et de jeunesse de Claude-François
NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR CL.FR. POULLART DES PLACES
Quelques repères chronologiques
1679: février, le 26: naissance de Cl.Fr. Poullart des Places à Rennes le 27- baptisé en léglise (St Pierre) de labbaye St Georges 1690: octobre- âgé de 11 ½, il entre au Collège s.j. St Thomas de Rennes 1691: avec L.M. Grignon de Montfort, il est formé au souci et au soin des pauvres par labbé Bellier, un prêtre du Saint-Esprit 1694: octobre - étudiant au collège s.j. de Caen 1695 - 1698: à nouveau au collège St Thomas de Rennes 1698: août, le 25 - 'Grand Acte' brillant devant la haute société rennaise retraite dorientation; désire être prêtre via Sorbonne; pas deffet durable 1698 - 1700: fait son Droit à Nantes - Un certain relâchement dans sa vie de foi retour à Rennes: aide son père dans la gestion de ses affaires 1701: été - il doit faire face à une décision pour son avenir immédiat : Conseiller au Parlement? Grande retraite de conversion et délection à Rennes 1701: octobre - entre en théologie au Collège s.j. Louis-le-Grand: affilié à lAssemblée des Amis (AA) ; tonsuré le 15 août suivant 1702: mai - rencontre Jean-Baptiste Faulconnier, pauvre aspirant au sacerdoce: il partage tout avec lui, lui fournit un logement et devient son formateur; dautres jeunes exclus du sacerdoce faute de moyens viennent se mettre sous son aide providentielle; de plus en plus engagé avec ses amis pauvres écoliers 1703: mars, début du carême - Il quitte Louis-le-Grand pour partager la vie de ses amis et les aider plus efficacement à leur avenir de prêtres pour les pauvres mai, le 27 - Fête de la Pentecôte : fondation de la communauté du Saint-Esprit, dans la chapelle de Notre-Dame de Bonne Délivrance, en léglise Saint-Etienne des Grès: pour des ministères humbles, laborieux, où lEglise na pas douvriers. La communauté croît rapidement (± 40 jeunes un an après). Débordé par la tâche, il passe par une dure épreuve physique et spirituelle. 1704: décembre: retraite de réorientation: renouvellant sa foi en lamour de Dieu, il est déterminé à poursuivre son oeuvre, mais va en partager la responsabilité. 1705: premier collaborateur: début de la communauté des formateurs (société du Saint-Esprit) au service des jeunes trop pauvres pour être prêtres (séminaire du Saint-Esprit); organisation exemplaire de la formation et des études. 1706, le 18 décembre: Poullart est ordonné sous-diacre 1707, ordination au diaconat le 19 mars, et au sacerdoce le 17 décembre, à Paris. 1709, le 2 octobre: Claude-François Poullart des Places meurt de maladie infectieuse en se sacrifiant pour ses étudiants pauvres: il est inhumé dans la fosse commune des clercs pauvres de St Etienne du Mont. |
Le récit de la vie de Claude-François Poullart des Places sappuie le plus possible, sur le témoignage de deux témoins qualifiés : Pierre Thomas et Charles Besnard.
Pierre Thomas est
un des premiers disciples de Cl.Fr.Poullart des Places; il est entré dans la communauté
du St Esprit le 27 mars 1704, il y a fait toute sa formation ; il est devenu membre de la
communauté des formateurs en 1712 [1] ; il est donc témoin
oculaire du fondateur pendant 5 ans 1/2. Son Mémoire -la première partie surtout- abonde
en notations sur la personnalité et les goûts du jeune Claude François. Il
montre le cheminement qui le conduit à la conversion, avec les étapes décisives de ses
grandes retraites de 1701 et 1704.
Charles Besnard est entré dans la communauté du Saint-Esprit peu de temps après la mort du fondateur ; il en a reçu une ample connaissance par le P. Louis Bouic, compagnon et collaborateur de Poullart pendant environ 5 années, puis son successeur ; devenu membre de la Compagnie de Marie, Besnard en fut le Supérieur Général et écrivit la première biographie de Grignon de Montfort ; il y rapporte des souvenirs précieux concernant Poullart.
Voici ce que rapporte le mémoire de Thomas sur lenfance de Poullart :
Messire Claude-François Poulart (sic) des Places, né
à Rennes, paroisse de Saint-Pierre attenant lAbbaye, y fut baptisé.[2]
Messire Claude de Marbeuf, président au Parlement de Bretagne, fut son parrain et
demoiselle Françoise Truillot, Dame de Ferret [ fut sa marraine]. On lui donna le nom de
Claude-François qui est aussi le nom de Messire son père. Ses parents, également sages
et pieux, sétaient adressés à Dieu pour quil bénit leur mariage en leur
accordant un garçon. Ils avaient été exaucés ; ils le vouèrent à celui qui le leur
avait donné, et lui firent porter lhabit blanc pendant sept ans [en lhonneur
de la Sainte Vierge].
Le récit montre quà la
profonde piété des parents répondit celle du jeune enfant:
Son grand plaisir était de représenter les
cérémonies quil avait vu pratiquer à lEglise. Ses parents sen
trouvaient quelquefois importunés, mais sil cessait pour leur obéir, il revenait
ensuite bientôt à ses amusements [...]
Les manifestations de ce goût pour
la piété perdurèrent en sadaptant à la croissance:
Il fit une pieuse association avec ses compagnons[3]
sans en rien communiquer à ses parents ni à son précepteur[4]
[...] Ils avaient leurs règles pour la prière, pour le silence et la mortification qui
allait quelquefois jusquà la discipline [...]
Ces dispositions du jeune des Places étaient
dautant plus admirables que son tempérament vif et remuant le portait à toute
autre chose [...] Un Père Jésuite qui dirigeait notre jeune écolier en eut
connaissance. Il leur ordonna de rompre ces
assemblées [...] Le directeur fut obéi, mais cette obéissance fut pour son petit
pénitent une mortification plus sensible que les autres.
Il lui fallut pourtant soutenir dans la suite de rudes
combats pour résister à la tentation du plaisir. Son tempérament ly portait; les
invitations et les exemples de ses camarades en augmentaient le penchant ; mais
lamour pour son devoir et la vigilance dun père et dune mère attentifs
à son éducation ne lui permettaient pas de sémanciper [...]
Après avoir fini ses basses classes et sa rhétorique
au Collège de Rennes, Monsieur son père, par le conseil de son Régent, voulut
quil sappliquerait une seconde année à léloquence dans le collège
des Jésuites de Caen où ce Régent, qui avait une attention particulière pour son
élève, allait enseigner [...] Il y acquit une grande facilité à sexpliquer et un
fond déloquence qui lui servit, dans la suite, pour faire valoir les motifs dont il
se servait pour persuader la vertu .
Au cours de ses jeunes années de collégien, à Rennes, Claude-François reçut une formation spirituelle particulièrement attentive de la part de ses maîtres jésuites, qui linvitèrent à faire partie de la Congrégation de Notre-Dame[5] ; il eut aussi la chance dêtre accompagné, avec Louis-Marie Grignon de Montfort, par labbé Bellier, un prêtre tout donné au service de lEvangile, surtout parmi les pauvres; il était aumônier de lhôpital St Yves qui leur était destiné, et aussi prêtre du Saint-Esprit[6] ; il sintéressait, de plus, à la formation des pauvres écoliers[7]. Après lintermède de lannée à Caen, le voici de retour à Rennes, où il retrouve son Collège pour 3 années de philosophie: le mémoire de Pierre Thomas en parle ainsi:
Cest dordinaire une temps bien critique
pour les jeunes gens. Ils sont alors beaucoup moins gênés que dans les classes
inférieures [...] Mais quoi quil en soit, il étudia et réussit si bien dans la
philosophie quà la fin de son cours, il se trouva en état de soutenir une thèse
dédiée à Mgr. le Comte de Toulouse. La défense fut extraordinaire. Les Présidents et
conseillers du Parlement y assistèrent en cérémonies, avec tout ce quil y avait
de personnes de considération dans la ville et aux environs.
Cétait vraiment la gloire! Et aussi le début dune période de dolce vita. Son père lenvoya à Versailles pour un bref séjour ; plusieurs indices montrent que cétait pour faire connaissance dune jeune demoiselle bien en cour en vue dun mariage le temps venu : Claude-François navait alors que 19 ans. Il ny eut pas de suite à ce premier pas, sinon de pousser le jeune-homme, de retour à Rennes, à faire le point sur son désir profond:
Pour se remettre bien avec Dieu et recouvrir le repos
de la conscience, une retraite est bien utile. Il était dailleurs temps de penser
à choisir un état: on venait de lui proposer celui du mariage. Il ny avait pas
encore assez réfléchi, à son gré. Il entre donc en retraite. Dieu lui parla au coeur.
Il répondit avec fidélité aux grâces que Dieu a coutume de donner alors abondamment.
Il se trouva dégoûté du monde et plein denvie de servir Dieu, en un mot converti.
Cette conversion signifie que Claude-François renoue avec le désir dêtre prêtre, ressenti dès son enfance. Mais en se réorientant vers le sacerdoce, cest avec lidée de sy préparer à la Sorbonne[8] . Ses parents ne partagent pas sa résolution; parce quils veulent sassurer de la constance de son projet, et que leur idée à eux, cest que leur fils devienne conseiller au Parlement de Bretagne. Finalement, il est décidé que Claude-François ira, pour le moment, faire son Droit à Nantes. Il y part donc, et en peu de temps, les belles résolutions sestompent ; létudiant, entouré de compagnons moins zèlés que lui, se laisse aller à quelque relâchement.
Deux années se passent ainsi ; pourvu dun diplôme en Droit, il retourne alors à Rennes pour prendre part à la gestion des affaires de son père. Apparemment, il a décidé de lorientation de sa vie, à la joie de ses parents ; jusquau moment où sa mère lui offre une robe de conseiller au parlement ; cétait au début de lété 1701 ; Claude-François, mis en demeure de se décider pour de bon, est tout désemparé : il nest pas prêt à sengager dans la magistrature, il désire toujours être prêtre.
Le voici à un tournant de sa vie : il a 22 ans, parfaitement préparé à une carrière brillante dans la haute société rennaise. Et pourtant, il se remet radicalement en cause, sous la direction dun accompagnateur jésuite, pour sortir de sa longue indécision : une grande retraite, en même temps de conversion, puis délection, selon les Exercices de St Ignace.[9] Il en ressort complètement transformé : son choix est fait, il est parfaitement résolu à devenir prêtre pour un ministère où ni ambition, ni vanité nauront de part : le service de Jésus-Christ et de lui seul. Au grand regret de ses parents, il choisit de faire ses études de théologie à Paris, chez les Jésuites de Louis-le-Grand, auxquels la Sorbonne refuse la faculté de donner des grades universitaires.[10]
Sa première année de théologie se passe dans lobéissance aux résolutions de sa retraite ; sa réception à lAssemblée des Amis (AA), une association de spiritualité pour les aspirants au sacerdoce, dirigée par les Jésuites, continue à le structurer dans le même sens ; il vit dune rente modeste que lui sert son père. La lecture de la vie de Michel Le Nobletz, le grand apôtre de la Bretagne, lui fait retrouver linspiration spirituelle de labbé Bellier. Il mène une intense vie de prière, assaisonnée de pénitences, peut-être excessives. L AA laide aussi à retrouver le chemin du service des pauvres : il sy adonne généreusement: visite des hôpitaux, catéchisme aux petits Savoyards, toujours sales et déguenillés avec leur métier de ramoneurs ambulants, aumônes, etc. Et puis, un beau jour de 1702, il rencontre un pauvre écolier[11], Jean-Baptiste Faulconnier, qui na rien pour vivre. Cest le premier maillon dune chaîne qui va aller en sallongeant. Poullart lui partage ses ressources; il prend sur sa bourse, sur ses repas, sur tout ce quil a ; le Collège accepte de laider en lui remettant les restes des repas des étudiants. Il loue une chambre dans les environs immédiats ; Jean-Baptiste est bientôt rejoint par un autre compagnon de misère, et puis par un autre ...
Dès lors, il consacra ses épargnes[12] et une partie de son nécessaire à fournir à quelques pauvres écoliers le moyen de poursuivre leurs études, jusque-là qu'il donnait chaque jour la moitié de sa portion à l'un d'entre eux qui demeurait à la porte du collège. C'est ainsi qu'il préludait à ce qu'il devait faire en peu avec un zèle dont les fruits subsistent encore aujourd'hui.[13]
Au mois daoût 1702, il demeure pourtant assez libre pour faire une retraite, conformément aux directives de lAA ; il se prépare à la Tonsure quil reçoit le 15 de ce mois : le voici donc clerc du diocèse de Rennes, il porte désormais le costume ecclésiastique, non pas celui dun abbé de qualité, mais dun modeste clerc. La courte prière qui suit, composée pour se soutenir dans la présence à Dieu, date très probablement de cette période :
Très Ste Trinité, Père, Fils et St Esprit, que
jadore par votre Ste grâce
de tout mon coeur, de toute mon âme et de toutes mes
forces,
je vous supplie de vouloir bien me donner la foi,
lhumilité, la chasteté,
la grâce de ne faire, de ne dire, de ne penser, de ne
voir, de nentendre et de ne souhaiter que ce que vous voulez que je fasse, que je
dise etc.
Accordez-moi ces grâces, mon Dieu, avec votre très
sainte bénédiction,
et que, mon coeur et mon esprit nétant remplis
que de vous seul, je sois toujours dans votre présence et vous prie sans cesse comme je
dois. +++
Mon Jésus soyez-nous Jésus éternellement ; mon
Jésus, soyez-moi Jésus éternellement ; soyez éternellement en moi, et moi en vous.
Je vous recommande mon esprit et mon coeur entre vos
mains
par la très Sainte Vierge; au nom de mon Jésus et de
Marie.
Lannée 1702-1703 est décisive ; il a de plus en plus de pauvres écoliers à sa charge, autant pour leur subsistance que pour leur formation; comment poursuivre en même temps sa théologie? Il reçoit la visite de son grand ami, son aîné de 6 ans, Louis-Marie Grignon de Montfort : ce dernier linvite à le rejoindre dans le travail des missions dans louest de la France. Cette invitation aura permis à Claude-François de percevoir plus clairement sa propre mission dans lEglise:
« Je ne me
sens point d'attrait pour les missions[14] ; mais je connais trop le
bien qu'on peut y faire pour ne pas y concourir de toutes mes forces et m'y attacher
inviolablement avec vous. Vous savez que depuis quelque temps je distribue tout ce qui est
en ma disposition pour aider de pauvres écoliers à poursuivre leurs études. J'en
connais plusieurs qui auraient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne
peuvent les faire valoir, et sont obligés d'enfouir des talents qui seraient très utiles
à l'Eglise s'ils étaient cultivés. C'est à quoi je voudrais m'appliquer en les
assemblant dans une même maison. Il me semble que c'est ce que Dieu demande de moi, et
j'ai été confirmé dans cette pensée par des personnes éclairées dont quelqu'un m'a
fait espérer de m'aider pour pourvoir à leur subsistance. Si Dieu me fait la grâce de
réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires. Je vous les préparerai et vous les
mettrez en exercice. Par ce moyen vous serez satisfait et moi aussi. »[15]
Au début du carême de 1703, Claude-François quitte le Collège Louis-le-Grand doù il devient de plus en plus difficile de prendre soin des pauvres écoliers ; il sinstalle parmi eux, partageant en tout leur vie avec ses inconforts : disparités déducation et de culture, chambres sur-occupées, constante proximité... Et le nombre des jeunes augmentant sans cesse, il faut bien trouver dautres logements et dautres ressources, les quêter auprès des gens dont il était le pair, devenant ainsi leur obligé. Un vrai pèlerinage de pauvreté, plus coûteux que les privations quil simposait auparavant!
Au mois de mai, le petit groupe compte déjà une douzaine de jeunes autour de Poullart ; ils prennent alors la décision de se consacrer ensemble au Saint-Esprit sous la protection de Marie Immaculée. Ils réalisent leur projet le 27 mai, devant Notre-Dame de Bonne Délivrance, en léglise St Etienne des Grès ; ils deviennent ainsi une communauté dotée dune règle de vie[16].
"Messire
Claude-François Poullart des Places, en mil sept cent trois, aux fêtes de la Pentecôte,
n'étant alors qu'aspirant à l'état ecclésiastique, a commencé l'établissement de
ladite communauté et Séminaire consacré au Saint- Esprit, sous l'invocation de la
Sainte Vierge conçue sans péché."[17]
M. Desplaces commença par louer une chambre dans la rue des Cordiers, proche le collège, et y assembla les pauvres écoliers qu'il assistait déjà auparavant et dont les bonnes dispositions lui étaient connues. Les progrès en tout genre que faisaient ces premiers disciples étaient trop remarquables pour ne pas lui attirer d'autres excellents sujets. Il pensa donc à louer une maison pour qu'on fût plus au large. En peu de temps il s'y forma une communauté d'ecclésiastiques, à qui il donna des règles remplies de sagesse, qu'il fit examiner et approuver par des personnes d'une grande expérience. Lui-même pratiquait le premier ce qu'il recommandait aux autres. Il ne se contentait pas de leur faire souvent des instructions, il avait soin de leur faire donner des retraites par les plus habiles maîtres en ce genre. Il profitait même de toutes les occasions qui se présentaient pour leur procurer quelqu'entretien de piété. Il conduisait à sa communauté ceux de ses amis qui venaient le voir et en qui il reconnaissait le talent de la parole.[18]
Si les premiers mois de vie communautaire sont vécus dans la joie, Poullart ne va pas tarder à éprouver la surcharge que lui imposent la sollicitude et les soucis de ses pauvres écoliers ; il reçoit de laide de la part de condisciples de Louis-le-Grand pour ce qui est de lenseignement à donner à ces jeunes ; mais lessentiel de la tâche lui revient, et dans des conditions de vie vraiment précaires. La communauté ne cesse de grandir : un an après la démarche fondatrice, les jeunes avoisinent la quarantaine ; et le père est de plus en plus bousculé par tout ce que peut comporter leur formation. A mesure que lannée 1704 va vers sa fin, Poullart se sent épuisé : il passe par un désert spirituel, et sans doute aussi par une grande lassitude physique. Un temps darrêt simpose pour faire le point ; aux environs de Noël, il va chercher la vérité dans une retraite, où il bénéficie certainement de laccompagnement dun Jésuite sage. Depuis son enfance, rien dimportant ne sest décidé dans sa vie sans que les Jésuites ne laident dans son discernement.
Les notes de retraite quil rédige ont pour titre: Réflexions sur le passé. Il commence par se souvenir de ce temps béni denthousiasme spirituel qui a suivi sa conversion : le vocabulaire ignatien le désigne par le terme de consolation. Ce qui frappe en lisant ces lignes, cest la générosité foncière de Poullart à répondre à la grâce de lEsprit-Saint qui lui donnait de vivre en présence de Dieu :
Mon plus grand chagrin était de n'y penser pas
toujours. Je ne souhaitais que de l'aimer, et, pour mériter son amour, j'avais renoncé
aux attachements même les plus permis de la vie. Je voulais me voir un jour dénué
de tout, ne vivant que d'aumônes après avoir tout donné. Je ne prétendais me réserver
de tous les biens temporels que la santé dont je souhaitais faire un sacrifice entier à
Dieu dans le travail des missions, trop heureux si, après avoir embrasé tout le monde de
l'amour de Dieu, j'avais pu donner jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour celui
dont les bienfaits m'étaient presque toujours présents.[19]
Dans une seconde partie, il constate le désarroi spirituel dans lequel il se trouve à présent: ce que le vocabulaire ignatien appelle désolation.
En un mot, il faut l'avouer devant
Dieu, je ne suis plus qu'un homme qui a quelque réputation de vivre encore et qui est
très certainement mort, au moins si l'on compare le présent avec le passé. Hélas! je
ne suis plus qu'un masque quasi de dévotion et l'ombre de ce que j'ai été
[...] Ce n'est pas autrement que le pied a commencé à
glisser à tant de gens d'une vertu éminente, et qui ont enfin péri funestement. Qui
doit plus craindre que moi une pareille chute après avoir éprouvé toute ma vie de si
fréquentes inconstances dans mes retours vers Dieu et de si longs désordres ensuite?
La crise à travers laquelle il passe lui fait douter de la légitimité de sa fondation: est-ce que lambition nétait pas à la racine? Nétait-ce pas présomption que de se lancer dans pareille aventure, alors quil nétait pas si solide pour la mener pas-à-pas avec le Seigneur?
Cest en faisant mémoire de lamour indéfectible de Dieu pour lui quil reprend confiance : un amour qui la suivi depuis son enfance, et quil voit encore à loeuvre au sein de ses angoisses :
Je dois croire outre cela que le
Bon Dieu aura encore pitié de moi, si je retourne à lui de tout mon coeur, car
[...]
la conduite qu'il a tenue jusqu'ici 1° de ne permettre point que j'aie été content de
moi-même un seul moment, toujours inquiet et chagrin de mon dérangement; 2° de me faire
la grâce de voir toujours intérieurement que je n'étais rien moins que ce qu'on me
croyait et ce qu'on me disait que j'étais; 3° de ne souffrir point que je me sois pu
mettre au-dessus de tous mes scrupules qui, quoiqu'ils aient un peu contribué à me
déranger, m'ont fait plus souvent approcher du sacrement de la pénitence et avoir plus
d'inquiétudes quand l'occasion était présentée d'offenser Dieu : toute cette conduite de Dieu,
dis-je, me fait espérer que le ciel ne sera point toujours de fer pour moi si je songe,
de bonne foi, à pleurer mes fautes et à rentrer en grâce avec le Seigneur.
Rempli de cette sainte confiance par la grâce encore de mon Dieu, je vais donc
examiner quel chemin est le plus court, sans considérer désormais le plus agréable à
la nature, pour regagner celui sans lequel je ne puis, quoi que je fasse, vivre un moment
en paix.[20]
La retraite donne les bons fruits que Poullart en espérait ; aidé de son accom-pagnateur, il va aller de lavant dans le service de sa communauté en croissance. Fondé uniquement sur lamour fidèle de Dieu, et instruit par lexpérience de son épuisement, il va partager ses responsabilités avec des collaborateurs : ainsi naît une petite communauté de formateurs au service de la communauté des jeunes.[21] En faisant un pas de plus sur le chemin de la pauvreté -le dépouillement de ses prérogatives exclusives-, Poullart assurait aux pauvres écoliers une meilleure formation grâce à la concertation dune équipe danimateurs à leur service.
Claude-François a maintenant plus de temps et de liberté desprit pour terminer son cours de théologie; il est ordonné sous-diacre le 18 décembre 1706, diacre le 19 mars 1707 et prêtre quelques mois après, le 17 décembre. Selon son voeu à la fin de sa grande retraite de 1701, il accédait au sacerdoce libre de toute ambition et vanité personnelles.
Il y a peu à dire sur les derniers mois de sa vie ; il est le serviteur qui se donne corps et âme aux pauvres, silencieusement, jusquà se priver héroïquement au cours de la famine de 1709, pour quils aient un peu plus à manger :
Mais tandis que M.
Desplaces se livrait tout entier aux soins qu'exigeait sa communauté naissante , et qu'il
s'épuisait d'austérités, il fut attaqué d'une pleurésie jointe à une fièvre
continue et à un ténesme violent qui lui causa pendant quatre jours des douleurs
extrêmes. Elles ne purent arracher de sa bouche un mot de plainte, encore moins
d'impatience. On n'apercevait le redoublement de ses souffrances que par les actes de
résignation qu'elles lui faisaient produire. La défaillance même de la nature semblait
lui prêter de nouvelles forces pour répéter souvent ces paroles du saint roi David :
Que vos tabernacles sont aimables, ô Dieu des armées! mon âme ne saurait plus soutenir
l'ardeur avec laquelle elle soupire après la demeure du Seigneur. (ps. 83, v 2-3)
Dès qu'on sut à
Paris que sa maladie était sérieuse, un grand nombre de personnes distinguées par leur
piété et par leurs places vinrent le voir [...] On lui administra de bonne heure les
derniers sacrements, et après les avoir reçus avec
un plein jugement et une parfaite liberté d'esprit, il expira doucement sur les 5
heures du soir le 2 Octobre l'an 1709, âgé de 30 ans et 7 mois. Tel fut le saint et
célèbre M. Desplaces, instituteur du séminaire du Saint-Esprit à Paris. L'amitié que
la conformité de vues, de caractères, de sentiments avait formée entre M. de Montfort
et lui, a toujours subsisté entre les successeurs de ces deux grands hommes et leurs
élèves.[22]
Claude-François Poullart des Places fut inhumé dans la fosse commune des clercs
pauvres de Saint Etienne du Mont. Ainsi se conclut son pèlerinage qui lamena,
depuis une situation privilégiée, à vivre jusque dans la mort en pauvre parmi les
pauvres pour le service des populations délaissées.
On sait à quoi sont
destinés les jeunes ecclésiastiques qu'on rassemble au séminaire du Saint-Esprit.
Formés à toutes les fonctions du sacré ministère et à toutes les vertus sacerdotales,
et plus encore par les exemples de leurs sages directeurs, ils possèdent dans un
souverain degré l'esprit de détachement, de zèle d'obéissance. Ils se dévouent au
service et aux besoins de l'Eglise sans d'autres désirs que de la servir et de lui être
utiles. On les voit entre les mains de leurs supérieurs immédiats et au premier signe de
leur volonté (toujours sous le bon plaisir des évêques), faire comme un corps de
troupes auxiliaires, prêts à se porter partout où il y a à travailler pour le salut
des âmes, se dévouant par préférence à l'oeuvre des missions, soit étrangères, soit
nationales, s'offrant pour aller résider dans les lieux les plus pauvres et les places
les plus abandonnées, et pour lesquelles on trouve plus difficilement des sujets.[23]
Quel enseignement recevons-nous de Claude-François Poullart des Places
pour éclairer notre vie et notre mission aujourdhui?
- Cest tout dabord davoir entendu lespérance silencieuse des pauvres. Pour se mettre à leur service, il a renoncé à une situation privilégiée, celle de son milieu familial, et celle dune honorable fonction pour laquelle il était parfaitement préparé.
- Il sest mis à lécole de lEsprit de vérité, principalement au long de ses retraites, aidé par son accompagnateur spirituel, pour accueillir toute la volonté de Dieu sur sa personne et sur ce que le Seigneur attendait de lui ; son détachement de ce qui pouvait freiner sa totale obéissance, particulièrement sa vanité et son ambition, lui a permis de surmonter une fierté propre à son milieu et à son éducation.
- Lapprofondissement de son union avec Dieu -véritable union mystique- lui a donné de communier intensément à son amour pour les pauvres et den témoigner auprès des « écoliers », membres de sa communauté:
Il a vécu au milieu deux comme celui qui sert (Lc 22:27) ; cent cinquante ans après sa mort, son 11° successeur, le Vénérable François Libermann, en témoignait comme de la caractéristique du fondateur.[24]
Renonçant à la condition dun étudiant ecclésiastique pourvu de ressources suffisantes au Collège s.j. Louis-le-Grand, il est venu partager la condition précaire des « écoliers » démunis, démunis au point-de-vue financier, conditions de logements, mais aussi culturellement ; avec leur nombre croissant, il a partagé avec eux linsécurité du lendemain et la confiance en la Providence seule.
Accueillant les incommodités de la vie commune qui ne cessait daugmenter en nombre -jusquà atteindre la quarantaine et plus, il a accepté le message quelle lui donnait : il devenait impossible den être le seul responsable. Il a donc appelé des prêtres, lui qui ne létait pas encore, pour collaborer avec lui dans le service de ces jeunes défavorisés. Il sest dépossédé dune part de la paternité quil exerçait en vertu de linitiative de la fondation.
Il a vraiment porté ces jeunes à la libération que donne lévangile, grâce aux exigences de leur formation, libre du jansénisme et du gallicanisme, dans un climat dhumble charité : il les a préparés à être des serviteurs solides et qualifiés de pauvres des campagnes et des hôpitaux, et plus tard, des populations lointaines en attente de première évangélisation. Il a refusé toute tentation de donner à des pauvres une formation au rabais pour le service des leurs frères et soeurs démunis.
Il sest sacrifié pour permettre à des jeunes, que la société repoussait sur ses marges, de devenir de bons prêtres pour quantité de gens quelle négligeait.
Personne na plus damour que lorsquil donne sa vie pour ses amis (Jn 15:13)
NOTICE BIOGRAPHIQUE
sur
CLAUDE-FRANÇOIS POULLART DES PLACES
1679 - 1709
FONDATEUR
DE LA CONGRÉGATION DU SAINT-ESPRIT
ET
DU SÉMINAIRE DU SAINT-ESPRIT
[1] A partir de la reconnaissance légale, en 1734, la communauté des pauvres écoliers prit le nom de Séminaire du Saint-Esprit, et la petite communauté des formateurs, Société du Saint-Esprit.
[2] Claude-François est né le 26 février 1679; il a été baptisé le lendemain 27
[3] Charles Besnard, ancien élève de la communauté du Saint-Esprit, auteur de la première biographie de L.-M. Grignon de Montfort, écrit à ce propos: « Ce fut là qu'il forma une étroite liaison avec M. de Montfort. Ils concertèrent ensemble de faire avec quelques-uns de leurs condisciples une petite association pour honorer très spécialement la très sainte Vierge. Ils s'assemblaient à certains jours, dans une chambre qu'une personne de piété leur avait prêtée »
[4] Selon la coutume propre à son milieu social, Claude-François eut un précepteur jusquà lâge de 11 ans; cest alors quil entra au Collège Saint-Thomas.
[5] Il sagit dune association où se retrouvaient les élèves montrant plus de goût pour la vie chrétienne; ils y approfondissaient leur foi et ses exigences, notamment envers les pauvres.
[6] Bon nombre de prêtres bretons étaient membres de cette fraternité qui soutenait leur vie spirituelle et pastorale par une accentuation de la dévotion au St Esprit.
[7] Les pauvres écoliers sont des séminaristes qui manquent de moyens financiers pour payer leur formation en vue du sacerdoce. Il y avait à Rennes un établissement pour les recevoir.
[8] Ce détail est important: la Sorbonne est le chemin naturel des ecclésiastiques qui pensent faire carrière. Le jeune Poullart a donc des projets doù lambition nest pas absente.
[9] voir Réflexions sur les vérités de la religion et Choix dun état de vie, in Claude-François Poullart des Places, Écrits et Études, Congrégation du Saint-Esprit, 1998
[10] en se référant à la note 8, on peut voir sur quel chemin dhumilité Claude-François était appelé : sans grade délivré par la Sorbonne, un eccléiastique ne peut pas faire carrière dans le Royaume.
[11] cest-à-dire un séminariste trop pauvre pour pourvoir à sa formation en vue du sacerdoce.
[12] Thomas écrit dans son Mémoire: « M. son père, qui allait à lépargne, ne lui donnait quune pension de huit cents livres. Cétait une pension assez modique pour un jeune homme de son âge. Cependant, il trouvait le moyen den donner une grande partie aux pauvres. Il assistait le plus libéralement les pauvres honteux, il avait aussi une adresse merveilleuse pour leur épargner la confusion... »
[13] Besnard Ch., Vie de M. Louis-Marie Grignon de Montfort ( 1770) p. 274-284, Centre International Montfortain, Rome, 1981.
[14] Il sagit des missions intérieures, comme dit plus haut ; le jeune Poullart avait entendu souvent parler des missions lointaines par ses formateurs jésuites, et elles exerçaient un attrait sur lui.
[15] cité par Besnard, op.cit.
[16] Le titre de communauté napparaîtra pas officiellement, tant quelle ne sera pas reconnue légale-ment (1734), quant à la règle de vie, ce nest que peu-à-peu quelle va se préciser.
[17] extrait dun Registre c.s.sp. -aujourdhui disparu-, mais copié in Gallia Christiana, 1744
[18] Besnard, op.cit.
[19] Réflexions sur le passé, in Claude-François Poullart des Places ... op.cit.
[20] Ce texte et le précédent sont tirés des mêmes Réflexions...
[21] Lors de la reconnaissance légale (1734), la communauté des formateurs sappellera désormais Société du Saint-Esprit, et celle des pauvres écoliers, Séminaire du Saint-Esprit.
[22] Besnard, op.cit.
[23] idem
[24] voir le début de la Notice de 1850 sur la Congrégation.