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Haïti dévastée en 35 secondes

Le tremblement de terre, les victimes, les destructions, les sinistrés… Pendant plusieurs jours, Haïti fait face, seule et sans moyens, à un cataclysme national

Mardi, 12 janvier 2010, à 16 h 53, la terre tremble avec une magnitude de 7,3 sur l’échelle de Richter. Après celui du 18 octobre 1851 et celui du 3 juin 1770 qui ont ravagé Port-au-Prince, après celui du 7 mai 1842 qui a détruit le Cap Haïtien, le séisme de 2010 est le plus dévastateur surtout dans le Sud-Est et l’Ouest. En 35 secondes, 1 300 établissements éducatifs, 50 hôpitaux et centres de santé, le port de Port-au-Prince, le palais national, le palais législatif, le palais de justice et de nombreux ministères ainsi que des dizaines de milliers de maisons sont détruits. Dommages et pertes sont estimés à US $ 7,9 milliards (+ de 120 % du PIB d’Haïti en 2009).
Plus de 300 000 personnes ont perdu la vie, 500 000 ont été blessées. Avec des traumatismes pour le restant de leur vie. Le gouvernement a perdu des milliers de fonctionnaires. Avec l’aéroport et les centres de télécommunication rendus inutilisables, le pays est coupé du monde pendant 24 heures. Durant 3 jours, les Haïtiens se sont débattus seuls, sans aide internationale, de façon remarquable.
« Le 12 janvier, raconte Birbek Plaisil, grand séminariste de Furcy, j’étais en train d’écrire dans ma chambre. Quand la terre s’est mise à trembler, j’ai sauté par la fenêtre du 1er étage et couru jusque dans la rue, je ne sais combien de temps. Revenu sur place, j’ai retrouvé un confrère, j’en ai entendu d’autres, blessés, appeler au secours. Nous avons donné de l’eau à ceux qui étaient restés coincés sous les décombres, certains durant 3 jours. Depuis, certains ont été amputés et appareillés en France. Le lendemain, j’ai vu des centaines de cadavres entassés dans les rues. J’ai entendu aussi des centaines de blessés appeler au secours sans rien pouvoir faire pour les extraire de leurs prisons de ciment et de ferrailles. Ça ne s’oublie pas ! En voyant le séminaire écroulé, les gens nous ont tous crus morts. J’ai pu appeler mes parents le lendemain. Je reviens souvent à ces événements dans mes rêves. Et à chaque fois que je rentre dans un bâtiment en ciment. » À 30 ans, Birbek finit son cycle de théologie. Les 158 séminaristes logent et étudient sous tentes par groupes de 6 à 10 comme les milliers de gens parqués dans les nombreux camps de sinistrés. Après le 12 janvier, plus de 2,3 millions de personnes ont été déplacées dont 500 000 réfugiées dans l’Artibonite et la Grand’Anse.
« Originaire de Saint-Marc, raconte Isaac, j’ai vu arriver en progression géométrique des milliers de gens de Port-au-Prince. Surpris, nous leur avons ouvert des écoles et des collèges. Les services de l’État touchés par le séisme n’ont pas fait grand-chose. Ni service de santé ni stock alimentaire. Des ONG et l’ONU ont été les plus présentes. »
À Port-au-Prince, avec de nombreux bâtiments endommagés qui n’ont pas encore été démolis, la reconstruction est loin de commencer. Les engins lourds servant au déblaiement ont disparu alors qu’il reste d’immenses tas de gravats. Sur les décombres, dans des flaques de boue, les petits détaillants cherchent à survivre. La plupart des grands magasins ont fermé ou ont été délocalisés ailleurs, notamment à Pétion-Ville.
Selon le classement annuel établi


par Cable News Network (CNN), la plus célèbre des chaînes d’information télévisée américaines, le violent séisme qui a dévasté Haïti le 12 janvier 2010 figure en tête des 10 événements mondiaux ayant marqué 2010. Ce cataclysme a constitué l’information qui a le plus attiré l’attention partout sur la planète au cours des 12 derniers mois.
American Broadcasting Company (ABC), groupe audiovisuel américain, classe le 12 janvier et ses funestes conséquences pour les Haïtiens en tête des 9 grands dossiers sanitaires ayant dominé l’actualité mondiale en 2010. Cette tragédie qui a cruellement endeuillé le peuple haïtien représente aussi le 2e sujet le plus marquant de 2010 pour les Français.
Le 12 janvier 2011, l’écrivain Michèle D. Pierre-Louis revient sur le chaos des jours qui ont suivi le séisme. « Lorsque nous apprenions à chaque rencontre que parents, amis, collègues avaient péri, souvent sans laisser de traces ; ou lorsque nous avons vu le palais national cassé, affaissé dans une posture symbolique proche de la génuflexion, comme s’il implorait le pardon des héros de la patrie encore debout sur le Champ de Mars ; ou encore lorsque, en parcourant les rues encombrées de débris, des cadavres décomposés, gonflés et puants jonchaient encore les trottoirs ou pourrissaient sous les décombres, nous avons pris la mesure de l’univers chaotique dans lequel nous étions plongés. Mais nous ne pouvions nous empêcher de penser en même temps que tout cela ne pouvait être en vain. Que face à tous ces morts et pour eux-mêmes, le temps était venu de penser, de voir, et par-delà cette vision apocalyptique, d’écouter enfin les voix qui, depuis plus de vingt ans, s’élevaient d’un peu partout dans le pays pour crier leur désir de vivre autrement, communiquer leur pulsion citoyenne et exprimer leur soif de solidarité. J’ai pensé en ces moments-là que Port-au-Prince deviendrait une vraie ville, une ville phare à


la hauteur de nos rêves de convivialité et de savoir-vivre dans un espace urbain qui afficherait fièrement son humanité retrouvée. J’ai imaginé les enfants, ceux qui jusque-là survivaient dans des bouges immondes, jouant radieux dans des espaces pensés pour eux partout dans la ville
; les jeunes, hommes et femmes, mais les moins jeunes aussi, découvrant l’histoire de leur ville, sa mémoire s’étirant comme un pont entre passé et présent, heureux de pouvoir enfin se projeter dans l’avenir du pays. J’ai pensé, j’ai imaginé. […] Et les jours ont passé. Et les tentes ont recouvert tous les espaces libres de la ville. Et la pluie est venue. Et puis les promesses d’argent, les colloques et séminaires, les illusions, les désillusions, le choléra, la dérision, les élections, la peur. Et encore la déraison, un an après. »



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