Une Église face à de lourds défis sociaux
Mars 2010. Le diocèse de Maasin fête à Limasawa le
489e anniversaire de la 1re messe célébrée aux
Philippines. Quel rôle joue une Église aujourd’hui dans un pays de 99 millions
d’hab., catholiques à plus de 80 % ?
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Évêque d’Iligan de 1996 à 2004, M
gr Emilio Bataclan a
démissionné pour raison de santé. Aujourd’hui curé de
Saint-Thomas-de-Villeneuve à Danao, paroisse fondée en 1585, il connaît les
défis auxquels s’affronte l’Église.
«
J’ai accueilli les spiritains à Iligan pour
une mission auprès des jeunes attirés par le développement économique de la
région. Aujourd’hui, nombre d’enfants en âge scolaire travaillent par
nécessité. Ils sont, souvent sans contrat, sous l’emprise de grands groupes
industriels qui imposent des conditions, même à l’État. Les théories de
l’Occident sur les droits et les besoins d’éducation des enfants ne tiennent
pas ici :
les gens ont besoin de manger. La faim fait accepter tant de choses… Les sectes
venues des États-Unis attirent facilement des jeunes confrontés à des problèmes
de familles disloquées par la course au travail, à des gangs de gamins de 15
ans usant de la drogue locale. Les armes, copies parfaites d’armes venant de
partout dans le monde, se fabriquent ici, s’achètent partout et tuent souvent.
Des hommes utilisent des gosses de 10-15 ans qui commettent des méfaits pour
lesquels la loi ne permet pas de les punir. L’Église travaille avec les
mouvements de jeunes. Et avec les parents qui, connaissant les problèmes de
leurs jeunes, appuient nos mouvements où ces problèmes sont analysés. Nous
proposons aussi des formations bibliques pour adultes. L’État agit de son côté,
mais pas assez. Nombre de ses employés manquent de conviction. Touchés qu’ils
sont eux aussi par la corruption. C’est pour cela que l’État nous demande
d’intervenir, depuis la prévention jusqu’à l’accompagnement de ceux qui
atterrissent en prison. Aujourd’hui, les projets de santé, l’augmentation de la
population, la croissance incessante des jeunes et des chômeurs, le dialogue
entre les religions, les inégalités entre les riches et les pauvres sont des
défis qui se posent à une Église axée sur les sacrements et les dévotions. Elle
est appelée à se battre face aux défis sociaux et économiques pour éduquer à un
vrai sens politique. Le problème, c’est que tout ce que l’Église fait n’est en
rien soutenu par l’État. »
En recevant les évêques des
Philippines à Rome, le 18 février 2011, Benoît XVI a
encouragé leur dynamisme au service de la paix. Extraits de ses constats :
La foi joue un rôle très
important dans la vie de beaucoup de jeunes. Cela est dû en partie au travail
patient de l’Église pour s’approcher d’eux.
Dans de nombreux diocèses, le
nombre de prêtres ne suffit pas pour répondre aux besoins spirituels d’une
population catholique importante et croissante. Sur plus de 99 millions d’hab., les
Philippines comptent 80,9 %
de catholiques, 5 % de
musulmans, 3 % de
protestants, des bouddhistes et des croyants de religions traditionnelles.
Benoît XVI a encouragé les évêques au dialogue avec les autres religions, pour
promouvoir la voie d’une paix authentique et durable. «
Alors
que l’Église proclame sans incertitudes que le Christ est le Chemin, la Vérité,
et la Vie, a-t-il affirmé,
elle
respecte en même temps, tout ce qu’il y a de bon dans les autres religions. »
Le 17 mai, alors que le Parlement philippin
examinait la proposition de loi très controversée sur «
la santé
reproductive »,
l’Église catholique a amplifié son opposition au texte soutenu par Benigno
Aquino III, 15
e président du pays. Après des manifestations,
prières et meetings, rassemblant des milliers de personnes, une grande Journée
nationale de prière a mobilisé tous les diocèses de l’archipel. Associations,
écoles et communautés religieuses avaient manifesté côte à côte afin de
démontrer que toutes les classes de la société étaient contre ce projet de loi
« Reproductive Health
Bill » (RH Bill). Cette
loi est combattue par l’Église depuis des années, pour son projet de
financement public obligatoire de tous les moyens de contraception,
d’introduction de l’éducation sexuelle dans les écoles, et surtout
d’autorisation de l’avortement, pour le moment toujours interdit par la
Constitution des Philippines. Le président demeure ferme sur ces 5 points,
incompatibles avec la Doctrine sociale de l’Église.
«
L’État n’a pas à imposer sa volonté aux
familles dans ce domaine. C’est une affaire de famille. C’est une question
personnelle et chaque famille doit décider pour elle-même », explique M
gr Roberto Calara Mallari,
évêque auxiliaire de San Fernando.
Dans une Lettre pastorale lue le
15 mai dans toutes les
églises, la Conférence des évêques a expliqué son retrait du dialogue avec les
promoteurs de la RH Bill et son intention de poursuivre sa campagne de «
sensibilisation des consciences ».
Avec le soutien affiché de Manny Pacquiao, champion du monde de boxe, député,
et véritable star aux Philippines. Présent aux côtés des évêques lors d’une
conférence de presse à Manille, il a exprimé sa ferme opposition à la loi.