Cahier Afrique (i)



  L’évangélisation en pays maasaï

Par le P. Michel Robert

On ne connaît pas grand-chose de l'origine des Maasai sinon que, pasteurs nomades, ils viendraient du nord-est de l'Afrique. Leur vie est rythmée par des célébrations marquant les différentes étapes de la vie, la plus importante d'entre elles étant la circoncision.
Elle intervient vers l'adolescence et fait du jeune garçon un adulte reconnu par tous. La société maasai est divisée en groupes d'âge, définis par la période de circoncision. Les femmes n'ayant pas de groupes d'âge propres, elles appartiennent à celui de leur mari. Les Maasai sont polygames. Ils évaluent leur richesse en fonction de leurs troupeaux et de leurs enfants.


L’élan des années 70
Les Maasai croient en un Dieu unique, Enkaï. C'est lui qui donne la pluie, qui fait pousser
l'herbe qui va nourrir les troupeaux, et donc subvenir aux besoins de la famille. Enkaï leur a donné tous les troupeaux de la terre et leur en a confié la garde. Il est un Dieu lointain, que l'on ne connaît pas mais que l'on craint car la sécheresse est terrible dans la savane herbeuse où vivent les Maasai. Enkaï narok [Dieu noir] — comme sont noirs les nuages de l'orage qui apporte la pluie et la vie - est la figure de Dieu qu'ils préfèrent.
Quand les premiers missionnaires ont voulu annoncer la Bonne Nouvelle aux Maasai, ces derniers n'étaient pas prêts. Certes, quelques-uns ont accepté L’ Évangile, surtout des femmes et des enfants. Mais il a fallu attendre la fin des années 1970 et le début des années 1980 pour sentir un réel élan. Quand je suis arrivé dans ma paroisse, à Mto wa Mbu (1), mon évêque me demanda : " Je souhaite que tu commence l'évangélisation en pays maasai ". Mon premier contact a été mémorable : alors que je cherchais des indications pour aller vers des villages maasai, au nord, un ancien, Letema, me dit : " Pourquoi aller si loin ? Nous aussi, nous voulons entendre parler de Jésus. Viens chez .nous ". Plus tard, quand je lui présente un catéchiste, il lui déclare : " Tu es le bienvenu chez. nous. Tu verras, nous sommes des Maasai typiques ".
Après une réunion avec tous les anciens des villages environnants, nous décidons de commencer l'annonce de L’Évangile. Yohanna, le catéchiste, retourne vers le Kilimandjaro où il vivait et revient avec sa famille. Letema décide de les installer dans son village : il leur donne sa propre maison. Maria vient d'avoir un enfant, mais ils n'ont pas de troupeau, Letema leur donne alors une vache qui allaite, puis il partage son champ de maïs en deux et en donne une partie à Yohanna et à sa femme. Cette générosité n'a eu d'égale que celles de ces femmes et de ces hommes qui ont décidé, un jour de faire un pas pour découvrir Jésus, un Dieu proche de nous.

Catéchisme adapté
Les Maasai sont resté fidèles à leurs coutumes et à leur langue. Peu d'entre eux connaissent la langue nationale, le swahili. Encore moins nombreux sont ceux qui savent lire et écrire. Des missionnaires spiritains américains ont proposé un catéchisme basé sur 10 thèmes, principaux du Nouveau Testament. Un petit disque en plastique reproduit très schématiquement chaque thème : Naissance de Jésus venu apporter la lumière ; Dieu qui donne la vie ; Dieu qui pardonne et nous invite à pardonner ; l'apprentissage de l'amour du prochain, même s'il est d'une autre culture, religion ; le don de l'eucharistie qui rassemble les chrétiens autour d'une même table ; la passion de Jésus, qui peut nous aider à supporter nos propres souffrances ; sa résurrection, prélude à notre propre résurrection ; les diverses formes de prières ; l'envoi en mission ; la communauté chrétienne qui forme le corps du Christ.
La tradition orale implique la répétition, jour après jour, des textes bibliques, de leurs sens et de leurs implications pour une vie chrétienne au quotidien. Ce n'est pas toujours facile, surtout pour les plus âgés, mais quand la détermination est là, tout peut arriver.
L'avantage de cette méthode, c'est que chacun peut refaire ces dessins et les expliquer. J'ai ainsi été témoin d'une telle scène ou un ancien avait dessiné par terre avec son bâton le dessin de la venue de Jésus dans notre monde et était en train d'expliquer ce que cela voulait dire à un autre qui ne venait pas encore au catéchisme.J'ai été vraiment impressionné par la persévérance de ces anciens, de ces vieilles femmes qui, pour rien au monde, n'auraient manqué la journée de catéchisme et de prière.
Un homme, marié à la sœur d'un autre catéchiste maasai, ne voulait pas devenir chrétien. Un jour, il me dit : " Padre, ça y est, maintenant je suis prêt ! Je vais commencer le catéchisme et c'est toi qui me baptisera ! " Comme promis, il a commencé le catéchisme, toujours fidèle, et je l'ai baptisé peu de temps avant mon départ.

communauté
La culture maasai est impressionnante par son étendue et surtout par sa présence très forte dans la vie du peuple aujourd'hui. Par un travail de recherche et de dialogue avec les catéchistes et les anciens, il a été possible d'intégrer des éléments essentiels de cette culture au catéchisme, mais aussi aux liturgies qui étaient célébrées dans les villages mêmes, dans l'enclos des vaches.
Des coutumes, des objets, des chants traditionnels venaient renforcer le sens de la célébration en la centrant dans la vie de celles et ceux qui y participaient au point que des Maasai non catéchisés pouvaient percevoir un sens sacré à telle ou telle célébration, parce qu'elle reprenait des attitudes et des façons de faire héritées de la tradition séculaire des Maasai. La bénédiction finale d'une célébration importante était toujours faite de la même manière : quatre anciens, revêtus d'une cape de cérémonie faite de peaux de chèvre et décorées de perles, aspergeaient la foule présente, en récitant des litanies auxquelles tous répondaient " Naaï [Amen] ! " À ce moment-là, les guerriers qui étaient venus, un peu pour la cérémonie, mais aussi pour le morceau de chèvre qui viendrait ensuite, se hâtaient de se rassembler autour de la communauté et reprenaient en chœur " Naaï ! "
Les premiers chrétiens maasai ont été très tôt invités à participer aux célébrations des autres communautés chrétiennes de Mto-wa-Mbu. Leur présence et leurs interventions, si elles ont pu faire sourire au début, ont aussi permis une bien meilleure compréhension entre les différentes communautés. Les chrétiens de Mto wa Mbu ont découvert un peuple qu'ils ne connaissaient pas vraiment, sinon par leurs guerriers et leurs incursions dans leurs champs de maïs avec leurs troupeaux de chèvres. Une appréciation réciproque a vu le jour, et lors de fêtes en pays maasai, des membres des autres communautés venaient y participer.

Missionnaires à leur tour


Au bout de plusieurs années, une communauté chrétienne en pays maasai était formée. D'autres villages ont demandé à leur tour la présence d'un catéchiste pour leur annoncer la Bonne Nouvelle. C'est la communauté chrétienne maasai qui a résolu la question : " Padre, tu nous a donné Yohanna pour venir nous annoncer la Parole de Dieu, et aujourd'hui, grâce à toi et à lui, nous savons que Dieu est tout près de nous et nous aime. C'est à notre tour maintenant d'envoyer quelqu'un de chez nous pour partager ce que nous avons reçu ! " C'est ainsi que Parkipuny, Moses et d'autres après eux continuent l'annonce de la Bonne Nouvelle en pays maasai.

Vision déformée au XIXe siècle
Au XIXe siècle, certains missionnaires ont contribué à divulguer des images stéréotypées. Ils voulaient se servir de la colonisation pour appuyer " leur mission d'éclairer les ténèbres spirituelles des tribus de l'Afrique profonde "?
C'est d'ailleurs dans un tel contexte de collusion manifeste entre missionnaires, colons et fonctionnaires que les Maasai s'opposeront longtemps à ce que de nouvelles missions s'installent sur leurs terres.
La caricature est à son comble avec l'ouvrage de Ludwig Krapf, missionnaire luthérien allemand à la Church Missionary of Scotland en poste dès à Rabai sur la côte swahili qui, bien qu'il reconnaisse dans certains chapitres la remarquable hospitalité et l'absence d'animosité des Maasaï à leur encontre, écrit une chose qui restera longtemps gravée dans les esprits de nos contemporains : " Notre Église doit se convaincre d'envoyer dans les plus brefs délais des dizaines de missionnaires auprès des millions de Maasaï [sic], afin de leur prêcher la bonne parole, celle de la réconciliation. Ainsi, ces païens, les pires qui soient, une nation éparpillée et dévoyée, un peuple redoutable depuis ses origines, apprendront à connaître, à aimer et à honorer le vrai Naiterkob [Naiterukop — nom légendaire du premier homme sur terre, selon les mythes maasaï de fondation] et cesseront de tuer et d'exterminer leurs prochains ".

Le P. Michel Robert, spiritain a été missionnaire en pays maasaï
Illustrations :
1-Le P. Robert baptise une femme maasaï
2-Une méthode d'évangélisation originale mise au point par des spiritains des USA chez les Maasaï : sur un disque de plastique sont reporduits dix thèmes principaux du Nouveau Testament
3-Lors de la bénédiction d'une nouvelle église, certains Maasaï demeurent encore en retrait

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