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CENTRAFRIQUE  
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Accueillir, réconforter, soigner


L’Église, telle un hôpital de campagne

  Accueillir, réconforter, soigner les corps malades et guérir les âmes tourmentées. Le diocèse de Bangassou, au nord-est du pays, avec son complexe hospitalier, construit au cours de la dernière décennie, grâce à l’appui d’une fondation espagnole, fournit un exemple particulièrement éclairant du rôle de l’Église en Centrafrique.


« Nous restons ici pour conforter les gens, les apaiser et les encourager », confie Mgr Juan José Aguirre, au volant de sa voiture qui nous conduit à Bagonde, un quartier périphérique de Bangassou où se trouve l’hôpital privé du diocèse. Mgr Aguirre est un missionnaire combonien espagnol, évêque de Bangassou depuis seize ans. La veille au soir, nous l’avons rencontré au retour d’une tournée pastorale dans l’est du pays. Il était harassé de fatigue et brisé, plus encore, par la nouvelle qu’il venait de recevoir : des rebelles avaient enlevé de jeunes enfants d’un village qu’il avait visité quelques jours auparavant pour célébrer les confirmations. L’exaction a été commise par les membres de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA : Lord’s Resistance Army), un mouvement qui a vu le jour en 1986, en Ouganda, pour combattre le gouvernement et instaurer une théocratie. Ses troupes sont constituées d’enfants enlevés à leur famille pour être convertis en soldats ou en esclaves sexuels. Son fondateur, un illuminé fanatique et sanguinaire, Joseph Kony, est visé par un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Repoussés hors des frontières du pays par l’armée ougandaise, les éléments de la LRA sévissent depuis 2010 à l’est de la Centrafrique, au Sud-Soudan et au Congo Kinshasa. Le nombre de victimes causées par la LRA, les 25 dernières années, est estimé à 100 000.
 
La léproserie

Enfin arrivés à Bagonde, nous commençons notre visite par la salle de soins de la léproserie fondée, il y a plus de trente ans, par Mgr Antoine Marie Maanicus, le premier évêque de Bangassou, un spiritain hollandais resté 36 ans à la tête du diocèse. Une dizaine de patients est soignée quotidiennement. Les cas de léproserie sont heureusement en baisse depuis plusieurs années, la maladie étant désormais bien maîtrisée et détectée plus tôt qu’autrefois. Hélas, celui des malades du sida reste toujours très élevé.
 
Le centre de soins des malades du Sida

À quelques mètres de la léproserie, il a fallu construire un centre d’accueil pour accueillir les malades atteints du sida, appelé la Maison du bon samaritain. Sœur Juliette, une franciscaine de l’Esprit-Saint, espagnole, présente en Afrique depuis 37 ans, au Congo RDC d’abord, puis en RCA, dirige l’ensemble hospitalier. Elle nous montre l’appareil de mesure des taux de globules blancs des patients qui permet de connaître leur niveau d’immunité. 450 personnes infectées du VIH/ida sont actuellement traitées, à raison d’une visite par mois. Les quelques malades en phase terminaleer sont hospitalisés ici. Mgr Aguirre leur rend visite un par un. Il les prend affectueusement dans ses bras… une compassion qu’il préfère exprimer plus par des gestes que par des mots.
 
Un bloc opératoire flambant neuf
Dans le bâtiment voisin, nous visitons le seul bloc opératoire de la ville, un centre d’examen ophtalmologique et un cabinet dentaire. Avant 2013, l’année de l’invasion de la coalition Séléka, des équipes de médecins, d’ophtalmologues et de dentistes provenant d’Espagne, étaient envoyées par la Fondation Bangassou, un réseau espagnol créé par Mgr Aguirre et son frère médecin, pour des missions médicales de quinze jours, trois fois par an. On attend depuis trois ans l’installation d’un gouvernement stable et le retour de la sécurité pour reprendre, à nouveau, les missions médicales…
 

Une maternité en attente de naissances

Nous voici dans les installations de la maternité. Elle est étonnamment vide. Ici, les mamans doivent donner un peu d’argent ou des dons en nature. C’est la règle dans les établissements privés et publics de la ville de Bangassou, afin de ne pas nourrir une attitude d’assistanat au sein de la population. Mais depuis que l’organisation Médecins sans frontières (MSF) s’est installée, suite aux dramatiques événements de 2013, les femmes préfèrent accoucher dans les installations mises en service par la célèbre ONG, car les soins y sont totalement gratuits. Il faudra attendre que MSF quitte les lieux pour que la maternité du diocèse puisse à nouveau poursuive son œuvre humanitaire et son éducation à la responsabilité.
 

La Maison de l’espérance

Notre visite se conclut enfin par la Maison de l’espérance. De grands cris de joie jaillissent en guise d’accueil, poussés par une quinzaine de pensionnaires, des personnes âgées pour la plupart, qui souffrent de troubles psychologiques ou de déficience mentale. Accusées de sorcellerie, elles sont durement rejetées par leurs familles. Mgr Aguirre les considère comme les plus pauvres parmi les pauvres, mises au rebut d’une société en crise qui ne maîtrise plus son destin et cherche une explication à tous les maux qui l’accablent en ayant recours à une vision sorcière du monde. Ce phénomène s’observe dans plusieurs régions d’Afrique : si rien ne va plus, estiment les populations, c’est parce qu’il y a trop de sorciers. Ainsi les enfants ou les vieillards dont le comportement paraît étrange, ou en dehors des normes sociales, sont mis à l’écart, abandonnés, voire persécutés. C’est la Sœur Micheline, missionnaire de la Fraternité Saint-Vincent-de-Paul, originaire du Congo RDC, un pays qui connaît également ce phénomène, chargée de les accueillir, qui s’efforce de les réconforter. Trois autres Maisons de l’espérance ont été implantées ailleurs dans la ville. Me vient alors à l’esprit une citation du pape François, l’une de ces images fortes et provocantes qu’il sait parfaitement utiliser pour provoquer les esprits, « l’Église doit être comme un hôpital de campagne après la bataille ». La comparaison, ici, prend toute sa réalité, aux sens propre et figuré.

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