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année Claude-François Poullart des Places (5)

La grâce de la rencontre


Beaucoup de contemporains construisent seuls leur spiritualité. À partir d’un appel personnel, Claude Poullart des Places a avancé dans sa vie spirituelle par de multiples relations. Mais surtout par la rencontre de Dieu et une existence tout entière orientée vers les autres. .

La conversion lors d’une retraite en 1701, Claude Poullart des Places la vit comme une rencontre de Dieu, dont la « voix » le touche et fait naître sa propre parole. Quelqu’un qui s’intéresse à lui, qui l’« aime et lui veut du bien », l’éveille aux « emplois les plus saints et les plus religieux » auxquels il « ne veut pas croire », dont il se défend et qui lui paraissent impossibles.
Commence pour lui une relation non de dépendance ou de concurrence mais d’alliance proposée à sa liberté et dans laquelle il désire entrer de tout son cœur. Sa vie désormais se veut réponse. En témoignent ses écrits où le « vous » du dialogue avec Dieu interrompt souvent la réflexion.
Son parcours antérieur montre que son appel est le fruit d’un lent mûrissement qui prend origine dans son enfance. Ses parents, chrétiens convaincus, lui apprennent à prier. Les jésuites du collège Saint-Thomas sont non seulement des professeurs compétents mais des guides. Entré dans la congrégation des Grands-Écoliers, il y partage sa foi et sa prière avec d’autres (notamment Louis
Marie Grignion de Montfort) et agit avec eux en faveur des malades et des pauvres. Il sera parmi les plus fervents du collège à prier autour de l’abbé Bellier, aumônier de l’hôpital Saint-Yves, qui les envoyait pour « servir les pauvres et faire un petit catéchisme » pour les orphelins qui y vivaient.
Toutes ces relations permettent à Claude d’entrer en dialogue avec Dieu et d’élargir son horizon au-delà de la classe privilégiée où il est né. Elles font résonner l’appel de Dieu en lui et le rendent prêt à y consentir. Pour voir clair dans ce qui lui arrive, il a besoin de se confier à quelqu’un. C’est dans l’effort de se dire qu’il reconnaît l’expérience comme authentique et parvient à prendre des décisions.
Celles-ci expriment la conversion qui s’opère : rupture avec les projets de sa famille et ses propres projets de réussite pour un engagement dans ce qui lui semble conforme à l’appel de Dieu. Ces décisions ne reposent pas sur des ambitions, des peurs ou des défenses. Elles sont des pas vers la liberté et la vie, en lui et pour les autres. Dieu y a tellement sa part qu’elles suscitent le respect et l’adhésion même si elles bousculent.
Le dynamisme né de cette conversion va orienter toute la vie de Claude. Il se donne un plan de vie, organise sa prière pour vivre sa journée en union à Dieu, « même en marchant dans les rues ». Il participe souvent à l’eucharistie avec une grande ferveur. Il est rempli du désir d’aimer Dieu et ainsi accomplit « sans la moindre peine » ce qui lui paraissait « auparavant comme des choses impossibles ». Cet amour lui fait renoncer « aux attachements même les plus permis de la vie ». C’est sa fidélité à l’Évangile qui le conduit vers les autres et lui fait franchir les frontières de son monde pour aller vers les pauvres. Elle le rend « ingénieux à trouver dans son nécessaire même une espèce de superflu pour le donner aux pauvres ». Elle change son regard : il sait voir au-delà des apparences et découvrir la dignité de ces petits ramoneurs qu’il rencontre, dont les âmes « n’étaient pas moins chères à
Jésus-Christ que celle des plus grands Seigneurs et qu’il y avait autant et plus de fruits à espérer
». Elle lui permet d’entendre ce que les pauvres étudiants ont à lui dire. Il ne se contente pas de leur venir en aide, il est à l’écoute de ce qu’ils vivent. Il s’aperçoit vite qu’ils portent en eux plein de richesses. Il voit le bien qu’ils pourraient faire et la place qu’ils pourraient prendre dans l’Église. Dans sa réponse à
Grignion de Montfort qui lui propose de s’associer à lui, on sent l’estime qu’il leur porte : « J’en connais plusieurs qui auraient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne peuvent les faire valoir, et sont obligés d’enfouir des talents qui seraient très utiles à l’Église s’ils étaient cultivés. »
Il ne s’agit donc pas d’une relation à sens unique mais d’une rencontre où lui-même reçoit autant qu’il donne. Il est ce serviteur heureux parce qu’il a découvert que l’autre vaut la peine d’être servi et qui trouve sa joie dans la réussite de ceux qu’il sert. Parce qu’il est à leur écoute, il comprend qu’une aide matérielle ne suffit pas, qu’il faut un suivi et un soutien spirituel. C’est pourquoi il va les rassembler dans une maison où ils pourront organiser la vie en vue d’une formation de qualité. L’Évangile qu’ils cherchent à vivre les rassemble et fait naître une communauté.
Quelques mois plus tard, il traversera la rue Saint-Jacques pour s’installer parmi eux. Nous n’avons pas de texte exprimant ses motivations. Mais en restant dans la logique de ce qu’il est en train de vivre, nous pouvons dire sans nous tromper qu’il a voulu se faire serviteur et proche de tous pour être vraiment leur frère à tous. Il a suivi en cela celui qu’il reconnaît comme son Maître et Seigneur et qui s’est livré par amour pour lui.
Claude n’est pas encore au bout de son chemin. Mais il ouvre un sillon qui lui sera toujours plus personnel.
Cette expérience si particulière va trouver un écho chez beaucoup d’autres, car, en lui comme en ceux qui vont le rejoindre, agit le même Esprit.
À sa suite, le chapitre spiritain de Maynooth (1998) a décrit la mission spiritaine comme un « passage de frontières » à la rencontre des autres, un « pèlerinage », une découverte de l’Esprit déjà à l’œuvre en ceux vers qui nous sommes envoyés.
L’année Poullart des Places nous invite à vivre notre mission comme une Visitation. Nous ne partons pas porter l’Évangile aux autres. Dieu nous a fait la grâce de nous visiter, de nous appeler, pour que, dans la rencontre des autres, nous entendions la bénédiction de Dieu.
Raymond Jung
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Article paru dans Pentecôte sur le Monde n° 848, nov.-féc.mai 2009

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