Cahier histoire (2)



  Les premiers Spiritains en Asie au xviii ème siecle

Par Catherine Marin
Chargée de cours
A la Faculté des Lettres de
L’Institut Catholique de Paris

De 1733 à 1780, treize Spiritains formés au Séminaire du Saint-Esprit fondé en 1703 par Claude Poullart des Places sont envoyés vers l'Asie. Uesprit évangélisateur qui sous-tend toute la pensée du fondateur avait préparé ces hommes à répondre à l'appel de l'Asie qui leur était très concrètement adressé par les supérieurs des Missions Etrangères de Paris (MEP) en quête d'ouvriers apostoliques pour ces terres lointaines qui leur étaient confiées.

Les MEP et le départ des Spiritains vers l’Asie
Depuis leur fondation en 1663, les Missions Étrangères de Paris assurent l'envoi de missionnaires en Asie. Le grand objectif de cette société a été dès l'origine l'envoi de prêtres séculiers en Asie pour former un clergé indigène en terre de mission, et assurer l'éveil et l'épanouissement d'une communauté chrétienne autochtone, qui doit tendre vers l'autonomie. A partir de 1720, de graves difficultés atteignent la société, mettant en danger l'existence même de I'oeuvre missionnaire. La crise financière, sous la Régence, causée par l'échec du système mis en place par le banquier Law, a déstabilisé, tout d'abord, l'organisation du séminaire. Au même moment, le séminaire des Missions Étrangères subit les contrecoups des querelles religieuses de l'époque : la querelle janséniste et celle des Rites. L’une et l'autre suscitent un éloignement des vocations vers les missions.
Pour éviter l'abandon des missions faute d'hommes et de moyens, des négociations sont alors lancées avec les différents séminaires de Paris pour susciter des départs vers lAsie. Les premiers contacts semblent avoir commencé dès 1716. Le choix s'oriente vers le séminaire de Saint-Sulpice et le séminaire du Saint-Esprit. Les négociations aboutissent en 1732. Des jeunes prêtres formés au sémi'naire du Saint-Esprit sont encouragés à rejoindre le séminaire des Missions Étrangères afin de préparer leur départ vers l'Asie. En 1733, deux premiers Spiritains s'embarquent pour Macao, l'un, Guillaume Rivoal, venu de Bretagne, et Jacques de Bourgeries, originaire de Liège, tandis qu'un troisième, Pierre Collet, natif du diocèse de Bourges, devient un des directeurs du séminaire de Paris.

Qui sont ces Spiritains envoyés en Asie ?
Entre 1733 et 1780, sur les quinze jeunes Spiritains destinés aux missions d'Asie, treize rejoignent une des missions, deux autres restent à Paris, devenant procureurs des missions d'Asie au séminaire des Missions Étrangères de Paris.
Rappelons que ces missions se composent, en 1733, des pays qui suivent :

  • Le Tonkin occidental, la partie orientale étant confiée aux dominicains depuis 1693.
  • La Cochinchine, à laquelle on adjoint le Cambodge et le Ciampa, ancien royaume bouddhiste situé au sud de la Cochinchine.
  • Le Siam.
  • La Chine qui, de 1707 à 1739, n'est plus dirigée par la société des Missions Étrangères de Paris. Ce n'est qu'en 1739 que le Yunnan est à nouveau confié aux MÉP et en 1753 la province du Setchouan.
  • L'Inde, ou la mission de Malabar est confiée aux Missions Étrangères en 1776 seulement.

Dans ces différentes missions sont donc envoyés nos spiritains durant le XVI[I. Leur origine géographique est diverse, on note cependant un bon nombre de Bretons.
Sept parmi eux deviennent vicaires apostoliques : Armand Lefevre en 1741 : vicaire apostolique de Cochinchine et du Cambodge, avec le titre d'évêque de Noëlène ; Louis Devaux, vicaire apostolique du Tonkin en 1746, évêque de Leros ; Edme Bennetat, coadjuteur de Mgr Lefevre en 1748, évêque de deucarpie ; Jean-Baptiste Maigrot,, (à ne pas confondre avec Mgr Charles Maigrot envoyé au début du XVIII, pour résoudre la Querelle des Rites en Chine) ; Jean-Baptiste est nommé vicaire apostolique du Setchouan en 1753, évêque d'Assur ; Guillaume Piguel : vicaire apostolique de Cochinchine et Cambodge en 1762, évêque de Canathe ; François Pottier, vicaire apostolique du Setchouan en 1767, évêque d'Agathopolis ; Pierre-jean Kerhervé, vicaire apostolique de la mission du Setchouan en 1762, évêque de Gortyne. Les deux directeurs du séminaire des Missions Étrangères de Paris, recevant la fonction importante de procureur des missions d'Asie, sont : Pierre Collet, en 1733 et jean-Charles Darragon, en 1752.

Leur esprit missionnaire : une grande rigueur de vie
À travers la correspondance de ces hommes, heureusement conservée aux archives des Missions Étrangères de Paris, se profile ce
que voulaient être les disciples de Poullart des Places dans l'Église ; "Un corps de troupes auxiliaires, prêtes à se porter partout où il y a à travailler pour le salut des âmes, se dévouant par préférence à I'oeuvre des missions, soit étrangères, soit nationales, s'offrant pour aller résider dans les lieux les plus pauvres et les places les plus abandonnées, et pour lesquelles on trouve plus difficilement des sujets". Nous retiendrons de ces hommes, d'abord une grande rigueur de vie, vivifiée par la prière et l'oraison. La
mystique de la pauvreté imprègne aussi la vie de ces hommes. Citons M. Kerhervé qui, "par esprit de pauvreté", se rend à
pied de Paris à Lorient pour s'embarquer vers l'Asie, Guillaume Piguel, qui au Cambodge, administre son vicariat dans
un dénuement le plus total, "se dévouant aux tâches les plus obscures et les plus humbles du ministère sacerdotal" : "Il
donnait tout aux pauvres, écrit un de ses confrères, il était plus pauvre que les pauvres mêmes, ne portant que des habits
déchirés, et à sa mort, on ne trouva pas même une chemise pour l'ensevelir." Poursuivant I'oeuvre des Missions Étrangères de Paris quant à la formation d'un clergé indigène, plusieurs s'investissent dans l'enseignement et la formation de jeunes clercs, mais aussi dans celle de catéchistes qui les secondent dans leurs fonctions ; MM. Kerhervé et Corre se chargent du séminaire du Siam fondé par les premiers vicaires apostoliques, portant une attention particulière à la qualité l'enseignement, l'un est professeur de rhétorique et de théologie. Mgr Piguel traduit les prières et le catéchisme en langue khmer : " il est persuadé que le véritable moyen de réformer une chrétienté est de s'appliquer à former la jeunesse". On ne néglige pas non plus la prédication. Celui qui excelle en cet art est Edme Bennetat qu'on appelle "le Bourdaloue de la Cochinchine' "Ce digne ministre des autels, véritablement apostolique... On vient à lui pour l'entendre et pour le voir. Le peuple affamé de la parole de Dieu... que M. Bennetat annonce avec tant de facilité et de zèle et d'émotion le fait regarder comme apôtre de pays. Nous le regardons, nous, comme un saint parce que c'est un miracle continuel de faire ce qu'il fait avec le peu de santé qu'il a."
Le dernier Spiritain à partir en Asie, sauf nouvelle découverte aux Archives, est Pierre Blandin. il s'embarque le 7 décembre 1778 pour se rendre au Tonkin occidental et revient à Paris en 1787.

L’aventure missionnaire des Missions Étrangères se sépare alors de celle du séminaire du Saint-Esprit. Les unes vont poursuivre et intensifier 1eur oeuvre en Asie tandis que séminaire du Saint-Esprit va diriger son apostolat vers l'Afrique. En effet, au moment où Blandin rejoint l'Asie en 1778 un autre séminariste, Déglicourt s'embarque sur un navire à destination de la Guyane. En fait, l'escadre qui accompagne son navire attaque Saint-Louis du Sénégal pour reprendre cette terre aux Anglais. Après la capitulation de Saint-Louis, Déglicourt est officiellement nommé préfet apostolique des Côtes d'Afrique : une nouvelle terre de mission s'ouvre à la congrégation du Saint-Esprit.


Illustrations :
1- Mgr Fr. Pottier (1726-1792), par un peintre chinois. Il devint vicaire du Setchoan en 1767. Il est l 'un des treize spiritains partis en Asie.
2- Les 10 Commandements en écriture Micmac
Autre aspect de l'activité missionnaire des Spiritains au xviii, siècle : Pierre Maillard (1710-1762) étudie le langage des Micmac, peuple indien du Canada

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