Cahier histoire (4)



  Mgr Augouard
et le bateau à vapeur

Par Olivier Ouassongo
chercheur à
l'Institut d'études Africaines (IEA)
d'Aix-en-Provence.


Comment à l'orée du XXe siècle pénétrer les immenses territoires de l'Afrique Centrale ? Sur les grands fleuves, le Congo, l'Oubangui, l'Alima, c'est le bateau à vapeur qui sera le vecteur de l'Evangile. C'est I'oeuvre de Mgr Augouard.

Prosper Augouard
Né à Poitiers le 16 septembre 1852 dans une famille très chrétienne de petits artisans d'opinions royalistes, Prosper Augouard rencontra dans son quartier à Poitiers deux prêtres qui firent naître chez lui la vocation sacerdotale : le P. Joseph Dubois, curé de Montierneuf, et l'abbé Louis Bernard, vicaire de la même paroisse.
Il entre au petit séminaire de Sées en octobre 1871. C'est là qu'il rencontre le père Antoine Horner, missionnaire spiritain au Zanzibar, lors d'une tournée de conférences et de recrutement de ce dernier, et qu'il opte pour la Congrégation du Saint-Esprit.
Ordonné prêtre en 1876, il compléta sa formation à Cellule (Puy-de-Dôme), avant de partir, en décembre 1877, pour Libreville au Gabon. En décembre 1879, il est envoyé à Landana, dans l'actuel Angola.

Les bateaux de la mission
Dès les débuts de son vicariat, Mgr Augouard disposait d'une embarcation, le Léon XIII, mis à l'eau en 1886, avec lequel il navigua principalement sur le Congo, l'Oubangui et l'Alima. Rebaptisé Diata il fut transformé en bateau à vapeur en 1889. Le nouveau Léon XIII fera son premier voyage en avril 1898, jusqu'aux missions de l'Oubangui. Enfin, le Pie X, construit en 1909, vient compléter la flottille du vicariat. Ces bateaux serviront pour de nouvelles fondations de missions, pour leur ravitaillement, le transport de personnel et les visites épiscopales. En outre, le vicariat avait deux ports à Brazzaville : le port Saint- Roch et le port Léon. De ces ports se faisaient tous les embarquements et les débarquements pour le compte de la mission.
Pourtant la navigation sur les rivières du Congo à la fin du XIX, et au début du XX, siècles n'était pas toujours facile. Lors d'un voyage dans le nord du vicariat avec son frère en octobre 1912, Louis Augouard écrit : " Nous mettons deux heures à sortir du pool, puis nous entrons dans ce que les navigateurs congolais ont coutume d'appeler le "couloir". Un soir, nous stoppons au "camp des moustiques", sur les rives d'une île fortement inondée ; et c'est aux branches des arbres que nous avons dû attacher les chaînes de nos bateaux ; la terre était inabordable, c'est le mot. Dans les hautes eaux, il est très difficile de trouver un port favorable pour la nuit ; il faut être prudent et savoir se mettre à l'abri derrière une île pour éviter la tornade qui vient presque toujours du nord-est. L’île doit donc se trouver entre le bateau et la tornade. "
Le Léon XIII et le Pie X ne pouvaient naviguer que de jour. Pour faciliter la navigation sur le Congo et l'Oubangui, avec l'aide de l'administration locale, Augouard établit d'abord une carte du fleuve Congo de son embouchure jusqu'au Stanley Pool en 1906. Ensuite, en 1907, il fit paraître une carte de 40 feuillets intitulée Carte fluviale de l'Oubangui : de Liranga à Bangui, et, en 1909 enfin la Carte fluviale du Congo de Brazzaville à Liranga. Outils de travail, ces trois cartes signalaient aux capitaines de bateaux naviguant sur ces cours d'eau, les différents écueils qui jalonnent leur itinéraire. Munis de ces instruments, les missionnaires circulèrent sur les fleuves et les rivières du Congo en évangélisant les populations, en fondant de nouvelles missions et des postes de catéchistes. A bord du Léon XIII et du Pie X, une cabine faisait office d'oratoire pour les célébrations de messes et de diverses cérémonies religieuses.

Prêtres, marchands, soldats...
De 1890 à 1921, les activités des bateaux de la mission furent essentiels dans l'avancée de l'évangélisation sur le territoire du Congo français. Grâce à leurs concours, des missions furent fondées, entretenues et régulièrement visitées ; des esclaves (adultes et enfants) furent rachetés, et des milliers de personnes baptisées (exactement 13 718 en l921). De la rivière Kassaï' à l'Oubangui et du Congo à l'Alima, ils parcoururent plus de 200 000 kilomètres, en transportant aussi bien missionnaires et chrétiens que non-chrétiens, et que matériel et marchandises diverses pour le compte de différents partenaires : mission, administration, compagnies concessionnaires et particuliers. À cette époque, l'existence du vicariat était donc liée à la présence des bateaux de la mission : la diffusion de l'évangile et les projets d'évangélisation dépendaient de leurs activités.
Avec la nomination du P. Firmin Guichard comme successeur de Mgr Augouard (12 juin 1922), le vicariat apostolique du Haut-Congo français prend le nom de vicariat apostolique de Brazzaville. Cela correspond au début d'une transition qui durera presque deux décennies. En effet la construction des routes sur toute l'étendue de l'Afrique Équatoriale Française (AFF) et l'utilisation de l'automobile permirent aux missionnaires d'utiliser de moins en moins le bateau. Par exemple en 1927, le P. Marcel Grandin arrive en Oubangui par automobile à travers le Cameroun. Certes le projet de "mission flottante" axé sur la vie d'une communauté de 10 missionnaires en permanence sur l'un des bateaux de la mission, proposé par le P. Marc Pédron à ses supérieurs fut rejeté à cause d'un manque de personnel, mais le vicariat de Brazzaville continua à utiliser les bateaux pour une partie de ses activités (visite des stations de l'Alima) jusqu'à la fin des années 1930. C'est Mgr Paul Biéchy (1936-1954) qui a vendu les derniers bateaux, en 1937 et 1938, le Mgr Augouard et le Saint-Paul, preuve que les routes sont désormais suffisantes pour les déplacements des missionnaires


Principaux repères dans la vie missionnaire de Mgr Augouard
  • avril 1881 : fondation de Saint-Antoine de Sogno
  • 6 juillet - 4 août 1881 premier voyage au Stanley-Pool
  • mars 1882 - juillet 1883 séjour à Mboma, Landana, Loango
  • août - septembre 1883 : fondation de Saint-Joseph de Linzolo
  • 1886 : fondation de Saint-Paul du Kassaï (Kwamouth)
  • 1886 : construction du bateau à voile Diata (appelé d'abord Léon XIII)
  • 1887 : fondation de la mission Saint-Hippolyte de Brazzaville
  • 1889 : transformation du Diata en bateau à vapeur
  • 1889 : fondation de la mission Saint-Louis de Liranga
  • novembre 1890 : sacre de Mgr Augouard, vicaire apostolique de l'Oubangui, appelé aussi vicariat apostolique du Haut-Congo français
  • 1891 / 1892 construction de la cathédrale du Sacré-Coeur à Brazzaville
  • 1893 1894 : fondation de Saint-Paul des Rapides à Bangui
  • 1894 fondation de la Sainte-Famille de Bessou
  • 29 juin 1897 fondation de l'Immaculée-Conception de Lékéti
  • 1897 - 1898 : construction du bateau Léon XIII ï 5 janvier 1899 : fondation de Sainte-Radegonde de Tsambitso
  • janvier 1900 : fondation de Saint-François-Xavier de Boundji
  • 1909 construction du bateau Pie X novembre
  • 1910 fondation de Saint-Jean Baptiste de Betou
  • 1912 : fondation de Saint-Philippe de Mbamou
  • 1919 : fondation du petit séminaire de Brazzaville
  • 3 octobre 1921 : mort de Mgr Augouard (inhumé à Chevilly)
  • 21 juin 1922 : Mgr Firmin Guichard succède à Mgr Augouard comme vicaire apostolique de Brazzaville.

Illustrations :
1- Mgr Augouard fait le pacte du sang avec le chef Mbetou
2- Le Léon-XIII, un des premiers bateaux de Mgr Augouard, sur le fleuve Congo

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