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année Claude-François Poullart des Places (2)

Pourquoi une année Claude-François Poullart des Places ?

2. LA GRÂCE DE LA RENCONTRE

>br> Beaucoup de contemporains ont une réelle quête spirituelle. Mais ils la mènent de façon très individuelle, en puisant dans les multiples propositions qui leur sont offertes de quoi construire leur propre spiritualité sans se préoccuper de l’appartenance à une religion particulière. L’expérience spirituelle de Poullart des Places est vécue de manière bien différente. Il ressent un appel qui lui est tout à fait personnel et unique, mais il a besoin des autres pour en prendre conscience, le laisser mûrir et y répondre. Sa recherche n’est pas solitaire ; elle est menée à travers de multiples relations, le partage au sein de groupes divers ; elle est marquée surtout par la rencontre de Dieu et tout entière orientée vers celle des autres.

Au cœur du parcours de Claude Poullart des Places se situe la conversion lors de sa retraite de 1701. Il la vit comme une rencontre de Dieu, dont la "voix" le touche et fait naître sa propre parole. Quelqu’un qui s’intéresse à lui, qui l’"aime et lui veut du bien", l’éveille à plus large, plus grand, aux "emplois les plus saints et les plus religieux", ceux-là mêmes auxquels il "ne veut pas croire", dont il se défend et qui lui paraissent impossibles. Cela l’introduit dans une relation, non de dépendance ou de concurrence, mais d’alliance proposée à sa liberté et dans laquelle il désire entrer de tout son cœur. Sa vie désormais se veut une réponse. En témoignent ses écrits où le "vous" du dialogue avec Dieu interrompt souvent la réflexion. La rencontre ouvre un espace où sa liberté peut se déployer, il peut s’accueillir lui-même, grandir et poursuivre le dialogue entamé au cours de cette retraite.

Tout n’a pas commencé là. Son parcours antérieur montre que son appel n’est pas le résultat d’une révélation subite, mais le fruit d’un lent mûrissement qui prend origine dans son enfance où les relations avec les autres ont joué un rôle capital. Ses parents, chrétiens convaincus, lui apprennent à prier. Chez les Jésuites du collège Saint Thomas, il trouve non seulement des professeurs compétents, mais des maîtres et des guides. Il entre dans la "Congrégation des Grands Écoliers" où il peut partager sa foi et sa prière avec d’autres et agir avec eux en faveur des malades et des pauvres. C’est là aussi qu’il se lie d’amitié avec Louis Marie Grignion de Montfort avec qui il va prier et partager un même amour des pauvres. Enfin, il sera parmi les plus fervents du collège qui se réunissent pour prier autour de l’Abbé Bellier, aumônier de l’hôpital saint Yves. Il les envoyait pour "servir les pauvres dans l’hôpital…et pour y faire la lecture pendant les repas et un petit catéchisme" pour les orphelins qui vivaient là. Toutes ces influences et relations sont autant de moyens pour entrer en dialogue avec Dieu, mais aussi pour élargir son horizon au-delà de la classe privilégiée où il est né. Elles permettent à l’appel de résonner en lui et de trouver une écoute favorable. Cependant la conversion ne s’opère pas dans une simple continuité, il y a aussi rupture, nouveauté : la grâce particulière de ce moment où Dieu l’emporte en lui, où il arrive enfin à consentir à l’appel. La grâce de la rencontre personnelle avec Dieu.

Pour voir clair dans ce qui lui arrive, il a besoin de quelqu’un à qui se confier. C’est dans cet effort pour se dire qu’il peut accueillir cette expérience comme authentique et parvenir à des décisions. Celles-ci traduisent bien la conversion qui s’opère : rupture avec les projets de sa famille ; rupture avec ses propres projets de gloire et de réussite mais pour s’engager dans la voie qui lui semble la plus conforme à l’appel de Dieu. Elles ne reposent pas sur des ambitions, des peurs ou des défenses, ce sont des pas vers la liberté, la vie, en lui, pour les autres. Dieu y a tellement sa part qu’elles ne provoquent pas de cassure, mais suscitent le respect et l’adhésion, même si elles bousculent. Notre fidélité aujourd’hui se construit dans la continuité avec une histoire, une tradition vivante, mais aussi à travers des ruptures. L’expérience de notre fondateur devrait nous aider à bien discerner sur quoi reposent nos décisions quand des changements s’imposent.

À Paris, durant les années qui vont suivre, le dynamisme suscité par cette conversion va orienter toute sa vie. Au niveau personnel, il prend les moyens pour rester fidèle à Dieu et à l’Évangile : il se donne un plan de vie, organise sa prière pour vivre sa journée en union à Dieu, "même en marchant dans les rues" ; il participe souvent à l’Eucharistie avec une grande ferveur. Il est rempli du désir d’aimer Dieu et ainsi accomplit "sans la moindre peine" ce qui lui paraissait "auparavant comme des choses impossibles". Cet amour lui fait renoncer "aux attachements même les plus permis de la vie". Sa participation à l’AA va lui donner des lignes de conduite, un lieu de partage et un soutien sur son chemin. En même temps cette ferveur, loin de l’isoler ou de le renfermer, l’amène à s’ouvrir aux autres. C’est sa fidélité à l’Évangile qui le conduit vers les autres et lui fait franchir les frontières de son monde pour aller vers les pauvres. Elle le rend "ingénieux à trouver dans son nécessaire même une espèce de superflu pour le donner aux pauvres". Elle change son regard : il sait voir au-delà des apparences pour découvrir la dignité de ces petits ramoneurs qu’il rencontre, dont les âmes "n’étaient pas moins chères à Jésus-Christ que celle des plus grands Seigneurs et qu’il y avait autant et plus de fruits à espérer". Elle lui permet d’entendre ce que les pauvres étudiants ont à lui dire. Il ne se contente pas de leur venir en aide, il s’intéresse à eux, est à l’écoute de ce qu’ils vivent. Il s’aperçoit vite qu’ils portent en eux plein de richesses. Il voit le bien qu’ils pourraient faire et la place qu’ils pourraient prendre dans l’Église. Dans sa réponse à Grignion de Montfort qui lui propose de s’associer à lui, on peut sentir l’estime qu’il leur porte à travers ses paroles : "J'en connais plusieurs qui auraient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne peuvent les faire valoir, et sont obligés d'enfouir des talents qui seraient très utiles à l'Église s'ils étaient cultivés." Il ne s’agit donc pas d’une relation à sens unique mais d’une rencontre qui porte en germe sa propre grâce, où lui-même reçoit autant qu’il donne. Il est ce serviteur heureux parce qu’il a découvert que l’autre vaut la peine d’être servi et qui trouve sa joie dans la valeur et la réussite de ceux qu’il sert. Parce qu’il est à leur écoute, il comprend qu’une aide matérielle ne suffit pas, qu’il faut un suivi et un soutien spirituel. C’est pourquoi il va les rassembler dans une maison où ils pourront organiser la vie en vue d’une formation de qualité. L’Évangile qu’ils cherchent à vivre les rassemble et fait naître une communauté.

Quelques mois plus tard, il traversera la rue Saint Jacques pour s’installer parmi eux. Nous n’avons pas de texte qui en donne les motivations. Mais si nous restons dans la logique de ce qu’il est en train de vivre, nous pouvons dire sans nous tromper : "Il ne s’est pas crispé sur ce qui faisait sa richesse. Il a accepté le dépouillement que représentait ce passage de son monde à celui des étudiants ; il a consenti à ne pas se positionner comme maître et Seigneur, mais à se faire serviteur et proche de tous. Il est désormais vraiment leur frère à tous." Il a suivi en cela celui qu’il reconnaît comme son Maître et Seigneur et qui s’est livré par amour pour lui.

Claude Poullart des Places n’est pas encore au bout de son chemin. Mais il ouvre un sillon qui lui sera toujours plus personnel, à mesure qu’il le creusera. Paradoxalement, cette expérience si particulière va trouver un écho chez beaucoup d’autres, car, en lui comme en ceux qui vont le rejoindre, agit le même Esprit. À sa suite, le chapitre de Maynooth a décrit la mission spiritaine comme un "passage de frontières" à la rencontre des autres, un "pèlerinage", une découverte de l’Esprit déjà à l’œuvre en ceux vers qui nous sommes envoyés.

L’année Poullart des Places nous invite à vivre notre mission comme une Visitation. Nous ne partons pas porter l’Évangile aux autres. Dieu nous a fait la grâce de nous visiter, de nous appeler, pour que, dans la rencontre des autres, nous entendions la bénédiction de Dieu et puissions chanter notre magnificat. Que notre mission devienne "l’annonce d’une visitation".
Raymond Jung


1- paru dans le bulletin de la province de France, déc. 2008(à destination des spiritains)

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