,
Missionnaires spiritains : Logo Le reportage  
CENTRAFRIQUE  
- 2 -


Mgr Nzapalainga :

donner la parole aux oubliés

Nous avons accompagné l’archevêque de Bangui lors de sa visite pastorale à Longo, un village de pêcheurs au bord de l’Oubangui, loin de la capitale. Il a pris le temps de rencontrer les habitants puis les autorités religieuses et civiles. Il a reconnu leur dignité. Il les a écoutés pour aider à soigner les blessures de la division et leur redonner le goût des initiatives.


L’effervescence règne sur les bords du fleuve Oubangui, un matin du mois d’avril, au bas de l’église Saint-Paul-des-Rapides. Celle-ci a été érigée sur le lieu de la première mission fondée par Mgr Augouard, en 1894, alors que Bangui n’était qu’un simple poste administratif. Une grande barque à fond plat a été affrétée pour la visite pastorale que l’archevêque de Bangui, Mgr Dieudonné Nzapalainga, va effectuer, deux jours et demi durant, à Longo, un village situé à 120 km en amont de la capitale. On y entasse des ballots de vêtements qui seront distribués aux villageois, des caisses de médicaments, des vivres et de l’eau potable. Une vingtaine de personnes s’installe. Parmi eux, le P. Rigoberto Tchikacumbi, spiritain, curé de Saint-Paul-des-Rapides, des laïcs membres du bureau diocésain de la Caritas, le frère Elkana Ndawatcha, spiritain, coordinateur de la Commission diocésaine de santé (Codis) et des religieuses membres de la même commission. Deux amis de l’archevêque, Michel Moulin et Bernard Surel, respectivement président et vice-président de l’association Marseille Centrafrique Solidarité, ont été invités à se joindre à la délégation, ainsi que deux journalistes qui nous accompagneront, micro et caméra au poing. L’un est correspondant de Radio Notre-Dame, la radio du diocèse de Bangui, et l’autre de l’Agence France Presse (AFP).
 

Une communauté chrétienne

Le déploiement de cette logistique est justifié par l’archevêque en ces termes : « Le Christ n’a jamais évangélisé seul, mais avec ses disciples. Il les a envoyés en mission, deux par deux. À chacune de mes tournées pastorales, des membres de la Caritas et de la Codis m’accompagnent pour venir en aide aux populations que je visite. Je veux que ce soit la communauté chrétienne, autour de son évêque, qui témoigne de la charité. Nous devons être solidaires et apporter un peu de réconfort à ceux qui sont abandonnés. Seul, je ne peux rien faire. J’ai besoin d’être accompagné. J’ai besoin des laïcs et du regard qu’ils portent sur les souffrances des gens. Aujourd’hui, c’est une communauté internationale qui part en tournée, avec des Centrafricains, un Angolais, une Italienne, une Sénégalaise et des Français. Quant aux religieuses et religieux qui m’accompagnent, ils appartiennent à différents instituts : spiritains, sœurs comboniennes, franciscaines ou du Saint-Cœur de Marie. »
 

Sur le fleuve Oubangui

Le temps semble suspendu, bercé par le bruit monotone des moteurs qui plonge la moitié des passagers dans un état quasi somnolent. Nous croisons quelques barques de pêcheurs. Le fleuve Oubangui ne sert manifestement pas de voie commerciale. Un vigile, à l’avant de notre bateau, scrute le fond des eaux et indique aux deux bateliers assis loin en arrière, près des moteurs, le chemin à suivre pour éviter les rochers qui affleurent. Nous sommes au début de la saison des pluies et le niveau des eaux est encore bas. Au loin, un feu de brousse lance dans le ciel des panaches de fumée grise. Ceux-ci semblent vouloir s’unir aux nuages sombres et bleutés qui alourdissent l’horizon et annoncent l’imminence d’un orage…
 

La joie des villageois

Après cinq heures de navigation, nous approchons enfin de notre destination ; mais voilà que le vent se lève et les vagues deviennent fortes, nous obligeant à faire escale sur l’autre rive, côté congolais, le fleuve servant de frontière entre les deux pays. Notre barque est bien à l’image de cette église de Centrafrique qui s’efforce, au milieu des remous, de servir les plus pauvres et de promouvoir l’union entre les différentes parties de la population…
Profitant d’une accalmie, les bateliers décident enfin de traverser le fleuve. Face à nous, au loin, une frêle pirogue brave le courant. De minces silhouettes se tiennent debout, en équilibre, leurs bras longs et minces nous font de grands signes pour indiquer un point sur l’autre rive, là où déjà la population s’est regroupée et trépigne d’impatience. Une clameur parvient alors à nos oreilles : c’est la foule des villageois de Longo qui lancent des cris de joie et agitent des branches en signe de bienvenue. La berge est trop petite pour contenir tant de monde et les enfants s’enfoncent dans l’eau, à mi-jambe. Nous touchons enfin la rive. Un immense parapluie est déployé pour protéger l’archevêque des premières gouttes de pluie et une procession le conduit vers la chapelle au milieu des danses, des chants et de stridents youyous lancés à tue-tête. Nous comprendrons plus tard que cette joyeuse manifestation sert d’exutoire à des gens pauvres et abandonnés, des pêcheurs infectés de filaires, ces parasites qui prolifèrent le long des cours d’eau et menacent de cécité les enfants. Ils n’ont pas d’eau potable, pas d’électricité, pas de route d’accès, pas de centre de santé, pas d’école et sont soumis aux décisions arbitraires de jeunes voyous sans loi.
 

Guérir les corps...





Écouter pour guérir

Après la cérémonie de bienvenue, les activités peuvent commencer. Une longue file se forme pour la consultation médicale. Durant la soirée et le lendemain, plus de 200 personnes seront reçues par le Frère Elkana et la Sœur Donata, une religieuse combonienne italienne, avant de recevoir des Sœurs Irène et Lydie les médicaments prescrits gratuitement. Pendant ce temps, Mgr Nzapalainga tient sa première réunion avec les responsables de la chapelle. Le lendemain, ce sera au tour des chefs de villages et des pasteurs protestants d’être reçus et attentivement écoutés par l’archevêque. Les doléances ne manquent pas : les tôles prévues pour le toit de la future école ont disparu, l’autorité du catéchiste est contestée, l’avant-veille, des anti-balakas ont molesté publiquement le chef du village et emmené deux jeunes gens en prison.
 

Donner la parole aux « sans-voix »

Mgr Nzapalainga, durant notre trajet en bateau, m’avait déjà expliqué le sens de sa démarche : « Je veux être la voix des sans-voix, parler au nom des pauvres, plaider en leur nom, les écouter et leur dire : nous vous visitons, nous vous aimons, nous vous écoutons. Je parle pour appeler les consciences et pour faire parler les gens. » Mgr Nzapalainga remémore ainsi une de ses expériences. Alors que les Sélékas contrôlaient Bangui et tout le pays, il a adressé au cours de son homélie, lors d’une visite dans un village, un message qui invitait au courage : « N’écoutez pas ceux qui ont des armes ; écoutez plutôt les mamans et leurs enfants. » Les fidèles ont applaudi et le soir même, bravant la peur, ils sont venus dénoncer un meurtre commis la veille par les maîtres des lieux.
À Longo, au cours de la messe, le même scénario se répète. L’archevêque lance un appel à la réconciliation, à la charité, à la non-violence et au respect mutuel. Il sait que des anti-balakas sont présents au fond de la chapelle et les fidèles le savent également. Alors, ils soutiennent les propos de leur archevêque par des cris et des battements de mains. Ils expriment enfin ce qu’ils n’ont pu dire depuis longtemps, face à des hommes menaçants, armés de machettes ou d’armes à feu prises à l’ennemi.
 

Abandon et frustration

Après la grand-messe solennelle, l’archevêque reçoit donc des représentants anti-balakas. Ils se disent malades et veulent être reçus en consultation médicale. Pour survivre, ils rançonnent les passants et les occasionnels commerçants. Livrés à eux-mêmes, ils sont divisés en factions rivales. Nous comprendrons que certains d’entre eux seraient prêts à déposer les armes si un avenir leur était assuré, alors que d’autres, uniquement guidés par un sentiment de toute-puissance et l’instinct de survie, se laissent entretenir par les opposants politiques du pays, toujours influents, en quête de revanche. L’un d’eux avoue son désarroi : « Nous nous sentons comme des enfants sans père. Nous nous sentons abandonnés. » Une parole qui touche le cœur de l’archevêque, lui, l’ancien aumônier des jeunes en difficulté de la maison Saint-François de Sales, de la Fondation des Apprentis d’Auteuil, du temps où il travaillait à Marseille. Il adresse alors un message, sans concession, et fait appel à la raison : « Vous me connaissez tous. Vous savez les risques que j’ai pris pour rendre visite aux gens lorsque les Sélékas régnaient sur le pays et les quartiers de la capitale. On ne naît pas anti-balaka. Par la naissance, je suis un homme et je suis centrafricain. Il est temps d’arrêter les humiliations, les exactions, les spoliations, sinon le peuple va se révolter et vous n’aurez nulle part où vous réfugier, contrairement aux Sélékas qui sont venus depuis le Tchad ou le Soudan et sont retournés chez eux. »
 

L’appel à la responsabilité

Mgr Dieudonné Nzapalainga a également adressé un message aux notables des villages pour les encourager à assumer leur autorité et leur responsabilité : qu’ils ne renoncent pas à dialoguer avec les anti-balaka, mais toujours en présence de témoins. Il a reçu la recommandation des représentants des autres Églises qui, reconnaissant le rôle prépondérant de l’Église catholique dans la région, souhaitent que celle-ci choisisse ses catéchistes avec plus de discernement. Enfin, l’archevêque a souligné l’importance du rôle des femmes dans la vie des villages ; celles de Longo doivent inciter leurs maris à reprendre la construction de l’école. Le lendemain matin, les tôles pour le toit de l’école avaient réapparu, posées près de la porte de la chapelle.
De retour sur Bangui, nous nous arrêtons dans un autre village tenu par des anti-balaka et où sont détenus les deux jeunes de Longo. Ici encore il est question de l’instruction des enfants. Les autorités locales indiquent à l’archevêque le terrain qui a été choisi par les habitants pour y construire une école, mais depuis cinq ans l’aide du gouvernement se fait attendre. Mgr Nzapalainga promet de chercher une solution et propose de demander, pour ouvrir sans plus attendre les premières classes, des bâches aux Nations unies. L’annonce, on s’en doute, est accueillie avec joie, et deux jours plus tard les jeunes détenus seront relâchés.


Sommaire           Page précédente           Page suivante            Couverture