L’Eglise d’Algérie, comme toutes ces Eglises-minorités,
avec chacune leur histoire, n’ont pas fini de découvrir l’évangile et les
manières d’en témoigner. Pardonnez-moi de m’être attardé sur ce que nous
avons vécu… Un confrère du Pakistan, des Philippines ou du Nord Nigéria
aurait peut-être une autre saga à nous conter, mais comme nous en avons fait
ensemble l’expérience à Banjul en Juin 2002, il y a de nombreuses
convergences. Cette mission ne nous laisse pas en repos. Elle est passionnante
parce qu’elle est en quelque sorte la mission de l’extrême. De quoi demain
sera fait ? Dans le bouillonnement dans lequel le monde musulman est très
impliqué, ces petites communautés hôtes dans le « dar el Islam »
(la maison de l’Islam) ont toutes à être des ponts, ou mieux des passerelles
en raison même de leur fragilité, au-dessus de cette faille qui risque encore
de s’agrandir entre deux mondes… Alors Dialogue mystique par la prière,
dialogue théologique dans le partage mutuel de notre foi ? Dialogue de l’action ?
Dialogue de la vie, comme disent les spécialistes ? Présence ?
Rencontre? C’est tout ça la mission en pays majoritairement musulman et sans
doute bien plus…
Mais est-ce une mission spiritaine ou pas ? A vous d’en
juger ; en tout cas personnellement je ne trouve rien dans la règle de vie
qui soit en contradiction avec cette mission ; au contraire, avec l’Evangile,
elle apporte largement de quoi nourrir nos rencontres. Je ne peux m’empêcher
de penser que Libermann aurait certainement mis dans les premiers rangs, sinon
au premier rang de ses priorités missionnaires d’ aujourd’hui, la rencontre
avec les musulmans, y compris en Europe et en France, dans ces banlieues qui s’organisent
apparemment parfois en « dar el Islam » (maison de l’Islam).
Et les résultats, me direz-vous ? Interrogez l’Esprit
Saint . Lui seul sait ses chemins dans le cœur de ceux que nous
rencontrons sur notre route. Les signes ne manquent pas de sa présence. Ce
serait là un autre sujet de conférence. Et je ne parle pas seulement de ces
nombreux signes de confiance, d’amitié et même d’amour dont témoigne
quantité de petits gestes : invitation au ftour ou aux soirées de
Ramadan, aux temps forts de la famille (naissance, circoncision, mariage,
sépulture) gâteries de toutes sorte à l’occasion des fêtes ( ce sont
parfois, à la fin du Ramadan, des dizaines de plats de gâteaux), le partage du
mouton à l’occasion de l’Aïd el Kébir, services rendus ou demandés,
visites gratuites et amicales où on peut parler en toute confiance, même des
choses de la foi, demandes de prières pour telle ou telle intention (ce qui,
vous le savez, va à l’encontre de toute pratique officielle de l’Islam). Je
garderai longtemps un souvenir ému de ces gens inquiets pour notre vie au plus
fort de la crise islamiste… Puis il y a ces échanges avec des étudiants ou
des adultes, pendant ou après les cours de français, ou un service rendu à la
bibliothèque et particulièrement ces moments intenses de partage de la
foi où l’on arrive à se dire, dans le respect : « J’aimerais
que tu partages ma foi chrétienne », « J’aimerais que tu partages
ma foi musulmane » ,comme un appel à Dieu ,seul capable de faire
converger nos routes. Et dans une société aussi tourmentée, où il est si
difficile de se confier entre mari et femme, entre parents et enfants, adultes
et jeunes, que d’occasions d’être le pacificateur, le consolateur. Ce rôle
d’ « accompagnateur spirituel » a même fait l’objet d’une
de nos réunions de supérieurs majeurs d’Algérie. C’est dire l’importance
qu’il revêt. Il n’est évidemment pas question de nouer un tel dialogue
avec les enfants ou à des adolescents : on nous accuserait rapidement de
prosélytisme. Mais il y chez ces derniers une multitude de paroles ou de gestes
qui manifestent une pleine confiance, au-delà des différences religieuses. Il
m’est impossible de croire que tous ces jeunes puissent un jour partager les
préjugés contre des chrétiens, des prêtres, des religieux ou des religieuses
qu’ils ont ainsi fréquentés dans le respect mutuel et l’amitié. Il arrive
souvent qu’on se souvienne , en partageant le thé de l’amitié, de ce
passage de l’évangile : « Si quelqu’un donne un verre d’eau à
l’un de mes disciples en tant que disciple, ce geste ne restera pas sans
récompense. »…à plus forte raison quand c’est un bon verre de thé
à la menthe.
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