Dossier       À Impfondo, l'Église lutte pour la dignité de tous 
 



Une situation humanitaire de 1re urgence

Depuis 2006, le P. Lucien Favre, spiritain suisse, anime la pastorale des communautés autochtones de la préfecture apostolique de la Likouala. Pour que, par la santé et l’éducation, les Pygmées sortent du mépris où ils sont maintenus. 
De nos jours encore, les peuples pygmées au Congo sont dans une situation d’extrême pauvreté et de marginalisation. Leur lot quotidien est fait de non-reconnaissance de leurs valeurs et connaissances et de non-accès aux services sociaux (écoles, dispensaires). […] Les Pygmées sont traités comme des sous-hommes et souffrent de la discrimination dans chaque domaine de leur vie.
L’Observatoire congolais des droits de l’homme, publié en juin 2006, dit en mots clairs pourquoi nous, spiritains, travaillons en Église, auprès des peuples de la forêt du Nord-Congo.
« Dans le département de la Likouala, écrit cet organisme, l’emprise des « maîtres bantous » sur les Pygmées est très forte et nul ne doit s’y opposer. Même les autorités administratives et politiques n’osent la proscrire de peur de s’attirer les foudres des chefs locaux. D’ailleurs plusieurs responsables politiques de la contrée sont des maîtres de Pygmées. Cette situation leur permet d’avoir de la main-d’œuvre bon marché pour les travaux des champs, la chasse, la pêche. […] Se considérant parfois comme des « propriétaires » de Pygmées (« Tu es mon Pygmée, j’ai mes Pygmées », entend-on dire!), ils ont le droit de les astreindre à toutes sortes de besognes à leur profit, sans contrepartie, si ce n’est quelques bâtons de cigarettes ou litres de vin de palme. »
Depuis de nombreuses années, devant une situation humanitaire de 1re urgence, la préfecture apostolique de la Likouala a mis tous ses efforts sur la santé des populations pygmées (lutte contre la lèpre et le pian) grâce, notamment, à l’action des Filles de la Charité. Aujourd’hui, elle élargit son action dans le domaine de l’éducation par « l’instauration d’un système d’alphabétisation adapté aux cultures autochtones » dans les zones décentralisées du département de la Likouala qui se retrouvent au début de ce XXIe siècle dans une situation allant à l’encontre des droits les plus élémentaires des personnes et des peuples.
Frontière avec le Cameroun, la Centrafrique et la RDC, la préfecture apostolique de la Likouala scolarise près de 1 000 enfants autochtones répartis dans les 10 écoles d’un territoire aussi vaste que la Suisse. La méthode ORA (observer – réfléchir – agir) élaborée par les Frères des Écoles chrétiennes du Cameroun), adaptée au contexte des enfants de la forêt y est expérimentée.
L’objectif général du projet consiste à développer dans l’ensemble de la préfecture apostolique de la Likouala une pastorale de 1re évangélisation auprès des populations autochtones en privilégiant leurs droits à la santé et à l’éducation. Il s’agit de scolariser le plus possible d’enfants autochtones afin qu’ils puissent devenir acteurs de leur propre développement. En lien avec la pastorale diocésaine de la santé, nous voulons apporter les soins primaires à une population totalement marginalisée par les services étatiques. Et réduire tabagisme et alcoolisme chez les jeunes.
Ce n’est que de cette façon que nous espérons former de petites communautés chrétiennes témoins d’un Dieu libérateur et transmettre l’Évangile du Christ libérateur à l’ensemble des populations autochtones de la Likouala estimées à 50 000 personnes. Pour qu’existe plus de respect des droits des peuples autochtones au niveau régional et national.
Nous prévoyons de localiser tous les villages et campements autochtones, de les visiter régulièrement et de lancer dès que possible une structure scolaire : 10 écoles d’alphabétisation sont déjà en service : Minganga, Mobangui, Mbanza, Tanri, Lopola, Mokabi, Enyelle, Dongou, Woango et Bétou 1. Nous leur proposons une éducation à la santé et à l’hygiène en prenant en compte la pharmacopée traditionnelle. Le suivi sanitaire sera prioritairement assuré par les Filles de la Charité, les Petites Sœurs de Jésus et les Sœurs de la Ste Famille des Nécessiteux. Nous commençons la formation dans toutes les paroisses de catéchistes pour les populations autochtones.
Grâce à l’Unicef, chaque enfant reçoit ardoise, craie, cahier et livre. Des sessions de formation sont régulièrement organisées pour renforcer les capacités pédagogiques de nos 14 enseignants. Ils ont un niveau scolaire faible mais l’avantage d’être eux-mêmes autochtones. Notre principal souci est celui de leur trouver des indemnités correctes (l’équivalent de 650 €/an/enseignant) pour compléter la participation des parents qui apportent miel, poivre, poisson ou gibier pour subvenir aux besoins de l’enseignant.
1 En quittant le centre de formation Sala Ngolo de Dolisie, en 2006, je ne pouvais pas imaginer qu’un an plus tard un centre d’apprentissage allait ouvrir ses portes à Bétou dans l’extrême nord du pays.
À la demande d’une société forestière italienne, Likouala Timber, qui sollicitait notre appui d’Église pour former professionnellement les jeunes de la région, je me suis engagé à piloter le projet avec le concours d’une dizaine de jeunes formés à Sala Ngolo. Embauchés par la société, ces derniers ont fait près de 1400 km pour venir encadrer leurs frères du Nord en mécanique, menuiserie, agriculture, restauration, soudure, plomberie et couture. D’autres sociétés forestières de la région ont recruté des jeunes formés à Sala Ngolo en informatique, maraîchage, restauration et mécanique pour faire face à une main-d’œuvre essentiellement venue du Cameroun, de Centrafrique, de RDC, de Côte d’Ivoire, etc. Actuellement, 187 apprentis se forment ainsi à un métier. Dans 2 ans, ils pourront en vivre. 

Retour à Publications
Retour au Sommaire du Dossier