16 DECEMBRE 1706 - 17 DECEMBRE 1707,
une année rythmée par les
ordinations
Seán Farragher
En quelques pages, le P. Farragher,
synthétisant des éléments dinformation, glanés notamment dans les ouvrages du P.
Le Floch et du P. Michel, présente une tranche de vie de Claude-François Poullart
des Places : cette année qui va de la mi-décembre 1706 à la mi-décembre de
lannée suivante a, bien sûr, été
dominée par les étapes progressives de ses ordinations, mais elle comporte aussi le lot
des soucis quotidiens dans la marche de la communauté du Saint-Esprit ; dautres
soucis - plutôt des épreuves - font de son cheminement
un tissu de joies et de peines.
On voit se tisser autour de lui un
réseau de collaborateurs, que lon appellera bientôt
Messieurs du Saint-Esprit et que nous avons
traduit directeurs associés ; ce sont les
premiers membres de la Société (Congrégation) du Saint-Esprit : une communauté de
prêtres, vivant pauvrement, et entièrement donnés à la formation des séminaristes
pauvres quils admettaient dans le séminaire pour leur donner une formation aussi
exigeante que solide. Entre ces formateurs et les étudiants régnait une grande
simplicité et beaucoup de confiance ce qui découlait surtout dune mystique de
pauvreté qui animait les uns et les autres.
Cest le mérite du P. Farragher de nous introduire dans le quotidien de
Claude alors que son rêve denfance - être prêtre - se trouve accompli plus
aisément quil navait pu le penser deux ans plus tôt , au moment où il
entreprenait une retraite pour se ressaisir, se sentant partir à la dérive, comme
entraîné par le poids de ses responsabilités, à travers un désert spirituel. A
lissue de ce temps fort, dont le P. Lécuyer a bien su présenter les Ecrits de
réflexion, Poullart avait retrouvé une assise solide sur laquelle il pouvait continuer
de construire son chemin personnel dans la conduite de son uvre.
16 décembre 1706 : le sous-diaconat
Claude-François, de retour rue Rollin[1] en fin juillet 1706, après quelques
jours passés dans sa famille à Rennes, eut beaucoup à faire pendant le temps de répit
que lui accordait cet été. On peut penser que, soit Jean Le Roy, soit Michel Le Barbier[2], avaient gardé la place pendant son
absence. Les vacances étaient toujours le moment des réparations et des aménagements.
Il fallait aussi donner suite aux candidatures de nouveaux étudiants. Surtout il fallait
prévoir le budget de l'année à venir, et en l'absence de ressources fixes, il devait
sûrement y avoir pas mal de problèmes pour parer aux besoins de soixante-dix
jeunes-gens. Claude était au moins déchargé d'un souci : il avait résolu la question
de son titre clérical[3] ; il pouvait donc s'attendre à
recevoir les ordres majeurs aux prochaines ordinations, prévues pour les quatre-temps de
l'Avent[4]. C'est ainsi que le 16 décembre,
Claude fit son premier engagement sur le chemin de la prêtrise ; l'ordre majeur qu'il
reçut (le sous-diaconat) le liait plus étroitement à la célébration de la liturgie,
particulièrement dans la célébration des messes solennelles ; et qui plus est, il
prenait implicitement un engagement public de célibat pour la vie[5].
19 mars 1707 : le diaconat
Normalement il y avait un intervalle d'une année avant la réception du second
ordre majeur, le diaconat ; mais comme la situation de Claude était spéciale, puisqu'il
avait dû retarder son accès aux ordres en raison de ses engagements astreignants dans
les tâches du séminaire, il fut facilement dispensé des délais normaux. Les lettres
dimissoriales[6] délivrées à Rennes le 2 février
1707, autorisaient à n'en pas tenir compte si l'ordinand le demandait. Claude était donc
libre d'avancer au diaconat aux quatre-temps de Carême, qui tombaient cette année le 19
mars, fête de saint Joseph[7].
Un diacre peut accomplir certains actes liturgiques, soit de droit, soit par
délégation, comme par exemple de prêcher en public, de distribuer la communion et
d'administrer le baptême dans sa forme rituelle. On peut bien imaginer que Claude fut
appelé à officier comme diacre à des messes solennelles, et pas seulement au
séminaire, mais aussi, à l'occasion, au collège Louis-le-Grand et à l'église
Saint-Etienne-des-Grès. Il y avait parfois des clercs qui restaient diacres pendant un
temps assez long, et même pendant tout le reste de leur vie, par modestie et par respect
pour le sacerdoce. Michel Le Nobletz, ainsi que François Chanciergues, fondateur notoire
de séminaires pour des pauvres écoliers, retardèrent leur accès à la prêtrise pour
ces motifs.
Bien que profondément accaparé par les nécessités matérielles et spirituelles
du séminaire, Claude jugea possible d'accorder l'attention requise à ses études et de
se préparer aux ordinations de décembre de cette même année. Il pouvait compter sur
l'aide de deux confrères prêtres, MM. Le Roy et Le Barbier[8]; et bien qu'il fut normalement requis,
dans le diocèse de Paris, que les candidats aux ordinations suivent des cours spéciaux
sur la pastorale dans un séminaire approuvé (Saint-Sulpice, Saint-Nicolas du Chardonnet,
etc.), cette obligation ne fut pas urgée pour son cas ; ce qui était hautement
significatif : la dispense équivalait à une reconnaissance tacite du statut de son
séminaire de la part du cardinal archevêque. Les prêtres ordonnés comme membres
d'ordres religieux n'avaient pas à se plier à cette obligation, parce qu'ils avaient
leur propre cursus de formation et de préparation. Claude a dû profiter de ses liens
étroits avec les étudiants jésuites en théologie, qui se préparaient à être
prêtres au collège, bien que ceux-ci aient un temps supplémentaire de formation, à
savoir leur seconde année de noviciat à Rouen. Il est possible que Claude ait été en
contact avec cette dernière étape d'approfondissement spirituel, où la mémoire du
P.Lallemant était vénérée.
A la lumière des événements à venir dans l'histoire du séminaire, cette
dispense que le cardinal archevêque accorda
à Claude (ne pas avoir à se soumettre à une session préparatoire à l'ordination
presbytérale), équivalait en fait à une reconnaissance implicite de la pédagogie
pratiquée dans son établissement, et donc à une approbation tacite de son uvre en
tant que séminaire. Le fait que cette reconnaissance tacite n'ait été consignée dans
aucun document officiel allait causer de sérieux problèmes plus tard, lorsque les
directeurs du séminaire furent amenés à demander qu'il soit légalement reconnu.
Toutefois, en attendant, cela préservait la maison de toute intervention fâcheuse, même
bien intentionnée, de l'archevêque dans les affaires intérieures de ce séminaire
vraiment original[9].
Il y a quelques hésitations à propos des déplacements de Claude au début de
l'été 1707. Bien qu'il ait été décidé que son ordination à la prêtrise aurait lieu
en décembre, les lettres dimissoriales requises furent déjà signées le 15 juillet
par le vicaire général, l'abbé Perrin, agissant au nom de l'évêque, Mgr de Lavardin.
Celui-ci était peut-être absent de la ville et on n'aurait pas pu attendre son retour
pour expédier ces lettres. L'explication naturelle de cette hâte pourrait résider dans
une démarche faite pour les obtenir, par quelqu'un qui ne pouvait pas les attendre
longtemps. Ce quelqu'un aurait bien pu être Claude lui-même, qui se serait absenté de
Paris pour permettre à Le Barbier et à Le Roy de pouvoir se libérer à leur tour.
C'aurait pu être aussi Le Barbier lui-même, bien connu des autorités diocésaines :
celles-ci lui avaient accordé leur soutien lorsqu'il avait quitté le diocèse et
suivaient depuis lors l'évolution de ce qui se passait à Paris. Et il allait bientôt
s'y passer des événements qui furent de bien mauvaises nouvelles pour Claude et pour Le
Barbier.
L'été 1707 : un temps d'épreuves
Jean Le Roy était venu au séminaire depuis son diocèse de Quimper où on y avait
acquis une haute estime de lui, alors qu'il était étudiant[10]; une note rédigée à son propos le
décrit comme un homme sur lequel on pouvait fonder de solides espérance pour le futur.
Le futur était maintenant là. Le diocèse accueillit son nouvel évêque en juillet
1707, en la personne de Mgr Ploeuc de Timeur, tout récemment ordonné. Un de ses premiers
actes fut de rappeler Jean Le Roy au service du diocèse[11]. Dans les circonstances du moment, cet
événement, a dû être péniblement ressenti. Il devait être suivi par un autre choc
douloureux : Claude savait bien que sa sur, Jeanne-Françoise, attendait son second
enfant ; elle mit au monde un petit garçon, le 7 août. Il semble qu'on ait demandé à
Claude de venir pour le baptême. Mais il fallait du temps pour que le courrier parvienne
à destination. Jean Le Roy venait tout juste d'être rappelé dans son diocèse, et
peut-être Le Barbier était-il à Rennes. Il était aussi
temps de préparer la prochaine année scolaire, ce qui comportait des entretiens
personnels et des tests écrits. Tout cela explique pourquoi Claude ne fut pas à même
d'aller au Château de Vernée (Angers), où résidait sa sur, avant un bon mois.
Comme on avait l'habitude de baptiser les enfants au plus tôt après leur naissance,
voire le jour même, on devait attendre la venue de Claude avec une certaine impatience !
Et puis survînt la tragique nouvelle : la mort de Louise-Françoise, premier enfant de sa
sur, le 23 août. L'inhumation eut lieu le lendemain, dans le chur de
l'église de Chanteussé [12].
Finalement Claude arriva pour le baptême qui eut lieu le 8 septembre, fête de la
Nativité de Notre-Dame. Ce devait être une fête où se mêlaient joie et tristesse,
mais ce fut aussi une grande consolation pour Françoise et pour leur mère que Claude ait
pu rejoindre sa famille à cette occasion, alors qu'il n'avait pas pu venir pour le
mariage. On aurait pu s'attendre à ce que l'enfant reçoive le nom de Claude, mais ce fut
seulement son troisième nom, le premier étant Henri comme son père, et le second Louis,
certainement en souvenir de sa soeur récemment décédée. La mère de Claude devait tout
naturellement être présente au baptême. On ne sait pas si son père fut présent lui
aussi : il ne devait pas supporter les longs voyages en voiture.
Il est assez surprenant qu'en dépit du fait que Claude était diacre, ce n'est pas
lui qui ait célébré le baptême (il aurait pu le faire, avec les permissions requises)
: il a tenu le rôle de parrain. Sur le registre des baptêmes qui nous est parvenu, il
est présenté comme noble et discret Claude
Poullart, diacre, Supérieur du Séminaire du Saint-Esprit à Paris [13]. Ce n'est certainement pas de cette
manière que Claude aurait accepté d'être identifié sur un document officiel, mais
peut-être dans cette circonstance, il aura préféré taire ses objections par égard
pour sa soeur ; peut-être aussi a-t-il pensé à la sensibilité de son père pour qui un
titre honorable pesait de l'or.
Quand, par la suite, M. des Places père prit l'enfant entre ses bras et le bénit,
ainsi que le vénérable Siméon, il pouvait chanter son Nunc Dimittis : cet enfant était
destiné à maintenir le rang de noblesse de son clan familial en siégeant au Parlement de Rennes en qualité de
Conseiller et de Seigneur de Vernée et de la Marmitière[14]. Fort heureusement, M. des Places n'a
pas pu deviner le futur plus lointain ; il aurait pu voir quel triste destin la noblesse
allait connaître au cours de la Révolution. Il lui fut épargné aussi de savoir que
c'était la dernière fois que la famille des Places se trouvait réunie de ce côté de
l'éternité.
Cet automne 1707 avait du apporter son lot de problèmes à Claude. L'absence de
Jean Le Roy et sa propre absence à Vernée à un moment délicat signifiaient que tout
n'avait pas pu être préparé comme il fallait pour l'ouverture de l'année scolaire ;
son ordination presbytérale approchait également. Heureusement, il avait à ses côtés
Vincent Le Barbier ainsi que son ami de confiance, Jacques Garnier. Celui-ci venait
d'être coopté comme directeur associé alors qu'il était encore sous-diacre. Comme
Garnier avait reçu ses lettres dimissoriales pour le diaconat le 7 novembre 1706, il est
possible qu'il ait été ordonné prêtre avec Claude en décembre 1707, mais peut-être
l'avait-il été plus tôt cette même année. Claude pouvait compter aussi sur les
aînés des étudiants ; ils étaient ses compagnons depuis la fondation et se trouvaient
à présent entièrement familiarisés avec les règles et traditions qu'ils voyaient se
préciser peu à peu et qu'ils avaient pleinement acceptées. Comme ils avaient partie
liée avec les fondateurs, on pouvait leur faire confiance pour donner à Claude un
soutien sans faille et aider les nouveaux arrivés à prendre un bon départ pour leur
formation.
17 décembre 1707 : l'ordination
sacerdotale
Ils avaient tous attendu le grand jour du 17 décembre, où leur père, qui avait toute leur confiance, serait enfin
élevé au sacerdoce. Le séminaire recevrait de ce fait comme un sceau définitif d'approbation. La cérémonie
eut probablement lieu au collège Louis-le-Grand ; les jésuites avaient invité
l'évêque auquel ils recourraient d'habitude pour les ordinations, Mgr Thiard de Bissy,
évêque de Meaux, le successeur de Bossuet. Autrefois abbé de Saint Germain ; il devait
devenir cardinal, bien connu sous le nom de cardinal de Bissy[15] . Son intérêt pour la fondation de
Claude devait durer toute sa vie. Nous
n'avons pas de détails sur l'ordination de Claude. Nous pourrions gager à coup sûr,
aujourd'hui, que la famille de l'ordinand devait être présente à la célébration. Mais
à l'époque, les conditions de voyage étaient difficiles, particulièrement au milieu de
l'hiver. Il est peu probable que ses parents aient entrepris le voyage de Rennes à Paris,
et il n'est pas probable non plus que sa sur ait délaissé le soin de son bébé
après les douloureux événements de la mort de son premier.
Mais pour les étudiants du séminaire, ce fut une journée toute particulière,
cela va sans dire. Ils auront été probablement les premiers à s'agenouiller devant leur
père pour recevoir sa bénédiction. Ce fut aussi une journée marquante pour les
jésuites de Louis-le-Grand : plus que personne, ils avaient appris à apprécier les
remarquables qualités de Claude. De plus, ils savaient combien le séminaire contribuait
au prestige et au succès de leur grand collège, qui comptait tant d'ennemis prêts à
relever les échecs et les erreurs. Tout le monde savait clairement que le séminaire de
Claude devait sa fondation et son expansion constante au soutien qu'il avait reçu des
jésuites à tous les niveaux, et il n'y avait pas grand monde pour attaquer ouvertement
cet enfant de leur grand collège (ce qui se produira plus tard).
La première messe de Claude a du être un grand événement, trop important pour
les locaux de la rue Rollin. Pour tenir compte de tous ceux qui voulaient être là et
leur offrir quelque réconfort à la fin de la célébration, on peut être sûr que
celle-ci eut lieu à Louis-le-Grand. La première messe offerte par Claude au séminaire
qu'il avait fondé dut être aussi un événement mémorable pour sa grande famille. Il
était à présent leur père pour de bon. Ce fut un événement qui, aujourd'hui, aurait
été immortalisé par tous les photographes amateurs de la communauté. Un artiste un peu
plus tard s'efforça de le faire revivre en peignant Claude vêtu des habits liturgiques,
tenant le calice et l'hostie, pendant qu'au-dessus de sa tête volait le Saint Esprit tel
une colombe. Comme le tableau porte l'inscription : Mr Poullart
des Places, instituteur de la communauté et séminaire du st esprit en
1703, on peut être
certain qu'il a été peint après son approbation officielle par les Lettres Patentes
royales de 1734.
Finalement on peut bien imaginer que Claude, à la première occasion, aura
célébré la messe au sanctuaire de Notre-Dame de Bonne-Délivrance, où il avait
consacré sa communauté naissante le jour de Pentecôte 1703.
[1]. La communauté du Saint Esprit avait déménagé de la rue des Cordiers au 8 rue Rollin (rue Neuve-Saint-Etienne à cette époque) à la fin de 1705 (ndt).
[2]. Proches collaborateurs de Poullart pour la conduite de la communauté (ndt)
[3]. Il sagit dun minimum de revenus fixes permettant au prêtre déchapper à la misère (ndt).
[4]. A la fin de la 3e semaine de l'Avent (ndt).
[5]. Lorsque le sous-diaconat a été supprimé par la réforme liturgique issue de Vatican II, les engagements que lon y prenait ont été reportés au diaconat en vue de la prêtrise (ndt).
[6]. On appelle ainsi lautorisation que donne lévêque, de qui ressort lordinand, à un autre évêque de procédera lordination en son nom (ndt).
[7]. Michel, Poullart des Places , p. 183 ss.
[8]. Ils étaient tous deux directeurs associés, cest-à-dire corresponsables de la communauté avec Claude (ndt).
[9].BG, t. 36, Bulletin n° 520, décembre 1933, La Règle de 1734 (p. 468-497), p. 471 ss.
[10]. Nous dirions séminariste aujourdhui (ndt).
[11]. Michel, Poullart des Places, p. 183 ss.
[12]. Le Floc'h, Poullart des Places, 2° édition 1915, p. 547.
[13]. Le Floc'h, Poullart des Places, 2° édition 1915, p. 307, 547.
[14]. Le Floc'h, Poullart des Places, 2° édition 1915, p. 547.
[15]. Le Floc'h, Poullart des Places, Nouvelle édition 1915, p. 308 ss.