Dossier     Migrants africains , raisons d'un exil 
 


Retour

Si J'ai de l'argent, je vais essayer à' nouveau. Les risques ne me font pas peur. Quitte à mourir ça vaut mieux que de rester dans la galère.
Ibrahima Niass, Sénégalais, 24 ans.

La volonté de s'en sortir


C’est parce qu'il y a des morts sur nos plages que vous venez voir ce qui se passe ici !
Le P. jérôme Dukiya, spiritain nigérian, répond à 2 journalistes néerlandais . En évoquant les raisons qui poussent ces milliers de jeunes à l'exode.



Que  faites-vous devant le nombre impression­ de candidats au départ?
Ce que nous faisons, nous ici, à la paroisse, pour tous le~wi s qui nous arrivent, nous voulons qu'ils puissent le percevoir comme une bonne nouvelle, quelque chose qui leur fait du bien. C'est pour cela que nous nous inté­ressons à leurs problèmes. Comme le font ailleurs dans le monde nos confrères spiritains dans 60 autres pays.
Ici en Mauritanie, dans un contexte d'islam fort, notre tra­vail est difficile. Les gens qui viennent à l'église sont tous des migrants: il n'y a pas de Mauritaniens chrétiens. Ces migrants, nous les accueillons tous, chrétiens, musulmans et autres croyants, tels qu'ils se présentent. Quand ils arrivent dans les bidonvilles et chez nous, à la paroisse, ils disent sim­plement qu'ils veulent travailler. Ils n'avouent pas qu'ils envi­sagent d'aller en Europe.
Depuis 2005, première nouveauté: il devient possible, avec l'aide d'un GPS, d'atteindre les îles Canaries en pirogue. Autre nouveau-té: nous voyons arriver des survivants de naufrages et avons à enter­rer des jeunes que les services de police nous amènent. Nous avons mis sur pied une association qui fait le lien avec la gendarmerie. J'avais rencontré 3 compatriotes nigérians. L'un d'eux avait même travaillé ici, à la paroisse. Il a été à la messe le dimanche. Le lendemain, lundi, la police a ramené son corps. Des 45 occupants de la pirogue, seuls 2 ont survécu. Ils m'ont ensuite tout raconté.
En 2006, le problème s'aggrave. Le Maroc a fermé ses frontières. Plein de gens sont morts, impossible d'en con­naître le nombre exact. Les jeunes sont dans la mer. En recoupant les informa­tions reçues des uns et des autres, je crois pouvoir dire que 60 % des par­tants sont morts. Leurs logements sont restés vides, plus de traces d'eux alors                 qu'ils étaient connus de beaucoup d'entre nous. Où sont-ils donc passés s'ils ne sont pas morts? Ceux qui ont réussi à atteindre les Canaries donnent tou­jours signe de vie. Ces jeunes cherche­ront toujours une autre route que celle du Maroc, de l'Algérie et de la Libye qui leur refusent les visas.

Ces jeunes, que cherchent-ils en Europe? Leur dites-vous que la vie est difficile?
Ils veulent de l'argent pour mieux vi­vre. Ils ne veulent pas s'installer là-bas contrairement à ce que l'on pourrait penser. Personne ne quitte l'Afrique de gaieté de coeur. Ils cherchent simple­ment une vie meilleure pour eux et leur famille. Savez-vous ce que c'est que la misère en Afrique? Aucune situation en Europe ne peut être pire et plus dure à vivre que la misère en Afrique. C'est ce qui fait qu'ils sont prêts à tout pour s'en sortir. La route de Nouadhibou n'a jamais été aussi difficile qu'aujourd'hui. Cela n'arrête pas les gens. Ils ont vu la mort de leurs yeux. Rappelez-vous ce que des jeunes ont vécu en Guinée-Bis­sau par exemple? Ils n'ont connu que la guerre depuis qu'ils sont nés. Rien que la guerre.
Living in Africa is death », disent les anglophones... Combien de peuples peuvent le répéter en toute vérité. Je connais un jeune qui a raté 3 fois de suite son départ. Je lui ai parlé, je lui ai déconseillé de retenter l'expérience et d'exposer encore sa vie. Il ne m'a pas écouté. Il a recommencé et a fini par arriver en Espagne. Celui qui réussit un tel tour de force devient naturelle­ment un exemple à imiter pour tous les autres.

Où trouvent-ils l'argent pour payer un tel voyage?
Je ne le sais pas exactement. De leur travail peut-être? D'un système de coti­sations établi entre eux? Ils disent tous que la somme payée pour le voyage n'est en fait qu'un investissement comme un autre en vue de l'obtention d'un travail. Après, quand on travaillera, on trou­vera bien les moyens de rembourser.
Le prix du passage Nouadhibou - les Canaries varie selon le nombre de par­tants. De 500 à 750 f. Certains, quand ils savent qu'une pirogue va partir, arri­vent à y sauter sans payer. Le phénomè­ne n'est pas quelque chose d'organisé,
comme un nouveau transport d'escla­ves. Ce sont d'abord des gens qui veu­lent s'en sortir par eux-mêmes, ça se dit dans les groupes et ça s'organise à l'insu des autres. Ils avertissent cependant leurs parents restés au pays. Ils leur de­mandent de prier pour que leur voyage réussisse. Je sais que Si j'avais eu assez d'argent pour payer le retour au pays à certains d'entre ceux qui auraient ac­cepté de rentrer, ils seraient probable­ment encore en vie aujourd'hui.

Qu'est ce qui peut décider un jeune   à renoncer à partir?
Je garde des photocopies de papiers to­talisant les sommes d'argent avancées àdes jeunes qui avaient décidé de retour­ner au pays.
Je fais le lien avec des associations comme celle des Nigérians pour qu'el­les puissent soutenir financièrement leurs ressortissants et les suivre dans leurs démarches de retour. S'il y en a qui nous trompent, j'aurai au moins la conscience tranquille de ne pas le trou­ver mort sur la plage.
Un matin, j'ouvre la porte à un gars qui me tend une bible en me disant:
«Donne-moi à manger en échange de cette bible!»
Je l'accueille, lui offre de prendre une douche, lui présente des vêtements pro­pres et de quoi manger. Après un long temps d'écoute, je lui donne l'argent pour qu'il puisse retourner chez lui. Il est parti. Quelque temps après, il me téléphone depuis Dakar: «Même s'il me faut manger du manioc cru, m'avoue-t-il, je prefire rester au pays que de revi­vre ce quej a'i sou$rt dans le désert!»
Je crois que nous avons à régler ensem­ble les problèmes du monde en don­nant le même sens aux mêmes mots. La seule solution à ce phénomène de migration clandestine, c'est la justice internationale.
l'Afrique a assez de richesses pour faire vivre ses habitants. Mais tout est poli­tique et économique. Pleins de touris­tes peuvent venir en Afrique voir ce que nous vivons. Mais sans décisions justes au niveau politique, rien ne changera. Des jeunes continueront àmourir comme ceux que nous pleurons aujourd'hui..
Propos recueillis par Lucien Heitz
Soutien aux migrants
La paroisse Notre-Dame-de­Mauritanie veut permettre aux migrants d'avoir des con­ditions matérielles et humaines pour s'insérer à Nouadhibou. Alphabétisation, formation, as­sistance médicale, micro-crédit, boîte aux lettres  (*), visite aux prisonniers, assistance légale...
Enterrement de naufragés et de victimes du sida également. Le bureau de l'union des associa­tions d'étrangers à Nouadhibou regroupe ~2 associations de ressortissants africains, avec un local pour le foyer. Avec 5 objectifs:
~    Favoriser la réunification familiale, la réinstallation et le rapatriement pour ceux qui veulent retourner dans leur pays d'origine par la couverture d'une partie des frais de voyage. il faut pour cela élaborer un con­trat moral entre le bénéficiaire et le projet et mettre en place une correspondance entre ceux qui sont déjà partis et les restants.
~    Assurer le dialogue entre as­sociations de migrants et auto­rités du pays. Ceci par l'écoute, l'accompagnement, la forma­tion, l'information et l'assistan­ce juridique.
~    lnfluencer les autorités loca­les et les opinions publiques à partir d'un code moral du mi­grant facilitant son intégration dans la société.
--    Améliorer la situation sani­taire et l'accès aux soins à partir d'un fond d'aide pour gérer les urgences.
~    Favoriser la formation, l'édu­cation et les initiatives engen­drant des revenus, par cours de langues et qualifications à cer­tains emplois.

(*)  Origines des lettres reçues à la boîte postale:
Sénégal, 2~; France, ~5; Es­pagne, Asie, ~O; Mauritanie, 8; Portugal, 4; Chana, Libye, Allemagne, Australie, 3; Côte d'ivoire, Burkina-Faso, Suisse, États-Unis, 2; Cuinée-Bissau, Guinée, Maroc, Niger, italie,
Retour au Sommaire du Dossier