(…) retourner en France après 10 années
passées dans la formation permanente pour les
prêtres, religieux et laïcs. C'est le P. Lucius
Sagna, actuellement maître des novices à Boffa qui
me succèdera d'un courrier du P Pierre
Haas, ancien supérieur général à Rome, ancien procureur des
Missions à Paris, reparti en suite pour la Guinée
Père Pierre, vous
êtes assez connu en Guinée, surtout dans les
diocèses de Conakry et Kankan, en raison de votre mission
de formation permanente à Dalaba mais nous connaissons
mal votre parcours antérieur. En deux mots,
voici mon parcours : j'ai séjourné pendant 10 ans
au Sénégal où j'étais professeur au
Gd Séminaire, ensuite engagé dans le
ministère paroissial en terminant comme supérieur
régional. J'ai été ensuite successivement
Supérieur provincial en France et Supérieur
général.
La Guinée vous
était donc inconnue en 1993 lors de votre arrivée;
est-ce un peu le hasard qui vous a conduit chez nous ?
On dit que le hasard fait bien les choses ! C'est Monseigneur
Robert Sarah, alors archevêque de Conakry qui a fait appel
à moi; il se trouvait à Rome lors de la fin de mon
mandat en août 1992, il m'a rencontré pour me
proposer de venir à Dalaba m'occuper de la formation
permanente des prêtres, religieux (ses) et laïcs
exerçant des responsabilités au sein des
communautés chrétiennes. Ma réponse devait
être un peu évasive puisqu'il m'a relancé
par un courrier reçu le 2 février 93, un jour cher
à tout Spiritain, jour anniversaire de la mort du P.
Libermann, notre deuxième fondateur; avec l'accord de mes
supérieurs, j'ai répondu positivement à cet
appel. Mais la Guinée ne m'était pas totalement
inconnue; comme Supérieur général, j'avais
visité mes confrères en décembre 91, mais
je n'avais pas mis les pieds au Fouta où aucun d'entre
nous n'était en mission . Après toutes ces
années passées en Europe, cela devait être
un grand changement pour vous en revenant une deuxième
fois en Afrique ? Revenir en Afrique n'était pas
un besoin pour moi, j'aurais pu continuer à vivre en
France ou ailleurs, c'était non un besoin même si
j'étais resté attaché à l'Afrique en
visitant mes confrères dans une vingtaine de pays
africains, mais c'était un choix. Un choix qui rejoignait
mon désir premier en entrant dans la Congrégation;
mais plus fondamentalement, je me devais d'être logique
avec les encouragements donnés aux autres. Lors de mes
visites, j'ai parfois rencontré des confrères,
découragés par des conditions de vie et
d'apostolat difficiles, je les ai encouragés à
continuer leur mission en Afrique malgré les
difficultés. Je me devais donc d'être logique avec
moi-même pour revenir travailler moi-même en
Afrique.
Si je comprends bien, venir en Guinée
n'était pas une solution de facilité !
Passer de Rome où j'avais de nombreuses commodités
et me retrouver ici à Dalaba était un grand
changement : sans téléphone alors que j'avais
laissé, seule, une vieille Maman de 91 ans; sans courant
électrique la moitié de l'année, dans un
bureau exigu, et vide à mon arrivée, mais bien
achalandé en livres actuellement. Malgré ce
dépouillement j'étais heureux de pouvoir servir
cette église de Guinée qui avait tant souffert de
la dictature de Sékou Touré et si mon bureau
était 10 fois plus petit que celui de Rome, je me
trouvais à 1200 mètres d'altitude et j'avais un
vue superbe sur la chaîne du Fouta Djalon !
Je
connais un peu votre travail pour avoir suivi des sessions de
formation dans votre Centre, mais pouvez-vous nous
décrire un peu plus vos activités ? Sous
forme de boutade, je dis souvent que ma moitié de mon
temps se passe derrière mon ordinateur pour
préparer sessions de formation et conférences
spirituelles de retraite, l'autre moitié est
consacrée à l'aménagement du Centre par des
travaux de plomberie, de maçonnerie,
d'électricité…
Je vous interromps; comment
travailler à l'ordinateur sans courant électrique
la moitié du temps ? Bonne question. Assez
rapidement, je me suis mis à l'énergie solaire.
J'ai écrit à Siemens en Allemagne pour proposer
à cette société une opération
promotionnelle, vu le grand nombre de personnes passant dans
notre Centre; Siemens s'est laissé convaincre et a
payé la moitié des installations solaires.
Après cette parenthèse, combien de sessions
avez-vous organisées durant ces 10 années de
présence ? Ma présence, en effet,
ne dure que depuis 10 ans : arrivé en 93, j'ai
été rappelé en France pour diriger la
Procure des Missions de décembre 98 à
décembre 2002. Au fond de la salle de conférence
vous voyez un large panneau qui mentionne toutes les sessions de
Centre depuis le début. Ce dernier a été
béni par Mgr Sarah le 12 novembre 93 et 15 jours
après j'avais le premier week end de session sur les
différentes responsabilités dans les
communautés chrétiennes. Nous transportions les
chaises de la salle de conférence au réfectoire,
du réfectoire, les sessionnistes les transportaient dans
leur chambre pour les ramener le lendemain matin dans la salle
de conférence ! Nos débuts, comme vous le voyez
étaient très modestes. Nous avons toujours
exigé des sessionnistes de participer aux travaux de la
maison : nettoyage des tables, vaisselle… Les hommes, au
début, étaient réticents : si nos femmes
nous voyaient essuyer la vaisselle, elles se moqueraient de nous
! disaient-ils. Aux réticents, je leur citais St Paul :
"Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non
plus" (2 Th 3,10) Pour répondre à votre question,
nous avons organisé jusqu'à présent plus de
130 sessions ou retraites.
C'est vous qui avez
animé toutes ces activités ? Non, pas
toutes mais les ¾ à peu près. Des personnes plus
compétentes que moi dans certains domaines m'ont
prêté main forte. Les Sœurs de Notre Dame de
Guinée qui se sont succédées au Centre et
dont certaines ont participé à l'animation des
sessions ont joué un grand rôle dans la gestion et
l'intendance du Centre. Sans elles, ce Centre ne serait pas ce
qu'il est aujourd'hui; je leur en suis profondément
reconnaissant. En plus de la formation permanente, nous avons
ici un centre de promotion féminine (couture, broderie,
teinturerie, savonnerie…) un jardin d'enfants (école
maternelle) et nous avons commencé une école
primaire. A travers ces activités éducatives, nous
ne voulions pas nous cantonner au monde chrétien mais
nous ouvrir à la population musulmane.
En plus du
Centre vous êtes également chargé de la
paroisse de Dalaba. Jusqu'à il y a un an cette
paroisse était relativement petite; comme vous le savez,
nous sommes en pays peul, nos chrétiens sont des
fonctionnaires qui viennent de la forêt. Depuis une
année, Dalaba a un département universitaire pour
la formation de vétérinaires. Plus de 1500 jeunes
sont arrivés dont plus de 100 jeunes chrétiens;
notre église que d'aucuns jugeaient trop grande est
subitement devenue petite.
Chaque fois que nous venons
à Dalaba nous constatons de nouveaux aménagements,
dans quel but ? Ce n'est pas pour notre confort encore
qu'un peu de confort est nécessaire pour un travail
rentable, mais c'est pour préparer l'avenir. Je ne serai
pas toujours présent ici et celui qui me
succédera, prêtre africain, spiritain ou
diocésain, n'aura sans doute pas les mêmes
facilités que moi pour compter sur des amis ou sur sa
famille. Pour préparer l'avenir j'ai acheté, il y
a deux ans, un terrain de 24 ares, un terrain contigu à
notre Centre, j'y ai fait un forage de 45 mètres de
profondeur et un château d'eau de 3 mètres cubes;
grâce à cet équipement, ce terrain est
déjà mis en valeur pour la plantation d'agrumes et
par du maraîchage et pourra servir à
l'autofinancement du Centre; mais je ne suis pas naïf car,
vu les conditions économiques de la Guinée
à l'heure actuelle, il faudra encore compter sur quelques
aides externes.
Pouvez-vous préciser ces
conditions économiques de la Guinée ?
Vous les connaissez sans doute mieux que moi. La Guinée
pourrait être un pays riche avec des potentialités
énormes; elle est le 2° exportateur mondial de bauxite,
elle a des gisements d'or, de fer, on y trouve des diamants, on
peut cultiver pendant les 6 mois de pluie dans un territoire
moitié grand comme la France avec seulement 8 millions
d'habitants; la Guinée est le château de l'Afrique
de l'Ouest. Hélas, la Guinée est devenue un des
pays les plus pauvres de l'Afrique et a été
classée par des organismes internationaux comme le pays
le plus corrompu en Afrique. Ceci expliquant cela. Je suis
triste pour la Guinée, pour les pauvres gens qui ne
peuvent prendre qu'un repas par jour et je suis consterné
par le luxe qu'affichent certains, avec quel argent ??
Précisément, connaissant bien nos
réalités économiques ici en Guinée,
je suis un peu inquiet de l'avenir du Centre Notre Dame de
Guinée qui est ici à Dalaba. Mon
évêque ne vous jugera pas indiscret, si je pose la
question touchant la succession. Avez-vous déjà
échangé avec lui sur ce sujet, avec des
propositions concrètes à l'appui ? Je
sais que l'évêque désire fortement que les
Spiritains continuent cette œuvre le jour où je ne serai
plus ici. Notre Supérieur régional de Dakar est en
pourparlers avec lui et lui a déjà soumis des
propositions, mais pour le moment rien n'est encore
arrêté, mais j'ai bon espoir que les Spiritains ne
laisseront pas tomber cette œuvre.
Tristesse et joie,
deux sentiments exprimés tout à l'heure ?
Ces deux sentiments sont réels mais je ne minimise pas le
bonheur que j'ai de servir ce pays et cette église
à travers ma mission de formation permanente.
Merci Père pour votre ouverture et vos multiples services
rendus au peuple de Guinée, en particulier à son
Eglise. Que Dieu vous accompagne toujours sur son chemin !
; Interview réalisée en
janvier 2007 par le Père Alphonse Kolié
curé de Mamou et prêtre du diocèse de
Conakr
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