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En ces 29 et 30 novembre 2015, l’avenue Barthélemy Boganda, artère
principale de la ville de Bangui, n’avait pas connu une telle animation
depuis longtemps. Des cris de joie, des chants, des pas de danse, des rameaux
ont été agités pour saluer le pape François sur son passage. Les
populations des quartiers musulmans ou chrétiens ne se côtoyaient
plus depuis fin septembre, lorsqu’à l’approche des élections alors
prévues le 18 octobre, l’assassinat d’un jeune musulman avait rallumé
une flambée de violence de plusieurs semaines, se soldant par plus de 60
morts, de nombreux blessés et le pillage des bureaux d’ONG. De
nombreuses voix ont alors exprimé leur inquiétude pour la sécurité du pape
François, mais la trêve a été observée et le programme de la courageuse
visite papale a pu se dérouler sans aucun incident : réception émouvante
par Catherine Samba Panza, présidente du gouvernement de transition, rencontre
avec les autorités civiles, ouverture anticipée du jubilé de la
miséricorde aux portes de la cathédrale, visite aux enfants de l’hôpital
pédiatrique, aux réfugiés du camp de Saint-Sauveur, à la faculté
protestante de théologie, puis à la mosquée de Bangui et enfin
grand-messe au stade de la ville. Le pape François est venu comme pèlerin de
la paix et apôtre de l’espérance. Il a reconnu les gestes de solidarité
qui ont été si souvent posés entre chrétiens, catholiques et protestants,
ou entre chrétiens et musulmans, au cours de ces années d’épreuves. Au
cours de son homélie donnée en la cathédrale de Bangui, le pape a voulu
apaiser les cœurs des chrétiens qui seraient encore tourmentés par la haine
ou le découragement et les exhorter au pardon et à l’amour : « Dieu
est plus puissant et plus fort que tout. Cette conviction donne aux croyants
sérénité, courage, et la force de persévérer dans le bien face aux pires
adversités. Même lorsque les forces du mal se déchaînent, les chrétiens
doivent répondre présents, la tête relevée, prêts à recevoir des coups
dans cette bataille où Dieu aura le dernier mot. Et ce mot sera d’amour et
de paix ! À tous ceux qui utilisent injustement les armes de ce monde, je
lance un appel : déposez ces instruments de mort ; armez-vous plutôt de
la justice, de l’amour et de la miséricorde, vrais gages de paix. »
Fin octobre, le P. Patrick Mbea, supérieur des spiritains en Centrafrique,
nous écrivait : « L’avenir reste sombre. Ni la communauté dite
internationale, ni la classe politique centrafricaine et encore moins les
autorités de la transition, personne ne maîtrise le bateau en train de
sombrer au quotidien. Comment comprendre l’arsenal de guerre onusien et des
Sangaris et le manque de réaction rapide, d’anticipation et de prévention
de violences ? Certes, on peut reconnaître des interventions musclées pour
stopper l’avancée des rebelles… On aimerait que ce genre d’opération ne
reste pas isolé, se généralise et aille jusqu’au bout pour désarmer ces
forces nuisibles. Il y a parfois des manœuvres curieuses de trafic avec ces
forces du mal qui interrogent et déconcertent… Beaucoup d’espoirs sont mis
sur la visite du pape, pour dire des paroles fortes, des vérités capables
d’éveiller les consciences et mobiliser les énergies vers une vraie
réconciliation des Centrafricains entre eux et le refus de toute forme de
manipulation par les forces endogènes et exogènes. »
À l’heure où nous écrivons, nous ne savons pas quel sera le résultat des
élections, maintes fois reportées, et fixées, pour l’instant, au
27 décembre 2015. Les ennemis de la paix qui profitent de la confusion
actuelle ont intérêt à boycotter un processus de paix timide et fragile,
mais il est clair cependant que l’inscription d’une majorité de la
population pour voter manifeste chez celle-ci un grand désir de paix, comme
nous l’écrivions lors de notre dernier reportage consacré à la crise
centrafricaine, paru en septembre et octobre derniers… Nous reprenons donc
notre bâton de pèlerin, notre appareil photo et nos carnets de notes. Nous
irons au quartier Boyrabe qui a été l’épicentre du conflit durant des mois
et semble actuellement apaisée, au foyer de Bimbo qui a vu, depuis notre
visite, augmenter le nombre de jeunes filles accueillies ou au centre du Groupe
Espoir pour les malades atteints du sida. Nous retournerons à la paisible
ville de Bangassou, dans l’est du pays. Les chrétiens de Centrafrique ne
baissent pas les bras, ne baissons pas non plus l’intensité de notre prière
et le soutien de notre charité. Merci pour vos premiers dons pour l’école
de Kippa. Merci pour les enfants. Merci à Dieu, pour cette espérance qui nous
relie en une immense chaîne de solidarité, de fraternité et de communion
spirituelle.
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