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année Claude-François Poullart des Places (6)


Jusqu'à l'extrême


L’histoire de Claude François Poullart des Places, mort à trente ans à peine, semble un récit interrompu trop tôt, comme s’il n’avait pas eu le temps de tenir ses promesses et d’aller jusqu’au bout. Sa mort peut être vue comme un événement extérieur qui s’impose à lui, la "Faucheuse" qui vient couper le blé en herbe : le hasard d’un hiver trop froid, des récoltes désastreuses et la famine qui s’en suit. Claude, affaibli, meurt comme des milliers d’autres, à Paris et dans toute la France. Il est enterré le lendemain dans la fosse commune " réservée aux clercs les plus pauvres ", au chevet de l’église Saint Étienne du Mont. Cette mort a les apparences d’un échec pour quelqu’un qui était promis à un avenir brillant, d’une déception pour les parents, dont Claude n’a pas accompli le rêve.

Cette fin n’est pas non plus celle dont lui-même avait rêvé. En parlant de l’époque de grande ferveur qu’il a vécue après sa conversion, il écrit : " Je voulais me voir un jour dénué de tout, ne vivant que d’aumônes après avoir tout donné. Je ne prétendais me réserver de tous les biens temporels que la santé dont je souhaitais faire un sacrifice entier à Dieu dans le travail des missions, trop heureux si, après avoir embrasé tout le monde de l’amour de Dieu, j’avais pu donner jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour celui dont les bienfaits m’étaient presque toujours présents. " Ni sa vie, ni sa mort ne correspondent à ce rêve : il n’est jamais parti en mission ni mort en martyr, mais comme un pauvre parmi d’autres.

Cependant, on ne peut en rester à cette conclusion. Car, dans ce texte, Claude exprime avec passion le désir profond qui l’anime. Touché par les bienfaits de Dieu dont il a une vive conscience, il souhaite se faire pauvre, " dénué de tout, ne vivant que d’aumônes " et se donner lui-même à Dieu et à ses frères " dans le travail des missions " et ceci jusqu’au sacrifice de sa vie. Dès sa conversion, son désir n’est pas de suivre le Christ à moitié, mais jusqu’à l’extrême du don de lui-même et de la ressemblance au Christ pauvre et serviteur. Aussi, est-il résolu à marcher dans le chemin que Dieu lui indiquera, à renoncer à son imagination pour entrer dans le projet de Dieu et, dans la docilité à son Esprit, découvrir sa place et sa mission.

C’est au service des séminaristes pauvres que son désir se réalisera, dans le quotidien ordinaire et réglé d’une communauté de formation. Le risque de ce genre de vie est de voir faiblir puis se dissoudre l’élan des commencements ; ce qu’on a donné avec générosité est repris au jour le jour, surtout aux heures où cela coûte. Pour Claude, le don de lui-même et le service des pauvres vont au contraire grandir à travers les différentes étapes de sa vie : du superflu au nécessaire, de la chambre d’étudiant riche au logement des pauvres, jusqu’à faire communauté avec eux. C’est de ce partage qu’il reçoit son appel spécifique et que naissent les grandes intuitions qui feront de lui un fondateur. Dans la période de croissance et de mise à l’épreuve qui suit, il lui faudra partager les responsabilités avec d’autres ; il parviendra alors à maturité et montrera toute sa fécondité dans l’achèvement de sa propre formation et la consolidation de l’œuvre. En quelques années de sa courte vie, il traverse, comme en raccourci, les étapes et les épreuves d’une vie donnée au service des pauvres. Mû par ce désir de se livrer tout entier à Dieu, il a l’impression de ne pas aller assez loin, mais il se console à l’idée " d’en faire infiniment davantage dans la suite ".

Quand survient l’hiver rude de 1709, puis l’augmentation du prix des denrées et la famine, Claude n’est plus parmi les privilégiés qui ont toujours des ressources pour s’assurer du nécessaire et des soins de qualité. Son exode à la suite du Christ l’a conduit vers la marge, parmi les pauvres, exposé à la même précarité, aux mêmes privations et risques qu’eux. Mais à aucun moment il ne pense à se désolidariser d’eux ; fidèle à son appel, il reste l’un d’eux, quelles qu’en soient les conséquences.

" Mais tandis que M. Desplaces se livrait tout entier aux soins qu'exigeait sa communauté naissante, et qu'il s'épuisait d'austérités, il fut attaqué d'une pleurésie jointe à une fièvre continue et à un ténesme violent qui lui causa pendant quatre jours des douleurs extrêmes. " Malgré les rigueurs de cette année exceptionnelle, Claude " se livrait tout entier " et " s'épuisait d'austérités ". Il continue, comme toujours, à se donner jusqu’au bout de ses possibilités en se privant pour ses compagnons. De plus il lui faut déménager pour le 1er octobre : autant de soucis supplémentaires qui vont peser sur une santé déjà fragilisée. Aussi, quand la maladie l’" attaque ", elle ne rencontre pas beaucoup de résistance. Les hôpitaux sont débordés et il n’a pas les moyens d'avoir des soins efficaces. Il est transporté dans la nouvelle maison le jour où ils emménagent. " Il expira doucement sur les 5 heures du soir le 2 octobre l'an 1709, âgé de 30 ans et 7 mois. "

Cette mort l’atteint de l’extérieur, à son heure à elle. Mais elle vient tout autant de l’intérieur : elle est moins l’interruption d’un processus que son aboutissement, le couronnement de ce chemin de sainteté que Claude a pris à 22 ans, au moment de sa conversion. Dans cet acte ultime de sa vie sur terre, se réalise pleinement son désir d’être dénué de tout et totalement livré à Dieu et aux pauvres. Pas plus que les autres événements de sa vie, il ne l’a programmée à l’avance. C’est sa fidélité à l’Esprit qui l’y conduit. En sa mort, il reçoit la marque suprême de l’amour de Dieu pour lui, la grâce de donner sa vie jusqu’à l’extrême, comme son Maître, et de parvenir ainsi à son accomplissement. Le terme du chemin met en pleine lumière son appel particulier qui pourrait s’exprimer à partir des mots de Saint Paul aux Galates (1,15-16) : " Celui qui m’a mis à part… et m’a appelé par sa grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils en son abaissement, Serviteur et Frère de tous, afin que je l’annonce aux pauvres. " Ce visage du Christ l’a séduit. Toute sa vie s’est construite à partir de cette expérience de Dieu et c’est en elle qu’il trouve sa véritable identité.

Cette même expérience de Dieu nous rassemble et nous identifie aujourd’hui comme Spiritains. Elle nous fait suivre le Christ " à la manière de nos fondateurs ". Elle est au cœur de notre expérience missionnaire, comme Libermann l’a si bien exprimé dans la lettre à la communauté de Dakar. Cette année de célébration du tricentenaire de Claude François Poullart des Places devrait nous permettre de vérifier et de raviver ce qui est vivant en nous de ce qu’il nous a transmis. Notre mission est d’abord de répondre pleinement à notre vocation. Puisse la figure de notre premier fondateur nous aider à y être fidèle comme lui, jusqu’à l’extrême.
Raymond Jung

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