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Australie  
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Devenir aborigène avec les Aborigènes


Les spiritains sont volontiers présents dans les lieux
où ils peuvent être en contact avec les Aborigènes.
Cela leur permet de mieux comprendre leur culture,
leurs souffrances, et de leur transmettre la Parole de Dieu.




Le séjour – 15 ans – du P. Patrick McGeever (Irlandais, 75 ans) au milieu des Aborigènes, à Woorabinda (Queensland), lui a permis de sentir la profondeur de leur douleur au quotidien. Ce peuple a souffert de la colonisation anglaise pendant près de 200 ans. Elle a saisi ses terres et le traitait sans aucun respect ni droits. Ceux qui résistaient étaient assassinés froidement.
Dans l’État de Queensland – où ils étaient peu nombreux et issus de différentes tribus éparpillées sur de grandes distances –, les colons ont décidé de les regrouper dans des villages gardés pour avoir la main sur eux et sur leurs terres.
Avec l’interdiction de sortir et avec les difficultés pour communiquer entre eux, leur langue et une partie de leur culture ont disparu au fil des générations. Bien entendu, c’était plus facile pour les Britanniques d’avoir un contrôle sur un peuple confus et sans identité culturelle ni solidarité.
« En Irlande, mes parents et leur génération ont vécu, eux aussi, cette expérience puisqu’il leur était interdit de parler leur propre langue dans les écoles. En venant en Australie, j’ai retrouvé exactement le même phénomène. Ce peuple a également perdu une partie de sa religion. Il parle un anglais approximatif suite à une éducation imposée et qui n’a rien à voir avec sa civilisation », précise le P. McGeever.
À Woorabinda, comme ailleurs en Australie, beaucoup d’Aborigènes ont développé amertume, rancune et repli identitaire à cause des mauvais traitements infligés par le colonisateur. L’un d’entre eux a raconté au P. McGeever que son papa a été ramené de force à Woorabinda parce qu’il était métis et que les colons voulaient à tout prix le séparer de sa famille pour l’envoyer à l’école. Un autre lui a confié que sa famille se trouve à Woorabinda parce que son papa, qui vivait à 1 000 km de là, a regardé fixement un Blanc, lequel, se sentant humilié, a demandé à la police de l’enlever.
La haine d’avoir été enlevés de chez eux passe d’une génération à l’autre. Pour certains, ce ressentiment est si fort qu’ils décident de vivre sans rien faire d’autre que boire et se droguer. Alcool et drogue affaiblissent tellement le tissu familial que plus personne n’encourage les enfants à aller à l’école pour bâtir leur avenir.
À partir de 1984, les Aborigènes ont eu le droit de vote. À ce jour, voter est obligatoire en Australie pour tous les citoyens. Néanmoins, cela ne suffit pas pour garantir l’égalité dans la société ou pour rendre heureux le peuple autochtone, même s’il a retrouvé la liberté de bouger et de s’installer là où il veut afin de mettre en pratique sa propre culture.
Du côté de South Hedland (en Australie occidentale), deux confrères, les Pères Tom Kessy (58 ans) et January Mkude (38 ans), tanzaniens, travaillent à la paroisse Saint-Jean-Baptiste. C’est un lieu désert, donc difficile pour l’évêque de trouver du personnel afin d’y assurer un service paroissial. Dans cette ville minière, la plupart de ses habitants y vient chercher du travail et une petite partie seulement est Aborigène. D’après le P. Kessy : « C’est une population abandonnée, déshumanisée, marginalisée, immigrée et multiculturelle. Pour les Aborigènes, en particulier, il est difficile de gagner leur confiance et de travailler avec eux parce qu’ils ne s’installent jamais à une adresse permanente, ce qui ne nous permet pas de prévoir un programme fixe avec eux. Ils te respecteront, non pas parce que tu es prêtre, mais parce que tu as construit une amitié solide en faisant tout un bout de chemin avec eux. »
Parfois, « la rencontre commence par des visites où nous nous aventurons chez eux pour écouter et vivre une expérience culturelle. Lorsqu’ils voient que nous nous intéressons à eux, ils commencent à demander qui nous sommes et ce que nous faisons. Cela nous ouvre une porte pour parler de Jésus », affirme le P. Kessy.
Un étranger qui passe une journée à South Hedland garde l’impression qu’il n’y a pas de jeunes. Mais si. Leur absence s’explique par le fait que beaucoup d’entre eux sont en prison. Ils sont incarcérés parce que les uns volent, d’autres se droguent ou boivent trop d’alcool et commettent des actes de violence. Quand ils en sortent, la plupart récidivent et y retournent. La communauté enregistre également beaucoup de suicides chez les jeunes. Pour ces raisons, les spiritains participent aux programmes de recherche afin de connaître la racine du mal et savoir comment combattre ce fléau. Ils organisent alors une pastorale de réinsertion des jeunes sortis de prison pour qu’ils puissent se réadapter et préviennent ainsi la récidive.
Par ailleurs, les spiritains visitent les malades à l’hôpital, en maisons de retraite ou chez eux. Ils se rendent également aux funérailles car ces cérémonies, chez les Aborigènes, sont d’une grande importance : ils y viennent en masse et montrent ainsi leur solidarité avec les familles endeuillées. Ils aiment intégrer à la célébration des éléments propres à leur culture. Selon le P. McGeever, « certains jouent le didgeridoo – un long instrument musical à vent en forme de tuyau – au lieu de l’orgue. D’autres pratiquent une cérémonie purificatoire par la fumée à la place de l’eau ». Si une personne morte a été retrouvée dans une maison, ils utilisent la fumée pour purifier les habitants et le foyer avant de s’y réinstaller.
Comme tout le monde assiste aux funérailles, si les missionnaires veulent gagner la confiance des Aborigènes et ouvrir une porte d’évangélisation chez eux, ils doivent y participer car, même si certains sont chrétiens, ils n’ont pas l’habitude de venir à la messe de manière régulière, donc il est difficile de les approcher autrement.
Le P. Daniel Kilala (Tanzanien, 41 ans), relève le fait que « travailler avec les indigènes peut être frustrant parce qu’il n’est jamais sûr qu’ils viennent à un rendez-vous fixé. Parfois, on peut se mettre d’accord pour faire un baptême dans une famille mais si les gens ont envie de partir à la pêche ce jour-là, on ne les trouvera pas à la maison ! »
Pour sa part, le P. Paul Hopper (Anglais, 69 ans), affirme que « le ministère auprès des Aborigènes est celui de l’écoute, de l’amitié et du témoignage. On n’a pas forcement besoin d’être prêtre pour faire cela. Il faut avoir de l’audace pour confier ce ministère aux laïcs et il est important de créer des réseaux et des structures qui permettront d’assurer une continuité ».
En conclusion, le P. Brown propose une idée originale en assurant qu’« une des meilleures façons d’évangéliser les Aborigènes serait de passer par des religieux contemplatifs, parce qu’ils s’installeraient dans un monastère permanent sur un lieu où les autochtones pourraient entrer, sortir ou prendre contact avec les résidents à leur convenance ».


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