Femmes au Burkina-Faso



Femme africaine
espoir d'Afrique


Madame Eulalie Dabire, du Burkina-Faso, est formatrice-gestionnaire du GRAAP (Groupe de Recherche et d'Appui à l'Autopromotion des Populations) dont l'objectif est d'aider les populations rurales et urbaines à se prendre en charge sur tous les plans pour un développement durable.
Le fondateur de cette association, le P. Alain Husson est décédé en mars 2002.
Femme célibataire, elle a en charge 4 enfants dont les orphelins de sa sœur et de son frère.


 

Ma vie de femme africaine a commencé dès mon enfance et a connu beaucoup d'événements que je qualifierai de providentiels. J'en retiens quelques points à partager avec vous.

"Mère"' à onze ans

Comme beaucoup de petites filles africaines, j'ai appris à être 'mère" très tôt, à l'âge de 11 ans. Ainée d'une famille de 6 enfants, je dus m'occuper de mes jeunes frères et soeurs. Mes parents venaient de se séparer et nous étions restés avec notre père. Mes poupées d'enfance, ce n'était pas des jouets, mais des petits êtres vivants comme moi et il fallait les nourrir de vrai et les éduquer de vrai. J'ai été comme responsable de jardin d'en fants ou d'école maternelle sans en avoir le diplôme, ni la formation préalable. Il fallait de toutes façons survivre.
Cette expérience a fait naître et développer en moi le souci de veiller sur les autres, d'organiser, de mettre de l’ordre toute chose. J'ai appris ainsi à susciter en nous un esprit de solidarité fraternelle, à< maintenir l'harmonie familiale qui favorise le partage et la joie du service rendu, et à procurer à mes jeunes frères et sœurs l'affection maternelle dont nous étions privés. Néanmoins, j'ai eu la chance d'aller à l'école' C'est grâce à mon oncle, celui qui a suggéré à mon grand père mon prénom traditionnel, que je suis allée à l'école J'avais huit ans. Il disait voir en moi une étoile et c'était le surnom affectif qu'il m'a donné. Mais il a fallu allier responsabilité familiale et vie scolaire. Cette situation a nourri et entretenu en moi l'envie de me battre pour réussir. Puis les Mouvements d'Action Catholique dans lesquels j'ai milité (Ames Vaillantes, Feu Nouveau, et plus tard Guidisme et jeunes Témoins du Christ) ont beaucoup renforcé cette motivation en moi. De là est née ma vocation d'animatrice, aimant créer, organiser et réaliser des activités avec les groupes.
C'est ainsi que pendant les vacances, j'ai mais réunir les filles de ma classe d'âge, et ensemble, nous faisions la collecte du bois de chauffe, assurions la corvée d'eau et allions à la cueillette de feuilles comestibles pour la sauce. Pour nous, c'était un cadre d'échange, de partage et même d'auto- éducation

Quand on va à l’école

Je me souviens aussi avoir initié dans un des villages du secteur une sorte de colonie de vacances pour toutes les filles de
ma paroisse d'origine (aspirantes et postulantes) en formation pour la vie religieuse.
Pendant deux semaines, encadré par deux aînées religieuses, notre groupe a partagé . la vie quotidienne d'une communauté villageoise majoritairement païenne. Le choix de ce village a été dicté par une intention évangélisatrice. Tous les matins, nous allions dans le champ d'un des notables du village et l'après-midi nous entretenions la population sur l'hygiène, la santé et l'organisation des communautés de base. Le témoignage a émerveillé les populations de ce village et des environnants. Nous en étions heureuses. Une autre initiative a fait date. En 1 980, j'ai convoqué une réunion de famille, c'est-à-dire avec mes grands-parents, mon père, mes oncles et mes cousins. Du jamais vu ! Car, dans mon village, comme dans beaucoup d'autres certainement, une pareille chose ne s'était pas encore produite : "une fille qui convoque les hommes à une réunion de famille ! A la rigueur elle aurait pu le faire avec les femmes" 1 Je n'étais pas sûre qu'ils répondraient positivement à mon appel. Mon père, à qui j'avais confié la charge de les convoquer, avait trouvé que j'alla - is un peu fort. " Crois-tu qu'ils vont sortir pour toi, qu'est-ce que tu ne me feras pas faire " ? Il ajouta : '"Je me demande parfois si j'ai bien fait de t'envoyer à l'école ". Il pensait pouvoir me dissuader. Mais il s'exécuta.
Plus de30 hommes répondirent à la convocation. Ce jour là, je leur ai fait une sensibilisation sur la nécessité de scolariser les enfants. Ils m'ont écoutée et ils ont agi dans ce sens. Depuis lors, je me suis dit que la femme devrait peut-être essayer de prendre sa place dans la société. Elle devrait parfois oser poser des actes qui la libèrent ou au moins qui contribuent à sa libération Lorsque Camara Laye dit " Femme de la résignation " pour moi c'est une interpellation, une provocation, une incitation à sortir de cette résignation qui nous bloque.

Combat pour la dignité

En relisant tous ces événements, je constate que trois d'entre eux en ont été comme les charnières: l'école, ma vocation religieuse (ma foi et mon désir de donner toute ma vie), ma vie professionnelle (l'amour de mon travail professionnel). Ce qui m'a paru être ma force. Ma souffrance par contre a toujours été le fait de voir à travers la situation de ma mère, l'injustice dont on peut être victime parce qu'on est femme. Dans le milieu intellectuel, on observe la même chose au niveau des postes disputés sur le plan politique, et des fonctions occupées dans différents services, et pire encore au niveau de la rémunération entre un homme et une femme occupant les mêmes fonctions.
Une fois, une amie m'a rapporté ceci de la part d'un de ses copains : " Dis à ton amie que si elle veut avoir un homme, qu'elle se montre un peu plus dépendante. Nous les hommes, nous avons peur des femmes financièrement indépendantes, capables de régler leur factures et de se payer un logement ". Cela dénote que donner son avis, son point de vue devant les hommes n'est pas courant pour une femme africaine que l'on voudrait toujours maintenir dans une rési gnation ou une aliénation intellectuelle. C'est sûr que la femme africaine si elle ne fait pas preuve d'une force de caractère, elle peut sombrer.
Cependant, l'heure n'est pas au découragement. Fort heureusement, il y a des femmes, comme l'ancienne ministre de la culture du Mali Aminata TRAORE que j'admire beaucoup, qui se battent et des hommes qui les soutiennent dans leur lutte pour s'affirmer et prendre leur place.

Le gouvernement Burkinabé fait des efforts considérables pour favoriser l'écoute des femmes, par une attention accordée aux divers groupes de femmes pour les encourager, par les responsabilités nationales et internationales confiées à des femmes.
Je peux dire que ma force se trouve dans la volonté déterminée que j'ai de réussir. de toujours chercher l'excellence et de faire honneur. Elle se trouve surtout dans la prière à l'exemple de Marie qui fait confiance à son Dieu et aux autres. je la puise, cette force, dans la lecture de ['Écriture Sainte et les sacrements. Mon regard s'est souvent porté vers Mère Teresa, cette grande femme humble mais forte de caractère qui n'a pas attendu les grands moyens pour faire les petites choses qui ont souvent sauvé des vies et qui l'ont portée vers la sainteté.
Nous devons nous soutenir les unes les autres pour mener le bon combat et préserver les valeurs de la femme africaine, mère de la société, terre d'espérance et foyer d'amour.


"O toi Dâman, ô ma mère, toi qui me portais sur le dos, toi qui essuyais mes larmes, toi qui me réjouissais le coeur, toi qui, patiemment, supportais mes caprices, je pense à toi".

Eulalie Dabiré