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Marcher au rythme de l’eau
Pour la majorité des paroisses de la prélature de Tefé – un territoire grand comme la moitié de la France – les longues distances, les périodes de crues, la mobilité des populations imposent un style de vie et un travail pastoral singulier.
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À bord du Shalon, avec Dom Mario Clemente Neto,
évêque émérite de Tefé (1981-2000) et actuel
curé de Fonte Boa, une paroisse de 16
000 hab. composée de 60 petites communautés

accessibles seulement par voie fluviale, nous descendons le cours des fleuves
Jutaì, puis Solimões, passons des lacs et empruntons des cours
d’eau –
igarapé – qui pénètrent
les terres et inondent les forêts 5 mois par an. Pour seul horizon, la
ligne des arbres marque comme une frontière entre l’infini du ciel
et l’immense étendue des eaux. Le bateau est équipé
d’un coin cuisine, d’une pièce pour se reposer et d’un
cabinet de toilette. Au milieu du jour, Dom Mario laisse la barre à son
fidèle homme de main pour cuisiner le repas, à côté
du bruyant moteur. Les odeurs de friture se mêlent à celles
d’huile de vidange. Le confort est sommaire. Mais au terme du
périple, les gens de Mororo, un petit village de
pêcheurs/agriculteurs, nous accueillent par un joyeux chant de bienvenue.
Depuis 10 ans, ils sont installés sur une colline élevée
entre fleuve et jungle, auparavant ils ont dû changer trois fois
d’endroit pour être enfin à l’abri des
inondations.
« Ma maison
principale, c’est le bateau », déclare le P. Victor
Manuel Ferros, spiritain portugais, curé du Divin-Esprit, une paroisse
qui compte 62 communautés. Pour lui aussi, le bateau permet de visiter
une fois l’an chaque communauté pour y célébrer
baptêmes, 1
res communions ou mariages qui ont
été préparés par les équipes de 4 ou 5
catéchistes. Ceux-ci sont également chargés de diriger
les célébrations dominicales et les funérailles. Pour
atteindre les villages les plus retirés, il lui faut au moins 15
heures de voyage. Ces
conditions de travail sont identiques à l’ensemble des paroisses
de la prélature. Hors quelques zones semi urbaines desservies par
l’église paroissiale et les chapelles de quartiers, les
habitants vivent dans de petites localités disséminées
le long des différents cours d’eau autour d’une chapelle.

Ces «
communautés de l’intérieur », comme on les appelle,
réunissent 5 à 10 familles et, pour les plus importantes,
1
000 à 2000
hab.
Les Caboclos, provenant du sud-est
Brésilien, la région pauvre du pays, sont des populations
métissées. Ils sont arrivés en Amazonie, au début
du siècle dernier, avec l’espoir de faire fortune dans
l’exploitation du caoutchouc qui fit la prospérité des
villes de Belém et de Manaus, mais ils ont été
exploités par les entrepreneurs –
seringueiros –
et endettés par les commerçants. Lorsque, après guerre,
les cours de la précieuse gomme s’effondrent, ils se
résignent à vivre de la pêche et de la plantation du
manioc dans une région peu propice à l’agriculture. Quant
aux populations indiennes originaires du lieu, après des
siècles d’extermination et d’esclavage, elles ont enfin
trouvé des terres pour vivre.
Marajaì, un village indien de la
commune d’Alvarães à 10
km de distance de Tefé, porte le nom en langue
mayoruna (une des 9 langues locales) d’un petit fruit dont les poissons
sont friands. Lorival Dos Santos est le tuxaua, le cacique du village. Il
nous accueille avec joie. En 1972, les spiritains ont acheté une terre
pour que lui et les siens puissent s’installer et vivre. Il nous offre
un frugal repas de poisson, de riz et de farine de manioc puis nous invite
à visiter le village. Dans le centre de santé, obsolète,
les agents payés par le gouvernement nous informent que les 800
habitants vivent en bonne santé, la mortalité infantile est
faible, mais les jeunes de 15 à 25 ans sont davantage exposés
aux maladies
: ne voulant

plus suivre le régime alimentaire traditionnel, ils
préfèrent les aliments en conserve, plus salés et moins
équilibrés. L’école est mal entretenue, les toits
prennent l’eau, tout respire l’ennui. Des jeunes filles en petite
tenue et leurs camarades masculins, les cheveux décolorés,
attendent le professeur. Ils ne parlent plus la langue de leur tribu,
seulement la langue nationale. Près d’un lieu de passage
fréquenté, Marajaì a plus de mal que les autres
communautés indiennes à garder son identité. Le
séminariste Carlos Antonio, chargé de leur rendre visite les
fins de semaine et de les rassembler à la chapelle, a gagné
l’amitié des habitants. Il sait que les jeunes de Marajaì
perdent leur identité, que tous rêvent de quitter le village,
mais en ville, livrés à eux-mêmes, beaucoup
s’adonnent à la boisson, voire à la prostitution.
C’est pourquoi il souhaite continuer à travailler avec eux pour
les encourager à rester au village, retrouver les valeurs de la vie
communautaire et les aider à sortir de l’assistanat que les
aides gouvernementales entretiennent.
À Boca do Tefé, lieu historique, là où les premiers spiritains se sont installés, à l’embouchure du port de la petite ville, l’imposante bâtisse reconstruite dans les années cinquante sert aujourd’hui de Centre de formation des catéchistes et des agents de pastorale de la paroisse du Divin-Esprit et aussi de toute la prélature. Pas moins de 60 sessions (de 3 jours à une semaine) ont lieu par an. La formation des catéchistes et responsables de communautés reste une priorité. Programmée sur une longue durée, elle représente un défi constant car les habitants se déplacent souvent, au gré des offres d’emploi, pour les études supérieures des enfants ou lorsque les champs et les maisons sont inondés. «
C’est un peu une pastorale d’éternels recommencements », reconnaît le P. Victor Manuel, responsable du centre, qui voit arriver de nouveaux catéchistes chaque année, en remplacement des plus anciens qui ont dû interrompre temporairement ou définitivement leur engagement. «
Ici, nous vivons, voyageons et marchons au rythme de l’eau », précise-t-il.