Cahier Afrique (17)



  Non, le peuple ne se résigne pas !

René YOU
32, avenue de la Macta B.P.24 RP
22000 Sidi-Bel-Abbès (Algérie)
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Sidi-Bel-Abbès, janvier 2007

Chers parents et amis,

C'est, paraît-il, trop tard pour vous offrir mes meilleurs vœux. Oh ! après tout, tant pis!
J'ai bien le droit de vous souhaiter, à n'importe quel moment de l'année, beaucoup de bonheur; et je remercie tous ceux qui m'ont souhaité la même chose depuis Noël. A tous, beaucoup plein de joie, que Seigneur vous garde en bonne santé et qu'Il vous aide dans tous vos projets.
La vie à Bel-Abbès s'écoule "comme un long fleuve tranquille ", du moins en apparence. Contrairement à ce qu'a écrit une journaliste du journal " la Croix ", les gens n'ont plus peur, et c'est probablement dans un salon, tasse de thé à la main, le petit doigt levé qu'elle a dû apprendre qu' " il n'y a plus personne sur les routes après 17 heures ". Il est vrai que c'était en Ramadan; et à cette heure là, on se dépêche de rentrer pour la rupture du jeûne. On lui a donné toute une page pour dire de telles inepties, et ressasser des lieux communs sur les "années de plomb ". Certes les "plaies" sont encore à vif, certes il reste un abcès de violence dans l'est du pays, certes il y a bien des sujets de mécontentement: la pénurie d'eau due à une sécheresse prolongée qui fait craindre d'autres restrictions l'été prochain (on nous annonce dès maintenant que l'eau ne coulera plus que quelques heures tous les trois jours) et des récoltes catastrophiques; le chômage, surtout chez les jeunes même diplômés; la pénurie de logements ( malgré les indéniables efforts pour en accélérer la construction) qui retarde l'âge du mariage; la pénurie d'investissements étrangers due encore à la méfiance envers la lourdeur, sinon à l'anachronisme, de l'administration et peut-être aussi à la peur entretenue par une certaine presse étrangère. Pénurie, pour les jeunes surtout, d'activités de culture ou de détente (hormis les cybercafés qui poussent comme les champignons après la pluie) ...
Non, le peuple ne se résigne pas; il fait même preuve d'un courage inouï, mais il veut comprendre où va la richesse générée par le pétrole et le gaz; il le fait savoir ici ou là par la violence: la communication entre lui et les responsables, politiques en particulier, semble coupée. D'ailleurs où sont désormais les partis d'opposition qui pourraient créer un débat? Le citoyen ignore bien souvent le sens de réalisations qui le concernent au premier chef dans son environnement immédiat. Que dire alors des "grands travaux ", admirables à plus d'un titre, souvent réalisés par des étrangers (des chinois en particulier !) : l'autoroute du Maroc à la Tunisie, le métro d'Alger, le nouvel aéroport international d'Alger (maintenant fini), de nouvelles lignes de chemin de fer, en particulier pour désenclaver les hauts plateaux et le sud, et bien d'autres projets ... De plus, même s'il est fier que son pays ait remboursé la quasitotalité de ses dettes, il voudrait croire à la réalité de la " cagnotte" paraît-il créée pour le bonheur des générations futures. Et pour preuve de ce malaise qui frappe surtout les jeunes, il suffit de lire dans la presse le nombre de "clandestins" qui mettent le cap sur les côtes espagnoles au péril de leur vie.
Voilà bien des réalités qui nourrissent nos rencontres et notre prière. Quand je dis "nous
", ce sont nos 4 Sœurs franciscaines de Marie toujours en symbiose avec la gent féminine, mes deux jeunes confrères spiritains prêtres venus en octobre, l'un du Ghana et l'autre du Congo Brazzaville. Les voir s'initier à la vie algérienne, à l'étude de l'arabe et à la découverte de l'islam me fait penser avec nostalgie à ce que fut mon coup de foudre pour ce pays il y a 42 ans déjà, et si ce n'était les quelques misères physiques qui me rappellent à la
 
réalité, avec eux je me sentirais rajeunir. 'Nous', ce sont aussi les quelque 90 étudiants chrétiens d'Afrique subsaharienne à qui est réservée une bonne part du vendredi après-midi: eucharistie " dominicale" (ils travaillent le dimanche), réflexion sur leur foi ou leur engagement dans un milieu majoritairement musulman, et lecture de l'évangile selon S. Luc (l'an dernier nous avons lu S.Marc) ...
Nos principales occupations, nos " plates-formes de rencontres" comme aimait les appeler le P.Claverie, sont toujours les mêmes: formation féminine, bibliothèques pour adultes et pour enfants, cours de soutien en anglais et en français du CP au niveau universitaire. Le nombre d'adhérents aux bibliothèques est en lente diminution ( les cybercafés nous font une âpre concurrence), mais les demandes de cours sont toujours plus nombreuses ... Il nous en arrive encore à cette date quotidiennement.
Parmi les faits qui ont marqué l'année, je retiendrai l'ordonnance présidentielle concernant la " réconciliation nationale ". On en parle peu, mais il semble que l'application suive son cours dans le silence. C'est peut-être mieux ainsi. Mais une autre ordonnance, en mars, a jeté le trouble et l'inquiétude dans la communauté chrétienne. Elle concerne les " cultes non musulmans" et son objectif serait de réprimer prosélytisme de certains groupes sectaires. En soi, il n' y a donc pas là de quoi nous inquiéter, mais elle apparaît comme une épée de Damoclès dont quelqu'un pourrait un jour faire usage contre nous. Et vous connaissez par ailleurs les maladresses (même papales) qui ne facilitent pas le dialogue confiant ...
En juin, un long week-end a été consacré par le diocèse d'Oran à célébrer le dixième anniversaire de la mort du Père Claverie. Un événement très riche et très émouvant tant sur le plan de la réflexion que de la prière, en présence d'amis musulmans, de la soeur et du beau frère de Pierre venus tout exprès des Etats-Unis, et pour le temps d'un repas, de la maman et des frères et sœur de Mohamed, mon très proche collaborateur, emporté dans le même attentat. On m'a demandé de résumer en quelques minutes les " éditoriaux" du " Lien ", le bulletin diocésain, écrits chaque mois par le P.Claverie ; et pour cela je me suis appliqué à tous les lire une nouvelle fois: je comprends mieux pourquoi ils étaient tant attendus.
J'ai passé une bonne partie de l'été seul, les Sœurs ayant rejoint, comme chaque année, celles de Tunisie et de Libye. Je n'ai pas vu passer le temps, malgré la canicule (elle n'a ici rien d'extraordinaire). Il est vrai que j'avais de quoi me " distraire" : une retraite que j'ai animée dans une de nos maisons d'anciens à Piré du 15 au 22 septembre: deux de mes auditeurs ont rejoint le Seigneur depuis. J'avais aussi à préparer deux interventions sur la " rencontre entre chrétiens et musulmans" pour une assemblée de délégués spiritains européens de " Justice et Paix" qui a eu lieu à Cordoue du 5 au Il septembre. Les souvenirs historiques inscrits dans l'architecture et dans la pierre, témoins de ce temps où en Andalousie, chrétiens, juifs et musulmans vivaient en harmonie, ont sans doute été plus efficaces que mes belles paroles. Je ne parle pas de l'accueil de nos confrères espagnols!
Avant tout ça, fin août, j'ai pu sauver une dizaine de jours pour la famille: j'essaierai de faire mieux la prochaine fois. Mais avant de finir il m'est impossible de ne pas évoquer le séjour en Oranie du P. JC. Thomas (ancien évêque de Versailles). Comme chacun sait (ou s'il l'ignore, c'est dommage !) nous sommes nés dans le même village vendéen. Avec tout ce que nous lui avons fait voir, Raymond Gonnet et moi, même tard le soir et en forêt il peut témoigner que les routes sont sûres; et les participants à la retraite diocésaine, qu'il a animée à Tlemcen, gardent un excellent souvenir de ses riches méditations bibliques. Il ne m'a pas chargé de faire de la pub, mais je vous conseille d'acheter " La Bible expliquée" à laquelle il a beaucoup et heureusement travaillé ..
Pour le reste, à la prochaine circulaire, ou mieux, à la prochaine rencontre ici (ce serait mieux !) ou ailleurs ... Je vous embrasse et prie avec vous.
R.YOU

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