TEXTES-REPERES PDP

 

THOMAS   Pierre Thomas est un des premiers disciples de Cl.Fr.PdP; il est entré dans la communauté du St Esprit le 27 mars 1704, il y a fait toute sa formation; il est devenu ‘Monsieur du St Esprit’ en 1712; il est donc témoin oculaire pendant 5 ans 1/2. Son témoignage -la première partie surtout- abonde en notations sur la personnalité et les ‘goûts’ du jeune Cl.Fr. Il montre le cheminement qui le conduit à la conversion, avec les étapes décisives de ses grandes retraites de 1701 et 1704.

 

 

          Messire Claude-François Poulart (sic) des Places, né à Rennes, paroisse de Saint-Pierre attenant l’Abbaye, y fut baptisé. Messire Claude de Marbeuf, président au Parlement de Bretagne, fut son parrain et demoiselle Françoise Truillot, Dame de Ferret [ fut sa marraine]. On lui donna le nom de Claude-François qui est aussi le nom de Messire son père. Ses parents, également sages et pieux, s’étaient adressés à Dieu pour qu’il bénit leur mariage en leur accordant un garçon. Ils avaient été exaucés; ils le vouèrent à celui qui le leur avait donné, et lui firent porter l’habit blanc pendant sept ans [en l’honneur de la Sainte Vierge].

 

Le récit montre qu’à la profonde piété des parents répondit celle du jeune enfant: Son grand plaisir était de représenter les cérémonies qu’il avait vu pratiquer à l’Eglise. Ses parents s’en trouvaient quelquefois importunés, mais s’il cessait pour leur obéir, il revenait ensuite bientôt à ses amusements [...] Les manifestations de ce goût pour la piété perdurèrent en s’adaptant à la croissance: Il fit une pieuse association avec ses compagnons sans en rien communiquer à ses parents ni à son précepteur [...] Ils avaient leurs règles pour la prière, pour le silence et la mortification qui allait quelquefois jusqu’à la discipline [...]

          Ces dispositions du jeune des Places étaient d’autant plus admirables que son tempérament vif et remuant le portait à toute autre chose [...] Un Père Jésuite qui dirigeait notre jeune écolier en eut connaissance.  Il leur ordonna de rompre ces assemblées, appréhendant, leur disait-il, que l’amour propre n’y eût plus de part que l’amour de Dieu, ou que  dans la suite il s’y mêlât. Il y avait d’ailleurs à craindre que leur ferveur qui les portait déjà peut-être trop loin, n’allât jusqu’à l’indiscrétion. Le directeur fut obéi, mais cette obéissance fut pour son petit pénitent une mortification plus sensible que les autres.

          Il lui fallut pourtant soutenir dans la suite de rudes combats pour résister à la tentation du plaisir. Son tempérament l’y portait; les invitations et les exemples de ses camarades en augmentaient le penchant; mais l’amour pour son devoir et la vigilance d’un père et d’une mère attentifs à son éducation ne lui permettaient pas de s’émanciper [...]

          Après avoir fini ses basses classes et sa rhétorique au Collège de Rennes, Monsieur son père, par le conseil de son Régent, voulut qu’il s’appliquerait une seconde année à l’éloquence dans le collège des Jésuites de Caen où ce Régent, qui avait une attention particulière pour son élève, allait enseigner [...] Il y acquit une grande facilité à s’expliquer et un fond d’éloquence qui lui servit, dans la suite, pour faire valoir les motifs dont il se servait pour persuader la vertu [...]

          Revenu à Rennes il s’appliqua à la philosophie. C’est d’ordinaire une temps bien critique pour les jeunes gens. Ils sont alors beaucoup moins gênés que dans les classes inférieures [...] Mais quoi qu’il en soit, il étudia et réussit si bien dans la philosophie qu’à la fin de son cours, il se trouva en état de soutenir une thèse dédiée à Mgr. le Comte de Toulouse. La dépense fut extraordinaire. Les Présidents et conseillers du Parlement y assistèrent en cérémonies, avec tout ce qu’il y avait de personnes de considération dans la ville et aux environs.

          Sa philosophie achevée, Monsieur son père jugea à propos de lui faire faire un voyage à Paris, je ne saurais dire bien au juste à quel dessein. On croit que le véritable et principal motif était de voir une demoiselle de grande qualité qu’on lui proposait comme épouse. Il avait dix-huit à dix-neuf ans. Elle était demoiselle d’honneur de Madame la duchesse de Bourgogne. Je le trouve ainsi marqué dans un mémoire qui m’a été fourni par un des élèves de la communauté, en qui M. des Places avait plus de confiance et à qui il avait dit bien des particularités de sa vie [...] 

          Le jeune des Places, avec un esprit aussi solide qu’il avait, et que l’amour n’aveuglait pas, n’avait garde de s’engager si tôt. Sa passion était pour la gloire et la réputation, et s’attacher à une femme par le mariage est plutôt une obstacle qu’un chemin pour y arriver [...] D’ailleurs les inclinations qu’il avait eues dès son enfance pour l’état ecclésiastique lui revenaient souvent et Dieu disposait tout pour l’exécution de ses desseins. Il fut aisé au jeune des Places de se débarrasser du penchant que ses parents pouvaient avoir pour le faire prendre un parti qui n’était point de son goût.

          De retour à Rennes, il parait qu’il se donna un peu carrière. Il était naturel qu’on lui laissât la liberté de voir le monde plus qu’il n’avait fait jusqu’alors, et de lui fournir de l’argent pour y paraître avec honneur. Cela était de son goût; aussi n’épargnait-il pas la dépense, et, comme ses parents n’étaient pas prodigues, il fallait user d’adresse pour avoir de quoi fournir ou faire des emprunts, et cacher sous de beaux dehors ce qu’il pouvait y avoir d’irrégulier dans sa conduite [...]

          Pour se remettre bien avec Dieu et recouvrir le repos de la conscience, une retraite est bien utile. Il était d’ailleurs temps de penser à choisir un état: on venait de lui proposer celui du mariage. Il n’y avait pas encore assez réfléchi, à son gré. Il entre donc en retraite. Dieu lui parla au cœur. Il répondit avec fidélité aux grâces que Dieu a coutume de donner alors abondamment. Il se trouva dégoûté du monde et plein d’envie de servir Dieu, en un mot converti [...] Ce n’est pas assez de former de bonnes résolutions et de commencer à les exécuter avec courage, il faut persévérer constamment jusqu’à la fin ... Le jeune des Places ne persévéra que 40 jours [...]

          Il y a toute apparence que ce fut alors qu’il proposa à ses parents le dessein qu’il avait d’embrasser l’état ecclésiastique, et qu’il leur demanda la permission d’aller à Paris pour étudier en Sorbonne. M. et Mme des Places avaient trop de religion pour s’opposer à la vocation de leur fils. Il était, crurent-ils, à propos d’éprouver s’il y serait constant [...] On répondit donc à sa proposition que pour devenir habile et pour être un bon prêtre, il n’était point nécessaire d’aller étudier à Paris, ni d’être docteur en Sorbonne, mais d’être docte [...] Il aurait fallu faire à Rennes sa théologie. Cela n’était pas de son goût, et ses vues sur l’état ecclésiastique n’étaient pas si pures qu’il ne souhaitât avoir plus de liberté qu’il n’en aurait infailliblement en restant sous les yeux de ses parents.

          Il fut décidé qu’il irait à Nantes faire son droit. Ce parti convenait à merveille aux desseins des parents et du fils. Il donnait le temps à sa vocation de se mûrir; l’étude du droit était nécessaire pour devenir conseiller, et elle est très utile pour l’état ecclésiastique; de plus, le fils souhaitait avoir plus de liberté [...] Il lui aurait fallu alors se rappeler les grandes vérités qu’il avait méditées dans sa retraite, prendre l’avis des personnes sages, faire des lecture de piété, se tenir même en solitude de temps en temps, et ne faire que se prêter au monde, au lieu de s’y livrer comme il fit [...] C’est là un des ressorts dont la Providence a coutume pour arriver à ses fins. On se dégoûte d’un état et on ne sait pas pourquoi: c’est un acheminement à l‘exécution des desseins de Dieu. On se trouble, on se chagrine, et le temps vient enfin qu’on aperçoit qu’on a eu tort et que Dieu sait tirer un très grand bien de ce qui nous avait paru n’être qu’un sujet de déplaisir.

 

 

BESNARD  entré au séminaire du St Esprit peu de temps après la mort de Poullart des Places., il en récolta le souvenir encore tout vivant; le lien entre Poullart et Grignon de Montfort confirma sa fidélité; lui-même devint Montfortain, puis Sup..Gén.; s’il n’est pas témoin oculaire de Poullart, il en est un témoin tout proche par son histoire personnelle et celle de son Institut. Il lui a consacré une partie du Livre 5  de son ouvrage sur Louis-Marie Grignon de Montfort.[1]

         

          Messire Claude François Poullard des Places, à qui le séminaire du Saint-Esprit doit son établissement, était originaire d'une très ancienne maison de Bretagne, diocèse de Saint-Brieuc. Il naquit à Rennes le 27 février 1679[2], sur la paroisse de Saint-Pierre en Saint-Georges, et y fut baptisé le même jour. Sa mère le consacra d'abord à la sainte Vierge, et lui fit porter le blanc en son honneur jusqu'à l'âge de sept ans. Il étudia les humanités et la philosophie au collège de Rennes. Ce fut là qu'il forma une étroite liaison avec M. de Montfort. Ils concertèrent ensemble de faire avec quelques-uns de leurs condisciples une petite association pour honorer très spécialement la très sainte Vierge. Ils s'assemblaient à certains jours, dans une chambre qu'une personne de piété leur avait prêtée [...]  Cette sainte assemblée subsista encore quelque temps après le départ de M.Grignion pour Paris, par le zèle et les soins du jeune Desplaces à qui il l'avait recommandée, et qui en demeura seul l'âme et le soutien. Cependant comme les vues que sa famille avait sur lui demandaient qu'il se produisît dans le monde, il s'y livra, et peut-être un peu trop. Sa passion dominante fut d'y briller, et il faut avouer qu'il avait tout ce qu'on peut désirer pour paraître avec distinction. Monsieur son père résolut d'en faire un conseiller au parlement de Bretagne, et Madame Desplaces doutait si peu des dispositions de son fils que déjà elle avait fait la dépense d'une robe de palais [...] Quoi qu'il en soit, Dieu l'éclaira d'une lumière vive qui lui fit connaître qu'il ne l'appelait pas à cet état [...] Il demanda à son père la permission d'aller étudier en Sorbonne et d'entrer dans l'état ecclésiastique. Ce début fut un coup de foudre pour ce respectable officier, n'ayant que ce fils qui pût perpétuer son nom et posséder sa charge. Il n'oublia rien pour le détourner de son dessein; mais le jeune homme demeura inflexible et sa famille ne s'opposa plus à une vocation si marquée.

 

 

 

 

Extraits des notes personnelles de la grande retraite

de Cl.Fr. Poullart des Places,

au cours de l'été 1701, sous la direction d'un Jésuite de Rennes

 

 

          J'ai bien voulu me retirer du commerce du monde pour passer huit jours dans le sein de la solitude. Rien ne m'a obligé de faire ce petit sacrifice au Seigneur. J'étais le maître de perdre, comme j'ai fait si souvent jusqu'ici, les mêmes moments que je veux employer dans ce saint lieu à ma conversion et à mon salut. Je dois reconnaître, dans ce louable dessein, la grâce qui m'a éclairé au milieu de mes aveuglements [...]  Je me trouve heureusement du nombre de ces enfants chéris à qui mon Père et mon Créateur présente si souvent des moyens faciles et admirables de me réconcilier avec lui [...]

          Allons, mon âme, il est temps de te rendre à tant de poursuites aimables. Peux-tu balancer un moment à abandonner tous tes sentiments mondains pour te reprocher avec plus d'attention et de recueillement ton ingratitude et la dureté de ton coeur à la voix de ton Dieu? Ne dois-tu pas avoir honte d'avoir combattu si longtemps, d'avoir détruit, méprisé, foulé aux pieds le sang adorable de ton Jésus? [...]

 

          Vous me cherchiez, Seigneur, et je vous fuyais. Vous m'aviez donné de la raison, mais je ne voulais point m'en servir. Je voulais me brouiller avec vous, et vous ne vouliez point y consentir. Ne méritais-je pas que vous m'eussiez abandonné enfin, que vous vous fussiez lassé de me faire du bien, et que vous eussiez commencé à me faire du mal? J'eusse reconnu ma faute dans le châtiment, en sentant la pesanteur de votre bras; j'eusse senti l'énormité de mes crimes. Que vous êtes aimable, mon divin Sauveur! Vous ne voulez point ma mort, vous ne voulez que ma conversion. Comme si vous aviez besoin de moi, vous me traitez toujours avec douceur. Il semble que vous vous fassiez un honneur de réduire un cœur aussi insensible que le mien [...]

          En reconnaissant votre puissance, que je reconnais efficacement votre amour! Vous m'aimez, mon divin Sauveur, et vous m'en donnez des marques bien sensibles. Je sais que votre tendresse est infinie, puisqu'elle n'est pas épuisée par les ingratitudes innombrables que je vous ai fait paraître tant de fois. Il y a longtemps que vous voulez me parler au cœur, mais il y a longtemps que je ne veux point vous écouter. Vous tâchez de me persuader que vous voulez vous servir de moi dans les emplois les plus saints et les plus religieux, mais je tâche, moi, de ne vous pas croire. Si votre voix fait quelquefois quelque impression sur mon esprit, le monde, un moment après, efface les caractères de votre grâce. Combien y a-t-il déjà d'années que vous travaillez à rétablir ce que mes passions détruisent continuellement! Je crois bien que vous ne voulez plus combattre sans succès, et que vous avez ordonné à la victoire de se déclarer pour le juste parti... Je ne suis point venu ici pour me défendre, je ne suis venu que pour me laisser vaincre.    

          Parlez, mon Dieu, quand il vous plaira;... à présent, Seigneur, que je me repens de mes aveuglements, que je renonce de tout mon cœur à toutes les choses qui m'obligeaient de vous fuir, à présent que je viens vous chercher, que je suis près de suivre tous les saints ordres de votre divine Providence, descendez dans le cœur  où il y a si longtemps que vous voulez entrer: il n'aura plus des oreilles que pour vous, et ne formera désormais d'autres affections que pour vous aimer comme il doit. Vous y trouverez une place qui ne sera point souillée d'aucune passion, et là, entouré des vertus que votre loi me commande de pratiquer, vous pourrez me faire connaître votre sainte volonté, et rien au monde ne sera plus capable de vous enlevez un serviteur qui vous voue, avec un courage digne d'un chrétien, une obéissance aveugle et un soumission infinie [...]

 

La suite des notes révèle la méditation du retraitant aux instructions des Exercices qu’il accueille fidèlement . La conclusion reprend les nouvelles orientations de vie qu’elles ont suscité.

          Courage, mon âme, promets à ton Dieu de faire pénitence de tes péchés et de lui faire connaître l'horreur que tu en as, par le soin que tu vas prendre d'éviter de secondes rechutes. Que rien au monde ne soit capable de m'éloigner de la vertu. Perdons respect humain, complaisance, faiblesse, amour propre, vanité, perdons tout ce que nous avons de mauvais, et ne gardons que ce qui peut être bon. Qu'on dise tout ce qu'on voudra, qu'on m'approuve, qu'on s'en moque, qu'on me traite de visionnaire, d'hypocrite ou d'homme de bien, tout cela me doit être désormais indifférent. Je cherche mon Dieu. Il ne m'a donné la vie que pour le servir fidèlement. Je dois bientôt aller lui rendre compte du temps que j'ai eu ici pour faire mon salut. Le monde ne me récompensera pas de l'attachement que j'aurais pour lui. Je serais seulement bien en peine s'il fallait y trouver un véritable ami qui m'aimât sans intérêt. Dieu seul m'aime sincèrement et veut me faire du bien. Si je lui puis plaire, je suis trop heureux; si je lui déplais, je suis le plus misérable homme du monde. J'ai tout gagné si je vis dans la grâce; j'ai tout perdu si je la perds.

          Conservez-moi, mon Dieu, de si saintes résolutions, et me donnez, s'il vous plaît, la grâce de la persévérance finale. J'aurais des ennemis à combattre et qui, cherchant à détruire ma vertu par mille occasions dangereuses qu'ils me présenteront, chercheront en même temps ma ruine et ma perte. Défendez-moi, Seigneur, contre ces tentateurs, et puisque le plus redoutable est l'ambition qui est ma passion dominante, humiliez-moi, abaissez mon orgueil, confondez ma gloire. Que je trouve partout des mortifications, que les hommes me rebutent et me méprisent . J'y consens, mon Dieu, pourvu que vous m'aimiez beaucoup et que je vous sois cher. J'aurai de la peine à souffrir et à étouffer cette vanité dont je suis si fort rempli. Mais que ne doit point faire un homme pour vous qui êtes un Dieu, qui avez répandu votre Précieux Sang pour moi.

          Rien ne me sera difficile si vous voulez bien me secourir et que je m'abandonne entièrement à vous. Je dois avoir de la défiance de moi-même et espérer tout de votre miséricorde. J'ai tout à craindre dans l'état où je suis. Je ne suis point, Seigneur, dans celui où vous me souhaitez, et pour faire mon salut comme je dois, il faut que je prenne le parti que vous m'avez destiné. C'est là maintenant la première chose à laquelle je dois penser. Trop heureux, mon Dieu, si je ne me trompe point dans le choix, je vais prendre toutes les précautions les plus saintes pour découvrir votre sainte volonté. Je veux déclarer à mon directeur mes inclinations et mes répugnances sur chaque genre de vie, afin d'examiner avec plus d'attention ce qui peut m'être convenable. Je n'oublierai rien de tout ce que je croirai devoir être nécessaire pour consulter votre Providence. Que votre grâce, mon divin Maître, m'éclaire dans toutes mes démarches, et que je la puisse mériter par un attachement inviolable et perpétuel pour tout ce qui vous peut plaire.

                        

 

Il s’agit donc à présent pour le retraitant, sur la base solide de sa conversion, de sortir de son indétermination  et de choisir un état de vie : c’est là le véritable but de sa retraite.

          O mon Dieu qui conduisez à la céleste Jérusalem les hommes qui se confient véritablement à vous, j'ai recours à votre divine Providence, je m'abandonne entièrement à elle, je renonce à mon inclination, à mes appétits et à ma propre volonté pour suivre aveuglément la vôtre. Daignez me faire connaître ce que vous voulez que je fasse, afin que remplissant ici-bas le genre de vie auquel vous m'avez destiné, je puisse vous servir, pendant mon pèlerinage, dans un état où je vous sois agréable et où vous répandiez sur moi abondamment les grâces dont j'ai besoin pour rendre à jamais la gloire qui est due à votre divine Majesté.

          C'est dans cette retraite, mon Dieu, que j'espère que vous parlerez à mon cœur et que vous me tirerez, par votre miséricorde, des inquiétudes embarrassantes où mon indétermination me jette. Je sens bien que vous n'approuvez pas la vie que je mène, que vous m'avez destiné à quelque chose de meilleur, et qu'il faut que je prenne un parti fixe et raisonnable pour penser sérieusement à mon salut. Je suis heureusement persuadé de la nécessité de me sauver, et j'ai médité cette vérité, depuis que je suis ici, comme la plus importante et la plus nécessaire du christianisme. L'on m'avait demandé mille fois jusqu'ici si je savais pour quelle fin j'avais été mis au monde et j'avais répondu mille fois sans y réfléchir les mêmes paroles que je pèse aujourd'hui avec tant d'attention. Dieu ne m'a créé que pour l'aimer, que pour le servir, et pour ensuite jouir de la félicité qui est promise aux âmes justes. Voilà mon unique affaire, voilà le but auquel je dois diriger toutes mes actions. Je suis un fou si je ne travaille pas conformément à cette fin, puisque je n'en dois point avoir d'autre. Quelque chose qui arrive désormais, il faut donc que je me souvienne qu'autant de moments que je n'emploie pas à bien vivre sont autant de moments perdus et dont il faudra que je rendre compte à Dieu.

          Pénétré jusqu'au fond du cœur de ce devoir, je vous promets, mon Dieu, de ne faire plus une seule démarche que je n'examine auparavant, que je n'observe de près et que je ne me demande à moi-même si c'est pour votre gloire que j'agis [...] Je me détache, mon Dieu, de toutes les vues humaines que j'ai eues jusqu'ici dans tous les choix de vie auxquels j'ai pensé. Je sais qu'il faut que je quitte toutes mes irrésolutions pour en prendre un et pour ne plus le changer; mais je ne sais lequel convient, et je crains de m'y tromper [...] Je renonce à tous les avantages qui pourraient me flatter et que vous n'approuvez pas. Voilà que j'ai acquis une indifférence très grande pour tous les états. Parlez, mon Dieu, à mon cœur, je suis prêt de vous obéir [...]

 

Le passage suivant est un auto-portrait que Poullart écrit avec beaucoup de finesse, mais sans complaisance.       

          Je dois consulter d'abord mon tempérament pour voir de quoi je suis capable et me souvenir de mes passions bonnes et mauvaises, de peur d'oublier les unes et de me laisser surprendre aux autres. J'ai une santé merveilleuse quoique je paraisse fort délicat, l'estomac bon, me nourrissant aisément de toute sorte de vivres, et rien ne me faisant mal; fort et vigoureux plus qu'un autre, dur à la fatigue et au travail, mais fort ami pourtant du repos et de la paresse, ne m'appliquant point que par raison ou par ambition; mon naturel est doux et traitable, complaisant à l'excès, ne pouvant presque désobliger personne, et c'est en cette seule chose que je me trouve de la constance. Je tiens un peu du sanguin et beaucoup du mélancolique. Au surplus, assez indifférent pour les richesses, mais très passionné pour la gloire et pour tout ce qui peut élever un homme au-dessus des autres par le mérite; plein de jalousie et de désespoir des succès des autres, sans pourtant faire éclater cette indigne passion et sans faire ni dire jamais rien pour la contenter; fort discret dans les choses secrètes, assez politique dans toutes les actions de la vie, entreprenant dans mes desseins mais caché dans l'exécution; cherchant l'indépendance, esclave pourtant de la grandeur; craignant la mort, lâche par conséquent, incapable malgré cela de souffrir un affront signalé; trop flatteur à l'égard des autres, impitoyable pour moi dans le particulier quand j'ai fait une faute dans le monde; sobre sur les plaisirs de la bouche et du goût, et assez réservé sur ceux de la chair; admirateur sincère des véritables gens de bien, amateur par conséquent de la vertu, mais ne la pratiquant guère, le respect humain et l'inconstance étant pour moi de grands obstacles; quelquefois dévot comme un anachorète jusqu'à pousser l'austérité au-delà de ce qu'elle est ordonnée à un homme du monde; d'autres fois mou, lâche, tiède pour remplir mes devoir de chrétien; toujours effrayé quand j'oublie mon Dieu et que je tombe dans le péché; scrupuleux plus qu'il ne faut, et presque autant dans le relâchement que dans la ferveur; connaissant assez le bien et le mal, et ne manquant jamais des grâces du Seigneur pour découvrir mon aveuglement; aimant beaucoup à faire l'aumône, et compatissant naturellement à la misère d'autrui; haïssant les médisants; respectueux dans les églises sans être hypocrite. Me voilà tout entier, et quand je jette les yeux sur ce portrait, je me trouve peint d'après nature [...]   

 

Maintenant commence le processus du discernement:

          Il faut décider entre l'état religieux qu'on appelle le cloître, l'état ecclésiastique qui est celui des prêtres séculiers, et le troisième état qu'on appelle le monde. Dans les trois, on peut se sauver comme on peut s'y damner. La haire et la soutane couvrent aussi bien un cœur vicieux et pécheur que la robe du magistrat ou l'habit galonné du cavalier. Tout de même que le juge et l'homme d'épée conservent aussi bien un cœur pur et vertueux que l'ermite le plus austère et le prêtre le plus réglé. Les uns et les autres peuvent être fourbes comme ils peuvent être gens de bien. Dieu est partout avec ces différentes personnes; il donne des grâces aux uns et autres selon qu'ils les méritent: on peut les mériter dans tous les états également, pourvu qu'on ait choisi celui auquel Dieu nous a destinés. Le secret, c'est donc de ne pas se tromper dans le choix; et le moyen le plus sûr pour bien choisir, c'est de n'avoir que la gloire de Dieu en vue et l'envie de faire son salut. Voyons à présent, mon cœur, entre nous deux, si tu n'as que ce motif-là pour objet [...]

 

Il se demande si son attrait le pousse vers la vie monastique, et il conclue par la négative:

          Mon cœur,  tu dis que tu es indéterminé sur tous les états de vie, mais je réponds pour toi que tu ne l'es pas autant que tu penses, et que la vie religieuse n'est point de ton goût [...]

 

Il se sent de l'attrait pour la vie de prêtre dans le ministère. Mais un assez long examen le rend indécis. A-t-il assez de force d'âme pour s'y conduire avec humilité, sainteté, et justice?

          Tu trouves mille raisons pour me prouver qu'il est à propos que j'entre dans l'état ecclésiastique, et si j'étais prêt d'y entrer tout à l'heure, tu voudrais encore y réfléchir. Tu aimes donc un peu le monde et tu ne sais pas encore bien quel parti tu dois aimer le mieux. Tous t'accommodent, tous te plaisent [...]

 

Les situations dans le monde - l’épée, la cour, la robe et les finances- vont trop dans le sens de ses défauts dominants; de plus, il n'est guère attiré par le mariage. A-t-il avancé dans son discernement?

          ... Il faut avouer que je suis bien malheureux d'être si irrésolu. C'est à vous, ô mon Dieu, à qui je dois m'adresser pour me déterminer selon votre volonté. Je suis venu ici pour prendre conseil de votre divine Sagesse. Détruisez en moi tous les attachements mondains qui me suivent partout. Que je n'aie plus, dans l'état que je choisirai pour toujours, d'autres vues que celles de vous plaire, et comme, dans la situation où je suis, il m'est impossible de rien décider et que je sens pourtant que vous voulez quelqu'autre chose de moi que mes incertitudes, je vais, Seigneur, me découvrir sans déguisement à vos ministres.

 

Avec l'aide de son accompagnateur, Poullart décidera facilement de l'état de vie qui l'attire depuis longtemps et que sa retraite vient de confirmer: être prêtre dans le ministère. Mais, pour faire droit à son discernement, ce sera en se prémunissant  contre toute ambition et vanité personnelles. Ce pourquoi il renonce à "faire carrière": il ne suivra pas la filière de la Sorbonne. Cette décision montre la complémentarité des deux étapes de sa grande retraite.

 

BESNARD - suite

          Arrivé à Paris, il entra au collège de Clermont [...] La lecture de la vie de M.Le Nobletz prêtre missionnaire, mort en odeur de sainteté en Bretagne, ne lui fut pas d'un petit secours pour mépriser le monde et se mettre en tout au-dessus du respect humain[3]

 

 

Prière de Poullart, jeune théologien - Fragments d’un Règlement Particulier

 

           Je n’entrerai jamais (si je n’avais des affaires extrêmement pressées) dans ma chambre, ni n’en sortirai sans me mettre à genoux et sans prendre la bénédiction du bon Dieu à peu près de cette manière:[4] 

 

Très Ste Trinité, Père, Fils et St Esprit,

que j’adore par votre Ste grâce

de tout mon coeur, de toute mon âme et de toutes mes forces,

je vous supplie de vouloir bien me donner la foi, l’humilité, la chasteté,

la grâce de ne faire, de ne dire, de ne penser, de ne voir,

de n’entendre et de ne souhaiter

que ce que vous voulez que je fasse, que je dise etc.

Accordez-moi ces grâces, mon Dieu,

avec votre très sainte bénédiction,

et que, mon cœur et mon esprit n’étant remplis que de vous seul,

je sois toujours dans votre présence et vous prie sans cesse comme je dois.

+++

Mon Jésus soyez-nous Jésus éternellement;

mon Jésus, soyez-moi Jésus éternellement;

soyez éternellement en moi, et moi en vous.

Je vous recommande mon esprit et mon coeur entre vos mains

par la très Sainte Vierge;

au nom de mon Jésus et de Marie.

                                         

                                              

BESNARD - suite

 [...] Dès lors, il consacra ses épargnes[5] et une partie de son nécessaire à fournir à quelques pauvres écoliers le moyen de poursuivre leurs études, jusque-là qu'il donnait chaque jour la moitié de sa portion à l'un d'entre eux qui demeurait à la porte du collège. C'est ainsi qu'il préludait à ce qu'il devait faire en peu avec un zèle dont les fruits subsistent encore aujourd'hui. L'union étroite qui s'était formée à Rennes entre lui et M. Grignion bien loin de s'être ralentie par le laps de temps, recevait chaque jour de nouveaux accroissements [...] M. Desplaces sentit que Dieu voulait se servir de lui pour peupler son sanctuaire et pour former à son peuple des maîtres et des guides. Il comprit encore que, pour y réussir, il ne pouvait rien faire de mieux que de continuer à aider de pauvres écoliers à subsister et à les mettre en état de poursuivre leurs études. Il ne se borna pas à ces secours temporels. Il conçut le dessein de les rassembler dans une chambre, où il irait de temps en temps leur faire des instructions, et de veiller sur eux autant que sa demeure dans le collège pourrait le lui permettre. Il communiqua son projet à son confesseur qui l'approuva. Le principal du collège fit quelque chose de plus, il lui promit de le seconder dans cette bonne oeuvre, en lui accordant une partie de ce qui se desservait de dessus la table des pensionnaires, pour aider à la subsistance de ses pauvres écoliers.

          En ce même temps, M. de Montfort méditait aussi un autre projet digne de son grand coeur. C'était de chercher des ecclésiastiques animés d'un même esprit et de se les associer pour en former une Compagnie d'hommes apostoliques. [...] M. Desplaces fut celui sur qui il jeta les yeux pour l'exécution de son projet. L'ayant été voir, il le lui proposa, et l'invita de s'unir à lui pour être le fondement de cette bonne oeuvre. M. Desplaces lui répondit dans la candeur de son âme : "Je ne me sens point d'attrait pour les missions ; mais je connais trop le bien qu'on peut y faire pour ne pas y concourir de toutes mes forces et m'y attacher inviolablement avec vous. Vous savez que depuis quelque temps je distribue tout ce qui est en ma disposition pour aider de pauvres écoliers à poursuivre leurs études. J'en connais plusieurs qui auraient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne peuvent les faire valoir, et sont obligés d'enfouir des talents qui seraient très utiles à l'Eglise s'ils étaient cultivés. C'est à quoi je voudrais m'appliquer en les assemblant dans une même maison. Il me semble que c'est ce que Dieu demande de moi, et j'ai été confirmé dans cette pensée par des personnes éclairées dont quelqu'un m'a fait espérer de m'aider pour pourvoir à leur subsistance. Si Dieu me fait la grâce de réussir, vous pouvez compter sur des missionnaires. Je vous les préparerai et vous les mettrez en exercice. Par ce moyen vous serez satisfait et moi aussi." [...]

           M. Desplaces commença par louer une chambre dans la rue des Cordiers, proche le collège, et y assembla les pauvres écoliers qu'il assistait déjà auparavant et dont les bonnes dispositions lui étaient connues. Les progrès en tout genre que faisaient ces premiers disciples étaient trop remarquables pour ne pas lui attirer d'autres excellents sujets. Il pensa donc à louer une maison pour qu'on fût plus au large. En peu de temps il s'y forma une communauté d'ecclésiastiques,[6] à qui il donna des règles remplies de sagesse, qu'il fit examiner et approuver par des personnes d'une grande expérience. Lui-même pratiquait le premier ce qu'il recommandait aux autres. Il ne se contentait pas de leur faire souvent des instructions, il avait soin de leur faire donner des retraites par les plus habiles maîtres en ce genre. Il profitait même de toutes les occasions qui se présentaient pour leur procurer quelqu'entretien de piété. Il conduisait à sa communauté ceux de ses amis qui venaient le voir et en qui il reconnaissait le talent de la parole [...]


Extraits des notes personnelles de retraite,

intitulée ‘Réflexions sur le passé’, que fit Poullart en 1704,

environ un an-et-demi après les débuts de sa communauté. [7] 

 

          Je devrais, si j'aimais un peu Dieu et mon salut, être inconsolable d'avoir passé cette année comme j'ai fait. Est-ce là ce que le Seigneur devait attendre de ma reconnaissance? Il y a déjà plus de trois ans que, par une miséricorde extraordinaire, il me tira du monde, rompit mes chaînes criminelles, m'arracha, quasi même malgré moi, des griffes de Satan pour me redonner la robe de sanctification[8] [...] Dieu seul et mon cœur doivent n'oublier jamais le plus prodigieux effet de miséricorde qui fût jamais [...] Je recevais des consolations en abondance, mes yeux ne tarissaient point, quand je pouvais être seul à méditer mes égarements et les miséricordes de mon Dieu. Si je faisais quelque effort pour faire un pas pour le Seigneur, aussitôt ce tendre Maître me portait lui-même sur ses épaules des lieues entières. Enfin, j'en vins bientôt à faire sans la moindre peine ce que j'avais regardé, quelque temps auparavant, comme des choses impossibles à un homme comme moi [...] Je ne pouvais quasi penser qu'à Dieu. Mon plus grand chagrin était de n'y penser pas toujours. Je ne souhaitais que de l'aimer, et, pour mériter son amour, j'avais renoncé aux attachements même les plus permis de la vie. Je voulais me voir un jour dénué de tout, ne vivant que d'aumônes après avoir tout donné. Je ne prétendais me réserver de tous les biens temporels que la santé dont je souhaitais faire un sacrifice entier à Dieu dans le travail des missions, trop heureux si, après avoir embrasé tout le monde de l'amour de Dieu, j'avais pu donner jusqu'à la dernière goutte de mon sang pour celui dont les bienfaits m'étaient presque toujours présents [...]

 

Poullart s'étend sur l'enthousiasme qu'il a éprouvé 18 mois durant pour la vie selon l'Evangile, spécialement pour l'Eucharistie et le St Sacrement. Puis, il compare cette situation gratifiante aux frustrations qu'il expérimente à présent dans ses responsabilités de directeur de la communauté et dans toute sa vie de foi.

          Ce ne serait pas trop pour moi que d'avoir des larmes de sang pour pleurer ma misère. Je n'ai jamais été ce que je devais être, il est vrai, mais du moins ai-je été tout autre que je ne suis. Heureux si je n'avais perdu que la moitié de ce que j'avais acquis par la moyen de la grâce. Hélas! je ne trouve plus chez moi d'attention à la présence de Dieu, je n'y pense plus dans mon sommeil, presque jamais à mon réveil, toujours distrait même dans mes prières [...]

          Peu de zèle pour la correction de mes frères, me lassant aussitôt que je ne réussis pas; oubliant de recommander à Dieu ces sortes d'entreprises, tant j'y vais inconsidérément et sans réflexion [...] Peu de douceur dans mes paroles et dans mes manières, mais assez souvent fier, sec et dégoûté; des tons hauts, des paroles aigres, des réprimandes vertes et longues; une physionomie sombre, indice de ma mauvaise humeur; plein de sensibilité au sujet de ma famille, n'avouant qu'avec peine que mon père et ma mère sont marchands de toile et de cire, craignant même qu'on ne le sache; faisant trop peu connaître que je n'avais point de part dans la bonne oeuvre qui regarde la maison des pauvres écoliers, mais ressentant au contraire quelque plaisir intérieur que des gens, qui ne me connaissent que très peu ou point du tout, me croient un homme riche qui entretient ces jeunes gens de mon bien [...]

          Faisant pourtant tous les jours d'assez belles résolutions de changer de vie, las malgré cela d'être si déréglé, mais ne finissant pourtant point et suivant toujours mes idées et mes caprices sans me consulter comme autrefois à mon directeur, auquel j'ai pour ainsi dire substitué mes seules imaginations dans la place.

          En un mot, il faut l'avouer devant Dieu, je ne suis plus qu'un homme qui a quelque réputation de vivre encore et qui est très certainement mort, au moins si l'on compare le présent avec le passé. Hélas! je ne suis plus qu'un masque quasi de dévotion et l'ombre de ce que j'ai été [...]  Ce n'est pas autrement que le pied a commencé à glisser à tant de gens d'une vertu éminente, et qui ont enfin péri funestement. Qui doit plus craindre que moi une pareille chute après avoir éprouvé toute ma vie de si fréquentes inconstances dans mes retours vers Dieu et de si longs désordres ensuite?

 

Troublé par ces nombreuses frustrations, Poullart reprend pied grâce à son expérience de l’indéfectible amour de Dieu pour lui.

               ... pourquoi ne craindrais-je pas un abandon entier de mon Dieu? Si ce malheur ne m'est pas encore arrivé, ce n'est qu'à son infinie miséricorde que j'en dois l'obligation. Toujours rempli de tendresse pour moi, ne pouvant se résoudre à me perdre après m'avoir, toute la vie, préservé du dernier endurcissement de l'impénitence finale plutôt par des miracles que par des effets ordinaires de sa Providence, il a permis que j'aie fait cette retraite dans un temps où je n'y pensais point, il a disposé d'ailleurs toutes choses d'une manière que je trouve aisément un chemin ouvert pour rentrer encore une fois dans mon devoir et pour n’avoir pas de si spécieux prétextes d’en ressortir [...]  Je dois croire outre cela que le Bon Dieu aura encore pitié de moi, si je retourne à lui de tout mon cœur, car [...] la conduite qu'il a tenue jusqu'ici 1° de ne permettre point que j'aie été content de moi-même un seul moment, toujours inquiet et chagrin de mon dérangement; 2° de me faire la grâce de voir toujours intérieurement que je n'étais rien moins que ce qu'on me croyait et ce qu'on me disait que j'étais; 3° de ne souffrir point que je me sois pu mettre au-dessus de tous mes scrupules qui, quoiqu'ils aient un peu contribué à me déranger, m'ont fait plus souvent approcher du sacrement de la pénitence et avoir plus d'inquiétudes quand l'occasion était présentée d'offenser Dieu: toute cette conduite de Dieu, dis-je, me fait espérer que le ciel ne sera point toujours de fer pour moi si je songe, de bonne foi, à pleurer mes fautes et à rentrer en grâce avec le Seigneur.

          Rempli de cette sainte confiance par la grâce encore de mon Dieu, je vais donc examiner quel chemin est le plus court, sans considérer désormais le plus agréable à la nature, pour regagner celui sans lequel je ne puis, quoi que je fasse, vivre un moment en paix [...]

 

Fidèle à la loyauté envers lui-même, Poullart discerne les raisons de son 'relâchement': il n'a pas assez marché en présence de Dieu, il été présomptueux en entreprenant 'l'établissement des pauvres écoliers': au début, ils n'étaient que quelques-uns; mais ils sont devenus si nombreux...  il était... difficile que je ne me tinsse debout et que la tête ne me tournât point.

 Et puis, il s'implique trop à leur service: Je veux dire le soin dont je m'embarrassais, même beaucoup plus qu'on ne me l'ordonnait, de gouverner ces pauvres écoliers que la Providence nourrit...                                 

 

Lorsqu’il termine sa retraite, il a découvert les éléments d’une sage décision, mais il ne parvient pas encore à leur donner une cohérence à cause de sa peine profonde:

               Ces réflexions me pénètrent de douleur. J'ai quitté le monde pour chercher Dieu, pour renoncer à la vanité et pour sauver mon âme; et serait-il possible que je n'eusse fait seulement que changer d'objet et que j'eusse toujours conservé le même coeur? Que me servirait donc enfin d'avoir fait la démarche que j'ai faite?

 

          Les notes de retraite se terminent sur cette interrogation, comme celles de la retraite de 1701. L'accompagnateur de Poullart l'aidera à tirer les conclusions de sa démarche de vérité: en se fondant tout entier sur l'amour de Dieu, il va poursuivre son oeuvre, mais en partageant ses responsabilités: c’est le germe d’une petite communauté de formateurs -la Société du Saint-Esprit- au service de la grande communauté des 'pauvres écoliers'-le Séminaire du Saint-Esprit.

 

 

BESNARD - suite

          Mais tandis que M. Desplaces[9] se livrait tout entier aux soins qu'exigeait sa communauté naissante , et qu'il s'épuisait d'austérités, il fut attaqué d'une pleurésie jointe à une fièvre continue et à un ténesme violent qui lui causa pendant quatre jours des douleurs extrêmes. Elles ne purent arracher de sa bouche un mot de plainte, encore moins d'impatience. On n'apercevait le redoublement de ses souffrances que par les actes de résignation qu'elles lui faisaient produire. La défaillance même de la nature semblait lui prêter de nouvelles forces pour répéter souvent ces paroles du saint roi David : Que vos tabernacles sont aimables, ô Dieu des armées! mon âme ne saurait plus soutenir l'ardeur avec laquelle elle soupire après la demeure du Seigneur. (ps. 83, v 2-3)

          Dès qu'on sut à Paris que sa maladie était sérieuse, un grand nombre de personnes distinguées par leur piété et par leurs places vinrent le voir [...] On lui administra de bonne heure les derniers sacrements, et après les avoir reçus avec  un plein jugement et une parfaite liberté d'esprit, il expira doucement sur les 5 heures du soir le 2 Octobre l'an 1709, âgé de 30 ans et 7 mois. Tel fut le saint et célèbre M. Desplaces, instituteur du séminaire du Saint-Esprit à Paris. L'amitié que la conformité de vues, de caractères, de sentiments avait formée entre M. de Montfort et lui, a toujours subsisté entre les successeurs de ces deux grands hommes et leurs élèves.

 


LA MISSION

 

 

Règles et Constitutions de 1734                 

Chapitre I : Consécration, dépendance, et fin de cette Congrégation

 

1.  Cette Congrégation est consacrée à l'Esprit-Saint, sous l'invocation de la Bienheureuse Vierge Marie conçue sans péché. Elle célébrera donc avec une piété particulière les fêtes de la Pentecôte et de l'Immaculée Conception, afin que tous les membres soient embrasés du feu de l'amour divin et que tous obtiennent une parfaite pureté de coeur et de corps.

 

2.  La Congrégation se trouve sous la juridiction immédiate de l'archevêque de Paris et de ses successeurs.

      Elle a pour but de former de "pauvres clercs" dans le zèle pour les principes de vie de l'Eglise et l'amour des vertus, celles surtout d'obéissance et de pauvreté, afin qu'ils soient dans la main des évêques prêts à tout, à servir dans les hôpitaux, à évangéliser les pauvres et même les infidèles, à accepter, bien mieux, à aimer de tout cœur et à choisir de préférence les ministères les plus humbles et les plus pénibles pour lesquels l'Eglise trouve difficilement des ouvriers.

 

 

BESNARD - suite

          On sait à quoi sont destinés les jeunes ecclésiastiques qu'on rassemble au séminaire du Saint-Esprit. Formés à toutes les fonctions du sacré ministère et à toutes les vertus sacerdotales, et plus encore par les exemples de leurs sages directeurs, ils possèdent dans un souverain degré l'esprit de détachement, de zèle d'obéissance. Ils se dévouent au service et aux besoins de l'Eglise sans d'autres désirs que de la servir et de lui être utiles. On les voit entre les mains de leurs supérieurs immédiats et au premier signe de leur volonté (toujours sous le bon plaisir des évêques), faire comme un corps de troupes auxiliaires, prêts à se porter partout où il y a à travailler pour le salut des âmes, se dévouant par préférence à l'œuvre des missions, soit étrangères, soit nationales, s'offrant pour aller résider dans les lieux les plus pauvres et les places les plus abandonnées, et pour lesquelles on trouve plus difficilement des sujets. Qu'il faille être relégué dans le fond d'une campagne, ou enseveli dans le coin d'un hôpital, instruire dans un collège, enseigner dans un séminaire ou diriger dans une pauvre communauté, se transporter aux extrémités du royaume, ou y continuer une austère résidence, qu'il faille même traverser les mers et aller jusqu'au bout du monde pour gagner une âme à Jésus-Christ, leur devise est: nous voilà prêts à exécuter vos volontés: ecce ego, mitte me (Is. VI, 8). Enfin cette sainte maison est comme une terre bénite d'où tous les ans on retire de jeunes plantes qui vont produire d’excellents fruits dans les terres pour lesquelles on les a destinées...

 



[1] Charles Besnard, Vie de Louis Marie Grignon de Montfort,1770, Livre 5° (vol.1), ‘Le Séminaire du Saint-Esprit à Paris’, p 274-284, Centre International Montfortain,  Rome, 1981

[2] Besnard fait erreur à propos de cette date; Claude-François a bien été baptisé le 27 février, mais il est né le 26

[3] Le P. Joseph Michel c.s.sp. insiste sur le rôle de l’Assemblée des Amis (AA) dans la consolidation de la vie chrétienne de Poullart, jeune théologien à Louis-le-Grand, et sur son orientation de fondateur. Ayant découvert dans les archives sj de Toulouse un ‘billet de bien’, il l’y reconnaissait  sous l’anonymat: « Un autre (confrère) entretient et paye la pension d'un pauvre écolier, achète de vieux habits pour habiller d'autres personnes pauvres; le même fait huit visites au St Sacrement par jour et communie trois fois par semaine; il va souvent aux hôpitaux; il fait deux fois la semaine des instructions à vingt pauvres savoyards et les soulage aussi pour le temporel; il avertit charitablement les confrères qui ne font pas leur devoir; il ne boit que de l'eau et mange fort peu et jamais ce qui est à son goût". Voir: J. Michel,  L'Influence de l'AA sur Claude François Poullart des Places, Paris, 1992

[4] Fragments d’un Règlement Particulier: un texte qui pourrait dater du début du séjour de Poullart au collège Louis-le-Grand comme jeune théologien; ce texte se ressent des conclusions de la grande retraite qu’il a vécue quelques mois plus tôt.

[5] Thomas écrit dans son Mémoire: « M. son père, qui allait à l’épargne, ne lui donnait qu’une pension de huit cents livres. C’était une pension assez modique pour un jeune homme de son âge.Cependant, il trouvait le moyen d’en donner une grande partie aux pauvres. Il assistait le plus libéralement les pauvres honteux, il avait aussi une adresse merveilleuse pour leur épargner la confusion... »

[6] "Messire Claude-François Poullart des Places, en mil sept cent trois, aux fêtes de la Pentecôte, n'étant alors qu'aspirant à l'état ecclésiastique, a commencé l'établissement de ladite communauté et Séminaire consacré au Saint- Esprit, sous l'invocation de la Sainte Vierge conçue sans péché." (extrait d’un Registre c.s.sp.,  copié in ‘Gallia Christiana’, 1744).

[7] La petite communauté des ‘écoliers’, fondée à la Pentecôte 1703, ne cessait de s’accroître; vers la fin de 1704, elle atteignait une quarantaine de membres; Poullart dut faire face à une surcharge de tâches et de soucis, qui l’éprouvèrent profondément. Il reprit le chemin de la retraite pour faire la vérité sur sa crise spirituelle et sur l’oeuvre qu’il avait entreprise et qui semblait le dépasser à présent. 

[8] Poullart fait allusion à sa grande retraite de 1701.

[9] Grâce au partage de ses responsabilités, Poullart fut à même de terminer ses études de théologie; il fut ordonné diacre le 19 mars 1707 et prêtre le 17 décembre suivant.

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