- III -
[FRAGMENTS
Introduction
Lécrit
qui précède sachève par la résolution de sen remettre à la décision
dun directeur de conscience. Ce dernier, dont le nom ne nous est pas connu, dut
donner à Claude-François une réponse très précise, car, dès le mois doctobre
1701, nous retrouvons ce dernier au Collège Louis-le-Grand, à Paris : il y suivait les
cours de théologie donnés par les Jésuites, et se préparait au sacerdoce. Le choix de
Louis-le-Grand est significatif : en faisant ses études de théologie chez les Jésuites
et non à la Sorbonne, Iétudiant renonçait aux diplômes universitaires, et donc
aux perspectives dune carrière ecclésiastique brillante et honorée ; Claude
Poullart des Places a commencé avec décision sa lutte contre lambition, la
vanité, le désir de la gloire humaine. Son biographe, qui fut aussi un de ses premiers
disciples, nous donne de longs détails sur la vie de prière, de pénitence et de
charité quil sétait imposée [2].
Pour
ce qui concerne sa prière, nous avons un document écrit de la main même de Claude
Poullart des Places. Ce document, malheureusement très incomplet, consiste en quatre
pages, manifestement écrites au courant de la plume, avec des ratures et des corrections
faites par lauteur lui-même. Il sagit dun véritable règlement
personnel, numéroté article par article, mais dont il ne reste que la fin du numéro 12 et les numéros 13 à 16. En marge du manuscrit,
une autre main donne un résumé du contenu. Nous ne reproduirons pas ces notes
marginales, qui sont peut-être de M. Thomas. Ce dernier, dans son Mémoire, donne un
texte légèrement différent pour les deux prières à la Trinité quon va lire.
Nous suivrons ici le texte autographe de Poullart des Places.
et le Sancta Maria [3], etc. pour demander les lumières du St-Esprit et la protection de la Ste Vierge; mais je ne mettrai point à ces prières plus dun quart dheure en tout.
13°. Mes prières du matin consisteront dans un Veni Sancte etc., dans ma petite prière de Mon Dieu, je prends la liberté etc., dans trois Pater et trois Ave, le 1er en 1honneur de la Ste Trinité, le 2e en 1honneur de la Ste Vierge pour le petit habit[4], le 3e en 1honneur de mon bon ange, pour quil massiste sans cesse de ses conseils et quil me procure une bonne mort Jajouterai un De profondis etc. pour le repos des pauvres âmes du Purgatoire, et je réciterai le Sancta Maria etc. pour me remettre particulièrement sous la protection de la très Sainte Vierge, dont jai été autrefois lenfant particulier, lui ayant été voué par mes parents, qui mont fait porter pendant sept années le blanc en son honneur [5] Pour ce qui est de la fin que je me proposerai dans mes prières, seront les demandes suivantes que je ferai à peu près de cette manière deux fois le jour le matin et le soir:
Très sainte et très adorable Trinité, Père, Fils et Saint Esprit, que jadore par votre sainte grâce de tout mon cur, de toute mon âme et de toutes mes forces, permettez-moi de vous offrir très humblement mes petites prières pour votre plus grand honneur et gloire, pour ma sanctification, pour la rémission de mes péchés, pour la conversion de mon père, de ma mère, de ma sur, de ma cousine [6], de tous mes parents, amis, ennemis, bienfaiteurs, et généralement pour tous ceux pour qui je dois vous prier, vivants ou trépassés. Permettez-moi, mon Dieu, de vous offrir le saint sacrifice de la Messe à cette même intention, et pour quil vous plaise de maccorder la foi, Ihumilité, la chasteté, la pureté dintention, la droiture dans mes jugements, la grande confiance en vous, la grande défiance de moi-même, la constance dans le bien, la persévérance finale, la douleur de mes péchés, lamour des souffrances et de la croix, le mépris de lestime du monde, la régularité pour mes petites règles, votre force et votre vertu contre la tiédeur, contre les respects humains et généralement contre tous vos ennemis ; faites-moi encore la grâce, ô mon Dieu, de graver dans mon cur, par des traits de votre grâce qui soient ineffaçables, la mort et passion de mon Jésus, sa vie sacrée et sa sainte incarnation, pour que je men souvienne sans cesse et que jy sois sensible comme je dois. Remplissez mon cur et mon esprit de la grandeur de vos jugements, de la grandeur de vos bienfaits et de la grandeur des promesses que je vous ai faites par votre sainte grâce, pour quil men souvienne à jamais, vous suppliant de me donner plutôt mille morts que de permettre que je vous sois infidèle. Que les moments perdus de ma vie passée me soient toujours présents à lesprit, avec lhorreur de mes péchés (quand même jen devrais mourir de douleur, si cela nest point opposé à votre sainte volonté) pour que je sois meilleur ménager désormais avec votre sainte grâce de ceux qui me restent. Il ne me reste plus, mon Dieu, à vous demander que la privation entière de tous les biens terrestres et périssables. Accordez-moi donc encore cette grâce en me détachant absolument de toutes les créatures et de moi-même, pour nêtre plus inviolablement quà vous seul et pour que mon cur et mon esprit, nétant plus remplis que de vous, je sois toujours en votre présence comme je le dois. Faites, mon Dieu, que je vous demande cette grâce du plus profond de mon cur, aussi bien que celle de me charger dopprobres et de souffrances, afin, mon divin Maître, que me rendant digne dobtenir de votre infinie bonté votre saint amour, celui de la Ste Vierge, la grâce de connaître et dexécuter avec une résignation parfaite votre sainte volonté, qui sont les trois grâces que je vous demande par dessus toutes choses, je puisse être prêt de souffrir plutôt la mort de la potence et de la roue, que de consentir à commettre un seul petit péché véniel de propos délibéré ; vous suppliant, mon Dieu, de mhumilier par tous les autres endroits quil vous plaira; car, pourvu que je ne vous offense point, je ne désire rien davantage et je vous supplie que je ne désire jamais rien autre chose. Je vous demande toutes ces grâces, ô mon Dieu et mon tout, non seulement par le seul saint sacrifice de la messe que jespère entendre par votre sainte grâce, et par ces petites prières que je vous fais, mais je vous les demande aussi par le Sang précieux que mon aimable Sauveur J. C. a bien voulu répandre pour moi sur larbre de la croix, par tous les Saints Sacrifices qui vous ont été offerts jusquici, quon vous offre actuellement, et quon vous offrira particulièrement, où le corps de mon Jésus sera immolé. Je vous les demande, ces grâces, par toutes les saintes communions qui ont été faites jusquici, quon fait dans ce moment et quon fera jusquà la fin du monde; par toutes les saintes prières quon vous a adressées, quon vous adresse à présent et quon vous adressera, vous suppliant, mon Dieu, pour cela de me permettre de joindre mon intention à celle de toutes ces saintes personnes, auxquelles je vous supplie dêtre comme à moi un Dieu de miséricorde dès à présent et éternellement, par le Sang précieux que mon Seigneur J. C., mon cher et unique amour par votre sainte grâce, a bien voulu répandre pour nous et que je supplie la Ste Vierge de vous offrir avec nos curs, pour mériter quil nous soit efficace ; ainsi soit-il.
14°. Pour ce qui est des prières du soir, je dirai, après avoir fait mon examen dun quart dheure dans ma chambre, la litanie de la Ste Vierge, trois Pater et trois Ave et le Credo. Je fixe une demie heure pour cela. Je dirai ensuite devant le St Sacrement la litanie du St Nom de Jésus, le De Profundis, le Sancta Maria etc., et la prière écrite ci-dessus. Je compte une autre demie heure pour ces dernières prières.
15°. Je nentrerai jamais (si je navais des affaires extrêmement pressées) dans ma chambre, ni nen sortirai sans me mettre à genoux et sans prendre la bénédiction du bon Dieu à peu près en cette manière : ..... Très Ste Trinité, Père, Fils et St Esprit, que jadore par votre Ste grâce de tout mon cur, de toute mon âme et de toutes mes forces, je vous supplie de vouloir bien me donner la foi, Ihumilité, la chasteté, la grâce de ne faire, de ne dire, de ne penser, de ne voir, de nentendre et de ne souhaiter que ce que vous voulez que je fasse, que je dise etc. Accordez-moi ces grâces, mon Dieu, avec votre très sainte bénédiction, et que, mon cur et mon esprit nétant remplis que de vous seul, je sois toujours dans votre présence et vous prie sans cesse comme je dois. + + + Mon Jésus, soyez-nous Jésus éternellement; mon Jésus, soyez-moi Jésus éternellement; soyez éternellement en moi, et moi en vous. Je vous recommande mon esprit et mon cur entre vos mains par la très Sainte Vierge; au nom de mon Jésus et de Marie [7].
16°. Le matin, avant que daller au cas [8], je saluerai le St. Sacrement en passant; je ferai la même chose entre les cas et la théologie, aussi bien quaprès le dîner et après le souper. Ma prière consistera dans un Ave salus mundi verbum etc., un Adoramus, un Corpus et sanguis etc. et une prière pareille à celle dici dessus pour demander la bénédiction de mon Jésus [9].
[1]. Ce titre n'est pas dans le manuscrit. Celui-ci commence par les derniers mots d'un paragraphe qui devait être le 12e. La première page porte en haut le chiffre romain III. De plus, deux notes ont été ajoutées : 1) en marge, à gauche : Tout ceci est écrit de la main de M. des Places ; 2) en haut, avant le chiffre III : Pendant qu'il était au collège.
[2]. KOREN, Ecrits, p. 252 ss.
[3]. Il sagit dune prière en usage dans les Congrégations mariales qui florissaient alors dans les collèges des jésuites. En voici le texte, daprès le Manuel de ces Congrégations publié à La Flèche en 1610: Sancta Maria, mater Dei et Virgo, ego N. te hodie in Dominam, Patronam, et Advocatam eligo, firmiterque statuo ac propono, me unquam te derelicturum, neque contra te aliquid unquam dicturum aut facturum, neque permissurum ut a meis subditis aliquid contra tuum honorem unquam agatur. Obsecro te igitur, suscipe me in servum perpetuum, adsis mibi in actionibus omnibus meis, nec me deseras in hora mortis. Amen. (Manuale Sodalitatis B. MariaeVirginis ac Juventutis Universae Selectae Gymnasiorum Societatis Jesu, Miraculis dictæ sodalitatis illustratum, a P. F.V.S.I., Flexiæ, 1610 p. 627). Voici la traduction de cette prière: Sainte Marie, Vierge et Mère de Dieu, je vous choisis aujourdhui comme ma Maîtresse, ma Patronne et mon Avocate ; je décide et je me propose fermement de ne jamais vous délaisser, de ne jamais rien dire ou faire contre vous, de ne jamais permettre à ceux qui dépendront de moi de rien faire contre votre honneur. Je vous prie donc, recevez-moi comme votre serviteur pour toujours. Assistez-moi dans toutes mes actions et ne mabandonnez pas à lheure de la mort. Amen .
[4]. On peut penser quil sagit du scapulaire du Mont Carmel, sous sa forme réduite, très en usage au temps de Claude Poullart. La formule dimposition disait : Recevez cet habit
[5]. Ce détail a été mentionné aussi par M. THOMAS (cf. KOREN, Ecrits, p. 228).
[6]. Depuis 1690, Anne-Marie Lamisse du Hingueul, cousine de Claude du côté paternel, habitait chez ses parents à Rennes; elle fera désormais partie de la famille (cf. MICHEL, Poullart des Places, p. 19, 144 et. 184).
[7]. Nous avons gardé deux traits caractéristiques du manuscrit : cinq points de suspension avant le début de la priêre ; trois petites croix avant les mots : Mon Jésus etc. Pour les invocations : Mon Jésus, soyez-nous... soyez-moi Jésus éternellement , le P. KOREN (Ecrits, p. 122-123) suggère qu'il faut recourir à létymologie du mot Jésus, qui signifie : Dieu est sauveur Il ne semble pas que cela soit nécessaire : celui qui aime ne sembarrasse pas détymologie et se plaît à redire à la personne aimée d'être pour lui à tout jamais ce quelle est. La formule nest dailleurs pas inconnue dans la littérature spirituelle antérieure; pour nous limiter à un seul exemple. St Philippe Néri aimait dire : Jesu, sis mibi Jesus (Jésus, soyez-moi Jésus) : cf. L. PONNELLE et L. BORDET, Saint Philippe Néri et /a société romaine de son temps, Paris, 1928, p. 545.
[8]. Il sagit des exercices de théologie morale destinés à la solution des cas de conscience (casuistique). Dans la marge du manuscrit, on lit: Il visitait au moins cinq fois le jour le St Sacrement, profitant pour une de ces visites dun petit moment quil y a entre les cas et la théologie scholastique .
[9]. Ces quatre prières prévues pour les visites au St Sacrement entre les cours et après les repas devaient être courtes. Il nest pas facile de les identifier: 1) la première pourrait être celle quU. Chevalier indique comme une prière pour lélévation du Corps du Christ, qui se trouve dans les Heures dAngers et qui commence par les mots : Ave, salus mundi, Verbum (U. CHEVALIER, Repertorium Hymnologicum, n° 35720) ; 2) la deuxième doit être linvocation très répandue, qui est signalée et conseillée dans le Manuel des Congrégations Mariales que nous citions plus haut (p. 274) sous cette forme: Adoramus te, Domine Jesu Christe, et benedicimus tibi, quia per crucem tuam redemisti mundum (Nous tadorons, Seigneur Jésus-Christ, et nous te bénissons, parce que tu as racheté le monde par ta Croix ; 3) la troisième doit être linvocation prononcée par le prêtre avant la communion : Corpus et sanguis Domini nostri Jesu Christi custodiant me in vitam aeternam (Que le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus Christ me gardent pour la vie éternelle) ; la quatrième enfin doit être la fin de la prière transcrite au n° 15, à partir des trois croix marquées dans le texte.