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CENTRAFRIQUE  
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La paroisse Saint-Bernard à Boyrabe


Vivre dans un quartier hors la loi

Boyrabe, un quartier du 4e arrondissement de Bangui. Considéré comme « le quartier général » des milices anti-balaka, telle une ville dans la ville, Boyrabe
est réputé dangereux et aucun étranger ne s’y aventure par risque d’être entièrement détroussé ou enlevé. Au cœur de ce quartier, se trouve la paroisse Saint-Bernard, fondée par le P. Bernard Courant, il y a 14 ans, et actuellement confiée à deux prêtres spiritains et à une communauté de trois Sœurs sénégalaises. Leur présence réconfortante est soutenue par les gens du quartier.



C’est la camionnette de la paroisse qui vient nous chercher pour nous conduire à la paroisse Saint-Bernard. Celle-ci étant bien connue des vigiles anti-balaka qui surveillent étroitement ce secteur de la ville de Bangui, délimité par l’avenue Boganda et les collines environnantes, nous ne courons pas le risque de nous faire arrêter ou dévaliser. Nous passons le barrage des forces de l’ONU. Le soldat en vigile est effaré de voir deux étrangers blancs s’aventurer en de tels lieux. Nous entrons à Boyrabe. Son nom rappelle que les premiers habitants de ce quartier étaient ordinairement les serviteurs (les boys) des commerçants musulmans (les rabes, diminutif d’Arabes). Un dernier virage à droite, sous le regard des jeunes vigiles en faction devant les petits commerces de quartier, et nous arrivons à la paroisse. Nous sommes accueillis par le curé, son vicaire et une petite délégation de paroissiens honorés de notre visite. « Nous restons ici pour assurer une présence. Aller vivre dans un quartier réputé plus sûr aurait de graves conséquences auprès de la population, estime le P. Irénée Poutabale, curé de Saint-Bernard depuis septembre 2014. Nous ne risquons rien, la population nous soutient et nous a toujours prévenus en cas de danger ou d’un regain de tension. » « Ici, je me sens à l’aise et heureux. Tout le monde me connaît », ajoute le P. René Tambe, vicaire, arrivé depuis quelques mois à peine. Le P. Irénée est responsable de la pastorale des jeunes de l’archidiocèse de Bangui. « Jeunes artisans de paix et de cohésion sociale » a été le thème pastoral choisi pour l’année 2015. Des rencontres de sensibilisation sur la réconciliation ont été organisées ainsi que des projections de films sur la vie de grands apôtres de la paix tels que Gandhi ou Martin Luther King. Il arrive que des jeunes enrôlés dans les milices anti-balaka viennent rencontrer les prêtres pour confier leur désarroi et leur désir de sortir du cycle de la violence. Certains sont même venus déposer les talismans qu’ils aiment porter autour de la poitrine et des bras, censés les rendre plus forts et invincibles face à tous les dangers. Mais les chefs des factions anti-balaka, soutenus par d’occultes politiciens, exercent une forte pression sur les jeunes désœuvrés et sans repères de ce quartier. Les drogues qu’on leur donne à consommer les mettent en transe et peuvent les rendre violents. Une fois les effets narcotiques passés, ils ne se souviennent plus de rien. La paroisse dispose pourtant de bonnes structures scolaires. Écoles maternelle et primaire ainsi que le collège accueillent plus de 1 200 élèves. Mais trop de jeunes, privés du soutien de leurs parents, interrompent leur scolarité.

Les Sœurs du Sacré-Cœur de Marie sont chargées du Centre Aloyse Kobès, du nom de leur fondateur, un spiritain alsacien (1820-1872), premier vicaire apostolique de Sénégambie, l’actuel Sénégal. Des cours de couture et de cuisine pour les femmes du quartier y ont été organisés et attendent leurs réouvertures. En visitant ce grand complexe paroissial (église, écoles, salles de catéchisme, maison des sœurs et résidence des pères), on a du mal à imaginer que près de 10 000 personnes sont venues ici se réfugier de décembre 2013 à mai 2014, au plus fort de la crise humanitaire centrafricaine, et l’organisation qu’il a fallu mettre en place pour répartir les 50 tonnes de vivres remises par le PAM (Programme alimentaire mondial) et l’Unicef.

Depuis la fin de ces événements, la vie de la paroisse et des écoles a repris son cours normal… mais il est déjà six heures du soir et il nous faut sortir de l’enclos de Boyrabe avant que ne tombe la nuit, le calme observé depuis quelques mois est précaire, il n’est qu’apparent.


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