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année Claude-François Poullart des Places

Pourquoi une année Claude-François Poullart des Places ?(1)

La congrégation nous propose de faire de 2009 une "année Poullart des Places". Il est possible que nos sentiments soient mêlés face à un tel projet. Réticences devant la perspective d’activités qui vont s’ajouter à un emploi du temps déjà chargé ? Une célébration de plus au milieu d’autres, comme l’année Saint Paul ? Scepticisme quant à l’impact d’une telle célébration sur nous ou au-delà de nos communautés ?

N’est-il pas temps de nous préparer le cœur, pour que cette année soit source de vie ? Quand nous lançons un projet, nous pensons aux choses à faire, aux moyens, aux personnes, aux finances, à toute la logistique. Nous savons pourtant que des initiatives qui ne nous motivent pas profondément ont peu de chances de durer, que les vrais changements ont leur origine en nous et que ce sont ceux qui ont connu de lents mûrissements dans le silence et la prière qui portent fruit. Poullart des Places lui-même peut être notre guide dans cette préparation.

En effet, il n’est pas devenu fondateur du jour au lendemain, ni à la suite d’une stratégie préconçue, mais à travers un long travail intérieur pour s’ouvrir à la grâce de son appel. Car la véritable initiative vient de là, de cet attrait qu’il ressent dans ses moments de ferveur, de cette insatisfaction et tiédeur qui accompagnent les périodes où il essaie de l’oublier. La voix au fond de lui se fait parfois bien faible face aux propositions de sa famille ou à ses propres rêves de grandeur et de réussite. Il n’est pas prêt à lui répondre tout de suite. Il lui faudra découvrir que tout n’est pas conciliable, qu’il ne peut pas répondre à cet appel tout en courant après les honneurs et son ambition. Le projet d’aller étudier la théologie à la Sorbonne ne tiendra pas bien longtemps, car il est construit sur l’imaginaire, sur une certaine exaltation de lui-même et dans l’oubli de ses limites et faiblesses. Les événements ne tarderont pas à le ramener à la réalité.

Pour devenir disponible à cet appel qu’il perçoit et auquel il hésite à répondre, il lui faut l’expérience douloureuse de sa faiblesse, passage nécessaire pour se connaître lui-même en vérité et gagner en maturité. Comme Pierre durant la nuit de la passion, il sait désormais de quoi il est capable ; mais aussi que, malgré les périodes où il est " mou, lâche, tiède ", il est toujours aimé.

C’est cela qui sera décisif et fera tomber toutes les barrières : la révélation de l’amour de Dieu pour lui. Au cours de la retraite de 1701, il relit sa vie et prend conscience de cet amour à l’œuvre depuis longtemps, comme une grâce totalement gratuite, qui sans cesse le cherche, le poursuit, qui jamais ne le lâche. Alors toutes ses défenses tombent, il se rend " à tant de poursuites aimables ", il se " laisse vaincre ". Il consent enfin à l’appel du Seigneur, comme on se jette à l’eau, comme on se laisse emporter par un courant bienfaisant. Désormais il n’a qu’un désir, chercher à répondre à cet amour, se donner à Dieu, n’appartenir qu’à lui, faire en tout ce qu’il lui demande pour réparer les fois où il lui a tourné le dos et l’a offensé .

Sous ce regard plein d’amour pour lui, il peut se regarder lui-même tel qu’il est, avec sa force et sa faiblesse, ses ombres et sa lumière, ses qualités et ses défauts. Il accueille enfin sans crainte la réalité de sa vie et arrive à nommer ce qui se cache souvent derrière ses réactions et décisions : " l’ambition, l’amour de la gloire et du succès, la vanité ". Il touche le réel de sa vie et pourra bâtir sur ce terrain-là, car c’est du roc.

A partir de cette expérience, lui qui se décrit comme complaisant et inconstant, va faire preuve d’une remarquable fidélité à l’appel entendu. C’est comme s’il avait dégagé une source qui désormais peut couler librement, une source vive en laquelle il trouve sa force et d’où naissent sans cesse de nouvelles orientations, décisions ou initiatives. Une fidélité vivante : du oui initial vers un approfondissement, un élargissement, un dépouillement aussi, en vue d’une disponibilité toujours plus grande à l’action de l’Esprit en lui.

  • Il quitte sa famille pour étudier la théologie à Louis le Grand. Durant la première année, l’AA dont il devient membre va entretenir son désir de se donner à Dieu et lui proposera un service des pauvres. La lecture de la vie de Le Nobletz lui apprendra à " mépriser le monde et à se mettre en tout au-dessus du respect humain ".

  • L’année suivante, il commence à aider un étudiant pauvre. Durant la retraite de préparation à la tonsure, il organise sa vie de prière et progresse vers un choix plus radical. " On le voit tout d’un coup quitter l’éclat et les manières du siècle pour se revêtir de l’habit et de la simplicité des ecclésiastiques les plus réformés ". Il avoue lui-même : " C’était dans la participation du corps de Jésus que je puisais ce détachement qui me faisait mépriser le monde et ses manières. " Il entre dans une période de grande consolation spirituelle durant laquelle il demande deux fois par jour à Dieu de " connaître et d’exécuter sa sainte volonté ".

  • Il ne restera pas longtemps dans l’incertitude. A la fin de l’été, il refuse de suivre Grignon de Montfort qui vient lui demander de s’engager avec lui pour mener des missions dans les campagnes de l’ouest de la France. Il exprime alors clairement l’appel particulier qu’il perçoit de la part du Seigneur : il a le projet d’aider des étudiants pauvres à se former pour devenir prêtres. " Il me semble que c’est ce que Dieu demande de moi et j’ai été confirmé dans cette pensée par des personnes éclairées dont quelqu’un m’a fait espérer de m’aider pour pourvoir à leur subsistance ". Il se détermine à partir de ce qui lui semble être la volonté de Dieu.

  • À ses yeux, faire ce que Dieu lui demande sera la meilleure façon d’aider Grignon de Montfort à accomplir sa mission à lui. Quelques semaines plus tard, il loue un local où il loge "  quatre ou cinq pauvres écoliers ".


Ces faits montrent bien que c’est à partir de sa grande disponibilité intérieure aux appels de l’Esprit que sa vie se détermine désormais. Cela ne le dispense pas des ruptures, des renoncements ni des crises nécessaires. Mais apparaissent aussi les fruits : une liberté réelle par rapport à sa famille, à son milieu social, aux usages du monde, par rapport à ses amitiés aussi ; il peut dire non à son ami Grignon deMontfort et fréquenter des étudiants pauvres. Sa vie trouve une nouvelle cohérence, celle d’une vie de plus en plus conforme à l’Évangile.
Si, dans ce cheminement, tout part de son expérience spirituelle, il faut noter cependant qu’il ne se fait pas tout seul. Il n’hésite pas à demander conseil, à rencontrer un accompagnateur pour discerner ce que le Seigneur attend de lui et nous pouvons constater les résultats de ces échanges à travers les changements qu’ils provoquent dans sa vie. De même il ne vit pas en solitaire. Au contraire, sa fidélité à Dieu l’ouvre largement aux autres et lui crée des relations et des solidarités nouvelles.
Cette année " Poullart des Places " devrait nous aider à accueillir à nouveau le don qui nous a été fait par l’Esprit Saint à travers la figure de notre premier fondateur. A l’heure où nous sentons fortement le besoin d’un renouvellement face au poids de nos faiblesses, de ce que nous n’avons plus, de ce que nous ne sommes plus, il nous invite à consentir à nouveau à la grâce de notre appel, à ce que nous sommes depuis l’origine et que nous sommes appelés à faire croître et fructifier. À entrer personnellement et collectivement dans une disponibilité renouvelée aux appels de l’Esprit aujourd’hui. Creuser notre oui à Dieu dans l’écoute de la Parole et la prière ; le discerner ensemble dans notre vie commune, le laisser Dieu changer notre regard sur les autres et sur nos rencontres. Construire ainsi notre unité, car c’est l’expérience spirituelle, " source et lieu de naissance de l’appel comme de la réponse ", qui est le ciment qui nous rassemble.
C’est un chemin de conversion, mais qui nous aidera à mieux situer notre faiblesse, à devenir plus libres face à tout ce qui pèse sur nos épaules, plus conformes à l’Évangile. À manifester plus clairement aussi ce qui nous fait vivre et devenir ainsi plus disponibles pour tous ceux qui, au-delà de nos communautés, veulent partager notre spiritualité et notre mission. Aujourd’hui encore, les dons de l’Esprit sont pour l’édification de l’Église, mais aussi pour le bien des hommes et les besoins du monde.
Raymond Jung


1- paru dans le bulletin de la province de France, oct 2008(à destination des spiritains) sous le titre :
LA GRÂCE DE NOTRE VOCATION

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