DU NOUVEAU
sur les sources de la spiritualité
de Poullart des Places
et sur la genèse de son uvre
Joseph Michel
La vocation d'un jeune homme riche
Claude -François Poullart des Places naquit à Rennes, le 26 février 1679. Il était le premier enfant et demeura lunique fils de François-Claude, avocat au Parlement et de Jeanne Le Meneust de la Vieuxville. Avant la réforme de la noblesse bretonne (1668), les Poullart avaient usé de la qualité décuyer et la grande ambition de François-Claude était dintroduire sa lignée dans la noblesse [1].
Très pieux, les parents de Claude lui firent porter lhabit blanc en lhonneur de la Vierge jusquà lâge de sept ans. Ils le confièrent de bonne heure à un précepteur et le mirent, à neuf ans, en classe de sixième au collège des jésuites. En troisième ou en seconde, il se lia damitié avec un voisin, Louis Grignion[2], de six ans son aîné, qui était alors en classe de philosophie.
Il fit une année de rhétorique
sous le P. de Longuemarre et une seconde année, à Caen, sous ce même régent. Il revint
à Rennes avec trois prix, dont celui de rhétorique. Au terme de trois années de
philosophie, il fut choisi pour le Grand Acte fixé
au 25 août 1698. Le Mercure Galant (nov.1698) consacra trois pages à la
soutenance de sa thèse dédiée au Comte de Toulouse, fils de Louis XIV, gouverneur de
Bretagne, et fit grand éloge du jeune philosophe : Sil fut bien attaqué, il
se défendit encore mieux. Ses solutions parurent ingénieuses, et il les donna avec tant
de grâce quil attira ladmiration de tous ceux qui lentendirent .
Claude avait 19 ans et demi. Les inclinations quil avait eues dès son enfance pour létat ecclésiastique lui revenaient souvent [3] Il demanda à ses parents à aller étudier la théologie en Sorbonne, mais voyant sécrouler le rêve de sa vie, son père le convainquit de commencer par faire son droit à Nantes. Pendant trois ans, il garda le silence sur sa vocation. Son père, qui avait une fortune considérable, prétendait lanoblir par lacquisition de la charge de secrétaire du roi et faire de lui un conseiller au Parlement.
Quand, dans la première moitié de 1701, Claude se retire du commerce du monde pour passer huit jours dans la solitude dune retraite, et rédige ses Réflexions sur les vérités de la religion et sinterroge sur le choix dun état de vie, il vit chez ses parents sans exercer de profession, mais assez attentif aux activités de son père pour écrire : Mon père est vieux qui laissera après lui des affaires considérables que peu de gens que moi seraient capables de mettre en ordre [4] .
Quelquefois dévot comme un
anachorète jusquà pousser laustérité au delà de ce quelle est
ordonnée à un homme du monde, dautres fois mou, lâche, tiède pour remplir ses
devoirs de chrétien [5]
, il nest pas en paix : J'ai tout à craindre de l'état où je
suis. Je ne suis point, Seigneur, dans celui où vous me souhaitez [6].(
)
Je sais bien que vous napprouvez pas la vie que je mène, que vous me destinez à
quelque chose de meilleur.[7].(
) Vous tâchez de me persuader que vous
voulez vous servir de moi dans les emplois les plus saints et les plus religieux [8]
Sil suit son inclination pour létat ecclésiastique, ce sera pour convertir des âmes à Dieu [9] . Son zèle éclate en trois paragraphes successifs de ses Réflexions : Je vous ferai connaître à des curs qui ne vous connaissent plus ( )Jannoncerai aux pécheurs ce que votre bonté ma fait entendre ( ) Je les engagerai à prier sincèrement [10] .
Incliné vers le sacerdoce, Claude fait état aussi, à plusieurs reprises, de son inclination pour les pauvres ; [il aime] faire laumône [et] compatit naturellement à la misère dautrui [11] .
Enfin, il vise la sainteté véritable et voit dans lEucharistie le moyen
par excellence dobtenir les grâces nécessaires pour latteindre : Je
ne manquerai donc de ma vie dassister au sacrifice de la messe. Je vous
contraindrai, mon Dieu, en vous offrant cette victime sans tache, à me redonner toutes
les grâces dont jai besoin pour devenir un véritable saint [12] .
Il prévoit que, dans sa marche
vers la sainteté, lobstacle le plus redoutable [sera] lambition, [sa] passion dominante ,
et il demande à Dieu dintervenir : Mon Dieu, humiliez-moi, abaissez mon
orgueil, confondez ma gloire. Que je trouve partout des mortifications, que les hommes me
rebutent et me méprisent. Jy consens, mon Dieu, pourvu que vous maimiez
beaucoup et que je vous sois cher [13] .
A la fin de sa retraite délection, il sait que Dieu lappelle au sacerdoce ; le père jésuite auquel il se confie fait plus que renforcer sa conviction, il lui suggère un moyen efficace de vaincre son ambition : au lieu de faire sa théologie en Sorbonne où il prendrait les grades universitaires qui lui permettraient de briguer de hautes charges dans lEglise, pourquoi ne la ferait-il pas au Collège Louis-le-Grand, doù il sortirait sans licence ni doctorat et avec une doctrine plus sûre ?
A Louis-le-Grand. L'influence de l'Aa
Claude fait sienne la suggestion de son conseiller. En octobre, il est à Louis-le-Grand[14]. Fidèle à ses résolutions de retraite, il nen conserve pas moins, à lextérieur et dans ses manières, un air fort poli selon le monde [15] . Pourtant de profonds changements se préparent. La Vie de Michel Le Nobletz[16] lui est dun grand secours pour mépriser le monde et se mettre en tout au-dessus du respect humain [17] . Surtout il est distingué par les membres de lAssemblée des Amis ou Aa, association secrète de piété constituée dun petit nombre détudiants en théologie qui, à Louis-le-Grand comme dans la plupart des collèges jésuites, anime la congrégation mariale[18]. Après examen de son caractère, de son affection pour les uvres de miséricorde, de son aptitude à garder le secret, il est initié progressivement à lesprit et aux activités de lassociation. Enfin, il est reçu comme confrère au cours dune cérémonie et le manuel de lAa lui est remis [19].
Oraison, confessions et communions
fréquentes, imitation du Christ, tendre piété mariale, pauvreté et simplicité de vie,
fuite des honneurs et des bénéfices, mortifications corporelles sont les moyens de
sanctification des Amis. Claude vit intensément chacun des points de cette spiritualité.
Il consacre plus de deux heures par jour à loraison; il se purifie de plus en plus souvent par le
sacrement de la pénitence [20] . Sil relâcha quelque chose de ces
affreuses mortifications, ce fut par lordre exprès de son directeur[21].
Les Règles de lAa [demandent aux clercs de ne pas porter de] soutanes dun
beau drap ; si elles sont bordées dun ruban de soie, on ne manquera pas de le faire
sauter.. Claude reçoit la tonsure le 15 août 1702 et on le voit tout dun coup quitter
léclat et les manières du siècle pour se revêtir de lhabit et de la
simplicité des ecclésiastiques les plus réformés [22] .
Cétait, écrira-t-il, dans
la participation du corps de Jésus que je puisais ce détachement qui me faisait
mépriser le monde et ses manières [23]. Je me souciais
peu davoir son estime. Je tâchais même quelquefois de lui déplaire en
contrecarrant ses usages [24]
.
Dans les quatre points dun règlement particulier qui en comptait au moins seize, il manifeste cinq fois sa dévotion à Marie. Matin et soir, pour se mettre sous la protection de celle dont il a été autrefois lenfant particulier [25], il récite le Sancta Maria, prière quil a lue lors de sa réception au sein de lAa. Au cours de la journée, [il dit cette même prière] pour demander les lumières du Saint-Esprit et la protection de la Sainte Vierge[26] : Sainte Marie, Mère de Dieu et Vierge, moi, Claude, je vous choisis aujourdhui pour la Souveraine, ma Patronne et mon Avocate. Je prends lengagement de ne jamais vous oublier Je vous en conjure, accueillez-moi comme votre esclave à jamais; assistez-moi dans toutes mes actions et ne mabandonnez pas à lheure de ma mort.[27] .
Sa soif de perfection est telle
que chaque matin, dans une longue et magnifique prière, il demande à Dieu dêtre
prêt de souffrir plutôt la mort de la potence et de la roue, que de consentir à
commettre un seul péché véniel de propos délibéré [28] .
Son zèle apostolique
Le zèle apostolique des Amis sexerce par le catéchisme des enfants des paroisses, la visite des hôpitaux et surtout le prise en charge de leur milieu de vie, chacun sefforçant de convertir un ou plusieurs de ses condisciples. Il se manifeste encore par un grand souci du pauvre considéré comme un membre souffrant du Christ, et par une vive préoccupation de la masse chrétienne qui, pour sortir de sa profonde ignorance religieuse, a besoin, non de bénéficiers oisifs et avides, mais dapôtres selon lEvangile, pauvres et désintéressés. Il trouve son inspiration dans un cycle annuel de méditations contenu dans le manuel de lAa et dont voici quelques extraits.
Lamour de Jésus ne
peut être oisif; il passe du coeur aux mains et de laffection à laction.
Autrement il nest pas amour [29]. (
) Il
nest point de preuve plus grande de lamour que nous avons pour Dieu et pour
Jésus que celui que nous avons pour le prochain, lequel, par une substitution glorieuse
de Jésus mourant, a pris sa place sur la terre, pour être lobjet le plus proche et
le plus immédiat de nos affections [30] (
) Et comme entre nos
frères, les plus misérables sont les plus chéris de notre père et de notre bonne
mère, ils seront aussi ceux qui seront les objets de notre affection: les pauvres, les
malades, les affligés, auxquels se joindraient les pécheurs [31]
(
) Les plus misérables sont les pécheurs qui sont dans la disgrâce de Dieu;
aussi sont-ils ceux quil faut regarder avec le plus de compassion et soulager avec
plus de soins ... Que lexemple de Jésus-Christ dont la naissance, la vie, la mort,
les pensées, les désirs, les prières, les larmes, les sueurs et le sang nont
regardé que le salut des pécheurs, est un puissant motif. (
) Travaillons donc
sérieusement, à lexemple de Jésus-Christ, à leur conversion et à leur salut et
souvenons-nous que nous sommes les enfants dune mère qui est le refuge et
lasile des pécheurs [32] .
Périodiquement, le substitut ou secrétaire dune Aa fait part aux autres assemblées des faits édifiants de la vie spirituelle et apostolique de ses confrères. Les billets de bien, qui constituent lessentiel de ces échanges épistolaires, sont anonymes. Ils sont remis, une ou deux fois par an, au directeur jésuite de lAssemblée qui les recopie, en les modifiant parfois quelque peu, avant de les remettre au substitut.
De 1701 à 1709, une seule lettre, datée du 20 mars 1703, fut envoyée de Paris aux Aa de province. Deux billets de bien contenus reproduits dans cette lettre, lun de 1702, lautre de 1703, concernent incontestablement Poullart des Places. Pour suivre lévolution spirituelle de notre fondateur et saisir la genèse de son oeuvre, nous disposions de ses propres écrits, du mémoire de Pierre Thomas, du témoignage de Besnard dans sa biographie de Grignion de Montfort et dune lettre de J.-B. Faulconnier : ces deux billets confirment, précisent, complètent et éclairent notablement ce que nous savions déjà [33].
Claude a, dès 1702, une affection particulière pour les oeuvres les plus obscures et les plus abandonnées[34]. Il fait deux fois par semaine le catéchisme à vingt petits savoyards quil soulage aussi pour le temporel. Il va souvent aux hôpitaux. Il entretient et paye la pension de Faulconnier, pauvre écolier denviron 16 ans, quil envoie de côté et dautre porter de vieux habits à des pauvres honteux. Sur ce que le collège lui fournit pour la nourriture, il retranche ce quil y a de meilleur et lenvoie à des malades ou à des pauvres; il se traite lui-même moins bien que le dernier dentre eux. Faulconnier le voit manger des haricots si vieux fricassés quil y a par-dessus deux doigts de moisi[35]!
Fondation du Séminaire du Saint-Esprit
Dans son milieu de vie, outre
Faulconnier, Claude se tourne vers dautres pauvres écoliers qui logent en ville
dans des conditions aussi défavorables à leur études quà leur vertu. Il ne voit
encore dans cet apostolat quun exercice de charité; les missions lointaines,
pense-t-il, sont sa vocation et il ambitionne le martyre[36]. Bientôt cependant, son zèle
lui inspire le moyen de multiplier son action en faveur des pécheurs, les plus misérables et les plus abandonnés de
tous les pauvres. Il sent que Dieu veut se servir de lui pour peupler son
sanctuaire de maîtres et de guides; il comprend que pour y réussir, il ne peut faire
mieux que de continuer à aider des pauvres écoliers à subsister et à les mettre en
état de poursuivre leurs études. (
) Il conçoit le dessein de les rassembler dans
une chambre où il irait, temps en temps, leur faire des instructions et veiller sur eux
autant que sa demeure au collège le lui
permettrait [37].
Il ne sagit encore que de quatre à cinq pauvres écoliers [38].
Approuvé par son directeur, encouragé par les promesses du principal du collège de lui
accorder une partie de la desserte des pensionnaires, il loue un local à proximité de
Louis-le-Grand.
Il en est là quand Grignion de Montfort, au cours de lété 1702, vient le voir et linvite à sunir à lui pour être le fondement de sa Compagnie de Marie. Après avoir informé son ami de ce quil considère maintenant comme sa véritable vocation, Claude lui fait cette promesse : Si Dieu me fait la grâce de réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires; je vous les préparerai et vous les mettrez en exercice [39] .
La réalisation de son projet est
rapide. Dans sa lettre du 17 mars 1703, le substitut de lAa parisienne recopie le
billet que vient de lui remettre le père directeur : Un autre [confrère] a
quitté un bénéfice de quatre mil livres, et une charge de conseiller au Parlement que
ses parents lui voulaient donner pour être directeur dun Séminaire, où il
naura que beaucoup de peines et de fatigues; le même ne dort tous les jours que
trois heures sur une chaise[40] et emploie le reste de son
temps à la prière ; le même, par mortification, ne mange jamais que dune sorte de
viande et ne boit que de leau ; le même fait de grosses aumônes et ne donne jamais
moins dun demi louis.
Lun des intérêts de ce texte est de nous préciser quau début du carême 1703, Poullart des Places, directeur dun séminaire, vit déjà au Gros-Chapelet, rue des Cordiers, au milieu de ses pauvres écoliers. Il attend les fêtes de la Pentecôte pour consacrer son uvre au Saint-Esprit sous linvocation de la Sainte Vierge conçue sans péché.
La petite communauté de la rue des Cordiers connaît une rapide extension. Toutes les chambres du Gros-Chapelet lui sont bientôt réservées et elle déborde bientôt sur la maison voisine, la célèbre Rose-Blanche qui, au milieu du siècle précédent, avait été le berceau de cette première Aa parisienne qui fut lorigine des Missions Etrangères.
Au début de 1704, après 18 mois dun état très prononcé doraison affective, Mr Desplaces - Claude se fait ainsi appeler à Paris - entre dans une douloureuse épreuve spirituelle qui va durer toute lannée . Dans ses Réflections sur le passé, rédigées au cours dune retraite quil fait pendant les vacances de Noël, il dresse un saisissant contraste entre sa ferveur passée et la sécheresse présente de son âme quil prend pour de la tiédeur. Il réalise quil ne peut diriger seul, tout en poursuivant ses études, une communauté en plein accroissement. Il fait donc appel à Michel-Vincent Le Barbier, un ami denfance, prêtre depuis septembre, qui vient lassister aussitôt. Lui-même, encore simple tonsuré, ne recevra la prêtrise que le 17 décembre 1707. A la fin de 1705, il établit sa communauté, qui compte déjà plus de cinquante séminaristes, dans une grande maison de la rue Neuve-Saint-Etienne (rue Rollin) qui lui permettra den recevoir 70.
L'influence déterminante de l'Aa
LAa, par sa spiritualité,
qui joint intimement sainteté et apostolat, a transformé Poullart des Places. A Rennes,
il avait une grande inclination pour les pauvres, mais il nenvisageait pas de leur
consacrer sa vie, dembrasser lui-même la pauvreté au point de se faire pauvre avec
les pauvres. La docilité à son conseiller spirituel la conduit à Louis-le-Grand.
Il y a été aussitôt distingué par des membres de lAa qui, après examen de son
caractère, de son affection pour les uvres
de miséricorde, de son aptitude à garder le secret, ont décidé de lui faire
connaître leur association et de le coopter comme confrère. Entre lAa et lui, il y
a harmonie préétablie. Dès sa réception, cest lenvolée spirituelle et
Dieu lui fait bientôt la grâce dentrer dans loraison affective [41].
Cest Libermann qui, en quelques lignes, donnera lexplication de
létonnante audace que, simple tonsuré, il manifeste dans la fondation de son
séminaire de pauvres écoliers : Les choses les plus difficiles ne coûtent rien
à une âme qui est vraiment dans loraison daffection. On entreprend tout, on
est capable de tout, on ne délibère point, quelle puisse être le peine et la
difficulté que lon rencontre [42] .
L'originalité de la nouvelle fondation
La fondation de Poullart des Places nest pas une uvre de plus parmi les communautés de pauvres écoliers. Son originalité résulte dune conception densemble qui, par ses exigences quant à la pauvreté des écoliers, la gratuité et la durée de leurs études, en fait la meilleure réalisation en France des orientations du Concile de Trente quant à la formation des clercs.
1) Une mystique de pauvreté. - Les Règlements du séminaire sont catégoriques : On ne pourra, sous quelque prétexte que ce puisse être, y admettre des gens en état de payer ailleurs leur pension [43] . Recruté parmi les pauvres, tout candidat sait quil suivra les cours des jésuites et renonce donc, dès labord, aux grades universitaires et à lespoir de bénéfices lucratifs. Dans lidéal sacerdotal de Poullart des Places, la vertu de pauvreté apparaît avec un relief particulier. Il sait persuader ses écoliers que le désintéressement est le commencement de la perfection dune âme qui veut suivre Jésus-Christ . Sa vie est en conformité avec ses exhortations : à peine tonsuré, il refuse un bénéfice de 4 000 livres, à la grande déception de son père qui napprouvait pas que son fils eût pris la vertu (de pauvreté) sur un si haut ton [44] . En 1706, il refuse trois bénéfices résignés en sa faveur en cour de Rome et naccepte dautre titre clérical que les soixante livres de rente exigées par les règlements canoniques. Sans tricherie, il sest fait lun de ses écoliers, partageant leur nourriture, pratiquant leur règlement, lavant la vaisselle et décrottant les souliers [45]. Son ambition est délever ses écoliers dans une telle mystique de pauvreté quen sortant de la maison ils soient prêts à tout: à servir dans les hôpitaux, à évangéliser les pauvres et même les païens; non seulement à accepter mais à embrasser de tout coeur et à préférer aux autres les postes les plus humbles et les plus laborieux pour lesquels on trouve difficilement des titulaires [46] .
2) Science et vertu. - Depuis son enfance, plus encore depuis quil fait partie de lAa, Poullart des Places a le souci des pauvres. Convaincu que leurs âmes nétaient pas moins chères à Jésus-Christ que celles des plus grands seigneurs et quil y avait autant et plus de fruits à en espérer [47] , il entend leur préparer des prêtres à la fois vertueux et savants. Parmi les pauvres écoliers qui se présentent à lui, il choisit, après les avoir fait composer, ceux quil juge les plus capables dacquérir science et vertu. Il avait coutume de dire que, sil redoutait le zèle aveugle dun prêtre pieux mais ignorant, il avait des craintes pour la foi et la soumission à lEglise dun prêtre savant mais dénué de vertu [48] . Les étudiants admis dès le début de leurs études cléricales sont assurés dêtre gratuitement logés, nourris, parfois même habillés, pendant six ans au minimum, neuf ans au maximum; libérés de tout souci matériel, ils suivent les même cours que les scolastiques de la Compagnie de Jésus, sont soigneusement formés au catéchisme et à la prédication. LAa recommandant à ses membres dêtre attachés aux jésuites, de fuir les opinions nouvelles et de soutenir linfaillibilité du pape, Poullart des Places transmet ces recommandations à ses disciples; selon le mot du sulpicien Grandet, son contemporain, il les élève selon les principes de la plus saine doctrine catholique et romaine [49] .
R. Rouquette a terminé son étude sur lAa en soulignant quelle fut lun des grands instruments de la réforme et de la sanctification du clergé sous lancien régime . Sil avait connu lappartenance de Poullart des Places à cette association, il naurait pas manqué de signaler limportance particulière de son uvre, toute imprégnée de lesprit de lAa qui forma tant de directeurs pour les séminaires de France, dExtrême-Orient et même du Canada.
3) Dans la mouvance des jésuites. - Avec celui des Missions Etrangères, le Séminaire du Saint-Esprit est lun des plus beaux fleurons de lAa, mais sa dépendance des jésuites est beaucoup plus étroite [50]. Sans leur autorisation, il naurait pas vu le jour, sans leur appui, il naurait pas duré. Ses étudiants ne peuvent choisir dautres confesseurs que les jésuites : leurs retraites sont prêchées par un jésuite; ils se nourrissent même en partie de la desserte de la cuisine de Louis-le-Grand[51]. La Compagnie appuie le fondateur, car cette longue et solide formation théologique et spirituelle quil assure à ces pauvres clercs est une adaptation au clergé séculier dune pensée très ignatienne [52]. Autre motif de satisfaction pour les professeurs de théologie de Louis-le-Grand: le nombre de leurs scolastiques théologiens (45 en 1705) est rapidement doublé par celui des spiritains.
Ce qui réjouit les jésuites irrite les jansénistes : soulignant la dépendance intellectuelle, spirituelle et alimentaire des Placistes à légard de Louis-le-Grand, ils essaient de les ridiculiser en les traitant de nourrissons des jésuites Au cardinal de Noailles qui tente de les détourner du collège des jésuites, Poullart des Places expose avec tant de convictions les risques de la fréquentation de lUniversité pour son idéal de dévouement désintéressé que le cardinal goûte les raisons de ne sy astreindre pas [53] .
En 1767, après lexpulsion des jésuites, le Parlement de Paris voudra contraindre les successeurs de Poullart des Places à envoyer leurs élèves aux cours de la Sorbonne. Chr. de Beaumont, deuxième successeur du cardinal de Noailles, reprendra à son compte largumentation du fondateur ; de nouveau le plaidoyer sera efficace et, seuls de tous les séminaristes parisiens, ceux du Saint-Esprit ne suivront pas dautres cours que ceux de leurs directeurs.
4) Une maison de charité berceau dune congrégation. - Dès mars 1703 la correspondance secrète de lAa a désigné Poullart des Places comme directeur dun séminaire. Dans les actes officiels, lui-même ne prend jamais dautre titre que celui decclésiastique. Dans ses Règlements généraux et particuliers, il ne parle jamais de séminaristes ou de communauté, mais de maison décoliers, de particuliers [54] et aussi dun tailleur et dun cuisinier que leur genre de vie assimile manifestement à des religieux. Légalement, son uvre nest quune uvre de charité, cela pour la soustraire à lédit de 1666, qui interdit rigoureusement létablissement de toute nouvelle communauté sans lobtention préalable de lettres patentes, et au statut de séminaire canonique qui donne aux évêques, souvent jansénistes, le droit dagréger ou dexpulser, quand bon leur semble, toute personne chargée de la direction des séminaristes. Pourtant létude des plus anciens documents qui nous sont parvenus confirme que Poullart des Places nest pas seulement le fondateur dun séminaire, mais aussi celui dune nouvelle société religieuse, père et chef dune famille sacerdotale [55]
En 1731, des lettres patentes seront accordées à la Communauté et Séminaire du Saint-Esprit, institut de droit diocésain formé par ses directeurs. Les Règles et Constitutions que ceux-ci présenteront au Parlement et qui sinspireront, en des points essentiels, des Constitutions des jésuites, seront suivies de cette déclaration solennelle : Nous supplions dans le Seigneur nos frères et nos successeurs de garder avec soin ces pieux usages que, pour la plupart, nous avons reçus de Claude-François Poullart des Places, prêtre, notre fondateur .
Pour gouverner sa maison, Poullart des Places sétait associé Michel-Vincent Le Barbier (1705), premier prêtre spiritain et Jacques Hyacinthe Garnier arrivé sous-diacre en 1705, prêtre en 1707. Louis Bouïc, ordonné diacre en Bretagne en septembre 1708, était arrivé à Paris quelques semaines plus tard. Le Séminaire du Saint-Esprit, qui ne vivait que daumônes, fut tragiquement touché par lhiver 1709 et plus encore par la disette qui le suivit. Le Barbier quitta ses fonctions en juin et mourut en Bretagne onze mois plus tard ; Poullart des Places décéda lui-même le 2 octobre 1709 et Garnier, son successeur, en mars 1710. Prêtre depuis septembre 1709, Bouïc fut élu supérieur [56]; avec Pierre Thomas, le biographe du fondateur et Caris le pauvre prêtre, il gouverna le Séminaire et la Congrégation pendant plus dun demi-siècle.
5) Sous le signe du Saint-Esprit et de lImmaculée Conception. - Tous les écoliers adoreront particulièrement le Saint-Esprit auquel ils ont été spécialement dévoués. Ils auront aussi une singulière dévotion à la Sainte Vierge, sous la protection de laquelle on les a offerts au Saint-Esprit. Ils choisiront les fêtes de la Pentecôte et de lImmaculée Conception pour leurs fêtes principales. Ils célébreront la première pour obtenir du Saint-Esprit le feu de lamour divin, et la seconde pour obtenir de la très Sainte Vierge une pureté angélique: deux vertus qui doivent faire tout le fondement de leur piété [57] .
On reconnaît aisément, dans les méditations de lAa, linspiration immédiate de cette double dédicace au Saint-Esprit et à la Vierge Immaculée.
Le jour de la Pentecôte et toute la semaine, jouvrirai mon coeur au Saint-Esprit afin quil le remplisse, quil le possède intimement, et quil soit lesprit de mon esprit et le coeur de mon coeur. Je le lui présenterai afin quil le consume, comme une victime, des flammes de son amour. ( ) La pratique doit être de maccoutumer à considérer lEsprit de Dieu habitant intimement dans moi-même ; que cet esprit damour qui ne demande autre chose que dallumer dans mon coeur les flammes dont il brûle le Père et le Fils, et ainsi lui abandonner son âme et son coeur entièrement, afin quil ne respire plus que de lamour de Dieu. ( ) Conjurer le Saint-Esprit, qui a préparé lâme et le corps de la Vierge pour recevoir le Verbe divin, quil dispose mon âme par la charité, mon corps par la pureté, à cette union ineffable que son amour recherche dans lEucharistie.[58] .
La méditation pour la fête de la Conception développe ces considérations sur la pureté.
La conception immaculée de
la Vierge est principalement considérable par les avantages de la pureté dans laquelle
elle a été conçue. Pureté de son âme par une exemption entière de toute sorte de
péché. Pureté de son corps par une ruine totale de ces flammes impures qui allument la
rébellion de la chair contre lesprit et se sert de lesprit contre Dieu. Elle
devait avoir lune et lautre pour être digne Mère de Dieu et concevoir un
Fils qui est la pureté même. Il nous faut donc travailler à acquérir lune et
lautre pour être fils de Marie et recevoir Jésus-Christ.[59]
.
Cette offrande de ses disciples que Poullart des Places a faite au Saint-Esprit par lintermédiaire de Marie correspond à un trait caractéristique de sa piété. Dans une de ses prières[60], il sadresse à Dieu par le sang du Christ ( ) que je supplie la Ste Vierge de vous offrir avec nos coeurs .
Deux fois lan, à la
Pentecôte et le 8 décembre - et cela jusquen 1848 - les spiritains, au cours
dune cérémonie solennelle de Rénovation,
reprendront linspiration et probablement le texte même de leur fondateur :
Sainte Marie (
) aidez-moi, votre petit serviteur, à me dédier, me consacrer et me
dévouer à lEsprit-Saint, votre céleste Epoux (
) Ma bonne Mère,
écoutez-moi; Esprit tout-puissant, écoutez ma bonne mère et, par son intercession,
daignez éclairer mon esprit de votre lumière et embraser mon cur du feu de votre
amour [61]
La double dévotion des spiritains
informera leur spiritualité. Leurs prières seront celles dune communauté vouée
à lEsprit-Saint et à la Vierge conçue sans péché : Office du Saint-Esprit et
des prières mariales dont le Per sanctam si
cher à Poullart des Places : Par votre très sainte virginité et votre Immaculée
conception, ô très pure Vierge Marie, purifiez
mon corps et mes sens .
Elle sera aussi le fondement de la pauvreté spiritaine. Allenou de la Ville-Angevin, disciple immédiat de Poullart des Places, dira à ses Filles du Saint-Esprit : 7 Les Filles qui se sanctifient dans cette maison se souviendront quen prenant le Saint-Esprit pour père et la Très Sainte Vierge pour mère, elles doivent renoncer à toutes possessions . Nicolas Warnet, qui deviendra le septième successeur le Poullart des Places, dira, au cours de la cérémonie de Rénovation de la Pentecôte 1839 : Dépouillés de tout, nous sommes assez riches : lamour du Saint-Esprit, voilà notre trésor. Il faut donc tout déposer aux pieds de Marie, comme les premiers chrétiens déposaient leurs biens aux pieds des Apôtres; autrement, nous mentirions au Saint-Esprit .
Le zèle apostolique na pas
dautre source : Nous nous engageons à rechercher lhonneur de
lEsprit-Saint dabord au-dedans de nous, par un esprit de docilité
parfaite.(
) Il faut se laisser gouverner par le Saint-Esprit, ne suivre que ses
impressions. (
) Alors nous serons disposés à remplir un autre devoir : enfants de
Marie et du Saint-Esprit, nous nous appliquerons par nos discours et par nos exemples, à
les faire aimer et servir. (
) Cest ainsi que nous marcherons sur les traces de
nos pères, assurés que cest le chemin le plus sûr de faire ce qui est agréable
au Saint-Esprit [62]
Depuis
son enfance, Claude sest considéré comme lenfant
particulier de la Sainte Vierge [63]. Son agrégation à
lAa a donné une nouvelle et puissante impulsion à sa piété envers elle. Il a lu,
médité et mis en pratique le manuel de lassociation, où il a trouvé des passages
comme ceux-ci : Nous la reconnaissons comme Notre-Dame, notre patronne et avocate
auprès de son Fils et la conjurons de nous recevoir au nombre de ses serviteurs pendant
le cours de notre vie et à lheure de notre mort .
Comme tout confrère, il proteste quil ne prétend jamais avoir aucun accès auprès de son Fils, qui est notre médiateur envers son Père, que par son entremise .
Il honore les privilèges de Notre-Dame dont le premier est la singulière prédestination par laquelle le Père Eternel la choisie pour sa chère Fille, pour la digne Mère de son Fils et pour lEpouse du Saint-Esprit, et dont le second est son Immaculée Conception .
Il prie le Saint-Esprit qui, par
un autre privilège, au jour de la Pentecôte, se communique particulièrement à
elle comme à son unique et fidèle Epouse et comme la mère de toute lEglise [64].
Devenir et influence de l'uvre de Poullart des Places
1) Sur l'amorce d'une collaboration avec Jean-Baptiste de La Salle, nous renvoyons à l'étude du Fr. Yves Poutet (dont larticle est intégralement reproduit dans ce livre), comme le fait le P. Michel lui-même.
2) Orientation vers les missions. - A partir de 1732, lapostolat dans les pays doutre-mer prend une part croissante dans lorientation apostolique des élèves du Séminaire du Saint-Esprit (appelés spiritains). Vers 1750, quatre des vicaires apostoliques relevant du Séminaire des Missions Etrangères de Paris y ont été formés. Dautres spiritains, recrutés par labbé de lIsle-Dieu, aumônier général des missions de la Nouvelle-France, enseignent la théologie au Séminaire de Québec ; dautres encore sont missionnaires en Acadie ou parmi les Indiens Micmac.
La valeur et le dévouement de ces spiritains du Canada inspirent à labbé de lIsle-Dieu une telle estime pour le séminaire qui les a formés quil sefforce de lui faire confier le soin de fournir le clergé des colonies françaises des Antilles et de la Guyane. Son projet naboutit que partiellement : le supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit devient directement responsable de la préfecture apostolique de Saint-Pierre et Miquelon érigée en 1765 et, dix ans plus tard, de la colonie de Cayenne. En 1778, pour la première fois, deux membres de la congrégation, Déglicourt et Bertout, quittent leur chaire de professeur et sembarquent pour la Guyane. Lannée suivante, Déglicourt est nommé préfet apostolique de la Côte dAfrique. Lorsquelle sera dissoute par la Convention, la Congrégation du Saint-Esprit aura formé au moins 1 300 prêtres ; environ six ou sept pour cent dentre eux auront passé les mers.
3) Le Séminaire du Saint-Esprit, séminaire de la Compagnie de Marie. En 1713, Grignion de Montfort avait bien composé la Règle de la Compagnie de Marie, mais il navait encore aucun associé. Au mois daoût, il vint conférer avec les directeurs du Séminaire du Saint-Esprit et leur donna lecture du règlement quil avait fait pour ceux de leurs élèves et autres qui voudraient se joindre à lui [65] . Bouïc et ses confrères promirent de lui former des missionnaires et il quitta Paris ayant terminé la grande affaire pour laquelle il était venu, savoir son union avec Messieurs du Saint-Esprit pour avoir des missionnaires [66] . Suite inattendue de cette sainte association, en 1716, année de sa mort, Montfort fera suivre plusieurs de ses signatures de la mention prêtre missionnaire de la Compagnie du Saint-Esprit.. De ce fait qui a intrigué ses biographes, la Section historique de la S. Congrégation des Rites a conclu que quando morí, la sua Compagnia ( ) aveva ( ) una certa affigliazione al Seminario dello Spirito Santo, che doveva assicurarne i sujetti [67] .
La nature de lunion entre le P. de Montfort et les fils de M. des Places peut être discutée; il nen est pas de même de son importance. Sans cette union, la Compagnie de Marie naurait pas vécu.
Tout au long du XVIIIe siècle, les Montfortains ne seront guère connus que sous le nom de prêtres missionnaires de la Compagnie du Saint-Esprit; ; cest sous cette même appellation quils obtiendront des lettres patentes en 1765. Au moins les deux tiers dentre eux viendront du Séminaire du Saint-Esprit, où même des prêtres formés dans des séminaires diocésains seront invités à compléter leur formation pendant deux ans. Pendant plus dun demi-siècle, montfortains et Filles de la Sagesse seront gouvernés par des spiritains. Le recrutement géographique des montfortains sera celui du Séminaire du Saint-Esprit : ces missionnaires qui joueront un si grand rôle en Vendée pendant le Révolution ne seront ni Angevins ni Poitevins, mais Jurassiens, Provençaux et surtout Picards.
4) Du Séminaire du Saint-Esprit aux Filles du Saint-Esprit. Du vivant de Poullart des Places, René Allenou de la Ville-Angevin, du diocèse de Saint-Brieuc (1687-1753) fut élève au Séminaire du Saint-Esprit où il exerça les fonctions de répétiteur en philosophie, puis en théologie. Revenu en Bretagne en 1712, nommé deux ans plus tard recteur de Plérin, il trouvera dans sa petite paroisse trois pieuses filles qui, sans vivre en commun, dirigeaient une petite école, faisaient le catéchisme, se dévouaient aux pauvres et aux malades. De ce petit noyau, il fera sortir une congrégation dédiée au Saint-Esprit sous linvocation de lImmaculée Vierge Marie conçue sans péché. Selon le plus ancien récit de cette fondation, il forma un règlement sur le modèle de celui qui sobservait au Séminaire du Saint-Esprit . Entre les Règlements généraux et particuliers des deux fondateurs, la parenté est éclatante, mais tandis que celui de Poullart des Places est rédigé avec une extrême sobriété, celui de son disciple sinspire à la fois du texte et des commentaires spirituels de son ancien supérieur. Allenou de la Ville-Angevin partira au Canada en 1741 et y mourra. Plus que Jean Leuduger, cest lui le fondateur des Filles du Saint-Esprit [68] . En 1963, sa congrégation comptera plus de 3 500 religieuses.
5) Libermann, dixième successeur de Poullart des Places. Dans le dernier quart du XVIIIe siècle, la congrégation de Poullart des Places sétait préparée de loin, par son orientation vers les âmes abandonnées de la race noire, à accueillir en son sein, à lheure de la Providence, luvre des Noirs de Libermann.
Après la Révolution, elle se
sera autorisée à se reconstituer quen vue de fournir des prêtres aux colonies
françaises. Compte tenu de la situation du clergé français, cette tâche était si
pleine de difficultés quelle sera considérée par Libermann comme une véritable corvée [69]. En 1839, celui-ci fonda
la Société du Saint-Cur de Marie. Les missionnaires quil envoya dans les
colonies y trouvèrent des spiritains comme Monnet, le
père de Bourbon
Lunion des deux sociétés lui paraissait dans lordre de la volonté de
Dieu. Elles se proposent la même oeuvre, marchent dans la même ligne; or il nest
pas dans lordre de la divine Providence de susciter deux sociétés pour une oeuvre
spéciale si une seule peut suffire [70] .
Le 11 juin 1848, le principe de lunion fut accepté de part et dautre ; le 4 septembre, le Saint-Siège lapprouva en précisant quelle devait se faire de telle sorte que la Société du Saint-Cur de Marie cessant dexister, ses membres soient incorporés à la Société du Saint-Esprit. Le 23 novembre, par dix voix sur onze votants, Libermann devint le dixième successeur de Poullart des Places.
Dans ses écrits, il ne parle du fondateur de la Congrégation du Saint-Esprit quune seule fois, en des termes succincts mais justes, au début de la Notice sur la Congrégation composée avec grand soin à lusage du P. Le Vavasseur, à la Pentecôte 1850 [71]. Libermann retoucha, dans une ligne toute spiritaine, lacte de consécration quil avait rédigé huit ans plus tôt pour la Société du Saint-Cur de Marie[72]. Il mourut quatre ans après la décision romaine. Il eut pour successeur Ignace Schwindenhammer. Celui-ci et son entourage forgèrent le mythe dune société nouvelle issue dune fusion des deux sociétés et dont Libermann aurait été le premier supérieur général [73] .
En 1901, lors de la persécution combiste contre les congrégations, Mgr. Alexandre. Le Roy, supérieur général, fut informé que, de lavis du Conseil dEtat, lAssociation du Saint-Esprit a cessé dexister et que celle du Saint-Cur de Marie, qui a pris son nom, nest pas une congrégation religieuse légalement autorisée . Létude des archives spiritaines lui fit découvrir quil nétait pas, comme il lavait cru, le cinquième, mais le quinzième Supérieur général. Il rédigea un mémoire qui sappuyait en particulier sur le texte de la décision romaine de 1848 et en appela au Conseil dEtat quil réussit à faire revenir sur son avis. A la suite de cette alerte, Poullart des Places fut progressivement reconnu comme le fondateur de la Congrégation du Saint-Esprit. En 1906, le P. Le Floch fit paraître sa biographie. Enfin le Chapitre général de 1919 se rangea unanimement aux conclusions suivantes : Le fondateur de la Congrégation est Claude-François Poullart des Places ( ) Le Vénérable François-Marie-Paul Libermann en est honoré comme le second fondateur et le père spirituel
[1]. Sources principales pour cette
contribution, avec indications dabréviations supplémentaires :
KOREN, Ecrits ; LECUYER, Ecrits : Rappelons que lon trouve dans la
quatrième partie du présent ouvrage une nouvelle édition critique de la totalité des Ecrits de Poullart des Places, avec des indications
marginales renvoyant aux précédentes éditions de Koren et Lécuyer. MICHEL, Poullart des Places. [ THOMAS Pierre], Mémoire sur Poullart des Places, publié dans :
KOREN, Ecrits, p. 226-275, cité : THOMAS.
Charles BESNARD, S. M. M., La Vie de Messire
Louis-Marie Grignion de Montfort, prêtre, missionnaire apostolique, ouvrage terminé
vers 1770, publié à Rome pro manuscripto en
1981, par le Centre international montfortain, sous le titre : Charles BESNARD, Vie de M. Louis-Marie Grignion de Montfort, en deux
tomes, xiv-333 p. + 346 p. : le texte du manuscrit initial fait 680
pages dans cette édition dont 34 consacrées à Poullart des Places ou à ses disciples,
toutes situées dans le premier volume que nous citerons : Besnard.
Pratique de dévotion et des vertus chrétiennes suivant les Règles des Congrégations de Notre-Dame, Paris, 1654 (Arch.S.J. de Toulouse, CA.109), cité : Pratique.
[2]. Né le 31 janvier 1673, Louis Grignion entra au collège de Rennes, en classe de sixième, en 1685. il fit deux années de philosophie (oct. 1691 à juillet 1693). Il vécut à Paris de 1693 à son ordination sacerdotale, le 5 juin 1700. De Poitiers, il revint une première fois à Paris au cours de lété 1702; une seconde fois de Pâques 1703 à mars 1704. J. Frissen, historien montfortain, considère comme très probable un voyage à Paris et une visite à Poullart des Places en mai-juin 1709 (Bolletino di storia montfortana, mars 194). La dernière visite du saint au Séminaire du Saint-Esprit eut lieu en août 1713.
[3]. THOMAS, p. 240.
[4]. LECUYER, Ecrits, p. 45, et dans le présent ouvrage p. ***.
[5]. LECUYER, Ecrits, p. 45 et dans le présent ouvrage p. ***.
[6]. LECUYER, Ecrits, p. 36 et dans le présent ouvrage p. ***.
[7]. LECUYER, Ecrits, p. 36 et dans le présent ouvrage p. ***.
[8]. LECUYER, Ecrits, p. 40 et dans le présent ouvrage p. ***.
[9]. LECUYER, Ecrits, p. 17 et dans le présent ouvrage p. ***.
[10]. LECUYER, Ecrits, p. 25 et dans le présent ouvrage p. ***.
[11]. LECUYER, Ecrits, p. 43, 48, 51 et dans le présent ouvrage p. ***, ***, ***.
[12]. LECUYER, Ecrits, p. 34 et dans le présent ouvrage p. ***.
[13] LECUYER, Ecrits, p.35.
[14]. Ses parents réalisèrent leurs aspirations à la noblesse en mariant la soeur de Claude au comte H. Le Chat de Vernée, conseiller au Parlement de Bretagne. Grâce à cette alliance, le nom des Poullart des Places figurera dans la généalogie du duc Maurice de Broglie (1875-1960), physicien célèbre et membre de lAcadémie française, et du duc Louis, son frère, prix Nobel de Physique et aussi académicien.
[15]. THOMAS, p. 272.
[16]. Sur Michel le Nobletz, voir : Antoine VERJUS, La Vie de M. Le Nobletz, prêtre et missionnaire , Nouvelle édition, Lyon, Périsse Frères, 1836, 2 vol. (1ère éd., Paris, 1666) ; Ferdinand RENAUD, Michel Le Nobletz et les Missions Bretonnes, Paris, Les Editions du Cèdre, 1955.
[17]. BESNARD, p. 276.
[18]. Cf. sur lAa : Dictionnaire de Spiritualité, art. "Aa", t.I, col.1 et 2 et surtout art. "Congrégations secrètes", de R. Rouquette, t.2, col.1491-1507. R.Rouquette justifie ainsi le secret de lAa : Si lon veut susciter une élite dapôtres à partir, non de la naissance, mais de la valeur spirituelle, le secret, au XVIIe et au XVIIIe siècles, est strictement indispensable (col.1501) . Plus tard, Libermann fera lui-même partie de deux associations secrètes, celle des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie (Saint-Sulpice) et celle des Saints-Apôtres (Issy). On lit dans le règlement de la première : Le secret le plus inviolable sera gardé sur les opérations de lAssociation et sur son existence, soit dans le Séminaire, soit hors du Séminaire . Pour nous, spiritains, létude des registres de ces deux associations sera dun grand intérêt.
[19]. Ce manuel , rarissime, a pour titre:Pratique de dévotion et des vertus chrétiennes suivant les Règles des Congrégations de Notre-Dame, Paris, 1654 (Arch.S.J. de Toulouse, CA.109). La plus grande partie des archives de lAa sont perdues. Celles de Paris le sont complètement. Celles de Toulouse, considérables, rachetées par hasard chez un brocanteur vers 1919, sont conservées par les jésuites de Toulouse (22, rue des Fleurs). Les confrères de Toulouse avaient lhabitude de recopier sur des registres toutes les lettres envoyées ou reçues. Grâce aux lettres reçues de Paris, il est possible de suivre les activités de lAa de Louis-le-Grand. Il arrive, mais cest très rare, que le nom dun confrère soit donné de son vivant. R.Rouquettte, dont larticle est paru en 1969, na pu reconnaître Poullart des Places. Lannée suivante, Y.Poutet, que ses recherches sur J.B. de la Salle avait amené à rencontrer notre fondateur, reconnut dans lun des billets de bien dune lettre de Paris un membre éminent de lAa dont le secret navait pas encore été percé: Claude-François Poullart des Places Voir : Poutet (Y.), Le XVIIe siècle et les origines lasalliennes. Recherches sur la genèse de luvre scolaire et religieuse de Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719), Rennes, Imprimeries Réunies, 1970, t.II, p. 364. Larticle demandé pour le Dictionnaire de Spiritualité a été loccasion dexploiter cette découverte : voir DS, t. XII (Paris, Beauchesne, 1986), article Poullart des Places (Claude-François), col. 2027-2035.
[20]. THOMAS, p.
264.
[21]. THOMAS, p.
270.
[22]. THOMAS, p. 272.
[23]. Claude communiait trois fois par semaine. L Aa demandait à ses membres de communier tous les huit ou quinze jours selon lavis de leur père spirituel .
[24]. LECUYER, Ecrits, p. 68 et dans le présent ouvrage p. ***.
[25]. LECUYER, Ecrits, p. 56 et dans le présent ouvrage p. ***.
[26]. LECUYER, Ecrits, p. 56 et dans le présent ouvrage p. ***.
[27]. Voici le texte latin de cette prière tel quon le trouve dans Pratique, p. 72 : Sancta Maria Mater Dei et Virgo, Ego N. te hodie in Dominam, Patronam et Advocatam eligo, firmiterque statuo ac propono, me nunquam te derelicturum, neque contra te aliquid unquam dicturum, aut facturum, neque permissurum ut a meis subditis aliquid contra tuum honorem unquam agatur. Obsecro te igitur, suscipe me in servum perpetuum, adsis mihi in omnibus actionibus meis, nec me deseras in ora mortis. Amen.
[28]. LECUYER, Ecrits, p. 58 et dans le présent ouvrage p. ***.
[29]. Pratique, p. 90.
[30]. Pratique, p. 92.
[31]. Pratique, p.93.
[32]. Pratique, p. 95-96.
[33]. Voici le texte du premier : Un autre [confrère] entretient et paye la pension dun pauvre écolier, achète de vieux habits pour habiller dautres personnes pauvres ; le même fait huit visites au St-Sacrement par jour et communie trois fois par semaine; il va souvent aux hôpitaux; il fait, deux fois la semaine, des instructions à vingt pauvres savoyards et les soulage aussi pour le temporel ; il avertit charitablement les confrères qui ne font pas leur devoir. Il ne boit que de leau et mange fort peu et jamais ce qui est à son goût. Arch.S.J., Toulouse : Lettres de lAa, t I, f°208, C.A.101.
[34]. THOMAS, p. 268.
[35]. THOMAS, p. 268 ; MICHEL, Poullart des Places, p. 99.
[36]. LECUYER, Ecrits, p. 67 et dans le présent ouvrage p. ***.
[37]. BESNARD, p. 277.
[38]. LECUYER, Ecrits, p. 74 et dans le présent ouvrage p. ***.
[39]. BESNARD, p. 282.
[40]. On lit dans une notice ancienne sur sainte Jeanne Delanoue (1666-1736) : Elle ne reposait que quelques heures, toute habillée, assise sur une chaise et la tête contre le mur .
[41]. MICHEL, p. 88-94.
[42]. Ecrits Spirituels du Vénérable Libermann, Paris, Duret, 1891, p. 193.
[43]. LECUYER,, Ecrits, p. 80, n° 6 et dans le présent ouvrage p. ***.
[44].
THOMAS, p. 272.
[45].
THOMAS, p. 274.
[46]. Regulæ, dans Le Floch, 2e éd., 1915, p. 586.
[47].
THOMAS, p. 268.
[48]. Gallia
christiana, t. 7, Paris,
1744, col. 1043.
[49]. Joseph GRANDET, La Vie de Messire Louis-Marie Grignion de Montfort, prêtre, missionnaire apostolique, composée par un prêtre du clergé, Nantes, 1724, p. 563.
[50]. Dans une étude sur "loeuvre de Mgr Pallu" parue dans les Echos de la rue du Bac (déc.1984), J. GUENNOU montre que ce séminaire est dabord luvre de la Compagnie du Saint-Sacrement dont il cite les Annales, au 17 mai 1663 : Monsieur du Plessis ( ) rapporta ce qui sétait fait dans létablissement du Séminaire des Missions Etrangères, qui était loeuvre de lAssemblée des Missions et qui a été le dernier enfant de la Compagnie.
[51]. Règlements, n° 3, 4 et 227, dans KOREN, Ecrits, p. 164 et 212, ainsi que dans le présent ouvrage, p. *** et ***.
[52]. F. de Dainville, in Etudes, t. 317, 1962, p. 125.
[53]. Lettre de M. Bouïc, 16 janv. 1727, in Arch CSSp.
[54]. Ce terme, employé seize fois dans les Règlements , était usité, dans la correspondance de lAa pour désigner les membres dune association.
[55]. THOMAS, p. 250.
[56]. Contrairement à une tradition spiritaine fondée sur un registre qui nest pas original, Bouïc vécut avec Poullart des Places lannée scolaire 1708-1709. Ses dimissoires pour la prêtrise, signées par lévêque de Saint-Malo le 28 août 1709, lautorisaient à se faire ordonner par le cardinal de Noailles. Il fut pendant deux ans (1741-1743) le supérieur de Besnard qui écrit : Je tiens de celui qui fut supérieur de cette maison après M. Desplaces et qui avait été son élève . (BESNARD, p. 280)
[57]. LECUYER, Ecrits, p. 79 et dans le présent ouvrage p. ***.
[58]. Pratique, p. 78-79.
[59]. Pratique, p. 139-140.
[60]. LECUYER, Ecrits, p. 59 et dans le présent ouvrage p. ***.
[61].
Preces diurnæ in Seminario S.Spiritus recitandæ,
Paris, 1845.
[62]. MICHEL, p. 300-301.
[63]. LECUYER, Ecrits, p. 57 et dans le présent ouvrage p. ***.
[64]. Pratique, p. 2 et 26.
[65].
BESNARD, p. 315
[66].
BESNARD, p. 338.
[67]. Nova Inquisitio..., 1947, p. 314.
[68]. MICHEL, p. 329-338. Note de la rédaction (1997) : Ce point de vue du P. Joseph MICHEL, comme historien, n'est pas celui des Filles du Saint-Esprit. C'est à Jean Leuduger qu'elles font référence, considérant par ailleurs quavant tout, elles ont une fondatrice.
[69]. Lettre du 27 avril 147 : ND., IX, p. 134.
[70].
ND, X, p. 339.
[71]. Voir : COULON, BRASSEUR, Libermann, p. 661-669.
[72]. MICHEL, p. 304.
[73]. KOREN,.Les Spiritains, p. 397.