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  Dossier      Europe - Les Spiritains réorientent leur mission 

Espagne.
Le centre Adroga d’Aranda de Duero.
Faire communauté avec de jeunes drogués


À Aranda de Duero, les PP. Jean-Pierre Gaillard et Étienne Cangue Essiben partagent la vie d’une quarantaine de drogués du centre Adroga et apportent leur soutien aux professionnels qui les encadrent.
 


« J’étais drogué, et vous m’avez accompagné… »
Que nul ne s’offusque de l’utilisation de ce texte évangélique bien connu, mais qui dit bien ce qu’elle veut dire : la charité chrétienne s’invite partout où il y a de la misère. Les religieux, et singulièrement les spiritains, ne peuvent ignorer ce drame du monde d’aujourd’hui : des milliers de jeunes, en particulier en Europe, pensent trouver la réponse à leurs problèmes dans les paradis artificiels, drogues et alcool. En fait, c’est l’horreur qu’ils rencontrent. Plus tard le piège se referme sur eux. La descente aux enfers se poursuit à un rythme effréné. Et souvent la mort est au rendez-vous. Ce fut le lot de Raúl, 27 ans, que j’ai enterré à Palencia il y a un peu plus d’un an. On l’a retrouvé au petit matin d’un dimanche, mort dans la rue, suite à une overdose. Il avait logé chez nous quelques mois. Il aurait bien voulu s’en sortir, mais c’était trop pour lui. Raúl a raté sa sortie, et bien trop tôt. Lui aussi était fils de Dieu, frère de Jésus, mon frère. Pas facile d’enterrer un frère de cet âge.
Un médecin d’Aranda de Duero, modeste ville castillane à 160 km au nord de Madrid, au nom de parents de toxicomanes qu’il voulait aider, demanda aux spiritains espagnols qui venaient de fermer leur noviciat s’ils acceptaient de recevoir, dans leur grande maison désormais libre, de jeunes drogués en phase de désintoxication et de réhabilitation. La réponse fut évidemment positive.
Le modeste service des débuts est devenu une association, nommée Adroga, qui reçoit aujourd’hui de 35 à 40 jeunes gens, tous victimes de drogues ou/et d’alcool. Plus de 10 professionnels, qualifiés et vraiment engagés, y consacrent leur temps, même si nous savons tous que nos espérances ne sont pas toujours satisfaites, loin s’en faut.
Un grand nombre de difficultés ont amené les responsables de l’association Adroga à s’adresser de nouveau aux spiritains afin que soit rouverte une communauté qui apporterait son aide, tant matérielle que spirituelle. Le provincial d’Espagne, prenant en compte le souci pour la justice qui est au cœur de la vocation spiritaine, s’est tourné vers la circonscription Europe (CE) dont une des vocations est d’aider les provinces d’Europe en difficulté à assurer une présence significative dans leur pays.
Le P. Dick Olin, récemment nommé à la tête de la CE, sans doute poussé par l’Esprit, a immédiatement décidé de donner suite à cette proposition.
Le 2 octobre 2008, nous avons rouvert la communauté spiritaine d’Aranda… Mais j’en étais le seul membre. D’où l’idée de « faire communauté » avec des jeunes en fin de programme et qui tentent de se réinsérer dans la vie après tant d’années de problèmes accumulés. Sur le plan spirituel, s’est installée en moi cette idée que vivre pour les pauvres, c’est très bien, mais que vivre avec les pauvres, c’est plus évangélique, quoique souvent moins confortable.
Certains redécouvrent la foi de leur enfance et entreprennent un chemin de conversion qui nous rappelle que l’Évangile s’adresse aux pauvres et que la grâce agit aussi chez les exclus de la société des hommes.
Ainsi, Bernabé (que l’on appelait Rufo) a vécu 18 mois avec moi. Il s’est réinséré maintenant dans sa belle Andalousie. Ce sont actuellement 2 Madrilènes, Paco et Héctor, qui partagent notre vie. Tous les 3 auraient connu de gros problèmes pour retourner à la vie normale immédiatement à la sortie du centre : pour des raisons diverses, c’eût été sûrement le retour à la case départ que l’on devine. À tous, je dois beaucoup, car outre leur compagnie jeune et sympathique, ils ont été mes « maîtres » pour que je puisse entrer dans ce monde de la drogue que la bonne éducation de mes parents et l’excellente formation reçue chez les spiritains ne m’avaient absolument pas fait connaître !
Ma grande joie, c’est d’avoir reçu un confrère, il y a un an : le Père Étienne Kengue Essiben, Camerounais qui a terminé en France sa formation, jeune prêtre ouvert à toutes les possibilités. Il a dû apprendre la langue castillane. Nous avons décidé qu’il suivrait une formation spécifique pour, plus tard, s’engager professionnellement dans le centre.
Pour l’instant, mon travail n’est qu’un modeste soutien aux professionnels du centre Adroga, surtout en accompagnant les jeunes dans les hôpitaux (leur état physique est souvent désastreux), les cours de justice (leur passé est ordinairement lourd), différentes administrations, etc. L’écoute est mon lot quotidien. Je participe à différentes réunions de direction de l’établissement. Nous travaillons actuellement à redéfinir les rapports juridiques entre l’association et les spiritains. Évidemment, ma tâche de prêtre m’invite à l’accompagnement spirituel de ceux qui le souhaitent. Certains redécouvrent la foi de leur enfance et entreprennent un chemin de conversion qui nous rappelle que l’Évangile s’adresse aux pauvres et que la grâce agit aussi chez les exclus de la société des hommes. Bien des possibilités nous sont encore ouvertes dans ce cadre d’Aranda pour dire que Jésus-Christ n’est pas venu pour les bien portants, mais plutôt pour les malades. Nous attendons donc du renfort pour mener à bien cette tâche un peu délicate mais enthousiasmante.
Jean-Pierre Gaillard
gaillard.jeanpierre@yahoo.fr



> Aranda de Duero, c’est d’abord, vu de l’extérieur, un imposant bâtiment. À mesure qu’on y pénètre, on trouve des habitants dont le panneau Adroga indique le problème commun. Drogué ! Le mot suscite à la fois peur et curiosité, autant que les pensionnaires qui y vivent. Nous sommes là, Jean-Pierre et moi, 2 spiritains perdus dans ce monde, non pas tellement pour aider les drogués en les tenant à distance, mais pour vivre au milieu d’eux et avec eux.
On écoute, on accompagne, on analyse et on agit, toujours avec le même souci de restaurer la dignité d’enfants de Dieu à travers celle de l’être humain. Tout cela au cœur de l’eucharistie quotidienne. Ce qui m’impressionne le plus, ce sont les drogués eux-mêmes. Malgré leur passé assez lourd, malgré leur avenir incertain, eu égard à de multiples jugements encore en suspens, ils continuent à croire que demain sera meilleur qu’hier et aujourd’hui. Certains réussissent leur réinsertion, d’autres triment sous l’effet des narcotiques. Mais tous ont le même idéal et c’est leur mérite : devenir des hommes comme vous et moi, reprendre une vie normale et être acceptés par la société. En cela, ils sont incontestablement des porteurs d’espérance.
Étienne Cangue Essiben
essibenk@yahoo.fr


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