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Conscients du danger,
ils sont restés auprès des réfugiés


Sans défense et au prix de leur vie, ils ont décidé d’aider les populations victimes de la violence politique, tribale et idéologique. Récit.
 

Dans l’ex-Congo belge

La République du Congo, indépendante depuis juin 1960, vient de perdre ses deux territoires riches en minerai : le Sud-Kasai et le Katanga ont fait sécession. L’ONU propose sa médiation mais les Casques bleus n’interviennent pas. Déçu, le jeune premier Ministre, Patrice Lumumba, demande alors l’aide de l’Union soviétique. Par un coup d’État, le colonel Mobutu, soutenu par les États-Unis, prend le pouvoir. Lumumba est assassiné un an plus tard, son corps à jamais disparu. Le leader katangais, Moise Tshombé, ses hommes et des mercenaires sont accusés du crime. Les forces gouvernementales aux ordres de Mobutu peuvent reconquérir les deux provinces rebelles.

Kongolo, petite ville rurale

Située au cœur de la province du Katanga, au bord du fleuve Lualaba. Un seul pont sert d’accès à l’autre rive. Depuis 50 ans, les missionnaires belges ont bâti des écoles, des dispensaires et le petit séminaire. Beaucoup parmi eux sont enseignants. Les premières chapelles laissent place à une grande église. Des religieuses soignent et enseignent. Toutes et tous se trouvent auprès d’une population prise entre les forces armées katangaises, les troupes congolaises soutenues par les Casques bleus de l’ONU et des rebelles désireux de venger la mort de Lumumba.

Tragiques prémices

Avril 1961. À 80 km de Kongolo, un bateau transportant les troupes katangaises pour reprendre l’aéroport de Kabalo est atteint par un obus de l’ONU. Des blessés regagnent la rive du fleuve. Leur aumônier, un spiritain belge, le P. Albert Forgeur, est parmi eux, essayant de leur venir en aide avec sa petite trousse personnelle de secours. Il est agenouillé auprès d’un soldat blessé lorsque des soldats de l’ONU le voient, lui tirent dessus et le tuent. Son corps est jeté dans le fleuve et le blessé emmené pour être soigné. Deux semaines plus tard, harcelés par des hordes de jeunes hostiles au Katanga, les survivants regagnent enfin leur base de Kongolo. Le P. Jules Darmont est nommé en remplacement d’Albert Forgeur.

Fuite des civils, octobre 1961

Les troupes congolaises de Guizenga (un proche de Lumumba, vice-Premier ministre en 1960) s’apprêtent à attaquer Kongolo. Les forces de l’ONU ont cloué au sol tous les avions de ravitaillement de l’armée katangaise. Démoralisés, les soldats sentent la défaite proche et lèvent le camp. Le climat se tend entre les ethnies rivales ; des policiers katangais emprisonnent et maltraitent des habitants. Jules Darmont intervient, mais en vain. Des colonnes de civils de l’ethnie bahemba passent le fleuve pour retourner chez eux. Ils invitent les missionnaires à les accompagner pour se protéger. Mais comment fuir ? Des civils d’autres ethnies, installés à Kongolo depuis des décennies, espèrent trouver refuge à la mission. Des vieillards, des femmes, des enfants, des malades, une trentaine de religieuses et cinquante séminaristes occupent les bâtiments. On puise dans les réserves du petit séminaire pour nourrir tout ce monde.

Conseil de communauté

L’évêque de la ville, Mgr Bouve, est en réunion avec d’autres évêques à Kinshasa. D’autres spiritains se sont joints à leurs confrères de la ville : ils ne sont plus en sécurité dans leurs missions isolées en brousse. Ils se réunissent alors pour tenir conseil. Ceux qui désirent partir pour se mettre à l’abri sont libres mais tous préfèrent rester.

30 décembre 1961

Après une rude bataille de six heures, c’est la débâcle sous les obus. Les derniers soldats katangais font sauter le pont après leur passage. Les civils affluent vers la mission pour s’y réfugier. Le docteur Moreau, un Français, directeur de l’hôpital, et M. Melckebeek, un commerçant belge, se joignent aux 300 personnes présentes à la mission.

Dimanche 31 décembre

La messe est célébrée à l’aube. Nouveaux bombardements, puis les forces armées de Guizenga entrent dans la ville. Vers 14 heures cinq soldats en jeep surgissent à la mission. Ils frappent le docteur, contrôlent les identités, visitent les bâtiments pour vérifier qu’aucun Katangais n’y est caché. Ils avouent ne rien avoir trouvé de suspect et repartent.

Le calvaire commence

Une heure et demie plus tard, deux camions reviennent, chargés de soldats aux visages haineux. Ils donnent l’ordre aux missionnaires, au docteur et au commerçant de monter dans le camion, les mains en l’air, puis vont au séminaire pour chercher les autres Pères, les Sœurs et les séminaristes. Ceux-ci (âgés de 14 à 18 ans) sont obligés de suivre à pied le convoi. Arrivés au camp militaire, on leur fait crier : « Vive Lumumba ! », « Lumumba est Dieu ! » Les missionnaires et les civils sont jetés dans les cachots, les religieuses conduites dans un autre bâtiment, les séminaristes, des blessures au visage, sont parqués dans le couloir d’accès aux cachots. Durant la nuit, le docteur est battu, les religieuses sont harcelées par les soldats auxquels elles résistent vaillamment.

Holocauste, le 1er janvier 1962

Nouveaux interrogatoires, dès le matin, sous injures et blasphèmes : on les accuse d’être de faux missionnaires, de cacher des soldats katangais, de soutenir Tshombé. Retour aux cachots. D’autres soldats disent des paroles rassurantes. Puis nouvelle sortie. Ordre est donné de se déchausser et de se déshabiller. Jules Darmont, le premier à être appelé, observe que les soldats sont ivres, il remonte seulement la soutane, baisse son pantalon et se couche sur le ventre. Les missionnaires sont ainsi frappés, l’un après l’autre, d’une douzaine de coups de chicote, un fouet tressé en cuir d’hippopotame. Le châtiment est humiliant pour tous, sous les regards des séminaristes atterrés.

Une dispute éclate entre les bourreaux quand vient le tour du P. Godefroid qui échappe ainsi au supplice. Puis on les emmène dehors à coups de crosse, lorsque l’un des soldats tire de la file Jules Darmont : « Toi, tu connais l’endroit où se cachent les soldats katangais, viens avec moi ! » Jules Darmont proteste, mais une fois placé en cellule, il entend le soldat lui glisser : « Je veux te sauver. Tais-toi ! » C’est le sergent Jérôme Rwanga, qui décide d’intervenir pour essayer de sauver l’un d’eux. Il est 9 h 30. Deux longues rafales de fusils éclatent. Les séminaristes, depuis la fenêtre, voient les Pères s’écrouler dans l’allée des manguiers. Auparavant, le P. Vandamme a eu le temps d’esquisser un petit signe d’adieu à ses élèves. Les PP. Jaeckens et Déhert ont gardé en mains, l’un son chapelet et son bréviaire, l’autre sa croix de profession. Gilles Pierre se relève plusieurs fois en bénissant ses bourreaux qui lui tirent dessus. Aucun cri de révolte, seulement des gémissements de douleur. « Ils ont accepté sans un murmure le sacrifice de leur vie pour le salut du peuple noir qu’ils aimaient tant », écrira plus tard le P. Darmont.

Profanation des corps

Parmi les corps gisent ceux du docteur Moreau et de M. Melckebeek. Les hordes de jeunes qui suivent les troupes armées pour le pillage arrivent après avoir saccagé les bâtiments de la mission. Maintenant ils tirent des flèches sur les victimes agonisantes, mutilent les dépouilles, obligent les séminaristes à les dévêtir, les traîner vers le fleuve qui coule non loin de là et les y jeter. Aucun des corps ne sera retrouvé, emmenés par les courants, flots violents qui emportent les serviteurs d’une Église locale naissante dans un baptême d’eau et de sang.

Libération

Les bourreaux, toujours excités, menacent de tuer les religieuses, les séminaristes, les prêtres congolais, Mgr Kabwe, vicaire général, et l’abbé Gervais qui résistent aux brutalités. Arrive enfin le colonel Pakasa retardé par l’embourbement de sa voiture à 35 km avant Kongolo. Apprenant la terrible nouvelle, il se précipite vers les cachots pour libérer les malheureux et donne l’ordre de les protéger. Les voilà sauvés ! Lavé, habillé, nourri, Jules Darmont passera la nuit en délire, appelant chaque victime par son nom. À son côté, Mgr Kabwe lui parle doucement. Ce dernier sonnera, avec quelle émotion, la cloche de l’église au matin du 3 janvier pour annoncer la première messe !

Pourquoi ?

Les missionnaires n’avaient pas pris parti politiquement, ils se donnaient tout à tous sans distinction. Ils ont été assassinés par quelques soldats sous les ordres d’un lieutenant quand le reste des troupes se trouvait en faction en divers lieux de la ville. Ce massacre est-il imputable à des militaires saouls, indisciplinés, nourris de propagande soviétique ou l’exécution d’instructions qu’il fallait mettre en œuvre avant l’arrivée du colonel Pakasa ? La question reste entière.




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