DU NOUVEAU

sur les sources de la spiritualité

de Poullart des Places

et sur la genèse de son œuvre

 

Joseph Michel

 

 

La vocation d'un jeune homme riche

 

     Claude -François Poullart des Places naquit à Rennes, le 26 février 1679. Il était le premier enfant et demeura l’unique fils de François-Claude, avocat au Parlement et de Jeanne Le Meneust de la Vieuxville. Avant la réforme de la noblesse bretonne (1668), les Poullart avaient usé de la qualité d’écuyer et la grande ambition de François-Claude était d’introduire sa lignée dans la noblesse [1].

     Très pieux, les parents de Claude lui firent porter l’habit blanc en l’honneur de la Vierge jusqu’à l’âge de sept ans. Ils le confièrent de bonne heure à un précepteur et le mirent, à neuf ans, en classe de sixième au collège des jésuites. En troisième ou en seconde, il se lia d’amitié avec un voisin, Louis Grignion[2], de six ans son aîné, qui était alors en classe de philosophie.

     Il fit une année de rhétorique sous le P. de Longuemarre et une seconde année, à Caen, sous ce même régent. Il revint à Rennes avec trois prix, dont celui de rhétorique. Au terme de trois années de philosophie, il fut choisi pour le Grand Acte fixé au 25 août 1698. Le Mercure Galant  (nov.1698) consacra trois pages à la soutenance de sa thèse dédiée au Comte de Toulouse, fils de Louis XIV, gouverneur de Bretagne, et fit grand éloge du jeune philosophe : “ S’il fut bien attaqué, il se défendit encore mieux. Ses solutions parurent ingénieuses, et il les donna avec tant de grâce qu’il attira l’admiration de tous ceux qui l’entendirent ”.

     Claude avait 19 ans et demi. “ Les inclinations qu’il avait eues dès son enfance pour l’état ecclésiastique lui revenaient souvent [3] ” Il demanda à ses parents à aller étudier la théologie en Sorbonne, mais voyant s’écrouler le rêve de sa vie, son père le convainquit de commencer par faire son droit à Nantes. Pendant trois ans, il garda le silence sur sa vocation. Son père, qui avait une fortune considérable, prétendait l’anoblir par l’acquisition de la charge de secrétaire du roi et faire de lui un conseiller au Parlement.

     Quand, dans la première moitié de 1701, Claude se retire du commerce du monde pour passer huit jours dans la solitude d’une retraite, et rédige ses  Réflexions sur les vérités de la religion  et s’interroge sur le choix d’un état de vie, il vit chez ses parents sans exercer de profession, mais assez attentif aux activités de son père pour écrire : “ Mon père est vieux qui laissera après lui des affaires considérables que peu de gens que moi seraient capables de mettre en ordre [4] ”.

     “ Quelquefois dévot comme un anachorète jusqu’à pousser l’austérité au delà de ce qu’elle est ordonnée à un homme du monde, d’autres fois mou, lâche, tiède pour remplir ses devoirs de chrétien [5] ”, il n’est pas en paix : “ J'ai tout à craindre de l'état où je suis. Je ne suis point, Seigneur, dans celui où vous me souhaitez [6].(…) Je sais bien que vous n’approuvez pas la vie que je mène, que vous me destinez à quelque chose de meilleur.[7].(…) Vous tâchez de me persuader que vous voulez vous servir de moi dans les emplois les plus saints et les plus religieux [8]

     S’il suit son inclination pour l’état ecclésiastique, “ ce sera pour convertir des âmes à Dieu [9] ”. Son zèle éclate en trois paragraphes successifs de ses Réflexions : “ Je vous ferai connaître à des cœurs qui ne vous connaissent plus (…)J’annoncerai aux pécheurs ce que votre bonté m’a fait entendre (…) Je les engagerai à prier sincèrement [10] ”.

     Incliné vers le sacerdoce, Claude fait état aussi, à plusieurs reprises, de son “ inclination pour les pauvres ; [il aime] faire l’aumône [et] compatit naturellement à la misère d’autrui [11] ”.

     Enfin, il vise la sainteté véritable et voit dans l’Eucharistie le moyen par excellence d’obtenir les grâces nécessaires pour l’atteindre : “ Je ne manquerai donc de ma vie d’assister au sacrifice de la messe. Je vous contraindrai, mon Dieu, en vous offrant cette victime sans tache, à me redonner toutes les grâces dont j’ai besoin pour devenir un véritable saint [12] ”.

     Il prévoit que, dans sa marche vers la sainteté, l’obstacle “ le plus redoutable [sera]  l’ambition, [sa] passion dominante ”, et il demande à Dieu d’intervenir : “ Mon Dieu, humiliez-moi, abaissez mon orgueil, confondez ma gloire. Que je trouve partout des mortifications, que les hommes me rebutent et me méprisent. J’y consens, mon Dieu, pourvu que vous m’aimiez beaucoup et que je vous sois cher [13] ”.

     A la fin de sa retraite d’élection, il sait que Dieu l’appelle au sacerdoce ; le père jésuite auquel il se confie fait plus que renforcer sa conviction, il lui suggère un moyen efficace de vaincre son ambition : au lieu de faire sa théologie en Sorbonne où il prendrait les grades universitaires qui lui permettraient de briguer de hautes charges dans l’Eglise, pourquoi ne la ferait-il pas au Collège Louis-le-Grand, d’où il sortirait sans licence ni doctorat et avec une doctrine plus sûre ?

 

A Louis-le-Grand. L'influence de l'Aa

 

     Claude fait sienne la suggestion de son conseiller. En octobre, il est à Louis-le-Grand[14]. Fidèle à ses résolutions de retraite, il n’en conserve pas moins, “ à l’extérieur et dans ses manières, un air fort poli selon le monde [15] ”. Pourtant de profonds changements se préparent. La Vie de Michel Le Nobletz[16]  lui est d’un grand “ secours pour mépriser le monde et se mettre en tout au-dessus du respect humain [17] . Surtout il est distingué par les membres de l’Assemblée des Amis ou Aa, association secrète de piété constituée d’un petit nombre d’étudiants en théologie qui, à Louis-le-Grand comme dans la plupart des collèges jésuites, anime la congrégation mariale[18]. Après examen de son caractère, de son affection pour les œuvres de miséricorde, de son aptitude à garder le secret, il est initié progressivement à l’esprit et aux activités de l’association. Enfin, il est reçu comme confrère au cours d’une cérémonie et le manuel de l’Aa lui est remis [19].

     Oraison, confessions et communions fréquentes, imitation du Christ, tendre piété mariale, pauvreté et simplicité de vie, fuite des honneurs et des bénéfices, mortifications corporelles sont les moyens de sanctification des Amis. Claude vit intensément chacun des points de cette spiritualité. Il consacre plus de deux heures par jour à l’oraison; il se “ purifie de plus en plus souvent par le sacrement de la pénitence [20] . S’il relâcha quelque chose de ces affreuses mortifications, ce fut par l’ordre exprès de son directeur[21]. Les Règles de l’Aa [demandent aux clercs de ne pas porter de] soutanes d’un beau drap ; si elles sont bordées d’un ruban de soie, on ne manquera pas de le faire sauter.”. Claude reçoit la tonsure le 15 août 1702 et “ on le voit tout d’un coup quitter l’éclat et les manières du siècle pour se revêtir de l’habit et de la simplicité des ecclésiastiques les plus réformés [22] ”. “ C’était, écrira-t-il, dans

la participation du corps de Jésus que je puisais ce détachement qui me faisait mépriser le monde et ses manières [23]. Je me souciais peu d’avoir son estime. Je tâchais même quelquefois de lui déplaire en contrecarrant ses usages [24] ”.

     Dans les quatre points d’un règlement particulier qui en comptait au moins seize, il manifeste cinq fois sa dévotion à Marie. Matin et soir, pour se mettre sous la protection de celle dont il a été autrefois l’enfant particulier [25], il récite le Sancta Maria, prière qu’il a lue lors de sa réception au sein de l’Aa. “ Au cours de la journée, [il dit cette même prière] pour demander les lumières du Saint-Esprit et la protection de la Sainte Vierge[26] : “Sainte Marie, Mère de Dieu et Vierge, moi, Claude, je vous choisis aujourd’hui pour la Souveraine, ma Patronne et mon Avocate. Je prends l’engagement de ne jamais vous oublier… Je vous en conjure, accueillez-moi comme votre esclave à jamais; assistez-moi dans toutes mes actions et ne m’abandonnez pas à l’heure de ma mort.[27] ” ”.

     Sa soif de perfection est telle que chaque matin, dans une longue et magnifique prière, il demande à Dieu d’être prêt “ de souffrir plutôt la mort de la potence et de la roue, que de consentir à commettre un seul péché véniel de propos délibéré [28] ”.

 

Son zèle apostolique

 

     Le zèle apostolique des Amis s’exerce par le catéchisme des enfants des paroisses, la visite des hôpitaux et surtout le prise en charge de leur milieu de vie, chacun s’efforçant de convertir un ou plusieurs de ses condisciples. Il se manifeste encore par un grand souci du pauvre considéré comme un membre souffrant du Christ, et par une vive préoccupation de la masse chrétienne qui, pour sortir de sa profonde ignorance religieuse, a besoin, non de bénéficiers oisifs et avides, mais d’apôtres selon l’Evangile, pauvres et désintéressés. Il trouve son inspiration dans un cycle annuel de méditations contenu dans le manuel de l’Aa et dont voici quelques extraits.

     “ L’amour de Jésus ne peut être oisif; il passe du coeur aux mains et de l’affection à l’action. Autrement il n’est pas amour [29]. (…) Il n’est point de preuve plus grande de l’amour que nous avons pour Dieu et pour Jésus que celui que nous avons pour le prochain, lequel, par une substitution glorieuse de Jésus mourant, a pris sa place sur la terre, pour être l’objet le plus proche et le plus immédiat de nos affections [30] (…) Et comme entre nos frères, les plus misérables sont les plus chéris de notre père et de notre bonne mère, ils seront aussi ceux qui seront les objets de notre affection: les pauvres, les malades, les affligés, auxquels se joindraient les pécheurs [31] (…) Les plus misérables sont les pécheurs qui sont dans la disgrâce de Dieu; aussi sont-ils ceux qu’il faut regarder avec le plus de compassion et soulager avec plus de soins ... Que l’exemple de Jésus-Christ dont la naissance, la vie, la mort, les pensées, les désirs, les prières, les larmes, les sueurs et le sang n’ont regardé que le salut des pécheurs, est un puissant motif. (…) Travaillons donc sérieusement, à l’exemple de Jésus-Christ, à leur conversion et à leur salut et souvenons-nous que nous sommes les enfants d’une mère qui est le refuge et l’asile des pécheurs [32] ”.

     Périodiquement, le substitut ou secrétaire d’une Aa fait part aux autres assemblées des faits édifiants de la vie spirituelle et apostolique de ses confrères. Les billets de bien, qui constituent l’essentiel de ces échanges épistolaires, sont anonymes. Ils sont remis, une ou deux fois par an, au directeur jésuite de l’Assemblée qui les recopie, en les modifiant parfois quelque peu, avant de les remettre au substitut.

     De 1701  à 1709, une seule lettre, datée du 20 mars 1703, fut envoyée de Paris aux Aa de province. Deux billets de bien contenus reproduits dans cette lettre, l’un de 1702, l’autre de 1703, concernent incontestablement Poullart des Places. Pour suivre l’évolution spirituelle de notre fondateur et saisir la genèse de son oeuvre, nous disposions de ses propres écrits, du mémoire de Pierre Thomas, du témoignage de Besnard dans sa biographie de Grignion de Montfort et d’une lettre de J.-B. Faulconnier : ces deux billets confirment, précisent, complètent et éclairent notablement ce que nous savions déjà [33].

     Claude a, dès 1702, une affection particulière pour les oeuvres les plus obscures et les plus abandonnées[34]. Il fait deux fois par semaine le catéchisme à vingt petits savoyards qu’il soulage aussi pour le temporel. Il va souvent aux hôpitaux. Il entretient et paye la pension de Faulconnier, pauvre écolier d’environ 16 ans, qu’il envoie de côté et d’autre porter de vieux habits à des pauvres honteux. Sur ce que le collège lui fournit pour la nourriture, il retranche ce qu’il y a de meilleur et l’envoie à des malades ou à des pauvres; il se traite lui-même moins bien que le dernier d’entre eux. Faulconnier le voit manger des haricots si vieux fricassés qu’il y a par-dessus deux doigts de moisi[35]!

 

Fondation du Séminaire du Saint-Esprit

 

     Dans son milieu de vie, outre Faulconnier, Claude se tourne vers d’autres pauvres écoliers qui logent en ville dans des conditions aussi défavorables à leur études qu’à leur vertu. Il ne voit encore dans cet apostolat qu’un exercice de charité; les missions lointaines, pense-t-il, sont sa vocation et il ambitionne le martyre[36]. Bientôt cependant, son zèle lui inspire le moyen de multiplier son action en faveur des pécheurs, les plus misérables et les plus abandonnés de tous les pauvres. “ Il sent que Dieu veut se servir de lui pour peupler son sanctuaire de maîtres et de guides; il comprend que pour y réussir, il ne peut faire mieux que de continuer à aider des pauvres écoliers à subsister et à les mettre en état de poursuivre leurs études. (…) Il conçoit le dessein de les rassembler dans une chambre où il irait, temps en temps, leur faire des instructions et veiller sur eux autant que sa demeure au collège le lui
permettrait [37]. ” Il ne s’agit encore que de quatre à cinq pauvres écoliers [38]. Approuvé par son directeur, encouragé par les promesses du principal du collège de lui accorder une partie de la desserte des pensionnaires, il loue un local à proximité de Louis-le-Grand.

     Il en est là quand Grignion de Montfort, au cours de l’été 1702, vient le voir et l’invite à s’unir à lui pour être le fondement de sa Compagnie de Marie. Après avoir informé son ami de ce qu’il considère maintenant comme sa véritable vocation, Claude lui fait cette promesse : “ Si Dieu me fait la grâce de réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires; je vous les préparerai et vous les mettrez en exercice [39] ”.

     La réalisation de son projet est rapide. Dans sa lettre du 17 mars 1703, le substitut de l’Aa parisienne recopie le billet que vient de lui remettre le père directeur : “ Un autre [confrère] a quitté un bénéfice de quatre mil livres, et une charge de conseiller au Parlement que ses parents lui voulaient donner pour être directeur d’un Séminaire, où il n’aura que beaucoup de peines et de fatigues; le même ne dort tous les jours que trois heures sur une chaise[40] et emploie le reste de son temps à la prière ; le même, par mortification, ne mange jamais que d’une sorte de viande et ne boit que de l’eau ; le même fait de grosses aumônes et ne donne jamais moins d’un demi louis. ”

     L’un des intérêts de ce texte est de nous préciser qu’au début du carême 1703, Poullart des Places, directeur d’un séminaire, vit déjà au Gros-Chapelet, rue des Cordiers, au milieu de ses pauvres écoliers. Il attend les fêtes de la Pentecôte pour consacrer son œuvre au Saint-Esprit sous l’invocation de la Sainte Vierge conçue sans péché.

     La petite communauté de la rue des Cordiers connaît une rapide extension. Toutes les chambres du Gros-Chapelet lui sont bientôt réservées et elle déborde bientôt sur la maison voisine, la célèbre Rose-Blanche qui, au milieu du siècle précédent, avait été le berceau de cette première Aa parisienne qui fut l’origine des Missions Etrangères.

     Au début de 1704, après 18 mois d’un état très prononcé d’oraison affective, “ Mr Desplaces - Claude se fait ainsi appeler à Paris - entre dans une douloureuse épreuve spirituelle qui va durer toute l’année ”. Dans ses Réflections sur le passé, rédigées au cours d’une retraite qu’il fait pendant les vacances de Noël, il dresse un saisissant contraste entre sa ferveur passée et la sécheresse présente de son âme qu’il prend pour de la tiédeur. Il réalise qu’il ne peut diriger seul, tout en poursuivant ses études, une communauté en plein accroissement. Il fait donc appel à Michel-Vincent Le Barbier, un ami d’enfance, prêtre depuis septembre, qui vient l’assister aussitôt. Lui-même, encore simple tonsuré, ne recevra la prêtrise que le 17 décembre 1707. A la fin de 1705, il établit sa communauté, qui compte déjà plus de cinquante séminaristes, dans une grande maison de la rue Neuve-Saint-Etienne (rue Rollin) qui lui permettra d’en recevoir 70.

 

L'influence déterminante de l'Aa

 

     L’Aa, par sa spiritualité, qui joint intimement sainteté et apostolat, a transformé Poullart des Places. A Rennes, il avait une grande inclination pour les pauvres, mais il n’envisageait pas de leur consacrer sa vie, d’embrasser lui-même la pauvreté au point de se faire pauvre avec les pauvres. La docilité à son conseiller spirituel l’a conduit à Louis-le-Grand. Il y a été aussitôt distingué par des membres de l’Aa qui, après examen de son caractère, de son affection pour les œuvres de miséricorde, de son aptitude à garder le secret, ont décidé de lui faire connaître leur association et de le coopter comme confrère. Entre l’Aa et lui, il y a harmonie préétablie. Dès sa réception, c’est l’envolée spirituelle et Dieu lui fait bientôt la grâce d’entrer dans l’oraison affective [41]. C’est Libermann qui, en quelques lignes, donnera l’explication de l’étonnante audace que, simple tonsuré, il manifeste dans la fondation de son séminaire de pauvres écoliers : “ Les choses les plus difficiles ne coûtent rien à une âme qui est vraiment dans l’oraison d’affection. On entreprend tout, on est capable de tout, on ne délibère point, quelle puisse être le peine et la difficulté que l’on rencontre [42] ”.

 

L'originalité de la nouvelle fondation

 

     La fondation de Poullart des Places n’est pas une œuvre de plus parmi les communautés de pauvres écoliers. Son originalité résulte d’une conception d’ensemble qui, par ses exigences quant à la pauvreté des écoliers, la gratuité et la durée de leurs études, en fait la meilleure réalisation en France des orientations du Concile de Trente quant à la formation des clercs.

 

     1) Une mystique de pauvreté. - Les Règlements du séminaire sont catégoriques : “ On ne pourra, sous quelque prétexte que ce puisse être, y admettre des gens en état de payer ailleurs leur pension [43]. Recruté parmi les pauvres, tout candidat sait qu’il suivra les cours des jésuites et renonce donc, dès l’abord, aux grades universitaires et à l’espoir de bénéfices lucratifs. Dans l’idéal sacerdotal de Poullart des Places, la vertu de pauvreté apparaît avec un relief particulier. Il sait persuader ses écoliers que “ le désintéressement est le commencement de la perfection d’une âme qui veut suivre Jésus-Christ ”. Sa vie est en conformité avec ses exhortations : à peine tonsuré, il refuse un bénéfice de 4 000 livres, à la grande déception de son père qui “ n’approuvait pas que son fils eût pris la vertu (de pauvreté) sur un si haut ton [44] ”. En 1706, il refuse trois bénéfices résignés en sa faveur en cour de Rome et n’accepte d’autre titre clérical que les soixante livres de rente exigées par les règlements canoniques. Sans tricherie, il s’est fait l’un de ses écoliers, partageant leur nourriture, pratiquant leur règlement, lavant la vaisselle et décrottant les souliers [45]. Son ambition est d’élever ses écoliers dans une telle mystique de pauvreté qu’en sortant de la maison “ ils soient prêts à tout: à servir dans les hôpitaux, à évangéliser les pauvres et même les païens; non seulement à accepter mais à embrasser de tout coeur et à préférer aux autres les postes les plus humbles et les plus laborieux pour lesquels on trouve difficilement des titulaires [46] ”.

 

     2) Science et vertu. - Depuis son enfance, plus encore depuis qu’il fait partie de l’Aa, Poullart des Places a le souci des pauvres. Convaincu que “ leurs âmes n’étaient pas moins chères à Jésus-Christ que celles des plus grands seigneurs et qu’il y avait autant et plus de fruits à en espérer [47] ”, il entend leur préparer des prêtres à la fois vertueux et savants. Parmi les pauvres écoliers qui se présentent à lui, il choisit, après les avoir fait composer, ceux qu’il juge les plus capables d’acquérir science et vertu. “ Il avait coutume de dire que, s’il redoutait le zèle aveugle d’un prêtre pieux mais ignorant, il avait des craintes pour la foi et la soumission à l’Eglise d’un prêtre savant mais dénué de vertu [48] . Les étudiants admis dès le début de leurs études cléricales sont assurés d’être gratuitement logés, nourris, parfois même habillés, pendant six ans au minimum, neuf ans au maximum; libérés de tout souci matériel, ils suivent les même cours que les scolastiques de la Compagnie de Jésus, sont soigneusement formés au catéchisme et à la prédication. L’Aa recommandant à ses membres d’être attachés aux jésuites, de fuir les opinions nouvelles et de soutenir l’infaillibilité du pape, Poullart des Places transmet ces recommandations à ses disciples; selon le mot du sulpicien Grandet, son contemporain, il les élève “ selon les principes de la plus saine doctrine catholique et romaine [49] ”.

     R. Rouquette a terminé son étude sur l’Aa en soulignant qu’elle fut “ l’un des grands instruments de la réforme et de la sanctification du clergé sous l’ancien régime ”. S’il avait connu l’appartenance de Poullart des Places à cette association, il n’aurait pas manqué de signaler l’importance particulière de son œuvre, toute imprégnée de l’esprit de l’Aa qui forma tant de directeurs pour les séminaires de France, d’Extrême-Orient et même du Canada.

 

     3) Dans la mouvance des jésuites. - Avec celui des Missions Etrangères, le Séminaire du Saint-Esprit est l’un des plus beaux fleurons de l’Aa, mais sa dépendance des jésuites est beaucoup plus étroite [50]. Sans leur autorisation, il n’aurait pas vu le jour, sans leur appui, il n’aurait pas duré. Ses étudiants ne peuvent choisir d’autres confesseurs que les jésuites : leurs retraites sont prêchées par un jésuite; ils se nourrissent même en partie de la desserte de la cuisine de Louis-le-Grand[51]. La Compagnie appuie le fondateur, car cette longue et solide formation théologique et spirituelle qu’il assure à ces pauvres clercs est une adaptation au clergé séculier d’une pensée très ignatienne [52]. Autre motif de satisfaction pour les professeurs de théologie de Louis-le-Grand: le nombre de leurs scolastiques théologiens (45 en 1705) est rapidement doublé par celui des spiritains.

     Ce qui réjouit les jésuites irrite les jansénistes : soulignant la dépendance intellectuelle, spirituelle et alimentaire des Placistes à l’égard de Louis-le-Grand, ils essaient de les ridiculiser en les traitant de nourrissons des jésuites Au cardinal de Noailles qui tente de les détourner du collège des jésuites, Poullart des Places expose avec tant de convictions les risques de la fréquentation de l’Université pour son idéal de dévouement désintéressé que le cardinal “ goûte les raisons de ne s’y astreindre pas [53] ”.

     En 1767, après l’expulsion des jésuites, le Parlement de Paris voudra contraindre les successeurs de Poullart des Places à envoyer leurs élèves aux cours de la Sorbonne. Chr. de Beaumont, deuxième successeur du cardinal de Noailles, reprendra à son compte l’argumentation du fondateur ; de nouveau le plaidoyer sera efficace et, seuls de tous les séminaristes parisiens, ceux du Saint-Esprit ne suivront pas d’autres cours que ceux de leurs directeurs.

 

     4) Une maison de charité berceau d’une congrégation. - Dès mars 1703 la correspondance secrète de l’Aa a désigné Poullart des Places comme directeur d’un séminaire. Dans les actes officiels, lui-même ne prend jamais d’autre titre que celui d’ecclésiastique. Dans ses Règlements généraux et particuliers, il ne parle jamais de séminaristes ou de communauté, mais de maison d’écoliers, de particuliers [54] et aussi d’un tailleur et d’un cuisinier que leur genre de vie assimile manifestement à des religieux. Légalement, son œuvre n’est qu’une œuvre de charité, cela pour la soustraire à l’édit de 1666, qui interdit rigoureusement l’établissement de toute nouvelle communauté sans l’obtention préalable de lettres patentes, et au statut de séminaire canonique qui donne aux évêques, souvent jansénistes, le droit d’agréger ou d’expulser, quand bon leur semble, toute personne chargée de la direction des séminaristes. Pourtant l’étude des plus anciens documents qui nous sont parvenus confirme que Poullart des Places n’est pas seulement le fondateur d’un séminaire, mais aussi celui d’une nouvelle société religieuse, père et chef d’une famille sacerdotale [55]

     En 1731, des lettres patentes seront accordées à la Communauté et Séminaire du Saint-Esprit, institut de droit diocésain formé par ses directeurs. Les Règles et Constitutions que ceux-ci présenteront au Parlement et qui s’inspireront, en des points essentiels, des Constitutions des jésuites, seront suivies de cette déclaration solennelle : “ Nous supplions dans le Seigneur nos frères et nos successeurs de garder avec soin ces pieux usages que, pour la plupart, nous avons reçus de Claude-François Poullart des Places, prêtre, notre fondateur ”.

     Pour gouverner sa maison, Poullart des Places s’était associé Michel-Vincent Le Barbier (1705), premier prêtre spiritain et Jacques Hyacinthe Garnier arrivé sous-diacre en 1705, prêtre en 1707. Louis Bouïc, ordonné diacre en Bretagne en septembre 1708, était arrivé à Paris quelques semaines plus tard. Le Séminaire du Saint-Esprit, qui ne vivait que d’aumônes, fut tragiquement touché par l’hiver 1709 et plus encore par la disette qui le suivit. Le Barbier quitta ses fonctions en juin et mourut en Bretagne onze mois plus tard ; Poullart des Places décéda lui-même le 2 octobre 1709 et Garnier, son successeur, en mars 1710. Prêtre depuis septembre 1709, Bouïc fut élu supérieur [56]; avec Pierre Thomas, le biographe du fondateur et Caris le pauvre prêtre, il gouverna le Séminaire et la Congrégation pendant plus d’un demi-siècle.

 

     5) Sous le signe du Saint-Esprit et de l’Immaculée Conception. - “ Tous les écoliers adoreront particulièrement le Saint-Esprit auquel ils ont été spécialement dévoués. Ils auront aussi une singulière dévotion à la Sainte Vierge, sous la protection de laquelle on les a offerts au Saint-Esprit. Ils choisiront les fêtes de la Pentecôte et de l’Immaculée Conception pour leurs fêtes principales. Ils célébreront la première pour obtenir du Saint-Esprit le feu de l’amour divin, et la seconde pour obtenir de la très Sainte Vierge une pureté angélique: deux vertus qui doivent faire tout le fondement de leur piété [57] ”.

     On reconnaît aisément, dans les méditations de l’Aa, l’inspiration immédiate de cette double dédicace au Saint-Esprit et à la Vierge Immaculée.

     “ Le jour de la Pentecôte et toute la semaine, j’ouvrirai mon coeur au Saint-Esprit afin qu’il le remplisse, qu’il le possède intimement, et qu’il soit l’esprit de mon esprit et le coeur de mon coeur. Je le lui présenterai afin qu’il le consume, comme une victime, des flammes de son amour. (…) La pratique doit être de m’accoutumer à considérer l’Esprit de Dieu habitant intimement dans moi-même ; que cet esprit d’amour qui ne demande autre chose que d’allumer dans mon coeur les flammes dont il brûle le Père et le Fils, et ainsi lui abandonner son âme et son coeur entièrement, afin qu’il ne respire plus que de l’amour de Dieu. (…) Conjurer le Saint-Esprit, qui a préparé l’âme et le corps de la Vierge pour recevoir le Verbe divin, qu’il dispose mon âme par la charité, mon corps par la pureté, à cette union ineffable que son amour recherche dans l’Eucharistie.[58] ”.

     La méditation pour la fête de la Conception développe ces considérations sur la pureté.

     “ La conception immaculée de la Vierge est principalement considérable par les avantages de la pureté dans laquelle elle a été conçue. Pureté de son âme par une exemption entière de toute sorte de péché. Pureté de son corps par une ruine totale de ces flammes impures qui allument la rébellion de la chair contre l’esprit et se sert de l’esprit contre Dieu. Elle devait avoir l’une et l’autre pour être digne Mère de Dieu et concevoir un Fils qui est la pureté même. Il nous faut donc travailler à acquérir l’une et l’autre pour être fils de Marie et recevoir Jésus-Christ.[59] ”.

     Cette offrande de ses disciples que Poullart des Places a faite au Saint-Esprit par l’intermédiaire de Marie correspond à un trait caractéristique de sa piété. Dans une de ses prières[60], il s’adresse à Dieu “ par le sang du Christ (…) que je supplie la Ste Vierge de vous offrir avec nos coeurs ”.

     Deux fois l’an, à la Pentecôte et le 8 décembre - et cela jusqu’en 1848 - les spiritains, au cours d’une cérémonie solennelle de Rénovation, reprendront l’inspiration et probablement le texte même de leur fondateur : “ Sainte Marie (…) aidez-moi, votre petit serviteur, à me dédier, me consacrer et me dévouer à l’Esprit-Saint, votre céleste Epoux (…) Ma bonne Mère, écoutez-moi; Esprit tout-puissant, écoutez ma bonne mère et, par son intercession, daignez éclairer mon esprit de votre lumière et embraser mon cœur du feu de votre amour [61]

     La double dévotion des spiritains informera leur spiritualité. Leurs prières seront celles d’une communauté vouée à l’Esprit-Saint et à la Vierge conçue sans péché : Office du Saint-Esprit et des prières mariales dont le Per sanctam si cher à Poullart des Places : “ Par votre très sainte virginité et votre Immaculée conception, ô très pure Vierge Marie,  purifiez mon corps et mes sens ”.

     Elle sera aussi le fondement de la pauvreté spiritaine. Allenou de la Ville-Angevin, disciple immédiat de Poullart des Places, dira à ses Filles du Saint-Esprit : 7 Les Filles qui se sanctifient dans cette maison se souviendront qu’en prenant le Saint-Esprit pour père et la Très Sainte Vierge pour mère, elles doivent renoncer à toutes possessions ”. Nicolas Warnet, qui deviendra le septième successeur le Poullart des Places, dira, au cours de la cérémonie de Rénovation de la Pentecôte 1839 : “ Dépouillés de tout, nous sommes assez riches : l’amour du Saint-Esprit, voilà notre trésor. Il faut donc tout déposer aux pieds de Marie, comme les premiers chrétiens déposaient leurs biens aux pieds des Apôtres; autrement, nous mentirions au Saint-Esprit ”.

     Le zèle apostolique n’a pas d’autre source : “ Nous nous engageons à rechercher l’honneur de l’Esprit-Saint d’abord au-dedans de nous, par un esprit de docilité parfaite.(…) Il faut se laisser gouverner par le Saint-Esprit, ne suivre que ses impressions. (…) Alors nous serons disposés à remplir un autre devoir : enfants de Marie et du Saint-Esprit, nous nous appliquerons par nos discours et par nos exemples, à les faire aimer et servir. (…) C’est ainsi que nous marcherons sur les traces de nos pères, assurés que c’est le chemin le plus sûr de faire ce qui est agréable au Saint-Esprit [62]

     Depuis son enfance, Claude s’est considéré comme l’enfant particulier de la Sainte Vierge [63]. Son agrégation à l’Aa a donné une nouvelle et puissante impulsion à sa piété envers elle. Il a lu, médité et mis en pratique le manuel de l’association, où il a trouvé des passages comme ceux-ci : “ Nous la reconnaissons comme Notre-Dame, notre patronne et avocate auprès de son Fils et la conjurons de nous recevoir au nombre de ses serviteurs pendant le cours de notre vie et à l’heure de notre mort ”.

     Comme tout confrère, “ il proteste qu’il ne prétend jamais avoir aucun accès auprès de son Fils, qui est notre médiateur envers son Père, que par son entremise ”.

     Il honore les privilèges de Notre-Dame dont le premier “ est la singulière prédestination par laquelle le Père Eternel l’a choisie pour sa chère Fille, pour la digne Mère de son Fils et pour l’Epouse du Saint-Esprit, et dont le second est  son Immaculée Conception ”.

     Il prie le Saint-Esprit qui, par un autre privilège, “ au jour de la Pentecôte, se communique particulièrement à elle comme à son unique et fidèle Epouse et comme la mère de toute l’Eglise [64].

 

 

Devenir et influence de l'œuvre de Poullart des Places

 

     1) Sur l'amorce d'une collaboration avec Jean-Baptiste de La Salle, nous renvoyons à l'étude du Fr. Yves Poutet (dont l’article est intégralement reproduit dans ce livre), comme le fait le P. Michel lui-même.

 

     2) Orientation vers les missions. - A partir de 1732, l’apostolat dans les pays d’outre-mer prend une part croissante dans l’orientation apostolique des élèves du Séminaire du Saint-Esprit (appelés spiritains). Vers 1750, quatre des vicaires apostoliques relevant du Séminaire des Missions Etrangères de Paris y ont été formés. D’autres spiritains, recrutés par l’abbé de l’Isle-Dieu, aumônier général des missions de la Nouvelle-France, enseignent la théologie au Séminaire de Québec ; d’autres encore sont missionnaires en Acadie ou parmi les Indiens Micmac.

     La valeur et le dévouement de ces spiritains du Canada inspirent à l’abbé de l’Isle-Dieu une telle estime pour le séminaire qui les a formés qu’il s’efforce de lui faire confier le soin de fournir le clergé des colonies françaises des Antilles et de la Guyane. Son projet n’aboutit que partiellement : le supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit devient directement responsable de la préfecture apostolique de Saint-Pierre et Miquelon érigée en 1765 et, dix ans plus tard, de la colonie de Cayenne. En 1778, pour la première fois, deux membres de la congrégation, Déglicourt et Bertout, quittent leur chaire de professeur et s’embarquent pour la Guyane. L’année suivante, Déglicourt est nommé préfet apostolique de la Côte d’Afrique. Lorsqu’elle sera dissoute par la Convention, la Congrégation du Saint-Esprit aura formé au moins 1 300 prêtres ; environ six ou sept pour cent d’entre eux auront passé les mers.

 

     3) Le Séminaire du Saint-Esprit, séminaire de la Compagnie de Marie. En 1713, Grignion de Montfort avait bien composé la Règle de la Compagnie de Marie, mais il n’avait encore aucun associé. Au mois d’août, il vint “ conférer avec les directeurs du Séminaire du Saint-Esprit et leur donna lecture du règlement qu’il avait fait pour ceux de leurs élèves et autres qui voudraient se joindre à lui [65] ”. Bouïc et ses confrères promirent de lui former des missionnaires et il quitta Paris ayant terminé la grande affaire pour laquelle il était venu, “ savoir son union avec Messieurs du Saint-Esprit pour avoir des missionnaires [66] ”. Suite inattendue de cette sainte association, en 1716, année de sa mort, Montfort fera suivre plusieurs de ses signatures de la mention prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint-Esprit.. De ce fait qui a intrigué ses biographes, la Section historique de la S. Congrégation des Rites a conclu que “ quando morí, la sua Compagnia (…) aveva (…) una certa affigliazione al Seminario dello Spirito Santo, che doveva assicurarne i sujetti [67] ”.

     La nature de l’union entre le P. de Montfort et les fils de M. des Places peut être discutée; il n’en est pas de même de son importance. Sans cette union, la Compagnie de Marie n’aurait pas vécu.

     Tout au long du XVIIIe siècle, les Montfortains ne seront guère connus que sous le nom de prêtres missionnaires de la Compagnie du Saint-Esprit; ; c’est sous cette même appellation qu’ils obtiendront des lettres patentes en 1765. Au moins les deux tiers d’entre eux viendront du Séminaire du Saint-Esprit, où même des prêtres formés dans des séminaires diocésains seront invités à compléter leur formation pendant deux ans. Pendant plus d’un demi-siècle, montfortains et Filles de la Sagesse seront gouvernés par des spiritains. Le recrutement géographique des montfortains sera celui du Séminaire du Saint-Esprit : ces missionnaires qui joueront un si grand rôle en Vendée pendant le Révolution ne seront ni Angevins ni Poitevins, mais Jurassiens, Provençaux et surtout Picards.

 

     4) Du Séminaire du Saint-Esprit aux Filles du Saint-Esprit. Du vivant de Poullart des Places, René Allenou de la Ville-Angevin, du diocèse de Saint-Brieuc (1687-1753) fut élève au Séminaire du Saint-Esprit où il exerça les fonctions de répétiteur en philosophie, puis en théologie. Revenu en Bretagne en 1712, nommé deux ans plus tard recteur de Plérin, il trouvera dans sa petite paroisse trois pieuses filles qui, sans vivre en commun, dirigeaient une petite école, faisaient le catéchisme, se dévouaient aux pauvres et aux malades. De ce petit noyau, il fera sortir une congrégation dédiée au Saint-Esprit sous l’invocation de l’Immaculée Vierge Marie conçue sans péché. Selon le plus ancien récit de cette fondation, “ il forma un règlement sur le modèle de celui qui s’observait au Séminaire du Saint-Esprit ”. Entre les Règlements généraux et particuliers des deux fondateurs, la parenté est éclatante, mais tandis que celui de Poullart des Places est rédigé avec une extrême sobriété, celui de son disciple s’inspire à la fois du texte et des commentaires spirituels de son ancien supérieur. Allenou de la Ville-Angevin partira au Canada en 1741 et y mourra. Plus que Jean Leuduger, c’est lui le fondateur des Filles du Saint-Esprit [68] . En 1963, sa congrégation comptera plus de 3 500 religieuses.

 

     5) Libermann, dixième successeur de Poullart des Places. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, la congrégation de Poullart des Places s’était préparée de loin, par son orientation vers les âmes abandonnées de la race noire, à accueillir en son sein, à l’heure de la Providence, l’Œuvre des Noirs de Libermann.

     Après la Révolution, elle se sera autorisée à se reconstituer qu’en vue de fournir des prêtres aux colonies françaises. Compte tenu de la situation du clergé français, cette tâche était si pleine de difficultés qu’elle sera considérée par Libermann comme une véritable corvée [69]. En 1839, celui-ci fonda la Société du Saint-Cœur de Marie. Les missionnaires qu’il envoya dans les colonies y trouvèrent des spiritains comme Monnet, le père de Bourbon
L’union des deux sociétés lui paraissait “ dans l’ordre de la volonté de Dieu. Elles se proposent la même oeuvre, marchent dans la même ligne; or il n’est pas dans l’ordre de la divine Providence de susciter deux sociétés pour une oeuvre spéciale si une seule peut suffire [70] ”.

     Le 11 juin 1848, le principe de l’union fut accepté de part et d’autre ; le 4 septembre, le Saint-Siège l’approuva en précisant qu’elle devait se faire de telle sorte que la Société du Saint-Cœur de Marie cessant d’exister, ses membres soient incorporés à la Société du Saint-Esprit. Le 23 novembre, par dix voix sur onze votants, Libermann devint le dixième successeur de Poullart des Places.

     Dans ses écrits, il ne parle du fondateur de la Congrégation du Saint-Esprit qu’une seule fois, en des termes succincts mais justes, au début de la Notice sur la Congrégation composée avec grand soin à l’usage du P. Le Vavasseur, à la Pentecôte 1850 [71]. Libermann retoucha, dans une ligne toute spiritaine, l’acte de consécration qu’il avait rédigé huit ans plus tôt pour la Société du Saint-Cœur de Marie[72]. Il mourut quatre ans après la décision romaine. Il eut pour successeur Ignace Schwindenhammer. Celui-ci et son entourage “ forgèrent le mythe d’une société nouvelle issue d’une fusion des deux sociétés et dont Libermann aurait été le premier supérieur général [73] ”.

     En 1901, lors de la persécution combiste contre les congrégations, Mgr. Alexandre. Le Roy, supérieur général, fut informé que, de l’avis du Conseil d’Etat, “ l’Association du Saint-Esprit a cessé d’exister et que celle du Saint-Cœur de Marie, qui a pris son nom, n’est pas une congrégation religieuse légalement autorisée ”. L’étude des archives spiritaines lui fit découvrir qu’il n’était pas, comme il l’avait cru, le cinquième, mais le quinzième Supérieur général. Il rédigea un mémoire qui s’appuyait en particulier sur le texte de la décision romaine de 1848 et en appela au Conseil d’Etat qu’il réussit à faire revenir sur son avis. A la suite de cette alerte, Poullart des Places fut progressivement reconnu comme le fondateur de la Congrégation du Saint-Esprit. En 1906, le P. Le Floch fit paraître sa biographie. Enfin le Chapitre général de 1919 se rangea unanimement aux conclusions suivantes : “ Le fondateur de la Congrégation est Claude-François Poullart des Places (…) Le Vénérable François-Marie-Paul Libermann en est honoré comme le second fondateur et le père spirituel… ”



[1]. Sources principales pour cette contribution, avec indications d’abréviations supplémentaires :

KOREN, Ecrits ; LECUYER, Ecrits : Rappelons que l’on trouve dans la quatrième partie du présent ouvrage une nouvelle édition critique de la totalité des Ecrits de Poullart des Places, avec des indications marginales renvoyant aux précédentes éditions de Koren et Lécuyer. MICHEL, Poullart des Places. [ THOMAS Pierre], Mémoire sur Poullart des Places, publié dans : KOREN, Ecrits, p. 226-275, cité : THOMAS. Charles BESNARD, S. M. M., La Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort, prêtre, missionnaire apostolique, ouvrage terminé vers 1770, publié à Rome pro manuscripto en 1981, par le Centre international montfortain, sous le titre : Charles BESNARD, Vie de M. Louis-Marie Grignion de Montfort, en deux tomes, xiv-333 p. +  346 p. : le texte du manuscrit initial fait 680 pages dans cette édition dont 34 consacrées à Poullart des Places ou à ses disciples, toutes situées dans le premier volume que nous citerons : Besnard.

Pratique de dévotion et des vertus chrétiennes suivant les Règles des Congrégations de Notre-Dame, Paris, 1654 (Arch.S.J. de Toulouse, CA.109), cité : Pratique.

[2]. Né le 31 janvier 1673, Louis Grignion entra au collège de Rennes, en classe de sixième, en 1685. il fit deux années de philosophie (oct. 1691 à juillet 1693). Il vécut à Paris de 1693 à son ordination sacerdotale, le 5 juin 1700. De Poitiers, il revint une première fois à Paris au cours de l’été 1702; une seconde fois de Pâques 1703 à mars 1704. J. Frissen, historien montfortain, considère comme très probable un voyage à Paris et une visite à Poullart des Places en mai-juin 1709 (Bolletino di storia montfortana, mars 194). La dernière visite du saint au Séminaire du Saint-Esprit eut lieu en août 1713.

[3]. THOMAS, p. 240.

[4]. LECUYER, Ecrits, p. 45, et dans le présent ouvrage p. ***.

[5]. LECUYER, Ecrits, p. 45 et dans le présent ouvrage p. ***.

[6]. LECUYER, Ecrits, p. 36 et dans le présent ouvrage p. ***.

[7]. LECUYER, Ecrits, p. 36 et dans le présent ouvrage p. ***.

[8]. LECUYER, Ecrits, p. 40 et dans le présent ouvrage p. ***.

[9]. LECUYER, Ecrits, p. 17 et dans le présent ouvrage p. ***.

[10]. LECUYER, Ecrits, p. 25 et dans le présent ouvrage p. ***.

[11]. LECUYER, Ecrits, p. 43, 48, 51 et dans le présent ouvrage p. ***, ***, ***.

[12]. LECUYER, Ecrits, p. 34 et dans le présent ouvrage p. ***.

[13] LECUYER, Ecrits, p.35.

[14]. Ses parents réalisèrent leurs aspirations à la noblesse en mariant la soeur de Claude au comte H. Le Chat de Vernée, conseiller au Parlement de Bretagne. Grâce à cette alliance, le nom des Poullart des Places figurera dans la généalogie du duc Maurice de Broglie (1875-1960), physicien célèbre et membre de l’Académie française, et du duc Louis, son frère, prix Nobel de Physique et aussi académicien.

[15]. THOMAS, p. 272.

[16]. Sur Michel le Nobletz, voir : Antoine VERJUS, La Vie de M. Le Nobletz, prêtre et missionnaire…, Nouvelle édition, Lyon, Périsse Frères, 1836, 2 vol. (1ère éd., Paris, 1666) ; Ferdinand RENAUD, Michel Le Nobletz et les Missions Bretonnes, Paris, Les Editions du Cèdre, 1955.

[17]. BESNARD, p. 276.

[18]. Cf. sur l’Aa : Dictionnaire de Spiritualité, art. "Aa", t.I, col.1 et 2 et surtout art. "Congrégations secrètes", de R. Rouquette, t.2, col.1491-1507. R.Rouquette justifie ainsi le secret de l’Aa : “ Si l’on veut susciter une élite d’apôtres à partir, non de la naissance, mais de la valeur spirituelle, le secret, au XVIIe et au XVIIIe siècles, est strictement indispensable (col.1501) ”. Plus tard, Libermann fera lui-même partie de deux associations secrètes, celle des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie (Saint-Sulpice) et celle des Saints-Apôtres (Issy). On lit dans le règlement de la première : “ Le secret le plus inviolable sera gardé sur les opérations de l’Association et sur son existence, soit dans le Séminaire, soit hors du Séminaire ”. Pour nous, spiritains, l’étude des registres de ces deux associations sera d’un grand intérêt.

[19]. Ce manuel , rarissime, a pour titre:Pratique de dévotion et des vertus chrétiennes suivant les Règles des Congrégations de Notre-Dame, Paris, 1654 (Arch.S.J. de Toulouse, CA.109). La plus grande partie des archives de l’Aa sont perdues. Celles de Paris le sont complètement. Celles de Toulouse, considérables, rachetées par hasard chez un brocanteur vers 1919, sont conservées par les jésuites de Toulouse (22, rue des Fleurs). Les confrères de Toulouse avaient l’habitude de recopier sur des registres toutes les lettres envoyées ou reçues. Grâce aux lettres reçues de Paris, il est possible de suivre les activités de l’Aa  de Louis-le-Grand. Il arrive, mais c’est très rare, que le nom d’un confrère soit donné de son vivant. R.Rouquettte, dont l’article est paru en 1969, n’a pu reconnaître Poullart des Places. L’année suivante, Y.Poutet, que ses recherches sur J.B. de la Salle avait amené à rencontrer notre fondateur, reconnut dans l’un des billets de bien d’une lettre de Paris “ un membre éminent de l’Aa dont le secret n’avait pas encore été percé: Claude-François Poullart des Places ” Voir : Poutet (Y.), Le XVIIe siècle et les origines lasalliennes. Recherches sur la genèse de l’œuvre scolaire et religieuse de Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719), Rennes, Imprimeries Réunies, 1970, t.II, p. 364. L’article demandé pour le Dictionnaire de Spiritualité a été l’occasion d’exploiter cette découverte : voir DS, t. XII (Paris, Beauchesne, 1986), article Poullart des Places (Claude-François), col. 2027-2035.

[20]. THOMAS, p. 264.

[21]. THOMAS, p. 270.

[22]. THOMAS, p. 272.

[23]. Claude communiait trois fois par semaine. L’ Aa demandait à ses membres de communier “ tous les huit ou quinze jours selon l’avis de leur père spirituel ”.

[24]. LECUYER, Ecrits, p. 68 et dans le présent ouvrage p. ***.

[25]. LECUYER, Ecrits, p. 56 et dans le présent ouvrage p. ***.

[26]. LECUYER, Ecrits, p. 56 et dans le présent ouvrage p. ***.

[27]. Voici le texte latin de cette prière tel qu’on le trouve dans Pratique, p. 72 : “ Sancta Maria Mater Dei et Virgo, Ego N. te hodie in Dominam, Patronam et Advocatam eligo, firmiterque statuo ac propono, me nunquam te derelicturum, neque contra te aliquid unquam dicturum, aut facturum, neque permissurum ut a meis subditis aliquid contra tuum honorem unquam agatur. Obsecro te igitur, suscipe me in servum perpetuum, adsis mihi in omnibus actionibus meis, nec me deseras in ora mortis. Amen. ”

[28]. LECUYER, Ecrits, p. 58 et dans le présent ouvrage p. ***.

[29]. Pratique, p. 90.

[30]. Pratique, p. 92.

[31]. Pratique, p.93.

[32]. Pratique, p. 95-96.

[33]. Voici le texte du premier : “ Un autre [confrère] entretient et paye la pension d’un pauvre écolier, achète de vieux habits pour habiller d’autres personnes pauvres ; le même fait huit visites au St-Sacrement par jour et communie trois fois par semaine; il va souvent aux hôpitaux; il fait, deux fois la semaine, des instructions à vingt pauvres savoyards et les soulage aussi pour le temporel ; il avertit charitablement les confrères qui ne font pas leur devoir. Il ne boit que de l’eau et mange fort peu et jamais ce qui est à son goût. ” Arch.S.J., Toulouse : Lettres de l’Aa, t I, f°208, C.A.101.

[34]. THOMAS, p. 268.

[35]. THOMAS, p. 268 ; MICHEL, Poullart des Places, p. 99.

[36]. LECUYER, Ecrits, p. 67 et dans le présent ouvrage p. ***.

[37]. BESNARD, p. 277.

[38]. LECUYER, Ecrits, p. 74 et dans le présent ouvrage p. ***.

[39]. BESNARD, p. 282.

[40]. On lit dans une notice ancienne sur sainte Jeanne Delanoue (1666-1736) : “ Elle ne reposait que quelques heures, toute habillée, assise sur une chaise et la tête contre le mur ”.

[41]. MICHEL, p. 88-94.

[42]. Ecrits Spirituels du Vénérable Libermann, Paris, Duret, 1891, p. 193.

[43]. LECUYER,, Ecrits, p. 80, n° 6 et dans le présent ouvrage p. ***.

[44]. THOMAS, p. 272.

[45]. THOMAS, p. 274.

[46]. Regulæ, dans Le Floch, 2e éd., 1915,  p. 586.

[47]. THOMAS, p. 268.

[48]. Gallia christiana, t. 7, Paris, 1744, col. 1043.

[49]. Joseph GRANDET, La Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort, prêtre, missionnaire apostolique, composée par un prêtre du clergé,  Nantes, 1724, p. 563.

[50]. Dans une étude sur "l’oeuvre de Mgr Pallu" parue dans les Echos de la rue du Bac (déc.1984), J. GUENNOU montre que ce séminaire est d’abord l’œuvre de la Compagnie du Saint-Sacrement dont il cite les Annales, au 17 mai 1663 : “Monsieur du Plessis (…) rapporta ce qui s’était fait dans l’établissement du Séminaire des Missions Etrangères, qui était l’oeuvre de l’Assemblée des Missions et qui a été le dernier enfant de la Compagnie.”

[51]. Règlements, n° 3, 4 et 227, dans KOREN, Ecrits, p. 164 et 212, ainsi que dans le présent ouvrage, p. *** et ***.

[52]. F. de Dainville, in Etudes, t. 317, 1962, p. 125.

[53]. Lettre de M. Bouïc, 16 janv. 1727, in Arch CSSp.

[54]. Ce terme, employé seize fois dans les Règlements , était usité, dans la correspondance de l’Aa pour désigner les membres d’une association.

[55]. THOMAS, p. 250.

[56]. Contrairement à une tradition spiritaine fondée sur un registre qui n’est pas original, Bouïc vécut avec Poullart des Places l’année scolaire 1708-1709. Ses dimissoires pour la prêtrise, signées par l’évêque de Saint-Malo le 28 août 1709, l’autorisaient à se faire ordonner par le cardinal de Noailles. Il fut pendant deux ans (1741-1743) le supérieur de Besnard qui écrit : “ Je tiens de celui qui fut supérieur de cette maison après M. Desplaces et qui avait été son élève ”. (BESNARD, p. 280)

[57]. LECUYER, Ecrits, p. 79 et dans le présent ouvrage p. ***.

[58]. Pratique, p. 78-79.

[59]. Pratique, p. 139-140.

[60]. LECUYER, Ecrits, p. 59 et dans le présent ouvrage p. ***.

[61]. Preces diurnæ in Seminario S.Spiritus recitandæ, Paris, 1845.

[62]. MICHEL, p. 300-301.

[63]. LECUYER, Ecrits, p. 57 et dans le présent ouvrage p. ***.

[64]. Pratique, p. 2 et 26.

[65]. BESNARD, p. 315

[66]. BESNARD, p. 338.

[67]. Nova Inquisitio..., 1947, p. 314.

[68]. MICHEL, p. 329-338. Note de la rédaction (1997) : Ce point de vue du P. Joseph MICHEL, comme historien, n'est pas celui des Filles du Saint-Esprit. C'est à Jean Leuduger qu'elles font référence, considérant par ailleurs quavant tout, elles ont une fondatrice.

[69]. Lettre du 27 avril 147 : ND., IX, p. 134.

[70]. ND, X, p. 339.

[71]. Voir : COULON, BRASSEUR, Libermann, p. 661-669.

[72]. MICHEL, p. 304.

[73]. KOREN,.Les Spiritains, p. 397.

Retour Index commentaires
Retour Index Poullart