Cahier histoire (6)



  Mgr Vogt
et la "nouvelle Pentecôte" au Cameroun

Par Philippe Laburthe-Tolra
Professeur des universités


67 000 baptêmes au Cameroun en 1922, 136 000 en 1930, 158 000 en 1932 dans le seul diocèse de Yaoundé, 208 000 en 1938, 400 000 en 1943, année où s'éteint Mgr François-Xavier Vogt (1870-1943) le vicaire apostolique qui a présidé à cette "nouvelle Pentecôte", le plus grand succès missionnaire de la Congrégation du Saint-Esprit (avec celui du pays Ibo au Nigéria).

François-Xavier Vogt
Il est né le 3 décembre 1870 à Marlenheim, entre Saverne et Strasbourg. A l'âge de 14 ans, il est remarqué par un père spiritain de passage qui l'envoie à l'école apostolique de Beauvais, où il doit apprendre le français avec le latin... Il sera ordonné en octobre 1899. En 1902, la province spiritaine d'Allemagne le réclame. Il est nommé au petit scolasticat de Knechsteden.
Soudain, en 1906, à 35 ans, il apprend qu'il est nommé vicaire apostolique de la nouvelle circonscription du Zanguebar central avec comme siège Bagamoyo, en Afrique Orientale allemande (à présent Tanzanie), en face de Zanzibar. Vogt est sacré à Knechsteden par le cardinal archevêque de Cologne le 14 octobre. Il embarque à Naples le 24 décembre 1906 et parvient à Bagamoyo le 15 janvier 1907, Dans ce milieu musulman, le petit noyau catholique est fait d'esclaves rachetés, d'enfants malades et de vieillards soignés, 12 de misérables. Les missions loin à l'intérieur sont prospères et il commence à les visiter à partir de la PentecÔte 1907, mais ces voyages sont très longs, car elles sont également très éloignées les unes des autres. Pour donner une idée des distances, la mission la plus proche de Bagamoyo, celle de Kiléma, s'en trouve à 400 km à parcourir à pied à travers la savane. Au bout d'un an, l'évêque écrira : "En somme, ma première année se résume en peu de mots : six mois de fièvres et six mois de voyages".
En 1916, une escadre anglaise bombarde Bagamoyo et les Britanniques entreprennent l'occupation du pays, considérant Mgr Vogt comme Allemand malgré sa naissance alsacienne. Il va subir à partir de là une série de vexations, de critiques et de calomnies qui vont durer une fois la paix revenue. Épuisé, l'évêque quitte son Vicariat "pour congé" en France en décembre 1921 ... Il n'y reviendra jamais.

De Zanguebar au Cameroun
En mars 1922, l'administrateur apostolique du Cameroun, le P. Malessard, décède. Mgr Le Roy, supérieur général de la congrégation du Saint-Esprit, propose Mgr Vogt à la Propagande. Après un voyage de 22 jours sur le paquebot Europe, il arrive à Douala le 22 octobre 1922.
Au Cameroun, les baptisés ont triplé depuis 1914, et c'est pour l'évêque un spectacle insoutenable que ces messes de 10 000 assistants réclamant des confessions, alors qu'il ne dispose que d'une douzaine de Spiritains. Deux ans plus tard, il n'aura toujours que 15 prêtres et 5 frères coadjuteurs. Il va être obligé de harceler la maison mère pour obtenir es missionnaires, remarquant que c'est là la seule mission à remporter pareil triomphe, et qu'on doit craindre "la grâce qui passe et ne reviendra pas". Il souligne aussi l'urgence de barrer la route à l'Islam, déplorant la politique pro-islamique de la France, qui partout favorise la religion du Prophète, puisqu'en 1924 l'administrateur de Bafia recommande aux chefs de s'y convertir. De la maison-mère, Mgr Vogt obtiendra en une dizaine d'années l'envoi d'une cinquantaine de confrères.

Les circulaires de l’évêque
A son arrivée, son premier souci fut de reprendre en main la direction des missionnaires, dont chacun ne faisait qu'à sa tête. Il prit l'habitude de s'adresser aux confrères dont il était à la fois l'évêque et le supérieur religieux par de nombreuses lettres et surtout par de longues circulaires collectives : on en compte 104 en vingt ans. Trésor spirituel publié par M. l'abbé Wenceslas Mvogo, puis par le P. Jean Criaud, et permettant de suivre l'histoire intérieure du vicariat durant toute cette période.
Le ton est donné dès la première circulaire, du 24 octobre 1922 (au lendemain du débarquement). C'est un aveu plein de franchise que fait Mgr Vogt d'être venu sans le moindre enthousiasme, confiant d'être dans l'obéissance à la volonté de Dieu, et soucieux de la nécessité de préserver l'union entre tous. Il demande l'envoi rapide par chacun d'un rapport détaillé sur sa mission. Dans la deuxième circulaire, datée du même jour, il annonce son intention de se fixer à Yaoundé. il réclame qu'on tienne un journal et conserve les archives dans chaque mission, et il appelle chacun à se conformer aux décisions une fois qu'elles ont été prises dans les formes. Il constate que la vie de communauté devient pénible et même impossible si chacun fait ce que bon lui semble, n'accepte pas la direction donnée par les supérieurs et n'observe plus les règles, en particulier les exercices de piété : on ne peut amener les fidèles à la ferveur sans être fervent soi-même.
Il s'agit donc d'un mixte de considérations spirituelles et pratiques, données dans un style très direct. Le thème qui reviendra toujours est la nécessité d'une stricte observance des exigences religieuses : l'austérité personnelle de l'évêque s'y reflète. Pour prendre un exemple, la croix des missionnaires trop peu nombreux, ce sont les très longues heures passées au confessionnal. Or, au contraire d'autres pasteurs, Mgr Vogt refuse de dispenser les prêtres du bréviaire (de la prière), même au profit des confessions.
Autres thèmes de ces circulaires : 1) l'éloge des Pallotins, la reprise des habitudes qu'ils avaient instituées ; 2) la nécessité d'instaurer d'autres habitudes chrétiennes dans le détail de la vie quotidienne, de proposer des retraites, etc. ; 3) le catéchuménat; 4) l'importance de la pratique de la langue ; 5) la grâce liée aux confessions. Le souci primordial de l'évêque est toujours la vie intérieure. Il essaie de promouvoir les retraites spirituelles. L’instruction religieuse doit tenir la première place dans les écoles chrétiennes, sinon ce n'est pas la peine d'en ouvrir.
Assez vite, Mgr Vogt acquiert un immense rayonnement par le respect et l'amour qu'il témoigne à tous, méritant comme "Père des Pères" le nom ewondo de mvamba "grand-père", avec la nuance de confiance simple et affectueuse que ce mot évoque dans la culture africaine. Il s'interdit tout éclat ou critique publique. Il n'est sévère que pour ses missionnaires, à qui il interdit sous peine de péché mortel de subordonner l'octroi des sacrements au paiement du denier du culte, comme ils en avaient la coutume avant son arrivée.
Ceux-ci blâmaient sa bonté excessive. Quand on lui envoyait un pécheur endurci, il commençait par le serrer dans ses bras à la mode beti en lui demandant : "Qu'y a-t-il, mon enfant ?" A la différence des autres prêtres, il passait pour saint même aux yeux de ses boys et de ses chambristes. Ses textes n'exhortent pas seulement à la vie intérieure : ils envisagent toujours l'avenir, en particulier l'autonomie du Cameroun. Comme Stoll et trop peu d'autres, il croyait à l'avenir de l’Afrique. Son coadjuteur nommé en 1932, Mgr Graffin, pensera au contraire que la colonisation est installée là pour des siècles, et il aura du mal à démissionner pour laisser la place à un archevêque camerounais en 1961.

Les dernières années de Mgr Vogt
Pour conclure avec Mgr Vogt, qui meurt d'une attaque le 4 mars 1943, on peut noter qu'il a très bien vu, en ce qui le concerne, les problèmes qui vont naître de l'évolution de ses chrétiens : à commencer par le refroidissement de leur ferveur qu'il évoque dans une circulaire de novembre 193 1, par les nouveaux besoins spirituels des évolués, par la nouvelle liberté des moeurs, etc.
Il finit sa vie en saint, se détachant même d'un esprit de pauvreté parfois trop étroit, qui lui avait fait refuser la cabine de première offerte par la compagnie de navigation, le champagne dans les cocktails, une vie différente de ses confrères dont il partage la table et l'habitation, menant une "vie commune" au réfectoire, aux offices et en récréation, assez distant parfois, mais toujours chaleureux avec les pauvres et les malheureux.

On peut conclure avec Wilbois, à propos de son épiscopat : "Il était sans doute impossible de faire autrement. [ ... 1 Les missionnaires ont voulu [ ... ] en faisant partout exister le fait catholique, créer une atmosphère où le paganisme ne pourrait plus respirer [ ... ]. Dans cette course, où d'ailleurs ils étaient précédés par le désir des païens eux-mêmes, ils se sont bornés à enseigner la doctrine et à faire participer au culte. [ ... ] On va au plus pressé. On plante la Croix. Le reste poussera à son ombre."

Philippe Laburthe-Tolra, professeur des universités,
a enseigné de nombreuses années en Afrique.


Illustrations :
1- Mgr F.-X. Vogt
2- Mgr Vogt entouré du groupe des premiers abbés camerounais, le 8 décembre 1935

Sommaire   ***   ../.. page7

 
- 6 -