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CENTRAFRIQUE  
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À Bangassou
une expérience de réconciliation qui fait école

Bangassou, une ville de 20 000 habitants, à 780 km à l’est de Bangui, n’a pas été épargnée par les exactions de la Séléka. Elle demeure pourtant un cas exemplaire : c’est la seule localité du pays où la population s’est spontanément organisée pour leur résister. Un comité de paix et de réconciliation s’est, très tôt, constitué. Celui-ci a apaisé les tensions communautaires et empêché le déferlement de la violence qui ont sévi dans le reste du pays. Ce comité a été invité à partager son expérience dans d’autres villes.

Après une heure et demie de vol depuis Bangui, l’observateur qui débarque de l’avion humanitaire mis en service par l’ONU est agréablement surpris par l’ambiance riante de cette petite ville provinciale et tropicale. Nous sommes loin des rues de la capitale, grouillantes d’une population efflanquée, en recherche de travail. Ici à Bangassou, les écoliers, aux joues bien rondes, prennent chaque matin le chemin de l’école et forment de longues processions aux couleurs de l’établissement qu’ils fréquentent : bleu foncé pour les collège et lycée privés de la Mission catholique, orange pour l’école des Sœurs de Saint-Paul de Chartres, blanc et bleu pour les petits séminaristes, vert pour l’école Saint-Daniel Comboni du quartier Tokoyo où chrétiens et musulmans ont appris à vivre ensemble. Ici, les écoles n’ont pas fermé ces deux dernières années, contrairement aux écoles de Bangui et des autres villes du pays face au déferlement d’insécurité et de son lot de représailles qui ont suivi le coup d’État de la coalition Séléka, le 23 mars 2013.
 

Naissance du comité de paix et réconciliation

Bangassou a pourtant été envahie deux semaines avant Bangui par les mercenaires de la Séléka, sous la conduite du colonel Abdallah. Un nom dont l’évocation fait encore frémir aujourd’hui la population. À peine arrivés, les rebelles s’en prennent aussitôt à la mission catholique et aux églises, volent une vingtaine de véhicules, des motos, pillent la pharmacie, le centre Internet, saccagent la clinique pédiatrique, l’atelier de menuiserie, la maison des religieuses franciscaines et celle des spiritains. Le colonel Abdallah sème la peur parmi les musulmans de la ville en leur assurant que les chrétiens vont les attaquer pour se venger. Il leur fournit des armes et leur loue des munitions. Des pasteurs et des imams de la ville demandent audience à Abdallah, qui la leur refuse. Ils décident alors de solliciter le renfort de l’Église catholique. Celle-ci, par la voix de ses représentants, obtient du colonel Abdallah les autorisations nécessaires pour la réouverture des hôpitaux puis des écoles de la ville. Un comité de paix et de réconciliation qui réunit des représentants catholiques, protestants et musulmans se met alors en place.
 

Rébellion de la population

L’effroi des premiers mois passé, la population, composée essentiellement de chasseurs et d’agriculteurs, se ressaisit. Début octobre 2013, elle s’organise et sort ses fusils de chasse, abat des arbres sur les routes pour barrer les sorties de la ville. Les Sélékas sont pris au piège : habitués aux plaines sèches et semi-arides du Soudan et du Tchad, ils méconnaissent les forêts alentours, ne parlent ni français ni sango, la langue locale. Le comité de paix et de réconciliation, l’évêque de la ville, Mgr Aguirre, ainsi que Mgr Nzapalainga, archevêque de Bangui et natif de Bangassou, demandent au gouvernement central de la Séléka, à Bangui, une intervention rapide. Celui-ci enverra un contingent de 120 hommes pour désarmer Abdallah et ses hommes qui, finalement, n’opposeront aucune résistance. Les nouveaux maîtres de la ville se montrent alors plus cléments, mais le traumatisme collectif a laissé des traces.
 

Thérapie collective et travail des consciences

Avec le sentiment d’insécurité, durant de longs mois, les habitants ne sont pas retournés travailler aux champs. Le comité de paix et de réconciliation en profite pour poursuivre son œuvre d’éducation des consciences. De grandes assemblées réunissent 500 à 600 personnes. Tous ont droit à la parole, le micro circule et chacun peut crier sa colère, ses peurs et ses frustrations. Les musulmans prennent aussi la parole et l’auditoire découvre les souffrances qu’ils endurent : ils sont devenus les victimes collatérales d’un conflit imposé de l’extérieur. Une fois ce grand déballage thérapeutique terminé, la commission a mis progressivement une série de cinq modules : 1 - gestion et résolution des conflits ; 2 - droits humains, en s’appuyant sur les écrits de Boganda, fondateur de la nation centrafricaine et les paroles de l’hymne national ; 3 - culture de la paix ; 4 - paix et développement ; 5 - dialogue et communication. C’est l’abbé Alain Bissialo, chancelier de l’évêché, et un professeur des lycées qui donnent les conférences. Les représentants des différentes religions sont conviés à intervenir, en s’appuyant sur des citations du Coran ou de la Bible. Ce même programme a été réalisé ensuite dans plusieurs localités de la région et la commission a été invitée dans les villes du Nord, très affectées par les violences intercommunautaires, notamment à Bouar et à Bossangoa. Le 1er mars 2014, une grande fête de la réconciliation est célébrée à Bangassou sur le terrain attenant à la cathédrale, puis dans les principales localités de la région.
 

Bangassou reste enclavée

Les membres de la Séléka ont discrètement quitté la ville après la destitution de leur chef, Michel Djotodia, en janvier 2014. Les anti-balaka, ces milices populaires, ont commis des exactions semblables à celles de la Séléka, sauf dans la ville de Bangassou où elles n’ont jamais été présentes. Les différents quartiers de la ville ont repris vie, les champs se couvrent à nouveau de plants de manioc, de maïs et d’arachides. Les hôpitaux fonctionnent grâce au personnel payé par la Mission catholique. L’organisation Médecins sans frontières (MSF) assure le fonctionnement de l’hôpital public. Une autre ONG, Mercy Corps, a relayé l’action du comité de paix et de réconciliation, en assurant une permanence d’écoute de la population. Seuls les bâtiments du centre-ville, fiers et solides bâtiments de l’époque coloniale, restent vides, fenêtres et portes béantes. De hautes herbes envahissent les terrains et les jardins, dans l’attente qu’arrivent de nouveaux fonctionnaires de l’État pour reprendre les activités administratives. La vie commerciale reste encore informelle, provenant du Congo frontalier, sur l’autre rive du Mbomou, le fleuve qui longe la ville, ou depuis le Soudan, le grand voisin de l’Est. Les produits manufacturés en provenance de Bangui sont rares et hors de prix, acheminés sur une route de plus de 700 km, en fort mauvais état, qui passe par la ville de Bambari encore sous contrôle de la Séléka, et grevés par les taxes versées pour passer d’innombrables barrages.
 

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