Notice sur la congrégation du saint-esprit

 

et de l’ ImmaculÉ cœur de Marie,

 

et sur ses œuvres

 

(1850)

 

François Libermann

 

 

Pas de meilleure conclusion pour ce volume sur Poullart des Places qu’un texte peu connu de Libermann, qui constitue une véritable relecture de toute l’histoire spiritaine dans ses deux sources… Il s’agit de la Notice sur la Congrégation du Saint-Esprit et de l’Immaculé Cœur de Marie et sur ses œuvres. Ce texte, pourtant reconnu de Libermann par le P. Adolphe Cabon, n’a été publié par ce dernier que tardivement, et par un court extrait, dans le volume Compléments (1956) de la série des Notes et Documents, à la page 142. On peut en être légitimement étonné.

 

C’est à Paul Coulon qu’il est revenu de publier cette Notice pour la première fois dans son intégralité, accompagnée d’une introduction qui en explique avec précision la genèse historique et qui en montre l’importance théologique et spirituelle [1]. Voici donc repris les principaux éléments de cette introduction.




Présentation par Paul Coulon

 

En 1850, Libermann passe beaucoup de temps à réformer la marche du séminaire de la rue des Postes et à faire avancer le dossier des évêchés coloniaux (Guadeloupe, Martinique, Réunion). Il envoie Frédéric Le Vavasseur faire une tournée des grands séminaires de France, en particulier de ceux qui sont tenus par les sulpiciens, où il a beaucoup de relations. Il s’agit de trouver des volontaires aussi bien pour renforcer le clergé colonial que pour les autres missions de la congrégation en Afrique.

Le Vavasseur quitte Paris le 7 mai [2] et commence sa tournée par les séminaires de l’Est : Metz, Nancy, Saint-Dié, Strasbourg. A peine arrivé à Metz, il écrit à Libermann de lui préparer sur-le-champ une notice imprimée présentant la congrégation, sans quoi ses visites ne laisseront pas de traces [3]. Libermann s’exécute en deux jours. Ecrite le dimanche 12 mai, imprimée le lundi, la notice rejoint Le Vavasseur avant le 16 mai, date à laquelle il écrit, depuis Saint-Dié, une lettre terrible où il propose à Libermann d’abandonner le séminaire du Saint-Esprit et les colonies, tellement la réputation de l’ancien Saint-Esprit est mauvaise dans les diocèses de France. Il fait, en passant, quelques remarques sur la notice reçue [4]. Libermann lui répond avec force, le jour de la Pentecôte, 19 mai : “ Ce serait une des fautes les plus graves [...] que notre petite congrégation pût faire à Dieu ” que cet abandon, et d’ajouter sur la notice : “ Je vois, d’après votre lettre, que ma notice n’est pas selon vos désirs [5]. ”

Le Vavasseur continue sa tournée après s’être excusé de son emportement et avoir rallié la position de Libermann sur le séminaire et les colonies : après Strasbourg, il passe à Besançon, Lyon, Le Puy, Viviers. Pendant ce temps, Libermann a décidé de remettre en chantier la notice sur la congrégation, ainsi qu’une autre notice sur les colonies. Dans une lettre du 1er juin, il précise  à Le Vavasseur : “ Quant aux notices, M. Lannurien en a fait une assez longue avec citations. Quand elle a été imprimée, nous avons craint qu’elle ne fasse mauvaise impression sur les prêtres des colonies et ne complique par là les difficultés que les évêques ne rencontreront déjà que trop dans l’ancien clergé. J’ai donc pris le parti d’en faire une autre plus raisonnée et plus courte. Je me proposai en partie de vous donner un thème qui prêtât à vos explications verbales [6]. ” Le texte que nous donnons ici est la reproduction intégrale de cette Notice écrite par Libermann, fin mai 1850 [7].

L’intérêt de cette Notice vient de ce qu’elle nous donne le point de vue de Libermann : - sur l’histoire de la congrégation du Saint-Esprit depuis les origines (c’est même le seul texte où Libermann parle de Poullart des Places) ; - sur l’histoire de sa société, le Saint Cœur de Marie (son inspiration initiale, ses débuts missionnaires) ; - sur les raisons de l’union entre les deux congrégations ; - sur l’état  actuel de la société et de ses œuvres. Mieux connu, ce texte eut peut-être évité bien des polémiques ultérieures sur la fusion.

Cette Notice a été soigneusement élaborée par Libermann pour être lue à l’extérieur, et tout particulièrement par les jeunes des séminaires de France. On remarquera qu’ elle n’est pas simple récit d’historien, mais qu’elle est un véritable  “ raconter croyant ”. Libermann raconte l’histoire de l’humanité de Dieu en Jésus-Christ se continuant aujourd’hui dans l’histoire “ auprès des pauvres ” des missionnaires du Saint-Esprit, et cette histoire est “ en forme de récit pascal ” : “ Ayant passé par toutes les épreuves auxquelles la divine bonté devait la soumettre ”, écrit Libermann de sa congrégation, comme l’Inconnu du chemin d’Emmaüs commençant son récit par les mots : “ Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? ” (Lc 24, 26).

Du coup, on ne peut que retenir comme pleins de sens spirituel les thèmes qui reviennent avec insistance dans cette Notice : - l’impossibilité à faire avancer l’évangélisation avec de mauvais prêtres, d’où la volonté de vivre en communauté pour assurer “ la persévérance dans la ferveur de la vie sacerdotale et religieuse ” ; - la “ profonde compassion ” pour les pauvres par excellence que sont les “ esclaves des colonies ”, les Noirs ; - le rôle du Cœur Immaculé de Marie et de l’archiconfrérie de Notre-Dame-des-Victoires ; - l’extrême pauvreté des moyens initiaux ; - l’analyse loyale des raisons humaines des difficultés et des échecs (inexpérience, défaut de précautions) ; - la parfaite clarté et le réalisme simple des conditions mises à l’entrée dans la congrégation ; - l’éventail très large des œuvres offertes aux vocations possibles, mais dans un ordre de priorité bien marqué : missions infidèles, missions coloniales, œuvres en Europe, direction et professorat (“ dans le séminaire ou le noviciat de la congrégation, et dans le séminaire colonial ”).

 

***

 

Notice sur la congrÉgation du saint-esprit

 

et de l’ ImmaculÉ cœur de Marie,

 

et sur ses œuvres

 

*

 

Etat de la CongrÉgation

 

La congrégation du Saint-Esprit fut fondée le jour de la Pentecôte 1703, par M. Poulart-Desplaces, du diocèse de Rennes, dans le but d’élever des ecclésiastiques destinés à se consacrer aux œuvres les plus délaissées. Long-temps cette œuvre ne subsista que des aumônes de personnes charitables ; le vénérable fontateur allait lui-même les chercher, puis il servait ses élèves de ses propres mains, et leur rendait les services les plus humbles.

En 1723,1’assemblée du clergé de France, considérant les importants services que rendaient aux diocèses les prêtres sortis du séminaire du Saint-Esprit, assigna à cet établissement une pension annuelle qui fut augmentée par les assemblées subséquentes.

En 1776, la congrégation du Saint-Esprit fut chargée d’entretenir habituellement vingt missionnaires et un préfet apostolique à la Guyane française.

A la grande révolution de 1792, la congrégation du Saint-Esprit partagea le sort de tous les autres établissements religieux de la France. Son séminaire fut supprimé, ses prêtres dispersés, sa maison vendue par l’Etat.

Dès que la paix fut rendue à la France par le concordat de 1801, M. Ber-tout, seul et sans maison, recommença l’œuvre de M. Poulart-Desplaces, au milieu de difficultés sans nombre.



En 1816, une ordonnance royale rendit 1’approbation légale à la congrégation du Saint-Esprit, et elle fut chargée seule de fournir de prêtres toutes les colonies françaises.

Cependant, malgré les efforts de M. Bertout et de ses successeurs, elle ne put se recruter suffisamment pour prendre la force et l’extension nécessaires à la conduite d’une œuvre aussi difficile ; le séminaire manquait de directeurs, on fut obligé de recourir à des étrangers. De plus, entravée par les difficultés qui résultaient de l’esclavage, de l’organisation défectueuse du clergé colonial et de la faiblesse extrême où se trouvait réduit le pouvoir ecclésiastique, le succès lui devint impossible. Jusqu’en 1830, le gouvernement pourvoyait à la subsistance des élèves du séminaire ; mais les diocèses de France, jusqu’ alors pauvres en sujets, étaient loin de fournir le nombre de prêtres que réclamaient les besoins des colonies. En 1830, toute subvention fut retirée au séminaire, qui se vit plus que jamais hors d’état de remplir les places vacantes. Dans la détresse où l’œuvre se trouvait par cette privation de tout subside, on se vit obligé d’accepter des prêtres sans avoir eu les moyens de les bien connaitre, et ce fut une des causes de tous les malheurs que notre sainte religion a eus à déplorer dans nos colonies.

Quoiqu’en 1840 le gouvernement eût rendu au séminaire 1’allocation qui lui avait été accordée sous la Restauration, celui-ci ne put se relever de la déconsidération où l’avaient fait tomber les circonstances malheureuses qui viennent d’être exposées.

Vers la même époque, quelques prêtres sortis du séminaire de Saint-Sulpice, touchés profondément de l’état de dégradation et de délaissement où étaient plongés les pauvres esclaves des colonies, qui formaient au moins les deux tiers de la population, conçurent le projet de se réunir pour voler à leur secours. Voyant les difficultés de l’œuvre qu’ils voulaient entreprendre, et leur impuissance à en procurer l’exécution, ils résolurent de l’unir à l’œuvre de l’Archiconfrérie, persuadés qu’elle triompherait de tous les obstacles par le Cœur immaculé de Marie, si plein de miséricorde envers les âmes pécheresses et délaissées.

Pour s’assurer de la sainte volonté de Dieu, ils proposèrent leur dessein à la Propagande, et, fortifiés par les paroles les plus encourageantes de la sacrée congrégation, ils se mirent en devoir de le réaliser. Cependant, dans la crainte d’empiéter sur les œuvres dont était déjà chargée la congrégation du Saint-Esprit, ils offrirent leurs services à cette société. Voulant néanmoins pourvoir à leur persévérance dans la ferveur de la vie sacerdotale et religieuse, et s’assurer que leurs efforts seraient employés au salut des âmes pauvres et délaissées, dont l’état désolant les avait émus d’une profonde compassion, ils demandèrent à la congrégation du Saint-Esprit, comme condition de leur entrée, qu’ils seraient employés au salut des Noirs, et qu’ils vivraient en communauté sous une règle qui pût maintenir parmi eux la ferveur sacerdotale et l’esprit apostolique. Mais le moment de la divine Providence n’était pas encore arrivé : Dieu voulait augmenter leur nombre avant de les unir à la communauté du Saint-Esprit, et les charger d’œuvres plus considérables dont cette communauté ne s’occupait pas alors, et que probablement elle n’aurait jamais entreprises, si leurs services avaient été acceptés à cette époque. M. Fourdinier, supérieur du Saint-Esprit, s’étant refusé à toute condition, ils entreprirent seuls l’œuvre qu’ils avaient tant à cœur. Ils formèrent donc une congrégation, et, tant par reconnaissance pour les grâces qu’ils avaient déjà reçues et qu’ils attribuaient aux prières de l’Archiconfrérie, que pour suivre l’attrait qui leur était donné intérieurement, ils décidèrent qu’elle porterait le nom, du Saint Cœur de Marie. La congrégation naissante fit son premier établissement à la Neuville, dans le diocèse d’Amiens, en septembre 1841 ; M. Libermann en fut nommé supérieur.

Les commencements de la nouvelle société étaient bien faibles et ses moyens d’existence absolument nuls ; Dieu seul était sa force et son soutien ; sa divine providence, son unique ressource, et le Saint Cœur de Marie, son espérance. Malgré leur confiance en Dieu, il a fallu à ses premiers membres la puissante impulsion que leur donnait la vue de tant d’âmes délaissées, accablées par le malheur et croupissant dans le vice et l’ignorance, pour qu’ils aient osé se livrer à une entreprise aussi dépourvue de tout secours et aussi contraire à toute prudence humaine. La grâce de Dieu ne les abandonna pas, et elle leur fit prendre la résolution de tout sacrifier plutôt que d’abandonner l’œuvre que la divine bonté leur avait inspirée. Ils n’eurent pas passé quinze jours dans leur solitude, que déjà ils eurent à rendre des actions de grâce à la bonne et divine Providence pour ses soins inattendus qui dépassaient toutes leurs espérances, soins qui allaient en croissant à mesure que leur nombre s’augmentait. Dès la deuxième année, ils avaient commencé une mission à l’île Maurice, et une autre à l île Bourbon. Ces missions continuent à produire les fruits les plus abondants pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Vers la fin de cette année (en novembre 1843), sept missionnaires de la nouvelle société partirent pour commencer la mission des deux Guinées. Mais une épreuve bien douloureuse était réservée à ces commencements, épreuve qui sembla devoir anéantir toutes les espérances de la congrégation. L’inexpérience des missionnaires et le défaut des précautions nécessaires sous ces climats brûlants, causèrent la mort à cinq d’entre eux dès les premiers mois de leur séjour dans le pays. La société, effrayée par ces malheurs et ne sachant pas encore exactement à quoi les attribuer, se vit forcée de suspendre cette mission jusqu’à ce qu’elle eût reçu des informations plus rassurantes.

L’année suivante, cinq prêtres de la même société furent mis à la disposition de la Propagande pour la mission d’Haïti (Saint-Domingue), où 500 000 âmes remplies d’excellentes dispositions étaient et sont encore maintenant livrées comme une proie à quelques prêtres indignes accourus de différents diocèses de France, et dont la vie était un scandale permanent pour les habitants de ce malheureux pays. Mais le temps marqué dans les desseins de Dieu n’ était pas encore venu. Le gouvernement haïtien de cette époque était très-mal disposé ; ses exigences schismatiques obligèrent les missionnaires, à peine arrivés, de quitter le pays, laissant dans la consternation les pauvres habitants, qui avaient eu le temps d’entrevoir en eux de vrais prêtres de JésusChrist.

Pendant ce temps, des renseignements exacts sur la Guinée firent connaître que ses côtes peuvent être habitées impunément par les missionnaires européens, moyennant les précautions exigées pour les climats tropicaux, et la congrégation du Saint Cœur de Marie eut la consolation de reprendre cette mission vers le milieu de l’année 1845. Ce nouvel effort devait encore lui coûter cher : l’un de ses trois premiers membres, M. Tisserant, nommé par la Propagande chef de la mission, périt avant d’arriver, dans le naufrage du Papin, le 8 décembre 1845. Au commencement de janvier 1847, Rome lui donna monseigneur Truffet pour premier vicaire apostolique, et l’année n’était pas finie, que déjà la société perdait ce pieux évêque, tiré de son sein, dont la mort fut occasionnée par l’austérité de vie que son zèle et sa ferveur lui avaient inspiré d’embrasser. Enfin le sacrifice de la vie de sept fervents missionnaires, accompagné des prières persévérantes de la congrégation et d’un grand nombre d’âmes pieuses, ont attiré les regards favorables de Dieu sur l’œuvre des Noirs. En 1848, le Saint-Siège accorda à la congrégation deux évêques pour les deux Guinées et la Sénégambie. Ils ont eu le bonheur d’organiser enfin cette mission, depuis si longtemps abandonnée et si douloureusement éprouvée ; elle est désormais hors de tout danger et montre dès maintenant les plus belles espérances pour l’avenir.

La société du Saint Cœur de Marie ayant passé par toutes les épreuves auxquelles la divine bonté devait la soumettre, et acquis la consistance et l’accroissement nécessaires, il sembla qu’il était dans les desseins de Dieu qu’elle accomplît son union avec la congrégation du Saint-Esprit, afin de perfectionner les différentes parties de l’œuvre dont s’occupaient les deux sociétés et d’en former une complète.

Toutes les difficultés qui, jusqu’alors, s’opposaient invinciblement à cette fusion disparurent, et vers la fin de l’année 1848 s’opéra la réunion de tous les membres de la société du Saint Cœur de Marie à la société du Saint-Esprit. La congrégation conserve son ancien titre du Saint-Esprit et ses constitutions, qui se trouvaient en parfaite harmonie avec l’esprit de la société du Saint-Cœur de Marie, et laissaient intactes le règlement de vie et l’organisation des communautés de ses missionnaires.

Leur entrée dans la congrégation du Saint-Esprit n’a rien changé à leur conduite ; les constitutions de cette société, approuvées par le Saint-Siège, comme pleines de sagesse et de prudence, et très-propres à former les missionnaires, n’en sont que plus parfaitement observées. En mémoire des grâces obtenues par le cœur de Marie, l’invocation de ce cœur immaculé fut ajoutée au titre du Saint-Esprit, par un décret de la sacrée Congrégation de la Propagande.

Au mois d’octobre 1848, Mgr Monnet, nommé depuis quelque temps vicaire apostolique de Madagascar, s’est démis de sa supériorité, et M. Libermann a été élu supérieur par le suffrage unanime des membres des deux congrégations réunies.

 

Après avoir lu cet exposé de l’état actuel de la congrégation, ceux qui auraient la pensée de s’y dévouer désireront sans doute connaître sa fin et son genre de vie, les conditions qu’elle exige pour l’admission dans son sein et les œuvres qui l’occupent.

Son but est de se dévouer au salut des âmes les plus abandonnées ; la vie de ses membres doit donc être la vie apostolique, et ils doivent s’appliquer à l’acquisition des vertus qui lui sont propres.

Pour le perfectionnement de cette vie apostolique, pour la conservation de la ferveur dans ses missionnaires, et pour la stabilité et l’extension de son œuvre, la congrégation a pris, pour règle fondamentale et invariable, que ses membres vivront toujours en communauté. Dans les missions infidèles, où la réunion de communautés nombreuses est souvent difficile, ils seront toujours au moins deux ensemble. Dans les pays coloniaux ils n’accepteront de cures ou de vicariats que dans le cas de nécessité, transitoirement, et toujours à la condition de vivre en communauté.

Ses membres ne sont pas obligés aux vœux ; cependant ceux qui ont le désir de prendre avec Dieu des engagements indissolubles sont admis à les prononcer en particulier entre les mains du supérieur. Les uns et les autres sont astreints aux mêmes observances de la vie commune, aucune différence ne devant exister dans le genre de vie des membres de la congrégation. L’obéissance et la pauvreté sont pratiquées également par tous. La pauvreté consiste à ne rien avoir à sa disposition à soi appartenant ; les missionnaires doivent tout recevoir de la communauté, et ne disposer de rien sans permission. Ceux qui ont des biens patrimoniaux peuvent les conserver, à la condition qu’ils ne puissent employer ni ces biens ni leurs revenus à leur propre usage, ni les distribuer en tout ou en partie de main à main.

Les conditions exigées des ecclésiastiques qui demandent à entrer dans la congrégation sont: une bonne santé, la science et le jugement pratique suffisants pour exercer les saintes fonctions dans les diocèses de France ; un désir sincère de se dévouer au salut des âmes; un bon caractère, si nécessaire pour se faire à la vie de communauté, et une bonne volonté pour l’acquisition des vertus apostoliques et religieuses.

Avant d’être admis dans la congrégation, chacun sera obligé de subir l’épreuve du noviciat. Ceux qui viendront avant d’avoir fini leurs études ecclésiastiques resteront, dans notre séminaire spécial des postulants de la congrégation, le temps nécessaire pour terminer ces études, avant d’aller au noviciat.

Comme la congrégation est pauvre et qu’elle a besoin de ressources considérables pour soutenir ses œuvres, elle désire que ceux qui se présentent puissent payer une pension pour le temps de leur séminaire et de leur noviciat. Cependant ceux qui seraient hors d’état de la fournir seront admis gratuitement, pourvu qu’ils aient les qualités voulues pour former de bons missionnaires. Les œuvres auxquelles les membres de la congrégation sont employés sont les missions en pays infidèles, les missions spéciales des Noirs dans les colonies, le professorat et la direction dans le séminaire ou le noviciat de la congrégation, et dans le séminaire colonial ; et enfin, en Europe, quelque ministère auprès des pauvres pour servir d’auxiliaires aux prêtres des paroisses dans les œuvres que leur zèle peut difficilement atteindre.

 

 

Des œuvres de la CongrÉgation

 

I. Missions infidèles. - L’œuvre la plus importante dont la congrégation se trouve chargée par la divine Providence est la mission des côtes occidentales d’Afrique. Cette mission renferme les deux Guinées et la Sénégambie, y compris les rives du Sénégal. Son étendue le long des côtes est de onze cents à douze cents lieues ; l’intérieur des terres est inconnu. On n’a pu, jusqu’à présent, évaluer le nombre de ses habitants ; mais il est certain qu’il dépasse de beaucoup le chiffre donné par les géographes. Cette immense contrée, où l’Evangile est inconnu, demande des missionnaires fervents, d’une grande abnégation, et disposés à sacrifier tout à la gloire de Dieu. Quoique, par suite des premiers malheurs, la mission soit organisée à peine depuis un an, elle donne déjà d’heureux résultats et de très-grandes espérances. Les dispositions des populations sont excellentes ; partout les missionnaires sont reçus avec joie, et de tous côtés on les réclame avec instance. Ne pouvant suffire à ces demandes si nombreuses à cause du manque de missionnaires, nous nous sommes astreints, pour le moment, à n’occuper que deux des positions les plus importantes, échelonnant les missionnaires par petites communautés dans un rayon suffisamment étendu pour embrasser le plus grand espace possible, et cependant assez resserré pour qu’il y ait facile communication entre eux. Dans ces deux établissements principaux, nous avons environ une cinquantaine d’enfants qui reçoivent l’instruction élémentaire, chrétienne et profane ; et tous nos efforts tendent à disposer quelques-uns d’entre eux à des études plus élevées, et à préparer ainsi un clergé indigène.

Nous n’avons encore, dans cette vaste mission, que trente-deux missionnaires et un certain nombre de Frères qui leur prêtent le secours de leurs services matériels. Nous y avons appelé aussi une communauté religieuse [8]  et déjà quinze Sœurs s’y occupent de l'instruction des filles et du soin des malades.

 

II. Missions coloniales. - Les membres de la congrégation qui seront dirigés dans les colonies vivront, comme leurs autres confrères, en communauté ; ils serviront de prêtres auxiliaires au clergé des paroisses, sous l’autorité des supérieurs ecclésiastiques. Ils s’occuperont spécialement des Noirs, sans laisser pourtant d’être utiles au salut des Blancs toutes les fois qu’ils le pourront. En lisant la notice sur les colonies, on se fera une idée des excellentes dispositions des Noirs, du bien qui a été fait par les membres de la congrégation à Bourbon et à Maurice, et des fruits abondants et déjà mûrs qu’on peut recueillir parmi eux avec la plus grande facilité.

 

III. Œuvres en Europe. - La congrégation a cru qu’il était conforme à la volonté de Dieu que, tout en travaillant à l’étranger au salut des âmes délaissées, elle n’abandonnât pas les besoins des pauvres dans le pays où elle a pris naissance ; cependant la divine Providence ayant dirigé ses principaux efforts sur les missions étrangères, les œuvres d’Europe seront toujours la partie la moins importante de son but. Les règlements de la congrégation exigent qu’on n’emploie à ces œuvres que d’une manière très-passagère les membres dont l’attrait pour les missions étrangères est bien déterminé.

 

IV. Direction et professorat. - La congrégation verrait avec plaisir que, parmi les postulants, il se trouvât quelques jeunes ecclésiastiques aptes aux fonctions de professeurs et de directeurs de séminaire. Elle désire former des hommes spéciaux pour les différentes branches de la science ecclésiastique. A leur aptitude pour ses divers enseignements doivent se joindre la solide piété, le zèle, un caractère bon, affable, propre à leur donner de l’influence sur les élèves qu’ils auront à diriger; et, enfin, la régularité et les vertus qui en fassent des modèles dans la communauté.

Comme le principe de leur vocation était le zèle pour le salut des âmes, ils pourront exercer ce zèle par un ministère extérieur ; toutefois, ce ministère sera assez modéré pour ne nuire en aucune manière à leurs fonctions dans l’intérieur de la maison. Par ce moyen, les directeurs se maintiendront dans l’esprit de leur vocation apostolique, et acquerront l’expérience nécessaire pour donner aux élèves des conseils utiles à leur futur ministère, et leur inspirer le zèle et les vertus du véritable missionnaire.

 

 



[1]. COULON, BRASSEUR, Libermann, p. 661-669.

[2]. ND, XII, p. 186, dans une lettre à Schwindenhammer du 7 mai 1850, p. 182-187.

[3]. ND, Compl. p. 233-235.

[4]. Arch. CSSp 15-A-VI.

[5]. ND, Xll, p. 199 et 203.

[6]. ND, Xll, p. 215. Souligné par nous.

[7]. La critique interne (absence des “ citations ” de la notice de M. Lannurien et référence à l’existence d’une “ notice sur les colonies ” à laquelle on renvoie et qui n’existait pas encore lors de la rédaction de la première notice envoyée à Le Vavasseur) permet de dire de ce texte qu’il s’agit bien de la deuxième rédaction de Libermann, non pas celle du 12-13 mai, mais celle de la fin mai dont il parle dans sa lettre du 1er juin à Le Vavasseur (ND, Xll, p. 215). Depuis le séminaire de Viviers, Le Vavasseur répondra à cette lettre de Libermann, le 15 juin: “ Si vous ne m’avez pas envoyé quelques exemplaires de la notice sur la congrégation, expédiez-les moi à Toulouse, joignez-y quelques exemplaires de la notice sur les colonies. Une centaine de chaque. ” (Arch. CSSp 15-A-VI).

[8]. Les Sœurs de l’lmmaculée Conception, de Castres.

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