Dossier     Migrants africains , raisons d'un exil 
 


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De galères en naufrages?

Ier avril 2006, Nouadhibou. Al'église Notre-Dame-de-Mauritanie le Père Jérôme Dukiya nous fait rencontrer Malien et un Ivoirien,jeunes rescapés de 2 naufrages. Qui sont ces risque-tout? Ils racontent...

Je suis de la région de Gao, dans le nord du Mali, j'ai 18 ans. Je quitte l'école en 6e. Je suis parti pour trou­ver du travail. Impossible d'avoir un visa. Il m'a fallu
trouver 350 C pour envisager d'atteindre les îles Canaries en pirogue. C'est ma soeur qui me les a avancés. C'est mon 2e essai. Le ~ à bord d'un grand bateau, m'a amené à Rosso. La pirogue du 2e essai, c'est un Sénégalais connaissant la mer qui le pilote. On paie au moment de partir à quelqu'un qui ne part pas. Je ne le connais pas. Il a tout acheté: moteur neuf, essence, pain, eau, huile et petites tomates. Un véhicule nous conduit au lieu d'embarquement. Nous partons donc à25, tous contactés de bouche à oreille. À bord, 20 bidons de 20 litres d'eau. On fait la cuisine dans la pirogue avec du poisson séché. Nous tombons en panne. Nous croisons des bateaux espagnols. l'un d'eux nous donne de quoi man­ger mais ne nous remorque pas. Au bout de 3 jours, tous se connaissent à bord: Maliens, Guinéens, Sénégalais. Certains parlent français. D'autres pas. Il y a 2 femmes à bord. Les Marocains nous ramènent ici après 3 jours de mer. Avec 3 morts à bord.
Maintenant je cherche de l'argent pour rentrer chez moi. Je suis footballeur. Je pensais aller jouer en Europe. Dieu ne m'a pas donné la chance d~ arriver. Nous les pauvres, nous n'avons pas les moyens de prendre l'avion. Des fils de minis­tres et d'hommes politiques y arrivent. Nous, nous n'avons pas d'autres moyens que de risquer notre vie.
Mais la mort ne m'empêche pas de partir. Il y a trop de pro­blèmes au pays. Faut vraiment que les Blancs baissent les prix des vols en avion et ceux des visas pour que nous puissions venir en Europe gagner de l'argent et nous permettre de mieux vivre. Je ne veux que chercher de l'argent pour ma fa­mille. Mon père est décédé. Ma mère fait du petit commerce. J e ne lui ai pas dit que je pensais partir en Europe. Je lui ai téléphoné depuis la Mauritanie. Je voulais lui faire une sur­prise. Si elle l'avait su, je suis sûr qu'elle m'aurait déconseillé de le faire.

J e suis originaire de la ville de Man en Côte d'Ivoire. Je joue au foot, latéral droit, en 2~ division. Pendant les conflits de 2003, un ami m'a donné les moyens de venir en Mauritanie. Les gens commençaient alors à par­tir sur des pirogues. J'ai aussi voulu aller en Europe pour le football. J'ai payé 700 C pour aller au Maroc. Le moteur est tombé en panne. Retour à la case départ. D'autres volontaires se rassemblent. Comme je trouve moi-même 5 autres partants, je ne paie plus ma place. Départ assisté d'un GPS. Au bout de 2 h, panne du moteur. De l'acide a été mélangé au carburant. Le même sort attend le second moteur quelques heures plus tard. A 250 km de Las Palmas, nous faisons du sur-place pendant 4 jours. Sur les 45 à bord, nous sommes 2 chrétiens. Certains commencent à faire des rites traditionnels en voulant nous asperger tous de leurs « médicaments». Je m'y oppose. Bagarre. Ils veulent me jeter à la mer. Un bateau espagnol s'approche de nous et demande ce qui nous est ar­rivé. On nous donne du pain et de l'eau. Lt on appelle des Marocains qui nous envoient dans un camp. Nous y passons 5 jours, avec nourriture, interrogatoires, prises de photos. Un matin, la nouvelle tombe: nous allons être refoulés. Retour dans notre pirogue avec 4 bidons de carburant, un moteur soi-disant réparé... Notre pirogue s'accroche à un bateau plus puissant. Nous le lâchons au bout d'un moment. Nous som­mes retombés en panne. Certains pêcheurs nous approchent mais refusent de nous aider. Ils ont peur de la police qui n'aime pas que l'on s'occupe des clandestins. Nous essayons de ramer avec nos mains. Deux jeunes en pirogue acceptent finalement de nous tirer jusqu'au bord de plage. Une vague a renversé notre pirogue. Tout tombe à l'eau. Les mouettes volent autour de nous en pleurant. Je prie. Je ne sais pas comment je m’ en sors.. Trois d’entre nous seulement ont des gilets de sauvetage. Ils les donnent aux 3 femmes qui sont à bord. Les militaires arrivent. Ils nous demandent de sauver ceux qui essaient de s'en sortir. Avec les dernières pièces de monnaie qui me restent, je me rends en ville, en taxi. J'apprends le drame: 35 morts. Le marabout croyait trop en son médicament! Si j'avais de l'argent, j'aimerais tourner un film pour faire connaître nos situations aux Français. S'ils savaient ce que nous souffrons pour essayer d'entrer en Europe, ils nous en faciliteraient l'accès. Pour que s'arrête cette folie des clandes­tins. Déjà en Afrique, les démarches pour obtenir des papiers de sortie du pays sont très difficiles. Mais on dit dans les quartiers que c'est la France qui refuse l'arrivée des Africains. Quand tu es l'aîné d'une famille, tout le monde compte sur toi. Ici, à Nouadhibou, nous logeons à plusieurs dans une chambre. Au 3ème contrôle de police, tu es attrapé et refoulé. Les camps que les autorités montent et entourent de barbelés, ils vont y entasser les refoulés d'Europe. Sous des tentes, sur des lits à étages!
Propos recueillis par Lucien Heitz


Entre janvier et mars 2006, plus de 3000 clan­destins (3 fois plus qu'en 2005) ont tenté de par­tir vers l’Europe via les Canaries~.40 % d'entre eux n'y arrivent jamais. Plus de 16000 candi­dats attendent sur 1es côtes de la Mauritanie qui, avec l'appui de l'Espagne, renforce les contrôles aériens, terrestres et maritimes.


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