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année Claude-François Poullart des Places (6)


Tricentenaire de la mort de
Claude-François Poullart des Places (1679 – 1709)
Premier fondateur de la Congrégation du Saint-Esprit

 

Raymond Jung
article paru dans Spiritus, sept 2009

 

L’auteur est membre de la Congrégation du Saint-Esprit. Il a vécu et travaillé en République Centrafricaine et au Cameroun. Il est actuellement responsable du noviciat européen de la congrégation à Chevilly.

  Le 2 octobre prochain, les spiritains fêteront le 300ième anniversaire de la mort de leur premier fondateur, Claude-François Poullart des Places. Cette célébration remet en pleine lumière une figure longtemps méconnue, même par les spiritains, plus attachés à leur deuxième fondateur, le Père Libermann, dont la vie et les écrits constituent la principale source d’inspiration de leur spiritualité et de leur action missionnaire. Il est vrai que Poullart des Places est mort à 30 ans, après seulement un an et neuf mois de sacerdoce, et qu’il ne nous a laissé que peu d’écrits. Cependant, en si peu de temps, il avait réussi à fonder un séminaire pour des étudiants pauvres et à former le noyau de ce qui deviendra par la suite la Congrégation du Saint-Esprit, à l’œuvre aujourd’hui encore sur les cinq continents. Au siècle dernier, des recherches historiques et une relecture attentive de ses écrits ont peu à peu sorti de l’ombre ce premier fondateur, une figure étonnante, dont l’audace des initiatives et la force des intuitions continuent de marquer la vie de la congrégation. Cette célébration porte nos regards sur le temps des commencements. Mais, au-delà, elle est l’occasion, pour les spiritains, non seulement de faire droit à l’ensemble de leur histoire, mais surtout d’accueillir pleinement le don de l’Esprit qui leur a été fait à travers leurs deux fondateurs. La nécessité d’un enracinement dans ce qui fait le cœur de notre vocation et de notre identité est fortement ressentie à l’heure où la congrégation vit des mutations profondes : extension géographique, plus grande diversité de l’origine de ses membres et grande variété des engagements missionnaires. La vie et l’expérience spirituelle de notre premier fondateur peuvent nous guider dans cette recherche. Suivre la façon dont l’Esprit Saint l’a mené pour le disposer à une mission qui lui était totalement inconnue au début de son cheminement peut nous rendre plus disponibles aux appels d’aujourd’hui.  

À la recherche de sa vocation Claude-François Poullart des Places est né à Rennes, le 26 février 1679. Dès sa naissance, son destin semble tout tracé. En effet, son père, de vieille noblesse bretonne, mais qui n’a pu présenter ses titres lors de la réforme de Colbert, en 1668, met tous ses espoirs en ce fils pour " introduire sa lignée dans la noblesse ". Tout est mis en œuvre pour réaliser cette ambition : éducation soignée, études au collège des jésuites, une année supplémentaire de rhétorique à Caen pour parfaire son éloquence et des études de droit à Nantes. En même temps, en homme d’affaires avisé, le père déploie une intense activité pour accroître sa fortune. Le jeune Claude se révèle très bon élève et ses succès scolaires, au fil des années, rendent plus accessible le rêve des parents. Un avenir brillant s’ouvre devant lui. La faille dans ce scénario trop parfait viendra de la foi et de la force de l’Évangile, comme un ferment dans la vie du jeune Claude. En effet, malgré l’énergie qu’ils déploient pour réaliser leur ambition, les parents n’en sont pas moins des croyants convaincus qui veillent sur son éducation religieuse et morale. Les jésuites, plus que des professeurs compétents, sont pour lui des maîtres et des guides. Il entre dans la " Congrégation des Grands Écoliers " au collège. Il est aussi parmi les élèves les plus fervents qui se réunissent autour de l’abbé Julien Bellier, vicaire à la cathédrale, aumônier de l’hôpital Saint-Yves, et, de temps en temps, missionnaire avec le Père Leuduger dans des paroisses de Bretagne : un vrai modèle pour lui. Il apprend là non seulement à prier et à partager sa foi avec d’autres, mais aussi à agir en faveur des malades et des orphelins. Enfin, il se lie d’amitié avec Louis-Marie Grignion de Montfort avec lequel il va prier et partager un même amour des pauvres. Toutes ces influences marquent profondément le jeune Claude. Il découvre le sort des pauvres et éprouve la joie de les servir. Il se décrira lui-même comme " aimant beaucoup à faire l’aumône et compatissant naturellement à la misère d’autrui… ". Son horizon s’élargit au-delà de la classe privilégiée où il est né et une brèche s’ouvre dans le projet des parents. Claude ressent des aspirations nouvelles, un attrait pour une vie donnée à Dieu et aux autres, le désir d’être prêtre. Au contact de l’Évangile, il s’éveille peu à peu à sa propre liberté. Cependant le choix est difficile. Au retour de Nantes il reste des mois sans arriver à prendre une décision. Cette voix au fond de lui est bien faible face aux attentes de ses parents ou à ses propres rêves de grandeur et de réussite. Il fait l’expérience aussi de sa faiblesse, de son inconstance dans sa réponse, tantôt plein de ferveur, à d’autres périodes " mou, lâche, tiède ". Un bel avenir s’offre à lui, mais au fond, il demeure écartelé, incapable d’unifier sa vie autour d’un projet.  

La grâce de la conversion Au cours de l’année 1701, pour sortir de son indécision, il suit une retraite auprès des jésuites, selon les Exercices de St Ignace. En relisant sa vie, il est saisi par l’amour de Dieu à l’œuvre en lui depuis toujours, comme une grâce totalement gratuite qui sans cesse le cherche et jamais ne se décourage de ses faiblesses. Alors toutes ses défenses tombent, il se rend " à tant de poursuites aimables ", il se " laisse vaincre ", il désire désormais n’appartenir qu’à Dieu et est résolu à marcher dans le chemin qu’il lui indiquera. Cette expérience de Dieu marque un tournant décisif dans sa vie. La conversion ne s’opère pas dans une simple continuité, il y a rupture, nouveauté : la grâce particulière de ce moment où Dieu l’emporte en lui. Il était dans une impasse, cette expérience le remet en route. Elle le libère du projet que ses parents avaient pour lui, mais aussi de lui-même, de son ambition et de son inconstance. L’accès à son vrai désir libère une force nouvelle. Après discernement et consultation d’un prêtre il prend des décisions sur lesquelles il ne reviendra plus. Il ira étudier la théologie à Paris, non à la Sorbonne, mais chez les jésuites, à Louis le Grand, où il n’aura pas de diplôme ni de perspective de titres et de carrière. Ses décisions ne reposent pas sur des ambitions, des peurs ou des défenses. Elles cherchent seulement à répondre à l’appel entendu. Elles inaugurent ainsi un chemin qui n’appartient qu’à lui. Dieu y a tellement sa part qu’elles ne provoquent pas de cassure, mais suscitent le respect et l’adhésion, même si elles déçoivent ou bousculent.  

Engagement auprès des pauvres

Fondation d’une " maison de charité " L’authenticité d’une expérience spirituelle se vérifie aux fruits qu’elle porte. Celle de Claude le conduit à la rencontre des pauvres. Dès la première année à Paris, il agit en faveur des immigrés de l’époque, les enfants savoyards qui venaient comme ramoneurs à Paris. Il les aide matériellement et leur enseigne le catéchisme " persuadé qu’il était que leurs âmes n’étaient pas moins chères à Jésus-Christ que celle des plus grands Seigneurs ". Il partage sa nourriture avec des malades et à partir du mois de mai 1702, il paye la pension et aide à vivre un pauvre étudiant comme lui, Jean-Baptiste Faulconnier. Celui-ci lui en amène d’autres. Il partage d’abord son superflu, puis son nécessaire : " la charité […] rend […] ingénieux à trouver dans son nécessaire même une espèce de superflu pour le donner aux pauvres " En les écoutant, il découvre leurs richesses, voit le bien qu’ils pourraient faire et la place qu’ils pourraient prendre dans l’Église. " J’en connais plusieurs qui auraient des dispositions admirables et qui, faute de secours, ne peuvent les faire valoir, et sont obligés d’enfouir des talents qui seraient très utiles à l’Église s’ils étaient cultivés ". À la fin de l’été, il refuse de suivre Grignion de Montfort qui vient lui demander de s’engager avec lui dans les missions paroissiales. Il exprime alors clairement l’appel particulier qu’il perçoit de la part du Seigneur : il a le projet d’aider des étudiants pauvres à se former pour devenir prêtres. " Il me semble que c’est ce que Dieu demande de moi et j’ai été confirmé dans cette pensée par des personnes éclairées dont quelqu’un m’a fait espérer de m’aider pour pourvoir à leur subsistance ". À ses yeux, faire ce que Dieu lui demande sera la meilleure façon d’aider Grignion de Montfort à accomplir sa mission à lui. Quelques semaines plus tard, il loue un local où il loge " quatre ou cinq pauvres écoliers ". La ferveur spirituelle lui donne l’audace d’entreprendre et, de son engagement auprès des étudiants pauvres lui vient l’intuition de l’œuvre. Le voilà unifié autour de son projet, signe de l’action de l’Esprit en lui. En même temps, il devient pauvre lui-même. Il s’habille simplement ; il n’a pas peur de fréquenter les étudiants pauvres et de s’entretenir avec eux " comme avec des égaux ". Au début du carême 1703, il n’hésite pas à aller loger avec eux. C’est l’exode : de sa maison à la maison des pauvres ; de son monde culturel à celui de ses compagnons. Il ne se contente plus de faire des choses pour eux, il est avec eux. Comme un pauvre, il va quêter, même si cette démarche est humiliante pour un homme de sa condition. Il suit le Christ en son abaissement, ne se situe plus comme un riche, comme maître, mais se fait proche d’eux, devient leur frère, leur serviteur. Pour la société hiérarchisée de l’époque, les changements sont énormes. C’est le don de l’Esprit qui lui est fait : c’est son charisme. Ils sont une douzaine à la Pentecôte 1703. Ils se rendent à l’Église Notre-Dame des Grès où ils se consacrent à l’Esprit Saint " sous l’invocation de la Sainte Vierge conçue sans péché ", dans la chapelle de Notre-Dame de Bonne Délivrance.  

L’épreuve et l’abandon En 1704, il traverse une crise profonde. Quelque six mois après les débuts de la communauté, il y a déjà une quarantaine de jeunes et Claude est sollicité par quantité de soucis qui le mobilisent complètement : nourriture, logement, formation, ses propres études à continuer… Il tombe dans un épuisement physique qui entraîne une crise spirituelle qui va durer toute l’année. Comme à son habitude, il entre en retraite, note ce qu’il est en train de vivre puis en parle avec un directeur spirituel. N’aurait-il fait tout cela que par ambition ? Dans son désarroi il en vient à mettre en cause la fondation de l’œuvre elle-même. La rencontre avec l’ accompagnateur va l’amener à un regard plus juste sur ce qu’il vit. Il traverse une période de désolation et de sécheresse. Mais surtout, il en fait trop. Il lui faut renoncer à la paternité exclusive de son œuvre et partager les responsabilités avec d’autres. Le voilà conduit à une nouvelle forme de pauvreté, la renonciation à un pouvoir personnel. Pour un authentique service des pauvres et une réelle fécondité, cette liberté intérieure est nécessaire. Ainsi se constitue le groupe des formateurs, le noyau de la communauté des Messieurs du Saint-Esprit, première cellule de ce que sera la Congrégation du St Esprit. Quand survient l’hiver exceptionnel de 1709, Claude n’est plus parmi les privilégiés. Son exode à la suite du Christ l’a conduit vers la marge, parmi les pauvres, exposé aux mêmes privations et risques qu’eux. Mais à aucun moment il ne pense à se désolidariser d’eux, au contraire, il continue à se priver pour ses compagnons. " Mais tandis que M. Desplaces se livrait tout entier aux soins qu’exigeait sa communauté naissante, et qu’il s’épuisait d’austérités, il fut attaqué d’une pleurésie jointe à une fièvre continue et à un ténesme violent qui lui causa pendant quatre jours des douleurs extrêmes ". Quand la maladie l’" attaque ", elle ne rencontre pas beaucoup de résistance. C’est parmi les étudiants pauvres et comme l’un d’eux, qu’" il expira doucement sur les 5 heures du soir le 2 Octobre l’an 1709, âgé de 30 ans et 7 mois ".   Une année pour célébrer Ce bref parcours montre que Poullart des Places n’est pas devenu fondateur à la suite d’une révélation subite ou de quelque stratégie préconçue. Il l’est devenu à travers un long travail pour s’ouvrir à la grâce de son appel, non seulement au moment de sa conversion, mais au jour le jour, dans sa disponibilité à la volonté de Dieu : " Je suis résolu de marcher dans le chemin que vous m’indiquerez ". Il découvre cette volonté autant dans l’écoute et la prière, dans son expérience spirituelle, que dans la rencontre des pauvres et l’engagement à leur côté, dans sa mission. La célébration de cette année Poullart des Places nous conduit à creuser dans ces deux directions. Les défis de notre temps et le poids de nos faiblesses ne sont pas des fatalités. Comme pour Claude, de l’autre côté des obscurités, des adversités et des infidélités, le Christ et son Évangile sont toujours là pour rendre libre et remettre en route. Un nouveau dynamisme de la mission peut naître de nos conversions et de notre disponibilité renouvelée aux appels de l’Esprit aujourd’hui. C’est ainsi que se construira notre unité, car c’est cette expérience de l’Esprit, ce charisme, qui est le ciment qui nous rassemble. En même temps, Poullart des Places nous entraîne à la rencontre des pauvres. Pour se faire proche d’eux, il a suivi le Christ dans son incarnation, dans son abaissement ; il est allé toujours plus loin dans le détachement de lui-même, la disponibilité, la fraternité partagée au service des pauvres et avec eux jusqu’au don de sa vie. Il a vécu une véritable démarche missionnaire de sortie de soi, de son monde, pour franchir la distance qui le séparait d’eux et ce sont les pauvres qui lui ont révélé les appels de Dieu. S’il y est parvenu, à travers crises et épreuves, c’est conduit par l’Esprit. C’est le don qui lui a été fait. C’est aussi le nôtre aujourd’hui et nous sommes appelés à devenir serviteurs et frères des pauvres dans le contexte d’aujourd’hui. Alors, l’Esprit et ceux vers qui nous sommes envoyés sauront nous dire sur quels chemins nouveaux le Seigneur nous attend.

Raymond Jung

Raymond Jung

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