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  Dossier      Spiritains en Éthiopie : respect et service 

Quand Dieu lui-même pleure

Après 27 ans de vie et d’étude, le P. Ton Leus, spiritain neerlandais, publie le 1er dictionnaire de la culture borana. Le P. Iede de Lange, résume une vie totalement donnée à ce peuple.
Ordonné en 1965, le P. Ton a d’abord travaillé en Tanzanie. Il arrive chez les Borana en 1980 et demande un an pour l’étude de la langue. Cheru Duba, ex-enseignant à l’école de Dhadim, l’initie, non seulement à la langue mais à toute la vie et la culture borana. De nous tous, le P. Ton parlait le mieux le borana. Il s’est donné à fond au travail pastoral, a écrit des livres de catéchèse pour l’école.
Nous avions tous commencé à rassembler des listes de mots. Lui a constitué un dictionnaire de la culture borana. Par un travail sérieux, il a recueilli et replacé chaque mot dans son contexte culturel religieux, social ou traditionnel. Il a fait l’effort d’aller visiter les sages borana, hommes et femmes, à des centaines de km de sa mission.
Le P. Ton aimait les Borana qui le lui rendaient en l’appelant Soda Ton, « beau-frère ».
Il avait d’excellents contacts à l’intérieur et l’extérieur du pays avec des gens qui partageaient son intérêt pour cette grande culture. Il a recueilli des proverbes et les a partagés avec d’autres : le P. George Cotter (prêtre de MaryKnoll) et Jogge van de Loo (missionnaire jésuite chez les Guji) et bien d’autres.
Il a été présent à toutes les cérémonies pour en collecter les enseignements.
Le P. Ton aimait s’asseoir avec les gens, discuter et boire le farso (bière locale). Ses nombreux ouvrages d’enseignement religieux, sa traduction de la célébration des sacrements, celle de l’ordination de Dida Wario, (1er prêtre borana ordonné à Dhadim devant des milliers de Borana) ont été pour tous d’un apport culturel incroyable.
Pour rédiger et illustrer son dictionnaire (couverture ci-contre), le P. Ton a collaboré avec Sylvia Salvador pendant ses nombreux séjours de 3 mois.
Financé par des sponsors (dont certains bienfaiteurs de Pentecôte sur le monde), l’ouvrage a été publié par Shama Books à Addis-Ababa et mis en vente le 6 mars 2007 après sa présentation à l’Hôtel Impérial à Addis-Ababa. L’éditeur avait demandé à Ton de se faire accompagner de ses grands collaborateurs borana, ce qu’il a fait. Ils furent accueillis avec dignité dans les meilleures chambres de l’Hôtel Impérial avec visite des sites importants de la capitale. Le P. Ton a eu la joie de présenter son livre, couronnement de son travail et de son don au peuple borana, devant une centaine d’invités en costumes traditionnels.
Dans son introduction, il a parlé de son travail comme expression de l’amour. Ses interviews ont été appréciées à la télévision et à la radio.
Nous ne savions pas que sa vie s’arrêterait un mois et demi plus tard.
Très fatigué, il était venu se soigner à la clinique de Dhadim avant de retourner à Yabello où il avait été nommé 3 mois plus tôt. Le 27 avril, les Sœurs Medical Missionnaries of Mary lui rendent visite. Il n’est pas en forme. Le médecin lui propose un repos à l’hôpital d’Addis-Ababa. Trop fatigué pour le voyage. Pour garder un œil sur lui, les Sœurs le ramènent à Dhadim. Dimanche, nous allons tous à la messe. Le P. Ton demande le missel pour lire la Parole de Dieu. Après la messe, nous passons le saluer. Il semble un peu mieux et parle d’aller à Addis-Ababa. Il demande un peu de soupe et veut se reposer. Juste avant 15 heures, Ton appelle. Je me précipite à ses côtés. Il semble d’abord ne pas me voir, puis me reconnaît et me dit qu’il n’arrive plus à respirer. J’appelle les Sœurs. Dix minutes plus tard, il est parti.
La nouvelle de sa mort se propage comme un feu de brousse. Il nous faut aller en ville établir un certificat de décès auprès de l’agent de santé et de la police. Puis annoncer son décès à sa famille à l’étranger, aux officiels, à l’évêque et à la congrégation.
Les funérailles fixées au 1er mai prennent une tournure incroyable. La veille, le personnel et les gens me chargent de préparer la liturgie. Ils nettoient les maisons, présentent le P. Ton, offrent du thé et du pain à tous ceux qui arrivent. Remarquable. La messe d’enterrement et les funérailles sont diffusées par le bureau d’information de la région borana. Un journaliste publie une page dans le journal oromo. Le P. Ton ne pouvait rêver d’un meilleur « À Dieu ». Pendant la messe, le ciel s’est couvert. Une pluie torrentielle a fait murmurer le peuple : « Ce n’est pas seulement nous qui pleurons. Dieu lui-même ne peut pas s’empêcher de pleurer. »

« Nous n’avons pas voulu faire de la tombe du P. Ton une tombe borana. Respecter la coutume des pierres des Borana demande aux gens beaucoup de travail, de temps et d’efforts. Il faut aller chercher les pierres, les tailler, les apporter, les poser et ensuite garder la tombe propre en lavant les pierres. Chrétiens, nous avons préféré une tombe classique, avec une croix. Elle est plus facile d’accès, d’entretien et de compréhension pour tous les passants. Nombreux sont les gens qui s’arrêtent en passant la route et qui viennent s’y recueillir avant et après nos célébrations. »
« Des vies qui parlent comme celle du P. Ton marquent plus les gens que les bâtiments ! » Paroles d’un vieux sage parlant d’une mosquée toute neuve et restée vide, jaillie en plein dans son village !

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