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année Claude-François Poullart des Places (4)

LA PAIX, LA JOIE… ET LES ÉPREUVES


La vie de Claude François Poullart des Places n’a pas été un long fleuve tranquille. Le fait qu’il commence l’œuvre pour les pauvres écoliers dans une période de grande consolation spirituelle ne veut pas dire que cela s’est fait tout seul. Au contraire, son pèlerinage à la rencontre des pauvres est un chemin laborieux, avec des moments de crise, une traversée du désert avec ses épreuves et ses combats. Il a sa manière d’y faire face et de les vivre. Son expérience peut nous soutenir et nous éclairer dans notre propre exode.

Déjà la recherche de sa vocation est un long combat intérieur. Il lui faut démêler son vrai désir de tout ce qui l’encombre et fait obstacle. Mais l’expérience de la tendresse de Dieu l’amène à dépasser ses craintes et à faire confiance à l’appel qu’il perçoit. Les décisions qu’il prend alors vont à l’encontre de sa tendance naturelle et entraînent des ruptures et des départs. Mais il va s’y tenir car elles sont sa réponse d’amour à ce Dieu qui l’aime.

Au fond, il réalise que la recherche du bonheur dans une vie comblée, où tous les besoins seraient assouvis, est une illusion. Il est capable alors de quitter, d’être démuni ou de manquer parce qu’il goûte à la paix et la joie d’être avec le Christ. Que le chemin où celui-ci l’entraîne soit exigeant et rude ne l’effraie plus, pourvu qu’il lui permette de vivre en sa présence et de lui ressembler. La promesse du Christ d’une plénitude de joie ne lui paraît pas illusoire, car il est heureux d’être avec lui et a entière confiance en lui.

Ce changement profond en lui se vérifie dans les initiatives qu’il prend par la suite. À l’automne 1702, il commence à loger quelques étudiants dans une maison. Il est plein de ferveur et prêt à tout entreprendre, mais il n’est ni naïf ni inconscient pour autant. Pour preuve ce " billet de bien ", envoyé par son Aa, de décembre 1702, qui parle de lui : " Un autre a quitté un bénéfice de quatre mil livres, et une charge de conseiller au Parlement que ses parents lui voulaient donner pour être directeur d’un Séminaire, où il n’aura que beaucoup de peines et de fatigues… " Il a conscience de sa responsabilité, réalise ce qu’il lui en coûte, mais est assez ancré en Dieu pour accepter avec courage les " peines " et les " fatigues ".

Ce texte montre qu’il progresse dans la réponse à son appel en se faisant proche des pauvres. Sa joie ne lui vient plus seulement de son union au Christ dans la prière et l’Eucharistie, mais aussi du fait de " pouvoir le soulager dans la personne des pauvres qui sont ses membres ". C’est pourquoi il renonce à la sécurité d’une rente personnelle élevée pour n’avoir d’autres sécurités que celles qui sont accessibles à ses frères qu’il accueille. C’est pourquoi il s’habille simplement, n’a pas peur de les fréquenter et de s’entretenir avec eux " comme avec des égaux " et, au début du carême 1703, n’hésite pas à aller loger avec eux. C’est l’exode : de sa maison à la maison des pauvres ; de son monde culturel à celui de ses compagnons. Il ne se contente plus de faire des choses pour eux, il est avec eux. Comme un pauvre, il va quêter, même si cette démarche est humiliante pour un homme de sa condition. Tout cela semble aller de soi. Les changements qu’il vit sont énormes. Nous reconnaissons là le don de l’Esprit qui lui est fait : c’est son charisme.

Cependant Poullart des Places n’est pas un super héros qui survole les obstacles. En 1704, il traverse une crise profonde. Six mois après les débuts de la communauté, il y a déjà une quarantaine de jeunes et Claude est sollicité par quantité de soucis qui le mobilisent complètement : nourriture, logement, formation, ses propres études à continuer… Il tombe dans un épuisement physique qui entraîne une crise spirituelle qui va durer toute l’année. Il en parle lui-même : " Plus d’attention à la présence de Dieu…Plus d’exactitude pour méditer…Peu de douceur dans mes paroles et mes manières, mais assez souvent fier, sec et dégoûté ; des tons hauts, des paroles aigres, des réprimandes vertes et longues…Hélas ! je ne suis plus qu’un masque de dévotion et l’ombre de ce que j’ai été. "

Comme à son habitude, il entre en retraite, note ce qu’il est en train de vivre puis en parle avec un directeur spirituel. Ce sont les " Réflexions sur le passé ". N’aurait-il fait tout cela que par ambition ? Dans son désarroi il en vient à mettre en cause la fondation de l’œuvre elle-même. Il garde cependant confiance en " l’infinie miséricorde de Dieu toujours remplie de tendresse " pour lui.

La rencontre avec l’accompagnateur va l’amener à un regard plus juste sur ce qu’il vit. Sa crise est d’abord spirituelle : il traverse une période de désolation et de sécheresse. Mais l’épreuve vient surtout d’un manque de distance entre ses compagnons et lui. Pour l’instant, il en fait trop et risque de se détruire. Ce constat va aboutir à des décisions. Il renonce à la paternité exclusive de son œuvre par le partage des responsabilités. En faisant appel à des collaborateurs il devient libre pour s’occuper de ses études et avancer vers le sacerdoce. Ainsi se constitue le groupe des formateurs, le noyau de la communauté des Messieurs du Saint-Esprit, première cellule de ce que sera la Congrégation du St Esprit. Ce détachement pour un partage de l’autorité et un travail avec d’autres est créatif et source de vie. C’est un pas vers une forme de pauvreté aussi, la renonciation à un pouvoir personnel, qui, pour beaucoup, est plus difficile à franchir que de s’habiller pauvrement. Pour un authentique service des pauvres, cette liberté intérieure est nécessaire.

Les pauvres, il est facile d’en parler, mais pas facile de les rencontrer. Comment Poullart des Places, que rien ne destinait à cela, a-t-il pu franchir la distance qui le séparait d’eux jusqu’à devenir lui-même pauvre ? Quelle force l’a poussé à aller toujours plus loin dans le détachement de lui-même, la disponibilité, la fraternité partagée au service des pauvres et avec eux ? S’il y est arrivé, c’est conduit par l’Esprit. Dans la paix et la joie, mais pas sans épreuves. C’est son appel, le don qui lui a été fait ; c’est son charisme. C’est aussi le nôtre aujourd’hui et un critère pour vivre notre fidélité. Comme lui, nous ne sommes pas à l’abri de tentations et de dérives. Nous pouvons rêver de vies confortables et sans tensions ou nous noyer dans le dévouement. Comme lui, nous traversons des épreuves. Mais celles-ci peuvent être expérience d’un Dieu qui nous aime et prend soin de nous ; l’occasion de renouveler notre confiance en sa promesse de vie et de bonheur. Laissons ce carême creuser nos soifs et nos faims pour devenir plus disponibles à l’Esprit qui a conduit notre premier fondateur à la rencontre des pauvres.

Raymond Jung
Raymond Jung


paru dans Province et Mission (mars 2009)

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