Où va Haïti en 2011 ?
Dans une capitale délabrée, envahie de camps de sinistrés, des hommes
et des femmes extraordinaires réagissent avec lucidité et courage.
|
|
Sur le grillage métallique qui
entoure le palais national détruit, des affiches présentent les candidats aux
élections. Sur des pans de murs (ici et ailleurs en ville), des mots
accusateurs contre des candidats et contre le président Préval. Une femme nous
guide vers le monument du
Neg Maron.
Nous passons au travers d’un dédale de tentes tenues par des cordes. Une femme
se brosse les cheveux. Une autre lave son gamin. Un jeune au visage terne nous
photographie avec son téléphone portable. Le Neg Maron est là. Son lambi
légendaire supporte une antenne radio !
Son cou, entouré de ficelles, tient les tentes. Un cadenas posé sur son pied en
retient d’autres. Autour de la place trouée de nids-de-poule, des rangées de WC
en plastique, portes ouvertes ou arrachées.
Descendre la rue en face de la
cathédrale, un choc. Tout autour, des tentes. Au chevet de la cathédrale en
ruine, un vieil homme assis égrène son chapelet, la main droite tendue vers le
ciel. Devant un pan de grilles à côté du grand crucifix resté debout, une
femme, bras levés, prie sans voir ce qui se passe autour d’elle.
Il y aurait aujourd’hui plus de
gens à Port-au-Prince qu’avant le séisme. Juste après, beaucoup avaient fui
devant les ruines de leur maison. Ils sont revenus chercher du travail. La
relocalisation des sinistrés, une des priorités proclamées du gouvernement, est
un échec. Des gens s’installent n’importe comment. «
Ici,
affirme un entrepreneur,
les lois
n’existent que sur le papier. Passer d’un plan d’occupation des sols à la
construction fait intervenir de nombreux facteurs et la corruption. Impossible
de tracer une route qui rendrait service à tous. »
«
Aujourd’hui, avons-nous entendu de nombreuses fois, plus de 1 000
ONG sont présentes, souvent sans réelle connaissance du pays. Arrivés après le
séisme, les inondations et le choléra, ces gens se déplacent en 4x4 rutilants
et claquent pour un déjeuner plus que le salaire mensuel du garçon qui les
sert. »
Devant l’absence de vrai projet
de l’État, les Haïtiens se sentent méprisés. Ceux qui en ont les moyens
partent. Le séisme en a fait partir beaucoup, ceux qui sont morts et ceux qui,
depuis, ont fui le pays. Et ceux qui restent au pays n’ont ni crédit, ni
infrastructures pour faire un travail correct.
Certains dénoncent l’ONU qui ne
s’investit pas comme il le faudrait. Mais qui soutient des politiques auteurs
de malversations lors des cyclones et du séisme. L’aide internationale n’est
pas coordonnée. Des structures existent sur le papier, mais rien d’efficace
pour atteindre les milliers de plus pauvres. Un crime de non-assistance à
peuple en danger que les campagnes électorales n’ont pas évoqué.
Les élections du 28 novembre 2010 devaient
donner à Haïti un nouveau président et renouveler un 1/3 du Sénat et la Chambre
des députés. Gâchis !
Malgré le nombre incroyable d’observateurs, seuls 800 000 inscrits (20 %)
ont pu voter ; 4 millions ne l’ont pas pu,
n’ayant ni carte d’identité, ni domicile, ni bureau de vote. Partout, pagaille
et mensonge, procès-verbaux falsifiés par ajouts de chiffres de 40 à 240 ou
plus selon le candidat. La commission Justice et Paix de l’Église catholique,
notamment, exige recomptage et vérification.
«
Aujourd’hui, affirme le Pr Jean-Claude
Bajeux, directeur du Centre œcuménique pour les droits de l’homme à
Port-au-Prince,
nous combattons la peur
d’une explosion violente qui retarderait encore tout changement. Nous répétons
qu’il nous faut relire la Constitution et y trouver des solutions. La radio et
internet diffusent ces messages en créole sur 340 stations en Haïti. Nous
étions très optimistes pendant les premiers 6 mois après le séisme en voyant la
grande solidarité de la planète à notre égard. Aujourd’hui, nous devons
analyser à nouveau nos situations. Impossible de développer un pays de
l’extérieur et sans sa population. Les gens ont perdu leur gaieté. Faut surtout
pas que nous retombions dans la violence que nous avons connue. C’est une
horreur. »
Marie-Michèle, jardinière
d’enfants à Péguy-Ville, vit sous tente avec ses parents, son enfant, ses 2
frères et leur famille. «
Sous les tentes, il fait froid la nuit. Et trop
chaud le jour. Les gens vivent les uns sur les autres. Ils pensent reconstruire
mais manquent de tout. Ni municipalité ni État n’interviennent. On nous apporte
de l’eau tous les 15 jours. Une infirmière soigne sous une tente. L’école a
repris dans un préfabriqué. Après le séisme, nous avons été aidés par des
psychologues alors que je croyais que la vie était finie pour nous. Je me suis
rendu compte que l’école ne nous avait rien appris sur les tremblements de
terre et sur la façon de s’y préparer. La foi en Dieu m’a beaucoup aidée. Après
tout ce qui est arrivé, beaucoup de gens restent sans réaction même devant
l’inaction coupable du gouvernement. Si je pouvais voir le président, je lui
demanderais d’abord que l’on apprenne à tous comment se comporter en cas de
séisme. Je lui dirais ensuite d’arrêter les constructions anarchiques pour que
les gens ne s’installent pas n’importe où. Je lui dirais enfin que beaucoup de
dons arrivés en Haïti depuis le séisme et le choléra ont été vendus à
Saint-Domingue au lieu d’être distribués aux nécessiteux. »
«
Nous avons affaire à des gens remarquables. Ils survivent dans des
conditions inhumaines mais avancent avec nous. Le Dr William Pape,
directeur du centre Gheskio, parle du camp de 7 000
personnes dans lequel il a ouvert une clinique, un centre de prévention
maternelle et infantile et un 2e pour traiter le choléra. «
Nous voulons développer un village nouveau, explique-t-il,
en mettant en valeur les compétences par des
métiers choisis avec les responsables. D’abord pour que les enfants continuent
d’aller à l’école. Mais aussi pour qu’artistes et artisans puissent s’exprimer.
Nous avons besoin de vrais professionnels au cœur plein de civisme comme ceux
que formait autrefois au collège Saint-Martial.
Le choléra a fait, en 3 mois, 3 617 victimes, surtout dans
l’Artibonite et le Nord. Avec 160 000 personnes
hospitalisées, nous estimons à 1 million le nombre de cas.
Première cause, le manque d’eau potable. De nombreux enfants en meurent. Le
ministre de la Santé demande aux gens de se laver les mains au savon plusieurs
fois par jour. Il oublie que la plupart n’ont ni eau ni savon !
Seul le vaccin aurait permis de protéger (à plus de 50 %) les plus
pauvres. L’Inde en propose à US $ 2 la dose. Les politiques font
preuve d’un cynisme et d’un mépris inconscients du peuple. Dans les camps, la
question de l’hygiène est encore plus cruciale : 70 porteurs
d’eau y distribuent de l’eau potable chlorée pour éviter les maladies. Nous
allons employer plus de 1 000 personnes à différents
services de propreté.
Les malades du sida (dont plus de 60 % vivent à
Port-au-Prince) reçoivent les médicaments gratuitement. La prévalence a chuté
de 6,2 à 3 % en 10 ans. Malgré la promiscuité et les
viols dans les camps, il n’y a pas eu d’explosion du sida. Mais se manifestent
4 fois plus de cas de tuberculose en 1 an. Le prix du traitement reste
exorbitant. Nous allons construire un hôpital de 30 lits pour traiter la
tuberculose. Les gens m’ont demandé de ne pas les abandonner. Nous n’avons pas
besoin d’hommes politiques mais de gens qui nous laissent travailler. Beaucoup
de bonnes volontés acceptent de nous aider. Avec internet dans toutes les
écoles, nous pourrons partager au plus grand nombre un tronc commun de sciences
qui leur serviront de base pour leur métier et leur vie. Pour reconstruire
Haïti, il faut d’abord reconstruire la mentalité haïtienne et ne pas laisser
les gens faire n’importe quoi. À partir d’un plan d’ensemble, il faut donner de
l’importance à l’éducation civique des enfants, des jeunes et des adultes. Ce
séisme peut et doit nous réveiller pour nous apprendre à gérer notre vie. »